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ECONOMIE ECOLOGIQUE CONCEPTS FONDAMENTAUX
1. UNE PERSPECTIVE ECOLOGIQUE
Les relations entre questions économiques et écologiques peuvent être
envisagées selon plusieurs points de vue. L’économie environnementale standard
applique aux questions d’environnement les concepts dérivés de l’analyse économique
standard. Cependant, l’école de pensée appelée écologie économique, prend une
toute autre approche. L’économie écologique cherche à redéfinir les concepts
économiques fondamentaux pour les rendre plus applicables aux problèmes
environnementaux. Cela veut dire envisager les problèmes à partir d’une perspective
macro plutôt que micro, en portant l’attention sur les cycles écologiques majeurs et en
appliquant à l’économie humaine une logique systémique inspirée de la physique et de
la biologie, et non pas envisager les écosystèmes au travers du seul regard de l’analyse
économique.
Contrairement à l’analyse économique standard, l’analyse écologique n’utilise
pas le référent méthodologique du marché. 1 L’économiste écologique Richard Norgaard
a qualifié cette approche de pluralisme méthodologique, qui permet «une multiplicité
de points de vue permettant de ne pas commettre des erreurs inhérentes à une
perspective unique»".2 Au travers d’une combinaison d’analyses et de techniques
empruntées à des perspectives différentes, on peut obtenir une image plus exhaustive
des problèmes que l’on étudie.
Cette approche pluraliste signifie que l’économie écologique n’est pas
nécessairement incompatible avec l’analyse de marché. Les analyses de l’économie
environnementale standard offrent plusieurs éclairages complémentaires à une
perspective écologique plus large. Mais certaines des hypothèses et des concepts
utilisés dans l’analyse de marché devront être modifiés ou remplacés afin d’avoir une
compréhension de l’interaction entre système économique et systèmes écologiques.3
1 Une méthodologie est l’ensemble des approches et techniques utilisées pour analyser un problème.
2 Norgaard, 1989.
3 Pour une analyse plus détaillée du développement de l’économie écologique et de ses relations avec la
théorie économique, voir Krishnan et al. eds. 1995; Martinez-Alier et Røpke, 2008; Costanza et al. eds,
2012.
Nous explorons les questions suivantes:
Les ressources naturelles sont-elles une forme de capital?
Comment peut-on comptabiliser et conserver les
ressources naturelles et les écosystèmes?
Qu’est-ce qui limite l’échelle des systèmes économiques?
Comment peut-on assurer le bientre économique et la
santé des écosystèmes sur le long-terme?
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2. CAPITAL NATUREL
Un concept fondamental utilisé par les économistes écologiques est celui de
capital naturel. La plupart des modèles économiques du processus de production se
limitent à deux facteurs de production : le capital et le travail. Un troisième facteur,
traditionnellement appelé facteur «terre», est pris en compte mais en général sans avoir
de fonction prééminente dans les modèles économiques. Les économistes classiques
du XIXème siècle, surtout David Ricardo, auteur de Principles of Political Economy and
Taxation (1817), étaient particulièrement préoccupés par le facteur terre et par sa
productivité en tant que terminant de la production économique. L’économie
moderne, au contraire, suppose généralement que le progrès technologique sera en
mesure de dépasser toutes les limites des capacités productives de la terre.
Les économistes écologiques ont réintroduit et élargi le concept classique de
“terre” en le renommant capital naturel. Le capital naturel est défini comme la dotation
totale en terre et en ressources naturelles disponibles pour l’usage de l’humanité, y
compris l’air, l’eau, les sols fertiles, les forêts, les ressources halieutiques, les
ressources minérales, et les systèmes écologiques supportant la vie et sans lesquels
toute activité économique, et plus encore, toute vie, serait impossible.
Dans la perspective de l’économie écologique, le capital naturel devrait être
considéré au moins comme aussi important que le capital manufacturé. De plus, une
comptabilité sérieuse devrait être faite de l’état du capital naturel et de son amélioration
ou de sa détérioration, qui devrait se refléter dans les comptabilités nationales.
Rendre compte des changements du capital naturel
Définir les ressources naturelles comme capital soulève une question
économique importante. Un des principes centraux à toute gestion économique
prudente consiste à la préservation de la valeur du capital.
Il est généralement recommandé d’augmenter le capital productif au cours du
temps, un processus que les économistes appellent l’investissement net. Une nation
dont le capital productif diminuerait (désinvestissement net) serait en phase de déclin
économique.
Sir John Hicks, Prix Nobel d’Economie, et auteur de Value and Capital (1939),
définit le revenu comme le montant de biens et services qu’un individu ou une nation
peut consommer pendant une période de temps tout en conservant un niveau de
richesse au moins aussi élevé à la fin de la période qu’au début. En d’autres termes, on
ne peut pas augmenter son revenu par la réduction de son capital.
Pour comprendre ce que cela représente dans la pratique, imaginez que vous
receviez un héritage de un million de dollars (peu d’entre nous aurons cette chance
3
mais on peut toujours imaginer). Supposons que ce million est investi dans des bons du
trésor qui rapportent à un taux réel de 5%.4 Ceci génèrera un revenu annuel de 50000
dollars. Cependant si vous décidez de dépenser 100000 dollars par an, cela voudra dire
que vous ferez fondre de 50000 le capital – en plus des 50000 de revenu. En faisant
ceci, vous ferez diminuer le revenu dans les années qui viennent jusqu’à ce que tout le
capital soit dilapidé. Il est clair qu’un tel comportement est très différent d’une gestion
prudente de son patrimoine consistant à ne recevoir que 50000 par an indéfiniment
pour vous-même et pour vos héritiers à venir.
Ce principe est généralement accepté tant qu’il s’agit de capital produit par
l’homme. Les comptabilités nationales tiennent compte dans leurs calculs de la
dégradation de cette forme de capital au cours du temps. Cette dépréciation du
capital est estimée annuellement et soustraite du produit national brut afin d’obtenir le
produit national net. Afin de maintenir la richesse nationale au cours du temps, il est
nécessaire de réaliser au moins assez d’investissement pour remplacer le capital qui se
déprécie chaque année. Ceci se reflète dans la différence entre investissement brut et
net. L’investissement net est égal à l’investissement brut moins la dépréciation, et peut
être égal à zéro ou même être négatif s’il n’y a pas suffisamment d’investissement de
remplacement. Un investissement net négatif signifie un déclin de la richesse nationale.
Mais il n’existe pas de provision semblable pour ce qui est de la dépréciation du
capital naturel. Si une nation coupe ses forêts et les convertit en bois utilisé pour la
consommation domestique ou l’exportation, cette opération ne se traduit dans les
comptes nationaux que comme une contribution positive au revenu, égale à la valeur du
bois sur le marché. Il n’est fait nulle part mention de la perte de la forêt originelle, ni
comme ressource économique ni en termes de sa valeur écologique. Du point de vue
de l’Economie Ecologique, ceci est une omission très grave qui se doit d’être corrigée.
Les économistes écologiques ont proposé des révisions des systèmes de comptabilité
nationale qui incluraient la dépréciation du capital naturel.
La dynamique du capital naturel
Le concept de capital naturel implique de plus qu’une analyse purement
économique ne peut pas complètement rendre compte de la dynamique des stocks et
des flux de ressources naturelles. Les économistes ont plusieurs techniques pour
exprimer les facteurs environnementaux et les ressources naturelles en termes
monétaires adéquats pour l’analyse économique standard. Mais cette approche ne
capture qu’une seule dimension du capital naturel.
Les règles fondamentales qui gouvernent les éléments du capital naturel tels que
les ressources en énergie, l’eau, les éléments chimiques, et toutes les formes de vie,
sont des lois physiques décrites par les sciences de la nature – physique, chimie,
4 Le taux réel est le taux affiché moins le taux d’inflation.
4
biologie, et écologie. Sans une considération précise et poussée de ces lois, on ne peut
comprendre entièrement ce que recouvre le capital naturel.
Par exemple, la fertilité du sol dans les systèmes agricoles est déterminée par
les interactions complexes entre nutriments chimiques, micro-organismes, flux
aquatiques (pluviométrie, irrigation) et cycles plantes-animaux-déchets organiques. Si
l’on ne mesure la fertilité des sols que selon la quantité de céréale produite par unité de
surface par exemple, on ne considérera qu’un indicateur valide pour des calculs
économiques de court terme mais qui pourra s’avérer trompeur sur le long-terme car ne
tenant pas compte d’évolutions subtiles des processus écologiques. Une analyse
économique pure pourrait résulter dans une attention insuffisante portée à la
préservation sur le long-terme de la fertilité des sols.
Ainsi il est nécessaire de combiner le regard de l’analyse économique avec celui
de l’approche écologique reposant sur des principes de préservation du capital naturel.
Ceci ne rend pas caduques les techniques économiques utilisées par l’économie
environnementale standard mais au lieu d’être considérées de manière exclusive, elles
doivent être complétées par des perspectives écologiques sur les systèmes naturels
afin d’éviter d’aboutir à des prises de décisions erronées.
Les économistes écologiques proposent d’appliquer des techniques de
comptabilité du capital naturel et de sa conservation qui comprennent les éléments
suivants :
Comptabilité physique du capital naturel :
Outre les comptes des revenus nationaux existants, des comptes satellites
peuvent être construits qui montrent l’abondance ou la rareté des ressources
naturelles et estiment leur variation d’année en année. Ces comptes peuvent
également montrer la quantité de pollution accumulée, la qualité de l’eau, la
variation de la fertilité des sols, et d’autres indicateurs physiques importants pour
rendre compte des conditions écologiques. Les comptes qui montrent de
manière significative des problèmes d’érosion des ressources ou de
dégradation environnementale, requièrent des mesures de conservation ou de
restauration du capital naturel.
La détermination du niveau de rendement durable. L’exploitation économique
des ressources naturelles souvent excède les niveaux écologiquement durables.
Une analyse écologique des systèmes naturels exploités pour l’usage humain
peut aider à mieux déterminer le niveau de rendement qui soit écologiquement
soutenable ou durable sur le long terme. Si le rendement économique excède le
rendement durable, la ressource est menacée et des mesures de protection sont
nécessaires. Ce cas de figure se produit souvent avec les ressources
halieutiques et forestières.
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La détermination de la capacité d’absorption de l’environnement pour les
déchets générés par l’activité humaine, y compris les déchets domestiques,
agricoles et industriels. Les procédés naturels permettent de détruire la plupart
des déchets à travers des périodes plus ou moins longues et de les réabsorber
dans l’environnement sans dommage. Cependant il existe des déchets et
polluants qui sont difficiles ou impossibles à absorber par l’environnement –
ceux-ci incluent les pesticides chlorés, les chlorofluorocarbones (CFCs) et les
déchets radioactifs. L’analyse scientifique peut offrir une estimation des niveaux
acceptables d’émissions de ces déchets.
Toutes ces mesures relèvent d’un principe général de durabilité du capital
naturel.
Selon ce principe, les nations doivent chercher à conserver leur capital naturel
en limitant son épuisement ou sa dégradation et en investissement dans son
renouvellement (par exemple au travers de la conservation des sols ou des
programmes de reforestation). Les difficultés et les controverses liées à la traduction de
ce principe dans des règles et politiques spécifiques met en lumière les différences
entre analyses économiques et écologiques.
3. QUESTIONS D’ECHELLE MACROECONOMIQUE
La théorie macroéconomique standard ne reconnait aucune limite supérieure à
l’échelle de l’économie. Les théories économiques, qu’elles soient classiques,
keynésiennes ou autres, traitent des conditions d’équilibre entre les agrégats de la
macroéconomie – consommation, épargne, investissement, dépenses
gouvernementales, impôts et taxes, création monétaire. Mais pour ce qui est de la
croissance économique, le niveau d’équilibre est censé pouvoir s’élever indéfiniment,
de sorte que le produit intérieur brut (PIB) peut être multiplié par dix ou par cent au
cours du temps.
Avec un taux de croissance de 5 pourcents par an par exemple, le PIB doublerait
tous les 14 ans, et serait multiplié par plus de 100 en un siècle. Même avec un taux de
croissance de 2%, le PIB double tous les 35 ans, et est multiplié par 7 en cent ans. Du
point de vue de l’équilibre économique standard, une telle croissance ne pose pas
problème. Mais pour les économistes écologiques, comme l’ont exprimé en particulier
Robert Goodland et Herman Daly, les facteurs écologiques imposent des limites sur les
niveaux de faisabilité de l’activité économique et la théorie économique doit donc
inclure un concept d’échelle macroéconomique optimale.5
5 La notion de “Throughput” est un terme introduit par Herman Daly, et se réfère aux processus combinés
d’intrants de ressources naturelles et de rejets de déchets dans l’environnement. On peut le traduire
comme «flux énergie-matière traversant le système économique ». Voir Goodland et al. eds., 1992 et
Daly, 1996.
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