PHARMACOLOGIE Les digitaliques
1
1
« La libération de calcium induite par le calcium » à l’origine
de la contraction du cardiomyocyte. Au niveau du cardiomyocyte,
le Ca2+ extracellulaire entre à chaque dépolarisation via les canaux
calciques voltage dépendants de type L (ces canaux sont bloqués par les
antagonistes calciques à tropisme cardiaque type vérapamil et
diltiazem, cf chapître spécifique). L’augmentation modérée de la
concentration calcique intracellulaire qu’elle entraîne induit la
libération du Ca2+ stocké dans le réticulum cytoplasmique (via le
récepteur à la ryanodine RYR), c’est « la libération de calcium induite
par le calcium » ou « calcium induced calcium release » (Figure 1).
L’augmentation massive de la concentration calcique intracellulaire est
disponible pour interagir avec les protéines contractiles, augmentant la
force de contraction.
Pendant la repolarisation cardiomyocytaire, le calcium intracellulaire est
sequestré à nouveau dans le réticulum sarcoplasmique par une Ca2+
ATPase et par un antiporteur Na+/Ca2+. La capacité d’échange
Na+/Ca2+ de cet antiporteur dépend étroitement de la concentration
intracellulaire de sodium. En effet, d’une part l’antiporteur utilise le
gradient sodique pour déplacer du calcium vers l’espace extracellulaire
contre son propre gradient de concentration. D’autre part, les
concentrations extracellulaires de Na+ et Ca2+ sont bien moins
variables que les concentrations intracellulaires dans des conditions
physiologiques.
Le sodium entré dans la cellule est ensuite externalisé par la Na+/K+
ATPase. En effet, la pompe Na/K ATPase, en extrayant du sodium
intracellulaire est le principal déterminant de la concentration
intracellulaire en sodium. L’influx sodique suivant les potentiels d’action
cardiaque en est le second déterminant.
Digoxine Forme orale (comprimé et
solution buvable) et injectable
Les digitaliques ont été découverts par William Withering, médecin et
botaniste britannique du XVIIIème siècle. Withering constate que l'état
de l'un de ses patients, atteint « d’hydropisie » (probablement
oedèmes liés à une insuffisance cardiaque congestive), s'améliore
considérablement après l'administration d'un mélange de plantes.
Withering étudie alors ce mélange et isole la substance active
contenue dans des feuilles de digitale qu'il nomme digitaline d'après le
nom de la plante. Il est important de
noter que la présence de ces
substances dans les digitales est un
mécanisme de défense contre les
herbivores vertébrés, expliquant la
toxicité de ces plantes.
Ces propriétés toxiques étaient
d’ailleurs bien connues, d’où les
surnoms des digitales : Dead Man’s
Bells, ou Witches’ Gloves.
Les digitaliques sont donc des
substances d'origine végétale, issues
de la digitale pourprée laineuse
(Digitalis lanata, Figure 2). Ces
glycosides cardiaques possèdent un
noyau stéroïde commun substitué
par un ou plusieurs résidus
glycosides en C3, d’où leur autre
dénomination (glycosides
cardiaques ou glycosides
digitaliques). L’amélioration de la
prise en charge de l’insuffisance
cardiaque a limité l’intérêt de cette
classe thérapeutique qui reste
cependant utilisée dans le contrôle
du rythme cardiaque de la
fibrillation auriculaire. La digoxine
est le seul digitalique actuellement
utilisé.
Ra
pp
el
p
h
y
sio
p
atholo
g
i
q
ue
Les digitaliques
Pr JeanLuc Cracowski
Faculté de médecine de Grenoble
V2.1 du 06/07/2010 ; Pharmacologiemedicalegrenobl[email protected]
http://www.pharmacomedicale.org/ En synthèse
Les digitaliques sont des substances d'origine végétale,
appartenant au groupe des tonicardiaques. Seule la
digoxine est commercialisée ce jour. L’effet de la digoxine
dans le traitement de l’insuffisance cardiaque est lié à
son effet inotrope positif et à son effet de contrôle de la
fréquence ventriculaire dans la fibrillation auriculaire.
Cependant, les glycosides cardiaques modulent
également l’activité du système nerveux autonome, ce
qui contribue à leur efficacité. La digoxine a un faible
index thérapeutique, nécessitant une surveillance
régulière clinique et biologique par suivi thérapeutique
pharmacologique, avec un risque important d'effets
secondaires, d'interactions médicamenteuses, ou
d'intoxication.
Médicaments existants
3 Na
+
Cl
-
Ca
2+
actine
Cellule musculaire
cardiaque
Canal calcique
voltage dépendent
1 Ca
2+
myosine
Ca
2+
Réticulum
sarcoplasmique
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
Ca
2+
2 K
+
+ + +
---
[Na
+
] 10 mM ; [K
+
] 150 mM
[Na
+
] 140 mM ; [K
+
] 4 mM
+ + +
---
RYR
Figure 1. Mécanisme de la contraction des cardiomyocytes
PHARMACOLOGIE Les digitaliques
2
1 Effet inotrope positif :
Les digitaliques sont de puissants et très sélectifs inhibiteurs du
transport transmembranaire actif de Na+ et K+ (Figure 3). Cet effet est
lié à une liaison réversible de la sous unité α de la Na+/K+ ATPase, la
pompe permettant de faire sortir le Na+ contre à la fois le gradient de
concentration et le gradient électrique. En présence de digitalique, il
existe donc une élévation des concentrations sodiques intracellulaires.
Ceci réduit le gradient sodique transmembranaire qui pousse
l’antiporteur à faire sortir le calcium, alors que le calcium continue à
entrer dans la cellule à chaque dépolarisation. Par conséquent, plus de
calcium est recapté dans le réticulum sarcoplasmique, d’où plus de
calcium est disponible lors de la dépolarisation cellulaire suivante, d’où
l’augmentation de la contractilité myocardique.
Figure 3. Mécanisme d’action myocardique de la digoxine
2. Action électrophysiologique :
A des concentrations thérapeutiques, la
digoxine diminue l’automaticité (action
chronotrope négative) et ralentit la
conduction auriculoventriculaire (action
dromotrope négative). Ces phénomènes
sont liés à une augmentation du tonus vagal
et une diminution du tonus adrénergique. A
des concentrations plus élevées, la digoxine
augmente l’excitabilité ventriculaire.
3. Effet de régulation du tonus
sympathique :
Il existe un effet direct des digitaliques sur la
réponse baroréflexe carotidienne aux
variations de pression (sensibilité diminuée
dans l’insuffisance cardiaque, restaurée,
peut être par inhibition de l'ATPase des
barorécepteurs) induisant une diminution
du tonus sympathique. Cet effet de
réduction de l’activation neurohormonale
représente sans doute une part importante
de l’action des digitaliques.
- Insuffisance cardiaque (dysfonction systolique). La digoxine n’est
plus un traitement de première intention de l’insuffisance
cardiaque. Cependant, contrairement aux autres inotropes
positifs, la digoxine a un effet neutre sur la mortalité, tout en
améliorant les symptômes. Elle est donc indiquée uniquement 1
en cas de fibrillation auriculaire pour ralentir la fréquence
ventriculaire ou 2en recours chez des patients restant
symptomatiques après traitement par les médicaments ayant
démontré un effet bénéfique sur la mortalité (inhibiteurs de
l’enzyme de conversion et β–bloquants).
- Troubles du rythme supraventriculaire : Fibrillation auriculaire ;
flutter auriculaire à réponse ventriculaire rapide (pas d'effet anti
arythmique direct, mais amélioration de la tolérance
hémodynamique par ralentissement la fréquence ventriculaire).
Digoxine Traitement d’entretien 0,25 mg/j
Sujet âgé : 0,125 mg/j
Traitement d’attaque par voie intraveineuse
: 1 à 2 ampoule (0,50 mg)/jour
Figure 2. Photo de digitale pourprée laineuse
Mécanismes d’action
3 Na+
Cl-
Ca2+
actine
Cellule musculaire
cardiaque
Canal calcique
voltage dépendent
Digitaliques
1 Ca2+
myosine
Ca2+
Réticulum
sarcoplasmique Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
Ca2+
2 K+
+ + +
--- [Na
+
] 10 mM ; [K
+
] 150 mM
[Na
+
] 140 mM ; [K
+
] 4 mM + + +
---
RYR
Figure 3. Mécanisme d’action myocardique de la digoxine
Effets utiles en clinique
Posologie
PHARMACOLOGIE Les digitaliques
3
La digoxine se prend en une prise quotidienne.
Demi
vie
Absorption Métabolisme Elimination
Digoxine
36 h 70 %
forme libre ,
large volume de
distribution :
(VD 5 L/kg)
Biotransformation
hépatique
négligeable
Tableau 1. Caractéristiques pharmacocinétiques
La digoxine est principalement présente sous forme libre dans le sang,
non liée aux protéines plasmatiques (80 %), ce qui explique sa rapidité
d'action : début d'activité, 10 à 30 minutes par voie veineuse, 1 à 2
heures per os. Le principal réservoir tissulaire est le muscle
squelettique, avec un large volume de distribution (VD 5 L/kg)
expliquant la mauvaise efficacité de l’hémodialyse en cas d’intoxication.
Interactions médicamenteuses :
Interactions médicamenteuses
Mécanisme et conséquences de
l’interaction
tous les médicaments
hypokaliémiants (diurétiques,
laxatifs, corticoïdes,
amphotéricine B)
augmentation de la toxicité des
digitaliques
le calcium I.V. augmentation de la toxicité des
digitaliques
phénobarbital, phénytoïne diminution des concentrations
plasmatiques
Tableau 2. Interactions médicamenteuses des digitaliques
Formelles :
Bloc auriculoventriculaire de 2° ou 3° degré
Hyperexcitabilité ventriculaire
Hypokaliémie : augmente la toxicité myocardique des
digitaliques et favorise les troubles du rythme ventriculaire
Fibrillation auriculaire associée à un syndrome de Wolff
ParkinsonWhite (risque d’accélération de la conduction sur
le faisceau accessoire)
Cardiomyopathie hypertrophique obstructive et
rétrécissement aortique serré
Cardiothyréose
Calcithérapie par voie intraveineuse
Relatives :
Bloc auriculoventriculaire du 1° degré : surveillance stricte
(clinique + E.C.G) lors de l'instauration du traitement
Insuffisance rénale sévère : nécessité de diminuer les doses
et de vérifier par suivi thérapeutique pharmacologique la
concentration plasmatique de la digoxine
Age : les sujets âgés, avec amaigrissement et fonction
rénale altérée sont un terrain favorisant l'intoxication
digitalique. Nécessité d’une surveillance
Hypercalcémie, favorisant la survenue de troubles du
rythme ventriculaire.
La surveillance de base est clinique. Cependant, la marge entre dose
thérapeutique et dose toxique est très étroite, en particulier chez le
sujet âgé ou insuffisant rénal. Un suivi thérapeutique pharmacologique
est donc conseillé, en particulier chez le sujet âgé. Les concentrations
plasmatiques thérapeutiques recommandées sont de 0,9 à 2 ng/ml. Il
est important cependant de noter que l’efficacité neurohormorale et
atteinte pour des concentrations de 0,5 à 1 ng/ml, alors que l’effet
maximal sur la contractilité est observé pour des concentrations de 1,4
à 1,8 ng/ml.
Il existe un clairement un chevauchement des valeurs entre les zones
thérapeutique et toxique, avec une corrélation entre risque de décès et
concentrations même pour des concentrations thérapeutiques.
Néanmoins, la toxicité se manifeste généralement pour des taux
supérieurs à 2,0 ng/mL.
Aux doses thérapeutiques :
Nature de l’effet
indésirable
Gravité Estimation
de la
fréquence
En savoir plus sur
l’effet indésirable
Nausées et
vomissements
modérée fréquent sont les premiers signes
de surdosage
Troubles de
l'excitabilité
ventriculaire
Variable fréquent Survenue
d’extrasystoles
ventriculaires, signe
d’alerte
Modifications
électrocardiographique
sous digoxine aux
doses thérapeutiques
modérée Très
fréquent bradycardie sinusale ou
ralentissement d’une
fibrillation auriculaire
par ralentissement de
la conduction auriculo
ventriculaire
raccourcissement de
l'intervalle QT
sousdécalage en
cupule du segment
ST, prédominant dans
les dérivations
précordiales gauches. II
ne s'agit pas d'un signe
de surdosage ou de
toxicité mais
d'imprégnation.
applatissement ou
négativation des ondes
T. Ces anomalies
rendent difficile
l'interprétation de la
repolarisation.
Tableau 3. Effets indésirables des digitaliques
Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en
clini
q
ue
S
ources
d
e la variabilité de la réponse
Contreindications
Précautions d’emploi et surveillance des effets
Effets indésirables
Contreindications
Figure 4. Extrasystoles ventriculaires bigéminées
PHARMACOLOGIE Les digitaliques
4
Intoxication aiguë et surdosage :
Symptômes :
- Troubles cardiaques avec anomalies de l'ECG
potentiellement graves, voire mortels : tous les troubles de
la conduction et de l'excitabilité peuvent être observés :
extrasystoles ventriculaires, souvent bigéminées, tachycardie
ventriculaire tachysystolie auriculaire avec conduction 2/1,
troubles de conduction
- Troubles digestifs premiers signes de surdosage (anorexie,
nausées, vomissements, diarrhées)
- Troubles visuels (troubles de la vision des couleurs,
hallucinations visuelles)
- Troubles neurologiques (vertiges, céphalées, insomnie,
troubles psychiques chez le sujet âgé)
- On considère que la toxicité se manifeste généralement pour
des taux supérieurs à 2,0 ng/mL, mais il convient de se
rappeler qu’il s’agit d’un seuil relativement arbitraire.
Conduite d'urgence :
- Dans le cas d'un surdosage thérapeutique : arrêt du
digitalique et repos. S'abstenir d'antiarythmiques ou
d'isoprénaline du fait du risque accru de troubles de rythme
ventriculaire. En cas de bradycardie : atropine ; en cas
d'hyperexcitabilité myocardique : phénytoïne, lidocaïne.
- Dans le cas d'une intoxication massive : hospitalisation dans
un service spécialisé pour surveillance par moniteur
cardiaque et montée éventuelle d'une sonde endocavitaire
pour entrainement électrosystolique en cas de bradycardie
ou de troubles sévères de la conduction.
L’utilisation des anticorps monoclonaux spécifiques Fab,
antidote spécifique, est indiquée en cas de toxicité avec mise
en jeu du pronostic vital (arythmies ventriculaires graves ou
bloc atrioventriculaire ne répondant pas à l’atropine). Ces
anticorps sont issus d’immunoglobulines de moutons
immunisés avec un digitalique, fournis sous forme de poudre
lyophylisée. Il existe un risque de choc anaphylactique. La
dose dépend administrée de la quantité de digoxine à
neutraliser.
La base, en français : le DVD de première année de l’UFR de
médecine/pharmacie de Grenoble et le corpus national des
enseignants, en français : L1 santé – UE 6 initiation à la connaissance
du médicament. Ed VernazobresGreco
L’ensemble de la pharmacologie sur le web : P2D2 :
http://www.pharmacomedicale.org/
Un excellent livre de synthèse complet, en anglais : Katzung.
Basic and Clinical Pharmacology, 11th Edition, Ed PICCIN.
Le livre de référence plus complexe, en anglais : Goodman &
Gilman’s. The pharmacological basis of therapeutics. Ed Mc Graw Hill.
Les documents de référence
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