LA DOUBLE LIAISON C=C

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LA DOUBLE LIAISON C=C
I-Présentation
1) Origine
La double liaison C=C se rencontre essentiellement dans les alcènes (mais aussi dans les cyclènes, double liaison présente dans un cycle, et dans les diènes, qui présentent deux doubles liaisons dans la chaîne.)
Les alcènes sont des hydrocarbures linéaires de formule brute CnH2n.
Remarque: cette relation n’est pas univoque puisque cette formule brute peut aussi correspondre aux cyclanes.
Les alcènes sont très rares à l’état naturel; ils sont synthétisés à partir du pétrole par vapocraquage.
Remarque: il existe dans la nature des composés à liaisons multiples comme les terpènes (par
exemple le limonène dans le citron) ou les phéronomes.
Le premier terme est appelé éthylène; pour cela, on appelle souvent les alcènes « carbures
éthyléniques ».
2) Structure
a) exemple de l’éthylène
Les deux carbones fonctionnels trigonaux forment une double liaison avec une partie σ (symétrie axiale) et une partie π (symétrie par rapport à un plan).
π
H
116,8°
H
σ
C
121,6°
H
C
H
On a les données expérimentales suivantes:
liaison
longueur (en nm) énergie (en kJ.mol-1)
C-C
0,154
350
C=C
0,134
600
On constate que la double liaison est plus courte qu’une liaison simple et d’énergie plus
grande.
Cependant, on a DC=C < 2 DC-C; la liaison C=C est donc plus réactive que la liaison C-C.
b) les autres alcènes
Les caractéristiques de la double liaison sont conservées avec des carbones fonctionnels trigonaux, les autres carbones étant tétraédriques.
On pourra rencontrer une isomérie Z-E à cause de l’absence de libre rotation autour de la liaison C=C, due à la présence de l’orbitale π.
Un alcène peut être chiral mais seulement il ne peut posséder un ou des carbones asymétriques
que sur la partie saturée de sa chaîne.
Les alcènes sont d’autant plus stables qu’ils sont plus substitués.
Chimie organique
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Les alcènes sont très peu solubles dans l’eau mais ils le sont dans les autres hydrocarbures.
3) Réactivité
Les alcènes sont des composés insaturés: ils subissent donc des réactions d’addition.
La double liaison C=C est riche en électrons . La faible énergie de la liaison π ainsi que la plus
grande mobilité et plus grande polarisabilité des électrons de cette orbitale facilite sa rupture sous
l’action de réactifs électrophiles ou d’oxydants.
II-Additions électrophiles ioniques AE
1) Généralités
L’équation bilan s’écrit C = C + A − B
\
/
/
\
=
|
B
|
− C − C−.
|
|
A
Les réactions sont fortement exothermiques et quasi totales.
La vitesse de la réaction augmente avec les effets donneurs des groupes alkyles qui enrichissent le nuage π.
CH 2 = CH 2 < CH 3 → CH = CH 2 < CH 3 → C = CH 2
A
CH 3
On en déduit que l’étape limitante du point de vue cinétique sera l’attaque du nuage π par
l’électrophile.
Dans le mécanisme électrophile, les coupures des liaisons sont hétérolytiques (c’est-à-dire que
la coupure d’une liaison produit deux ions de charges opposées): le réactif A-B ou A2 est donc polaire (comme H→−Cl) ou apolaire mais polarisable (comme Br-Br).
2) Régiosélectivité (réactifs du type HA)
a) règle d’orientation
Dans ce type d’addition, le mécanisme présente deux étapes:
R-CH=CH2 + H⊕ → R- ⊕CH-CH3
(1)
H
|
R ⊕CHCH3 + A! → R − * C− CH 3 (2)
|
A
(1) est une attaque électrophile endothermique: c’est l’étape limitante.
On peut aussi envisager la formation de R-CH2-⊕CH2.
Mais on est sous contrôle cinétique et l’énergie d’activation ∆rH
la plus basse correspond à l’intermédiaire réactionnel le plus
stable (ici, c’est le carbocation secondaire stabilisé par effet
donneur de R et CH3).
T#I
⊕
T#II
R- CH2- CH2
⊕
R- CH-CH3
Conclusion: ce mécanisme est régiosélectif.
Remarque: Le carbocation intermédiaire est d’autant
⊕
R-CH=CH2 + H
plus stabilisé que le solvant est polaire: la vitesse de cette
réaction augmente avec la polarité du solvant.
(2) est une étape exothermique correspondant au piégeage par un nucléophile. Cette étape est
rapide et le nucléophile peut attaquer le carbocation plan de part et d’autre. Au cas où le carbone
obtenu est asymétrique, on obtient un mélange racémique.
Conclusion: ce mécanisme n’est pas stéréosélective.
Le bilan macroscopique peut s’écrire
Chimie organique
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+δ
−δ
+δ
H
+δ
R − C H = C H2 + H− A
=
|
R − C − CH 3
|
A
A la suite d’un certain nombre d’observations expérimentales, Markovnikov a énoncé en
1869 la règle suivante:
Lors de l’addition électrophile d’un composé de type H-A sur un alcène dissymétrique, l’anion
!
A se fixe sur le carbone le plus substitué.
Malheureusement, cette règle ainsi énoncée présente beaucoup d’exceptions, on préfère donc
l’énoncé suivant:
l’AE se fait de manière à passer par le carbocation le plus stable: la réaction est régiosélective.
b) hydrohalogénation
Le réactif est HX dans ce cas. Le bilan est donc
R-CH=CH2 + HX = R-CHX-CH3
Pour les premiers termes des alcènes, la réaction s’effectue à température assez élevée
(170°C) en phase gazeuse. Le mécanisme est différent mais la régiosélectivité suit la même règle
que ci-dessus.
Pour les termes suivants, on fait barboter le gaz HX dans l’alcène pur liquide ou en solution
dans un solvant à froid.
La vitesse augmente de HCl < HBr < HI à cause de la polarisabilité croissante de la liaison
H-X.
La loi de vitesse en solvant polaire est d’ordre 2, du type
v = k [alcène][HX].
c) hydratation
Jusqu’ici, le nucléophile était l’anion associé au proton électrophile. Si l’on utilise une solution aqueuse diluée d’un acide dont le nucléophile est très faible (par exemple H2SO4 ou H3PO4),
c’est l’eau qui joue le rôle de nucléophile.
Le bilan traduit ici l’addition d’une molécule d’eau sur la double liaison; c’est une hydratation.
+δ
−δ
+δ
H
+δ
R − C H = C H2 + H− O H
=
|
R − C − CH 3
|
OH
On obtient ainsi un alcool.
L’hydratation se fera plutôt à froid en solution dilué.
Mécanisme:
H2SO4 → H⊕ + !OSO3H
R-CH=CH2 +H⊕ → R-⊕CH-CH3 (étape limitante)
H
⊕
|
R- CH-CH3 + OH 2 → R −
/
\
C
⊕
|
− CH 3
O|
/\
HH
H
|
R−
C
⊕
|
H
|
− CH 3 → R − C − CH 3 + H ⊕
O|
|
|OH
/\
HH
Chimie organique
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Le départ de H⊕ correspond à la régénération du catalyseur. Une faible quantité d’ions H⊕ suffit pour catalyser la réaction.
L’étape limitante produit le carbocation le plus stable, il est plan: la réaction est régiosélective
(Markovnikov) mais non stéréosélective.
Remarque: dans d’autres conditions expérimentales, on peut obtenir d’autres mécanismes qui
conduisent à d’autres produits.
Ÿ en milieu acide concentré et chaud (solution à 98%): le nucléophile !OSO3H est
bien plus abondant et c’est lui qui attaque le carbocation intermédiaire. Une hydrolyse ultérieure à
chaud conduit à l’alcool par une réaction de substitution nucléophile. Cette méthode est utilisée industriellement car les alcènes sont plus réactifs vis-à-vis de H2SO4 que de H2O:
CH2=CH2 → CH3-CH2-OSO3H →
CH3-CH2-OH
HO
2
H2SO4 conc.
100 °C
Ÿ si l’alcène est en excès, il se produit une addition en chaîne du carbocation intermédiaire sur la double liaison: il y a polymérisation en polyène.
3) Stéréosélectivité
a) exemple de la bromation
α) résultats expérimentaux
On utilise souvent une solution diluée de dibrome dans le tétrachlorométhane (CCl4). La solution est rouge orangée; elle réagit à froid et rapidement sur un alcène: on observe la décoloration de
la solution.
Prenons l’exemple du cyclopentène:
En raison du cycle, il ne peut exister que sous la forme Z. L’addition du dibrome
conduit, avec un rendement de 80% environ, au (trans)-1,2-dibromocyclopentane, qui existe
sous deux formes énantiomères: le 1R,2R (50%) et le 1S,2S (50%):
+ Br2 =
Br
Br
H ou
Br
H
H
Br
H
(1S, 2S)
(1R, 2R)
Si l’on part d’un alcène présentant deux diastéréoisomères, on retrouve une correspondance:
CH3-CH=CH-CH3 + Br2 → CH3-*CHBr-*CHBr-CH3
(cis)-but-2-ène → (2R, 3R)-2,3-dibromobutane et (2S, 3S)-2,3-dibromobutane;
(trans)-but-2-ène → (R, S)-2,3-dibromobutane (qui est une forme méso);
Ces résultats montrent que l’addition se fait de part et d’autre de la double liaison, c’est-à-dire
en anti.
La vitesse de la réaction augmente avec un solvant polaire et la vitesse est de la forme
v = k [alcène][Br2].
β) mécanisme
Pour expliquer ces résultats expérimentaux, on propose le mécanisme suivant dans le cas d’un
solvant polaire et dispersant (types H2O, solution d’éthanol...):
(1): polarisation de Br2 et attaque par le nuage π.
C’est l’étape cinétiquement déterminante. La polarité du solvant favorise la coupure hétérolytique du dibrome et son aspect dispersif permet la libération de l’ion bromure. Il se forme un ion
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ponté appelé bromonium. (C’est un intermédiaire de réaction car il est isolable expérimentalement
même s’il est très réactif.)
H
C
H
C
+ Br
Br
C
CH3
CH3
Br
H
k1
⊕
H
C
Br!
+
CH
3
CH3
(2): L’ion bromure BrO attaque l’ion ponté à l’opposé du brome (attaque anti).
H
C
CH3
Br
⊕
H
H
C
!
Br
CH3
C
Br
ou
C
H
Br
Br
CH
3
C
H
H
CH3
C
CH
3
CH3
Br
L’alcène de départ étant symétrique, l’ion ponté l’est aussi et les deux carbones forment des
sites d’attaque équiprobable pour l’ion bromure. On obtient donc un mélange équimolaire de deux
énantiomères ou bien une forme méso.
On retrouve bien la loi cinétique du deuxième ordre observée expérimentalement.
On peut faire le bilan stéréodynamique, en vue de Newman:
Br
Br
(Z)
H
H3C
H
H
H3C
H3C
(1S, 2S)
H
H3C
Br
Br
ou
Br
Br
(Z)
H
H3C
H
H
H3C
H3C
Br
(1R, 2R)
H
H3C
Br
Le profil réactionnel montre que la première étape est limitante:
∆ rH
bromonium
EA1
alcène +Br2
∆rH° < 0
dibromoalcane
γ) application pratique
La décoloration d’une solution de brome dans CCl4 est une réaction test des alcènes.
b) les autres dihalogènes (X2)
α) aspect thermodynamique
L’exothermicité diminue de F2 à I2. (Le difluor, trop réactif, ne permet pas une réaction
contrôlable: il n’est pas utilisé.)
Cl2 et Br2 sont les plus utilisés en synthèse (I2 réagit difficilement).
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β) aspect cinétique
En solvant dispersant, on retrouve une cinétique d’ordre 2 pour Cl2 et I2.
La stéréospécificité anti se retrouve à 100% pour I2 mais elle n’est que partielle pour Cl2 car
l’ion ponté chloronium est moins stable et se transforme en carbocation non ponté avant l’attaque de
Cl!.
c) dihalogènes mixtes (XX’)
Si l’on considère le chlorure d’iode ICl, il se forme plus facilement l’ion chlorure Cl! (car Cl
est plus électronégatif). Donc c’est l’iode (plus électrophile) qui conduit à l’ion ponté. Cet ion est de
structure proche du carbocation le plus stable, c’est à dire le secondaire.
On constate donc que dans le cas d’un alcène dissymétrique, l’électrophile I se fixe sur le carbone le moins substitué:
CH3-CH=CH2 + I-Cl = CH3-CHCl-CH2I
La réaction est donc régiosélective.
Du point de vue stéréodynamique, la réaction est toujours anti à cause de la formation de
l’ion ponté qui ne permet qu’une attaque anti de ClΞ.
La réaction est donc stéréospécifique.
III-Additions radicalaires (AR)
1) Résultats expérimentaux
Dans le cas de l’addition de HBr ou de Br2, on observe une régiosélectivité inversée si l’on
opère dans des conditions expérimentales particulières:
Ÿ phase gazeuse en présence de lumière;
Ÿ solvant apolaire en présences de peroxydes.
Ce phénomène est connu sous le nom d’effet Kharasch. On dit que la règle de régiosélectivité est anti Markovnikov.
2) Mécanisme
On postule ici un mécanisme radicalaire à cause de la présence d’initiateur de radicaux
(peroxydes).
initiation: R’OOR’ → 2 R’O•
R’OŸ + H-Br → R’OH + BrŸ
C’est un mécanisme en chaîne avec les différentes étapes:
(dans ce cas, il ne se forme jamais de HŸ car la formation de la liaison OH, forte, est plus
favorable énergétiquement.)
ou bien, en présence de lumière, H-Br → HŸ + BrŸ
(mais HŸ est une espèce particulièrement instable qui se combine avec tout espèce du milieu
et ne participe pas ensuite à la propagation de la chaîne.)
•
H
|
propagation: Br + R-CH=CH2 → R − C− C− Br
Ÿ
|
•
|
H H
H
Br
|
H
|
(A) ou R − C − C•
|
|
H
H
|
R − C− C− Br + H-Br → R-CH2-CH2Br + BrŸ
|
|
H H
rupture: toute réaction consistant à la combinaison de divers radicaux, par exemple:
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(B)
2 BrŸ + M → Br2 + M*
Remarques:
Ÿ la décomposition des peroxydes est une réaction endothermique qui nécessite un
faible chauffage. Mais la réaction suivante de transfert de H est exothermique, ce qui fait que la réaction s’amorce rapidement.
Conclusion: La vitesse d’une AR est bien plus grande que celle d’une AE.
Ÿ la première étape de la propagation est sous contrôle cinétique et on obtient
l’intermédiaire réactionnel le plus stable c’est-à-dire le carboradical secondaire (A).
Conclusion: la réaction d’addition de HBr par un mécanisme radicalaire est régiosélective.
Ÿ le carboradical intermédiaire quasi plan avec libre rotation explique l’absence de
stéréosélectivité observée usuellement. Mais toute entrave à la libre rotation (basse température, gène stérique) favorise une addition anti.
Ÿ l’étape cinétiquement déterminante est la deuxième étape de propagation.
Ÿ les réactions de rupture (ou de terminaison) sont exothermiques et nécessitent un
partenaire de choc M (molécule quelconque du milieu ou de la paroi)
pour emporter l’excédent d’énergie (sinon la molécule excitée Br2* se
couperait aussitôt).
Il faut noter que ce mécanisme radicalaire ne se produit ni avec HCl, ni avec HI, car l’une des
deux réactions de propagation est trop lente.
Dans le cas de H-Br, Br- est le nucléophile intervenant dans le deuxième temps de l’AE ionique alors que BrŸ est l’électrophile intervenant dans le premier temps de l’AR. Cela explique
l’orientation inverse, selon les stabilités relatives des intermédiaires réactionnels formés. Cela permet de choisir l’orientation de l’addition dans une synthèse.
3) Complément
a) hydrogénation des alcènes
L’hydrogénation d’une double liaison d’un alcène conduit à un alcane. Elle n’a guère d’intérêt
en synthèse car elle est l’inverse de la réaction usuellement utilisée pour fabriquer les alcènes. On
l’utilise cependant en analyse pour identifier les insaturations d’une molécule inconnue.
Cette réaction est très exothermique donc favorisée du point de vue thermodynamique mais la
grande stabilité de H2 nécessite la présence d’un catalyseur métallique (Ni, Pt, Pd).
On constate expérimentalement que l’addition du dihydrogène est stéréospécifique syn.
b) diènes conjugués
Les diènes possèdent deux doubles liaisons. On les appelle conjugués s’ils présentent un enchaînement du type C=C–C=C.
Cet enchaînement particulier permet une délocalisation électronique qui assure une plus
grande stabilité de la molécule.
Exemple: la structure du buta-1,3-diène est intermédiaire entre les deux structures limites
(dites mésomères):
H2C=CH–CH=CH2 ←→ H2C⊕–CH=CH–!CH2
Cette effet de stabilisation peut inverser l’ordre de stabilité des intermédiaires de réaction.
c) conclusion
Avec une activation adéquat, on peut additionner un alcène sur un autre. Cette possibilité de
polyaddition explique l’importance des alcènes dans la fabrication des polymères.
Chimie organique
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