Livre II Économie populaire

publicité
LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL DES COMMUNAUTÉS:
L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE ET NORD-AMÉRICAINE
Louis Favreau et Lucie Fréchette96
Ce texte présente l’expérience de développement social de
communautés locales au Québec. Cette expérience, très nordaméricaine, a l’avantage d’avoir été fortement innovatrice au cours de
son histoire pour avoir réalisé une cohabitation active entre le secteur
associatif, les initiatives de la nouvelle économie sociale et les services
publics de proximité dans plusieurs domaines (santé et services
sociaux, éducation populaire, emploi et insertion, développement local
et régional). Après avoir décrit cet itinéraire sur 40 ans (1960-2000),
nous aborderons directement les fondements et les lignes de force de
cette organisation des communautés qui s’appuie aujourd’hui sur un
nouveau « métier» que des milliers de personnes exercent tant dans les
services publics que dans le secteur associatif.
MOUVEMENTS SOCIAUX ET ORGANISATION COMMUNAUTAIRE AU
QUÉBEC : ITINÉRAIRE D’UNE PRATIQUE SOCIALE DEVENUE UNE
PROFESSION (1960-2004)
Les années 60: le «local» résiduel et l’émergence de contre-pouvoirs dans les
communautés
La naissance de comités de citoyens (associations de quartier) est
concomitante à celle d'un nouveau métier du «social», le travail social
communautaire. À la fin des années 60, l'organisation communautaire
s'introduit notamment dans la formation universitaire en travail social,
dans les pratiques et les nouveaux services créés par le mouvement
associatif (cliniques populaires de santé, etc.). Mais cette montée en
puissance de l’organisation communautaire au sein de la profession de
96
Louis Favreau est sociologue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en
développement des collectivités (CRDC) à l’UQO, conseiller au GESQ et
coordonnateur du réseau CRCP. Lucie Fréchette est psychologue communautaire,
coordonnatrice du CÉRIS à l’UQO et membre de l’équipe canadienne du réseau CRCP.
Ce texte s’inscrit dans le cadre du programme de recherche CRCP (Fall et Favreau,
2003).
travailleur social pendant cette décennie n’aura pas été sans tensions,
notamment la tension entre deux fonctions, la fonction d'intervention
d’aide dans l'urgence et celle, très distincte, de l’intervention de
développement (Doucet et Favreau, 1997).
Avec les années 60, l’organisation communautaire fait donc son entrée
en scène, en devenant par la suite partie intégrante du service public,
notamment dans les Centres locaux de services communautaires
(CLSC). Mais elle aura surtout favorisé l’émergence de contre-pouvoirs
au plan local parce que les pouvoirs publics considéraient alors le local
comme résiduel.
Années 70: la montée de l’associatif dans l’organisation des communautés et la
percée du «local» alternatif
Au cours des années 70, une minorité de professionnels du social
travaillant pour des ONG s'engage dans un travail de soutien à des
associations de locataires, à des organismes de défense de personnes sur
l’aide sociale et à des groupes de défense des chômeurs... Dans un
premier temps, elle a les yeux rivés sur l'organisation communautaire
américaine (Alinsky, 1976). Dans un second temps, elle trouve son
inspiration dans l'approche de conscientisation latino-américaine
(Freire, 1974).
Le contexte de la période est celui d’un État-providence en expansion et
d’un État québécois en voie de devenir peut-être un État national :
mouvements sociaux à l'offensive, en synergie les uns avec les autres,
mouvement associatif et étudiant, syndical et national réunis. Cette
période sera celle pendant laquelle un mouvement associatif autonome
fait peu à peu sa niche dans nombre de quartiers populaires à côté du
service public de proximité (les CLSC). C’est la période du local
alternatif.
Les années 80: l’introduction de l’associatif (le communautaire) dans l’espace
public
Les années 80 prennent une toute autre allure. Contestée à droite par le
courant conservateur qui évoque le spectre de la crise financière, le
service public est également critiqué à gauche par les milieux
associatifs et alternatifs pour la faiblesse de son organisation
démocratique.
Le service public qui se voulait universel est en réalité un type
particulier de réponse aux besoins sociaux qui a sa face cachée : il a
souvent exclu les usagers et les salariés des décisions. Suite au rapport
audacieux d’une commission gouvernementale, l’idée d’une mission de
service public de ce secteur associatif obtient ses lettres de créance.
C’est le début d’un partenariat entre l’associatif local et el service
public, tout particulièrement dans les secteurs de la santé et des services
sociaux.
La décennie 90: les communautés locales aux prises avec le défi du
développement socioéconomique
Quand l’économique ne porte plus la croissance du social, comment
réorganiser ce dernier? Voilà une question centrale qui ne pouvait être
esquivée avec l'arrivée des années 90. Ce qui avait constitué les assises
du développement social pendant plus de 20 ans –l’État-providence- est
désormais fortement questionné. D'une part, on se rend compte que les
problèmes sociaux sont fortement liés au marché du travail et à
l'emploi, pivot non seulement d'un revenu décent mais aussi d'une
reconnaissance sociale, d'un statut et d'une dignité. D'autre part, le
service public n'est plus seul, le secteur associatif occupe un espace de
plus en plus large 97 ;
Il y a donc une conjoncture où le progrès économique (gains de
productivité) s'affirme mais sans progression correspondante de
l’emploi et de la redistribution de la richesse par l’État. Un
renouvellement des pratiques et des politiques se fait jour :
1) les organisations communautaires s’inscrivent alors dans un
cadre plus régional et s’engagent dans un interface plus intensif
avec le service public. La décentralisation de certains services
publics s’accentue dans les années 90 dans les secteurs de la
santé et des services sociaux (1991), de l'emploi (1997), puis du
développement local et régional (1998). La création de
nouveaux dispositifs d’accompagnement dans les communautés
97
Au Québec, dans le seul champ de la santé et des services sociaux, le secteur
associatif occupe plusieurs milliers d’emplois (plus de 10 000)
comparativement aux 11 000 employés des services publics de proximité
(CLSC).
donne une certaine stabilité à cette inscription dans le local,
l'infrarégional et le régional.
2) des solutions sociales nouvelles se font jour sur le registre
économique : l’introduction dans l’espace public de notions
d’économie sociale, d’insertion sociale par l’économique, de
développement économique communautaire (DÉC), notions qui
rejoignent celles, plus anciennes, d’aménagement intégré des
territoires (Favreau et Lévesque, 1999).
COLLECTIF DES ENTREPRISES D’INSERTION DU QUÉBEC (CEIQ)
Le Collectif des entreprises d’insertion du Québec, fondé en 1996, se
veut un outil de représentation, de promotion, d'échange et de support
au service des entreprises d'insertion. Il regroupe près d’une
quarantaine d’entreprises d'insertion. Ses objectifs sont d’offrir un
soutien à ses membres pour leur permettre de jouer plus efficacement
leur rôle de développeurs et de gestionnaires dans une perspective de
complémentarité avec les organisations sur leur territoire. Le CEIQ est
aussi un espace de recherche de solutions aux problèmes de
développement des entreprises. Il propose des actions pour renforcer et
développer le réseau de ces entreprises et s'assure de la qualité des
parcours d'insertion offerts aux travailleurs en formation. Le Collectif
travaille à la mise en valeur de l'entreprise d'insertion comme
mécanisme efficace de réintégration au marché de l'emploi et à la vie
communautaire. En 2000, les entreprises d'insertion avaient injecté dans
l'économie québécoise plus de 11 000 000 $ par leur activité
économique.
3) de
nouveaux
dispositifs
associatifs
transversaux
d’accompagnement font leur percée. Les politiques publiques
sectorielles par une programmation ciblant certaines populations et certains groupes d’âge (ou étapes de la vie)
continuent de prévaloir mais elles sont jugées insuffisantes. Des
dispositifs, publics ou associatifs sont mis sur pied. Nouveaux
acteurs, nouveaux outils d’intervention, nouveaux chantiers et
nouveaux savoir-faire en gestation, et partant de là, gestation de
nouveaux modes de régulation où le développement social et le
développement économique commencent à s'articuler
autrement.
ÉCOF, UNE CDÉC À TROIS -RIVIÈRES (QUÉBEC)
Située à Trois-Rivières au Québec, Économie sociale de Francheville
(ÉCOF) réalise ses activités depuis 1995. Cette CDÉC travaille avec les
gens marginalisés et exclus du marché de l'emploi. Elle fait la
promotion de formules alternatives de travail qui allient formation et
réinsertion au travail des personnes peu scolarisées et/ou analphabètes.
Elle fait également du soutien au démarrage d'entreprises dans divers
secteurs tels la confection de vêtements, l’ébénisterie, l’entretien
ménager, la restauration, etc.
De plus, ÉCOF utilise l'organisation communautaire comme outil de
développement économique et social et travaille à la promotion du
développement en s'inspirant des valeurs de solidarité, de justice sociale
et de démocratie.
Grâce à ses activités, ÉCOF a créé plus d'une centaine d’emplois sur le
territoire desservi. Depuis sa création, elle a été l’instigatrice de
plusieurs projets notamment celui de favoriser l’accès à Internet au
monde associatif de la région. En tout, 75 organisations
communautaires en sont aujourd’hui les bénéficiaires.
LES FONDEMENTS ET SOURCES D'INSPIRATION DE L'ORGANISATION
COMMUNAUTAIRE DANS L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOIS E
Cette pratique sociale, devenue une profession, inspirée des
mouvements sociaux et du travail social communautaire des
«settlement houses» nés à la fin du XIXe siècle, tire son fondement
premier de l'affirmation selon laquelle le s inégalités sociales sont de
nature collective et doivent faire l'objet de solutions collectives. Dans
ce contexte, l'organisation communautaire se définit comme une
intervention planifiée de changement social dans, pour et avec les
communautés locales afin de s'attaquer à ces inégalités, à la
concentration du pouvoir et aux discriminations.
Au Québec, la pratique de l'organisation communautaire a été
influencée par deux courants de pensée liés surtout à la stratégie de
défense de droits collectifs. Elle prend d'abord appui sur l'expérience
américaine de lutte contre la pauvreté, soit celle de Saul Alinsky dans le
cadre de l'organisation des quartiers pauvres des grandes villes
américaines comme Chicago; celle de Ralph Nader, dans la lutte pour
la protection des consommateurs contre les entreprises qui abusent des
consommateurs; celle de Martin Luther King, dans le cadre du
mouvement des droits civiques de la minorité noire américaine
(Favreau, 2000; Muller, 1981). Avec ces différentes contributions,
l'expérience américaine d'organisation communautaire a su développer
une perspective socio-politique qu'il est convenu d'appeler la
«grassroots democracy», à savoir l'instauration dans les communautés
locales de contre-pouvoirs face aux autorités publiques ou privées. Elle
s'inspire également du mouvement des communautés chrétiennes de
base progressistes latino-américaines, lesquelles misent surtout sur
l'éducation des secteurs populaires, notamment par des activités
d'alphabétisation, d'éducation populaire et de conscientisation.
LES LIGNES DE FORCE DE L'ORGANISATION COMMUNAUTAIRE
QUÉBÉCOISE
L'organisation communautaire s'adresse aux différentes collectivités en
visant leur autodéveloppement en tant que communautés géographiques
(regroupement des popula tions sur la base de leur quartier, ville ou
région); en tant que communautés d'intérêts (regroupement autour de
problèmes sociaux des groupes spécifiques tels les locataires, les sansemploi,...); en tant que communautés d'identité (regroupement sur la
base d’un groupe d’appartenance tels les jeunes, les femmes…).
En outre, contrairement à la tradition de l'aide sociale, l'organisation
communautaire ne s'intéresse pas aux milieux populaires parce qu'ils
sont démunis (psychologiquement, socialement...), mais bien pour la
force réelle et potentielle dont ils peuvent disposer. La tradition de la
réforme sociale, celle des «settlement houses», est sa filiation première.
Ce mouvement était apparu au XIXe siècle dans les grands centres
urbains de l'Angleterre et des États-Unis. Il cherchait à répondre aux
besoins des communautés locales aux prises avec les problèmes de
l'urbanisation et de l'industrialisation rapide (logements temporaires,
absence de services de santé et de services sociaux, manque
d'emplois...) par des actions collectives de création de services, de
l'éducation populaire et des revendications. Ce qui le différenciait des
«Charity Organization Societies», initiatrices de la création d'agences
sociales et de conseils d'agences sociales misant non pas sur l'action
collective et la réforme sociale mais surtout sur l'aide individuelle et le
service.
L'organisation communautaire emprunte beaucoup aux mouvements
sociaux. La pratique de défense de droits sociaux emprunte au
syndicalisme tout comme celle du développement local au mouvement
associatif. On considère aussi que, réciproquement, les professionnels
du travail social favorisent la progression de mouvements sociaux et
leur capacité d'intervention au sein des communautés locales. Pour ce
faire, l'organisation d'une communauté donnée doit, par l'action
collective entreprise, gagner des points, obtenir des victoires, fussentelles symboliques car «le pouvoir n'est pas seulement ce que l'ordre
établi possède, mais bien plus ce que nous croyons qu'il a »
(Quinqueton, 1989: 67).
Mais l’efficacité de l'organisation communautaire est aussi attribuable à
l’importance qu’il accorde à la construction d’organisations dans
lesquelles la collectivité locale a le sentiment d'augmenter son pouvoir,
son influence et où les gens considèrent être en train de changer l'ordre
des choses. Le politologue américain Harry C. Boyte (1980) résume
bien la question :
The three essential lessons of successful movement building are
hammered home again and again: to be effective organizing must
win real victories that improve people's lives; it must build
organization through which people can gain a sense of their own
power and it must contribute to the general change in power
relations, democratizing the broader society (Boyte, H. 1980:
110).
On peut donc caractériser le développement social des communautés
ainsi:
1. Une intervention qui agit principalement au sein de communautés
locales, comme un mouvement ascendant, ce que les Américains
appellent un «bottom-up process»;
2. Une intervention qui mise sur le potentiel de changement social des
communautés locales à partir de l'identification de problèmes
suscitant des tensions dans ces communautés;
3. Une intervention qui a une visée de transformation sociale et de
démocratisation permanente des associations qu'elle a elle -même
contribué à mettre sur pied;
4. Une intervention qui a une préoccupation centrale d'organisation de
nouveaux pouvoirs et services au sein de ces communautés locales;
5. Une intervention qui met l'accent sur les forces, talents, habilités
des gens et non pas sur leurs insuffisances, d’où la notion
d’«empowerment» (pouvoir d'agir sur son milieu).
Les principales approches de l’organisation communautaire
Au fil des années, l'organisation communautaire s'est ramifié e et
complexifiée à tout point de vue. Dans les années 60, elle n'était
pratiquée que par une poignée d’étudiants universitaires issus des
sciences humaines engagés dans la mise sur pied d’associations dans
les quartiers les plus démunis des grands centres urbains ou des régions
rurales éloignées. Mais aujourd'hui, plusieurs milliers d’intervenants
font du développement social local leur profession qu’ils exercent dans
toutes les régions du Québec tant dans les services publics locaux
(CLSC et CLD) que dans le secteur associatif (coopératives
d'habitation, centres communautaires de loisirs, maisons de la famille,
groupes d'entraide, maisons de jeunes, agences de développement
local…).
Ce nouveau «métier» créé dans les années 60 a développé trois
stratégies d’intervention qui convergent au niveau des valeurs mais sont
relativement distinctes dans leur logique d’action, soit le
développement local, l'action de défense de droits sociaux et l’approche
socio-institutionnelle. Nous avons utilisé cinq critères pour construire
une typologie de celles-ci soit la finalité de l’intervention projetée; le
point de départ de l'action collective initiée dans une communauté; les
formes d'organisation mises de l'avant au sein de la communauté; les
acteurs impliqués et, finalement, le type de structures mises en place
pour favoriser un développement durable du changement (voir le
tableau suivant).
Typologie de l’organisation communautaire
Critères/
Statégies
d’intervention
finalité
origine
Développement local
Intervention
socioinstitutionnelle
Autodéveloppement
Résolution
de
économique et social problèmes par une
d’une
communauté intervention
(quartier, village…)
publique
de
proximité
Problèmes les plus Démarche
criants
d’expertise sur des
problèmes liés à
des
programmes
cadres
des
pouvoirs publics
Forme
d’organisation
Groupes
d’entraide, Services publics de
coopératives,
première ligne
entreprises collectives
Acteurs
impliqués
Démarche partenariale Collaboration
multi-acteurs
service public et
associations
locales
Type
structures
de Structures autonomes
Participation
du
secteur associatif
aux
structures
publiques
Action
de
défense
de
droits
Résolution de
problèmes
sociaux par la
défense
de
droits sociaux
Problèmes les
plus
fortement
ressentis par
la population
locale (ou des
groupes
spécifiques)
Organisations
de
revendication
et de pression
Action
directe
(conflit
et
compromis
avec
les
autorités)
Structures
autonomes de
type syndical
Le développement local
Le développement local se caractérise de la façon suivante:
1. La résolution des problèmes sociaux passe par un
autodéveloppement économique et social de communautés locales
vivant dans un contexte de précarité ou d’exclusion sociale;
2. L'attention est portée sur les problèmes les plus criants liés à l'emploi, au manque d'infrastructures économiques et de services de
base;
3. Sur le plan organisationnel, le travail consiste à soutenir le
démarrage d'entreprises collectives, des coopératives et des groupes
d'entraide dans les principaux secteurs de la vie des communautés
concernées (logement, travail, services sociaux...);
4. Le travail en partenariat des différentes composantes de la communauté locale est celui qui prévaut;
5. Des structures autonomes financées par des sources diverses
(publiques, privées ou associatives) sont les dispositifs essentiels à
cette approche.
L’approche socio-institutionnelle (dite aussi de «planning social»)
Les caractéristiques principales de ce type d'organisation
communautaire sont:
1. La résolution des problèmes sociaux des communautés passe par
une intervention de proximité de services publics locaux;
2. Les institutions de ce type font appel aux experts pour identifier les
problèmes prioritaires, pour concevoir des programmes cadres,
pour prescrire des moyens d'implanter des programmes dans les
communautés locales.
3. Sur le plan organisationnel, le travail consiste à favoriser
l'implantation de services publics de première ligne dans les
communautés locales à partir de popula tions cibles considérées
d'abord comme bénéficiaires ou consommatrices de services;
4. L'organisation de la concertation entre les organismes de l'État et
les ressources communautaires locales est prioritaire;
5. La participation institutionnelle des associations est requise pour
l’élaboration des plans de services à la population.
Jusqu'à un certain point, cette stratégie n'appartient pas seule ment à
l'organisation communautaire mais plutôt, par certains côtés, à un
nouveau type de pratique d'administration sociale, et donc à ses
gestionnaires. Cette forme d’organisation communautaire mise sur le
planning social : études de milieu, diagnostics sociaux et interventions
par des programmes établis nationalement.
L'action de défense de droits sociaux
L'action de défense de droits sociaux comporte les caractéristiques
majeures suivantes:
1. La résolution des problèmes sociaux est principalement le fait des
groupes sociaux les plus démunis, plus spécifiquement un travail de
défense de leurs droits;
2. L’attention est portée sur les problèmes sociaux les plus fortement
ressentis;
3. La mise sur pied d'organismes de revendication et de pression
permet le développement d'un rapport de forces;
4. L'organisation
d'actions
directes,
l'éducation
populaire,
l'information et la négociation de solutions avec les autorités en
place sont les principaux moyens mis en oeuvre;
5. Une action collective entreprise à partir de structures autonomes de
type syndical (au sens large de syndicalisme de cadre de vie)
fonctionnant sous le mode démocratique des organismes sans but
lucratif est le modèle de référence.
LA CAPACITÉ DE RENOUVELLEMENT DE L’ORGANISATION
COMMUNAUTAIRE
Souvent à l'affût des transformations de la question sociale et de ce qui
anime les mouvements sociaux, l'organisation communautaire
québécoise s'inscrit plus d’une décennie dans un espace d'innovation
sociale. Le registre d'action des organisateurs communautaires de
«métier» s'est élargi. Les organisateurs communautaires s'activent
maintenant dans des champs relativement inédits comme ceux du
développement économique communautaire, de la nouvelle économie
sociale et de l'insertion en emploi.
De nouveaux espaces d'innovation
Avec la création des premières corporations de développement
économique communautaire (CDÉC) dans la région de Montréal et des
premières CDC en région, il y a 15 ans, les mouvements sociaux locaux
ont pris le tournant du DÉC et de l’économie sociale comme stratégie
d’organisation communautaire. De plus, l’implication de ces
mouvements dans la production de services, la création d'emplois et la
revitalisation économique et sociale de communautés locales s’est faite
croissante. Pourquoi? Parce que, comme composante d'un troisième
pôle de l'économie, l’associatif s’est engagé, auprès des pouvoirs
publics, non seulement dans la revendication d’un transfert de la
richesse collective à des groupes de la société qui en ont moins mais
également dans la création de richesses par et pour ces groupes et ces
communautés.
Durant la décennie 90, l’organisation communautaire et les
mouvements sociaux locaux ont en effet ouvert de nouveaux chantiers
et, parmi ceux-ci, celui de l'insertion par le travail, notamment par
l’intermédiaire des entreprises d'insertion. En régions ou dans les
grands centres urbains comme Montréal, ces mouvements ont
également opéré un saut qualitatif en mettant sur pied des projets et des
dispositifs de solidarité économique de quartier (les CDÉC) sans
compter les initiatives en milieu rural. Bref, un certain nombre
d’intervenants sociaux professionnels et de militants associatifs ont
opté non seulement pour de nouvelles formes d'entraide socioéconomique et d'insertion par le travail (Fréchette, 2000) mais aussi
pour le développement économique communautaire (Favreau et
Lévesque, 1999), inspirés en cela par l'expérience américaine des
Community development Corporations, les CDC (Favreau, 2000).
Ces nouvelles initiatives sont réseautées aujourd’hui dans deux
regroupements à l’échelle du Québec, le Chantier de l'Économie
sociale qui y accueille des représentants des plus jeunes associations,
groupes de femmes, organisations coopératives, agences de
développement… et le Conseil de la coopération du Québec qui réunit
les coopératives de toutes les générations. Ce qui donne à cet ensemble
d’initiatives encore plus de capacité de négociation. Leur capacité à
changer d'échelle d'intervention est accrue pour passer du micro au
macro et ainsi peser sur les politiques publiques.
Caractérisation de ces innovations sociales
Animées par le militantisme économique des mouvements sociaux
locaux et dynamisées par de nouvelles structures d'accompagnement,
ces nouvelles pratiques d’organisation communautaire se caractérisent
de la façon suivante: 1) une approche intégrée, tout à la fois
économique et sociale; 2) une intervention fortement territorialisée; 3)
une approche multipartenaires mettant à contribution les secteurs
public, associatif et privé; 4) la multi-activité (soutien à des entreprises
locales en difficulté, formation des populations résidentes,
renforcement du tissu social des quartiers, aménagement des
territoires); 5) une démarche partenariale où les principaux acteurs sont
liés organiquement par des ententes et par des projets; 6) des ressources
humaines et financières hybrides combinant le soutien de la solidarité
sociale locale, le financement public et la vente de biens et de services
sur le marché. En cela, elles rejoignent certaines pratiques du travail
social français (Ion, 1990).
Des municipalités, des associations, des syndicats et des entreprises
locales sont ainsi devenus les principaux acteurs d'une relance des
économies locales par des initiatives tout à la fois viables
économiquement (en réponse à des besoins solvabilisés) et socialement
utiles (favorisant le renforcement des communautés d'appartenance) en
grande partie grâce au soutien de ce type de travail social.
Bien que timidement, ces initiatives réactualisent la notion d'intérêt
général et la nécessité d'une maîtrise des activités économiques et
financières au plan local. C'est dans cette mouvance générale que nous
avions déjà formulé l'hypothèse que les mouvements sociaux et de
nombreuses initiatives associatives s’inscrivaient dans l’espace inédit
d'innovation sociale présent au coeur de la crise (Favreau 1998). Depuis
nos travaux sont allés plus loin en confirmant que ces initiatives ont
réussi, au Québec, à créer avec le service public de véritables filières
d’économie sociale et de développement local98 . Qu’est-ce à dire?
Dans la mobilisation sociale des années 90, tout particulièrement autour
de la question de l’emploi, par delà les innovations ci-haut
mentionnées, de véritables filières se sont constituées99 :
1) celle de la création et du maintien en emploi par le développement
local à l’échelle de tout le Québec: ce peut être un fonds associatif
98
Pour de plus amples développements sur cette question, voir le texte
précédent de Favreau et Larose.
99
Nous utilisons la notion de «filière» pour bien mettre en relief que ces
pratiques nouvelles ne sont pas constituées seulement de réseaux liés à des
mouvements mais sont également insérées dans une cohabitation
institutionnelle avec le service public.
investi dans l’économie locale dans le but d’assurer la viabilité et le
maintien, voire la création d'emplois nouveaux.
2) celle de l'insertion en emploi par l'économie sociale : ce peut être
par exemple la mise sur pied d’une entreprise d’insertion ou le
travail d’accompagnement d'une CDÉC sur un territoire donné:
formation de la main d'oeuvre résidente et soutien au démarrage de
petites entreprises de proximité dans des domaines aussi divers que
celui de la restauration, de la récupération ou de l'entretien ménager
général d'immeubles…
De nouvelles filières de développement local et d'économie sociale se
sont donc progressivement mises en place depuis 1996 (année du
Sommet économique du gouvernement du Québec), ce qui a favorisé, si
on met en perspective cette nouvelle tendance, l’arrivée de nouvelles
générations d’intervenants, d'organisations et d'institutions dans la lutte
pour le développement de communautés et de régions en difficulté.
Une des explications à cela réside dans le fait que tant dans les
mouvements que dans les institutions au Québec, plusieurs acteurs
collectifs considèrent que, par delà les grands clivages (socialdémocratie renouvelée ou néolibéralisme), l’économie ne carbure pas
seulement aux politiques macro-économiques et à l’internationalisation
des marchés non plus qu’au seul dynamisme des entrepreneurs privés et
de leurs entreprises. Entre les deux, une autre intervention –de niveau
méso- favorise le développement social et économique : ce sont les
communautés locales. Mais, pour que ces territoires jouent pleinement
leur rôle, il fallait développer des espaces publics de négociation ou de
dialogue social, ce qui n’était pas donné d’avance. L’organisation
communautaire est fortement associée à cette construction sociale
permanente d’espaces publics.
Repères bibliographiques
ALINSKY, S. (1976), Manuel de l'animateur social, Seuil, Paris.
BOYTE, H.C.(1980). The Backyard Revolution (Understanding the New
Citizen Movement), Philadelphie, Temple University Press, p. 110.
DOUCET, L. et L. FAVREAU (1997), Théorie et pratiques en organisation
communautaire, Collection Pratiques et politiques sociales, PUQ, Sillery.
FAVREAU, L. et B. LÉVESQUE (1999), Développement économique
communautaire, économie sociale et intervention, Collection Pratiques et
politiques sociales, Presses de l'Université du Québec (PUQ), Sainte-Foy.
FAVREAU, L. (2000), «L’économie solidaire à l’américaine : le
développement économique communautaire» dans Laville, J.-L. L’économie
solidaire, une perspective internationale, Desclée de Brouwer, Paris, p.93 à
135.
FAVREAU, L. (1998), «L’insertion conjuguée avec le développement
économique communautaire» dans Defourny, J., L. Favreau et J.-L Laville,
Insertion et nouvelle économie sociale : un bilan international, Desclée de
Brouwer, Paris, p.159 à 182.
FRÉCHETTE, L. (2000), Entraide et services de proximité. Collection
Pratiques et politiques sociales, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy.
FREIRE, P. (1974), Pédagogie des opprimés, Maspéro, Paris.
ION, J. (1990), Le travail social à l’épreuve du territoire, Privat, Collection
Pratiques sociales, Paris.
MULLER, J. M. (1981). Stratégie de l'action non violente, Paris, Seui.
QUINQUETON, T. (1989), Saul, Alinsky, organisateur et agitateur, Paris,
Desclée de Brouwer.
Téléchargement