LE MAQUIS-ÉCOLE DE LA PICHARLERIE (1943-1944) Cévennes lozériennes (Onac DR) REMERCIEMENTS Cette brochure a été réalisée par l’équipe du service départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre de la Lozère (ONAC). Sa deuxième édition a été rendue possible grâce au soutien financier de l’ONAC, de la commune de Saint-ÉtienneVallée-Française et du Conseil régional LanguedocRoussillon. Elle a bénéficié des travaux menés par l’association départementale de la Lozère des anciens et ami(e)s de la Résistance (ADAR) et par le groupe lozérien de l’association pour les études sur la Résistance intérieure (AERI). Leurs recherches ont conduit à la publication en 2006 du Cd-rom La Résistance en Lozère dont s’inspire largement le présent opuscule. Elle est illustrée de documents photographiques aimablement prêtés par les Archives départementales de la Lozère et par des particuliers : Mme Antoinette Planchon, MM. Jean Bonijol, Pierre Damiani, Klaus Weidner, Jean Ribot, Michel Desdouits et les familles Vielzeuf et Lafont. L’ONAC adresse aussi ses remerciements à MM. Jean Bonijol, Jacques Vacquier et Hervé Fumel pour leur relecture ainsi qu’à MM. Guy Grégoire et Yves Bruc du Parc national des Cévennes pour le travail graphique et l’aide sur le terrain. Mémorial de Saint-Roman-de-Tousque (Onac DR) – 2 – PRÉAMBULE L’histoire du maquis-école de La Picharlerie est caractéristique de la situation en France à la fin 1942 : omniprésence de l’occupant, durcissement du régime de Vichy, détérioration des conditions de vie de la population, nombreux jeunes réfractaires au Service du Travail Obligatoire en Allemagne (STO), développement de la Résistance mais rivalités entre les groupes de résistants. Le maquis-école de La Picharlerie est aussi emblématique d’une région de refuge : les Cévennes. Son relief compliqué et très compartimenté ainsi qu’une population traditionnellement bienveillante envers les personnes pourchassées, offrent un terrain propice à l’action clandestine. Valats de la Picharlerie et de la Pébénorgue. Le mont Mars, le Ventalon et le Cassini (Onac DR) LES MAQUIS EN LOZÈRE 1940. Comme partout en France, la défaite brutale face à l’Allemagne nazie et la débâcle sont profondément ressenties en Lozère. La France est divisée en deux : une zone occupée et une zone libre. A Vichy le maréchal Pétain prend la tête de l’Etat français et obtient les pleins pouvoirs. Le régime met en place de nombreuses mesures radicales et sa politique se durcit au fil des ans. La méfiance à l’égard des opposants et des étrangers et les lois antisémites poussent de nombreuses personnes à se cacher et à entrer dans la clandestinité. – 3 – Mais, dès la fin de l’année, se manifeste un courant de pensée prenant ses distances à l’égard de Vichy, en même temps que se développe une prise de conscience de plus en plus ferme des valeurs patriotiques et humaines à préserver. 1942 marque le passage des doutes, de l’isolement et de l’opposition individuelle à l’engagement collectif. La Zone libre est envahie en novembre, la Lozère occupée par les Nazis. Le danger s’aggrave pour tous les opposants locaux. La Résistance lozérienne commence à se structurer à Marvejols, Mende, Langogne et au Collet-de-Dèze. 1943. Le régime de Vichy crée en janvier la Milice française afin de lutter contre toute forme de résistance. Il institue en février le STO : les jeunes gens doivent partir travailler en Allemagne pour les Nazis. Ceux qui refusent de se soumettre, les “réfractaires”, sont pourchassés et prennent la clandestinité. Dans le même temps, l’Armée secrète qui réunit des résistants de toutes tendances est active au nord de Mende. Dans les Cévennes s’implantent les mouvements de Résistance Francs-Tireurs et Partisans et Main d’œuvre immigrée. Les premiers maquis naissent dans la région de Marvejols en mars-avril. Ils sont composés d’antifascistes allemands à Bonnecombe (sud de l’Aubrac) et de réfractaires au STO à Vayrac (Grèzes). Au sud du département, la Résistance gardoise installe en mai un maquis à Aire-de-Côte dans le massif de l’Aigoual. Mais les troupes d’occupation allemandes l’anéantissent en juillet. Au même moment, la Résistance s’organise autour de la Vallée longue (maquis de La Figueyrolle à Saint-Martinde-Boubaux). Désormais les occupants nazis comme les forces de Vichy ne cesseront plus de rechercher et de détruire les maquis qui se constituent ou se reconstituent en divers points du département et prennent de l’importance. A partir de la fin de l’année, certains groupes souhaitent passer à l’action contre l’ennemi. La Résistance dispose d’un réservoir d’hommes non négligeable mais ses moyens matériels sont limités. En outre, il est nécessaire de former les jeunes arrivants, de plus en plus nombreux. C’est dans ce contexte qu’à l’automne 1943, deux Cévenols natifs de Saint-Etienne-Vallée-Française, Marceau Lapierre et Georges Lafont créent le maquis-école de La Picharlerie. – 4 – LE MAQUIS-ÉCOLE DE LA PICHARLERIE Le site Au cœur des Cévennes, au centre d’un quadrilatère formé par les villages de Saint-Etienne-Vallée-Française, SaintGermain-de-Calberte, Saint-Martin-de-Lansuscle et SainteCroix-Vallée-Française, se niche sous une crête qui culmine à 721 mètres la ferme de La Picharlerie ou Picharlarié. Ruines de La Picharlerie dans les années 60 (Bonijol DR) Protégée par un enchevêtrement de serres escarpées qui offrent de remarquables points d’observation, La Picharlerie est située sur la commune de Moissac-Vallée-Française à deux kilomètres au-dessus du hameau de Leyris. Seuls des chemins longs et difficiles permettent d’y accéder. Elle se compose, à l’époque, d’un bâtiment à deux étages au dessus d’une cave-bergerie et de quelques petites bâtisses accolées. Plusieurs dizaines d’hommes peuvent y tenir à l’aise. Une citerne en bon état et une petite source coulant à 200 mètres fournissent l’eau indispensable. Les débuts Isolée et inoccupée, la ferme commence par abriter entre 1940 et 1941 un groupe des Chantiers de jeunesse. Puis la famille d’Albin André, propriétaire à Saint-Etienne-ValléeFrançaise, propose les lieux à Marceau Lapierre, Georges Lafont et Thaddée de Samusewicz qui animent le Comité de Saint-Jean, réseau de Résistance bien implanté dans les Cévennes, de Saint-André-de-Valborgne au Collet-de-Dèze. – 5 – Marceau Lapierre est un instituteur révoqué par Vichy pour ses opinions politiques et installé à Saint-Jean-du-Gard. Georges Lafont est le maire de Saint-Etienne-ValléeFrançaise depuis 1929. Tous deux recherchent un lieu où regrouper certains des nombreux jeunes réfractaires au STO que le Comité de Saint-Jean aide à cacher dans les fermes cévenoles. A l’automne 1943, une trentaine de ces réfractaires dirigée par André Toussaint, dit Tout petit, s’installe à La Picharlerie. Cet ensemble qui forme le cœur des maquisards de La Picharlerie prendra le nom de groupe Toussaint. Le ravitaillement en vivres est fourni par Lucien Goillon et Marceau Lapierre et par des habitants de Leyris. Les coups de mains des maquisards permettent également de se procurer des tickets d’alimentation, du tabac et des produits agricoles. Sur une hauteur à l’est de La Picharlerie veille un poste de guet relié à la ferme par un vieux téléphone allemand de la Première guerre mondiale. Le hameau de Leyris et le mont Mars (Onac DR) A la fin de l’hiver 43-44, l’envie de passer à l’action devient de plus en plus forte. Marceau Lapierre souhaite faire de La Picharlerie un maquis-école afin de préparer la lutte armée. Il confie l’instruction militaire des réfractaires (maniement des armes, tir, transmission des ordres…) à Edmond Basset, dit Athos, puis à Miguel Arcas, dit Victor, chef du corps franc de la Brigade Montaigne. Arcas sera assisté dans cette tâche par son fidèle lieutenant, Aimé Sauvebois, dit Jimmy. La Brigade Montaigne, active depuis des mois en Cévennes, vient de s’installer dans la ferme du Galabertès, au nord de La Picharlerie. – 6 – La Brigade Montaigne Depuis l’été 1943, François Rouan, dit Montaigne, ancien brigadiste durant la guerre d’Espagne, organisait des maquis dans les Cévennes. Il avait constitué un groupe qui portait le nom de Brigade Montaigne et qui avait la particularité d’être composé de quelques Français mais surtout d’une quarantaine d’antifascistes étrangers, allemands et espagnols notamment. Ces hommes formeront le groupe appelé Main d’œuvre immigrée (M.O.I.). Ils étaient pour beaucoup échappés des Groupements de travailleurs étrangers que l’administration française avait mis en place dès 1938 sous diverses appellations (Unités de prestataires, Compagnies de travailleurs étrangers…). L’objectif de l’Etat était de surveiller les “étrangers indésirables” et de faire face à l’afflux des réfugiés venus de l’Espagne franquiste ou des pays sous domination nazie. Le hameau de Flandre (Onac DR) La Brigade Montaigne s’établit dans un premier temps au Bancillon, à Flandre, à Nozière puis à La Fare, dans la vallée du Gardon de Saint-Germain. Là, ce maquis est rejoint par Louis Veylet et son groupe de réfractaires au STO et d’Allemands antifascistes qui, pour des raisons de sécurité, avaient quitté leur repaire de Bonnecombe sur l’Aubrac. Ils étaient venus se réfugier en Cévennes, à l’ouest du col de Jalcreste, sur le flanc sud de la vallée de la Mimente, à la maison forestière de Solpéran puis à la bâtisse de Ferrus sur la commune de Cassagnas. – 7 – Ce groupe élargi et fluctuant comprend au plus fort de son activité une cinquantaine de maquisards. Montaigne en est le chef, secondé par Ernest Butzöw et Otto Kühne et appuyé par le corps franc de Miguel Arcas. Le 12 février 1944, le maquis de La Fare est attaqué par les Groupes mobiles de réserve de Vichy. La Brigade Montaigne se replie à Malzac puis au mois de mars 1944 au Galabertès. Le Galabertès Cette ferme délabrée et ses dépendances, dissimulées dans une petite combe à 600 mètres d’altitude, n’étaient accessibles que par un chemin non carrossable. Afin d’assurer leur sécurité, les maquisards tracent un sentier jusqu’à un poste de guet sur la crête qui permet d’observer la route allant de Saint-Germain-de-Calberte à Barre-des-Cévennes. Le ravitaillement, transporté de nuit à dos d’homme, est fourni par des habitants de Raynols et de Saint-Germain-deCalberte (notamment son boulanger, particulièrement actif) puis par le corps franc de Croisance dirigé par Miguel Arcas et installé dans le vallon de Thonas. La Brigade Montaigne, faiblement armée mais forte de l’expérience de ses combattants durant la guerre d’Espagne, souhaite adopter une tactique de guérilla. Cependant l’arrivée des hommes de Bir Hakeim à La Picharlerie en mars 1944 va précipiter l’évolution des groupes. Bir Hakeim Le 25 mai 1943, Jean Capel fonde avec Christian de Roquemaurel, dit RM, le maquis de l’Estibi près de Villefranche-de-Rouergue. Il le baptise Bir Hakeim en s’inspirant de la glorieuse résistance des Forces françaises libres dans le désert de Cyrénaïque l’année précédente. Ses coups de main audacieux font de Bir Hakeim un groupe attaqué et traqué sans relâche par l’occupant nazi et les forces de Vichy. Obligés à une mobilité permanente, ses hommes sont constamment à la recherche de nouveaux abris. L’installation de Bir Hakeim à La Picharlerie En novembre 1943, Jean Capel, dit commandant Barot, reçoit des chefs régionaux de la Résistance la mission de regrouper les maquis de l’Armée secrète du Gard et de la Lozère. – 8 – Le hameau de Raynols et la ferme du Galabertès (Onac DR) Avec son groupe, il rejoint La Picharlerie au mois de mars 1944. En accord avec les responsables locaux, les Biraquins s’installent dans le grenier de la ferme et prennent en charge la formation militaire des réfractaires. Les prouesses de ces hommes, leur équipement militaire supérieur, leur attitude défiante face à l’ennemi – ils traversent hardiment les villes occupées dans des voitures portant croix de Lorraine et fanions Bir Hakeim – éblouissent les jeunes du groupe Toussaint, jusque là tenus prudemment loin des aventures par le Comité de Saint-Jean. Le prestige de Bir Hakeim et la mission de leur chef entraînent peu à peu une mise sous tutelle du maquis-école de La Picharlerie et d’une partie de la Brigade Montaigne fixée au Galabertès. Les divergences Les chefs cévenols reprochent aux Biraquins de provoquer inutilement l’occupant et de rechercher l’affrontement ; cela au risque d’attirer une intervention massive des Allemands et au mépris du danger supplémentaire que les représailles font courir à la population. Malgré les différences de vues, un accord est conclu entre Bir Hakeim et les maquisards allemands du groupe Montaigne : ces derniers seront armés par les Biraquins. En contrepartie, ils devront unir leurs forces à tous ceux de La Picharlerie en cas d’attaque ennemie. Les événements d’avril 44 dans la Vallée Française vont renforcer la méfiance à l’encontre des méthodes de Bir Hakeim. – 9 – – 10 – Ruines de Ferrus dans la forêt de Fontmort (Onac DR) Automne 1943 CORPS FRANC de Miguel Arcas Croisance (env. 6 hommes) mars 1944 Le Galabertès Mars 1944 Février 1944 Malzac Flandre, Nozière, La Fare BRIGADE MONTAIGNE - M.O.I. Résistants allemands, espagnols, polonais, belges, tchèques, luxembourgeois... Le Bancillon (env. 40 hommes) été 1943 Résistants allemands de Bonnecombe (env. 6 hommes) et réfractaires du Crouzet-Vayrac (env. 6 hommes) Début 1943 Solpéran, Ferrus GROUPE MONTAIGNE GROUPE VEYLET-KÜHNE (Aubrac et Marvejols) – 11 – Mars 1944 (env. 40 hommes) BIR HAKEIM ORIGINE ET FORMATION DES MAQUIS DU GALABERTÈS ET DE LA PICHARLERIE Les effectifs des maquis sont fluctuants et donnés à titre indicatif seulement ; de même pour les dates d’occupation des sites. A La Picharlerie : 3 résistants en tenue du 1er régiment de France (Damiani DR) Automne 1943 (env. 30 hommes) La Picharlerie GROUPE TOUSSAINT TÉMOIGNAGE « Au début nous ne disposions que de quelques fusils, mousquetons français, Mauser allemands de 14-18 récupérés dans des fermes des environs. » « Par une nuit claire de janvier 1944, les poches pleines de châtaignes sèches brisées, nous partons à quatre pour une bergerie isolée sur la rive gauche du Gardon de Saint-Martin où sont regroupés des moutons et brebis destinés à la réquisition. Notre mission consiste à ramener une dizaine de ces bêtes à La Picharlerie. Nous nous introduisons dans la bergerie avec préJean BONIJOL (Onac DR) caution pour ne pas les effrayer et nous présentons aux bêtes des poignées de châtaignes dont elles raffolent. Bientôt, elles sont prêtes à nous suivre sans difficulté, attirées par notre friandise. De retour à la Picharlerie, nous enfermons notre troupeau dans une ancienne étable de la ferme. Dans la journée, les bêtes pourront paître librement sous les châtaigniers. Notre approvisionnement en viande est assuré pour plusieurs jours. Comme dans mon adolescence j’ai souvent accompagné un vieil oncle pour saigner et charcuter les cochons dans les fermes, j’ai quelques notions de boucherie et suis capable d’exécuter proprement un mouton, de le peler et de le dépecer.» « Le 7 février 1944, nous sommes sept camarades à participer à un coup de main pour nous procurer du tabac. Nous avons prévu de stopper le car qui assure la liaison Florac / Saint-Jean-du-Gard et de le délester du chargement de tabac destiné à l’approvisionnement mensuel de Sainte-Croix. 10 kilomètres de marche par des sentiers de montagne nous amènent au pont des Terrades sur la départementale 983 où nous abattons un châtaignier pour obstruer la route et tendre notre embuscade. Le chauffeur est obligé de nous remettre 40 kilos de tabac et de cigarettes. Nous allons faire des heureux à La Picharlerie. » – 12 – « Nous avons à La Picharlerie un vieux fourgon ambulance Renault de l’armée. Jacques Ricomard, dit Coco, notre cuisinier, le pilote avec beaucoup d’habileté. Une nuit de février 1944, nous faisons une expédition pour récupérer du carburant. Chez un garagiste à Florac et au dépôt des Ponts et Chaussées à La Salle-Prunet, nous enlevons sans problème 5 pipes [fûts] d’essence et de gasoil. Mais le retour sous la neige, sur des routes étroites, sinueuses et en mauvais état, est très périlleux avec un véhicule lourdement chargé et mal équipé. Nous frôlons plusieurs fois l’accident. » « Un soir du début de janvier 1944, nous partons à 7 ou 8 avec nos armes pour L’Estréchure dans la Vallée Borgne. Nous devons prendre au secrétariat de mairie des tickets d’alimentation. Après une longue marche de 17 km par Moissac, Saint-Roman et Saumane avec des dénivellations importantes nous atteignons L’Estréchure vers 2 heures du matin. Comme convenu par le responsable de l’Armée secrète qui a préparé ce coup de main, nous nous présentons à l’école publique où l’instituteur, secrétaire de mairie, doit nous remettre les tickets. Mais le maire les a emportés chez lui ce soir-là. Nous nous faisons conduire chez lui. Il tente de nous faire croire qu’il n’a pas les tickets. Nous fouillons la maison et finissons par trouver ce que nous cherchons dans un sac sous un matelas. Après nous être montrés très menaçants pour donner l’impression d’une véritable agression et que l’instituteur ne soit pas soupçonné de complicité, nous prenons le chemin du retour. Les tickets seront remis aux boulangers et autres commerçants qui participent à notre ravitaillement, mais d’autres maquisards en profiteront aussi. C’est ainsi que le lendemain je me rends à La Solpérière près de Vébron dans la vallée du Tarnon où s’abrite un groupe du maquis du pasteur Olivès. Cela représente une longue marche dans les valats accidentés des Cévennes, mais la joie des camarades privés de pain depuis plusieurs jours est une grande satisfaction. » Jean BONIJOL, dit Bull membre du maquis de La Picharlerie de novembre 1943 à février 1944 d'après "Souvenirs de la Picharlerie", La Résistance en Lozère (CD-Rom AERI, 2006). – 13 – LES COMBATS EN VALLÉE FRANÇAISE Le 7 avril Le 7 avril 1944, le maire de Saint-Etienne-Vallée-Française, Georges Lafont reçoit par téléphone un message codé : « Veuillez retenir des os à moelle chez le boucher pour mes enfants ». Cet avertissement provenant de la gendarmerie de Saint-Germain-de-Calberte annonce l’arrivée d’une patrouille allemande dans sa commune. Inquiet, Georges Lafont fait prévenir La Picharlerie et le commandant Barot qui loge à l’auberge du village. Il l’invite à la prudence. Il lui avait déjà signalé qu’une voiture appartenant à ses hommes se trouve trop en vue sur la place, une mitraillette non camouflée sur le siège arrière. Les Biraquins refusent de la dissimuler. Au contraire, ils font venir des renforts de La Picharlerie et préparent une embuscade à la sortie du village en direction de Moissac-ValléeFrançaise au niveau du pont de Sauvaire. Les Allemands sont reçus par Georges Lafont qui parvient à les rassurer. Mais il est trop tard pour lever l’embuscade et, peu après leur départ, ils sont stoppés sous la mitraille des trois postes disposés par les maquisards au-dessus de la route. Trois Feldgendarmen sont tués, un autre fait prisonnier. Par crainte des représailles, le village se vide. Les maquisards prennent position autour de Saint-Etienne. La réaction des troupes d’occupation ne tarde pas. Dès 20h deux voitures et quatre camions partent de Mende en direction du village. Le 8 avril Les troupes allemandes sont accrochées vers cinq heures du matin au pont de Négase par les mitrailleuses des maquisards. Le groupe Toussaint de La Picharlerie, épaulé par les M.O.I. de la Brigade Montaigne et les Biraquins, lutte avec acharnement durant quatre heures puis se replie. Les Allemands rejoints par des Groupes mobiles de réserve, police de Vichy, venus de Montpellier peuvent enfin pénétrer dans le village. Ils pillent et incendient des maisons dont le château du baron de Molembaix. Les Allemands ont perdu au cours de ces combats une quinzaine d’hommes. Du côté des maquisards, Francis Gaussen, dit Lacaze, à court de munitions, et Aimé Sauvebois, blessé, sont faits prisonniers et emmenés à Montpellier. Ils seront fusillés le 31 mai 1944. – 14 – Le château de Molembaix (fonds Vielzeuf DR) Renseignement et tactiques Après les accrochages des 7 et 8 avril, les Allemands mènent des enquêtes pour trouver le lieu exact où se cachent les maquisards. Ils interrogent des habitants des villages voisins. Ils habillent deux de leurs hommes en civil pour infiltrer le maquis. Sans succès. Ils envoient un avion au-dessus de La Picharlerie. Du côté des maquisards, les avis s’opposent encore une fois. Certains, comme Otto Kühne et d’autres anciens des Brigades internationales, suggèrent de déplacer le camp pour ne pas affronter directement les troupes allemandes et pouvoir continuer une tactique de guérilla. D’autres comme les Biraquins sont favorables à l’engagement sur place pour attirer l’occupant dans le piège cévenol. Finalement, tous décident de se préparer au combat. Les 12 et 13 avril, l’attaque allemande de La Picharlerie Le 12 avril en fin de matinée, les Allemands investissent la Vallée Française, encerclent les maquis et établissent un PC à Saint-Etienne. Ils sont près de 2 000 hommes bien armés (dont une majorité de SS appartenant à la 9ème Panzerdivision Hohenstaufen en garnison à Alès et à Nîmes) avec des automitrailleuses et des canons de montagne et secondés par des Groupes mobiles de réserve de la police de Vichy. Ils disposent également d’un avion mouchard qui survole la zone pendant les combats pour guider la progression. Face à eux, à 1 contre 15, environ 120 maquisards mal équipés sont divisés en trois groupes qui se protègent les uns les autres le long de la crête, dos à La Picharlerie : - au nord, du côté de Saint-Martin-de-Lansuscle, est posté le groupe M.O.I. du Galabertès. La crête est gardée par une mitrailleuse tenue par Louis Veylet et Montaigne ; – 15 – - le groupe Toussaint est posté à l’est du côté de MoissacVallée-Française ; - à l’ouest, du côté de Sainte-Croix-Vallée-Française, jusqu’au Ginestas et à La Lauzière, se trouve le groupe de Bir Hakeim. Il est commandé par Marcel de Roquemaurel en l’absence de commandant Barot, convoqué à une réunion à Saint-Géniès-de-Malgoires (Gard). Les combats durent jusqu’au soir et les Allemands ont beaucoup de mal à progresser jusqu’aux crêtes. Lorsque la nuit tombe, La Picharlerie est bombardée au mortier et au canon de 77 à la lueur de fusées éclairantes. Repli des maquisards et départ des Allemands Vers 19h, les maquisards décident de décrocher. Les M.O.I. de la Brigade Montaigne se replient par petits groupes vers le nord-ouest : Raynols, Le Galabertès, Malzac et le Plan Fontmort. Les Biraquins et le groupe Toussaint se dirigent plein sud vers Le Castanier entre Saint-Roman-de-Tousque et Le Pompidou, sur la route des crêtes, dite aujourd’hui Corniche des Cévennes. Ils sont tous couverts par les mitrailleuses de Louis Veylet au nord-ouest et d’Anton Lindner, dit Toni, au sud-est. Ces deux hommes resteront à leur poste jusqu’à la dernière minute. La nuit tombée les soldats allemands redescendent dans la vallée avec leurs blessés pour renforcer le filet d’encerclement mis en place sur les routes. Finalement à la faveur de l’obscurité et d’un violent orage, la majorité des maquisards sera parvenue à s’échapper et la pluie anéantit les tentatives allemandes de mettre le feu au secteur. Le Galabertès (à gauche), Malzac (à droite), le Plan de Fontmort (au fond) (Onac DR) – 16 – – 17 – Vue de La Picharlerie (Bonijol DR) Le lendemain matin, les troupes d’occupation effectuent un ratissage pour déloger des maquisards encore cachés. C’est ainsi qu’en redescendant dans la vallée, ils trouvent et emmènent avec eux Louis Veylet blessé à la jambe. Sous le pont de la Rouveyrette, ils l’exécutent de deux balles dans la tête. De l’autre côté de la montagne, les troupes d’occupation continuent à tirer au mortier sur le village de Leyris. L’école est touchée. En milieu de journée, un appareil de la Luftwaffe survole le théâtre des opérations. Il envoie des signaux par fusées éclairantes. Au sol, les SS quittent précipitamment la Vallée Française. Il semble que l’état-major allemand ait capté le message codé : les poissons tricolores sont dans le lac. L’ayant interprété comme le signe d’un débarquement allié en Méditerranée, les Allemands auraient voulu regrouper d’urgence leurs forces sur le littoral. Bilan Au final, les combats d’avril 44 en Vallée Française auront été la plus grosse opération militaire de la Seconde guerre mondiale en Lozère, celle du mont Mouchet touchant plusieurs départements. Ces combats ont causé de nombreuses pertes parmi les troupes d’occupation. Du côté de la Résistance, trois maquisards ont sacrifié leur vie : Francis Gaussen, Aimé Sauvebois, Louis Veylet. – 18 – Les hameaux et villages des vallées payent un lourd tribut puisque de nombreuses habitations sont détruites, incendiées ou pillées. Certaines familles ont tout perdu. Ainsi, les Allemands qui avaient trouvé un dépôt de vivres à la ferme du Ginestas, y mettent le feu et font prisonnier son propriétaire Marius Grandon. Malgré des démarches pour obtenir sa libération, il mourra en déportation au camp de Neuengamme le 15 janvier 1945, laissant neuf orphelins. Ces événements tragiques vont à nouveau diviser les groupes de maquisards. Les uns considèrent que l’insouciance et la témérité des Biraquins sont un danger pour la population et partent, sous la direction de Miguel Arcas, s’installer au hameau du Salt avec Georges Lafont. D’autres, comme Adrien Toussaint ou François Rouan rejoignent le groupe de Bir Hakeim. De son côté, Otto Kühne prend le commandement de ce qui reste de la Brigade Montaigne avec l’objectif de se rallier le plus rapidement possible aux Francs-Tireurs et Partisans – M.O.I. Le 3 mai, lors d’une réunion décisive, l’ensemble des chefs des maquis cévenols demande à Jean Capel de quitter les Cévennes avec ses hommes. Fin mai, Capel conduit donc environ 80 de ses Biraquins sur le causse Méjean à La Parade. Mais le lendemain de son installation, les Allemands encerclent le groupe. Malgré une résistance héroïque, Bir Hakeim est décimé. Le maquis-école de La Picharlerie a vécu. La montagne de La Picharlerie (gauche), Saint-Etienne-Vallée-Française (droite) (Onac DR) Chaque année à la mi-avril des cérémonies de commémoration sont organisées en Vallée Française à Sainte-Croix au pont de la Rouveyrette et à Saint-Roman-de-Tousque. – 19 – ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIES Georges LAFONT (1883-1959) Georges Lafont est né le 17 novembre 1883 à Saint-Etienne-ValléeFrançaise. Il reprend l’établissement familial de filature, principal employeur de la commune puis devient maire de son village en 1929. Il est père de quatre enfants. Empreint des valeurs cévenoles, entreprenant, patriote, il refuse la défaite, le régime de Vichy et l’horreur nazie. Très tôt, il cache des personnes traquées puis participe activement au Comité de Saint-Jean qui protège de nombreux clandestins (juifs, réfractaires…) et dont le réseau s’étend du Collet-de-Dèze à Saint-André-de-Valborgne. Marceau Lapierre et lui décident d’organiser un maquisécole pour les jeunes réfractaires au STO et trouvent un lieu d’implantation sûr : La Picharlerie. Il fait tout pour agir dans la discrétion et éviter d’attirer l’attention des Allemands sur son village. Mais la volonté d’en découdre de certains maquisards et les événements du 7 avril 44 le forcent à la fuite, lui et sa famille, pour éviter des représailles. Miguel Arcas et quelques-uns de ses hommes du corps franc de la Brigade Montaigne les accompagnent. Ils se réfugient plus au sud vers Saint-Roman-de-Tousque, au hameau du Salt. Inquiet pour son village et sa population lors de l’attaque des jours qui suivent, le maire souhaite se rendre aux officiers allemands et s’offrir en otage. Il faut toute la persuasion de Miguel Arcas pour l’en dissuader. Georges Lafont est donc contraint à la clandestinité jusqu’à la Libération. Il décède dans sa commune le 30 août 1959. Marceau LAPIERRE (1887-1971) Marceau Lapierre est né le 30 août 1887 au Mas de La Frégère (commune de Saint-Etienne-ValléeFrançaise). En 1907, il est instituteur, nommé dans le Gard. Mobilisé lors de la Première guerre mondiale, gravement blessé en 1916, il repart combattre en orient sur le front de Salonique et aux Dardanelles. A sa démobilisation en – 20 – 1919, titulaire de la Croix de guerre et chevalier de la Légion d’honneur, il retrouve ses classes, reprend son activité de syndicaliste et milite à la SFIO. C’est aussi un remarquable chercheur en archéologie. Ses positions politiques le font révoquer fin 1940 par le gouvernement de Vichy. Il se retire à Saint-Jean-du-Gard et entre dans la Résistance. Il participe à la création du Comité de Saint-Jean qui cherche des caches pour les réfractaires. Face à l’afflux grandissant de clandestins (250 à l’été 1943), Marceau Lapierre envisage, avec son ami Georges Lafont, d’installer un réduit dans les Cévennes. Ils créent le maquisécole de La Picharlerie et en confient la direction à Adrien Toussaint. Ils donnent plus tard leur accord à l’installation des hommes de Bir Hakeim sur ce site, mais Marceau Lapierre regrette de voir ses “recrues” passer sous l’influence des Biraquins. Pendant la période des combats dans la Vallée Française, la maison de Marceau Lapierre est fouillée par la police allemande. Lors des combats de la Libération, il participera aux affrontements de La Madeleine dans le Gard et aux pourparlers avec le lieutenant-général allemand K. A. Nietzsche Martin au sujet de la reddition de ses troupes. En 1945 Marceau Lapierre est élu maire de Saint-Jean-duGard, puis conseiller général du canton. Il décède, sans enfant, le 10 septembre 1971. Il est inhumé à Saint-Jean-duGard. Louis VEYLET (1911-1944) Né près de Marvejols à Antrenas le 30 septembre 1911, Louis Veylet, élève brillant, très tôt sensible aux injustices, militant communiste, instituteur, fut un des premiers résistants lozériens. Il fait l’expérience de la clandestinité dès octobre 1940. En 1943 il est actif aux côtés de Marcel Pierrel, Gilbert de Chambrun et Henri Cordesse à Marvejols. Depuis longtemps étroitement surveillé par le service des Renseignements généraux, il participe à l’organisation du maquis composé d’antifascistes allemands à Bonnecombe au sud de l’Aubrac. Il est très sportif et connaît parfaitement les lieux et les hommes. Assigné à résidence, se sentant menacé, il quitte Marvejols et rejoint les Cévennes avec ses hommes. – 21 – Le 21 janvier 1944, il est arrêté au Collet-de-Dèze lors d’une mission d’approvisionnement. Condamné avec sursis – c’est Henri Bourrillon qui est son avocat – il est relâché quelques jours plus tard et reprend l’action clandestine dans les Cévennes. Il participe aux combats de la Vallée Française des 12 et 13 avril 1944. Sa conduite héroïque permet à de nombreux maquisards de se replier en sécurité. Ayant pris position derrière une mitrailleuse lourde, il fait face à l’ennemi. Blessé à la jambe, il est retrouvé le lendemain par des soldats allemands qui le transportent sur une civière au bord de la route puis sous le pont de la Rouveyrette. Là, il est tué de deux balles par un officier SS. Il avait 32 ans. Ses funérailles le 15 mai 1944 donnent lieu à une véritable manifestation de patriotisme de la population de Marvejols. Jean CAPEL (1910-1944) Jean Capel est né le 22 février 1910 à Toulouse. Il travaille d’abord avec son père qui a ouvert un cabinet d’avocat à Nice. A partir de 1931 il milite au sein du parti communiste. Il est connu pour son élégance, sa bravoure, son assurance et son éloquence. En 1939, il est mobilisé au sein du 281ème régiment d’infanterie dans les Alpes. En 1940, il s’installe à Toulouse et crée une affaire très prospère dans le secteur des assurances médicales. Il s’engage pourtant en 1942 au sein du mouvement de Résistance Combat. Son domicile devient un lieu de renseignement, de recrutement et de fabrication de fausses pièces d’identité. Il souhaite organiser une école de cadres de la Résistance pour préparer la libération du pays. Le 25 mai 1943, Jean Capel fonde avec Christian de Roquemaurel, dit RM, le maquis de Bir Hakeim. Jusqu’à sa mort, il en assurera la direction. En septembre 1943, Jean Capel entre définitivement dans la clandestinité et prend le pseudo de commandant Barot. S’installant à Terris (Gard) puis à La Picharlerie, le commandant Barot s’efforce de remplir la mission confiée par le chef régional des maquis de l’Armée secrète de la Région III (départements de l’actuel Languedoc-Roussillon + Aveyron). Il doit regrouper les maquis de l’Armée secrète du Gard et de la Lozère sous son commandement. – 22 – Les événements qui se déroulent au printemps 44 dans la Vallée Française provoquent une mise en accusation par les chefs des maquis cévenols de l’attitude insouciante et risquée des Biraquins. Avec un groupe fort de plus de 80 hommes, le commandant Barot s’installe à La Parade où le 28 mai 1944 le maquis de Bir Hakeim est décimé par les Allemands. Jean Capel meurt au combat. Otto KÜHNE (1893-1955) Né le 12 mai 1893 à Berlin, Otto Kühne, cheminot, communiste, est élu député sous la république de Weimar. Arrêté en février 1933 dans la nuit de l’incendie du Reichstag, il est relâché par erreur et devient un clandestin. Il voyage dans toute l’Europe, de Londres à Moscou, en mission pour l’Union soviétique. Il passe par la 11ème Brigade internationale durant la guerre d’Espagne. A partir de 1938, il est en France. Incorporé au Groupement de travailleurs étrangers de Chanac, il se retrouve aux aciéries de Saint-Chély-d’Apcher où il poursuit, semble-t-il, une activité clandestine pour le parti communiste allemand. Après l’entrée des forces du Reich en Zone sud, lui et le petit groupe d’allemands antifascistes qu’il a réunis s’échappent du Groupement et reçoivent, en mars 1943, la protection des Résistants de Saint-Chély puis de Marvejols. Ils forment dans des conditions très dures le maquis de Bonnecombe sur le plateau de l’Aubrac puis, guidés par Louis Veylet, rejoignent la Brigade Montaigne dans les Cévennes. Otto Kühne, devenu l’officier politique de Montaigne, négocie avec Jean Capel, le chef de Bir Hakeim installé à La Picharlerie, une association contre des armes. Puis il entre en conflit avec lui sur la tactique à adopter face aux troupes d’occupation mais se plie à sa décision par discipline. Il est blessé lors des combats du 12 avril 1944 en Vallée Française et, au mois de mai, organise le passage de son groupe aux Francs-Tireurs et Partisans du Gard. En juin, il devient responsable militaire des Francs-Tireurs et Partisans – M.O.I. du Gard, de la Lozère et de l’Ardèche sous le surnom de colonel Robert. En août 1944, sa brigade fait partie des premiers FFI à libérer Nîmes. – 23 – Après la guerre, il occupe d’importantes fonctions à la direction des chemins de fer en Allemagne de l’est. Il est décédé le 7 décembre 1955 à Brandebourg. Il a été décoré de la Croix de guerre. Miguel ARCAS (1912-1996) Né le 4 octobre 1912 à Benacazon près de Séville, Miguel Arcas, dit Victor, est une figure emblématique de la Résistance des républicains espagnols en France. Officier supérieur de cavalerie, il commande des troupes républicaines durant la guerre d’Espagne. En 1939, il s’installe à Toulouse et effectue des missions pour les services spéciaux britanniques. Il détruit des cargos ravitaillant les sous-marins allemands près de Cadix. Il organise une filière d’évasion pour les Juifs dans la région de Marseille. Début 1943, il est arrêté mais parvient à s’évader et doit s’éloigner car la Gestapo le recherche activement. Victor rejoint un temps le maquis Bir Hakeim dans le secteur de Pont-Saint-Esprit. Pourtant, comme d’autres chefs de la Résistance, il prend ses distances vis à vis de l’imprudence des Biraquins. François Rouan, dit Montaigne, qui l’a rencontré à Barcelone du temps des Brigades internationales connaît ses qualités de meneur d’hommes, son expérience militaire, son habileté aux armes. Il lui demande de prendre la tête du Corps franc de Croisance qui s’installe dans le vallon de Thonas au-dessus de Saint-Etienne-Vallée-Française. Avec ce groupe, Victor mène des opérations jusqu’à Toulouse (récupération d’armes). Il devient également un temps responsable de l’instruction militaire des jeunes du maquisécole de La Picharlerie mais se retire peu après l’arrivée de Bir Hakeim. Bien qu’il l’ait désapprouvée, il contribue au succès de l’embuscade du 7 avril dans la Vallée Française. Il assure ensuite la retraite et la protection du maire de Saint-Etienne-ValléeFrançaise et de sa famille. En août 1944, il s’illustre encore lors des combats de la Libération dans les Cévennes gardoises, capturant à la tête d’une trentaine de guérilleros une colonne allemande de huit cents hommes. – 24 – Après guerre, Miguel Arcas épouse une des filles de Georges Lafont : Odile. Il décède à Montpellier le 27 novembre 1996. Il est inhumé à Saint-Etienne-Vallée-Française. François ROUAN (1914-1992) François Rouan naît à Foix le 26 juin 1914. L’année de ses 20 ans, il termine des études d’ingénieur des travaux publics aux Arts et Métiers à Aix-en-Provence, est exclu du parti communiste pour trotskisme et entame son service militaire, affecté du fait de ses opinions politiques dans une unité sous surveillance particulière. Promu sous-lieutenant, il quitte son poste au moment où éclate la guerre d’Espagne et rejoint en uniforme les Brigades internationales. Il combat jusqu’à la fin en Catalogne avant de rentrer en France où il est jugé pour désertion mais bénéficie d’une mesure d’amnistie. Il est envoyé en Côte d’Ivoire dont il revient avec son bataillon de Tirailleurs à la déclaration de la guerre. Il reçoit la Croix de guerre et retrouve sa qualité d’officier avec le grade de capitaine. Partisan de continuer le combat avec la France libre, il est arrêté à Marseille mais s’évade et rentre chez lui en Ariège. Il entre dans la Résistance et fait passer la frontière francoespagnole à de nombreux clandestins. En 1942 il se marie avec une résistante à Perpignan, s’installe à Montpellier, exerce des fonctions dans les travaux publics tout en s’engageant avec la Résistance locale dans les milieux lycéens et étudiants. Il reçoit le surnom de Montaigne. Contraint à la clandestinité au printemps 1943, il s’enfuit à Nîmes où il reçoit la mission de former des maquis de l’Armée secrète dans les Cévennes lozériennes. Il fournit des fonds et du matériel aux premiers maquis de jeunes réfractaires du côté du Collet-de-Dèze puis crée fin août 1943 la Brigade Montaigne qu’il installe entre le col de Jalcreste et Saint-Germain-de-Calberte. Contrairement à certains de ses hommes, il adhère à l’idée d’une fusion avec ceux de Bir Hakeim fixés à La Picharlerie. Il participe aux combats d’avril 44 autour de La Picharlerie. A Montpellier, son épouse chargée de dangereuses missions de liaisons est arrêtée et torturée. Elle s’évade. Sa famille est prise en otage. Durant l’été, avec les membres de Bir Hakeim épargnés par le drame de La Parade, Montaigne participe aux combats de la Libération dans l’Hérault. Puis – 25 – ce sont les campagnes d’Alsace, d’Allemagne et d’ExtrêmeOrient en Indochine. Gravement blessé, il est rapatrié et vit à Montpellier jusqu’à son décès le 26 mars 1992. De nombreuses décorations ont récompensé sa bravoure et ses actions dont la médaille de la Résistance, la Distinguished Service Order et la Military Cross. Ernst BUTZÖW (1905- ?) Ses camarades allemands donnaient à Ernst Butzöw, né en Prusse orientale le 26 septembre 1905, le surnom de der Lange du fait de sa grande taille. Pour les autres, c’était capitaine Ernest. Ce charpentier de profession est officier dans les Brigades internationales durant la guerre d’Espagne. En février 1939, il franchit les Pyrénées. Il connaîtra les camps du sud de la France et les Compagnies puis les Groupements de travailleurs étrangers. Il s’échappe début 1943 et fait partie, sur l’Aubrac, du groupe de maquisards d’Otto Kühne qui rejoint à la fin de l’année la Brigade Montaigne en Cévennes. Il devient l’adjoint militaire de Montaigne. Il est blessé accidentellement par un camarade d’une balle à la jambe et se replie dans des conditions difficiles lors des combats de la Vallée Française. Il est plus tard nommé commandant d’un bataillon de Francs-Tireurs et Partisans – M.O.I. et participe à la libération de Nîmes. Il est décoré de la Croix de guerre. Anton LINDNER (1905-1944) Anton Lindner, dit Toni, est né le 10 décembre 1905 à Kehlheim en Bavière. Antinazi, membre du parti communiste, il est contraint à la clandestinité puis à l’exil. Il se réfugie en France dans le sudouest puis sert en Espagne sous les ordres d’Ernst Butzöw. En février 1939, à nouveau réfugié en France, il est interné dans le camp de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) puis celui de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) dont il subit les épouvantables conditions pendant un an. Il est ensuite intégré aux Compagnies de travailleurs étrangers qui deviendront sous Vichy les Groupements de travailleurs érangers. Il travaille – 26 – sur la Ligne Maginot puis dans les camps de la HauteVienne. Après l’invasion de la Zone libre, il prend la clandestinité, gagne les Cévennes et se joint à la Brigade Montaigne. Calme et courageux, Toni participe aux journées du 8 et surtout du 12 avril en Vallée Française où son rôle est déterminant dans le succès du repli de ses camarades. Après les combats, il se décide pour Bir Hakeim et tombera victime de plusieurs balles alors qu’il tentait de briser l’encerclement allemand lors du drame de La Parade. Son corps repose au Cimetière national des maquis de Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) aux côtés de vingtquatre de ses camarades Biraquins. Marcel de ROQUEMAUREL de L’ISLE (1924-1944) Né le 10 juillet 1924 à Oloron-Sainte-Marie (PyrénéesAtlantiques), Marcel de Roquemaurel portera dans la Résistance le nom de capitaine Marcel. Elève à Navale lors de la déclaration de guerre, il décide de suivre, avec son frère Christian, les consignes du général de Gaulle en 1940 et entre dans la Résistance dans le sud-ouest. En 1942 les frères De Roquemaurel sont recrutés par Jean Capel. Christian, dit désormais RM, secondé par Marcel, devient instructeur du nouveau maquis de l’Estibi en Aveyron, futur maquis Bir Hakeim auquel Marcel restera attaché. Le groupe de 50 à 100 réfractaires au STO, très actif et sans cesse menacé, se déplace beaucoup du Rhône aux Pyrénées et à l’Atlantique. Nommé capitaine, Marcel est le responsable efficace du matériel roulant et du carburant, instruments indispensables aux opérations de harcèlement et de ravitaillement. L’attaque de l’intendance de police de Montpellier à laquelle il participe le 14 février 1944, permet par exemple de récupérer une quinzaine de véhicules, des centaines d’armes, des dizaines de milliers de cartouches. Mais ces actions sont souvent à l’origine de graves accrochages. En mars 1944, Bir Hakeim se fixe à La Picharlerie. Durant l’attaque allemande de La Picharlerie, c’est capitaine Marcel qui conduit les Biraquins défendant jusqu’au soir le flanc ouest de la ferme. Le mois suivant, Bir Hakeim se déplace encore à plusieurs reprises, jusqu’au 28 mai, date de l’encerclement du groupe sur le causse Méjean à La Parade. Marcel de Roquemaurel tombera en tentant une percée. Il n’avait pas vingt ans. D’abord enseveli sur place dans une fosse commune, il sera inhumé dans le caveau familial de Pau. – 27 – ACCÈS AUX LIEUX DE MÉMOIRE Les lieux qui suivent ont fait l’objet d’implantation de monuments commémoratifs ou de panneaux donnant des informations historiques sur les maquis liés à La Picharlerie et aux combats en Vallée Française. L’orthographe de certains noms de lieu varie parfois selon que l’on se réfère aux usages locaux, à la dénomination cadastrale ou aux informations fournies par les cartes. Col de Jalcreste. Hôtel Nogaret Intersection entre la RN 106 et la D 984 au col de Jalcreste (commune de Saint-Privat-de-Vallongue). Point de rencontre de la Résistance lozérienne. PC de François Rouan, dit Montaigne. Ancienne carte postale représentant l’hôtel Nogaret au col de Jalcreste (Desdouits DR) Maison forestière de Solpéran Maison forestière au nord-est de la forêt domaniale de Fontmort (commune de Saint-André-de-Lancize). Accès facile par une piste forestière (1,7 km), sur la gauche 250 m après le col de Jalcreste sur la RN 106 en direction de Florac. Premier refuge cévenol d’un groupe de maquisards de la région de Marvejols et de l’Aubrac, composé de jeunes Français et d’Allemands antifascistes. Ferrus Bergerie isolée et en ruines au nord de la forêt domaniale de Fontmort (commune de Cassagnas). A partir du col de Jalcreste, rejoindre le col des Laupies par la piste forestière ou le GR 7 - 67 (environ 7 km). Au col des Laupies en venant de Jalcreste, prendre la deuxième piste à droite (passer une barrière ONF) en direction du nord sur 700 m. Les ruines sont sur la droite en contrebas. Le groupe de maquisards de Solpéran s’installe à Ferrus, endroit plus sûr. – 28 – Flandre, Nozière, La Fare Hameaux dominant la Flandonenque, vallée du Gardon de Saint-Germain (commune de Saint-Germain-de-Calberte). Route étroite et difficile pour accéder à Flandre (7,5 km) : au centre du village de Saint-Germain-de-Calberte, quitter la D984 et prendre la direction de La Fabrègue. Passer successivement les lieux-dits Le Mas, Le Mazel, La Mazade et Le Comte. De Flandre un chemin carrossable conduit à Nozière (2,3 km). L’accès à La Fare peut se faire par un chemin étroit à partir de Nozière (1,5 km). On peut aussi prendre la route à partir du centre de Saint-Germain en direction de La Fabrègue mais au premier embranchement se diriger vers Le Cros (6,2 km). Premiers refuges de la Brigade Montaigne. La Flandonenque (Flandre, Nozière) et le col des Laupies vus de La Fare (ONAC DR) Malzac Hameau dominant la vallée du Gardon de Saint-Martin (commune de Saint-Germain-de-Calberte). Accès difficile. 300 m après la sortie de Saint-Germain-de-Calberte en direction de Saint-Etienne-Vallée-Française prendre à droite la piste qui conduit aux Faïsses, puis prendre à droite la route goudronnée jusqu’au Rouvier (1,2 km). De là, la route devient chemin (1,4 km). Refuge temporaire de la Brigade Montaigne en février 1944. Le Galabertès, Raynols Ferme et hameau dominant la vallée du Gardon de SaintMartin (commune de Saint-Germain-de-Calberte). Accès : sur la D28, à la sortie de Saint-Martin-de-Lansuscle en direction de Sainte-Croix-Vallée-Française, prendre à gauche la route étroite qui mène au hameau des Abrits puis au Galabertès (5,3 km). La route se poursuit pour rejoindre – 29 – Raynols (1 km). On peut aussi atteindre Raynols et le Galabertès à partir de la D984 entre Saint-Etienne-ValléeFrançaise et Saint-Germain-de-Calberte : quitter la D984 au pont de Négase et remonter le Gardon de Saint-Martin (11km, route devenant étroite et difficile). Séjour de la Brigade Montaigne en mars 1944 et point de ravitaillement. La Picharlerie Monument commémoratif et ruines d’une ferme dominant la vallée du Gardon de Sainte-Croix (commune de MoissacVallée-Française). Accès difficile par des pistes. Par la D28 : 2 km après Saint-Martin-de-Lansuscle en direction de Sainte-Croix-Vallée-Française, départ à gauche d’une piste balisée “La Picharlerie” (6,4 km). Par la D983 : 7,5 km après Sainte-Croix-Vallée-Française en direction de SaintEtienne-Vallée-Française, départ à gauche d’une route puis piste balisée “La Picharlerie” (10,2 km). Par Saint-EtienneVallée-Française : prendre la route qui conduit au hameau de Leyris (4,6 km), puis une piste (3,5 km) balisée “La Picharlerie” dont la dernière partie n’est pas carrossable. Site d’implantation d’un maquis-école, puis refuge de Bir Hakeim. Vue à partir de La Picharlerie (Onac DR) Moulin de Croisance Vallée du Gardon de Saint-Martin (commune de SaintEtienne-Vallée-Française). Accès par la route en quittant la D984 à 3 km au nord de Saint-Etienne-Vallée-Française au pont de Négase et en prenant la direction de Thonas pendant 1,6 km. Site d’installation du corps franc de la Brigade Montaigne, dirigé par Miguel Arcas. – 30 – Le Ginestas Ruines de la ferme du Ginestas (Onac DR) Ruines d’une ferme dominant la vallée du Gardon de SainteCroix (commune de MoissacVallée-Française). Accès difficile par des chemins : sur la D28, 2 km après SaintMartin-de-Lansuscle en direction de Sainte-Croix-ValléeFrançaise, départ à gauche d’une piste balisée "La Picharlerie" (4 km jusqu’à un point de vue d’où l’on aperçoit les ruines du Ginestas et celles de La Picharlerie). Lieu de stockage de vivres pour le maquis de La Picharlerie. Leyris Hameau dominant la vallée du Gardon de Saint-Martin (commune de Saint-Etienne-Vallée-Française). Accès par une route balisée “La Picharlerie” qui part de SaintEtienne-Vallée-Française (4,6 km). Hameau ayant soutenu le maquis. Pont de Négase A 3 km au nord de Saint-Etienne-Vallée-Française sur la D984 au confluent des Gardons de Saint-Martin et de SaintGermain (commune de Saint-Etienne-Vallée-Française). Site d’un important accrochage le 8 avril 1944. Saint-Etienne-Vallée-Française Place de la Résistance. Evénements du 7 au 13 avril 1944. Pont de la Rouveyrette Stèle sur la D983 à la sortie de Sainte-Croix-ValléeFrançaise en direction de Saint-Etienne-Vallée-Française. Lieu de l’assassinat de Louis Veylet. Le Castanier Ferme dominant le Gardon de Sainte-Croix (commune de Sainte-Croix-Vallée-Française) sur la D9, dite Corniche des Cévennes entre Le Pompidou et Saint-Roman-de-Tousque. Point de ralliement des groupes Toussaint et Bir Hakeim après les combats en Vallée Française. Saint-Roman-de-Tousque Point de vue, table d’orientation et monument commémoratif (commune de Moissac-Vallée-Française). Sur la D9, dite Corniche des Cévennes, à la sortie de Saint-Roman-de Tousque en direction de Saint-Jean-du-Gard. – 31 – MAQUIS DE LA VALLÉE FRANÇAISE ET DU CALBERTOIS PLAN DES SITES Il est rappelé que les visites et promenades doivent se faire dans le respect des habitants, des propriétés privées et des sites naturels. 1ère édition : avril 2009 - 2ème édition révisée : avril 2010 ONAC - Service départemental de la Lozère Cité administrative - 9 rue des Carmes - BP 142 - 48008 Mende Cedex [email protected] Tous droits réservés à ONAC - Service de la Lozère - Reproduction interdite. ISBN N° 978-2-9526290-2-7 Imprimerie des 4 - 04 66 32 10 48 Les points rouges marquent les lieux d’implantation d’un panneau historique