uPassions et conflits au théâtre
OBJECTIFS
Passions amoureuses
Roméo et Juliette, W. Shakespeare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 qDécouvrir la représentation d’une passion
L’École des femmes, Molière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 qÉtudier la passion dans une comédie
On ne badine pas avec l’amour, A. de Musset . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 qComprendre la comédie du jeu amoureux
Andromaque, J. Racine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 qAnalyser des passions tragiques
Conflits politiques
Antigone, J. Anouilh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 qÉtudier un conflit de valeurs
qComparer des mises en scène avant de jouer
La Résistible Ascension d’Arturo Ui, B. Brecht . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 qAborder le théâtre engagé
Macbett, E. Ionesco
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 qÉtudier une farce tragique
FICHE-MÉTHODE : Analyser un personnage de théâtre
Le théâtre : un mode d’expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Vocabulaire : Maîtriser le lexique du théâtre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Oral : Jouer un conflit amoureux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Orthographe :
Conjuguer les verbes au présent de l’impératif et du subjonctif . . . . . 237
Grammaire : Employer le subjonctif – Formuler un ordre . . . . . . . . . . 238
Écrit : Rédiger un dialogue de théâtre, une critique dramatique . . . . . . 239
Le Visiteur, E.-E. Schmitt
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
MÉTHODES POUR LE BREVET ET LA SECONDE
ARGUMENTATION
S’EXPRIMER
FAIRE LE POINT
ŒUVRE INTÉGRALE
ARGUMENTATION
TEXTES & IMAGES
Entrer par l’image
Décrivez chaque image.
En quoi, selon vous,
illustrent-elles le titre
de la séquence?
A. de Musset, On ne badine pas avec l’amour, mise en scène I. Ronayette, Perdican (R. Carteaux), Camille (O. Cote), Théâtre Jean Vilar, Suresnes, 2003. © R. Senera / Agence Bernand
E. Ionesco, Macbett, Mise en scène G. Lavelli, Macbett (M. Aumont), Lady Macbett (I. Karajan), Théâtre de la Colline, Paris, 1992. © Agence Enguerand/Bernand
SÉQUENCE 8DISPUTES ET DÉBATS
Passions et conflits
au théâtre
qÉtudier des textes et leurs mises en scène
Principaux points de langue : Les types et les formes de phrases
Les figures de style L’impératif Le dialogue au théâtre
Mise en scène S. Verrue, Roméo (A. Pavloff),
Juliette (A. Drovne), Théâtre Jean Vilar, Suresnes, 1994.
© R. Senera / Agence Enguerand/Bernand
7. battement prolongé d’une note musicale.
8. Shakespeare superpose deux traditions, celle des sonneries de cors au début de la
chasse et l’aubade traditionnelle offerte aux jeunes mariés au matin de leurs noces.
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Roméo Montaigu et Juliette Capulet, deux enfants issus de familles
ennemies de Vérone, en Italie du Nord, tombent réciproquement
amoureux et se marient en secret. Roméo rejoint Juliette, de nuit, dans
la chambre de la jeune fille.
Scène 5
[Entrent Roméo et Juliette, dans la chambre au-dessus.]
JULIETTE
Tu veux déjà partir? Le jour n’est pas encore levé.
C’était le rossignol et non l’alouette
Qui perçait ainsi ton oreille craintive.
La nuit, il chante là-bas sur ce grenadier1.
Crois-moi, mon amour, c’était le rossignol.
ROMÉO
C’était l’alouette, la messagère du matin,
Et non le rossignol : vois quelles lueurs envieuses
Festonnent2les nues3qui là-bas se scindent4à l’est.
Les bougies de la nuit sont éteintes et le joyeux matin
Avance à petits pas sur les crêtes vaporeuses.
Je dois partir et vivre, ou rester et mourir.
JULIETTE
Cette lumière là-bas, ce n’est pas l’aube, je le sais, moi :
C’est quelque météore que le soleil exhale5
Pour être cette nuit ton porteur de flambeau,
Et éclairer tes pas sur la route de Mantoue.
Oui, reste encore un peu. Nul besoin de partir.
ROMÉO
Qu’on me prenne et qu’on me mette à mort,
Cela m’est égal si c’est ton désir.
Je dirai que ce gris là-bas n’est pas l’œil du matin,
Mais le reflet du croissant de Cynthia6au front pâle.
Et je ne dirai pas que c’est une alouette dont les notes frappent
La voûte du ciel là-haut au-dessus de nos têtes.
Je préfère rester, je ne veux plus partir.
Mort, sois la bienvenue! c’est le vœu de Juliette.
Comment vas-tu, mon âme? Parlons, il ne fait pas encore jour.
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JULIETTE
Si, si, le jour se lève, pars, va-t-en, disparais!
Oui, c’est bien l’alouette qui chante aussi faux
Avec ses trilles7rauques et ses aigus discordants.
On dit que l’alouette sait faire de doux accords,
Ce n’est pas vrai car elle sépare nos corps.
On dit que l’alouette et l’affreux crapaud ont échangé leurs yeux
Oh! que n’ont-ils aussi échangé leurs voix, puisque cette voix
Qui nous alarme nous arrache aux bras l’un de l’autre :
Et te chasse d’ici avec cette fanfare pour chasseurs8.
Il fait de plus en plus clair, va-t-en à présent.
ROMÉO
Plus le jour apparaît, plus notre peine semble noire. […]
William Shakespeare, Roméo et Juliette, III, 5, 1595.
trad. F. Laroque, J.-P. Villquin, © Le Livre de Poche, 2005.
Roméo et Juliette
Avant de lire le texte
Le mot drame désigne :
– toute œuvre théâtrale ;
– plus spécifiquement, une pièce complexe,
au sujet grave, à l’intrigue nourrie de
risques et de rebondissements;
– un événement terrible, une catastrophe.
Auquel de ces sens rattachez-vous les mots
et expressions : dramaturge, dramaturgie,
œuvre dramatique?
qDécouvrir la représentation d’une passion
Espace scénique et mise en scène
1. Où et quand la scène se passe-t-elle? Citez le texte à
l’appui de votre réponse.
2. Relevez des éléments : 1) qui donnent à voir au spectateur
le monde extérieur; 2) qui le lui donnent à entendre.
3. a. Quel(s) rôle(s) cette évocation joue-t-elle : représenter le
cadre de l’action? créer une atmosphère poétique? Justifiez.
b. Selon vous, ces éléments doivent-ils figurer dans la mise en
scène?
La mise en place du drame
4. a. Quel drame est évoqué dans cet extrait?
b. En quoi le lieu et le moment créent-ils le drame?
5. a. Quelles figures de style reconnaissez-vous au vers 11?
b. Quel danger Roméo court-il ? Relevez dans cet extrait le
champ lexical qui correspond à ce danger.
6. a. Quelles figures de style reconnaissez-vous au vers 36 ?
b. Selon vous, de quoi cette réplique est-elle annonciatrice ?
L’expression de la passion
7. Relevez les pronoms personnels et les reprises nominales
qui désignent les deux protagonistes : quel lien soulignent-ils ?
8. a. À quel animal Juliette fait-elle référence (v. 2 à 5)?
Pourquoi?
b. V. 12 à 16 : quelle explication propose-t-elle pour refuser
l’aube? Est-elle vraisemblable?
c. Que souhaite Juliette?
9. a. Comment Roméo évoque-t-il l’aube (v. 6 à 11) ?
b. Quelles figures de style reconnaissez-vous? Donnez un
exemple pour chacune d’elle.
10. V. 17 à 25 : quels gages de sa passion Roméo offre-t-il à
Juliette?
11. a. Quelle est la nouvelle position de Juliette (v. 26) ?
Comment ce revirement s’explique-t-il?
b. V. 26 à 35 : quelle caractéristique de l’amour Juliette
exprime-t-elle? Répondez en citant le texte.
12. a. Quelle figure de style reconnaissez-vous (v. 34) ?
b. Quel est le double sens de cette fanfare?
c. En quoi correspond-elle au double sens du mot passion?
Les figures de style - p. 380
Faisons le point
Comment le texte fait-il naître l’espace scénique?
Pourquoi cette passion est-elle source de drame?
William Shakespeare
(1564-1616)
Poète et dramaturge anglais,
auteur de pièces de théâtre
parmi lesquelles: Roméo et
Juliette (v. 1595), Hamlet
(1600), Macbeth (v. 1606).
uPassions et conflits au théâtre
POUR ENTRER
DANS LA SÉQUENCE
Dans quelle autre séquence du manuel a-t-il été question de passion?
Rappelez les sens du mot passion.
Conflit vient du latin confligere, «heurter» ; que signifie le nom conflit?
TEXTES &IMAGES
Passions amoureuses
Par binômes, répartissez-vous les rôles et jouez ce passage en vous
efforçant de traduire le drame de la passion amoureuse.
Critères de réussite
Traduisez les revirements et hésitations des deux personnages.
Par vos gestes et votre ton, évoquez l’amour fou et la souffrance.
Mise en scène B. Lavigne,
Roméo (X. Gallais),
Juliette (T. Krcunovic),
Théâtre 13, Paris, 2005.
© R. Senera / Agence Enguerand/Bernand
Exercice d’expression théâtrale Lire l’image
Comment la passion exprimée dans le texte est-elle
traduite dans chaque mise en scène?
1. arbre fruitier.
2. ornent en forme de broderie.
3. nuages.
4. se séparent.
5. ici, envoie.
6. dans la mythologie grecque, autre
nom pour désigner la lune.
1. vexante.
2. L’accord se fait au singulier, car il faut
comprendre : «Ce mot ainsi que ce regard. »
3. petit minois, visage ravissant.
4. gamin.
5. bien vêtue (sens du XVIIesiècle).
6. élégante.
7. je te l’assure.
8. cajolerai.
9. colère.
10. but, entreprise.
11. repoussez durement.
12. lieu le plus gardé du couvent.
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25
Arnolphe, 42 ans, a séquestré une jeune fille de 17 ans, Agnès, dont
il veut faire sa femme, et l’a élevée à l’écart de tout. Mais la jeune fille,
lors d’une absence d’Arnolphe, fait la connaissance d’Horace, un jeune
homme, et découvre le sentiment amoureux. Arnolphe fait alors des
reproches à Agnès qui ne se laisse pas faire.
ARNOLPHE
[…] J’enrage quand je vois sa piquante1froideur,
Et quelques coups de poing satisferaient mon cœur.
AGNÈS
Hélas, vous le pouvez, si cela vous peut plaire.
ARNOLPHE
Ce mot, et ce regard désarme2ma colère,
Et produit un retour de tendresse et de cœur,
Qui de son action m’efface la noirceur.
Chose étrange d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses,
Tout le monde connaît leur imperfection.
Ce n’est qu’extravagance, et qu’indiscrétion;
Leur esprit est méchant, et leur âme fragile,
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle, et malgré tout cela
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
Hé bien, faisons la paix, va petite traîtresse,
Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse;
Considère par là l’amour que j’ai pour toi,
Et me voyant si bon, en revanche aime-moi.
AGNÈS
Du meilleur de mon cœur, je voudrais vous complaire,
Que me coûterait-il, si je le pouvais faire?
ARNOLPHE
Mon pauvre petit bec3, tu le peux si tu veux.
(Il fait un soupir.)
Écoute seulement ce soupir amoureux,
Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux4, et l’amour qu’il te donne;
C’est quelque sort qu’il faut qu’il ait jeté sur toi,
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Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.
Ta forte passion est d’être brave5et leste6,
Tu le seras toujours, va, je te le proteste7;
Sans cesse nuit et jour je te caresserai,
Je te bouchonnerai8, baiserai, mangerai;
Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire,
Je ne m’explique point, et cela c’est tout dire.
(À part.)
Jusqu’où la passion peut-elle faire aller?
(Haut.)
Enfin à mon amour rien ne peut s’égaler
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate?
Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux?
Veux-tu que je me tue ? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.
AGNÈS
Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme.
Horace avec deux mots en ferait plus que vous.
ARNOLPHE
Ah! c’est trop me braver, trop pousser mon courroux9;
Je suivrai mon dessein10, bête trop indocile,
Et vous dénicherez à l’instant de la ville;
Vous rebutez11 mes vœux, et me mettez à bout;
Mais un cul de couvent12 me vengera de tout.
Molière, L’École des femmes, V, 4, 1662.
L’École des femmes
Jean-Baptiste Poquelin,
dit Molière (1622-1673).
Molière est un dramaturge
français qui a écrit de
nombreuses pièces de
théâtre, dont des comédies-
ballets. Il a une expérience
complète du théâtre puisqu’il est
à la fois auteur, metteur en scène,
directeur de troupe, acteur et
gestionnaire. En 1662, l’année où il écrit
L’École des femmes, il épouse Armande
Béjart, de vingt ans plus jeune que lui.
Avant de lire le texte
1. Quel est le préfixe commun des verbes désarmer, dénicher?
Quel est le sens de ce préfixe?
2. Quel est le premier sens du verbe dénicher?
3. Observez la disposition du texte sur la page : quelle particularité
d’écriture repérez-vous?
uPassions et conflits au théâtre
TEXTES &IMAGES
Mise en scène E. Vigner, Arnolphe (B. Raffaelli),
Agnès (J. Korthals Altes), Comédie-Française,
Paris, 1999.
© B. Enguerand / Agence Enguerand/Bernand
Mise en scène J.-P. Vincent,
Arnolphe (D. Auteuil),
Agnès (L. Thibault), Théâtre
de l’Odéon, Paris, 2008.
© P. Poirier / Cit’en scène
Mise en scène C. Roumanoff,
Arnolphe (D. Berner),
Agnès (V. Roumanoff),
Théâtre Fontaine, Paris, 2007.
© Roumanoff
qÉtudier la passion dans une comédie
Le rapport de force
1. a. Observez la longueur des répliques : qui paraît en position
de supériorité?
b. La réponse d’Agnès (v. 40-41) confirme-t-elle cette impres-
sion? Expliquez.
2. a. Quelle est la solution envisagée par Arnolphe (v. 2)?
b. Selon vous, est-ce une solution de force ou de faiblesse ?
Expliquez.
3. Quelle est la décision d’Arnolphe (v. 42 à 46)? Est-il victo-
rieux ou vaincu ? Justifiez.
La passion d’Arnolphe
4. a. Vers 1 à 6 et 15-16 : quels sentiments successifs Arnolphe
éprouve-t-il?
b. Vers 7-8 et 33 : quel jugement Arnolphe porte-t-il sur le
sentiment qu’il éprouve?
5. a. Relevez les mots et expressions qui qualifient les femmes
(v. 7 à 14). Ce relevé donne-t-il une vision méliorative ou
péjorative des femmes?
b. Ce discours est-il capable de séduire Agnès? Justifiez.
6. a. Que fait Arnolphe (v. 22 à 39)?
b. Quelle image offre-t-il de lui-même ?
c. Son discours vous semble-t-il sincère? habile ? Justifiez vos
réponses.
d. Quel est le type de phrases employé dans les vers 35 à
38? Quel effet cela produit-il sur le spectateur?
7. a. Expliquez les vers 32 et 33 avec vos propres mots.
b. Qu’en est-il de l’amour-propre d’Arnolphe?
8. Quels sentiments Arnolphe suscite-t-il chez Agnès? chez
le spectateur?
Les types et les formes de phrases – p. 334
La leçon du passage
9. Relisez les vers 19 à 21 :
a. Que représente le pronom personnel «le »?
b. À quels modes et temps les verbes «vouloir» et «pouvoir»
sont-ils conjugués aux vers 19-20? au vers 21? Qu’exprime
ce choix de conjugaison?
10. a. Quel élément de la biographie de Molière peut éclairer
cet extrait théâtral ?
b. Molière brosse-t-il un portrait positif ou négatif d’Arnolphe ?
Justifiez.
11. Relisez les répliques d’Agnès : est-elle dépeinte en victime
ou en bourreau? Justifiez.
Faisons le point
En quoi Arnolphe éprouve-t-il
la passion amoureuse
aux deux sens du terme?
Cette passion vous paraît-elle
risible ou pitoyable ?
uPassions et conflits au théâtre
TEXTES &IMAGES
1. Ne vous moquez pas.
Perdican, le fils du baron, est amoureux de Camille, sa cousine, mais celle-ci le décourage
en lui annonçant qu’elle retourne dans son couvent. Perdican jette alors dans une fontaine
la bague que Camille lui avait donnée. Il décide de faire, à cette même fontaine, une
déclaration d’amour à Rosette, une jeune paysanne, en sachant que Camille est présente,
mais cachée. Camille tend alors un piège à Perdican : après avoir ouvert les yeux de Rosette,
elle la dissimule dans sa chambre et fait venir Perdican.
CAMILLE. – […] Entre Perdican. Bonjour, cousin, asseyez-vous.
PERDICAN. – Quelle toilette, Camille! À qui en voulez-vous?
CAMILLE. – À vous, peut-être; je suis fâchée de n’avoir pu me rendre au rendez-
vous que vous m’avez demandé; vous aviez quelque chose à me dire?
PERDICAN. – (À part.) Voilà, sur ma vie, un petit mensonge assez gros, pour un
agneau sans tache; je l’ai vue derrière un arbre écouter la conversation. (Haut.)
Je n’ai rien à vous dire, qu’un adieu, Camille; je croyais que vous partiez; cependant
votre cheval est à l’écurie, et vous n’avez pas l’air d’être en robe de voyage.
CAMILLE. – J’aime la discussion; je ne suis pas bien sûre de ne pas avoir eu envie
de me quereller encore avec vous.
PERDICAN. – À quoi sert de se quereller, quand le raccommodement est impossible?
Le plaisir des disputes, c’est de faire la paix.
CAMILLE. – Êtes-vous convaincu que je ne veuille pas la faire ?
PERDICAN. – Ne raillez pas1; je ne suis pas de force à vous répondre.
CAMILLE. – Je voudrais qu’on me fît la cour; je ne sais si c’est que j’ai une robe
neuve, mais j’ai envie de m’amuser. Vous m’avez proposé d’aller au village,
allons-y, je veux bien; mettons-nous en bateau; j’ai envie d’aller dîner sur
l’herbe, ou de faire une promenade dans la forêt. Fera-t-il clair de lune, ce soir?
Cela est singulier, vous n’avez plus au doigt la bague que je vous ai donnée.
PERDICAN. – Je l’ai perdue.
CAMILLE. – C’est donc pour cela que je l’ai trouvée; tenez, Perdican, la voilà.
On ne badine pas avec l’amour
Alfred de Musset
(1810-1857)
Écrivain français, il est auteur de
pièces de théâtre et de poèmes :
Les Nuits. Ses pièces de théâtre
ont été rassemblées sous le titre
général de Comédies et Proverbes.
Avant de lire le texte
1. Lequel de ces verbes est synonyme de
badiner : punir ? plaisanter ? consoler?
2. Que signifie le nom dépit, l’adjectif
dépité? l’adjectif dupe ?
Mise en scène L. Jouvet, Arnolphe (L. Jouvet),
Agnès (M. Ozeray), Théâtre de l’Athénée, Paris, 1936.
© Studio Lipnitzki / Roger-Viollet
Mise en scène J.-L. Boutté, Arnolphe
(J. Weber), Agnès (I. Carré), Théâtre
des Célestins, Paris, 1992.
© M. Enguerand / Agence Enguerand/Bernand
Lire l’image
1. Dans laquelle (lesquelles) de ces cinq mises
en scène l’interprétation montre-t-elle un
Arnolphe ridicule? amoureux? dominateur?
Justifiez.
2. Quel rapport de force entre les person-
nages chaque mise en scène traduit-elle?
Comment ?
Exercice d’expression théâtrale
Apprenez par cœur les vers 22 à 39 et interprétez-les devant la classe.
Vous pouvez choisir de jouer un Arnolphe passionné pour lequel le spectateur
peut éprouver de la compassion ou bien un Arnolphe ridicule.
Critères de réussite
– Inspirez-vous des mises en scène proposées pour camper votre personnage.
– Choisissez des gestes susceptibles d’amuser ou au contraire d’apitoyer.
– Variez vos intonations.
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20
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Mise en scène I. Ronayette,
Perdican (R. Carteaux),
Camille (O. Cote), Théâtre
Jean Vilar, Suresnes, 2003.
© R. Senera / Agence Enguerand/Bernand
qComprendre la comédie du jeu amoureux
Sur le mode du jeu
1. a. L. 1 à 19 : quel jeu Camille joue-t-elle face à Perdican?
b. Perdican est-il dupe de ce jeu ? Justifiez.
2. a. Relevez le champ lexical du jeu et du double jeu dans ce
passage.
b. Comment le jeu théâtral des comédiens peut-il rendre per-
ceptible le double jeu?
3. Qui, selon vous, fixe les règles du jeu dans cette scène? Justifiez.
4. En quoi la phrase «il nous faut souvent jouer un rôle» (l. 36)
peut-elle s’appliquer aux personnages de cette scène? Justifiez.
Le dépit amoureux
5. Quels sont les sentiments de Perdican pour Camille (l. 11 à 14)?
6. a. Pourquoi, selon vous, Camille met-elle la bague au doigt
de Perdican ?
b. Quel changement s’opère à ce moment-là dans la façon
dont Perdican s’adresse à Camille ?
c. Quel type de phrases emploie-t-il? Pourquoi?
d. Que reproche Perdican à Camille ?
7. a. L. 33 à 42 : quel argument Camille avance-t-elle pour se
défendre? Expliquez avec vos propres mots.
b. Quels types de phrases emploie-t-elle ? Pourquoi?
La vengeance
8. a. Quelle phrase Camille cherche-t-elle à faire prononcer à
Perdican dans le piège qu’elle lui tend ? Dans quel but ?
b. Quelle phrase, dans la dernière réplique de Camille, fait
échec à une phrase prononcée par Perdican?
9. En quoi consiste le coup de théâtre pour Perdican ? pour le
spectateur?
10. a. À partir du coup de théâtre, quel personnage mène la
conversation ?
b. Quel type de phrases Camille emploie-t-elle dans les
lignes 33 à 42? Pourquoi?
c. Quelle forme de phrases Camille utilise-t-elle dans les
lignes 54 à 61? Qu’exprime ce choix?
11. Que reproche Camille à Perdican ? Par quel sentiment
est-elle animée?
Les types et les formes de phrases – p. 334
Faisons le point
En quoi cet extrait met-il en scène une comédie du jeu
amoureux?
Comment le titre de la pièce prend-il sens dans cet extrait?
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PERDICAN. – Est-ce possible? Où l’avez-vous trouvée?
CAMILLE. – Vous regardez si mes mains sont mouillées, n’est-ce pas? En vérité,
j’ai gâté ma robe de couvent pour retirer ce petit hochet d’enfant de la fontaine.
Voilà pourquoi j’en ai mis une autre, et, je vous dis, cela m’a changée; mettez
donc cela à votre doigt.
PERDICAN. – Tu as retiré cette bague de l’eau, Camille, au risque de te précipiter?
Est-ce un songe? La voilà; c’est toi qui me la mets au doigt! Ah! Camille,
pourquoi me le rends-tu, ce triste gage d’un bonheur qui n’est plus? Parle,
coquette et imprudente fille, pourquoi pars-tu? pourquoi restes-tu? Pourquoi
d’une heure à l’autre, changes-tu d’apparence et de couleur, comme la pierre
de cette bague à chaque rayon de soleil ?
CAMILLE. – Connaissez-vous le cœur des femmes, Perdican ? Êtes-vous sûr de
leur inconstance, et savez-vous si elles changent réellement de pensée en
changeant quelquefois de langage? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il
nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir; vous voyez que je suis franche;
mais êtes-vous sûr que tout mente dans une femme, lorsque sa langue ment?
Avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent, à la rigueur avec
laquelle on le juge, aux principes qu’on lui impose? Et qui sait si, forcée à
tromper par le monde, la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y
prendre plaisir, et mentir quelquefois par passe-temps, par folie, comme elle
ment par nécessité?
PERDICAN. – Je n’entends rien à tout cela, et je ne mens jamais. Je t’aime
Camille, voilà tout ce que je sais.
CAMILLE. – Vous dites que vous m’aimez, et vous ne mentez jamais?
PERDICAN. – Jamais.
CAMILLE. – En voilà une qui dit pourtant que cela vous arrive quelquefois.
(Elle lève la tapisserie, Rosette paraît dans le fond, évanouie sur une chaise.)
Que répondrez-vous à cette enfant, Perdican, lorsqu’elle vous demandera
compte de vos paroles? Si vous ne mentez jamais, d’où vient donc
qu’elle s’est évanouie en vous entendant me dire que vous m’aimez ?
Je vous laisse avec elle; tâchez de la faire revenir. (Elle veut sortir.)
PERDICAN. – Un instant, Camille, écoute-moi.
CAMILLE. – Que voulez-vous me dire ? C’est à Rosette qu’il faut
parler. Je ne vous aime pas, moi; je n’ai pas été chercher par dépit cette
malheureuse enfant au fond de sa chaumière, pour en faire un appât,
un jouet; je n’ai pas répété imprudemment devant elle des paroles
brûlantes adressées à une autre; je n’ai pas feint de jeter au vent
pour elle le souvenir d’une amitié chérie; je ne lui ai pas mis ma
chaîne au cou; je ne lui ai pas dit que je l’épouserais.
PERDICAN. – Écoute-moi, écoute-moi!
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, III, 6, 1834.
uPassions et conflits au théâtre
TEXTES &IMAGES
Exercice d’expression orale et scénique
Entraînez-vous à jouer le début du passage jusqu’à la ligne 32.
Critères de réussite
Apprenez par cœur le texte pour pouvoir vous consacrer au jeu.
Traduisez le double jeu de Perdican et de Camille par l’into-
nation, les gestes et les attitudes.
Mise en scène C. Huppert, Perdican (D. Haudepin),
Camille (I. Huppert), Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, 1977.
© Agence Enguerand/Bernand
Mise en scène P. Sireuil, Perdican (P. Grand Henri),
Camille (V. Lemaître), Théâtre Varia, Bruxelles, 1995.
© M. Enguerand / Agence Enguerand/Bernand
Lire l’image
1. Dans chacune des quatre mises en scène,
quels éléments du texte identifiez-vous dans
le décor? dans les costumes ? dans le jeu des
acteurs?
2. Quelle est votre mise en scène préférée?
Pourquoi?
Mise en scène
J.-P. Vincent, Perdican
(E. Lefoulon), Camille
(V. Dreville) Théâtre
de la Ville, Paris, 1989.
© M. Enguerand / Agence
Enguerand/Bernand
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