Le metteur en scène a aussi joué sur l’éclairage :
des couleurs chaudes comme le rouge ou l’orange
viennent donner encore plus de vie aux
interventions dynamiques du chœur, alors que des
couleurs froides comme le bleu viennent accentuer
les scènes tragiques où il est question de la mort.
Lors de la dernière scène, c’est une douche dirigée
sur Créon qui s’éteindra progressivement,
symbolisant peut-être sa vie qui sombre dans les
regrets et la douleur.
Créon centre de l’attention
Le groupement de pièces mises en scène par
Wajdi Mouawad a beau s’intituler Des Femmes,
c’est sans conteste sur Créon qu’est orientée cette
représentation d’Antigone. C’est dans ses yeux
plutôt que dans ceux de sa nièce qu’on assiste au
drame qui se joue à Thèbes. Son personnage est
présent sur scène presque durant toute la pièce,
c’est d’ailleurs sur lui qu’elle se termine. Son
importance est renforcée par le très bon jeu du
comédien, Patrick Le Hauff. Il est intimidant dans
sa colère contre le traître qui a bravé ses ordres
pour enterrer Polynice, et on a envie de le craindre
quand il exerce son autorité sur le garde, perdu,
qui vient lui annoncer ce qu’il aurait voulu ne
jamais entendre. On doute avec lui quand il se
demande, confronté aux membres de sa famille,
s’il doit vraiment faire exécuter Antigone. C’est
tout ce poids et cette responsabilité sur ses
épaules, ainsi que tous ces morts qui le mèneront à
la folie. La scène où il sombre dans la démence est
brillamment interprétée, et on termine la pièce sur
une très bonne impression, un bon point comparé
à la douteuse entrée en matière.
Un spectacle musical
Lorsque l’on met en scène une tragédie grecque
comme Antigone, l’une des grandes questions que
l’on doit se poser est certainement : comment
représenter le chœur, ce personnage multiple
auquel on identifie la voix du peuple ? Wajdi
Mouawad a choisi d’utiliser la musique, et
cherchait un artiste « proche d’une certaine
conception de la poésie » et capable de nous faire
parvenir une « douceur, une complainte ». Il a
donc pensé à Bertrand Cantat, ancien membre du
groupe Noir Désir avec qui il entretient une amitié
de longue date, pour composer les morceaux.
Les interventions du chœur sont donc
exclusivement musicales : les membres du chœur
sont musiciens et jouent en direct. Ils nous offrent
un rock brut, puissant, empreint d’une certaine
mélancolie, un rock talentueux valorisé par
l’incroyable acoustique du lieu. Bertrand Cantat,
initialement censé être présent au chant, était pour
certaines raisons remplacé par un chanteur à la
voix impressionnante, mais malheureusement pas
vraiment à la hauteur dans son jeu de comédien
puisqu’il se démarquait trop des membres du
chœur, supposés ne faire qu’un. Mais malgré son
absence physique, on sent assurément la signature
de Cantat dans sa musique. Deux morceaux seront
d’ailleurs joués en off, avec sa propre voix.
Cette interprétation du chœur est certainement ce
qui donne la puissance de cette représentation. On
retient surtout la scène où, avant de mourir,
Antigone danse sur un morceau de rock pur joué
avec brio pas les membres du chœur. Elle danse
comme chacun le fait lors d’un concert : comme
s’il n’existait pas de lendemain. A la différence
qu’il n’en existe plus pour elle. Elle danse, et on
ressent les vibrations de la musique nous parcourir
l’échine par ce frisson si particulier. Elle va
mourir, et elle nous offre sa présence dans un
frisson, comme pour ne pas mourir seule.
Éloïse Liogier.