Antigone au rythme du rock
Jeudi 17 novembre dans l’après-midi, les élèves de l’option théâtre ainsi que les 1ère L se sont rendus à Lyon pour
assister à la représentation d’Antigone, dans une mise en scène de Wajdi Mouawad.
(http://www.lequartz.com/?q=fr/content/saison-1112/antigone )
En attendant l’entrée en scène des comédiens, on
jette un œil autour de soi. Le théâtre des Célestins,
à Lyon, est plutôt impressionnant.
Malheureusement, s’agissant d’un théâtre à
l’italienne, il est plus conçu pour être vu que pour
voir. Placés dans les balcons, nous devrons
regarder la pièce dans une posture plutôt
inconfortable.
Une pièce symboliste et intemporelle
Première scène, Antigone et Ismène sont seules
sur les planches et introduisent l’histoire. Si cette
entrée en matière se voulait accrocheuse, c’est
plutôt raté : les comédiennes restent statiques tout
du long et débitent leur texte presque sans se
regarder. On a du mal à accrocher, d’autant plus
que le texte de Sophocle n’est pas des plus
accessibles. Fort heureusement pour nous, les
scènes à suivre se révèleront plus intéressantes.
La première chose que l’on remarque, c’est qu’il
est quasiment impossible de dater cette pièce. Les
comédiens portent des vêtements intemporels, des
robes simples pour les femmes, des ensembles
foncés pour les hommes. Mis à part peut-être le
bandeau qu’Antigone porte sur le front, il n’y a
pas non plus de réels signes de hiérarchie : Créon,
le roi, ne porte aucune couronne ni bijou qui
laissent supposer de son statut. Seule sa prestance
indique sa puissance.
La mise en scène est pleine de symboles, plus ou
moins clairs et compréhensibles. La fatalité de la
mort pèse sur les personnages. Lors de la première
scène, Antigone s’enduit de terre : elle sait qu’elle
va mourir, que son destin est de finir sous terre.
Elle sera plus tard emmurée, et une cage en métal
sera descendue pour symboliser l’enfermement.
Auparavant, cette cage est suspendue, bien visible
depuis le début de la pièce, au-dessus de la scène.
C’est la mort qui plane au-dessus de la tête
d’Antigone, la mort à laquelle elle est promise
depuis qu’elle a décidé d’enterrer Polynice, son
frère. On note également une grande utilisation de
l’eau dans la mise en scène, notamment lorsque
les membres du chœur se font passer une carafe
d’eau. Peut-être symbolise-t-elle la pureté, mais il
faut avouer que le message porté par ses
interventions est resté plutôt flou. De même pour
le rideau blanc cassé du fond de scène, dans lequel
s’enrouleront parfois Antigone, Ismène et Hémon.
C’est beau, poétique, mais la raison de la présence
de cet élément m’est resté inconnue.
Le metteur en scène a aussi joué sur l’éclairage :
des couleurs chaudes comme le rouge ou l’orange
viennent donner encore plus de vie aux
interventions dynamiques du chœur, alors que des
couleurs froides comme le bleu viennent accentuer
les scènes tragiques il est question de la mort.
Lors de la dernière scène, c’est une douche dirigée
sur Créon qui s’éteindra progressivement,
symbolisant peut-être sa vie qui sombre dans les
regrets et la douleur.
Créon centre de l’attention
Le groupement de pièces mises en scène par
Wajdi Mouawad a beau s’intituler Des Femmes,
c’est sans conteste sur Créon qu’est orientée cette
représentation d’Antigone. C’est dans ses yeux
plutôt que dans ceux de sa nièce qu’on assiste au
drame qui se joue à Thèbes. Son personnage est
présent sur scène presque durant toute la pièce,
c’est d’ailleurs sur lui qu’elle se termine. Son
importance est renforcée par le très bon jeu du
comédien, Patrick Le Hauff. Il est intimidant dans
sa colère contre le traître qui a bravé ses ordres
pour enterrer Polynice, et on a envie de le craindre
quand il exerce son autorité sur le garde, perdu,
qui vient lui annoncer ce qu’il aurait voulu ne
jamais entendre. On doute avec lui quand il se
demande, confronté aux membres de sa famille,
s’il doit vraiment faire exécuter Antigone. C’est
tout ce poids et cette responsabilité sur ses
épaules, ainsi que tous ces morts qui le mèneront à
la folie. La scène où il sombre dans la démence est
brillamment interprétée, et on termine la pièce sur
une très bonne impression, un bon point comparé
à la douteuse entrée en matière.
Un spectacle musical
Lorsque l’on met en scène une tragédie grecque
comme Antigone, l’une des grandes questions que
l’on doit se poser est certainement : comment
représenter le chœur, ce personnage multiple
auquel on identifie la voix du peuple ? Wajdi
Mouawad a choisi d’utiliser la musique, et
cherchait un artiste « proche d’une certaine
conception de la poésie » et capable de nous faire
parvenir une « douceur, une complainte ». Il a
donc pensé à Bertrand Cantat, ancien membre du
groupe Noir Désir avec qui il entretient une amitié
de longue date, pour composer les morceaux.
Les interventions du chœur sont donc
exclusivement musicales : les membres du chœur
sont musiciens et jouent en direct. Ils nous offrent
un rock brut, puissant, empreint d’une certaine
mélancolie, un rock talentueux valorisé par
l’incroyable acoustique du lieu. Bertrand Cantat,
initialement censé être présent au chant, était pour
certaines raisons rempla par un chanteur à la
voix impressionnante, mais malheureusement pas
vraiment à la hauteur dans son jeu de comédien
puisqu’il se démarquait trop des membres du
chœur, supposés ne faire qu’un. Mais malgré son
absence physique, on sent assurément la signature
de Cantat dans sa musique. Deux morceaux seront
d’ailleurs joués en off, avec sa propre voix.
Cette interprétation du chœur est certainement ce
qui donne la puissance de cette représentation. On
retient surtout la scène où, avant de mourir,
Antigone danse sur un morceau de rock pur joué
avec brio pas les membres du chœur. Elle danse
comme chacun le fait lors d’un concert : comme
s’il n’existait pas de lendemain. A la différence
qu’il n’en existe plus pour elle. Elle danse, et on
ressent les vibrations de la musique nous parcourir
l’échine par ce frisson si particulier. Elle va
mourir, et elle nous offre sa présence dans un
frisson, comme pour ne pas mourir seule.
Éloïse Liogier.
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