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formes de la condition juive dont l’évolution nit par
s’inscrire dans le cadre de l’identité que lui assignent,
à son corps défendant, le regard et le discours de
l’opinion publique, voire certains actes politiques des
pouvoirs publics. C’est la naturalisation d’un jeu pipé
qui se produit alors.
La communautarisation du haut des sommets de l’État
On peut en effet se demander dans quelle mesure le
pouvoir politique ne pratique pas lui même la politi-
que de communautarisation portant si lourdement
décriée. Deux faits bizarres concernant la commu-
nauté juive peuvent l’illustrer (sans que l’on aborde
les politiques municipale, régionale, pourvoyeuses
elles mêmes de communautarisation à travers le nan-
cement de nombre d’associations immigrées).
Il est ainsi difcile de comprendre pourquoi le
ministère de l’intérieur a encouragé le CRIF à ren-
contrer l’UOIF, si ce n’est dans une optique de com-
munautarisation qui conçoit les deux associations
comme des associations communautaires, potentiel-
lement en conit et qu’il faut pacier. Or, rien ne
fonde dans le principe une telle rencontre, car le
CRIF n’est nullement un vis à vis de l’UOIF, dont la
connotation religieuse partisane est évidente, même
par rapport au CFCM. Leur statut n’est nullement
comparable : l’un est fondé dans la Résistance en vis à
vis du Conseil National de la Résistance pour récuser
l’UGIF sous la gouvernance de Vichy, l’autre est une
association d’originaires, proche du mouvement fon-
damentaliste des Frères musulmans. La conséquence
d’une telle démarche ne peut que mettre indûment le
CRIF au niveau de l’UOIF en effaçant tout de même
deux siècles d’histoire juive en France. Ici, la politique
gouvernementale communautarise objectivement le
judaïsme français. Pour quelle nalité? Conférer un
certicat de bonne socialité à l’UOIF, en lui faisant
partager la légitimité du judaïsme français ? Jeu très
risqué car il campe le CRIF comme un pendant de
l’UOIF…
1. Est communautariste, toute relation qui instaure un niveau
intermédiaire obligatoire entre l’État et le citoyen individuel, que
l’État concède à ce niveau une fonction de répartition, de gestion
ou de représentation (dans la mesure où il l’instituerait comme
représentant une catégorie de citoyens) ou qu’une instance,
émergée de la société civile, manifeste l’ambition de représenter
devant l’État une catégorie de citoyens (dont elle ne pourra (et
ne devra) pas revendiquer le suffrage universel, auquel seuls les
représentants de l’État ont droit).
2. Cette médiation assignerait immanquablement la catégorie
médiatisée à une coutume, une normativité, un droit qui ne serait
pas ceux qui découlent du contrat démocratique, source du droit.
Elle serait à la discrétion de la dite communauté et tout spéciale-
ment du bon vouloir de ses représentants. L’État démocratique,
émanant du suffrage universel, concéderait en effet, alors, à l’ins-
tance médiatrice, ainsi reconnue, des pouvoirs qu’elle ne tirerait
pas du suffrage universel. Même si cette médiation n’ambitionnait
qu’une représentativité politique, sans aucune juridiction interne,
le contrat démocratique se verrait rompu.
3. La règle de la démocratie implique en effet que les acteurs de la
politique soient contrôlés par le suffrage universel. Or ce contrôle
ne peut et ne doit se faire qu’à l’échelle de tout le corps politique
concerné, dans la mesure où l’État, ainsi né du suffrage universel,
incarne son unité, sa cohérence, c’est à dire des relations d’égalité
intrinsèques, systémiques entre tous ses membres. Le suffrage
universel fait des individus le siège du contrôle démocratique et
de la citoyenneté son exercice.
4. Par contre, des groupes de citoyens peuvent s’organiser et s’asso-
cier pour défendre les intérêts spéciques qui les réuniraient, pourvu
qu’ils restent en dehors de cette scène où seul prévaut le bien public
incarné par l’État. Seuls les acteurs politiques collectifs que sont les
partis sont habilités à promouvoir ces intérêts sur la scène du pouvoir
car seuls ils sont l’objet d’un contrôle de tout le corps politique.
5. La puissance publique pourra répondre aux démarches de
ces associations et satisfaire éventuellement leurs demandes
sans préjudice pour l’ensemble des citoyens ou chaque citoyen
en particulier. L’exercice de cette demande, qui exclut les objets
politiques, doit rester conné au domaine social, culturel, mémo-
riel, à tout ce qui relève de la culture de l’identité collective dans
ses diverses modalités, hors de tout rapport quantitatif (majorité
– minorité) et ne pouvant donc être l’objet du suffrage universel.
L’identication communautaire, inscrite dans ces domaines, ne
peut et ne doit pas être qualiée de « communautariste ». Elle est
légitime et légale selon les critères de la République.
6. Si les modalités de cette identité collective sont plurielles, l’iden-
tité collective reste, elle, au singulier : elle se réfère à la nation. La
même nation peut en effet se décliner sous diverses modalités et
adopter différentes formes et congurations. Quels sont les critè-
res de cette unité ? Essentiellement quatre : l’expression de cette
identité dans la langue française et ses formes culturelles, qu’elle
soit ou pas au carrefour d’autres langues ; dans l’espace français,
qu’il soit ou pas au carrefour d’autres espaces et registres sym-
boliques ; l’assomption des valeurs républicaines, notamment
l’universalité de la Loi, la laïcité de l’État et de la vie publique, l’as-
somption de l’identité historique majoritaire de la France, matrice
de sa culture, relevant du donné existentiel, comme cadre global
de la déclinaison identitaire. Elle doit donc se construire comme
un surcroît à l’identité nationale, non en substitut ni en soustrac-
tion à elle, sans obligation ni assignation pour ses membres, par
ailleurs et en premier lieu citoyens, membres individuels du corps
politique, libres d’adhérer ou de se démettre de leur appartenance
à une communauté.
7. Cette unité de la nation, de l’État et de la politique (qu’elle soit
régionalisée ou centralisée) vise à préserver la liberté et l’égalité
politiques de chaque citoyen an qu’il ne soit pas privé de sa
liberté de choix et qu’il ne tombe pas dans un rapport de domi-
nation au cas où une communauté, pour quelque raison que ce
soit, serait plus puissante qu’une autre. Elle suppose qu’il y ait un
domaine public, national et étatique, objet du respect de tous.
C’est la condition indispensable à l’exercice du contrôle démocra-
tique par le suffrage universel et à la permanence d’une identité
commune à tous les citoyens.
* extrait de Shmuel Trigano « Contre la féodalisation de la démo-
cratie », Le Figaro [23 février 2004]
LE COMMUNAUTARISME*
Essai de dénition
Shmuel Trigano