© Faculté autonome de théologie protestante - Université de Genève - 2008
1
THEOLOGIE OECUMENIQUE ET THEOLOGIE DES RELIGIONS Brevet
unique
Leçon 4 :
Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations (2)
Cours conçu par Shafique Keshavjee, professeur ordinaire
Assistant : Bruno Gérard
COURS
Juifs, chrétiens et musulmans : entre antagonismes et réconciliations
Un regard synoptique, une perspective chrétienne
1. Les identités « en bref »
2. Entre antagonismes et réconciliations
3. Trois manières de croire et de vivre Dieu, l’humain et le monde
4. Forces et faiblesses respectives
Transition avec la leçon précédente : Je vous invite à lire le texte de Léon Askénazi dans les
Annexes consacré à la généalogie de Jésus chez Matthieu. Mais avant de lire cet article, relire bien
sûr le texte même de Matthieu 1/1-16… avec la question préalable : quel fut le nom du père de
Joseph, époux de Marie ?
Note : Ce texte du NT est capital dans le sens littéral aussi de celui qui vient en tête. Cette
généalogie, à première vue aride, est selon moi superbe !
Observez la première lettre en grec du texte, le premier mot, le choix des femmes, réfléchissez au
sens du 3x14 générations ; et comptez le nombre effectif de personnes citées…
Forum : Quelles sont vos réflexions suite à la lecture du texte de Léon Askénazi « La généalogie
« fils de Joseph » selon Matthieu 1/1-16 » et vos propres réflexions sur cette généalogie?
© Faculté autonome de théologie protestante - Université de Genève - 2008
2
3. Trois manières de croire et de vivre Dieu, l’humain et le monde
Juifs, chrétiens et musulmans ont trois manières proches et différenciées de croire en Dieu, de concevoir l’humain et de voir le monde.
Pour saisir ces similitudes et ces distinctions, il importe de bien comprendre leurs rapports spécifiques aux textes de référence et leurs perceptions
particulières de la Révélation.
3.1. Textes de référence et perceptions de la Révélation
Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO Fiche ENBIRO
Les juifs
Textes de référence
La Torah a un caractère saint. La “tradition écrite” est
constituée de la Torah et des autres livres bibliques (les
Prophètes et les Ecrits). Fixée dans la Michnah et
commentée dans le Talmud, la “tradition orale” est mise
en oeuvre dans des codes (le Choulhan Aroukh), des
commentaires (tel Rachi), des ouvrages théologiques et
dans des courants mystiques (Kabbale) et piétistes
(Hassidisme).
Les chrétiens
Textes de référence
La Bible chrétienne comprend la Bible juive (Ancien
Testament) ainsi que les Evangiles et les Ecrits des
Apôtres (Nouveau Testament).
Les musulmans
Textes de référence
Le Coran, en arabe “la récitation”, est la Parole de Dieu
descendue sur Muhammad par l’intermédiaire de
l’archange Gabriel. Constit de 114 sourates ou
chapitres, le Coran est inimitable ; il inspire toute la vie
religieuse et sociale des musulmans.
Commentaires :
Il est intéressant d’observer comment les trois personnes qui ont rédigé ces fiches présentent leurs textes. La fiche juive et la fiche musulmane
évoquent l’origine divine de leurs Ecrits (La Torah a un caractère saint ; Le Coran est la Parole de Dieu, la médiation de l’archange Gabriel, le
Coran est inimitable) ; la fiche chrétienne par contre est simplement descriptive…
1
1
Si d’autres chrétiens avaient été sollicités, ils auraient probablement évoqué l’inspiration des Ecritures (2 Timothée 4/16) ou encore que la Bible est -ou contient- la Parole de
Dieu. C’est une des réalités du dialogue : souvent les chrétiens qui le pratiquent ont profondément intégré l’approche « neutre » venant de la science des religions et semblent
alors peu engagés dans leur foi.
© Faculté autonome de théologie protestante - Université de Genève - 2008
3
Textes fondateurs juifs
La double Torah
2
(Torah écrite et Torah
orale)
3
.
La Torah écrite (Torah« Loi »- Nevi’im
« Prophètes »- Ketouvim « Ecrits » ou
Tanakh
4
) est largement commentée
5
,
notamment dans le Midrach
6
.
La Torah orale est recueillie notamment dans
le Talmud, lui-même composé de la Michnah
et de la Gemarah
7
.
Commentaires ultérieurs.
Textes fondateurs chrétiens
La Bible chrétienne
8
.
Les textes conciliaires
9
.
Les Confessions de foi et catéchismes
10
.
Les commentaires des Pères de l’Eglise
jusqu’aux théologiens et philosophes
contemporains.
Textes fondateurs musulmans
Le Coran
11
.
Les hadith.
Les tafsîr.
Le fiqh.
Le kalâm et la falsafa
12
.
2
D’une racine yrh signifiant instruire ou indiquer (une direction).
3
La littérature juive est vaste (voir dans les Annexes la fiche intitulée « A Classification of Torah Literature »).
4
Cette structure en trois parties se retrouve notamment dans Luc 24/44 –« Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (premier texte des Ecrits).
5
Il est un livre extrêmement précieux pour toute personne intéressée par la Bible hébraïque et la tradition juive, c’est The Jewish Study Bible, Oxford University Press, 2004.
Cet ouvrage, équivalent juif et anglophone de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible), contient une synthèse de commentaires sur toute la Bible hébraïque, et cela à
partir d’une lecture moderne et critique des textes. Cet ouvrage et la TOB devraient constituer ensemble les bases bibliques de tout étudiant en théologie.
6
Le midrach, d’une racine hébraïque signifiant interroger, enquêter (cf. 2 Chroniques 13/22 ; 24/27) et par extension prêcher, est un commentaire rabbinique de la Bible
visant à expliciter des lois en traitant des parties législatives de la Bible (midrach halakha, racine=marcher) ou à édifier moralement par des récits en traitant les parties
narratives de la Bible (midrach aggadah, racine=récit). Pour une bonne introduction, cf. de David Banon, Le Midrach, Paris PUF, 1995. Pour une première découverte de
textes midrachiques, cf. de José Costa, La Bible racontée par le Midrash, Paris, Bayard, 2004. Cinquante textes bibliques sont commentés à partir du midrach. Passionnant et
déroutant !
7
Talmud vient d’une racine lmd signifiant étude. Vaste corpus existant en deux versions, l’une rédigée en Israël –et appelée Talmud de Jérusalem- et l’autre rédigée à
Babylone et appelée Talmud de Babylone (plus volumineux). Ce corpus rassemble des traditions mises par écrit entre 200 av. J.-C. et 500 après J.-C. Constitué de la Michnah
–racine chanah signifaint répéter- qui est une codification vers 200 après J.-C. de la Loi orale, reçue par Moïse au Mont Sinaï et transmise aux Anciens, puis aux Prophètes et
aux membres de la Grande Synagogue (du temps d’Esdras) (cf. Pirqé Avot 1/1) et de la Gemarah, commentaires des rabbins ultérieurs sur la Michnah, le Talmud est fort
complexe. En français, la traduction –et mise en perspective créatrice !- la plus imposante est celle du rabbin Adin Steinsaltz (Editions Jean Claude Lattès, 1994).
8
Comme la Bible est largement étudiée dans d’autres cours, je ne citerai aucun ouvrage de référence ici.
9
Il serait erroné de croire que du côté chrétien, tout serait clos avec la Bible. Les textes des Conciles ont joué un rôle « cadreur » fort important. Cf. sous la direction de G.
Alberigo, Les Conciles œcuméniques, 1. L’Histoire, 2. Les Décrets (De Nicée à Latran V), Paris, Cerf, 1994.
10
Les Confessions de foi et catéchismes offrent aussi un cadre interprétatif et évolutif dans lequel le message de la Bible est sans cesse repensé et réactualisé. Pour la tradition
protestante, cf. André Birmelé et Marc Lienhard, La foi des Eglises luthériennes. Confessions et catéchismes, Cerf/Labor et Fides, 2003 ; Oliver Fatio (dir.), Confessions et
catéchismes de la foi réformée, Labor et Fides, 2005 ; Henry Mottu (éd.), Confessions de foi réformées contemporaines, Labor et Fides, 2000.
© Faculté autonome de théologie protestante - Université de Genève - 2008
4
Commentaires :
* La Bible hébraïque et la Bible chrétienne partagent pour l’essentiel les textes du premier Testament. Les différences concernent l’intégration
chez les chrétiens des textes appelés deutéro-canoniques ou apocryphes (ensemble d’écrits postérieurs aux « grands » et « petits » prophètes et
intégrés dans la traduction grecque de la Bible hébraïque –la Septante-, au 3
ème
siècle avant J.-C. à Alexandrie), et le refus de les incorporer chez
les juifs
13
. Il est intéressant de remarquer que les ordres des textes sont différents dans les deux Bibles. Dans l’hébraïque, le dernier texte est celui
de 2 Chroniques ; dans la chrétienne –qui a suivi l’ordre de la LXX, en inversant toutefois l’ordre des Prophètes- le dernier est celui de
Malachie
14
.
Comparer les deux « fins » des textes canoniques juif et chrétien : 2 Chroniques 36/22-23 et Malachie 3/22-24.
Vous poser la question : Pourquoi ces choix ? Quelle théologie de l’histoire chacun de ces choix induit-il ?
11
Il existe différentes traductions du Coran en français. Je n’en mentionnerai que trois ici. D. Masson, Le Coran I et II, Gallimard, 1967 (très utile par la connaissance réelle
des sources juives, chrétiennes et musulmanes manifestées dans les notes) ; Mohammed Chiadmi, Le Noble Coran, Editions Tawhid, 2005 (utile pour ses commentaires
reflétant une théologie musulmane traditionnelle) ; Cheikh Si Hamza Boubakeur, Le Coran, Fayard, 1985 (gros ouvrage de 1163 pages avec d’abondantes notes). Pour un
ouvrage classique d’introduction, cf. Régis Blachère, Le Coran, PUF, 1977. Pour une approche historico-critique du Coran, cf. Christoph Luxenberg (pseudonyme) Die syro-
aramaeische Lesart des Koran; Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Qur’ānsprache. Berlin, Germany: Das Arabische Buch, First Edition, 2000. Une recension en anglais de
cet ouvrage en allemand se trouve dans Hugoye, Journal of Syriac Studies, vol. 6 no 1, janvier 2003 et peut être trouvé sur le site
http://syrcom.cua.edu/Hugoye/Vol6No1/HV6N1PRPhenixHorn.html (10/5/2006). Voici une des conclusions à laquelle arrive l’auteur : If Luxenberg’s analysis is even in
broad outline correct, the content of the Qur’ān was substantially different at the time of Muhammad and
c
Uthmān’s redaction played a part in the misreading of key passages.
Were these misreadings intentional or not? The misreadings in general alter the Qur’ān from a book that is more or less harmonious with the New Testament and Syriac
Christian liturgy and literature to one that is distinct, of independent origin.” Si ces recherches s’avèrent sérieuses –je n’ai pas les compétences pour en juger- ce sera
révolutionnaire!
12
Les hadîth sont les propos rapportés à Mohammed, et ne se trouvant pas dans le Coran. Il y a de nombreux recueils de hadîth, plus ou moins fiables. Celui de Bokhâri est
considéré comme l’un des meilleurs. Cf. El-Bokhâri, Les traditions islamiques, 4 volumes, Paris, Maisonneuve, 1977. Un tafsîr, littéralement « explication » est un
commentaire du Coran ; et ces commentaires ont bien sûr fleuri. Le fiqh est la science de la Loi, ou le droit musulman dont il existe quatre écoles sunnites principales
(hanafite, malikite, shafi’ite, hanbalite) ; le kalâm, science de la parole, ou théologie et le falsafa, philosophie hellénisante, ont aussi fortement marqué l’évolution de la
pensée islamique. Pour une bonne introduction sur tous ces sujets, cf. le classique de Louis Gardet, L’ISLAM. Religion et Communauté, Desclée de Brouwer, 1967.
13
C’est à Jamnia, entre 80 et 100 après J.-C. que les rabbins juifs ont fixé le canon de leur Bible.
14
La TOB par contre a choisi de reprendre l’ordre de la Bible hébraïque.
© Faculté autonome de théologie protestante - Université de Genève - 2008
5
Pour la tradition juive
Jacob Neusner, grand spécialiste de la littérature juive, a écrit des lignes passionnantes sur ce sujet. « Le judaïsme le plus important
historiquement, qui est celui de la double Torah et s’est formé au cours des six premiers siècles de l’ère chrétienne, n’est pas une religion issue
d’un livre, même de ce livre qu’est la Bible. Il se réfère à un canon, mais à un canon qui ne prend pas uniquement la forme d’un livre ni même
d’une tradition orale. Il est une religion qui repose sur l’idée de Torah, c’est-à-dire de Révélation. Et cette révélation s’est précisément exprimée
ou s’exprime sous trois formes : un livre, la Bible hébraïque (pour une large part, l’Ancien Testament du christianisme) ; une tradition orale
mémorisée, puis mise par écrit dans la Mishnah, à partir de 200 après J.-C. environ, ainsi que dans d’autres documents ultérieurs ; enfin, surtout,
le modèle d’un sage qui incarne ici et maintenant, le paradigme de Moïse, et qu’on appelle rabbin. Le judaïsme de la double Torah, qui n’est
qu’un des nombreux judaïsmes connus dans l’histoire, est donc la religion non de la Bible, mais de la Torah s’exprimant par ces différents
moyens, qui ne relèvent pas tous de l’écriture ni même de la parole. »
15
Selon Neusner, la Révélation juive s’exprime sous trois formes : une Ecriture (Bible hébraïque) ; une Parole (une tradition orale, Mishnah et
commentaires) et une Personne (le rabbin, modèle d’un sage)
16
.
Commentaire :
A temps et à contretemps, il est répété que judaïsme, christianisme et islam sont « trois religions du Livre ». Cette perspective est peut-être celle
que les musulmans ont pour les juifs et les chrétiens (« les gens du Livre »), mais elle n’est pas celle que les juifs et les chrétiens ont d’eux-
mêmes ! Selon Neusner, le judaïsme est une religion non d’un Livre, mais de la Torah s’exprimant sous trois formes différentes ; d’autres juifs
ont décrit leur tradition comme étant celle, non d’un Livre, mais de l’interprétation d’un Livre ! Ce qui est fort différent.
De même, pour les chrétiens, au cœur de leur foi, il n’y a pas un Livre, mais une Personne dont un Livre rend témoignage.
15
Le grand atlas des religions, Encyclopaedia Universalis, 1988, p.226.
16
Il est intéressant de mettre en lien ces trois formes de la Révélation selon Neusner avec les trois formes de la Parole de Dieu chez Karl Barth : la révélation de Dieu en Jésus,
dans l’Ecriture et dans la prédication de l’Eglise. (Pour une présentation de l’actualité de Barth, cf. l’ouvrage de Denis Müller, Karl Barth, Paris, Cerf, 2005). Cette théologie a
fortement stimulé les Eglises protestantes du 20
ème
siècle, notamment en revalorisant la prédication à partir de l’Ecriture et une conscience forte de la révélation du Dieu de
Jésus-Christ. Une des faiblesses de la tradition réformée, selon moi, c’est d’une part d’avoir privilégié la parole du théologien aux dépens de celle des laïcs (les Eglises
réformées sont trop discursives et cérébrales et pas assez participatives !) et d’autre part d’avoir privilégié la parole du théologien aux dépens des autres facettes de sa vie.
Selon Neusner, c’est « le modèle du sage » qui compte, et pas seulement sa parole. Avis donc à toute personne souhaitant devenir un théologien nourri par les richesses de la
tradition juive !
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !