
6 7
l’exploration des diérents registres du clavier. 
Enn, l’Allegro nal laisse exploser une 
virtuosité débridée, dans une veine qui n’a rien à 
envier aux plus brillants concertos italiens.
—
Bénédicte Hertz
Sergueï Prokofiev
Symphonie n° 1, en ré majeur, op. 25, 
«Symphonie classique»
Composition: 1916-1917. Création: Petrograd, 21 
avril 1918, sous la direction de l’auteur. Dédicace: à 
Boris Asafiev.
Avant de composer sa Première Symphonie, dite 
«classique», en 1916, Prokoev avait sacrié au 
primitivisme. En eet, un an plus tôt, il avait 
rencontré à Londres Serge Diaghilev, qui lui 
avait commandé un ballet, Ala et Lolly, situé chez 
les Scythes en des temps reculés. Prokoev se jeta 
sur ce projet avec son ardeur juvénile et chercha 
à «faire quelque chose de grand, de monumental, 
en anité avec la nature». Ce ballet ne vit 
nalement pas le jour, car Diaghilev préféra 
laisser Le Sacre du Printemps de Stravinsky sans 
postérité. Prokoev en tira alors la Suite scythe, 
dont la création à Saint-Pétersbourg déclencha, 
à la grande joie du compositeur, «un tintamarre 
formidable».
Une symphonie  
dans le style 
de Haydn
Dans la même année, le compositeur se tourna 
vers un tout autre univers, celui du e siècle 
et particulièrement de Haydn, à la fois par un 
esprit de discipline intérieure et par goût de 
la provocation. «Je passai l’été dans la solitude 
la plus complète aux environs de Petrograd […]. 
J’avais intentionnellement laissé mon piano en 
ville, voulant essayer de composer sans son aide. 
[…]. Je conçus le projet de composer toute une œuvre 
symphonique. Dans une telle œuvre, les colorations 
de l’orchestre devaient être plus nettes et plus claires. 
Ainsi naquit le plan d’une symphonie dans le style 
de Haydn parce que, à la suite de mon travail 
dans la classe de Tchérepnine [classe de direction 
d’orchestre], la technique de Haydn m’était devenue 
particulièrement limpide. […]. Enn, le titre 
choisi devait être un dé pour mettre les oies [de 
la critique] en rage, et dans l’espoir secret que je ne 
ferais qu’y gagner, si, avec le temps, la symphonie 
s’avérait réellement classique.» 
Ce jeune musicien «sain comme un paysan», 
pour reprendre l’expression d’un critique, ne se 
précipite pas à l’aveuglette dans les pastiches 
rococo: s’il emprunte à l’esthétique de Haydn un 
eectif orchestral léger, un langage beaucoup plus 
consonant, une rythmique moins percutante, il 
retrouve aussi chez les classiques des traits qui lui 
appartiennent profondément: formes simples et 
claires, voire traditionnelles, vivacité dansante 
du rythme et du phrasé, thèmes bien dessinés et 
reconnaissables. Autant d’aspects qui ont valu à 
l’œuvre son succès… Par ailleurs, le diatonisme, 
l’art des modulations imprévues sont également 
des signatures du compositeur, présents même 
dans ses œuvres les plus modernes. Comme 
Le Tombeau de Couperin de Ravel, qui lui est 
contemporain, la Symphonie «classique» est donc 
plus qu’un pastiche.
Le premier mouvement, en ré majeur, est 
inauguré par un thème gracieux. La mesure à 
quatre temps, chère à Prokoev, est remplacée 
par une métrique à deux, plus souple et 
bondissante. L’orchestration est traditionnelle, le 
contrepoint léger. Le second thème, faussement 
précieux, déploie ses grands sauts sur une 
basse d’Alberti déroulée par un basson bavard. 
Le développement fait retentir une fanfare 
impérieuse et cocasse sur les formules de 
remplissage répétées jusqu’à l’essouement par 
les bois. La réexposition, sage, suit le plan de la 
première partie.
Le Larghetto qui suit fait entendre un thème 
qui, bien qu’orné et de style galant, exhale une 
mélancolie très particulière et annonce celui, 
coné au hautbois, du Troisième Concerto pour 
piano.
Au menuet traditionnel, Prokoev a préféré la 
gavotte, en vogue à l’époque baroque. Il n’hésite 
pas à lui donner un caractère martial, avec ses 
contours mélodiques très francs et son parcours 
tonal capricieux. Le thème est repris ensuite par 
les ûtes et clarinettes, malicieusement ponctué 
par le basson. 
Le nale évoque l’opera bua par son 
eervescence. Les basses d’Alberti sont babillées 
infatigablement par les bois. L’orchestration 
évoque par endroits l’orgue de Barbarie. Et c’est 
par un tourbillon que s’achève l’œuvre, dont la 
durée n’atteint pas un quart d’heure!
—
Anne Rousselin
Wolfgang Amadeus Mozart
Concerto pour piano n° 20, en ré 
mineur, KV 466
Composition : 1785 (achevé le 10 février 1785). Créa-
tion: Vienne, salle du Mehlgrube, 11 février 1785, avec 
Mozart à la direction et au piano.
Lorsqu’il compose son Vingtième Concerto 
pour piano, Mozart jouit à Vienne d’une solide 
réputation ; il vient en outre d’être admis en 
cette n d’année 1784 dans la franc-maçonnerie, 
à la loge Zur Wohltätigkeit. Il participe et 
organise multitudes de concerts publics ou 
semi-publics, des «académies» pour un auditoire 
aisé et friand de musique instrumentale. Les 
années 1782-1786 seront celles du Cconcerto 
pour piano : Mozart en compose quinze entre 
L’Enlèvement au sérail (1782) et Les Noces de 
Figaro (1786).
Le public viennois entendit le Vingtième 
Concerto pour la première fois le 11 février 1785, 
au Mehlgrube, une jolie salle du Neuer Markt 
qui servait ordinairement de plancher de bal. 
L’orchestre, selon l’habitude, devait être composé 
presque exclusivement d’amateurs, à l’exception 
du timbalier, des bassonistes et des trompettistes. 
Mozart, qui y jouait la partie soliste, avait 
terminé l’œuvre la veille. Cela corrobore les 
témoignages de l’époque attestant du peu de 
temps de répétition et, par ricochet, du bon 
niveau des musiciens capables d’exécuter une 
telle œuvre après seulement quelques lectures.
Car l’œuvre est des plus exigeantes. Elle se 
livre en mineur, un mode que Mozart a très 
peu utilisé dans ses concertos, et les trois 
mouvements s’articulent selon un plan tonal 
très simple, respectivement ré mineur, si bémol 
majeur et ré mineur. Le premier mouvement 
est un vaste Allegro d’une intensité dramatique 
absolue. De forme sonate, avec deux thèmes 
et une réexposition éclatante, il développe une 
orchestration quasi-romantique, un caractère 
presque sauvage et obsédant. La «Romance» se 
présente sous la forme d’un rondo, dans lequel la 
mélodie prend ses aises sur un refrain chantant 
charmant et léger. C’est aussi sur un rondo que se 
construit le mouvement nal, un Allegro qui, aux 
dires de Leopold Mozart (le père de Wolfgang) 
dans une lettre à sa lle Nannerl, avait été 
déchiré lors du concert même : «Le copiste 
n’avait encore pas le jour même ni son travail et 
ton frère n’a pas eu le temps de jouer le rondo parce 
qu’il devait revoir la copie.» Beethoven, qui vouait 
une grande admiration à ce concerto, écrirait 
plus tard les cadences pianistiques perdues de 
Mozart.
—
B. H.