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LE
´VI-STRAUSS
Nature, culture et société
Les Structures élémentaires de
la parenté (chap.
I
et
II
)
E
´dition d’Alice Lamy
96 pages
4,80
L
IRE
L
E
´VI-
S
TRAUSS EN TERMINALE
Claude Lévi-Strauss n’est pas totalement absent des
manuels de terminale, mais il est souvent réduit à une
caricature politiquement correcte, en particulier à une
critique de l’ethnocentrisme, qui est la chose du monde
la mieux partagée (par les Indiens et par les conquista-
dors), ou à une apologie sophistiquée du relativisme
culturel, qui vient conforter les élèves dans leurs pré-
jugés : aucun individu ne pense la même chose qu’un
autre et il ne faut surtout pas juger ceux qui ne font
pas comme nous. Lévi-Strauss vaut pourtant beaucoup
mieux que cela. Non seulement il donne des munitions
pour quantité de sujets du baccalauréat, pas seulement
pour ceux portant sur la culture, mais sa pensée est si
complexe et tendue qu’elle nous fournit aussi bien la
thèse que l’antithèse. Ne dit-il pas à la fois que l’ethno-
centrisme des civilisés les ravale au statut de barbares
et qu’il faut respecter l’ethnocentrisme, gage de survie
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des identités culturelles ? Qu’il existe un fossé entre
l’animal et l’homme, mais aussi une continuité entre la
nature et la culture qui fait de l’humanisme une mysti-
fication ? Ou encore que nous ne pouvons pas juger les
autres cultures parce que nous sommes prisonniers de
notre système de référence, mais qu’il existe pourtant
des différences intrinsèques, non relatives, entre les pri-
mitifs et nous ? Autant de raisons de relire Lévi-Strauss
et de l’utiliser autrement dans nos cours.
Certaines thèses des Structures élémentaires de la parenté
sont bien connues, mais on ne se rend pas toujours
compte que leur articulation pose problème. Rappelons-
les brièvement, mais dans un ordre volontairement
inverse de celui de Lévi-Strauss.
Sont élémentaires les structures de parenté qui déter-
minent des conjoints prohibés et des conjoints prescrits
(ou préférés, ou simplement possibles).
Sont complexes les systèmes qui ne prescrivent pas de
conjoint particulier, dès lors choisi selon d’autres cri-
tères (beauté, richesse, etc.). Cette distinction de l’élé-
mentaire et du complexe ne recoupe pas celle entre
sociétés primitives et développées, puisque certaines
sociétés primitives ont élaboré des structures
complexes. Elle n’est d’ailleurs qu’une différence de
degré, puisque la liberté de choix n’est jamais ni nulle
ni totale. Lévi-Strauss se demande quelle est la
fonction des systèmes matrimoniaux élémentaires.
L’anthropologue ne doit pas être un historien, ni un
géographe, mais plutôt un musicien et surtout un psy-
chologue, capable d’apercevoir dans la multiplicité des
systèmes autant de variations sur un thème relative-
ment simple, qui s’explique par les opérations fonda-
mentales de l’esprit humain.
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Partons donc de l’organisation dualiste ou du mariage
préférentiel entre cousins croisés. Si les deux moitiés A
et B en lesquelles une communauté est divisée sont exo-
gamiques, elles constituent des classes matrimoniales.
Pour un homme A, les femmes A sont des conjoints
interdits, les femmes B des conjoints possibles. Imagi-
nons maintenant que Paul Martin a un frère et une sœur.
Tous trois se marient avec deux femmes et un homme
de la famille Durand. Chaque couple a un garçon et une
fille. Pour les enfants de Paul, les enfants du frère du
père sont des cousins parallèles, tandis que ceux de la
sœur du père sont croisés. Beaucoup de sociétés primi-
tives qualifient les cousins parallèles de « frères et sœurs »
et interdisent en conséquence leur mariage comme inces-
tueux, tandis que les cousins croisés se voient nommés
« époux et épouse ». On remarquera que l’organisation
dualiste aboutit elle aussi à interdire le mariage entre
cousins parallèles, qui appartiennent nécessairement à la
même moitié, que la filiation soit patrilinéaire ou matrili-
néaire. Toutefois le problème n’est pas de savoir si une
institution précède ou non l’autre, mais si elles ne sont
pas deux expressions d’un même principe. La thèse de
Lévi-Strauss est qu’on a affaire à deux systèmes de réci-
procité. L’organisation dualiste permet aux moitiés
d’échanger des prestations et des contre-prestations de
toute nature. L’union préférentielle entre cousins croisés
est la formule la plus simple du mariage par échange.
Qui acquiert la femme (+) d’un groupe est débiteur vis-
à-vis de ce groupe et doit donner une femme ()deson
propre groupe en échange. Dans notre exemple, les
frères Martin sont des preneurs de femmes, qui ont une
dette envers la famille Durand. Le fils de Paul ne peut
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donc pas épouser sa cousine parallèle Martin, promise,
comme sa sœur, aux Durand. En revanche, un mariage
avec sa cousine croisée Durand rétablirait l’équilibre,
puisque le père Durand, qui a épousé une Martin, doit
lui aussi donner une fille.
Frazer avait déjà remarqué qu’il existe des mariages
par échange, c’est-à-dire des trocs de filles ou de sœurs,
et que le mariage des cousins croisés était de même
nature. Après tout, disait-il, pour l’indigène misérable
qui n’a pas les moyens d’acheter une femme, rien de
plus économique que d’échanger sa sœur. Mais
comment Lévi-Strauss peut-il en induire que tout
mariage est une forme d’échange, restreint ou généralisé ?
Qu’est-ce que l’échange ?
On ne peut le comprendre si on n’a pas à l’esprit la
redéfinition par Marcel Mauss du concept d’échange,
dans son Essai sur le don (1924). Mauss luttait contre
l’évolutionnisme qui ne concède aux primitifs que le
troc ou la vente au comptant, réservant la vente à crédit
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et la monnaie à une phase supérieure de la civilisation.
La forme archaïque de l’échange est en réalité le don.
Les partenaires sont moins des individus que des per-
sonnes morales. Le but n’est pas essentiellement éco-
nomique, puisqu’on n’échange pas des choses utiles,
mais des choses précieuses, des rites, des rangs, des
femmes, etc., et puisque le donateur s’attend à recevoir
en retour des biens de même valeur (on laisse ici de
côté le potlatch,ou
`il faut surenchérir, sous peine de
perdre son honneur voire sa liberté), et reçoit parfois
exactement les mêmes biens. Cet échange est un fait
social total, qui a, outre sa dimension économique, un
aspect religieux, juridique, etc., dans la mesure ou
`la
chose qui fait l’objet du contrat a une a
ˆme. On parle
de don parce que la transaction se fait sous la forme de
cadeaux, mais l’acte n’est ni libre ni gratuit. Il y a en
réalité une triple obligation de donner, de recevoir et
de rendre, dont le non-respect peut être durement
sanctionné. D’un côté, dans la lignée de Marx qui se
moquait des « robinsonnades » d’Adam Smith, Mauss
critique la projection sur le primitif de la psychologie de
l’homo œconomicus ou de l’égoïsme rationnel. L’échange
n’est pas qu’un phénomène économique, à l’origine de
la division sociale et internationale du travail (l’individu
et la nation, disait Smith, ont tout intérêt à échanger
librement le surplus de leur production spécialisée plu-
tôt qu’à rechercher l’autarcie). Ici, la circulation des
biens est l’occasion de la création d’un lien, qui peut aller
de la simple amitié à l’alliance. D’un autre côté, à la
suite de Montesquieu, qui affirmait que « l’effet naturel
du commerce est de porter à la paix » (De l’esprit des
lois, livre XX, chap. 2), Mauss montre que l’opposition,
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