NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 61 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 LÉVI-STRAUSS Nature, culture et société Les Structures élémentaires de la parenté (chap. I et II) Édition d’Alice Lamy 96 pages 4,80 € LIRE LÉVI-STRAUSS EN TERMINALE Claude Lévi-Strauss n’est pas totalement absent des manuels de terminale, mais il est souvent réduit à une caricature politiquement correcte, en particulier à une critique de l’ethnocentrisme, qui est la chose du monde la mieux partagée (par les Indiens et par les conquistadors), ou à une apologie sophistiquée du relativisme culturel, qui vient conforter les élèves dans leurs préjugés : aucun individu ne pense la même chose qu’un autre et il ne faut surtout pas juger ceux qui ne font pas comme nous. Lévi-Strauss vaut pourtant beaucoup mieux que cela. Non seulement il donne des munitions pour quantité de sujets du baccalauréat, pas seulement pour ceux portant sur la culture, mais sa pensée est si complexe et tendue qu’elle nous fournit aussi bien la thèse que l’antithèse. Ne dit-il pas à la fois que l’ethnocentrisme des civilisés les ravale au statut de barbares et qu’il faut respecter l’ethnocentrisme, gage de survie 61 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 62 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 des identités culturelles ? Qu’il existe un fossé entre l’animal et l’homme, mais aussi une continuité entre la nature et la culture qui fait de l’humanisme une mystification ? Ou encore que nous ne pouvons pas juger les autres cultures parce que nous sommes prisonniers de notre système de référence, mais qu’il existe pourtant des différences intrinsèques, non relatives, entre les primitifs et nous ? Autant de raisons de relire Lévi-Strauss et de l’utiliser autrement dans nos cours. Certaines thèses des Structures élémentaires de la parenté sont bien connues, mais on ne se rend pas toujours compte que leur articulation pose problème. Rappelonsles brièvement, mais dans un ordre volontairement inverse de celui de Lévi-Strauss. Sont élémentaires les structures de parenté qui déterminent des conjoints prohibés et des conjoints prescrits (ou préférés, ou simplement possibles). Sont complexes les systèmes qui ne prescrivent pas de conjoint particulier, dès lors choisi selon d’autres critères (beauté, richesse, etc.). Cette distinction de l’élémentaire et du complexe ne recoupe pas celle entre sociétés primitives et développées, puisque certaines sociétés primitives ont élaboré des structures complexes. Elle n’est d’ailleurs qu’une différence de degré, puisque la liberté de choix n’est jamais ni nulle ni totale. Lévi-Strauss se demande quelle est la fonction des systèmes matrimoniaux élémentaires. L’anthropologue ne doit pas être un historien, ni un géographe, mais plutôt un musicien et surtout un psychologue, capable d’apercevoir dans la multiplicité des systèmes autant de variations sur un thème relativement simple, qui s’explique par les opérations fondamentales de l’esprit humain. 62 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 63 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Partons donc de l’organisation dualiste ou du mariage préférentiel entre cousins croisés. Si les deux moitiés A et B en lesquelles une communauté est divisée sont exogamiques, elles constituent des classes matrimoniales. Pour un homme A, les femmes A sont des conjoints interdits, les femmes B des conjoints possibles. Imaginons maintenant que Paul Martin a un frère et une sœur. Tous trois se marient avec deux femmes et un homme de la famille Durand. Chaque couple a un garçon et une fille. Pour les enfants de Paul, les enfants du frère du père sont des cousins parallèles, tandis que ceux de la sœur du père sont croisés. Beaucoup de sociétés primitives qualifient les cousins parallèles de « frères et sœurs » et interdisent en conséquence leur mariage comme incestueux, tandis que les cousins croisés se voient nommés « époux et épouse ». On remarquera que l’organisation dualiste aboutit elle aussi à interdire le mariage entre cousins parallèles, qui appartiennent nécessairement à la même moitié, que la filiation soit patrilinéaire ou matrilinéaire. Toutefois le problème n’est pas de savoir si une institution précède ou non l’autre, mais si elles ne sont pas deux expressions d’un même principe. La thèse de Lévi-Strauss est qu’on a affaire à deux systèmes de réciprocité. L’organisation dualiste permet aux moitiés d’échanger des prestations et des contre-prestations de toute nature. L’union préférentielle entre cousins croisés est la formule la plus simple du mariage par échange. Qui acquiert la femme (+) d’un groupe est débiteur visà-vis de ce groupe et doit donner une femme (−) de son propre groupe en échange. Dans notre exemple, les frères Martin sont des preneurs de femmes, qui ont une dette envers la famille Durand. Le fils de Paul ne peut 63 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 64 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 donc pas épouser sa cousine parallèle Martin, promise, comme sa sœur, aux Durand. En revanche, un mariage avec sa cousine croisée Durand rétablirait l’équilibre, puisque le père Durand, qui a épousé une Martin, doit lui aussi donner une fille. Frazer avait déjà remarqué qu’il existe des mariages par échange, c’est-à-dire des trocs de filles ou de sœurs, et que le mariage des cousins croisés était de même nature. Après tout, disait-il, pour l’indigène misérable qui n’a pas les moyens d’acheter une femme, rien de plus économique que d’échanger sa sœur. Mais comment Lévi-Strauss peut-il en induire que tout mariage est une forme d’échange, restreint ou généralisé ? Qu’est-ce que l’échange ? On ne peut le comprendre si on n’a pas à l’esprit la redéfinition par Marcel Mauss du concept d’échange, dans son Essai sur le don (1924). Mauss luttait contre l’évolutionnisme qui ne concède aux primitifs que le troc ou la vente au comptant, réservant la vente à crédit 64 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 65 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 et la monnaie à une phase supérieure de la civilisation. La forme archaïque de l’échange est en réalité le don. Les partenaires sont moins des individus que des personnes morales. Le but n’est pas essentiellement économique, puisqu’on n’échange pas des choses utiles, mais des choses précieuses, des rites, des rangs, des femmes, etc., et puisque le donateur s’attend à recevoir en retour des biens de même valeur (on laisse ici de côté le potlatch, où il faut surenchérir, sous peine de perdre son honneur voire sa liberté), et reçoit parfois exactement les mêmes biens. Cet échange est un fait social total, qui a, outre sa dimension économique, un aspect religieux, juridique, etc., dans la mesure où la chose qui fait l’objet du contrat a une âme. On parle de don parce que la transaction se fait sous la forme de cadeaux, mais l’acte n’est ni libre ni gratuit. Il y a en réalité une triple obligation de donner, de recevoir et de rendre, dont le non-respect peut être durement sanctionné. D’un côté, dans la lignée de Marx qui se moquait des « robinsonnades » d’Adam Smith, Mauss critique la projection sur le primitif de la psychologie de l’homo œconomicus ou de l’égoïsme rationnel. L’échange n’est pas qu’un phénomène économique, à l’origine de la division sociale et internationale du travail (l’individu et la nation, disait Smith, ont tout intérêt à échanger librement le surplus de leur production spécialisée plutôt qu’à rechercher l’autarcie). Ici, la circulation des biens est l’occasion de la création d’un lien, qui peut aller de la simple amitié à l’alliance. D’un autre côté, à la suite de Montesquieu, qui affirmait que « l’effet naturel du commerce est de porter à la paix » (De l’esprit des lois, livre XX, chap. 2), Mauss montre que l’opposition, 65 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 66 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 chère aux libéraux, entre l’échange et la violence est valable même pour les sociétés primitives, dans la mesure où tout étranger est soit un allié, soit un ennemi. Ou bien on lui fait la guerre, ou bien on lui offre des présents. Tout mariage est donc bien un échange de femmes, à condition de ne pas prendre « échange » au sens restreint d’un troc motivé par l’intérêt individuel, mais au sens large d’un don réciproque créateur d’une alliance. La femme n’est pas une simple marchandise, mais le cadeau suprême. Mais pourquoi inventer ces systèmes de réciprocité ? Pourquoi fixer des règles de l’échange des femmes, plutôt que de laisser l’individu choisir librement ? On pourrait répondre simplement que la question est naïve, car l’individualisme est une valeur récente. Les sociétés primitives sont holistes, elles affirment le primat du groupe sur l’individu, en matière de mariage comme en d’autres domaines. Même de nos jours, dans certaines sociétés développées, le mariage continue d’être une relation entre deux familles, établie par les parents des mariés plutôt que par les intéressés. Cette réponse est juste, mais insuffisante. La femme est, comme la nourriture, qui fait parfois l’objet d’une distribution collective selon des règles strictes, un produit à la fois rare – objectivement (à cause de la polygynie) ou subjectivement (du fait de l’inégale désirabilité) – et vital, en raison de la division sexuelle du travail : l’homme chasse ou pêche, la femme ramasse ou jardine ; si bien qu’un célibataire qui reviendrait bredouille mourrait presque de faim. Le groupe ne peut donc pas ne pas intervenir dans le choix de l’individu, sous peine de voir sa survie menacée, et il a tout intérêt à élaborer un système de réciprocité, où toute acquisition 66 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 67 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 d’une épouse soit compensée par la perte d’une sœur ou d’une fille, à la fois pour que tout membre du groupe puisse se marier et pour que le groupe se renforce par son alliance avec d’autres groupes. La prohibition de l’inceste On peut maintenant revenir du corps principal de l’ouvrage à son introduction. La thèse qui ramène le mariage au principe de réciprocité donne immédiatement la solution du problème de la prohibition de l’inceste. L’inceste n’est pas interdit en raison d’un sentiment naturel d’horreur, car, comme le dit Freud, on n’interdit que ce qui est désiré et le complexe d’Œdipe montre que les premiers désirs sont d’ordre incestueux. L’inceste n’est pas non plus prohibé parce qu’on aurait peur des effets supposés néfastes des mariages consanguins. En effet, on a vu que le mariage était interdit entre cousins parallèles, mais souvent valorisé entre cousins croisés, alors que la proximité biologique est la même. Enfin, la prohibition de l’inceste ne dérive pas d’un tabou qui frapperait le sang (surtout menstruel), symbole de la consubstantialité des membres d’un clan avec leur ancêtre totémique. Car, dans le sud de l’Australie, il arrive que, pour diverses raisons (dette d’initiation, meurtre, etc.), les hommes d’une moitié échangent mutuellement et temporairement leur femme avec ceux de l’autre moitié, desquels ils les ont reçues. Il peut donc y avoir relation sexuelle avec des femmes normalement interdites, du moment qu’elles sont devenues autres. Cela montre qu’une 67 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 68 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 femme n’est pas prohibée en fonction d’un caractère intrinsèque, mais en vertu de sa position dans le système de parenté. Les relations priment sur les termes. Puisque cette structure est un système de réciprocité, chaque femme reçoit un signe positif ou négatif selon qu’elle est acquise ou donnée. Un mariage est possible s’il se fait entre des signes différents, comme dans le cas des cousins croisés, interdit s’il met en jeu des signes identiques, c’est-à-dire deux créanciers (− −) ou deux débiteurs (+ +), comme dans le cas des cousins parallèles. La prohibition de l’inceste n’est donc que la contrepartie négative d’une règle positive d’exogamie. On se refuse certaines femmes pour les offrir à d’autres, avec qui on s’allie – dans tous les sens du terme. Jusqu’ici tout s’emboîte parfaitement. Le problème d’articulation que nous signalions survient avec le chapitre consacré au couple nature et culture. Chapitre paradoxal. Pourquoi ressusciter une distinction que l’anthropologie s’était efforcée avec succès d’enterrer ? Pourquoi aller jusqu’à faire du problème du passage de la nature à la culture le problème fondamental de l’anthropologie ? En 1962, Lévi-Strauss écrit : « l’opposition entre nature et culture, sur laquelle nous avons jadis insisté, nous semble aujourd’hui offrir une valeur surtout méthodologique » 1. Mais déjà en 1949, il ne dit pas autre 1. La Pensée sauvage, Paris, Plon-Pocket, 1993, p. 294. La même année, il écrit pourtant que « Rousseau pose le problème central de l’anthropologie, qui est celui du passage de la nature à la culture », Le Totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1991, p. 146. En 1959, il disait que l’on comprendrait le passage de la nature à la culture le jour où on résoudrait le problème de l’origine du langage, qui n’est pas ethnologique ! G. Charbonnier, Entretiens avec Lévi-Strauss, Paris, 10/18, 1961, p. 187. 68 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 69 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 chose. Il concède que l’opposition n’a pas de valeur historique, puisque ni l’homme de Neandertal ni les primitifs ne vivent dans l’état de nature ; mais il ajoute qu’elle a un sens méthodologique. Non pas pour comparer des cultures différentes, mais pour distinguer, chez un membre d’une civilisation donnée, ce qui relève respectivement de l’inné et de l’acquis. Malheureusement, possible en droit, cette analyse s’avère en fait impraticable. Si on part de l’enfant humain, on n’est jamais sûr de retrouver la nature. Si on part de l’animal, on est certain de ne jamais accéder à la culture. On ne peut que constater la discontinuité entre les deux ordres, se placer d’un côté ou de l’autre de la barrière. Or Lévi-Strauss n’est pas intéressé par la différence – facilement définissable – entre la nature et la culture, mais par le passage de l’une à l’autre. Pourtant, ce passage n’est-il pas aussi insaisissable que l’apparition de la conscience dans la série des espèces vivantes ? Peut-on vraiment « passer de l’analyse statique à la synthèse dynamique » (p. 28) ? La réponse de Lévi-Strauss est célèbre. Sont culturelles des normes particulières, tandis que ce qui est naturel est universel. Or la prohibition de l’inceste est une règle universelle, valable dans toutes les sociétés, même si son extension diffère grandement d’une société à l’autre. C’est donc en elle que s’accomplit le passage de la nature à la culture. Mieux, elle serait « le processus par lequel la nature se dépasse elle-même » (p. 29). On ne voit pas bien ce que la phrase peut vouloir dire. S’il existait un dégoût spontané de l’inceste, on pourrait dire à la rigueur que la nature se reflète ou se prolonge dans la règle. Mais on sait qu’en fait l’interdit social vient empêcher la satisfaction du désir incestueux. On devrait donc plutôt dire 69 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 70 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 avec Freud que les idéaux culturels imposent en général un renoncement à nos pulsions, que la culture réprime la nature en nous, ce qui explique pourquoi nous pouvons avoir l’impression qu’elle s’oppose à notre bonheur ou pourquoi certains vont chercher dans la névrose des satisfactions substitutives. Pourtant Lévi-Strauss n’introduit pas ces formulations un peu obscures par hasard. Avec le problème du passage de la nature à la culture, il en va selon lui du salut même de l’humanité. Avant de le montrer, rappelons brièvement pourquoi l’anthropologie a dû se débarrasser de l’opposition entre nature et culture, et pourquoi elle est un instrument parfois difficile à utiliser. Peut-on juger objectivement la valeur d’une culture ? Montaigne demande dans Des cannibales (Essais I, 31) : en quel sens peut-on qualifier les Tupinamba (Brésil) de barbares ou de sauvages ? Il répond en trois temps. Premièrement, « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Nous avons tendance à prendre les opinions et les institutions de notre pays pour le critère du vrai et du bien. La découverte du Nouveau Monde nous permet de nous détacher de la « voix commune », en reconnaissant à la fois que l’étranger n’est pas un barbare (comme lorsque le roi grec Pyrrhus admire l’ordonnancement de l’armée romaine), et que nos coutumes ne sont pas toujours justes, comme lorsque les Indiens amenés à Rouen s’offusquent de l’ampleur des inégalités sociales. Deuxièmement, les 70 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 71 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Indiens sont sauvages au même titre que les fruits que mère nature seule a produits, sans l’intervention de l’art humain. « Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de façon de l’esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres. » Montaigne nous décrit une société régie par le minimum d’artifice, caractérisée relativement à la nôtre par son dénuement, par le fait qu’elle est sans (vêtements, agriculture, contrat, etc.). Il remarque qu’elle surpasse même l’âge d’or, ce qui nous indique que c’est à travers ce prisme qu’il la considère. Ne nous dit-il pas que l’abondance naturelle les dispense de travailler, qu’on n’y voit pas de malade, qu’on n’y parle jamais de mensonge ni de trahison, qu’on n’y a que des désirs naturels, c’est-à-dire limités, etc. ? « Le mythe du bon sauvage » est né de la rencontre entre les récits de voyage et l’Antiquité. Les hommes de la Renaissance ont eu l’impression que l’idéal décrit par Hésiode ou Épicure existait réellement. Troisièmement, Montaigne nous exhorte à « juger par la voie de la raison ». Or cette expression est équivoque. D’une part la raison est un principe d’explication, qui atténue l’étrangeté apparente d’une coutume étrangère en la replaçant dans son contexte ou en découvrant sa fonction. « Il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantaisie si forcenée, qui ne rencontre l’exemple de quelque usage public, et par conséquent que notre raison <notre discours> n’étaie et ne fonde » (De la coutume, I, 23). Par exemple, si les Tupinamba mangent leurs prisonniers de guerre, c’est pour exercer une vengeance raffinée. D’autre part, la raison est une valeur absolue au nom de laquelle nous pouvons juger aussi bien les cultures étrangères que la nôtre. 71 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 72 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Contrairement à ce que suggère Lévi-Strauss, il n’y a aucune tension dans la pensée de Montaigne 1. Le cannibalisme est simultanément compris et condamné. Vouloir expliquer l’inexplicable n’est pas nécessairement s’apprêter à excuser l’inexcusable. Montaigne dit simplement qu’au regard de la raison comme norme, toutes les sociétés sont barbares. Ce qui ne veut pas dire qu’elles se valent, puisqu’elles le sont à des degrés différents. Les massacres de la Saint-Barthélemy dépassant par exemple en horreur tout ce qu’on peut trouver chez les Indiens. « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie » (I, 31). Le sauvage n’est pas si cruel que nous, mais il est loin d’être bon. Montaigne superpose donc au couple nature/culture l’opposition nature/art, donnant à « culture » son sens étymologique de colere = cultiver. Il exalte la vie primitive parce qu’il valorise ce qui est naturel, et critique la civilisation corrompue et corruptrice parce qu’il a l’artificiel en horreur. Le problème posé par le couple nature/ culture n’est pas cette valorisation. On pourrait aisément l’inverser, comme Baudelaire faisant l’éloge du maquillage et de l’artifice en général, parce que lui assimile la nature aux besoins (manger, dormir, etc.) et au péché originel. La difficulté tient à ce qu’il n’y a pas de Naturvölker. Montaigne était bien obligé de concéder que les Indiens font cuire leur nourriture, sont capables de construire de grandes embarcations et passent leur temps 1. Histoire de Lynx, Paris, Plon-Pocket, 1991, p. 281. 72 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 73 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 à faire la guerre. Il était victime de l’illusion qu’il dénonçait quand il inférait par exemple de l’absence de contrat, élément essentiel à notre droit, l’inexistence de tout système juridique. Baudelaire remarque au contraire, après Hegel, à quel point le primitif associe la beauté à l’artifice : « Les races que notre civilisation, confuse et pervertie, traite volontiers de sauvages, avec un orgueil et une fatuité tout à fait risibles, comprennent, aussi bien que l’enfant, la haute spiritualité de la toilette » (Le Peintre de la vie moderne, XI). Qu’est-ce que la culture ? On attribue généralement le sens large de la notion de culture, présent dans le programme de philosophie de terminale, à Edward Tylor. Celui-ci fait en effet de l’ethnologie la science de la culture ou de la civilisation, dont il propose en 1871 cette définition fameuse : « cet ensemble complexe qui comprend la connaissance, la croyance, l’art, la morale, le droit, les coutumes, et toutes les autres aptitudes ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société » (Primitive Culture, I). Son problème est de comprendre la relation entre l’humanité et la diversité de ses expressions. D’un côté, on est frappé par l’uniformité entre les sociétés, qu’elles appartiennent à des aires géographiques distinctes (l’Ojibwa et le Zoulou) ou à des périodes différentes de l’histoire (la ville aztèque médiévale et l’ancienne cité lacustre suisse). Cette similitude s’explique par la double uniformité des causes et de la nature humaine, au sens de Hume : le libre arbitre n’est 73 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 74 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 pas le pouvoir miraculeux d’agir sans cause ; il y a des lois de la pensée humaine comme il y a des lois de la nature inorganique (contingentes dans les deux cas) ; « les mêmes motifs produisent toujours les mêmes actions » (Enquête sur l’entendement humain, chap. VIII). D’un autre côté, cette ressemblance ne va pas jusqu’à l’identité. Tylor refuse néanmoins de parler de races différentes, comme si l’espèce humaine se subdivisait en plusieurs variétés héréditaires. L’humanité est naturellement homogène ; les différences entre les sociétés sont culturelles et ne sont que de degré. Inspiré par la philosophie de l’histoire et le darwinisme, Tylor propose en effet une théorie du développement de la culture ou de l’évolution mentale en différents stades : sauvage, barbare et civilisé ou cultivé (au sens strict d’éduqué). Il ne faut pas caricaturer cet évolutionnisme. Tylor sait bien que la progression n’est pas linéaire, qu’elle s’accompagne de régression, de survivance ou de renaissance. Mais on ne peut perdre que ce que l’on a d’abord gagné. Et qui voudrait dire avec De Maistre que la tendance générale est à la dégradation ? Tylor pense qu’il ne faut ni être trop sévère avec les primitifs, comme Gibbon, ni les idéaliser pour mieux les instrumentaliser, comme Diderot avec les Tahitiens. Il reconnaît qu’il est délicat de mesurer le caractère inférieur ou supérieur d’une société. Le progrès en matière de science et d’industrie est peu contestable, mais il admet des exceptions (les Étrusques étaient d’excellents orfèvres), et il a surtout son revers : nous fabriquons des armes toujours plus destructrices. Si l’on prend en compte le critère politique et moral, il est plus difficile encore de parler de progrès. Chaque 74 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 75 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 gain s’accompagne d’une perte. Le développement du sens de la valeur de la vie et de la propriété diminue ainsi le courage et la générosité. Mais n’oublions pas que la vie sociale des primitifs est en équilibre instable, qu’elle peut basculer en un instant de l’hospitalité à la férocité. Tout bien considéré, même si le progrès moral n’avance pas au même rythme que le progrès intellectuel, les philosophes du XVIIIe siècle n’avaient pas tort de croire que la diffusion des Lumières nous rend plus vertueux. Il est donc vrai qu’il y a beaucoup de choses à améliorer dans une tribu primitive, sans que cela autorise pour autant les conquérants ou les colons – qui sont souvent de bien mauvais représentants de l’idéal européen – à les détruire ou à les asservir. Alain Finkielkraut reproche à la définition de Tylor d’engloutir « le cultivé dans le culturel 1 ». Pourtant, on a souvent remarqué que Tylor ne parle jamais de culture au pluriel, mais seulement de différentes étapes du développement de la culture. En raison d’un essentialisme et d’un européocentrisme modérés et légitimes, qui lui permettent d’échapper au piège du racisme et du relativisme culturel, tout en restant méfiant vis-à-vis du « fardeau de l’homme blanc ». Il y a bien une culture primitive (ou plutôt un degré primitif de la culture), puisque les membres d’une société acquièrent grâce à la tradition des propriétés que l’hérédité ne leur aurait pas données. Mais cette culture reste sauvage, incomparable et parfois incompatible avec 1. La Défaite de la pensée, Paris, Folio, 1998, p. 131. Le juste combat d’A. Finkielkraut contre la « philosophie de la décolonisation » n’évite pas toujours l’outrance ni l’amalgame. 75 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 76 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 celle qui est le résultat de l’instruction. La culture au sens large introduit chez l’enfant, par le biais de la famille, des préjugés que la culture au sens étroit aura pour tâche, par l’intermédiaire de l’école donc de l’État, d’évaluer et peut-être de combattre. La première enracine l’individu et lui fournit des certitudes discutables ; la seconde le déracine, grâce au doute, non pour le priver de repères, mais pour lui faire gagner son autonomie. Finkielkraut croit à tort que culture ne se dit qu’en deux sens, au singulier et au pluriel, alors qu’il y en a trois. Kambouchner propose de les ranger par ordre d’extension décroissante : Au sens ontologique (A), la culture s’oppose à la nature, et désigne le propre ou plutôt l’essence de l’homme, par rapport à l’animal. Au sens anthropologique (B), une culture désigne un système propre à une société donnée (mais on parle par extension de culture d’entreprise), une totalité qui s’exprime dans ses différentes institutions et la distingue de ses voisins. Au sens classique ou humaniste enfin (C), la culture désigne un processus par lequel l’individu développe avant tout son âme (mais on parle par extension de culture physique), c’est-à-dire ses facultés intellectuelles et morales, par une fréquentation des œuvres de l’esprit 1. Quelle est l’origine de ces significations ? On pourrait rapprocher (A) de l’opposition que les sophistes faisaient entre physis et nomos, même si leur problème était moins de définir ce qui fait la spécificité de l’être 1. « La culture », in Notions de philosophie III, Paris, Gallimard, 1995, p. 445. 76 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 77 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 humain que de critiquer le caractère artificiel et partant injuste des lois égalitaires. On attribue souvent la paternité de (B) à Herder ou au romantisme allemand. (B) serait un héritier de la notion de Volksgeist, conçue comme une riposte à l’universalisme français, dans lequel les Allemands voyaient le déguisement d’un particularisme hégémonique. La diffusion de certains idéaux des Lumières et de la Révolution française par le biais de la conquête napoléonienne ne pouvant que renforcer cette confusion. Lévi-Strauss rappelle d’ailleurs que les anthropologues culturalistes, les premiers à défendre le relativisme culturel (après avoir assisté au massacre des Indiens), étaient des Américains d’origine allemande 1. (C), enfin, vient de la paideia grecque, et se dirait en allemand Bildung. Le latin cultura (animi) est métaphorique : comme un champ, l’esprit doit être cultivé si l’on veut qu’il donne de beaux fruits. Si (B) et (C) sont antagoniques, (C) et (A) communiquent. Car l’inculte, bien que de forme humaine, n’a pas pu réaliser son humanité, par le biais des humanités. Faute de soin, le germe ne s’est pas développé. L’inculte sera donc rejeté du côté de l’animalité ou de la nature. L’opposition entre la civilisation et la barbarie mêle inextricablement les sens (A) et (C). Y a-t-il des cultures supérieures à d’autres ? Lévi-Strauss remarque que Tylor définit implicitement la différence entre l’homme et l’animal. Par 1. Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 50. 77 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 78 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 conséquent son sens élargi de culture, à cheval entre (A) et (B), tout en retenant quelque chose de (C), ne peut s’opposer qu’à la nature 1. Mais Lévi-Strauss oublie d’ajouter que Tylor rejette expressément le problème du passage de la nature à la culture. Le primitif lui sert à inférer ce qu’a dû être le préhistorique. Le géographiquement lointain est l’image du premier âge de l’humanité. Certes l’état sauvage est intermédiaire entre l’état animal et la vie civilisée, mais si on cherchait l’origine de la civilisation, on quitterait le terrain des faits pour celui des hypothèses invérifiables. On se placerait au niveau de la poésie de Lucrèce ou des mythes indigènes, qui racontent l’histoire tantôt d’êtres ignorants de tout art auxquels des héros civilisateurs ont tout donné, à commencer par le feu ; tantôt d’un paradis dont l’homme a été exclu par sa faute. L’ethnologie ne peut donc être qu’une science (du développement) de la culture. Tylor compare la tâche de l’ethnologue à celle du naturaliste. Les techniques sont comme des espèces vivantes dont on doit étudier la distribution et la diffusion d’une part, l’évolution de l’autre. Lévi-Strauss trouve l’analogie boiteuse. Tandis qu’il existe un lien biologique entre deux variétés de chevaux – Equus caballus est le descendant réel d’Hipparion –, on ne peut pas séparer les outils des systèmes de représentations dont ils sont issus. Certes notre paille et le tube à boire indien ne forment pas une espèce, mais qu’importe à Tylor, qui veut faire une histoire des techniques, par 1. Anthropologie structurale, Paris, Plon-Pocket, 1985, p. 414. 78 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 79 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 exemple celle qui va de l’astrolabe au sextant ? La véritable objection contre l’évolutionnisme et le diffusionnisme n’est pas non plus le caractère conjectural de leur discours, car Lévi-Strauss admet que certaines reconstructions partielles ont un haut degré de probabilité. Il critique l’illusion archaïque qui voit dans le primitif l’enfance de l’humanité. Le primitif ressemble certes au préhistorique par certains aspects (l’outillage de pierre taillée), mais pas par tous : l’art de l’un est stylisé, celui de l’autre est réaliste. Les peuples primitifs sont adultes ; ils ont derrière eux une longue histoire, même si celle-ci restera à jamais inconnue 1. Toutefois le conflit porte avant tout sur le projet de hiérarchie des cultures. Peut-on dire comme Tylor que l’Australien est inférieur au Tahitien, qui est lui-même inférieur à l’Aztèque ? Ou parler comme Berlusconi, peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001, de la supériorité de la civilisation occidentale, adoptée par toutes les autres, hier par le bloc communiste, demain par le monde musulman ? Lévi-Strauss répond que l’occidentalisation du monde n’est pas le résultat d’un choix, mais d’un rapport de forces. L’agonie de l’idéologie communiste doit beaucoup à l’effondrement du modèle soviétique. Les primitifs n’imitent un autre style de vie que si leur propre société a été désorganisée par les Blancs. Berlusconi s’inspire de Fukuyama, qui voit dans le triomphe de la démocratie et du capitalisme la « fin de l’histoire » théorisée par Hegel et Kojève. Mais Huntington leur rétorque que le monde d’après la guerre froide est plutôt celui du déclin relatif 1. Race et Histoire, Paris, Folio, 1993, chap. 4. 79 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:44 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 80 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 de l’Occident – annoncé par Spengler – et de la révolte contre lui. Aujourd’hui, le kémalisme, qui pensait que la modernisation n’était pas possible sans éradication de la culture indigène, est en crise, et pas seulement en Turquie. Les pays émergents cherchent plutôt, comme le Japon avant eux, à s’approprier la technique occidentale tout en préservant leur façon de vivre. Dans un monde multipolaire, moins qu’à la diffusion d’une civilisation universelle, il faut s’attendre, si l’on n’y prend garde, à un choc des civilisations. Race et Histoire (1952) est un plaidoyer passionné pour la diversité des cultures. Diversité qu’il ne faut ni naturaliser comme le racisme, ni réduire à l’unité comme le faux évolutionnisme. Croire que notre culture représente la civilisation et rejeter les autres dans la barbarie, c’est-à-dire dans l’animalité (« barbare » désignerait étymologiquement le chant inarticulé des oiseaux), serait faire preuve du même ethnocentrisme que les primitifs, qui se désigne eux-mêmes comme « les hommes » et qualifie les étrangers de singes ou de fantômes. « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie 1. » De plus, le choix d’un instrument de mesure du développement de la culture est encore plus délicat que ne le pensait Tylor. « Un choix illimité de critères permettrait de construire un nombre illimité de séries 2. » L’aborigène, économiquement arriéré, a ainsi su inventer les systèmes matrimoniaux les plus complexes. Même si l’on considère des cultures qui se succèdent dans un même espace, il 1. Race et Histoire, op. cit., p. 22. 2. Anthropologie structurale, op. cit., p. 12. 80 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 81 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 est factice de se représenter le progrès comme un homme qui monterait les différentes marches d’un seul escalier, ou l’évolution de l’espèce humaine sous la forme d’un unique individu simiesque qui se redresserait et prendrait peu à peu nos traits actuels. L’homme de Neandertal était le contemporain de l’Homo sapiens ; le polissage et la taille de la pierre ont coexisté. Aujourd’hui, la science étale dans l’espace ce qu’elle échelonnait hier dans le temps. Imaginons le devenir historique sous les traits d’un joueur de roulette, plutôt que sur le modèle de la croissance biologique (le gland qui devient chêne, l’enfant qui grandit). L’analogie est dangereuse, puisque Lévi-Strauss ne croit pas qu’une invention puisse être due au seul hasard. Elle vise à montrer que le « progrès » est contingent. Comme le chiffre 7, il aurait pu surgir plus tôt ou plus tard. Et qu’il procède par sauts, qui ne vont pas forcément dans la même direction, tout comme le chiffre 7 peut être suivi par un nombre plus grand ou plus petit. Toutefois, Lévi-Strauss nie moins la réalité du progrès des sciences et des techniques que la représentation simplificatrice que l’on s’en fait. Ne pourrait-on alors pas distinguer deux histoires : l’une stationnaire, l’autre cumulative ? Certains peuples verraient sortir toujours le même chiffre, d’autres des chiffres consécutifs. LéviStrauss commence par dire que ces deux histoires ne se différencient pas par leur contenu intrinsèque, mais par le point de vue de l’observateur. Chaque culture a son propre système de référence. Elle ne voit de progrès que là où une autre culture se développe dans la même direction qu’elle. Admettons que la bille de la roulette s’arrête sur le 7, puis le 4, puis le 3. Cette combinaison 81 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 82 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 n’aura pas de sens pour celui qui attend des nombres qui se suivent, mais elle en aura un pour celui qui s’intéresse à l’alternance du pair et de l’impair. Une culture ne peut donc pas en juger une autre, puisque cela supposerait qu’elle adopte le point de vue de nulle part. Mais peuton en rester à ce relativisme culturel ? Lévi-Strauss dit ailleurs que « les sociétés qu’étudie l’ethnologue, comparées à nos grandes sociétés modernes, sont un peu comme des sociétés “froides” par rapport à des sociétés “chaudes”, comme des horloges par rapport à des machines à vapeur. Ce sont des sociétés qui produisent extrêmement peu de désordre, ce que les physiciens appellent “entropie”, et qui ont une tendance à se maintenir indéfiniment dans leur état initial, ce qui explique d’ailleurs qu’elles nous apparaissent comme des sociétés sans histoire et sans progrès 1 ». Il y a donc bien une différence intrinsèque, indépendante de notre système de référence, entre nous et les primitifs. Certes la distinction entre histoire stationnaire et cumulative n’est que de degré, et l’histoire cumulative n’est pas l’apanage de l’Europe. Néanmoins le rapport au temps n’est pas le même d’une culture à l’autre. Les primitifs vivent dans le respect du passé, se défendent d’innover par rapport au legs des ancêtres. Chez eux, la tradition est une source de légitimité. Les modernes ont le culte de la nouveauté et désirent sans cesse le changement. Chez nous, le simple fait qu’une loi soit ancienne suffit malheureusement parfois à justifier qu’on la remplace. Lévi-Strauss concède d’ailleurs que la révolution industrielle, qui est après la révolution néolithique un 1. G. Charbonnier, Entretiens avec Lévi-Strauss, op. cit., p. 38. 82 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 83 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 grand moment d’histoire cumulative, n’a eu lieu qu’en Europe. Mais il ajoute qu’elle n’a été rendue possible que parce que la Renaissance a vu fusionner différentes influences culturelles. Le progrès résulte de la coalition de cultures ayant entre elles des écarts différentiels, tout comme il est plus facile de sortir des chiffres consécutifs si l’on met en commun différentes tables de jeu. La différence intrinsèque entre stationnaire et cumulatif renvoie donc finalement à celle entre cultures solitaires ou solidaires. Par conséquent, « c’est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné 1 ». L’évolutionniste fonde la distinction entre culture supérieure et inférieure sur l’idée de progrès. On aurait pu lui répondre soit en dénonçant le mythe du progrès, soit en posant la question de la valeur du progrès, comme Umberto Eco dans sa réponse à Berlusconi (Le Monde du 10/10/01). Par exemple, les progrès de la médecine ont permis d’allonger la durée de la vie, mais est-ce réellement un bien ? Une vie courte mais intense ne vaut-elle pas davantage la peine d’être vécue qu’une vie longue mais médiocre, etc. ? Lévi-Strauss ne fait ni l’un ni l’autre. L’idée d’une coalition mondiale entre des cultures dont chacune préserve son originalité lui permet de concilier le progrès et la diversité. Mais n’est-ce pas paradoxal ? La collaboration entre les joueurs entraîne une homogénéisation, compensée par de nouveaux processus de différenciation, par exemple entre classes sociales (formation d’une bourgeoisie et d’un prolétariat). Mais il ne s’agit plus nécessairement de 1. Race et Histoire, p. 85. 83 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 84 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 différence entre les cultures. Le cours du monde s’accompagne d’une disparition des sociétés primitives, ou du nombre de langues parlées dans le monde. Le progrès entraîne donc bien une réduction de la diversité culturelle. C’est pourquoi Lévi-Strauss renie dans Race et Culture (1971) son idée de coalition entre des cultures qui accompliraient le miracle de s’ouvrir aux autres, tout en restant fidèles à elles-mêmes. Les discours de l’Unesco dissimulent des contradictions sous le voile du politiquement correct. En réalité, autant on doit condamner le racisme, autant on doit être indulgent avec l’ethnocentrisme, car « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs ». Cette incommunicabilité relative « peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs [...] de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement 1 ». Il est sans doute barbare de croire à la barbarie, mais seuls les barbares sont créateurs. Les civilisés, eux, vont au musée admirer ce qu’ils n’ont plus la force de produire. Finkielkraut reproche à Lévi-Strauss cet « éloge mesuré de la xénophobie », qu’il rapproche de l’éloge fait par Herder du préjugé utile, qui permet à un peuple de mieux affirmer son caractère propre. Toutefois il lui reconnaît le mérite de mettre en lumière la contradiction de l’Unesco, qui prêche l’amour entre les peuples, alors que sa logique différentialiste ne peut conduire qu’à l’hostilité mutuelle 2. Je dirais plutôt que la thèse de 1. Le Regard éloigné, p. 47 et 15. 2. Race et Histoire, p. 118 et 35. 84 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 85 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Lévi-Strauss est vraie, mais a une portée limitée. Elle compare implicitement les cultures à un artiste, dont les jugements souvent injustes et intolérants sont l’inévitable contrepartie d’un goût puissamment original. Balzac conseillait ainsi à Stendhal de réécrire la Chartreuse de Parme pour en faire un roman plus balzacien. Cela ne veut pas dire que l’artiste (ou une culture) doit se tenir à l’écart de toute influence étrangère, mais qu’il (ou elle) doit être capable, comme le disait déjà Herder, de l’assimiler. En effet, si on compare – avec Nietzsche – l’esprit à un estomac, tant que notre système digestif fonctionne bien, il peut absorber toutes sortes de nourritures exotiques, et se les incorporer, les faire siennes. Les visages des Demoiselles d’Avignon ont beau emprunter à l’art nègre, le tableau reste une œuvre cubiste de Picasso. Seul un organisme affaibli, enclin à la dyspepsie, se fermera aux autres, pour ne pas mettre en péril une santé déjà fragile. Le repli sur soi, dirait Nietzsche, est donc un symptôme de décadence, typique des cultures moribondes. L’Unesco ne se contredit donc pas nécessairement quand elle valorise simultanément l’affirmation de l’identité culturelle et le dialogue des cultures, à condition d’ajouter que cela suppose d’être à la fois assez cultivé pour s’intéresser à l’autre et en assez bonne santé pour ne pas risquer de se sentir menacé par cette confrontation. Mais peut-on, comme le fait LéviStrauss, transposer ce point de vue esthétique aux valeurs en général ? En morale par exemple, on ne demande pas à chaque culture de faire preuve d’originalité, d’être un individu unique et incomparable, mais de ne pas transgresser des principes universels. On s’est scandalisé en 1971, alors que l’idée la plus contestable 85 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 86 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 – une culture ne peut pas en évaluer objectivement une autre parce qu’elle est prisonnière de son système de référence – était déjà présente en 1952. Montaigne n’avait-il pas réfuté d’avance le relativisme culturel, en disant qu’il ne faut certes pas juger les autres en fonction de nos propres coutumes, mais qu’on peut critiquer toutes les cultures, y compris la sienne, au nom de la raison ? Léo Strauss n’avait-il pas raison de souligner au début de Droit naturel et histoire (1953) que le simple fait de trouver une loi injuste ou de nous demander ce que vaut l’idéal de notre société présuppose l’existence d’un étalon supérieur à la fois au droit positif et aux valeurs d’une culture : le droit naturel, dont les droits de l’homme constituent la forme moderne ? À la recherche du passage entre nature et culture Ce détour était nécessaire pour faire sentir à quel point il est paradoxal de présenter la distinction nature/culture comme essentielle à l’anthropologie. Il est vrai que celle-ci a besoin d’un sens élargi du terme de « culture », qui ne s’oppose plus à la barbarie, mais à la nature. On oppose ainsi ce que l’individu tient de l’hérédité biologique et ce qu’il acquiert grâce à la tradition. Mais cela n’implique pas qu’on s’intéresse au passage de la nature à la culture, ou de l’animal à l’humain. L’anthropologie est beaucoup plus préoccupée par le rapport entre l’humanité et la diversité des sociétés, par la question de savoir si « culture » doit se mettre au singulier ou au pluriel. Le sens élargi de 86 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 87 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 « culture » n’entraînant pas nécessairement, quoi qu’on ait pu dire, le relativisme culturel. On peut maintenant revenir à ce que Lévi-Strauss appelle la valeur méthodologique, plutôt qu’historique, de l’opposition nature/culture. Il serait absurde de dire que tout est inné ou que tout est acquis. Mais lorsqu’un individu réagit à une situation, peut-on isoler dans sa réponse les facteurs naturels du conditionnement culturel et montrer comment ils s’articulent ? La culture n’est pas un vernis qui viendrait se superposer à un fonds naturel, mais une synthèse au sein de laquelle les éléments d’origine n’existent plus en tant que tels, de même que l’hydrogène et l’oxygène doivent changer d’état pour donner de l’eau. Seulement le chimiste a la possibilité de retrouver les éléments de départ, alors que le psychologue et l’anthropologue n’ont pas cette chance. En effet, si on isole un nouveauné, on ne sait pas si l’absence de réaction à un stimulus provient du défaut d’un facteur culturel ou d’un manque de maturation. Et prolonger l’isolement serait placer le sujet dans un cadre aussi artificiel que l’environnement culturel normal (p. 5). On a observé, dès la naissance, des différences de comportement moteur entre des bébés africains et des bébés nord-américains, mais rien ne prouve qu’elles soient innées, puisqu’elles sont faibles entre bébés américains, qu’ils soient blancs ou noirs. Elles pourraient donc s’expliquer par des différences culturelles dans la façon de s’occuper de l’enfant (mis au berceau ou porté contre le corps), ou dans la manière dont les femmes s’alimentent et se comportent lors de la grossesse 1. Lévi-Strauss 1. Le Regard éloigné, p. 24. 87 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 88 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 remarque que « dès que l’homme a acquis le langage [...], il a lui-même déterminé les modalités de son évolution biologique, sans en avoir nécessairement conscience », par exemple par le biais des règles matrimoniales. Puisque « les hommes ne se sont pas moins faits eux-mêmes qu’ils n’ont fait les races de leurs animaux domestiques », on peut dire que l’anthropologie physique étudie les transformations anatomiques et physiologiques résultant de l’apparition de la culture 1. On s’est trop longtemps demandé si la race influençait ou non la culture, au lieu de voir que la race « est une fonction parmi d’autres de la culture », du moins si l’on entend par « race » certaines propriétés héréditaires 2. Lévi-Strauss donne l’exemple de la drépanocytose, maladie où la mutation d’un gène entraîne une anomalie de l’hémoglobine parfois mortelle. Comment se faitil qu’en dépit de la sélection naturelle, on trouve dans certaines régions d’Afrique jusqu’à 10 % de drépanocytaires ? Sans doute parce qu’elle procure une protection relative contre la malaria, elle-même favorisée par les travaux agricoles (défrichement, etc.), qui multiplient les terres marécageuses. Le maintien d’une mutation nocive est donc une forme d’adaptation naturelle à une transformation culturelle de l’environnement. L’anthropologue parti à la recherche de la nature ne peut s’empêcher de retrouver l’influence de la culture jusque sur la vie intra-utérine et le patrimoine génétique. 1. Anthropologie structurale, p. 410. 2. Le Regard éloigné, p. 36. 88 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 89 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Le cas des enfants sauvages Les « enfants sauvages », qui se développent à l’écart de toute influence sociale, ne dépeignent-ils pas fidèlement l’état naturel de l’humanité ? Lévi-Strauss croit – à tort – ne pas pouvoir répondre négativement sans reprendre à son compte la thèse traditionnelle de l’arriération : ces enfants ont été abandonnés parce qu’ils étaient des anormaux congénitaux. Lucien Malson réfute cette idée avec passion. Certes ces enfants nus, mutiques, quadrupèdes, sexuellement indifférents, etc., ressemblent à des idiots constitutionnels. Mais s’ils n’avaient pas été normaux, ils n’auraient sans doute pas pu survivre, et ils ne manifesteraient pas une capacité limitée d’apprentissage : on peut leur enseigner à se tenir debout, à se vêtir, à comprendre le langage, parfois à utiliser un vocabulaire rudimentaire. Surtout l’enfant animalisé (l’enfant-loup Kamala) et l’enfant solitaire (Victor de l’Aveyron) souffrent des mêmes troubles, au degré près, que l’enfant reclus (Gaspard Hauser), qui n’a pas été enfermé parce qu’il était idiot, mais parce qu’il gênait. L’imbécillité de l’enfant sauvage est donc bien la conséquence de l’absence de contact intellectuel et affectif avec autrui, le résultat et non la cause de son isolement. Malson montre également que Lévi-Strauss n’a pas besoin de la thèse traditionnelle. D’ordinaire, ce sont ceux qui croient à l’existence d’une hérédité psychique qui l’invoquent : puisque l’enfant sauvage n’a pas su retrouver le comportement naturel de l’espèce humaine, c’est qu’il était idiot. Si le comportement humain n’était obtenu que par l’apprentissage, on ne comprendrait pas, 89 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 90 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 disent-ils, pourquoi les enfants sauvages parviennent si rarement à parler une fois qu’ils ont retrouvé un milieu culturel. Or Lévi-Strauss ne pense précisément pas qu’il existe un comportement naturel de l’espèce auquel l’enfant pourrait revenir, comme un chat domestique évadé qui retrouverait son instinct de chasseur. On peut donc dire à la fois que l’enfant sauvage illustre ce qu’est le comportement humain pré-culturel et que celui-ci n’est rien de fixe, si bien que l’enfantloup prendra par exemple les habitudes alimentaires de ses parents adoptifs. Malson trouve chez Lévi-Strauss et chez Sartre une même critique de l’idée de nature humaine, la même conviction que l’homme est histoire. Ce qu’il y a d’inné chez l’homme, c’est une capacité à apprendre, ainsi que le moment pour le faire (si l’on n’apprend pas à parler très tôt, cela devient presque impossible après). « L’homme en tant qu’homme, avant l’éducation, n’est qu’une simple éventualité 1. » Il n’est, disait déjà le pédagogue empiriste Itard, grand pourfendeur des idées innées, que ce qu’on le fait être. Peut-on parler de sociétés animales ? Si l’on partait de l’animal plutôt que de l’enfant, pourrait-on espérer trouver dans le vivant une ébauche de culture ? Lévi-Strauss en doute, qui critique le terme même de société animale. Tout dépend pourtant de la définition qu’on en donne. Espinas appelle corps social 1. Les Enfants sauvages, Paris, 10/18, 1979, p. 63 et 100. 90 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 91 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 « un tout organisé, c’est-à-dire fait de parties différentes, dont chacune concourt par un genre particulier de mouvements à la conservation du tout 1 ». Certes on pourrait reprocher à cette définition de confondre – volontairement – société et organisme. Ou encore son parti pris idéologique, contre le darwinisme social, puisqu’elle fait de la solidarité des associés un atout dans la lutte pour l’existence. Toujours est-il qu’elle permet de distinguer trois grands types de sociétés animales. Il y a d’abord la société de nutrition (ou blastodème), qui résulte de la connexion d’organes continus, avec ou sans communication vasculaire (infusoires, polypes, etc.). Ensuite la société de reproduction (ou famille) : la société conjugale formée par l’union du mâle et de la femelle se prolonge parfois en société domestique, chargée de l’éducation des jeunes. On a tort de réserver le terme de société aux sociétés domestiques maternelles des hyménoptères (guêpes, abeilles, fourmis), que l’on compare de surcroît abusivement à des États, alors que la prétendue « reine » (en fait une mère) ne donne aucun ordre. En réalité, les sociétés domestiques paternelles, par exemple chez les oiseaux, constituent un état supérieur de la famille. Surtout le terme de société convient principalement à la peuplade, véritable bande de jeunes (chiens, singes, etc.), dont le lien social réside avant tout dans la sympathie, dans l’attraction des semblables. Est-il vrai, comme le dit Lévi-Strauss, que ces sociétés ne connaissent que l’instinct et la transmission héréditaire (p. 6) ? Certes l’animal n’a pas de conscience et ne réfléchit pas. Mais 1. Des sociétés animales, Paris, Alcan, 1935, p. 413. 91 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 92 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Espinas refuse de s’enfermer dans le dilemme cartésien : ou bien l’animal est rationnel, ou bien il est une machine. Comme Leibniz, il pense qu’« il y a un nombre infini de degrés entre la pleine conscience et le zéro de conscience ». En particulier, l’instinct est « intermédiaire entre le mécanisme aveugle et la claire intelligence 1 ». Bergson dira que ce n’est ni une intelligence tombée dans l’automatisme, ni un réflexe composé, mais une intuition vécue plutôt que représentée, une sorte de sympathie divinatrice (L’Évolution créatrice, II). Espinas préfère y voir un mode d’intelligence inférieur parce qu’inconscient, que l’on peut attribuer à l’animal par analogie avec nos propres actes instinctifs (au sens d’irréfléchis). Par exemple, les fourmis, qui élèvent parfois des pucerons pour leur sécrétion abdominale, sont le seul animal à en avoir domestiqué un autre. On ne peut le comprendre sans faire appel à un acte initial de discernement : un jour, une fourmi a eu l’idée d’emporter un puceron dans la fourmilière, dans l’attente vague d’un avantage inconnu, et ses congénères l’ont imitée. Il n’y a donc qu’une différence de degré entre l’intelligence animale et la nôtre. En outre, ce n’est pas par anthropomorphisme qu’Espinas parle d’éducation des jeunes au sein de la société domestique. Par exemple, les perdrix ont appris à se méfier des chasseurs et à leur échapper en modifiant leur façon de s’envoler ainsi qu’en postant des sentinelles. Les petits ne tiennent pas cette nouvelle aptitude de l’hérédité, mais des leçons de leurs parents. Il se constitue ainsi une véritable tradition. Il y a donc, 1. Des sociétés animales, p. 253 et 159. 92 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 93 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 en sus de l’inné, des capacités que l’animal acquiert en tant que membre d’une société. Si l’on se fie à la définition de Tylor, n’est-on pas contraint d’admettre que la distinction nature/culture ne se superpose pas à l’opposition animal/humain ? L’homme et l’animal Non, si l’on cesse de définir la distinction nature/ culture par l’opposition entre l’inné et l’acquis, l’hérédité biologique et la tradition externe (p. 9). S’intéressant maintenant aux singes anthropoïdes, Lévi-Strauss montre deux choses. Premièrement, toute insistance sur la continuité entre l’animal et l’humain ne fait que déplacer la frontière, sans jamais la supprimer. Par exemple, les singes ont des systèmes de communication variés, mais n’utilisent pas de symboles pour nommer les choses. L’homme peut leur enseigner à le faire, mais les animaux n’utiliseront pas ces signes dans leur milieu naturel. Mieux que l’intelligence ou la capacité à fabriquer des outils, le langage est donc le critère qui souligne la différence entre l’animal et l’humain. Or le langage rend illusoire la recherche d’une continuité entre nature et culture. Puisque la pensée symbolique est relationnelle, « le langage n’a pu naître que tout d’un coup. [...] Un passage s’est effectué, d’un stade où rien n’avait un sens, à un autre où tout en possédait 1 ». 1. « Introduction à l’œuvre de Mauss », in M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1997, p. XLVII. 93 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 94 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 Deuxièmement, le comportement individuel ou collectif des singes, notamment sexuel, est relativement irrégulier, comme s’ils échappaient à la monotonie de l’instinct sans être encore capable de se donner des règles à suivre. Toutefois, Lévi-Strauss n’exagère-t-il pas pour les besoins de sa cause cette individualisation des comportements ? Comme dans le cas des enfants sauvages, ne tente-il pas de parvenir à une conception juste – la culture est l’univers des normes – au moyen d’une thèse – la vie des singes offre peu de constance –, qui est à la fois contestable et superflue ? Car pour souligner qu’aucun animal ne se dote de règles institutionnelles, puisque aucun ne parle, il n’est pas nécessaire que leur comportement manque de toute régularité. Prenons l’exemple des bonobos, célèbres pour la variété de leurs pratiques sexuelles. Est-il vrai que celles-ci doivent tout au hasard des rencontres ? Puisqu’une société animale est incapable de poser des règles morales ou matrimoniales, on ne doit pas s’attendre à voir les bonobos prohiber l’inceste. Ils l’évitent pourtant 1. La mère ne frotte plus son ventre contre celui de son fils une fois que ce dernier dépasse deux ans. Le jeune mâle a des contacts sexuels avec d’autres femelles que ses sœurs. Comment l’expliquer ? L’idée qu’une fréquentation précoce atténue la désirabilité n’est pas valable pour l’homme, mais l’est peut-être pour les bonobos, car si les frères et sœurs sont élevés séparément dans une nursery, on les verra souvent copuler ensemble. Et dans le cas du père, qui n’élève pas sa progéniture et qui a trop de rapports sexuels 1. F. de Waal, Bonobos, Paris, Fayard, 1999, p. 116-121. 94 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 95 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 pour savoir qui sont ses enfants ? Le problème est résolu par l’exil volontaire des jeunes femelles, qui partent à la recherche d’autres groupes dès qu’elles ont leurs premières tumescences génitales. En dehors même du cas de l’inceste, l’accès aux femelles n’est ni libre ni égal, mais soumis à des rapports de domination. Comme dans tant d’autres espèces, le mâle alpha tend à se réserver les femelles pour lui. La vie sexuelle des bonobos a donc beau être riche, elle n’en est pas moins régie par des lois, qui n’ont d’ailleurs rien d’exceptionnel. Toutefois, la thèse de Lévi-Strauss est correcte : l’absence ou la présence de normes est un critère des deux distinctions superposables animal/humain et nature/ culture. Il y a donc un abîme infranchissable entre les deux ordres, qui nous empêche de saisir leur articulation ou de défaire la synthèse pour retrouver les éléments de départ. On pourrait en rester là, sans que ce soit nécessairement un constat d’échec, car la déception de ne pas retrouver l’inné dans le comportement humain est largement compensée par les possibilités de libération qu’offre la prégnance de la culture. L’origine de la culture est-elle un mythe ? Mais Lévi-Strauss, on l’a dit, s’intéresse au passage de la nature à la culture. La prohibition de l’inceste est une règle sociale. Mais alors que celles-ci sont souvent particulières, elle est universelle, comme le serait un phénomène naturel, tel que le réflexe pupillaire. Qu’en conclure ? Qu’il faut dé-constituer l’antique opposition nature/culture et que la prohibition de l’inceste est 95 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 96 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 l’impensé de toute la conceptualité philosophique 1 ? Ou plus simplement et plus sérieusement que le raisonnement est sophistique ? Même si tout ce qui était naturel était universel, la réciproque ne serait pas vraie. Tous les hommes sont mortels, mais tous les mortels ne sont pas des êtres humains. Il n’y a donc de « scandale » (p. 10) que parce que le critère choisi est mauvais : ce qui définit la culture, c’est la présence de règles, peu importe qu’elles soient particulières ou universelles. Lévi-Strauss ajoute que la prohibition de l’inceste est également naturelle au sens où elle s’exerce sur « l’instinct sexuel » (p. 14). Pourtant, n’importe quel lecteur de Freud sait que l’homme ne suit pas un instinct qui dirigerait tout membre de l’espèce vers un membre du sexe opposé lors de la saison des amours, mais des pulsions qui varient en fonction de l’histoire individuelle du sujet et dont le but, se satisfaire, peut être atteint grâce aux objets les plus étranges (pensons par exemple au fétichiste). De sorte que là encore la discontinuité entre les deux ordres est patente et il est difficile de retrouver ce qui reste de biologique dans la conduite sexuelle humaine. Lévi-Strauss reproche aux tentatives antérieures d’explication de l’inceste de ne pas avoir tenu compte de l’ambiguïté d’une prohibition mi-naturelle, mi-sociale. En particulier, Durkheim n’aurait pas dû proposer une théorie purement sociologique de l’inceste et de l’exogamie. Mais qu’a fait d’autre Lévi-Strauss lui-même, en faisant appel à un principe de réciprocité, qui pousse des groupes différents à échanger toutes sortes de choses (et pas seulement des femmes) ? Concluons-en que la prohibition 1. J. Derrida, L’Écriture et la Différence, Paris, Seuil, 1979, p. 416. 96 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 97 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 de l’inceste a beau être une règle universelle qui régit le désir sexuel, elle n’a rien de naturel. On peut dire si l’on veut qu’elle est la culture, plus parce qu’elle est une règle que parce qu’elle est cette règle – les bonobos évitent naturellement l’inceste –, mais pas qu’elle nous permet de saisir le mystérieux passage de la nature à la culture. Pourquoi Lévi-Strauss attache-t-il une telle importance à ce problème ? On trouve la réponse dans un texte de 1962, où il fait de Rousseau le fondateur des sciences de l’homme. Dans le second Discours, Rousseau aurait cherché à rendre compte d’un triple passage, de la nature à la culture, du sentiment à la connaissance et de l’animalité à l’humanité. Pour ce faire, il devait trouver une faculté dotée d’attributs contradictoires, à la fois naturelle et culturelle, etc. : la pitié ou identification à autrui, à tout être vivant 1. On voit qu’il n’est plus question de prohibition de l’inceste, ni même de règle, mais que la forme du raisonnement est la même. Curieusement, celle-ci n’est pas sans rappeler la pensée mythique, qui « procède de la prise de conscience de certaines oppositions et tend à leur médiation progressive 2 ». Si le passage entre deux termes semble impossible, on cherche un intermédiaire ayant une nature ambiguë. Soit par exemple les mythes gé de l’origine du feu. Un jeune dénicheur d’oiseaux abandonné par son beau-frère en haut d’un rocher est recueilli et adopté par un jaguar, qui lui fait découvrir 1. Anthropologie structurale II, Paris, Plon-Pocket, 2006, p. 50 ; cf. Le Totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 2002, p. 148. 2. Anthropologie structurale, p. 258. 97 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 98 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 la viande cuite. La femme du jaguar, bien qu’humaine, est hostile à l’Indien. Celui-ci la tue, sur les recommandations du jaguar, et s’enfuit, emportant le feu dans son village. Comment expliquer l’indifférence du mari envers sa femme ? Ce qui est psychologiquement surprenant s’éclaire d’un point de vue logique. Le jaguar et l’homme sont des termes opposés. L’un mange cru, l’autre cuit. Pour que ce que possède l’homme vienne du jaguar, il faut qu’une relation s’établisse entre les deux, grâce à un terme intermédiaire : la femme indienne ou l’animal. Une fois que cet être ambigu a joué son rôle de médiation, il doit être supprimé, puisque la situation finale se caractérise par la discontinuité entre l’animal et l’humain 1. Cette ressemblance entre la pensée indienne et celle de Lévi-Strauss nous oblige à nous demander si l’anthropologue ne nous a pas livré un mythe de l’origine de la culture, dont il y aurait autant de variantes que de médiateurs (la prohibition de l’inceste, la pitié, etc.). Dans quel but ? Lutter contre « le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine ». Lévi-Strauss cherche désespérément un passage de la nature à la culture pour combattre ce qu’il croit être les effets pratiques pervers de la discontinuité théorique nature/culture. Le même amourpropre qui incline l’homme à se croire un empire dans un empire, à se poser comme incarnation de la culture en face de la nature inerte et de l’animal, au lieu de se reconnaître comme un être vivant parmi d’autres, entraîne aussi une culture à se croire seule représentante de l’humanité et à rejeter toutes les autres dans 1. Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1994, p. 91. 98 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 99 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 la barbarie. Un même raisonnement amène la réduction de la biodiversité, le spécisme et le racisme. Par conséquent, le relativisme culturel des années 1950 ne suffit plus. L’Unesco doit comprendre que la lutte contre les préjugés raciaux devrait s’accompagner d’une promotion du respect envers toutes les formes de vie 1. Les textes des années 1960 s’en prennent systématiquement à l’humanisme occidental, qui n’érige l’homme en règne séparé que parce qu’il est le produit d’une civilisation démesurément urbaine, coupée de son milieu naturel, condamnée à vivre dans l’artifice 2. Cet anti-humanisme peut prendre la forme du naturalisme ou celle du matérialisme. Dans le texte sur Rousseau, Lévi-Strauss nous rappelle que tout être vivant, puisque souffrant, est notre semblable et devrait susciter notre pitié. Tandis que lors de sa polémique avec Sartre, il déclare qu’après « avoir résorbé des humanités particulières dans une humanité générale », il faut encore « réintégrer la culture dans la nature, et finalement, la vie dans l’ensemble de ses conditions physico-chimiques 3 ». Une cascade de réductions ramènerait le sujet au vivant et celui-ci à la matière. Alain Renaut, qu’on sait légitimement attaché à la philosophie du sujet, refuse que les droits de l’homme ne soient « qu’un cas particulier des droits qu’il nous faut reconnaître au pouvoir créateur de la vie 4 ». Mais il ne sert à rien de rappeler que l’homme est liberté et qu’il se 1. Le Regard éloigné, p. 46. 2. Anthropologie structurale deux, p. 334. 3. La Pensée sauvage, p. 294. 4. La Philosophie, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 124. A. Renaut cite un entretien de C. Lévi-Strauss dans Le Monde du 21 janvier 1979. 99 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 100 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 distingue de l’animal en étant capable de s’arracher au cycle vital de la satisfaction des besoins. Non seulement parce que Lévi-Strauss pourrait répondre que la différence entre l’homme et l’animal est logiquement et chronologiquement ultérieure à leur statut commun d’être souffrant. Mais surtout parce que Lévi-Strauss ne nie pas qu’il existe un abîme entre l’humain et l’animal, mais seulement que la spécificité de l’homme lui confère une dignité particulière. Tout se passe comme s’il y avait deux Lévi-Strauss. Le scientifique, dont l’œuvre ne cesse de souligner la discontinuité entre la nature et la culture ; l’homme, qui soutient au contraire dogmatiquement que la culture est une manifestation de la nature, parce qu’il pense que tous nos maux viennent de ce que l’homme se prend pour le seigneur de la création. Parfois les deux Lévi-Strauss essayent de se rejoindre, comme dans la préface de 1967 de la 2e édition des Structures. Puisque les progrès de la recherche montrent soi-disant que l’animal est capable d’utiliser des symboles et des outils, on peut se demander si l’opposition nature/culture n’est pas « une création artificielle de la culture, un ouvrage défensif » ou un instrument de domination. Lévi-Strauss oppose à notre humanisme dévergondé l’humanisme sage des primitifs, dont les coutumes préservent l’équilibre avec le milieu naturel. Par exemple, la croyance en un esprit « maître de chasse », qui protège les animaux, empêche les abus de la part des chasseurs 1. Un élève de Lévi-Strauss a montré à sa suite que l’opposition nature/ culture telle que nous la concevons, comme celle entre 1. Le Regard éloigné, p. 35. 100 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 101 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 l’espace sauvage ou domestique, est propre à notre civilisation occidentale, parce qu’elle suppose le désenchantement du monde 1. Mais que la distinction n’ait été établie que par nous ne veut pas dire qu’elle n’est pas un « aspect objectif de l’ordre du monde », sauf à pousser le relativisme culturel jusqu’à annuler la différence entre la conception religieuse et la conception scientifique du monde. Et on attend toujours de voir des animaux qui pourraient parler, c’est-à-dire former au moyen d’un code fini un nombre infini d’expressions adaptées à des situations particulières. Ajoutons que le matérialisme de Lévi-Strauss reste programmatique. Et que si la sensibilité à la souffrance de l’animal augmente effectivement dans nos sociétés, comme en témoigne le développement du végétarisme ou des mouvements de libération animale, il s’agit plus vraisemblablement d’un effet culturel (nous tolérons en général de moins en moins bien la mort et la douleur), que de cette « répugnance innée à voir souffrir son semblable » dont Rousseau admettait du reste qu’elle est étouffée par la civilisation. Force est de conclure que la tension persiste chez Lévi-Strauss entre l’affirmation théorique et la contestation pratique de la discontinuité nature/culture. Ce qui rend son œuvre doublement précieuse. D’une part, elle nous enseigne que l’animal ne parvient jamais au seuil de la culture, tandis qu’on ne retrouve presque jamais chez l’homme le fonds de nature. D’autre part, elle nous montre que la remise en cause de l’exception humaine, si fréquente aujourd’hui, 1. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. 101 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 108 x 178 — 29-04-08 13:48:45 130157OMF - Flammarion - Guide GF philo 2008 - Page 102 — Z30157$$$3 — Rev 18.02 est une philosophie de l’environnement, comme le relativisme culturel fut une philosophie de la décolonisation. Stéphane Desroys du Roure, professeur au lycée La Tour des Dames de Rozay-en-Brie (77).