Que Mélanie Leray mette en scène
La Mégère apprivoisée de Shakespeare
excite la curiosité. D’abord parce
qu’on se rappelle son adaptation inci-
sive des Contractions de l’anglais Mike
Bartlett, présentée à la Comédie en
2012. Ensuite, parce que La Mégère
est rarement montrée au théâtre et plus
rarement encore mise en scène par une
femme. Écrite en 1594, cette comédie
est l’une des premières pièces de
Shakespeare, dont on a célébré en 2014
le 450e anniversaire. Souverainement
célibataire, Elisabeth 1re gouverne
alors l’Angleterre d’une main de fer
depuis 1558. Le rappeler peut éclai-
rer le contexte. Ce que nous montre
Shakespeare derrière une construction
en trompe-l’œil ? D’un côté, Catherine,
une femme supposée non « mariable »
en raison de son mauvais caractère, de
l’autre, Petruccio, un gentilhomme
supposé n’être intéressé que par
un mariage d’argent. Voilà pour les
apparences. Premier regard, premiers
accrocs. La rencontre est explosive.
De cette bataille entre sexes, l’issue
est incertaine, tant l’attraction entre
les deux êtres est strictement égale. Le
désir, une fois encore, conduit le jeu.
De la carpe et du lapin, qui domine
l’autre ? Beaucoup plus tard, le cinéma
hollywoodien inventera un genre à part
entière pour mettre en jeu le même
théâtre des passions, les Screwball
Comedies, soit pour l’essentiel, des
comédies de mœurs exacerbant l’anta-
gonisme sexuel. Dompter, être dompté
ou se parler ? Contre quoi échanger
notre animalité ? Dans ce chassé-croisé
aux accents puissamment égalitaires,
Philippe Torreton est Petruccio, Lætitia
Dosch, Catherine.
Pour la Comédie de Clermont-Ferrand
© Daniel Conrod, printemps 2014
Comédie de jeunesse, comédie paradoxale et énigmatique,
comédie libertine et gaillarde, comédie populaire, comédie
du théâtre dans le théâtre,
La Mégère apprivoisée
revient nous
questionner sur la nature des rôles déterminés et déterminants
de l’homme et de la femme dans une adaptation moderne et revivifiée.
Une
Mégère
très rock’n’roll et pas si apprivoisée…
—
C’est dans un univers inspiré du cinéma hollywoodien de série B. que Mélanie
Leray transplante, très fidèlement, les aventures excessives de Catherine et
Petruccio, les amants terribles qui, de crises d’hystérie en bagarres verbales,
vont finir par devenir un couple, dans un happy-end très conventionnel…
Mais derrière cette convention se cache la finesse d’un Shakespeare qui ne
cesse de brouiller les pistes et de multiplier les sens possibles en affirmant
bien haut que nous sommes au théâtre, toujours entre mensonges et vérités.
Nos héros ne seraient-ils pas simplement des acteurs qui jouent à accepter
les lieux communs qui régissent les rapports homme/femme,
domination de l’un, soumission de l’autre ?