NOTE DU METTEUR EN SCENE, EN FORME DE REQUISITOIRE
Mais pourquoi la mégère? Hein, pourquoi? C’est nul, la Mégère, c’est vraiment pas
une des pièces les plus connues de Shakespeare, ni une des meilleures, et puis
c’est sexiste au possible, et puis ce monologue de fin, vraiment, impossible de s’en
dépatouiller sans faire grincer des dents. Et pour en faire quoi? Une comédie
musicale? N’importe quoi! D’abord ça a déjà été fait, et bien fait, par Cole Porter,
dans les années 50, ça s’appelait “Kiss Me Kate” et ça a fait un carton…
Oui oui bon n’en jetez plus la mégère parce que justement, c’est une des pièces, non,
c’est inexact, disons une des comédies les moins connues de Shakespeare, et c’était
justement l’occasion de pouvoir mieux s’en éloigner.
S’en éloigner? S’éloigner de Shakespeare, le plus grand dramaturge, le plus grand
poète de tous les temps?
Mais oui, justement! D’abord, il est libre de droits, donc il va pas venir m’embêter, ensuite
sa fin est vraiment pas finaude: cette Katarina qui s’abaisse et qui en rajoute sur des pâtés
sur “ton époux, ton maître, ton seigneur”, non non c’est bon, merci, on coupe.
On coupe!? (s’étranglant presque)
Mais oui, allez, on passe à la trappe, pouf, les deux dernières scènes, et on change la fin:
on met une chanson, et puis une autre, allez, dix en tout, et on rééquilibre le pouvoir entre
Petruccio et Katarina.
Pauvre Shakespeare…
D’abord, cette pièce, ça se dispute pas mal pour savoir si elle est vraiment de lui, sauf la
fameuse scène dite “de la rencontre”, où tout le monde s’accorde à dire que ça ne peut
venir que de William himself…
Cette scène superbe…
Oui, mais pour laquelle la majorité des traductions ont tendance à faire l’impasse sur le
langage cru et le côté très très sexuel de ce qu’ils se disent, alors hop, on re-traduit!
Toute la pièce! Et on change le titre, pour pas que les puristes se trompent…
“La mégère à peu près apprivoisée”…
Mais oui, à peu près, parce que ça n’est pas du Shakespeare, mais c’est quand même du
Shakespeare… Ce ne sont pas tous des chanteurs, pas tous des chanteurs, pas tous des
musiciens, mais tous chantent, dansent, et jouent. “À peu près” parce ce que c’est
imparfait, maladroit et irréverencieux.
Et ça veut exister…
Ça meurt d’envie d’exister ! Chacun des sept comédiens tuerait père et mère pour un rire
ou un applaudissement…
Mais pourquoi monter Shakespeare comme ça? Il est où, le message?
…
Le…?
… Message! Le message de la pièce! L’axe de la mise en scène!?
Ah oui, bon, euh… Bien sûr, on peut y voir un réajustement du propos de la pièce au
moeurs de notre époque, et une démonstration de la victoire de l’amour par le conflit sur
un amour idéal… En creusant plus profond, j’exprime probablement une apologie d’un
conflit marital comme étant plus constructif qu’une inaction prétendûment harmonieuse.
Mais c’est surtout un pur divertissement, à la Shakespeare et à la Broadway, en français,
et qui tente d’élever un poil le niveau habituel des divertissement théâtraux.
Et puis c’est drôle et c’est déjà beaucoup.
Alexis Michalik