Première partie Identification d’un Autre “Tout homme sera, un jour, appelé à son nom, et toute parole1 située en son lieu. ” Ben Azaÿ. Traité du Jour et Traité des Pères. 1 Ce « Parole », en hébreu, peut signifier aussi « affaire » ou « chose ». 103 “Le geste qui ramène des « idées » à des lieux est précisément un geste d’historien. Comprendre, pour lui, c’est analyser en termes de productions localisables.” Michel de Certeau, « L’opération historiographique » (L’Ecriture de l’histoire, Gallimard, 1975). La théurgie de l’Autre, première partie. Chapitre 1 : L’Exclu paradisiaque et la mishna qui l’introduit Chapitre 2 : La théurgie du Char et sa quadrature de la Vie Chapitre 3 : L’Élisée Derrière Elle ou le Maître des Ailes (avant son exclusion) Chapitre 4 : Comment l’Autre de 133 apparaît dans une Tosefta du IIIe siècle Chapitre 5 : L’Autre (Élisée...) du Talmud de Jérusalem Chapitre 6 : Des Rêves de l’Autre et de Marie dans le Talmud de Babylone Chapitre 7 : Talmud Babli, suite : les 15 Récits de la « Pâque » de l’Autre Chapitre 8 : L’Autre des évangiles, lu / relu par les “moi” d’Hillel (Deuxième partie : Les Apôtres de l’Autre.) 104 Première Partie, Chapitre I L’Exclu du Ciel et de son Nom qui fut tenu pour l’Ecclésiaste Première approche de l’Hérétique par l’érotique du Lévitique Le Talmud affiche sa réponse depuis longtemps : le grand déviant du judaïsme, c’est un “Autre” –“l’Autre Elisée”, soit le Nouveau (Prophète) Elisée…– du début du IIe siècle. Est-ce « l’homme / tout autre » des chrétiens ? Il semble un bel écho de son altérité, mais la prudence des érudits, fixés aux dates du Ponce (?) Pilate, lui oppose la sourde oreille d’un shut up ! académique. Et on exclut l’E(xc)lu sans l’avoir entendu. Les Lumières l’ignorèrent. Lire le Talmud en historien n’existait pas et ses Récits sur l’Hérétique n’inspiraient au théologien que des fantasmes sulfureux. Vint le XIX e siècle. Il fut trop occupé à rationaliser la fable ecclésiastique pour aller déconstruire la légende rabbinique : Renan traite l’Autre d’“apostat”, et puis s’en va ! Par le « trou noir » de l’An-Onyme, c’est l’histoire qui s’envola. Même quand ils échappaient à l’antisémitisme, les historiens tenaient les récits talmudiques pour des fabulations sans quoi ni tête. Un romantique crut voir en l’Autre un antique Uriel da Costa *, genre Spinoza chez les Tannas, mais la plupart l’ont épinglé comme un affreux « gnostique » protokabbalistique. On voulut construire sur son dos un consensus monothéiste, rétrospectif et permanent, excluant tous les genres de « gnose ». Mais comment le XXe siècle de Lévinas, Derrida et Lacan a-t-il pu prolonger la quarantaine de l’Autre ?! En fait, il l’a pérennisée. Une paroi de verre a dû l’escamoter : cet “Autre” est l’exception à l’humanisme de l’Autre homme ! La talmudique damnatio memoriæ avait rendu imprononçable le nom de « l’Innommable » pour la raison inverse à l’ineffable du Nom divin. Mais plus l’Autre devint le trait par où l’Un se reconnaîtrait, plus l’antique Hérétique fut prié de rester le “Muet” de l’histoire, qui est son autre espèce d’anti-nom talmudique. Ainsi le XXe siècle fut le Siècle de l’Autre, mais de tout autre, sauf de “l’Autre”. Il est temps de trouver de quelle manière il vint « sur » Rabbi Ismaël. 105 Plan de la Première Partie : Identification d’un Autre (Retour possible à la Page Sommaire) Chapitre 1. L’E(xc)lu du Ciel et de son Nom qui fut tenu pour l’Ecclésiaste 2— La Quadrature du Char (avec clin d’œil à « Jésus le Chauve ») 3— L’Élisée d’avant l’hérésie ou, les Ailes de “l’Après Elle” 4— De l’Autre “retranché” par l’opération de la Tosefta 5— L’Autre “de Jérusalem” ou la Chevauchée sans Retour 6— Le Rêve du Nourrisson et les Madeleines de la Passion 7— Où l’Autre distribue 12 bouchées du corps enseigneur 8— L’Autre des évangiles, en passant par les « moi » d’Hillel. Chapitre Un, sur l’historiographie de “l’Autre”, sur l’énigme de « sa » mishna et son “secret” dans les Ecrits Page 107 : Où le Nom du Père est le Fils… 118 : La parabole du talmudiste et son clin d’œil au « Natçaréen » 121 : De Renan à nos jours, c’est toujours l’alibi « gnostique 133 : Première approche de l’Autre et des “Quatre du Paradis” 139 : L’herméneutique des quatre sens et les sens des Autre bibliques de Seth et Benjamin au Collecteur de bois (le Bar Qamtça ou Anthonynoun) 146 : Où puiser l’Autre déviant dans les sources rabbiniques 154 : La conjecture hardie d’un Proto-Hagigah d’origine ecclésiale 155 : Les trois premiers verrous de la mishna Hagigah II, 1 163 : Le “Paraclet ” qui “sort d’Hillel ” à la mishna suivante (II, 2) 166 : Mishna II, 1 (suite): la Cinquième Question et le sexe du IIIe Œuvre De l’Œuvre de l’Archer à la Chambre nuptiale 181 : Les “Clous” de l’Ecclésiaste, où “l’Autre” s’est vu “Roi” Position du “Roi en haillons” (en vue du témoignage du Traité Rosh Ha-Shanah 21.b) : « l’Autre, c’est Qohélèt » ! 106 Où le Nom du Père est le Fils, non sans quelques préalables... Bâillonner l’Autre du Talmud permet de protéger ce paradigme suranné : l’Eglise première n’aurait été que la “secte” auto-proclamée de son mystère groupusculaire. C’est la thèse largement reçue sur l’émergence du christianisme. Elle repose sur le cliché que les premiers fidèles de l’Évangile furent des marginaux, nés d’un Rabbi sans maître ! (Incongruité à ne pas confondre avec le rôle eschatologique du Disciple enseignant les maîtres : le Talmyd ’Erhad...) L’Église inaugurale aurait été si marginale qu’aucun Rabbi n’y aurait prêté attention... avant de remarquer qu’elle séduisait les goys ! Cf. Steinsaltz, infra. Thèse partout répandue, plus ou moins explicite, mais toujours structurante. Rejeter ce présupposé, c’est repartir du fait que le héros des évangiles est littéralement un “Rabbi” (en hébreu, quoiqu’en lettres grecques), par où son groupe apostolique a censément croisé un embranchement du rabbinisme. À l’heure de sa Passion comme trois siècles plus tard, c’est un courant minoritaire en Galilée et en diaspora, mais cela ne signifie pas qu’il l’ait toujours été, ni qu’il le soit resté dans les années qui suivent l’institution de son “Église”. Malgré les graves difficultés du témoignage antidaté des Actes des Apôtres (avec leur centurion Corneille, d’une garnison d’un siècle après...), il est à prendre en compte : il affirme un mouvement de ralliement exponentiel dans la génération qui suivit la Passion. Y aurait-il eu en Galilée une génération de Sages... « myNYMisée » (voire plusieurs en Babylonies ?) ?! Selon les sens antiques de “secte” ou “hérésie” (n’impliquant pas déviance a priori), il s’agit d’une “Maison” ou École rabbinique. Il faut savoir laquelle et situer ses “Rabbis”. Ça mènera à se demander (IIe Partie) si ses apôtres furent comme des « sortants » du judaïsme, ou des sortis... « pour la galerie », tous leurs noms débranchés de l’histoire des Rabbis pour être inscrits en grec dans un siècle en trompe-l’œil. Partons à la recherche du maître “retranché” ou de la part exclue d’un Sage qui est peutêtre encore dans le Traité des Pères. Pour ses fidèles, c’est “le” Rabbi. “L’Ultime”, donc “l’Aqyba” selon Matthieu 23 : “ne vous dites plus Rabbi”, dit le Rabbi évangélique à ses apôtres. (“Ni Père”, dit-il aussi, malgré le « pape » et les « abbés » et tous les “Pères” de l’Eglise pour qui on a cru bon de manger la consigne.) 107 Si le schisme a eu lieu, il y eut exclusion ou « partage » mémorial d’un Sage sur le tout ou partie duquel il fallut se départager et que des textes rabbiniques auront dû épingler, d’une façon ou de l’autre, comme le grand « Dévoyeur ». Il est à repérer sans aller préjuger que sa chronologie évangélique la plus visible serait meilleure que la talmudique, ni du moment où ce déviant fut dénoncé comme tel, ni de sa place chez les “Anciens” que les traditions juives ont voulu conserver comme leurs. Dans des Talmuds qui minimisent les dissidences pour tout autre que lui ou ses autres « échos » (dont le Messie Consolateur “sorti d’Hillel” de la Mishnah Hagigah II, 2), cet Hérétique sans pareil, c’est le personnage qu’on nomme -ou plutôt qu’on « dé−nomme »…- (un) “autre”. C’est ’A(r)ḤèR en hébreu. Son autre « nom » (donné en clair) est celui d’Élisée. Avec ou sans les “ailes” du Nouvel « Élisée » (cf. chapitre 3), il a “fleuri” dans les années 120-130. Et quelle est son École ? Celle à un seul disciple vraiment connu, Rabbi Méïr, dont le Talmud assure qu’il a “recraché” l’hérésie, malgré sa haute fidélité à son maître « hérétique ». Elle fut telle que le « Patriarche » de Tibériade a dû bannir Méïr de Galilée. Si Méïr est resté le principal qui soit dit tel, c’est qu’il fallut ensuite circonscrire l’hérésie : on a déconnecté le Déviant de son maître (et même d’une partie de lui-même) et de tous ses élèves, sauf un. Sauf de ce Méïr, seul « immigré » des Douze mais pas le moindre : ce disciple de l’Autre fut le fils d’un philosophe grec, tôt converti au judaïsme et ce Méïr ou Luc, de vers 100 à 166, serait né Philippe ►Symmaque !◄. Commencer par “l’Autre” s’impose. C’est le premier suspect d’une investigation sérieuse quant aux causes d’un schisme majeur au sein du judaïsme antique. Que l’Autre du Talmud soit l’Homme des évangiles paraît assez logique, quand les deux traditions, dixsept siècles durant, se donnèrent pour le véritable “Israël”, à la différence de... l’autre. On peut approuver la sourdine qu’on a mise à la polémique, mais on ne peut nier ce symptôme historique massif. Les Églises les plus anti-juives de l’Antiquité ne se contentèrent pas de présenter leurs dogmes comme liés aux Livres sacrés de l’Alliance mosaïque et recentrés par leur Messie sur l’Esprit de la Loi ; il a fallu aussi qu’elles se donnent comme les ayant-droits du peuple singulier qui a produit ces Livres. 108 Même quand il s’avéra que la majorité du « peuple de l’Alliance » allait rester rétive à cette “Seconde Alliance” ouverte à tous les vents…, préférant s’en tenir à une “Torah Orale” qui était censée redoubler la Loi écrite du premier et unique Moïse, le repérage par Marcion de la série des “Antithèses” entre Torah et Évangile est resté à jamais un objet de scandale. L’Antithèses en devint le premier des livres brûlés. Les caractéristiques du “Rabbi” des évangiles sont supposées connues, en gros, sous réserve d’inventaires nouveaux. On se demandera donc : mais qu’en est-il de cet « Autre », en tant que personnage repoussoir du Talmud ? C’est une question que le Talmud (« Babli » = le Talmud « de Babylone », comme chaque fois qu’on ne précise pas) s’est posé à lui-même (au Traité ῌagigah II). La réponse de la Gemara ? Cet autre—là, c’est « l’Helléniste ». « Le chant grec toujours à la bouche… » C’est ce qui doit se dire, en toute priorité, de tout maître du judaïsme des débuts de “notre ère” qui participe à l’invention du « christianisme ». Il fut inventé en hébreu (bien qu’en dialogue avec le grec), mais la saga apostolique des Actes canoniques a commencé, au soir tragique de la Passion, à l’abri de la “chambre haute” d’une synagogue dite “des hellénistes”. L’autre surnom de l’Hérétique est “Élisée”, du nom du disciple d’Elie, prophète du temps des Rois, envoyé aux Hébreux, ainsi qu’à quelques autres... Un Elysha hébreu n’a rien à faire, a priori, sur les Champs Élysées des Grecs, malgré les traces d’hellénisme qui parsèment le duo biblique d’Elie et Élisée. (Même le premier Élisée biblique –en Genèse 10, 4– est donné comme un “japhètique” fils de Yawàn = la Grèce. Il y est même, comme Paul, le frère de... “Tarse ” !! 2) Certes, Élisée n’est pas Jésus. Mais 1/ le cycle biblique d’Elie et Élisée offre une trame serrée aux épisodes des évangiles. Le Jésus de Luc 7, tel l’Autre de Méïr, réincarne l’Elisée biblique car ce « Second Moïse » fut un Autre Élisée : il réinstaure le Temps des Rois où Elie et Élisée opèrent des résurrections dans leurs chambres hautes, puis l’ascension sur le Chariot, le pouvoir du Manteau, etc., etc. Lorsque le Jésus de Matthieu dit que son « Elie », le Baptiste, est le “plus que prophète”, il s’annonce en + qu’Élisée. Ceci est plus qu’anecdotique. On retrouvera au chapitre du Char cette énigme des “Tarshanym”, les anges « de Tarse », comme une catégorie angélologique « pré-qabalistique », liée aux Ophanym ! 2 109 2/ Or, le nom d’Élisée est aussi salutiste que l’autre : c’est le nom jumeau de Jésus. Élisée et Jésus sont le même nom de “Dieu-Sauveur”, selon que Dieu est Dieu (= ’EL), ou qu’il L’est sous son Nom propre, « l’imprononçable » iYéHoWouaH, ou YoH-Wé-Ha, ou YaH, tout simplement… Si bien que le Talmud, une fois -en B. Nazir, 44 a-, désigne “l’Autre” (alors “à la tête des Anciens” !) en attestant du Nom mystique de l’Hérétique : il lui rend son Nom céleste en l’appelant {le “Nom” est Sauveur =} “ YéHo-Sh-Wou‘a {en Fils de la promesse que Dieu sauvera tout Israël et d’autres justes =} BèN ’éLYSh‘a ”. De plus, en général, cet “Autre” ou “ELysha” est donné comme “BeN AB-Wou-YaH”. C’est le Fils de Son Père : YaH ! Dieu le Père est son père ! Dans le Talmud Occidental, il sera dit deux fois “Ben AbouYah Abba” = Fils du « Père » divin du patron (= de «l’Abbé » des Rabbis, le Rabbàn…) ET / OU “Fils” de “Son Père -Ha SheM-, le Père”. Ce « nom » exprime au moins un vœu : que le Fils soit le Nom du « Père » ! Qu’il soit le « Patro-Nyme » ! Le Père que fut son père chez les fidèles du Père en aurait donc été très proche. On doit penser que l’Autre Élisée n’est pas né de n’importe qui parmi les Sages de Yabnéh, mais plutôt du premier d’entre eux (Yoḥanàn Ben Zakaÿ)... Les noms hébreux sont théophores (porteurs d’un des Noms de L’unique ou d’une de ses vertus). Sauf que ce nom “Théophore” est si fort qu’il ne fut porté par nul autre (malgré la contiguïté des AbYah ou Abba-YéY ou AbaHou, etc., et sans parler du “Bar Abbas” homologique, dont il faudra situer la part d’homonymie). Ce nom a toutes les chances de ne pas désigner qu’un homme mais le projet de “l’Autre” de revêtir Le Nom pour incarner le Fils. Car “Le Nom du Père est le Fils”, dit « l’évangile » de Valentin (dès 160). Côté midrash (cf. Dubourg), ce fut le fruit d’une temourah, où le “Messie” -MaShiYarH- se lit le “Nom Vivant” -SheM rHaY- ! “Jésus Christ” s’entend donc par là : “Dieu-Sauveur (est) le Nom-Vivant.” À cette époque, la désignation de L’unique comme étant “le (notre)-Père” (et le “SonPère” pour qui croit en Son « Fils »…) monte en puissance depuis deux siècles. Ce retour au premier plan de la paternité divine a sauté par-dessus les Noms d’une textualité biblique qui cite rarement le “Père”. Sans doute parce que les rédacteurs du Texte-Loi flairaient encore sous un tel Père le Dieu polythéiste 110 familial, l’antique “EL-AB” des Araméens, flanqué de sa divine femelle. Cf. le Temple d’Éléphantine et le “YHWH et Son Ashérah” de la stèle de Qadosh Barné. Ils voulaient se caler sur la pure unicité de leur Hyper “Père –Matriciel”, le Père « au cœur de mère » : le “Ab-Rarham” du Ab-ra(ha)m * hénothéiste3. Si le christianisme eut sa part dans ce retour en force de la Paternité, c’est lié à sa promotion de la Nouvelle Eve et du “Fils”, mais ne brûlons pas les étapes d’un processus où christologie et mariologie ont connu pas mal d’avatars avant que la “Théotokos” * ne soit privée de post partum 4. Une lecture freudienne y verrait un retour du refoulé de “l’Ashérah”, y compris dans le grain de formules talmudiques du type : “Heureuse” (= Ashèrah) est celle qui l’a mis au monde... Que le Père fasse retour en force à cette époque, on le sait par le Psaume 151, le premier des surnuméraires de Qoumrân, puis par Flavius Josèphe, puis les litanies rabbiniques du Notre-Père Notre-Roi (l’Abènou Malkénou) attribuées à l’Aqyba, aussi bien que par la prière du Notre Père des évangiles. Lire le petit livre érudit et très aigu de Marc Philonenko (2001) sur Le Notre-Père. Une Paternité chantée par Isaïe et le Psaume 89 est devenue signe des temps. Elle déteint sur ses partisans : le terme de “Ab” ou de Abba(s) -qui donnera l’abbé et le pape- vise de pieux « patrons » (dont celui du Tribunal rabbinique : le Ab Bèyt Dìn) ou tout “Père” du judaïsme, porteur du A+B de ses “Principes” (cf. Abot). Des “Phi’Aby” du Ier siècle, ceux de la “Bouche- (ou Face)-du-Père”, on passera, au IIe siècle, à des Rabbis “Rabòt”... Ces Pères / Maîtres... allèrent paire par paire. Comme le nom ou « Sur-Nom » de cet Autre serait un nom fameux “d’un bout du monde à l’autre” (une affirmation hénokienne que le Talmud n’applique qu’à “l’Autre” et l’Aqyba), ça vire au « quiz » : quel maître juif est-il connu du monde entier, sans être Abraham ni Moïse ? Et qu’est-il arrivé à cet Autre Élisée ? Qu’il est allé au Paradis ! 3 Notion qui n’a trouvé ce nom qu’au XVIIIe siècle, alors que juifs et chrétiens l’ont refusé durant des siècles, comme Simon Mimouni l’a rappelé. Mais hénothéisme, uni-théisme ou monothéisme désigne une évolution largement amorcée à l’époque qui nous intéresse, longtemps après les Prophètes bibliques et même après Philon... 4 La Madone « del Parto » (en italien), c’est-à-dire enceinte, est une figure connue par la peinture de Piero della Francesca… N.B. : ces remarques sur l’Ashera n’ont rien de gratuites. Elles ont conduit nos recherches à découvrir le rôle (peu souligné jusqu’ici) de la biblique Ḥoulda dans la mise en place des Nativités judéochrétiennes, à savoir de la prophétesse qui aurait « signé » vers moins 622 le rejet de toute « déesse-Mère ». 111 Récapitulons : “l’Homme” des évangiles serait-il l’helléniste juif surnommé “Dieu-Sauveur, Fils de « Son Père, le Nom (du Père) », que le Talmud connaît pour être allé au Ciel, bien qu’il ne le « reconnaisse » plus ? Et que fit-il au Paradis ? Il y coupa les « Plantations ». Des fois qu’on n’aurait pas compris que ce « Bûcheron » s’est dit le Rameau (de la Souche de David), donc le NatÇaR(éen), le surgeon / sentinelle des « Plants » messianiques d’Israël. C’était trop beau pour être lui. On a donc enterré ce Témoignage Talmudien qui ne permettait plus d’aller chercher midi à 14 heures, ni son Eglise au “Ier ” siècle. Et avec ça, même si l’on croit (à tort) qu’il existe une démonstration du fait que le “Rabbi” de l’Ecclesia apostolique fut « forcément » du début du « Ier » siècle, qui pourra expliquer qu’on rechercha si peu comment une figure rabbinique du début du IIe siècle redoublait à ce point l’Homme des évangiles ?! Or, il n’y a pas que lui. La thèse traditionnelle est en charge d’au moins treize « clones ». Il est vrai que ces Anciens du Val Rimmôn sont dits les élèves d’Aqyba et non ceux d’Élisée ni d’Ismaël, mais c’est un faible paravent devant des recoupements entre l’Autre et l’Aqyba (côté “Aqabyah ma-Hillel” -cf. Edouyot 5 et la variante Oxford 146 de Ruth Rabba). Car 1/ Méïr est un disciple d’Aqyba, comme la « totalité » de sa génération, mais -2/ il est aussi l’Élève de « l’Autre » ; or, 3/ Méïr est aussi (avec le Rabbi Judah de la Mékhilta) quasi le seul élève encore nommé de la superbe École du Rabbi Ismaël (dit le “Ben Élisée”). Comment toute cette génération de l’Après-Bar Kokhba est-elle celle des Douze (Mille) disciples d’Aqyba, y compris ce Méïr qui relève d’Ismaël et l’Autre ?!... Ismaël, (l’)Aqyba et (l’)Autre seraient-il, d’une certaine façon et pour une part au moins, le même “Rabbi” exceptionnel ? En un sens, ils font un bouquet, au large de la légende d’Hillel, par des combinatoires qui sont à décrypter. Comme le dit très très finement (de leurs symbioses mystiques dans le dispositif du « Char »...) le pseudo Rabbi Tharphôn (doublon « sur le papier » d’un Rabbi Ismaël « dé-Myné » par les simoniens) à son « compère », l’Aqyba : “se séparer de toi, c’est se séparer de la vie”… Repartons du bon pied. À rebours des traditions, pour en sonder l’historicité, la critique historique peut pratiquer le raisonnement par récurrence. Partant d’une affirmation 112 conjecturale, elle en explore la validité en repassant au crible ce qu’on croyait savoir. Testons l’alternative, puis sa compatibilité avec les données les plus sûres. Partons de cette proposition : une des dimensions historiques du Rabbi des évangiles « doit » transparaître dans le Talmud à travers le grand Rejeté du judaïsme antique, qu’il fut ou qu’il devint... Il y paraît, de fait, sous un nom si assourdissant qu’il en fut aveuglant : le “Jésus” des évangiles est “(l’)Autre” des Talmuds. N’étant plus le Messie des Rabbis « maintenus » (qu’il n’a pas convaincus de lui abandonner ce titre...), il n’y est plus que le « dé-Nommé », ainsi privé de “son nom fameux d’un bout du monde à l’autre”… À ce premier niveau de la damnatio memoriae qui en fit le Sans-nom, cet “Autre” est donc à rapprocher, dans les textes talmudiques, de « Machin » ou « Truc » ou “Un tel”..., en hébreu Pelouny. On sait qu’il vise parfois l’hérétique “Jésu” le Myn. C’est loin d’être le cas de tous les Pelouny semés dans les Talmuds, mais cet emploi « euphémistique » a été reconnu depuis Herford et Joseph Klausner. Il est soupçonné notamment dans la Mishnah Yebamot 4, 13 qui fait dire à Simon ben Azaÿ : selon un registre (généalogique) que j’avais vu à Jérusalem, « Un-Tel » est le bâtard de la Femme adultère... Dan Jaffé (2005) cite aussi Tosefta Yebamot 3, 3-4 et le Traité Yoma 66.b : “Un-Tel a-t-il accès au monde (ou temps) qui vient ? ” Ce quidam est dénigré comme le « Bâtard » (/ “Mamzèr” : le bâtard de Marie dans les Toledot Yeshou, et fils de la niddah *…). Mais l’anti-Nom de “l’Autre” porte une charge plus forte qu’un banal Tartempion ou un pauvre John Doe. La tradition n’a pas choisi de réciter que « Ben Azaÿ et Germinal, Machin et Terminal entrèrent au Paradis » ; elle les nomme “Ben Azaÿ et Ben Zoma, (un) Autre et Rabbi Aqyba”... L’Anonyme du Paradis se présente, à première vue, en Soldat inconnu d’une guerre du Chariot éjecté « pour l’exemple », mais il en fut le Captain Nemo... À quel point fallut-il que judaïsme et christianisme ne veuillent plus rien savoir les uns des autres pour laisser “l’Autre” entre deux eaux ! C’est à croire qu’au Moyen Âge, le censeur l’a reconnu, mais qu’il a réagi en Grand Inquisiteur à la Dostoïevski : que l’on brûle ce Talmud dont « cet homme » restera captif ! La critique historique l’a tenu à distance avec obstination. Un fantôme hante le monde des études judéo-chrétiennes. Si on ne l’entend plus, de derrière la vitre où il crie, ce 113 n’est pas qu’on ignore sa Bouche, grande ouverte, mais qu’on n’y attend plus ce messager tardif d’une bataille oubliée. Dans le décor du I er siècle où une Église du IIe l’a assigné à résidence, sa parole décalée prend relief du silence sur les drames qu’il traversa de 70 à 133. Mais son décor anté-daté d’un « Ier siècle » de carton-pâte le tire du côté d’un être « Ange » à la « Méthathrôn »5, en limitant l’histoire d’un homme de Judée, Rabbi et Sage s’il en fut, qui enseigna sa Proto Mishnah en 132 et 133. Historiquement situé dans son refuge de Galilée pour affronter la pire Tempête, il se permit des incursions dans le Temple du Bar Kokhba, dont on a quelques échos grecs. S’il s’avère, au fil des récits du corpus talmudique, que cet “Autre” a eu sa « Madeleine », qu’on l’appela le Charpentier, le Pêcheur (d’hommes), le Tailleur et le Collecteur, qui s’évada de son Tombeau et qui eut “12 ” élèves... entre qui ce Treizième découpe son corps en 13 “bouchées” !, etc., etc., ne faut-il pas relire toute la Geste historique dudit “Jésus” évangélique du point de vue de ce Maître Ultime – « l’Illustrissime »– du IIe siècle ? Certes, mais pas sans savoir quel genre d’homme il aurait été pour les Anciens de son Église et les Tannas de sa Maison, avant que les composants narratifs de cet Ultime Rabbi ne soient repartagés entre le « Prince » Hillel, le « Rabbi » “Aqyba” et son Autre – mauvais…- Côté. Que ces coïncidences ne soient pas relevées est un symptôme d’hémiplégie post-traumatique. Mais l’autocensure spontanée tient aussi aux complexités de cette « Affaire », la midrashique toujours brûlante. Cet “Autre” ne va pas sans trois autres qui le flanquèrent, dont il fut aussi le Cinquième ! Avant de voir en quoi il fut bien ce Messie, le total et pascal de l’Ecclesia apostolique, il faut savoir qui -et combien !étaient ces Quatre, et où s’attachent leurs “Ailes”. Il faut trouver le “Tout” de cette grande charade du midrash. On ira aussi repérer quel “homme” il a été sur un plan lexical, parmi les quatre “homme” de l’hébreu : ’iYSh / ’èN WoSh / GaBèR et / (BeN) ’aDaM. À propos de ce BeN ’aDaM et du Gabra (araméen) et du ’iYSh que fut “cet homme”, l’Homme en question, en hébreu : ’oWToW Ha-’iYSh (cf. le dictionnaire Jastrow 5 Nom de « l’Archange de la Face » dans des traditions juives (alexandrines et « qumrâniennes ») du Cycle de Hénok, qui joua en effet un rôle dans les premières christologies judéo-chrétiennes. On y viendra. 114 ), ajoutons, en préalable, ces quatre précisions : 1/ On saura, au final, que cet “Autre” fut bien celui qui incarna dans le monde grec pour l’invention d’un altruisme. Qu’on n’aille pas trahir ce truisme par la débilité qu’en excluant cet Autre, le rabbinisme aurait exclu l’altruisme d’Hillel, d’Aqyba et du Lévitique ! Deux conceptions de l’altruisme s’affrontent dans le Talmud. Il faut savoir quelle part d’irénisme « hillélite » fut portée par un Autre et si le talmudisme n’a pas gardé aussi, du côté de Méïr, un hyper altruisme du “Même pour tous”, ainsi que L’a nommé “l’Évangile” (dit de) de Philippe. 2/ Extrême est la proximité graphique de l’Un et l’Autre dans les lettres carrées adoptées par l’hébreu. Des champions du Shema et de l’Un selon Zacharie auront-ils tiré argument de cette Semblance littérale pour faire de “l’Autre” l’Image de l’Un ? C’est possible. Mais il ne s’agit pas de spéculer sur l’autre et le tout autre à propos d’une figure qui assuma l’altérité en bien des sens et qui fut altérée à bien des titres. Il faut en lire l’alternative dans les textes qui l’évoquent au fil des siècles talmudiques, en respectant l’épaisseur de Talmuds où les points de vue ont pu varier du tout au tout du IIe au Ve... 3/ Qui suis-je pour moi ?, martèle Hillel. Est-ce l’appel du “Je est un Autre”, à 17 siècles de Rimbaud ?! On déclinera ses altérités. La première à l’idée, c’est le Yétçèr ’Arhèr de la tradition rabbinique : l’Autre Côté, l’autre penchant des créatures c’est-à-dire le mauvais d’Adam ou le penchant au mal chez l’homme : le Yetçèr Ha-R‘â. « Car » le verbe conclusif de Genèse 2, 7 pour dire Et YHWH a créé... –ou plutôt « façonné » : y(y)atçèr- compte deux Yod qui s’entendent comme les deux tendances des créatures, vers le bien ou vers le mal (bien que l’Unique “n’agisse que pour le bien”). N.B.: c’est une façon d’entendre ces deux Yod dans la Genèse. Ils s’entendent autrement quand le redoublement du Yod de mots ou de noms talmudiques évoque manifestement l’abréviation du Nom du Targoum d’Onqélos : le “YY” du Dieu-Vivant pour Y(HWH Adona)Y / YorḤaŸ.- Or, dans le judaïsme comme dans le christianisme la figure de l’Autre a sa face positive. En tout “autre” est un “frère” comme ’arḤ est en ’arḤèR. Il y eut même des Qabales pour oser le paradoxe d’un bon usage du mauvais côté. Mais on verra que le postulat anti-hérétique ArḤ èR = Ha-Râ ne se vérifie pas avant le IIIe siècle pour ce “Père” qui n’est guère le pervers qu’on projette sur lui. S’il a induit des effets pervers, c’est surtout à 115 titre posthume : sa supposée « perversité » fut tellement bien cachée sous sa riche piété, qu’elle n’éclata, et pas d’emblée, qu’« au Paradis » ! Le diabolisme rétroactif est un leurre des « pieuses » lectures qu’on s’autorise de l’Autre jusques là, en brodant sur des “maléfices” apparus tardivement en Qohélèt Rabba. Les rabbins l’ont badigeonné d’un vernis sulfureux qui est loin de leurs premiers textes. S’écarter de Rashi est certes difficile, tant il a apporté aux lectures talmudiques, mais il a lui-même récusé le recours à la “foi” dans l’interprétation; son commentaire de thèmes « sensibles », dont le cas sulfureux de “l’Autre”, peut relever du Comment Taire : il vécut à l’époque des « pogroms » des Croisés… Rashi savait, parallèlement, par une Barayita du Char, que « Rabbi Ismaël était monté au Ciel par le moyen d’un nom... » De fait et selon nous, en revêtant le Nom, d’un point de vue judéo-chrétien. Et une tradition qabaliste (cf. Louria au chapitre 7) donne au martyre de Rabbi Ismaël sa portée eschatologique : c’est en lui que la « Première Âme »... aura subi la mort ! Sic. 4/ Le nœud des équivoques, c’est la notion de gnose (si on n’appelle pas gnose tout savoir religieux au sens très positif d’un Clément d’Alexandrie). Là aussi notre thèse exagère une tendance nouvelle, depuis les découvertes de Nag-Hammadi, où gnose n’a plus fonction d’épouvantail. Le premier christianisme baigna dans la même gnose que le Daât hébreu des messianismes juifs. Sa Connaissance plénière ne se réduisait pas à un savoir, même le plus intel-ligent : son Salut (= Jésus)... « par la Connaissance » intégrait la « Vision » transmutante du Divin. L’idée (de Hans Jonas et autres) que des notions gnostiques du IIe siècle auraient formé une (contre-) “religion”, née d’un syncrétisme hellénistique et du Dieu Étranger des dualistes, a brouillé les données. Le dualisme de cet “Autre” n’attente pas plus au monothéisme que le Livre de l’Ecclésiaste, selon lequel L’unique ne procède que par paires (d’attraction-répulsion). L’altérité de “l’Autre” ne relève pas d’un gnosticisme constitué face aux « orthodoxies » monothéistes. Celles-ci n’existèrent pas avant d’avoir à contredire “l’étrangeté” du Dieu de Marcion. Or, Marcion, violemment et savamment anti-biblique, fut l’adversaire du gnosticisme hellénistique, notamment valentinien (cf. Lettre à Flora). Mais ses adversaires, surtout les marcionites repentis du type Apelle, ont 116 « tatoué » son dualisme sur toute dissidence potentielle. L’Intempestif selon Marcion a provoqué « l’orthodoxie » des Églises romaines, dressant leurs listes d’hérésies. Pour n’avoir plus à discuter ni des Antithèses de Marcion ni d’objections exégétiques judaïsantes, la Grande Église finit par rejeter en bloc toute gnose et tout midrash, qu’il ait nourri ou pas son Logos de la Croix. C’est la dimension théurgique de la « préparation évangélique » des chambres hautes qu’elle refoula ainsi, pour mieux s’acclimater à l’hellénisme ambiant. L’idée que l’homme pourrait “faire Dieu” –en un sens, et non pas sans Lui... (Comme dit le Psaume : Si Dieu ne bâtit pas le Temple, les charpentiers s’affairent en vain à l’ériger...)– se mit à faire dresser les cheveux sur les têtes, tant du côté chrétien que dans un rabbinisme anti-kabbalistique. On en vint à nier qu’aucune théurgie n’ait jamais existé, comme si Thomas d’Aquin et Maïmonide avaient régné sur l’Antiquité. Or cette idée fut développée par les plus pénétrés de Sa différence « incommensurable » ; n’avaitIl pas, quand même, fait l’homme à Son Image ? Il l’avait créé créateur, capable de dire Je, en YKoN’a du ’aNoKY ‒l’Image du Moi-Je‒, disaient des hellénistes juifs... Et YHWH en avait confié des secrets aux élus, ouvrant une piste étroite vers Sa propre Sagesse. La Révélation du Sinaï était dès lors à jardiner. En vue du « Fruit »= le Messie. Un vertige de l’origine paraît encore saisir nos pourfendeurs de la « Gnose » antique. Les définitions qu’ils en donnent, soit viseraient aussi bien tous les monothéismes réellement existants (–car le Satan de Job n’est quand même pas une invention de gnostiques du II e siècle !–), soit postulent un double discours chez les penseurs gnostiques, spécialement chez un Valentin que l’hérésiologie n’aura pas pu réduire à sa caricature, comme elle le fit des autres. Le prophète Zacharie ‒ « un Jour Dieu sera Un et Son Nom sera Un... »‒ avait introduit un grand jeu avec le « dualisme » qui a donné sa profondeur à cet « hénothéisme » et à ses « gnoses » sapientielles. Il n’y eut certes jamais de salut par le savoir, mais « connaître » le Nom Vivant ne visa pas à « L’identifier » en Lui réclamant ses « papiers ! » ou l’affichage d’un ADN ! Ce fut « co-naître » à « Sa » Connaissance... Une négativité du Père Hors-Pair de toutes les “Paires” a dès lors inspiré des mystiques de toutes traditions et une théologie de Celui qui sera... Pour le Paul de la “folle sagesse” 117 des gens de rien, si notre “connaissance” ne connaît pas encore comment il faut “connaître”, c’est que Dieu a élu “ce qui n’est pas” : le rien encore mais tout « en Corps »... Et on verra en quoi le logion 29 de Thomas résonne au diapason du Sefèr Yetçyrah : “Dieu fait de Son Néant notre-être” (le yesh-nou du Seigneur Yesh-Ou...). Ça nourrit l’impression d’étonnants courts circuits entre ce messianisme antique et le moderne existentialisme de « gnoses à contre sens » comme celle de Lévinas (cf. JeanLuc Marion et Jens Mattern), parce que deux volontés de révoquer les « arrière-mondes » provoquent des effets voisins à dix-huit siècles de distance ! (Sur Scholem, Taubes et Lévinas, lire l’épilogue du chapitre 3.) Entre une dualité des “économies de la grâce” ou celle de l’Unique face au « démiurge » juste, mais trop peu miséricordieux, différons de conclure sur la démarche “Derrière ELLE ” du Nouvel Élisée du temps du Bar Kokhba. (Note de 2012.) Autant qu’il faille retarder, selon notre démarche, l’étude de l’homme des évangiles par-delà celle de son background tannaïtique, une question est à évoquer en préalable concernant « l’Autre » des chrétiens. L’expression « l’Autre Dieu » fut-elle utilisée pour viser leur « Jésus » dans des textes chrétiens ? Non, du moment qu’ils eurent recours au mystère trinitaire pour postuler l’Unité divine des « Trois Personnes » ou hypostases : « le Père, le Fils et le Saint Esprit »… Et pourtant, cette Trinité n’est nulle part dans les évangiles et elle fut précédée (jusqu’à Tertullien, en principe, vers 203) d’une christologie « binitaire ». On a donc au moins un auteur de vers 163 pour assumer le fait que son Jésus-Messie soit en position d’être dit « l’Autre Dieu » vis-à-vis du « Père » céleste. C’est Justin de Naplouse, dans son Dialogue avec le juif Tryphon, en 56, 11 : citant « l’apparition de Dieu » à Abraham par les trois anges de Genèse 19 sous le chêne de Mambré, il y lit la preuve (peu convaincante pour son Tryphon) qu’il y a bien « un autre Dieu et un autre Seigneur audessous {? -sic} du Créateur… ». C’est à cet « Autre » très-littéral, promu par les chrétiens du IIe siècle, que des rabbins ont épinglé cet « anti-nom » de l’Autre. 118 La parabole du talmudiste Proverbes 25. “Vide ta querelle avec ton prochain sans révéler le secret de l’autre.” Qui donc est “l’Autre” (du Talmud) pour les rabbins ? Il est multiple, comme il se doit, mais plein de résonances. Le plus spectaculaire est d’entendre à quel point l’érudition du talmudiste le suggère sans le dire. Dans Personnages du Talmud (1997), le « médiatique » Adin Steinsaltz, l’homme du “Let my people know”, ouvre ainsi l’un des portraits : “Son nom évoque à maints égards la tragédie des Sages de la Mishnah... {Parmi les} figures les plus éminentes de son temps, tant pour son érudition que sa personnalité, illustre et influente, il a constitué une Maison d’Etude à lui tout seul {!}. Cependant, et là est le drame, il en vint à outrepasser toutes les frontières et interdits jusqu’à trahir son peuple et sa Torah. L’existence d’un tel personnage, sorti du sein du peuple juif, a laissé une profonde blessure, ancrée dans la tradition juive…” Un tel outre-Passeur ne fut-il pas pour les rabbins le maître des chrétiens ? Or, Steinsaltz portraiture un “Autre” : “Elisha ben Avouyah.” Ce Maître solitaire en “Passeur” ou “Hébreu” qui déplace les lignes, c’est déjà tout un poème... Mais il serait sans lien au “Passant” méconnu que le “Jésus” apostolique aurait toujours été pour tout Rabbi... aux yeux d’Adin Steinsaltz. À ses yeux malicieux, faudrait-il préciser. De quoi rient-ils ici ? Du fait que l’expression à laquelle il recourt pour définir cet “Autre” est la toute première formule du premier Traité du Talmud qui parle d’un “Jésus” en tant que le Natçaréen (Ha-Natçari) : en Brakhot 17. b (de l’Édition Steinsaltz) : faites “que nous n’ayons pas un fils tel que Jésus de Nazareth, qui, en public, dépasse les bornes !” Décode qui peut. Cela n’empêcha pas Steinsaltz, interviewé par Salomon Malka en 1998 (Jésus rendu aux siens), d’éluder ainsi sa question : “le christianisme, tout comme Jésus, ne figure dans les Talmuds que de façon très marginale {NdR : malgré tout ce qui contredit cette idée rabâchée}. Si vous prenez le cas d’Elisha ben Avouyah, il y a une atmosphère tragique autour du personnage. Pour Jésus, c’est très différent. On n’a jamais considéré que c’était important {!}: c’est comme si vous connaissiez quelqu’un dans votre vie de tous les jours (…), dont vous découvririez soudain qu’il fait les titres des journaux...” ! 119 Ce Jésus aurait fait la Une “d’un bout du monde à l’autre”, sans la moindre nécro dans un virtuel Bethléem-Hebdo ! Est-ce que ce rapprochement de l’Autre et de Jésus ne vient pas trop « naturellement » ? À force de voisiner avec les Sages des premiers siècles, les croit-on si mal avisés qu’ils auraient découvert en branchant la radio qu’un excentrique du coin faisait un tube mondial sans les avoir prévenus ?! (« Surprise » qui contredit le témoignage constant des dites Toldòt Yeshou. À moins qu’il ne s’agisse de la surprise de Rabbis du IIIe siècle, en découvrant que les chrétiens remplaçaient « leur » Hérétique du IIe siècle par un “Traceur de Cercles” du « Ier »...) ? Est-ce que tous ces rabbins des premiers siècles évaluaient si mal les effets de notoriété ?! Ou bien ceux d’aujourd’hui ne veulent-ils plus savoir que l’Elysha “Ben Notre-Père” et le Yhoshoua “Fils de YoHWaH” sont la même tradition de l’identique blessure qui a “laissé un vide en Israël” ? Celle du schisme judéo-chrétien. (L'expression, dans le Corpus, vise aussi le rebelle Coré : le “Chauve” de l’Exode, précurseur du très-talmudique “Jésus le Chauve”... À suivre.) Pour le reste, le personnage vu par Steinsaltz suit la lecture « reçue ». Il part d’une faille dans la « distinction ». Dans le fameux récit de sa circoncision (on verra cette Circoncision de “l’Autre”, si glorieusement sinaïtique...), il lit que la famille de l’Hérétique (né, on verra, du Ben Zakaÿ !) ne suivait pas les règles juives. Car on l’aura fêtée, rappelle Steinsaltz, par force nourritures {et du vin de Sharon} et des « invités » goÿs {NdR: peut-être, mais lesquels et à quelle occasion ?} et des danses importées “d’autres cultures” ! À quelle autarcie musicale la farandole Klezmer du Qiyàn a-t-elle pu attenter ?! Cet Autre est un épouvantail qu’une anti-hagiographie croit devoir affubler de sermons aussi contrariés que la série des « arguments » de la fable de la marmite6. Pour “l’hellénisme” d’Élisée, difficile de savoir en quoi ce fut « le ver mis dans le fruit » d’un Sage « promis » à l’hérésie, car Steinsaltz a noté que cet homme a vécu “dans l’univers de la Torah la majeure partie” de sa vie. (NdR : pas d’emblée, en effet, mais, au fait, d’où le sait-on ?...) La crise morale et spirituelle attribuée à l’Autre est située clairement dans la crise historique globale (132-135), mais cette victoire des Forces du Mal aurait fait qu’“Elisha s’identifia en totalité au monde non-juif ” (?!). 6 Fable yiddish sur celui qui veut trop prouver : la fameuse marmite que tu m’accuses de t’avoir volée, je ne l’ai même jamais vue ! D’ailleurs, je te l’avais payée les yeux de la tête, et, en plus, elle fuit ! 120 De quelle archive vient cette idée d’un Élisée « pan-goyisé » ?! À part un “maléfices” en Qohélèt Rabba, si le Talmud le « dit », c’est de façon très allusive, à travers la jeunesse romaine de Rabbi Ismaël ou celle de son fidèle Méïr, philosophe pétri d’hellénisme : ce seul disciple laissé à “l’Autre” fut en effet un prosélyte venu de la philosophie, malgré la place qu’il a prise (et même deux fois conquise) dans les traditions rabbiniques. Visant “l’Autre” ou son Méïr, une telle accusation de trahison du judaïsme dans l’intérêt des goys a toutes chances d’avoir visée les Églises de leurs fidèles grecs, longtemps après, comme s’il allait de soi que cet Autre représentait la déchirure judéo-chrétienne. La gnose dualiste que Steinsaltz lui attribue en aurait fait un “a-gnostique” ! Donc {?!}, il collabora avec les Romains et il “s’adonna librement à toutes {!} les tentations matérielles du sexe et de l’argent”! Steinsaltz promet ici une orgie du Veau d’Or genre Cecil B. DeMille, mais calmons-nous : la vie de l’Autre ne contient qu’un épisode sexuel très fugitif, nulle trace « d’apostasie » et aucune débauche monétaire. (Sinon qu’il y a dans le Talmud une allusion à la richesse de son “frère”. Une richesse religieuse, en fait, et à composante conjugale...) Quel « crime » est-il censé avoir commis ?! Pointant la prétendue complicité de l’Hérétique avec les Romains à l’époque du Bar Kokhba, mais laissant en suspens la question de savoir si « l’Égorgeur » tua vraiment des Disciples des Sages ou seulement par ricochets « de chez Ricochet », Steinsaltz semble penser que les transgressions imputées à ce fantôme du rabbinisme ne sont pas à prendre au premier degré. Mais si c’est au deuxième, on ne sait pas par où. Au final du portrait, non sans une belle finesse du portraitiste, ce sont des thèmes « existentiels » de L’Ecclésiaste qui pousseraient cet Autre à dévier pour tomber dans l’antinomisme (soit un rejet total de « la Loi » que l’Autre a démenti). De là viendrait un nihilisme... Selon Steinsaltz, c’est son souci “du caractère original et neuf de l’existence” qui aurait conduit ce vieux sage indigne aux fraîcheurs incendiaires d’un Carpe Diem… imaginaire7. Ou très extrapolé... Ou alors, crucifiant ! Selon nous, c’est le « Dies Iræ » de « l’Hillel » du Traité des Pères : “ et si c’est pas maintenant, quand ?! ” 7 Car si cet homme, dans l’autre tradition -Thomas, logiòn 91-, dit bien à ses disciples de saisir l’instant “présent”, il ne prône pas un Carpe diem carpocratien. Il parle de cet Instant... qui doit trouer le temps ! 121 De Renan à Jaffé, ou l’alibi « gnostique » La critique historique du judaïsme antique et des premières Eglises s’est toujours détournée d’une pareille éventualité : repérer l’acteur historique effectivement lié à “(l’)Autre” imposera de l’étudier, avec ses douze apôtres, dans l’évangile ET le Talmud. Ça dérange les rangements et l’impensé d’un arrangement. Dans la recherche française, il faut pourtant noter deux incursions récentes : F. Blanchetière (avec Jaffé) et Bernard Barc. Loin d’être les premiers à supposer un lien entre l’Autre et le christianisme, ils vont jusqu’au soupçon de son rôle emblématique au cœur même de « l’Affaire ». En 1877, au Ve Livre de ses Origines du christianisme, Renan aborde le début du IIe siècle et il signale ainsi le cas : “Un certain Elisa ben Abouyah, surnommé Aḥer, qui professa une sorte de christianisme gnostique, fut pour ses anciens coreligionnaires le type du parfait apostat.” Point ! Grosso modo, on en est là. En 1998, Blanchetière (cf. son Enquête sur les racines juives du christianisme, Cerf, 2001) résume l’énigme de l’émergence du christianisme sous la forme d’une très bonne question : « Comment le même devint l’autre ? ». C’est-à-dire comment les judéochrétiens devinrent-ils des étrangers aux yeux des “autres” juifs ? Il évoque brièvement la figure talmudique de l’Autre. Il suit Grätz (1846) et Derenbourg (1878), comme Renan l’a fait, et tant d’autres jusqu’à Stroumsa (1981 : « Aḥer » : A Gnostic). Il s’en tient à l’idée que ce maître du judaïsme, qui en devint l’Excommunié, avait “dû” développer, au début du IIe siècle, une gnose ésotérique “influencée” par « le » christianisme. Blanchetière (p. 269) : “comment et quand le nazaréen est-il devenu comme un étranger au milieu et aux yeux des siens ?... Comment le Même est devenu l’Autre : Aḥer ? ” Blanchetière 1998 : “pour désigner le non-juif, l’hébreu dispose de différents concepts : le zar ou le nokhri, le g(u)èr ou le goy”, qui est aussi entendu comme l’incirconcis (arel), donc “l’impur : thamé ”. Il relève dans Paul Aux Éphésiens : “Rappelez-vous qu’autrefois, vous, les “païens” {NdR : ici, goyim}, vous qui étiez appelés “prépuce” par ceux qui s’appellent “circoncision”, vous étiez les exclus de la promesse.” “Qui plus est, parmi les maîtres de la {NdR : 3e } génération des Tannayim, il en est un, Elisha ben 122 Abouya, que l’on ne désigne dans les sources rabbiniques, que sous le surnom de Aḥer... Et pourquoi est-il l’Autre ? Parce qu’il s’est exclu lui-même de la communauté ; au sens propre, excommunié.” (Ces formules sont au mot près celles de Dan Jaffé -Cerf, Paris, 2005- qui a livré une thèse sur “Orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature talmudique” pour le “Ier-IIe” siècle, sous-titre : Le judaïsme et l’avènement du christianisme, mais qui consacre moins d’une page au plus grand hétérodoxe dont le Talmud a témoigné.) Deux motifs à son exclusion selon F.B. & D.J. : 1/ l’accusation, assez loin du texte, par quoi l’Autre a été un « collabo » de Rome (Or, il ne l’a été –à tort– qu’aux yeux du Bar Kokhba et de sa Bénédiction anti-natçarites, mais ses fidèles romains dans l’Église impériale le sont devenus, bien après son martyre, perpétré par Rome) et 2/ un motif tiré d’une lecture biaisée des Récits sur l’Autre, prétendant qu’il a récusé le Dieu unique. S’il « livra » en public le Nom du Nom, ce fut en vue d’une « re-Nommée » du Père unique de toutes les paires, notion qui relevait de sa gnose la mieux partagée à son époque. Autrement dit, à rebours des accusations, il a brisé l’ésotérisme et c’est par là qu’il déclencha l’invention d’autres gnoses, décalées de son anté-gnose, et dès lors moins “sibyllines” que ne le furent les premières gnoses d’Alexandrie. Blanchetière-Jaffé y surajoutent l’influence perverse de gnostiques venus « d’ailleurs » : 1/ “(l’Autre) a coopéré avec les Romains à l’heure où, après {et pendant} la révolte de Bar Kokhba, ils ont multiplié les mesures d’exception et de répression contre les juifs d’Eretz Israël {à l’heure, en effet, où les rabbins inventent cette expression}. De plus {2/}, il est entré en contact {?} avec des gnostiques ou des groupes ésotériques et, en conséquence {?!}, il sombra dans l’hérésie. Ainsi est-il devenu Autre.” {NdR: Selon quel passage talmudique, à part le fait que son fœtus aurait croisé des astrologues juifs ? Aucun.} Blanchetière indique pourtant (avant le Border Line de Boyarin) que le terme d’hérésie, au sens ecclésiastique d’une divergence diabolique, s’applique mal au judaïsme antique qui ne s’est pas défini (au final…) par une orthodoxie mais par « l’orthopraxie » communautaire. Creusons ce point (bien que Boyarin ait fait prendre à ce débat un grand coup de vieux). En pratique, très au-delà de la Ruine du Temple, on appelle « hérésie » toute dissidence condamnée par les évêques ou par les rabbins, aucune ortho- 123 praxis n’allant sans sa doxa, réputée conforme à la Loi, ou pas, par des autorités qui peuvent trancher et “retrancher” (de la Communauté). Aux temps du Temple, on n’en excluait aucun juif qui se conformait à ses rites, quelles que soient ses opinions, même les plus spéciales. À condition, bien sûr, qu’il professe un hénothéisme sans image et respecte Moïse, etc. C’est dans ce « et cetera » minimal que McEleney (1973, cité par Jaffé) place un genre d’orthodoxie du « Ier » siècle, bien avant le « Credo » en 13 Points de Maïmonide, au XIIe siècle, mais McEleney note qu’“aucune mouvance juive du Ier siècle ne fut assez puissante pour faire entendre sa voix de manière explicite au nom de la société juive et du judaïsme {NdR : notion pas encore née}.” Josèphe est le témoin de cette perte d’autorité des Grands Prêtres, y compris pharisiens, au profit des zélotes, entre 18 et 66. Et si les quatre Écoles unifiées à Yabnéh reconquirent cette autorité entre 77 et 132, ce fut pour déboucher… sur la guerre du Bar Kokhba, puis, à partir de 140, sur une cascade de polémiques entre Ousha et Césarée, et Tibériade et Séphoris, puis, tout le IIIe siècle, entre Sages d’Israël et de « Babel »... Le « cercueil » de l’Hérétique de 133 fut lapidé à titre posthume entre 175 et 212, mais le Rabbi princier de Tibériade ne pouvait pas encore lancer des anathèmes suivis d’effets, surtout sur les Babylonies... Ce n’est qu’au IVe siècle, côté romain, et au VIe, côté Babel, dans des communautés persécutées, que l’exclusion (très rare) d’une synagogue deviendra l’équivalent d’une expulsion du judaïsme (comme dans le cas de Spinoza). De fait, l’orthopraxie a toujours débordé le Temple. Fortes de leur midrash, les obédiences juives du Ier siècle ajoutaient au rituel des synagogues la pratique initiatique de leurs chambres hautes et chacune y nourrissait sa propre Halakhah... Après le Brûlement du Temple par Titus, les Sages de Yabnéh, selon leurs 2 + 2 Ecoles, puis, dans l’Après-Bar Kokhba, ceux de Tibériade et de Césarée, unifièrent leurs halakhot dans une Mishnah enfin transcrite. Elle eut plusieurs versions. La “Première” (de 163) pour la dite “Kallah”, florissante à Babel ; “l’Ultérieure” (et actuelle) pour les rabbinats (néopharisiens qui se réclamèrent, à partir du IIIe, d’un « Hillel » légendaire du Ier siècle). ►(Passage précisé en 2012 :) attention ! (Cf. Alain Le Boulluec) On vise une époque où cette notion d’hérésie est en train de basculer : Paul, comme Josèphe, appliquent 124 aux obédiences juives ce terme d’hérésie dans son sens grec d’école ou “secte” de sagesse, c’est-à-dire d’un courant de pensée et de vie qui dispose d’une légitimité dans son engagement « optionnel ». Josèphe a visé ainsi les quatre « confréries » du judaïsme du Ier siècle. Paul, selon nous, est à situer au IIe siècle et veut se situer lui-même au-delà de l’union élitaire engagée à Yabnéh, de 70 à 128 : cette unité ayant explosé en 128-133, il est de ceux qui se sont lancés, en 135, dans la reconstruction d’une nouvelle “totalité” du peuple juif, promise à l’initiation messianique par l’option ecclésiale du Messie advenu. Ceux qui refusent cette absorption dans « l’élite » (élargie à tous) du Messie en voie de Retour sont épinglés comme ‘ameÿ ha-arètç et traités en samaritains « de l’intérieur » ; ces juifs « selon la terre », c’est le peuple habitant ou ayant habité la Terre de la Promesse mais incapable d’adhérer à sa Démarche totale pour unir terre et Ciel. (Cf. Paul sur les juifs seulement “selon la chair”...) Or, l’élitisme des Rabbis garda la même distance au “peuple du pays” (‘am ha-arètç), juifs approximatifs, perméables aux Mynym et trop proches du Trône d’un Messie trop prochain (dans le style Doura Europos...). Interrogeant leur judéïté, on leur soupçonne un lien au Canaan d’avant Josué ; ainsi les juifs qui pratiquaient des superstitions ancestrales étaient-ils dits “suivre la voie des Amorites”. Au IIe siècle, le schisme judéo-chrétien se joue d’abord entre un élitisme et un avant-gardisme vis à vis de ces juifs « de base » réputés “ignorants” (de la vraie Loi, Écrite ET Orale) qui restent réticents à se laisser « totaliser » par une Mishnah anti-Mynym ou une Église anti-rabbins. Et quant aux Églises grecques, elles ont traduit ce terme de « gens de la terre » par « païens » (= ceux des goys qui n’ont pas rejoint leur « Nouvel Israël »), au nom de leur mépris urbain pour les idolâtries « terriennes » des « pèquenots » de l’empire romain. Mais c’est là que rabbins et judéo-chrétiens, entre 160 et 180, à commencer par Justin de Naplouse, côté chrétiens, se lancent dans des polémiques dont va se dégager la double « orthodoxie » : 1/ de « l’ »Eglise ; 2/ des « Amoraïm ». Côtés Rabbis, où il fut avant tout question de se débarrasser d’une « engeance » précise et cette « minout » devint un équivalent « d’hérésie ». (Après quoi, au Ve siècle, la minout babylonienne ayant enfin été résorbée, les rabbins purent en revenir à un judaïsme 125 orthopraxique, défini, au premier degré, non pas tant par ses dogmes mais par conformité aux usages d’un « peuple ».) Quant à l’invention grecque de la nouvelle notion (négative) d’hérésie, elle est due à Justin, comme Alain Le Boulluec (1985, 2007) l’a démontré.◄ Dan Jaffé tente de distinguer « l’orthodoxe » du « normatif ». Que le premier soit typique des Eglises, alors que le second est la marque du rabbinisme, c’est clair, si on l’entend relativement. Mais si on veut l’entendre absolument, on tombe dans un a priori anhistorique qui brouille les données des IIe-IIIe siècles. Bernheim (1996) a résumé ainsi ce brouillard consensuel : “Le judaïsme, contrairement au christianisme, n’a jamais (?!) été une religion dogmatique où les adhérents doivent accepter un certain nombre de croyances clairement définies. Le judaïsme attache davantage d’importance {NdR : tiens, on vient de glisser dans le relatif...} à la pratique religieuse et à la conduite de la vie qu’aux idées abstraites. {NdR : s’agit-il d’abstractions ?} À part la croyance en un {?} Dieu unique, les juifs se sont rarement accordés sur l’importance d’autres articles de foi.” Ce n’est vrai que relativement : ainsi, le Brûlement du Temple fut-il suivi d’une réforme des Bénédictions et de l’extinction des sadducéens « classiques » : les Rabbis de Yabnéh firent alors de la résurrection de “tout Israël” une profession de foi (cf. refrain du Traité Abot). Dans le vocabulaire de Neusner, disons que le rabbinisme institua le judaïsme normatif de son enveloppante Halakhah en passant par un rabbinisme formatif qui sélectionna son orthopraxie dans les options des Tannayim du IIe siècle,en excluant le performatif... des Tannas judéo-chrétiens. Vis à vis de ces Enseigneurs du IIe siècle, une traduction du titre de Rabbis “Amorayim” ‒les Diseurs (de bonne Écriture)‒ des IIIe-Ve siècles pourrait être les « ortho-Doxes » (en slavon, pravo-Slovo). Pour essayer en vain de compléter Bernheim, Jaffé, à la Urbach, avance que c’est surtout en matière d’eschatologie qu’“aucun consensus normatif n’avait vu le jour dans le judaïsme de la fin du IIe Temple”. Normaliser la « fin des temps » est resté difficile, et rendre un culte ou non à un Messie advenu ou pas, ça vous brise tous les consensus. Autrement dit, la période « formative » du judaïsme « normatif », menant des Tannayim aux Amorayim, fut l’époque d’une grande bataille « d’orthodoxies » autour des enjeux liturgiques de la crise messianique du IIe siècle. Entre l’institution des Bénédictions de Yabnéh et celle de la Mishnah du IIIe siècle, elle fut traversée par le “Notre-Père” d’un 126 mouvement ecclésial dont est resté le slogan du Gam Zo : le « De même ça » ou « Aussi ceci » -(au Ciel) “de même que (sur) cette (terre)” !- lancé par « l’Homme » (de Gamzo). Ce débat sur « orthodoxie ou pas » recoupe et brouille la distinction la plus historiquement tranchante entre le judaïsme antique et le christianisme ecclésial, à savoir que le judaïsme n’est pas qu’une « religion», mais aussi une « ethnie », et que (cf. Stroumsa, 2005), tout en promouvant l’éthique universelle de son Dieu unique, il garde les caractères « ethniques » d’une « religion civique »au sens romain. À ce titre, les juifs de l’empire obtinrent la citoyenneté antonin(ienn)e à la mort de Caracalla. Le christianisme, lui, métamorphosa son universalisme subversif en… religion impérialiste monopoliste ! Il est vrai que, tout en épousant l’empire romain il a ensuite ouvert, au fil des crises, un « jeu » sérieux entre l’obéissance civique et la foi intériorisée, – recentrée sur le cœur, comme le reproche à l’Autre le Traité Rosh Ha-Shana. (Cf. la critique par Gilbert Dagron des clichés encore répandus sur le césaro-papisme.) Sans lire les débats des Rabbis comme un pluralisme parlementaire, on peut souligner, avec Jaffé, l’importance des controverses au cœur même du Talmud (de la Mahloqèt au pilpoul). Mais ce seul fait qu’on n’y coupe pas la tête ni trop vite la parole des contradicteurs (à part celle de “l’Autre” : le “Muet”…) ne suffit pas pour qu’un « normatif » n’implique aucune « orthodoxie ». C’est précisément en tentant de se rassurer sur ce point que Jaffé est ramené à... “l’Autre” et doit tenter de distinguer “l’autre” de “l’Autre”. Jaffé (2005), p. 63 : “Les Sages ont érigé leur halakhah en tant que système de cohésion socio-religieuse pour toute la société juive. Cependant, cela n’a en rien altéré la liberté de chacun d’avoir accès au texte de la Torah et de l’interpréter selon sa propre subjectivité {NdR : et la tradition de ses maîtres...}. Il est en effet capital de comprendre que le monde des Sages s’est constitué autour de pôles d’ouvertures vers l’autre, dès lors que cet autre ne représentait aucun danger pour la société juive.” Cet autre dangereux, c’était l’Exclu, bien entendu : l’Élu des « autres »... Une des étrangetés du Talmud tient justement au fait que ses pôles d’ouverture et ses pôles d’exclusions y ont été taillés dans la même altérité, celle des élèves de l’Autre Rabbi qui avait initié le projet « talmydique » des Anciens du Val Rimmôn. En quoi cet Autre fut-il dangereux 127 pour la société juive ? Si l’on y reconnaît le Messie judéo-chrétien, le danger est patent ou du moins le devint : c’est le risque de dilution dans une Eglise transnationale. Cf. le Border Lines de Boyarin et les allers retours de Shaye Cohen sur tous ces points. Digression sur l’approche de Dan Jaffé (2005, Le Judaïsme et l’avènement du christianisme). Tout en notant que les “sources {rabbiniques}, antérieurement à la Chute du Temple, n’évoquent aucun conflit majeur entre judéo-chrétiens et pharisiens”, Dan Jaffé entérine les « dates » d’Eusèbe de Césarée, et tout en notant que le processus de différenciation judéo-chrétien relève du IIe siècle et n’atteint un stade décisif qu’avec l’ethnarque Judah Gamaliel (175-217), il s’en tient à la légende « pacifiée » et « continuiste » du « monde des Sages », façon Urbach. Pas de rupture significative, à lire Jaffé, entre Tannayim et Amorayim. Dès l’époque de Yabnéh (70-132), les fondateurs du rabbinisme se seraient distanciés des passions messianistes (!). Mais Jaffé n’explique pas pourquoi, dans ce cas, ils ont laissé le Bar Kokhba, en 132, faire de leurs disciples... quelque “12 000 ” martyrs, parmi les 300 000 à « 600 000 » de cette guerre sainte… De plus, la Ruine du Temple, pour Jaffé comme pour beaucoup, n’est que celle de 70, et non pas la séquence de sa reconstruction ratée jusqu’à sa re-Chute de 133, que signifie le plus souvent cette “Ruine” dans le Talmud. C’est ainsi que se dit aussi le grand tournant du Bar Kokhba, la « Coupure » (souligna Neusner) n’intervenant qu’après... Mais, selon nous, la clé de tout, c’est que cette Coupure intervint par le Re-découpage, vers 180, de l’initiale Coupure mishnique de 140 : la Coupure dé-Coupée n’est pas continuité. Dan Jaffé a revisité des témoignages talmudiques sur l’émergence du christianisme, toutes variantes scrutées à la loupe, mais trop peu sous le « microscope » du midrash. (Du coup, certaines de ses affirmations, ‒par exemple sur « l’Âne », cf. ici chapitre 4...‒, sont absolument intenables.) Il souligne que le rabbinisme n’a pas eu à dresser des listes d’hérésies, comme l’orthodoxie d’Eglise se mit à le faire à haute dose. Sauf une amorce de liste en Qohélèt Rabba, le fait est remarquable, mais doit aussi beaucoup aux évêques pro-impériaux qui ont traqué à mort toute hérésie “judaïsante”. Cette tentation affleure pourtant dans les Talmuds à l’heure de rectifier les hérésies d’une Kallah babylonienne. La plupart des Amorayim condamnent globalement des “Mynym” de l’espèce de 128 “l’Autre”, mais Zeira et Dimi 8 (du début à la fin du IVe siècle) rentrent (de Galilée en Babylonie) pour dénoncer ces hérétiques comme des sectateurs... du “Serpent ” ! Pour en revenir à “l’Autre” vu par Blanchetière, sa diabolisation a induit, au passage, l’idée fausse que toute gnose fut alors mal vue ! De Qoumrân aux Palais, qui peut nier que le judaïsme antique a développé de fort belles gnoses, dans le sens du Daât hébreu ?! C’est encore sur le gnosticisme qu’a buté une exploration, remarquable à maints égards, d’Étienne Nodet et Justin Taylor, de l’École biblique de Jérusalem. Dans leur Essai sur les origines du christianisme (1998), ils croient pouvoir affirmer qu’il “y a eu rejet par les milieux tannaïtiques des deux formes de messianisme”, la guerrière du Bar Kokhba et la post-essénienne des mouvances natçaréennes. Cela parce qu’ils supposent, comme l’hagiographie rabbinique, que la visée des Amorayim depuis Judah le Prince (175-217) vient en droite ligne des Tannayim de Yabnéh (68-132) ; son grand-père Gamaliel aurait ainsi fixé l’axe du rabbinisme sans discontinuité. Tablant sur cette permanence « pharisienne » qui se serait toujours méfiée du messianisme, ils confortent la traditionnelle “Paix des Sages” qui édulcore le blackboulage de ce Gamaliel à Yabnéh et l’implication des Rabbis dans la guerre du Bar Kokhba. Mais ces auteurs rejettent le versant le plus « historique » des légendes rabbiniques : ils considèrent les Quatre du Paradis (Ben Azaÿ et Ben Zoma, un Autre et Rabbi Aqyba), non comme le carré d’as des Tannayim mais comme un quarteron de “messianistes marginaux” qui ont “commis une intrusion au paradis” ! Tout serait transgressif dans les tentatives de « salut par la connaissance » de ces Quatre du Pardès. On verra, au contraire, qu’elles ne furent pas des traversées en solitaire : ils se sont mis en « Quatre » pour que l’homme soit (Un) ! Trois des quatre “sont dépourvus du titre de Rabbi”, notent Nodet & Taylor, après bien d’autres. Mais dans quel sens faut-il l’entendre de ces Disciples paradisiaques, quand les « Quatre » furent liés à des « + que Rabbi » de la fin de Yabnéh et quand le seul “Rabbi” nommé sur quatre (“l’Ultime” : l’Aqyba) est peut-être celui qui interdit à ses disciples (cf. Matthieu 23) de porter après lui le titre de “Rabbi” ?!… Tous les autres Rabbis, en fait, 8 Ce dernier fait un usage bizarre de la notion biblique de « ismaéliens » (pour Bédouins) qui reste à connecter au problème de Jétro et à ce dire d’un R. Samuel: « les Ismaéliens (?) sont comme les ourlets d’Israël »… 129 sont « sous » ces Quatre « Chérubins ». Car ces “entrées” au “paradis” ne sont pas à compter seulement comme expérience « mystique » exceptionnelle ; elles transmutent la Sagesse d’une gnose exégétique accumulée au fil des âges par tous les Sages. Elles se voulurent la pointe avancée d’une démarche messianique totale... “Ne te sépare pas de la communauté,” professe l’“Hillel” du Traité des Pères (N.B. : qui, lui non plus, ne porte pas le titre de Rabbi...). Le judaïsme phillélite de cet « Hillel » était-il arrivé aussi au moment de s’ouvrir... à la Communauté nuptiale de l’eschatologie ?! En tout cas, celui d’Aqyba l’a conduit à sa place de « Quatrième » (= 5e !) du « Char »... Qu’une équivoque sur le sens de gnose ait recouvert tout autre chose, un tel soupçon affleure comme un remord dans une note de cet Essai. Note 8 -p. 227- de Nodet et Taylor : “cette entrée {des Quatre} au paradis n’exclut nullement une expérience mystique. Depuis Bacher (1903), on interprétait cette “entrée” comme... gnostique, mais Gershom Scholem (New York, 1960)... a fait un rapprochement éclairant avec la IIe Épître aux Corinthiens : je connais un homme du Christ qui fut enlevé au troisième ciel”, dit Paul. (Cf. ici chapitre 2, à propos de Schäfer.) Faut-il se demander si Paul fut un gnostique, un messianique ou un mystique ?! Mieux vaut penser qu’à cette époque d’Aqyba et de Paul, celle, en fait, du Bar Kokhba et de l’Autre (jusqu’à son Jaqob), ces trois visées sont identiques, aucune Église n’ayant jeté (avant 180) d’anathème général sur toute forme possible des lectures « gnostiques » du “Logos de la Croix”. On lit alors chez Nodet et Taylor une présentation condescendante de ces montées au Paradis (qui compliquerait les référents de l’Ascension christique !) : “tous ces menus indices disparates tournent autour d’une sorte de messianisme, c’est-à-dire de l’arrivée d’une ère mal définie qui oscille entre les jours du Messie et le monde qui vient.” Mais cet écart indéfini entre l’advenue de l’Homme et son nouveau monde advenant, ça fera bientôt... 2000 ans qu’il oscille indéfiniment dans tous les christianismes. Il y a pourtant un pan de Nodet ou Taylor qui penche du côté où va tomber ce “messianisme”. L’affaire des Quatre les rend songeurs : “il est difficile de ne pas songer à un florilège d’éléments chrétiens, diffus mais caractéristiques, condensés sous la forme d’une entrée risquée au Royaume des Cieux”... Pépins chrétiens pris, selon eux, dans la 130 gangue d’une « proto-gnose » : “le terme chrétien {ici} n’implique pas nécessairement des vues conformes au Nouveau Testament mais peut se rattacher à des courants protognostiques ou à la postérité de Jacques.” NdR : le “Qodèshaÿ” de l’Église du Midi que N&T situent au Ier siècle, car ils n’envisagent pas que le christianisme, tel le messianisme récent du Manifeste communiste, ait été comme un Spectre qui hantait Rome, et contre lequel le vieux monde se liguait, avant même que son « Église » ne se soit manifestée... Au nom de la « page blanche » de leur Eglise du “Ier siècle”, Nodet et Taylor ne voient de l’Aqyba que son Étoile guerrière, sans discerner en quoi elle fut celle de la “Paix”, alors que les éclats guerriers, parmi les Quatre du Pardès, étaient liés au Ben Zoma... N&T oscillent donc entre un rejet de “l’Autre” dans les affres du gnosticisme et le soupçon très fort, chez cette « espèce » de chrétien, d’un sacré “caractère”… Leur résumé très cavalier de la figure de l’Autre est caricatural. On croit lire une Toldòt du Jésu Pantéra (y compris pour la vierge enceinte, évoquée, en effet, par le Talmud Babli, du côté “spermatique” et aquatique de “l’Autre”) : “Elisha {= l’Autre}, né à Jérusalem avant {?} 70, apostasia {?!}; on le vit monté sur un âne {NdR : sur l’ânesse évangélique, comme tout porteur de messianité} lors du sabbat {NdR: du 8 nissàn 133, pour l’Entrée à Jérusalem...} ; il chantait des hymnes grecs” et déballait des livres “sectaires”... Ces Livres lui “sortaient du Flanc”... Il s’agit de « ses » évangiles ! Croquis croquignolesque de l’Autre évangélique en Mousquetaire du Roi ! Vis à vis de cet Élisée qui “s’échappa de son tombeau”, ces historiens sont pris dans un étrange Vade retro. Ils semblent repousser le spectre d’un remake, façon Cent ans après ou le Retour du Monte Christo. Je n’ai pointé ici que des mentions de l’Autre de la part d’historiens qui m’étaient accessibles. Ces mentions sont légions dans l’océan des homélies. S’y ajoutent la mise en scène de ce « Faust » rabbinique sur les planches new-yorkaises par Jacob Mikhaïlovitch Gordin, en 1906, et le roman du rabbin « reconstructionist » Milton Steinberg : As a driven leaf (New York 1939). Cf. nos Bibliographies. Je n’ai lu ni Jellinek (Elischa ben Abuja, Leipzig, 1847), ni Hoffmann (Toledot Elischa b. Abuja, Vienne, 1880) parmi ceux qui traitèrent de l’Autre au XIXe. Ni les plus récents A. Segal (1972, Deux Pouvoirs au Ciel), Rowland (Le Ciel ouvert... Londres 1982, qui voudrait, comme Schäfer, délier ce Pardès de l’Ascension...), ni Gruenwald, ni H.A. Fischel (1973, le Pardès en 131 Jardin d’Épicure), ni S. H. Levey (1992, ce « secret » des Rabbis suppose une gnose judéochrétienne...), ni Yehuda Liebes (The Sin of Elisha, Jérusalem 1990), pour qui le Péché de l’Autre, cet « Helléniste », aurait relevé de l’Ubris . Citant tous ces auteurs, Goshen-Gottstein (2000) maintenait le « bilan » d'Henry Fischel sur cet Autre : « son hérésie est restée une énigme. L’érudition moderne a présenté une série de solutions, toutes insatisfaisantes. » Albert Assaraf lui a consacré un petit essai en français (Balland, 1991) ; faisant de l’Autre un sadducéen nostalgique sans rapport à la théurgie du Char, il y rejoint la thèse de Louis Ginzberg dans l’article « Elysha ben Abuya » de la Jewish Encyclopedia. {Où il est dit que l’Autre serait né avant 70 –ce que beaucoup répètent sans y aller voir de plus près–, alors qu’on peut savoir qu’« il » naquit en 70, huit jours avant l’Incendie du Temple.} Grätz (1847) avait vu en “l’Autre” un gnostique antinomiste carpocratien * (d’où son prétendu Carpe diem), et Siegfried (1873), un continuateur de Philon : forte intuition... L’érudit libéral A. Jellinek avait profilé l’Autre sur le moderne Da Costa. Smolenski et Weiss ont vu en lui un « intellectuel », victime de « l’intégrisme » du Rabbi Aqyba ! Dubsch l’a tenu pour un “chrétien”, mais de type elkasaïte (babylonien pré-mandéen). Si “tout autre est tout autre”, comme Derrida l’a dit et redit, ne faut-il pas aller jusqu’à s’interroger sur son rapport à L’Autre... d’un Lévinas ?! Par la grâce de L’article qu’on ajoute à son « nom » hébreu, l’anti-nom d’un « hérétique » du IIe siècle s’est retrouvé dans un grand Autre du XXe siècle et nul ne voit rien à en dire qui échapperait au vertige du temps. Le minimum est de pointer, du Golem à Frankenstein et d’Élisée à “Faust”, les échos persistants d’un certain “Autre” en Occident : celui qui fait le pire usage du “Bon Côté”... Il est censé y subvertir la foi dans la Science la plus haute et dans l’alchimie fraternelle entre “Fils de la Liberté”... Les Occidentaux seraient-ils comme des Peter Schlemihl qui adoptèrent “cet homme”, mais au prix d’aliéner son “Ombre”, le (Bé) « tÇèlem » qui les poursuit ?... Cet Autre, jusques là, n’est sujet à aucun genre d’analyse freudienne, surtout pas lacanienne. Et pourtant le XXe siècle n’a pas cessé de désigner cette direction : l’Autre est son héritage et sa plus haute pensée. C’est même au nom de l’Autre que Michel de Certeau proposa de placer tout le travail des historiens. Let’s go ! 132 Première approche de l’Autre parmi les Quatre du Paradis En décembre 2000, le philologue Bernard Barc mit les points sur les i avec ses Arpenteurs du temps. Sa thèse d’une révision de la Torah managée par Simon(s) le Juste, au IIIe siècle « avant », passe par des textes du Talmud sur Aqyba et “l’Autre”. Barc définit ainsi le personnage de l’Hérétique parmi les “Quatre du Paradis” : “Cet Autre qu’on se refuse à nommer par son nom est un personnage négatif. Les {3} lettres qui servent à le désigner sont à elles seules tout un programme. Il est celui qui retarde (’aḥèr); il a partie liée avec les faux dieux (‘éLoHiM ’AḤErym). {NdR: ces griefs furent tardifs, ouvrant à ce Vade retro de l’époque gaonique : ’Arḥer aurait regardé ’arḥwor = derrière le Voile, puis il recula...} En un mot, il est l’hérétique. Son nom est Elisha, fils d’AbouYah : “Dieu-sauvera, fils de son-Père-Dieu.” L’allusion est transparente : l’hérétique est ce Jésus (= Salut) que les chrétiens considèrent comme le fils de Dieu.” C’est dit au nom d’une “transparence” que Barc fut le premier à publier. Combien l’auront pensé en le gardant pour eux ? Barc a sauté le pas de nouer l’Autre au Jésus chrétien, mais sans envisager qu’une anti-datation des évangiles ait suivi celle de la Torah. Pour lui, les trois premiers des Quatre, dont ce “Jésus”, furent réunis par Aqyba bien après leur époque. Pour nous, l’Autre a représenté le Jésus ecclésial comme quintessence des Quatre, et il l’a fait à son époque aqybéenne, mais dans des liens avec son siècle, le IIe, qui furent plus collectifs et autrement articulés que dans les christianismes nicéens. Car son Incarnation, si « personnelle » fût-elle, releva des combinatoires d’une élévation... au Carré ! Collectif, combiné, et pourtant personnel fut ce Carré paradisiaque des Sages Martyrs. Ce qui noua ces trois dimensions ne relève pas, tel quel, des mêmes combinatoires que les Qabales médiévales –on sait, par Scholem et Delmedigo, que Simon Bar Yorhaÿ n’a pas pu dicter le Zohar (du XIIIe siècle) au IIe siècle... Mais ces Qabales plongent leurs racines dans une théurgie millénaire, celle du Char d’Ézéchiel, survoltée par la gnose d’une Création dans les Lettres carrées. Ce thème grammatologique du Sefèr Yetçyrah (le Livre de la Création) est déjà apparu au IIe siècle (cf. B. Berakhot 55.a et Y. Hagigah II) : le monde fut forgé par le Souffle à travers les 22 consonnes de l’Alphabet de la sainte langue rangées en trois catégories : 3 + 7 + 12. C’est en quoi les témoignages des Apocryphes sur l’Enfant apprenant l’Alphabet à ses maîtres... n’ont rien d’anecdotiques : « Jésus » leur apprenait la « Genèse littérale » du monde, telle 133 qu’il l’avait connue « de l’intérieur » ! Ce témoignage aqybéen (= ici jaqobéen) rattache directement le Jésus des chrétiens... au fameux “Alphabet du Rabbi Aqyba”. Le « collectif » de « l’Incarnation » est une façon de dire la médiation perdue entre deux positions devenues incompatibles depuis le Schisme, la « chrétienne » et la « juive ». La Dispute de Barcelone, en 1263, se centra sur ce point : le rabbin Nahmanide refuse au juif dominicain qui l’interpelle de lire le “Serviteur souffrant” de Isaïe comme un individu. Ce “Serviteur”, pour lui, c’est Israël, collectivement. Pour les premiers judéochrétiens, les deux lectures ne s’opposent pas (cf. la réponse de “Bonaÿ”, parmi les Cinq de Jésu le Natçaréen, Traité Sànhédryn : Son fils aîné, c’est Israël…) : le peuple de l’Alliance a son rôle à jouer vis à vis du Messie, mais mieux encore : entre le peuple (de Ses) serviteur(s) et le Serviteur « personnel » (et synergétique), il y a le relais d’une « communion des saints » et son embrayage « élitaire ». Ce Messie eschatologique ne peut accéder à sa place qu’au terme d’une longue chaîne de Sages d’Israël à travers les (“42 ”) générations. Il s’appuie sur les « colonnes » des générations qui l’encadrent : celle qui l’annonce, celle qui l’épaule (tout en « l’abandonnant » au « bon » et pire moment…) et celle des témoins de son accomplissement (c’est l’évidence « évangélique »). Retrouver le « montage » et les chiffrages réglés de cette combinatoire des « intermédiateurs » –ceux qui tissèrent les liens entre le Médiateur et la médiation générale du Peuple distingué–, c’est lever le secret de “l’Autre” du point de vue de l’Hérétique. Ce personnage est défini par les Rabbis comme “un” des Quatre du Paradis. A-t-il été d’abord l’Un en plus de leur Carré ?! C’est la visée « technique » de nos explorations. Citant le Traité Hagigah du Babli sur ces Quatre du Paradis, Barc a traduit ainsi ce « texto » rabbinique –B. Hagigah (II, 1) 14. b, in Bernard Barc, 2000 : “Quatre furent introduits en vue du Pardès. Ce sont : le fils d’Azaÿ {NdR: et} le fils de Zoma, un Autre et Rabbi Aqyba. Rabbi Aqyba leur avait dit : quand vous serez introduits sur les pierres de marbre pur {NdR: celles du 6e Palais céleste ‒cf. chapitre 2}, soyez avertis (par illumination) de ne pas dire : « Eaux ! Eaux ! » {NdR : ni de dire, ni de faire : donc marchez sur ces « eaux » !} Le fils d’Azaÿ a fait fleurir et (en) est mort. 134 Le fils de Zoma a fait fleurir et a été frappé, Un Autre a coupé dans les plantations, Rabbi Aqyba est sorti en paix.” Deux Paires forment ces « Quatre ». Et n’allez pas penser que de nombreux Sages du Talmud ont pratiqué un tel voyage. Il y a ces « 4 »-là et le Jésus Lévite, auxquels s’ajoutent parfois un Elyézèr, un Bar Yorhaÿ, un HaQinaÿ ou autre Jean, mais on verra comment… ils sont tous à compter parmi les « Quatre » ! On verra aussi l’importance du fait qu’il ne s’agit pas que de Sages mais aussi de “Disciples”, dont le rapport aux Sages est « fusionnel ». Deux d’entre eux ‒Ben Azaÿ et Ben Zoma (en fait ce « Bèn » n’est guère à traduire car ils sont tous « fils de leurs œuvres »…)‒ ont effleuré le “paradis” et les deux autres (les dé-Filialisés) –un Autre et « Rabbi » Aqyba (= le « Quatrième » Ultime...)‒ ont pu y séjourner, avec l’accord du « Propriétaire ». Seul, le “Dernier” (c’est le cas de le dire) s’en serait finalement “sorti”. (Attention : ce “sortir” est aussi un terme technique des mystiques juives de l’Antiquité : “Sortez et voyez”...) Envisageons déjà qu’il suffise d’avoir effleuré cet Éden célestiel pour s’inscrire à l’envers du temps, non pas comme un fantôme mais comme un des “Vivants” : un des Cavaliers symbiotiques, censés participer des deux « Temps » à la fois. Il faut savoir aussi ce que peut signifier de finir ou couper les Plants (du Rameau messianique), sans y lire trop vite une action négative de l’Autre (ni, déjà, de son Baptiste...) vis à vis des “Plantations” de la Verge d’Aaron et du Sceptre de David. Tout est affaire de Temps parmi les 28 temps : “Il y a un temps pour planter, dit l’Ecclésiaste, et un temps pour extraire les plants” (les mêmes que ceux de l’Autre.) Ce “Bûcheron” accomplit-il les 28 temps ?! Tout a été biaisé dans la lecture courante des haggadòt sur l’Autre par l’idée rétroactive que l’Hérétique n’y est cité, toujours, que pour le pire. Des textes à sa gloire y sont retravaillés, conservant largement de quoi restituer l’optique d’une « hérésie » dont la Hache a marché sur l’eau... Au départ des récits, il fut aussi glorieux pour lui que pour Hillel, et déjà l’Élisée biblique, d’avoir été le “Bûcheron”. Cette haggadah des Quatre est aussi dans la Tosefta et le Talmud “de Jérusalem”, mais sans le mot d’Aqyba sur les eaux (qui n’en sont pas ! –cf. chapitre 2‒, non qu’ils 135 ignorent ces eaux, comme Urbach le supposa, mais) parce qu’elles avaient fait l’objet dans le Yeroushalmi d’une polémique introductive entre Ben Zoma et Rabbi Jésus (cf. chapitre 5). Citons déjà aussi ces Quatre du Pardès du Talmud bouclé en premier, l’Occidental : Y. Hagigah (II, 1) 9 a : Quatre ont été intronisés au Paradis. “Un” fit fleurir et mourut. “Un” fit fleurir et fut frappé. “Un” fit fleurir et il coupa (/ « finalisa ») les Plantations “Un” fut intronisé en paix et il “sortit” en paix. Voilà quatre “un”, mais où est l’autre ? Il vient... C’est sa fonction. (Et il aura d’abord porté à cet endroit son nom originel : « Jésus »…) Une fois attribués les noms d’Azaÿ et de « Zoma » aux deux premiers des Fils, le Talmud « de Jérusalem » en revient à cet Autre —l’Élisée que la Tosefta baptise tel depuis le IIIe siècle. Un des quatre “un” cités est devenu un “autre” quand le Yeroushalmi revient sur lui. Et il faut de bons yeux pour y distinguer l’un de l’autre, du fait du problème d’orthographe entre le D. et le R. hébreux. (Ce problème d’orthographie est souligné par Lévitique Rabba 19, 2 et d’autres Midrashs. Parce que chaque confusion possible entre deux lettres ressemblantes pointe aussi d’anciennes batailles de la « guerre » des midrashs...) Y. Hagigah II (suite) : “(L’) un (qui a) fait fleurir en coupant les Plants (à la « Hache »... advint) à partir d’un Autre Élisée, le Fils de “Son-Père : Yah”, (l’)Égorgeur (Hourèg) du ? OU : (apposition ?), le ? Rabbi de (la) Torah.” Il y a surtout un doute sur l’Égorgeur, Hourèg, car Martyr, c’est Haroug. Martyr ou meurtrier, ça tient au Waw ici ou là : OU avant OU après le R. En pleine époque des “Harougy” –les (Dix) Rabbis “Martyrs” de l’empire ET « du » Royaume… (dont Rabbi Ismaël et Rabbi Aqyba)–, il y a de quoi hésiter. 136 A-t-il ou bien fut-il exécuté ? Fut-il le grand « Archer » ou serial killer des Rabbis ? Ce Rabbi “de la Torah” en fut-il même le Rabbi par excellence, avant « Rabbi » ??! On a vu la version Schwab : celui qui ravagea les plantes “(n’) est nul (autre) que {l’Autre,} Elisha ben Abouya, qui tua {!} les plus grands étudiants de la Loi”... Mais si Haroug signifie Martyr, cela vient de Harag, exécuter, surtout par décapitation. Admettons, un instant, qu’il leur coupa “la Tête”, sachant... que c’est lui-même qui était à leur tête... Aucun Récit n’appuie de tels “égorgements” et le seul “enfant” qu’il “dépèce” (dans les Talmuds), on verra, c’est lui-même !... Barc a dégagé plusieurs des ouvertures exégétiques sur l’Autre talmudique : le hètçytç –le “faire fleurir” (la “verge de Lévy et des fils d’Aaron”)–, la “coupure” de la “fin” des temps (la QètÇ) ou le portage par Josué (= Jésus) du “Nourrisson” (= Israël)... Il a attiré l’attention sur le lien symbolique de l’Autre avec Coré, le Qorah biblique, mais sans le rapporter au talmudique “Jésus ben Qorah”… Il a cité la malédiction de Jérémie, qui n’épargnerait qu’Aqyba : “l’oracle auquel nous renvoie l’expression il sortit en paix {n’}appartient {qu’}à la section du Livre de Jérémie consacrée à… la diaspora judéenne d’Égypte.” (Côté TaNaK, mais il y a aussi des occurrences talmudiques...) Cette fuite en Égypte, lors du Désastre babylonien, a eu pour chef un Yorhanàn “fils de Qaréah” (QRH) : un autre des Coré bibliques que celui qui s’est révolté contre Moïse. D’où la malédiction, « mesure pour mesure », de Jérémie 43, 11 : « Il viendra et il frappera la terre d’Égypte : (celui) qui (fut) pour la mort, par la mort, (celui) qui (fut) pour la captivité, par la captivité, (celui) qui (fut) pour le glaive, par le glaive ! » Au bémol près du 10, 34 de Matthieu sur l’Épée de la Parole qui divise chaque famille, celui qui fut pour le glaive est Ben Zoma =le Bar Kokhba (ET son Bras droit ► : le Paul décapité◄). L’Insurgé de 132 fut seigneur sur Tout Israël, d’après ses propres lettres... Le Talmud est passé de son titre de Germe (du Messie), le tÇéMaH, à un caricatural Ben “Zoma” (le Couillu !) : son forçage messianique avait très mal tourné. Mais certains, dont l’Aqyba... ont finalement reconnu en lui l’Etoile annonciatrice de leur propre Messie ! La “sortie en paix” d’Aqyba annonce la Super Pâque de la Sortie de l’Ultime Égypte. 137 Le slogan Qui vécut par le glaive, périra par le glaive, fut lancé aussi, on le sait, par le Rabbi évangélique. Or, il le fut aussi par « l’Hillel » du Traité des Pères (ce légendaire « Ancien », antidaté parallèlement au Rabbi évangélique) : “qui a noyé sera noyé”, profère ce dit « Hillel », face au crâne à vau-l’eau d’un zélotique Yorick. Et sa formule, littéralement, parle de Golgotha. On est à l’heure et au lieu du Crâne... Mais laissons ces apéritifs pour préciser le plan de marche. Parcours des trois premiers chapitres Avant de déplier dans leur continuité les Récits de la Tosefta, des deux Talmuds (et des évangiles) sur l’hérésie de “l’Autre”, quatre étapes (en trois chapitres) tenteront de réunir le bagage minimal pour les interpréter du point de vue de l’Hérétique. Une fois recensées les sources talmudiques, on réalise ici, chapitre 1, un premier repérage de la mishna II, 1 du Traité Hagigah, qui ouvre aux trois séries des haggadòt sur l’Autre. Sa référence au « sexe » du Lévitique conduira au « Roi Salomon », là où ce Job et l’Autre ont aussi été l’Ecclésiaste ! Le chapitre 2 cavalera jusqu’à l’Apocalypse. Car si “l’Autre” relève des Quatre du Pardès, c’est selon les Quatre Vivants composant un « Char » d’Ézéchiel. Ce chapitre introduit aux « chevauchements » codés qui permettront que l’on relise toute la mishna II, 1 du Hagigah du point de vue du « Char ». Enfin, chapitre 3, la Vie de ces Vivants étant celle de cet homme, le Cinquième Homme « Quinte essenCiel » qui domine les anges, on décrypte ses “ailes”. Car le Talmud évoque aussi un Élisée de la même époque, mais qu’il glorifie, quant à lui, comme “le Maître des Ailes”. Cet “Innocent” (le Ha-Noqy des ‘Onèky du Anoky...) a souffert dans sa chair... “durant trois jours”. Et il le fit au nom du talmudique “Jésus le Chauve” (sic) – code talmudique pour l’Érigé et le Transfiguré... En tant que le Prophète « Élisée “Derrière Elle” » (midrash faramineux sur la résurrection dans le Livre des Rois)... Autrement dit l’Ultime “Rabbi” ou, littéralement, « l’Aqyba ». (Les statuts des Mishnah, Barayita, Tosefta et Talmuds seront revisités au chapitre 4, après lecture de « l’Âne ».) 138 Les quatre sens paradisiaques et celui des “Autre” bibliques Offrant de remonter les Quatre Fleuves d’Éden comme on va à la source en passant par la mer, la Parole biblique est elle-même “Paradis”. Le mot perse de pardès (jardin) a sa place dans le TaNaK pour l’Éden célestiel. Sur les trois occurrences bibliques de ce pardès, il y a le 4, 13 du Cantique des cantiques : “Tes envoyés (sont) paradis...” ShéLarHiYK PaRDèS... Ces missionnés de Dieu contiennent un rḤ(a)Ÿ “Vivant” qui fait d’un Envoyé le « ShélarḤaÿ », l’Apôtre de la Vie... Ce mot du Chant des chants sur le fameux Verger (des grenadiers...) a généré cette parabole, recueillie par la Tosefta de la bouche d’un Aqyba : “en quoi la Parole est-elle pareille au Paradis ? De ce fait que le Roi... élève (au Ciel) « Son-Divin-Fils ».” Littéralement, le “BeNWoYYaH”. Ce « paradis », qui ne sait aujourd’hui que les quatre consonnes du mot même de PaRDèS le disent par “notarique” (en le lisant en acronyme) ? L’exégèse rabbinique, c’est-à-dire le misdrash, se déploie dans les quatre sens de ses P.-R.-D.-S. : P pour le sens courant, le “Simple” sens usuel de la lecture rituelle de la Miqra : Peshàt. R pour les sens symboliques des signifiés, selon le contexte “Allusif” du Remèz. D pour les sens exégétiques, générés en fouillant, au ras du signifiant, les rapports du verset avec tous les versets bibliques –c’est le Drash “enquêtant” qui nourrit le midrash, en « sollicitant » tous les sens disséminés dans le TaNaK. Or, le « centre » de la Torah est censé tomber pile… dans un “Drash Drash” très sollicitant de Lévitique 10, 16... S, enfin (le Samek), pour le sens fondateur “secret”, le sens ésotérique du Sod. Ainsi, pour les deux mots que l’on vient d’extraire du Cantique (“Tes envoyés (sont) Paradis”...), le pshàt est le « jardinage » des amants; le remèz y évoque la “nuptialité” des envoyés divins; son drash, c’est l’ensemble des “ouvertures” bibliques permettant des comparaisons signifiantes à travers tout le TaNaK ; elles composent un midrash. Quant au Sod ésotérique (qui est pas qu’un sens de plus, mais « s’ignifie »* des trois en un...), il doit rester voilé mais il a forcément croisé la réalité historique du messianisme antique par le Sod du PardèS et le Samèk de la Semikha rabbinique. Le niveau décisif est celui du midrash : c’est lui qui fait lever des sens nouveaux, en dévoilant, de la façon la plus littérale, des allusions à d’autres contextes qui enrichissent en boucle le remèz. 139 Ici, la boucle est « à l’infini », puisque le Paradis est le P.R.D.S. des quatre sens de la Parole. Mais cette version des quatre sens est celle de Qabales médiévales; il y a problème pour l’Antiquité. Ces quatre niveaux de lecture semblent croiser la scolastique de l’exégèse chrétienne (cf. Henri de Lubac) : l’Église romaine a reçu cette notion de Paul, Origène et Jérôme... Et Bède (Vénérable Anglais du VIIe siècle) a codifié que la Bible est à lire sur ces quatre plans : les littéral (ou historique), allégorique (ou typologique), moral (ou tropologique) et anagogique (ou eschatologique). Ces quadratures juive et chrétienne se sont-elles entrecroisées ? Scholem s’y est creusé la tête. Moshé Idel nota l’ancienneté du débat : pour Wilhelm Bacher, les qabalistes ont reçu leurs 4 sens de la scolastique, mais pour Péretz Sandler ils furent une élaboration interne au judaïsme. Charles Mopsik a souligné que cette lecture du P.R.D.S. fut divulguée au XIIIe siècle par Moïse de Léon dans son Pardès (livre perdu). Il n’est pas si facile d’en prouver l’existence auparavant. Maïmonide l’a ignorée, sans doute volontairement. Et pourtant, le midrash travaille les Écritures depuis 24 siècles. Quant au Pardès de la Parole paradisiaque qu’on a citée de la Tosefta, il fut de vers 200 ; la Tosefta au Hagigah assure que “la Parole est pareille au Paradis”, mais aussi à “l’Acrobatie”, celle du Trapéziste « gnostique ». L’Aqyba de la Tosefta, ce champion du « Trapèze », avait-il déjà indexé quatre sens à son Pardès ? Si oui, lesquels ? La portée paradisiaque du tétrapode herméneutique a pu subir une longue éclipse avant la résurgence de Qabales moins jalouses du Secret du PardèS : la dure critique de Maïmonide les obligea à sortir du bois... P.R.D.S. ou pas, la lecture à “double hauteur” des sens du Texte-Loi (à l’étage de la chambre haute ‒cf. Barc sur L’Ecclésiastique), ainsi qu’une trinarité de l’exégèse antique sont assurées : elles tissent la « Bible » même : le Trisagiòn de Isaïe a valeur matricielle : qodèsh, qodèsh, qodèsh... Il généra le « Tri-SoPhèR » du Sefèr Yetçirah : sephèr, siphar, sipour. C’est par Livre et Livre et Livre qu’on interprète le Livre, et le monde par lui, car ce Livre s’entend 1. à la lettre, 2. dans ses nombres et 3. par la Parole (4.) du Scribe Oral : lue sur la bouche du Sofèr lui-même. Tout tiendrait-il à l’Interprète qui « S’ignifie » en Elle ?! (Ce n’est qu’une des lectures possibles du Trisofèr du Sefèr Yetçyrah (permutant, côté célestiel, en Yetçèr saphirah...). Or, ce ternaire du quaternaire, la 140 trine Sagesse du rHaBaD9, s’y avère structurel (cf. Annexe finale) : chacune des 22 lettres porte trois sens + un, les 22 sens du Ciel, les 22 de l’Année et les 22 du Corps humain mais reliés par 22 « vecteurs » d’intensité. Total : 88… Le Sefèr Yetçyrah viserait donc l’harmonie finale du Fils de l’Homme... dans l’espace-Temple, à condition qu’on l’articule à l’espace du sacré, qui est le temps réglé de l’Année liturgique. On le retrouve dans la façon dont les Six Ordres du Talmud –Semences, Rendez-vous, Femmes (et Préjudices), etc.–, ont situé le temps liturgique entre le temps fertile des « saisons » et le temps social et du couple. Leurs 3 premières initiales forment le mot ZeMàN : l’Époque. (Quelle Époque, c’est à voir plus tard...) Furent-ils comme les 6 anneaux du Sefèr Yetçirah, issus de ses 3 Lettres Mères ? (= les Alif, Mêm, Shyn du Coran !) Unissant les deux mondes de dessus et dessous le Saphir de la Voûte, les deux « triangles » des Six Ordres s’entrecroiseraient alors sur l’Étoile à 6 pointes * (le magèn ou le sceau), le montant ET le descendant, comme sur l’Échelle de Jacob. Une version du Yetçyrah habita les Sages de Yabnéh : son thème bètçalélien de la création « combinée » selon les 22 Lettres figure dans les Talmuds du côté de Rabbi Ismaël ou Rabbi Aqyba (ou leur doublon, le dit « Tharphôn »). Nous ferons référence à ses versions actuelles comme à des témoignages d’entre IIIe et Ve siècles sur l’esprit grammatologique de théurgies du IIe siècle. Sous réserve d’inventaire, on tiendra qu’un “Pardès” a bien porté, dès la fin de Yabnéh, “3 sens bibliques qui en font 4”, mais que la crise judéo-chrétienne, par l’imbroglio de ses « gnoses », a plongé ce Pardès, côté Rabbis, dans un tunnel ésotérique de 8 à 9 siècles. ►N.B. : Qu’on ait attribué ce Carré herméneutique à “Paul” ne saurait signifier pour nous que ce thème est sans lien au midrash des premiers Rabbis, mais au contraire qu’un Rabbi “Ha-Qéthàn” apostolique reçut ses « quatre sens » du « Tout Yabnéh ».◄10 On se retrouve ainsi avec la vieille énigme qui nourrit la légende de l’antiquité du Zohar, diffusé par Moïse de Léon vers 1260 mais attribué par lui au Simon Bar Yorhaÿ mort vers 166. Y a-t-il eu “Réception” orale de codes mystiques du IIe siècle par cette grande “Qabale” du XIIIe ? Certes oui, mais lesquels ?... 9 Le « ḤaBaD » (renouvelé ou non par le hassidisme) lie les trois initiales de « Sagesse / Intelligence / Savoir ». e Rappel : ►Ces « coins » typographiques isolent les passages dont la démonstration attendra la II Partie.◄ 10 141 Quant à “l’Autre”, on verra (à l’envers de l’option de certains érudits) qu’il fut le maître de Simon Bar Yorhaÿ, mais qu’ensuite le S. du PaRDèS les opposa. Car Rabbi Aqyba (l’Ultime : “Ne vous dites plus Rabbi”, etc...) refusa bizarrement d’ordonner ses disciples (d’en faire des Rabbis en leur imposant les mains pour la Semikha 11); et il le refusa tout spécialement... à Simon Bar Yorhaÿ ►cf. II, 1.◄. Si codé fut le Paradis des Rabbis de Yabnéh, il est sûr, en tout cas, qu’ils ne l’ont pas vécu comme une allégorie. Non que l’allégorie n’ait pas sa place dans le remez antique, mais pas celle que lui donna l’exégèse augustinienne. Les maîtres de Yabnéh visent la Sagesse à trois dimensions – Intelligente et Connaissante (= rHaBaD)–, et qui s’allie, de plus, à la Voie de Justice d’une éthique supérieure aux règles de ce monde : ils veulent vraiment passer d’un temps à l’autre, en entraînant le Peuple dans Son Jardin... Ils ont cru dur comme pierre à la présence réelle du temps à venir. Car ils n’avancèrent pas que la Parole est Paradis dans le sens d’une parole « verbale » mais dans le sens « vivant » du « Verbe » diluvien où ils comptaient émerger maintenant, fut-ce au prix, pour commencer, d’un genre d’équilibrisme “acrobatique”. Il nous suffit de repérer la base ternaire du quaternaire des Quatre Sens pour aborder ici les “Quatre du Pardès”. Dégager cette matrice herméneutique réclamerait une toute autre étude du Sefèr Yetçyrah et des XIII Règles d’Ismaël (en passant par les 32 Voies de Sagesse et la portée théosophique de la scène « sémaphore » du Moïse trinitaire triomphant d’Amalek). Dans cette herméneutique, une question se pose d’elle-même, dont nous ne savons guère, sauf les liens avec Seth, puis Benjamin et le Messie, que pointer des curiosités : qu’en est-il, midrashiquement, de “(l’)autre” dans la Bible ? Que ce soit quant au choix des Amorayim qui ont condamné ce Rabbi à « l’anti-nom » d’un “Autre”, ou déjà par son propre choix de valoriser cette notion, de quelles connotations bibliques participe un « ’arḤèR » (= 1+8+200) ? Faute d’un midrash explicite de l’Autre, piochons quelques données. Ne partons pas des traductions : la plupart des “autre” bibliques n’en sont pas en hébreu. De plus, la plupart 11 On retrouvera souvent cette « imposition » des mains, transmise des initiations du judaïsme à l’ordination des « prêtres » chrétiens. Ce fut d’abord celle de Dieu sur Adam pour former « la femme », puis celle des Officiants du Temple sur les animaux sacrifiés à Dieu, avant de devenir le geste décisif de « l’ordination » d’un « Rabbi ». 142 des ’ ḤR du TaNaK ne sont pas des ’arḤèR (un autre) mais des ’arḤoR (après). Ce jeu sur l’Autre et sur l’Après (qui culminera en Isaïe 30, 21 et dans l’Instant du « pur Echo ») a joué un rôle décisif mais qu’on verra plus tard avec l’“Elysha ’arḤaR-YaH”. ErHaD ArḤY ArHèR ? L’Un est le Frère de l’Autre ? (Lire aussi Éliane Amado LévyValensi, 1968, sur la “fraternité” -en hébreu, arḥawah- et la “responsabilité” : arḥarayout. Des liens de l’un à l’autre sont inscrits dans la langue.) Dans la Torah, le premier “autre” salue l’orée de l’espèce humaine : “Adam ayant connu sa femme une nouvelle fois, elle enfanta un fils et l’appela à son nom de ShèT en disant : Seth est de Dieu pour moi (tel) une autre semence après (l’)Abel que Caïn égorgea.” L’Ordre des Semences est le premier des Six Ordres talmudiques et une gnose « sèthienne » est censée accompagner toute la naissance du christianisme. Un midrash du verset est résumé par le Rabbi Houna en Ruth Rabba 8, 1 : “la semence autre, c’est la semence de (l’)Autre Lieu –MaQWoM ArHèR‒ (le Lieu, c’est-à-dire Dieu !) : elle désigne expressément (ZéH ZéH) le Roi Messie.” (Cette semence-là jaillit comme une flèche, cf. chapitre 7.) La graine que les évangiles cultivent tant, c’est l’autre graine du Lieu, passant de Seth à Benjamin et à David via Bétçalel et… tÇélopherhad. Dans la Torah, une occurrence suivante est celle de Rachel, la Brebis jusques là stérile qui nomme son premier fils (Joseph) en fonction du suivant et ultime. Genèse 30, 24 : “elle l’appela à son nom d’Ajoutant (= Joseph), en disant : « que YHWH m’ajoute un autre fils ! »”. À savoir (le) Benjamin. Ensuite, Samuel “oindra” le benjaminite roi Saül pour (en) “faire un autre homme.” Le Roi ! Les partisans de “l’Autre” (l’Autre Fils du IIe siècle) furent les Anciens “du Midi” et les fils “de la Droite”, littéralement des bèn “yamìn”. C’est en quoi Paul se dit “de la Tribu de Benjamin” : il rallie un Messie davidique qui est “Fils de Benjamin” en Judée. (Mais cet Ephratite de Bethléem est aussi de la lignée sacerdotale de Lévi, en Messie “fils de Joseph”...) Cf. Juges 19-21 et son « Israël comme un seul homme » (à suivre)... Proverbes 25, 9 a été cité : “Vide ta querelle avec ton prochain, sans révéler le secret de l’autre !” Les Toldòt Yeshou l’accusèrent d’avoir livré le “Nom” de Dieu... Mais II Samuel 18, 26 met les pieds dans le plat : dans ce verset, un “Homme Autre” (’iYSh ’arḤèR), qui est un homme pressé, s’avère, selon David, “le Même (bon)-Messager”. En 143 grec de la Septante : « l’Evangélique » ! Ni plus ni moins ! Ce verset grec aura sûrement conforté le « nom » de l’Autre, vis à vis de celui qui s’est donné à la synagogue pour le Messager d’Isaïe : « ce qu’on vous a lu, Je le suis... » Or, il existe une figure biblique qui est précisément « nommée » un “Autre”. ’ArḤèR. Prenons-le Tel. Un verset de filiation indique en effet en I Chroniques 7, 12 : “Et SoPhiM et rḤouPiM étaient Fils (de l’) Ânon {OU de la Ville : ‘iYR}, rḤouShèM (étant) le Fils (d’ un ?) Autre.” Ce verset pousse à la temourah : Sophim + rHoupim = rHouShim + 2 Péh. = 2 Bouche ! Dans quelle Tribu sommes-nous ? On en termine avec les fils de Benjamin et on n’est pas encore dans ceux de Nephtali, puis Manassé... Or, trois versets plus loin, parmi les fils de Manassé, il est dit que Makir “a pris femme à Sophim et rHoupim. Makâh {épousée par Makir} est le nom de sa sœur {celle de l’homme des Confins, Sophim ?} mais le nom du second {rHouppim –soit le Nuptial...} est... tÇélopérhad, (le) tÇélo-pé-rhad qui (n’) eut (que) des filles.” Pataquès. Les fils de l’Ânon sont-ils demi-frères ? En tout cas, ce rHouppa, qui est aussi le Çélophrad -“l’Ombre-de-la -seule-Bouche” !- évoque des Noces. Si sa lignée n’aboutit qu’à des filles, ce « Noceur » va y perdre son patrimoine. Cet “Autre” est sans doute “l’Autre Fils” de Genèse 30, donc un Benjamin, qui a pu devenir aussi fils de Joseph, via Manassé. Nombres 36 précise Nombres 27 : les filles du tÇélopérhad seront des héritières de la Terre, à condition qu’elles se marient “aux seins” de Manassé... Le Talmud, dont Baba Bathra 116-120, évoque ces calculs de filiations cachées, profilant l’union d’Israël derrière son Prince messianique. Ces calculs nous dépassent, mais le ῌoPhèR de Nombres 27 est bien ce fils de Manassé qui génère par ses petites-filles un clan de Sichem. (Sur l’Âne de Sichem et « l’ânon » du Messie, cf. chapitre 4.) Fameuses sont les Cinq Filles de ce tÇéLoPérHaD, second de cette affaire des Sophim et rHoupim. Si embrouillé que ça paraisse, ça mérite un détour, tant sont riches les promesses de ce midrash déchiqueté sur un nom « oublié » de l’Hérétique pendu au Bois. Car, en Shabbàt 96. b, Aqyba voit en tÇélopérhad… le “Ramasseur de bois”. Cet anonyme de Nombres 15, en pleine Traversée du Désert, a violé le sabbat pour “récolter” son bois et YHWH est intervenu pour le faire condamner à mort. Présage-t-il 144 des fameux “Bûcherons” : les Elie-Elisée, Baptiste, Hillel ou Autre ? On retrouvera ce “Collecteur” (Ha-Qamètç ou Bar Qamtça), en récolteur de bois ou… (polémiquement) de crottin !, aux Traités G(uè)ythyn V, Hagigah I et Ketoubot. L’Héritage doit-il passer par un homme que Dieu a fait exécuter ?! Qu’est-ce qui fit de son crime une promesse cachée ? Le désert, par définition, est justement l’endroit où il n’y a plus de bois ! Ni vert, ni mort. S’il y a du bois qu’on y ramasse, serait-ce du bois de l’Arche planté par Abraham ? Est-il tombé du Ciel avec la manne (en vue de Ezéchiel 37) ?! Et d’un point de vue judéo-chrétien, est-ce que ce midrash « du Bois » a croisé le midrash de l’Homme en vue (d’une certaine Croix…) de la résurrection ?!... Poussons un peu le jeu pour le lecteur curieux, sans disposer d’assez de cartes sur les 5 filles du Cueilleur de bois, ni les (mêmes) “Cinq Femmes”, qui soutinrent le trèsmessianique « Aqyba ». Les Filles du tÇélopérhad sont des stars du Droit biblique : “elles parlent juste”, dit YHoWaH. Défendant leur père d’une seule bouche, elles sont les premières filles qui héritent comme des mâles lors du partage de la Terre promise; elles figurent donc dans la Mishnah sur les lois d’héritage. Traité Baba Bathra, mishna 8, 2 : “Les filles du tÇélopérhad ont reçu 3 parts à la distribution des terres par Yhoshouâ {= « Josué »} : 1/ celle de leur père parmi tous les Sortis d’Égypte; 2/ la part de leur père sur les biens de son père, rHophèr; 3/ la part supplémentaire du fils aîné.” Or, dans le Talmud Occidental, du haut de ses « 120 ans » de vie, Jésus le Chauve corrige les 3 parts en 5 parts ! Pour lui, comme selon “l’évan-gile” qui est cité en Shabbàt 116, la fille (dans ce cas) reçoit la même part que le fils. Ce « Jésus » du IIe siècle dut avoir de fortes raisons pour parler... en Nouveau « Josué » (= Jésus) ! Le Talmud applaudit les Cinq Filles du Désert. Il y a deux façons de réciter leurs noms. Dans l’une, leurs initiales forment le messianique MéNarḤèMòT : elles sont, ensemble, “Consolatrices”. Leur pentagramme est un “Paraclet” collectif. Pour quand ? Il est dit “qu’elles seront...”, souligna... Rabbi Ismaël. Des princesses de l’Exode appuieront ici son Messie. Un midrash a fouillé les Cinq Filles du Glaneur de bois. La dernière attend “40 ans” pour se marier, précise vers 160 Elyézer ben Jakob, donné comme à moitié chrétien par un Récit sur Séphoris. Fouillant le même midrash qu’Aqyba, il... l’épousa ! 145 La 5e “selon l’âge ou selon la sagesse” ? Ces cinq filles de Sichem sont liées à la ShouNaMite de la résurrection biblique. « Donc » à la ShouLaMite du Cantique des Cantiques. “Accélérons !”, dit-elle, vers la Noce en question... Cette excursion, à première vue, nous entraîne loin de l’Autre, mais l’exemple est typique des labyrinthes intertextuels que le style herméneutique de Rabbi Ismaël a tracé dans le Livre pour y frayer les voies de l’Homme. Retenons au moins ça : 1/ les 5 filles de la « Bouche d’Ombre » de l’Exode sont en mission pour le Messie ; 2/ un nœud des filiations des Tribus d’Israël avec un Autre paraît croiser une exégèse du “Collecteur” de bois, ainsi que la zizanie du “Qamtça” et du “Bar Qamtça” qui, selon Gythyn V (cf. IIe Partie), a entraîné la Ruine du Temple. Où puiser “l’Autre” déviant dans les sources rabbiniques Le personnage de l’Autre n’a suscité en France qu’un essai d’Albert Assaraf (Balland, 1991), perspicace sur le « radis » arraché par l’Hérétique (chapitre 7). Quelles sont ses sources talmudiques ? Un dire d’Élisée ben Abouyah (=l’Autre) est conservé dans une mishna du Traité des Pères (et il est largement cité dans les Pères selon Nathan...). Pointons ce paradoxe. Outre qu’il fut paradisiaque, le plus grand hétérodoxe du judaïsme antique en est resté quand même un auteur « canonique » ! Ces citations des “Pères” n’ont pas que le statut de mishnas ordinaires dans les mille et une mishnayòt : elles se récitent chaque année dans toute synagogue à l’approche nuptiale de Pentecôte. Un Siddour liturgique en avait exclu la mishna attribuée au Ben Abouyah (lire au chapitre 6 cette affaire à rebondissements), mais ce saut « par-dessus » un seul des Pères de la Mishnah réactive étrangement son étrange retranchement. Sur cet Autre, on dispose surtout de la grande guémare (II, 1) des Traités Hagigah des deux Talmuds, et déjà de la Tosefta. À quoi s’ajoutent, ici ou là, dans le Talmud Babli, les folios Rosh Ha-Shana 21.b, Moèd Qéthàn 20.a, Qidoushyn 39.b, Houlyn 142.a, Eroubyn 85.b, etc., ainsi que deux folios du Midrash Rabba : R. Ruth 6, 4 ‒côté aïeule prosélyte du Fils de David‒ et R. Qohélèt 7, 8 ‒côté Ecclésiaste de l’Ecclesia. Et Qohélèt Rabba l’aura aussi listé comme le pire des « hérétiques » (= Mynym). 146 Outre la Tosefta au Hagigah, il faut peut-être y ajouter la Tosefta au Traité Sanhédrìn, 8, 1, mais on ne sait pas s’il y est un autre (arhèr) ou s’il y est unique (érhad) ! Léger ratage d’une substitution générale ? En tout cas, cet “Élisée” y est celui qui a siégé “au centre des Anciens” dans les années 120. Ce n’est pas peu et c’est énorme par les passerelles que ça lance. À part les Pères qui sont à part (d’ailleurs, il n’est même pas dans le Traité des Pères sous le nom de Arhèr, mais seulement comme Elysha), on voit d’emblée que l’Autre n’est pas, comme tel, dans la Mishnah, bien qu’elle s’écrive à son époque et les 80 ans qui ont suivi sa mort. (En fait, il apparaît masqué dans la Mishnah, dans le rôle du “Ménarhèm” schismatique ou du Sage “Tordu”... ou du “Rabbi” par excellence mais anonyme, mais jamais comme cet “Autre” qui vécut au plus près des sources de la Mishnah.) Est-ce à dire que son hérésie n’est apparue comme telle qu’une génération après lui, et, dans toute son ampleur, aux IIIe et IVe siècles ? Une autre donnée le suggère. Cet “Autre” n’apparaît dans la Gemara et les Midrashym Haggadah qu’au-delà des Midrashs (dits) Halakhah qui conservent en eux les plus vieux textes rabbiniques. Ces Mékhilta, Sifra, Sifré... liés aux maîtres du IIe siècle que furent les Rabbis Ismaël ou « Aqyba » et Simon Bar Yorhaÿ, ont subi bien des arrangements dans les siècles suivants, mais tous leurs témoignages sont restés sourds au rôle d’un “Autre”, qu’ils sont pourtant censés avoir eu sous les yeux. Même si certains de ceux des Écoles dites d’Aqyba ou du Tharphôn le critiquent sous d’autres noms depuis la fin du IIe siècle, ni Rabbi Ismaël (Ben Élisée) ni l’Aqyba ou le Tharphôn, ni le Ben Elaÿ ni le Bar Yorhaÿ n’y dénoncent jamais un nommé Élisée, ni aucun autre, comme un “Autre”. Une des matrices textuelles de l’Autre apparaît-elle dans les textes tannaïtiques sous forme d’une “parole” anonyme ? L’expression DaBaR arHeR ‒“parole (d’un) autre” ou plutôt “Autre parole” (75 fois dans la Mékhilta dè Rabbi Ismaël, 38 fois dans le Sifra, mais seulement 12 fois dans tous les Sifré…)‒ y est aussi récurrente que l’expression “Autre parabole” l’est dans les évangiles. En vint-elle à croiser le DeRèK arHéRYM, la “voie des autres”, c’est-à-dire l’hérésie, au sens de l’autre chose (innommable) du yiddish ?! C’est lié à la grande énigme de l’histoire des premiers Rabbis. Dans la 147 confrontation du IIe siècle entre une École d’Ismaël et une (?) École d’Aqyba se multiplie cet “autre parole”. Or, s’appuyant sur Gary Porton (les Traditions de Rabbi Ismaël), Stemberger (1982) conclut avec lui : la grande dispute Ismaël / Aqyba est “la Querelle artificielle”. “Une distinction nette et claire entre Ismaël et Aqyba n’est pas du domaine du possible” : “chacun des deux groupes {de ces textes tannaïtiques} a produit beaucoup de matière en provenance de l’autre, introduite {NdR : ou non…} par davar arḥer.” À moins qu’une source du nom de « l’Autre » (sur le modèle du GamZo) n’ait été sa tendance à multiplier les points de vue en martelant : “autre par(ab)ole”... Dans les Talmuds, cette “autre parole” s’ajoute aux expressions “d’autres” disent... (‘arhérym...) et “certains” ou “y en a qui disent” (yesh ’oméryn)... Les talmudistes savent (par Horayòt 13.b) qu’elles désignent les Écoles de Méïr et de Natàn (tous les deux censurés après leur expulsion de Galilée, en 163, puis, plus ou moins, rétablis...). Or, Méïr est l’élève de l’Autre (et Nathanaël, son jeune continuateur… chez « les autres ») : il y a continuités, dans le Talmud, entre “l’Autre” et “certains autres”... Conclusion : en tant qu’Autre déviant, il affleure en premier dans un Traité de la Tosefta : le Hagigah déjà (qui fut bouclé avant 313, semble-t-il). On doit donc considérer que ce Rabbi du début du IIe siècle ne commence à être épinglé sous son « anti-nom » d’innommable qu’au moins 70 ans après sa mort... L’essentiel des Récits sur “l’Autre” est au Chapitre II des Traités Hagigah. (Lire leur double « sommaire » sur la page ci-après...) Le Talmud Yéroushalmi, dans ses Récits sur l’Autre, brosse les mêmes thèmes que le Babli, sauf la Vierge, la Fornicatrice, les Treize et l’Ange MétatrÒn. Il traite seul de la Circoncision sinaïtique de l’Autre et de l’Astrologie MYNYMale de sa Mère. De plus, des traces de l’Autre se sont disséminées (Rosh Ha-Shanah 21.b sur le Désir de l’Ecclésiaste, par exemple). Certains “autre” sont allusifs. Ainsi, en Hagigah I, le « Cueilleur de figues vertes » ou, au Traité des Pâques (22-24), l’insistant “et l’autre ?”, “et l’autre ?”, “et l’autre ?” Et, en Sànhédryn 11.a, un « autre » stratégique, puisqu’il révèle le lien de l’Autre avec Samuel Ha-Qéthàn (= Paul, {c’est à suivre, IIe Partie})… 148 Sans compter les blancs du scribe12 !... Mais tous les “autre” du Talmud ne sont pas cet “Autre”, bien sûr. Certains, de plus, voient l’Autre en rêve (dont il fut un interprète sous d’autres noms, cf. chapitre 6): B. Berakhot 57.b et ARN A 40 ou ARN B 46. Les affaires de la Loi du Nid et de la Langue du Linguiste sont aussi en B. Qidoushym 39.b et B. Houlìn 142.a. Celle des Vases brisés de Job 28 revient dans les Midrash Rabba de Ruth (6, 4) et du Qohélèt (7, 8...), et dans les Pères selon Rabbi Natàn (ARN A 24). Cette “Refonte des Vases” (qui sera un grand thème cosmogonique du Philippe de Nag-Hammadi et de toutes les Qabales) est au centre du Tiqoun et de la Résurrection. Or, ce thème stratégique des Vases traverse le Sifré (en Eqèv 48), en passant par... “Jésus le Chauve”13 (, le « Moïse » aux pieds nus... qui vécut 120 ans. De vers 52 à 173) ! Vers l’hypothèse hardie d’un Proto-ῌagigah « judéo-ecclésial » Mais pourquoi est-ce surtout aux Traités Ḥagigah qu’il est question de l’Autre ? Ce Traité de l’Ordre des Rendez-vous (de l’année liturgique) évoque des aspects liturgiques des trois “grandes fêtes” : la Pâque -Pessarḥ-, la Pentecôte -les (7) Semaines, en hébreuet Soukòt -les Cabanes- (qui suit le Kippour). Ces Fêtes sont dites “de pèlerinage” (“à pied”), car il y avait obligation de monter au Temple pour l’occasion. rḤaG désignant la “Fête” dans un sens de réjouissance qui déborde le mo‘ëd (le rendezvous liturgique, ou temps “témoin” de “l’assignation”), la “rḥagigah” a désigné “l’offrande de Fête” parmi toutes les offrandes du Temple. On en offrait aux autres Fêtes, mais, de même que la Pâque était la plus grande des grandes fêtes, la rḥagigah de Pâque était l’offrande exceptionnelle, en surplus du rite pascal, à sa place la plus visible. Cette offrande de la rḥagigah (en bétail ou monnaie) est donc un des sujets (monétaire et symbolique) du Traité Ḥagigah, mais elle a aussi une place importante au Chapitre VI Le scribe rabbinique, quand il doit marquer un « blanc » dans le Texte de la Torah, compte précisément trois fois la place du mot Autre = « ’arḤèR ». A peu près l’espace de « ’ErḤaD », soit l’Un, mais à une « barbule » près pour l’empâtement du D. Si bien que ce « Muet » persiste dans la Loi (qu’il a prétendu « incarner ») de par ces trinitaires 12 blancs qui scandent le TaNaK(h) ! 12 13 Ramené « sur le papier » au sein du rabbinisme en tant que « Jésus » repenti, cet étrange « Jésus le Chauve » reste accompagné de sa « mère », la « Mathrônyta » et continue de polémiquer avec les héritiers de Simon Pierre, ces « vinaigre, fils de vin » qui dénoncent les judéo-chrétiens aux Romains (cf. Baba Metçya 83.b / 84.a), et cela dans son style le plus évangélique : « l’amour est plus fort que la chair »… 149 Les 13 à 15 Récits sur “(l’)Autre” dans les deux Traités “Hagigah” Talmud de Babylone (guémare II, 1 du Hagigah) : 1/ Les trois grands initiés au Char : Rabbis Jésus, Bar HaQinaÿ et Aqyba, 2/ et les Quatre “Un” du Paradis, dont (l’)Autre et (l’)Aqyba (14 b). 3/ Ce Chien de Ben Zoma qui contesta Jésus et la Vierge de la Piscine (15 a). 4/ L’Autre affronte le Méthathrôn du Trône divin (dont la Voix l’exclut…). 5/ L’Autre et la Fornicatrice ou, le « Radis » de la « Madeleine ». 6/ Les syzygies de l’Ecclésiaste et leur supplément d’âme. 7/ La brisure des “Vases” et la refonte du Sage. (La Voix, bis.) 8/ La chevauchée où il se “dépèce” sur la Cène de ses 12 Apôtres (15 b). 9/ Où les Rabbis Méïr et (Jean) Nathan volent au secours de l’Autre. 10/ Où la fille de l’Autre met le feu au “Rabbi” qui tria sa Mishnah. 11/ De la chair et de l’écorce des leçons de l’Autre à Méïr. 12/ Où Judah et Samuel pleurent la « Tour » abolie {de leur Eglise première}. 13/ L’Autre en chansonnier grec, Maître des “Blanchisseurs”. 14/ Le murmure d’Aqyba éteint la rage des anges. (16 a). Talmud “de Jérusalem” (même guémare du même Traité) : 1/ Les trois grands initiés au Char : R. Jésus, le « Kinaÿ » et Rabbi Aqyba, 2/ et les Quatre “Un” du Paradis, dont (l’)Autre et (l’)Aqyba (« 9.a »). 3/ Le Disciple génial qui enseigne à son Maître en Bélier / Accompli. 4/ L’Autre sur sa “Cavale”, chapitrant son fidèle Méïr, au nom d’“Aqyba (ou Jakob) , ton (nouveau) maître” : la parabole « œdipienne » de l’Homme… 5/ L’Autre en Pêcheur, Tisseur et Charpenteur de l’Homme. 6/ La Circoncision incendiaire, en 70, de “Cet Homme” d’un autre “Sinaï”. 7/ De l’Autre “sans Retour”, malgré les “Vases” de Job. (La Voix l’exclut...) 8/ L’Autre et la Loi du Nid sur la mère et ses œufs. 9/ L’Autre et la langue du “Boulanger” jetée au “Chien” sanglant. 10/ Où le fœtus de l’Autre a respiré l’astrologie d’une chambre haute. 11/ Où la Tombe de l’Autre est vide, mais on célèbre son Lendemain. 12/ Où les (deux) filles de l’Autre attaquent “Rabbi” sur son copyright. 13/ “Que la bouche de cet homme se taise !” (Et retour à ses Alphabets.) 150 … (mishna 2) du Traité des Pâques. Il interdit que l’offrande de la rḥagigah soit réalisée (au Temple) en même temps que le sacrifice… de l’agneau du 14 nissàn, dans le cas où le premier des 7 jours de la Pâque tombe sur un sabbat... Que vient faire “l’Autre” dans tout ça ? (Tant que nous ignorons ‒à ce niveau des démonstrations‒ si cet Autre n’est pas « l’Agneau »... qui s’offrit en rḤagigah lors d’une “Passion” qui débuta la veille d’une Pâque tombant un sabbat... Auquel cas, tout est clair : l’interdiction tardive, et devenue virtuelle, de Pessarhym VI, 2 a visé, après coup, un rituel de Festivité lié à ce Jésus Messie, le “Christos, notre Pâque”...) À première vue, cet hérétique paradisiaque est avant tout au cœur du Hagigah parce qu’il y a un lien entre l’Offrande festive et l’Ascension des Quatre au Paradis. C’est par là le Traité le plus « mystique » parmi les 63 de la Mishnah. On y traite des dangers des exégèses secrètes de la Torah, qu’on ne peut pas confier à n’importe quel talmudiste, au risque de multiplier des déviances comme celle de “(l’)Autre”. Ce serait par défaut que ce Traité paraît plus spécialement théosophique : par les données qu’il faut un peu laisser percer pour justifier qu’on remette le couvercle sur les secrets de l’œuvre messianique. Sauf si, à l’origine, le Proto Hagigah visa le cœur de l’accomplissement messianique, engagé par cet « Élisée »... Pourquoi ce début du IIe Chapitre du Hagigah sur l’Ascension des Quatre est-il pris « en sandwich » entre un Ier Chapitre sur le voir / être vu à la montée au Temple (thème de la Sainte Face) et un IIe-IIIe Chapitre sur les “Vases” (thème de la Résurrection) ? “L’Autre”, cet “un” des Quatre, est-il déjà sous “l’Un en +” de la toute première phrase du Hagigah babylonien ? Sa Gemara se demande d’abord et va répéter quatre fois (ce qui ne va pas de soi pour le lecteur non averti de ce « kollel ») : “Ce “tout” {inscrit dans la mishna}, c’est pour ajouter quoi ?” À la première réponse s’ajoute le “Serviteur”… à moitié “Fils de la Liberté” ! Mais certains ont voulu (et obtenu, apparemment !) qu’il soit d’avance totalement libre... Et le Traité se clôt sur le “Tout Israël” entrant au Paradis. Mais, comme toujours, on bute ici sur l’étrange « principe » rabbinique : “il n’y a pas d’ordre dans la Mishnah” ! (NdR : sinon les “Six Ordres” qu’elle est !) 151 Il n’y aurait aucune sorte d’agencement systématique des mishnayòt, sauf leur réunion en bouquets dans les Chapitres des Traités. Il y aurait donc seulement des thématiques de fugue dans le fil de la Gemara qui les déploie, comme si la Loi Orale flottait dans l’air du “bouche-à-bouche” qui l’inspira. Sans lien époustouflant au “Souffle” fondateur, cette « règle » est très frustrante, autant pour l’exégèse théologique (comme Lévinas s’en était fixé le défi...) que pour la moindre approche historique du texte. Le moindre est donc qu’on la récuse et qu’on cherche un ordre « perdu », enfoui dans les débris de la ProtoMishnah. (On reviendra -chapitre 4-, à partir de la Tosefta, sur cette « Autre Mishnah ».) On pourrait injecter un lien conjectural entre plusieurs questions traitées par ce Traité, en testant l’hypothèse —n’est-on pas dans l’Ordre des Fêtes ?—, que la Hagigah fut une fête en tant que telle : un Rendez-vous annuel, fixé au cours du IIe siècle. Du Sabbat aux fêtes Mineures et aux jours de Jeûnes, ces Traités des Rendez-vous ne désignent pas tous un temps particulier mais c’est le cas de 10 sur 12 : Pessahym, Rosh Ha-Shanah, etc. Même le Traité de l’Œuf a pu viser, jadis, l’Anniversaire par excellence (comme dit son autre titre du “Bon Jour”). On peut envisager qu’aux yeux d’Anciens judéo-chrétiens du IIe siècle le Hagigah n’ait pas été que cet actuel Traité, « annexe » aux trois grandes fêtes, mais celui d’une des anciennes fêtes d’un Messie advenu. Elle a pu célébrer (autrement que l’Église romaine ne le fera) l’Enfant se présentant au Temple... le samedi 8 Nissàn, lors du pré-pascal Shabbàt Ha-Gadol (dont l’origine messianique s’est largement perdue...), ouvrant ensuite sur le grand jour qui fut celui... du « Choix de l’Agneau ». Ce serait cohérent avec trois aspects du Traité (sur lesquels on reviendra par le Hagigah du Babli, car le Yeroushalmi pratique par trop les « raccourcis ») : 1/ L’ouverture du Hagigah, c’est la « présentation au Temple » et sa Vision (« l’Entrevoyure » de la Rèyyah). Ce serait une Présentation à la fois -a/- au sens évangélique de la Présentation au Temple (le Traité en a gardé l’allusion à une Marie, la fille d’Elie (sic), furtive dans le Yeroushalmi, ou à la “Marie, Portail du seigneur”, quand le Babli ose la mise en scène de deux Marie Madeleine) et -b/- dans le sens tannaïtique d’une visite du Rabbi dans le Temple du Bar Kokhba, avant sa Chute. 2/ Le Traité se poursuit (Chapitre II) par la Montée au Ciel des Quatre du Pardès, où l’Hérétique tient la place majeure... et par l’Annonce (mishna II, 2) qu’un “Ménahem” 152 (un Paraclet) “sortit d’Hillel”... Ce Messie aboli, il faudra donc aussi, côté Babli, en abolir la “Tour” magdalénienne, celle de l’Ecclesia... 3/ Le Chapitre III du Talmud Occidental (à propos de la purification des « vases », à l’intérieur ET à l’extérieur... -cf. Matthieu 23, etc.-, et donc aussi des « réceptacles » de la « résurrection »...) affiche encore le chaînon logique entre ce Messie et sa Tour, à savoir le Récit... de la fondation de l’Église ! C’est la Barayita sur l’Assemblée des Sept Anciens sous la Roche de Rimmôn. (À décrypter en IIe Partie sur les Apôtres d’Aqyba et sur la Pierre apostolique de Zacharie.) Tout Traité des Talmuds ne présente pas un « double étage » aussi lisible, multipliant ainsi les échos judéo-chrétiens, mais même ceux qui s’avèrent les plus anti-Mynym, tel le G(uè)ythyn (le Traité des Répudiations), proposent aussi, en creux, l’autre façon de « témoigner », par la polémique la plus vive, d’un projet ecclésial du IIe siècle, qui aurait impliqué toute une série de Tannayim. Laissons en place, pour le moment, tous ces points d’interrogation. On est loin de ces jours de la Hagigah 133 où l’Interprète, sur son Âne, serait passé aux Actes, affichant sa messianité, à l’heure de la défaite du Vendangeur guerrier. En tout cas, la Rèyyah, sujet central de Hagigah I, est le “Voir / Être vu” du logiòn 37 de l’évangile de Thomas : “Ses disciples demandaient (à Jésus) : quel sera le jour de Ta Présentation ? Quel sera le jour de notre Vision ?”… Pointons aussi ceci dans le background « Mynym » de ce Traité de Festivité : on a vu que l’Autre du Hagigah est « défini », côté Babli, comme l’Helléniste. C’est peut-être incrusté dans le titre de « son » Traité. Dans ce quasi-palindrome -HagYgaH ou Ha-GYgaH-, l’hébreu dit le Traité (d’offrande)Festive, et, en verlan d’époque, la Fête-des-Teufs. Un helléniste a pu y lire le Traité de la Grande Vie : Festival de l’Offrande la plus méga Giga ! Dans les deux guématries, rHaGYGaH = 8+3+10+3+5 = 29. Ce nombre est un “plus que parfait”, si on ose dire (28 + 1). Selon une hypothèse de Bernard Dubourg, un midrash natçaréen « amplifiait » le Tétragramme (YHWH = 26) par un Tétragramme « Vivant » où un des Hé (= 5) de 153 YHWH devenait rHèt (=8), le chiffre du Vivant (rHaÿ). Cette hypothèse guématrique est riche (qu’on suive ou non Dubourg sur son a-priori que le Hé devenant rHèt est le premier des deux). Malheureusement, jusqu’à présent, on n’a pas repéré ce pentagramme virtuel du YéHoShWourHa(Ÿ)... (Le Yod final est ici ajouté pour en faire un palindrome à répéter en boucle comme un mantra, mais ce « YY » est aussi le « diminutif » du Dieu-Vivant.) Nous le citons pourtant, à rebours de « l’explication », récente et trop savante, qui prétend interrompre la tradition du Jéhova au profit d’un Yhavé(h), tenu pour plus « pudique ». (Ou risquait-il plutôt de mener vers un Jéhoshoua ?) Le Tétragramme est réputé imprononçable, sauf par le Prêtre dans le Temple, une fois par an, mais à l’époque du Bar Kokhba un certain Bar HaQinaÿ proclama le Nom à haute voix, tant les temps étaient proches... On a là l’audace d’un Baptiste... Du 26 au 29, en tous cas, on va du « Nom » à la HagigaH (où l’Autre Nom des autres se e serait révélé) par l’addition d’un 3 qui a pu évoquer le 3 jour des Pâques… Le contexte mishnique en vol plané Brossons un résumé, si tendancieux soit-il, des mishnayot du Hagigah I, pour entendre des enchaînements qui mèneraient jusqu’à la II, 1 (et sa II, 2). Mishna Hagigah I, 1 : Le Tout (du peuple de l’Alliance) est astreint à la Vision / Présentation au Temple, lors de la Hagigah des Fêtes de la “Montée” à pieds, sauf le “sourd” (à toute idée) et le trop jeune enfant, etc., etc. Oui, mais qu’est-ce que l’Enfant – ou plus exactement, qu’est-ce donc que ce “Mineur” : Qéthàn… ? C’est celui qui “chevauche” les épaules du père... I, 2 : Quant au sacrifice (...), pour le premier jour, ceux de Shammaÿ disent que l’offrande “de paix” doit venir du profane (distinction Roi / Grand Prêtre) mais ceux d’Hillel assurent qu’elle peut venir de la seconde dîme pour les prêtres. I, 3 : Règles sur les offrandes “de paix”, dans l’intérêt des “pauvres”. I, 4 : À celui qui n’offre pas la hagigah (ou ne tient pas la Hagigah promise) s’applique Ecclésiaste 1, 15 : “ce qui est tordu ne peut pas être redressé (tiqoun) et ce qui manque ne peut être compté.” Le Serviteur (et le Bois...) « courbé, puis redressé » vise la 154 Résurrection (à suivre), mais, selon Simon Bar Yorhaÿ, ce qui fut Droit mais qui s’est tordu, c’est le Maître qui a fini par trahir la Torah. {Suivez ici le regard du Simon qui répudia son Maître par 3 fois.} Il est question d’un homme qui n’a pas tenu ses promesses, spécialement pour sa « Hagigah ». I, 5 : Ce qui “vole en l’air” {NdR: comme la fameuse “Tour”, citée en B. Hagigah II} n’a rien sur quoi s’appuyer. En l’occurrence, bien que des Sages contestent cette opinion, les lois mishniques sur le sabbat et sur ces offrandes de fête seraient comme “des montagnes suspendues par un cheveu” ! Or, selon l’Évangile des Hébreux cité par Origène, Jésus fut transporté “par un cheveu” sur la montagne où il fut transfiguré. Court-circuit à l’air tordu, mais qui va éclairer une partie de l’énigme du Rabbi “Jésus le Chauve”. Pourtant, dit la mishna, une autre série de ces lois, parmi lesquelles les Nudités (du Lévitique, sur les relations sexuelles interdites), font le “corps” de la Torah. {Parlerait-on aussi de Son... « incarnation » ?!} Mishna II, 1 : (Or, justement :) “Nul n’interprète les “Nudités”, etc. Ni le Char… (Et suite par la mishna II, 2 -infra-, où “sort d’Hillel” le “Ménarhem” {= Paraclet}.) Les trois premiers verrous de la mishna II, 1 du “Ḥagigah” Les grands récits sur l’Autre se situent dans une gemara. On ne peut pas les aborder sans en connaître la mishna, au sens restreint : le précepte mishnique sur lequel la guémare est censée embrayer. Le Chapitre II du Traité Hagigah contient quatre mishnayòt (parfois redécoupées en sept). La première est cette mishna sur les interdictions à respecter pour aborder les secrets bibliques. Elles visent trois gisements de “secrets” : 1/ les “Nudités” de Lévitique 18, 2/ le début de la Genèse (au moins jusqu’au Déluge…), donc deux passages de la Torah (des Cinq premiers Livres), enfin 3/ le Char d’Ézéchiel, dans les Prophètes. (Où sont passés les Écrits saints ? On y viendra sous peu.) 1 (mishna) 2 Chapitre Hagigah (Traité =) Texture L’interlinéaire qui suit affiche trois « mot à mot » possibles, dont la transposition classique (T. C.). La gemara du Babli décrètera qu’il faut lire trois préfixes “bé-” comme des lé-. 155 T.C. : “Nul n’interprète(nt) les Nudités (en = ?) à trois = On n’étudie pas les unions sexuelles (incestueuses) entre plus de trois, OU : Nul n’interprète le triolisme {de Lévitique 18, 18} dans les Nudités, ET / OU : Nul n’interprète les Nudités {des Noces mystiques} comme trinité, T.C. : Ni (n’interprète) l’œuvre du Commencement (par = ?) à deux, OU : Ni l’œuvre de la Création comme (réalisée) en duo {cf. Midrash Rabba} ET / OU : Ni la pratique des Prémisses par couples {cf. le Déluge}, T.C. : Ni ((l’œuvre) du “Char” (dans = ?) à l’unité, OU: Pas de « chevauchée » en solitaire // Ni de chevauchement de l’Unité ! Sauf s’il y a un Sage tel qu’il ait l’Intel-ligence de Sa Science. (Tout =) Quiconque divulguerait la « Quadrature » des Paroles T. C.- Celui qui s’attache à réfléchir à (ces) quatre problèmes, mieux vaut pour lui qu’il ne vienne pas au monde. {Malédiction «classique» qui reprend exactement Matthieu 26, 23, Marc 14, 2, I Hénok, etc.} {Ces 4 « problèmes » sont} Quoi au-dessus, quoi en-dessous, quoi en Face(s) et quoi -pour Après (ET / OU : -par derrière) ? Transposition Classique : Ce qui est en haut, ce qui est en bas, ce qui fut auparavant et ce qui sera par la suite. Car tout (un qui) n’adore pas (en pieux rhassid) la Gloire de Son Acquéreur T. C.- Celui qui n’a pas égard à l’honneur de son Créateur, mieux vaut pour lui qu’il ne vienne pas au monde.” {bis} On en arrive aux choses sérieuses. 156 À première vue, dans la tradition rabbinique, les transpositions qui dérogent ici à la traduction classique ne sont que des curiosités, bien qu’elles soient aussi « proches » du texte. On sait que la Mishnah cultive l’ellipse et les polysémies disséminantes, mais on ne voit pas où mèneraient celles-ci. Or, il s’agit de la Mishnah, laquelle complète la Torah. C’est toute une tradition qui codifia les sens classiques de ces trois limitations et leur lien aux quatre questions métaphysiques, dont le fin mot serait réservé à « l’Unique ». Ces questions interdites sont pourtant bien trop vastes. Telles quelles, elles auraient interdit toute pensée juive, aussi bien Maïmonide que les Qabales, si tous ces interdits avaient été compris comme excluant toute théosophie. (Qu’on lise les difficultés du Gaon Saadia, au Xe siècle, pour concilier ces interdits avec la perspective du Sefèr Yetçyrah...) Quant à leur formulation, elle a semblé envisager qu’un certain homme soit “venu au monde”, capable d’éventer l’essentiel des “quatre questions” en blasphémant “l’Unique” ! Quelqu’un peut-il entrer “dans l’Œuvre” messianique par effraction ou couronner l’œuvre des Sages de manière... à la dévoyer ?! Est-ce le maître très “Droit” de la mishna Hagigah I, 4 qui s’est “tordu” in extremis ? Mais s’agit-il de « métaphysique », et quel fut réellement le statut historique de cette mishna et de la Mishnah au IIe siècle ? Ces questions obligeront à s’y prendre à trois fois pour relire les sept branches de cette mishna du Hagigah. On traitera d’abord des trois limitations de sa première partie, puis des quatre “pas questions” de la seconde. De plus, on reviendra, au chapitre suivant, sur l’ensemble des deux, car cette mishna ne visa que les thèmes articulés d’une théurgie de la Markabah. Il n’est question que du Chariot d’un bout à l’autre du précepte, qu’on parle des “Nudités” ou des “Dessus Dessous”, de la “Genèse” ou des “Prémisses”... Il n’y fut question que du “Char” à un moment précis de la montée au Trône de Gloire, celui où “l’un” des Quatre se fit Maître des Ailes ! C’est l’instant le plus cru d’une “Érection”, celle de l’Homme Droit, évoqué, peu avant (mishna I, 4), par le Tordu non redressable... La traduction classique des trois limitations est très « limite », mais cette transposition est portée par la tradition et par tout un pan du Talmud. Le Talmud a fixé la règle très spéciale qu’il faudrait lire ici trois des préfixes Bé- (= dans, sur, etc.) comme des Lé(= pour, vers, en vue de), lesquels définiraient des groupes d’études (où le maître apprend 157 à 2, à 1 ou à zéro élèves). La plasticité sémantique du Bé- peut aller jusqu’à par. Y lire un Lé- ne vaut pas ailleurs. De toute façon, dans un tel Texte, tout double sens a sa portée. Admettons, pour l’instant, que cette règle s’applique aussi aux historiens, même quand ils visent le IIe siècle. La forme de cette mishna semble y pousser : ce précepte vient ouvrir un nouveau Chapitre du Hagigah, en visant des questions sans lien très apparent au “Tordu” précédent, puisqu’elle propulse à la hauteur du Be-RéShYT de Genèse I, 1 : Au Commencement. Tenons donc en réserve nos parenthèses, pointant la trinité, la parité et l’unité, sans dégainer à l’improviste ni l’Homme d’Ézéchiel ni ses “dessus / dessous”. Reste que cette mishna parle d’un “œuvre” exégétique au sens d’une exégèse “accomplissante”. (C’est une source du mot “gemara” : bien plus qu’un commentaire pluriel, sa « rumination » productive doit tirer sur la « poulie » pour faire que remonte une vérité du « Puits »…) Ça déborde une lecture banale qui ne verrait ici que des « profs » de mysticisme, dont les leçons se font chipoteuses dès qu’on approche la chose sérieuse. Il y a un lien chiffré de cette mishna des « quatre par trois » à la Barayyitha des Quatre du Pardès qui la déploie. Mais prenons notre temps pour savoir combien sont les “Quatre” et comment ils “chevauchent” pour ne pas en rester à un bricolage « gnostique » ou à une quête poétique à la Nerval sur la Tour des Tarots. (C’est pourtant un des thèmes du Hagigah, cette Tour “qui flotte en l’air” et devint, tragiquement, comme la Tour abolie…) On ne peut dévoiler à brûle-pourpoint ce qui ceinture les “dessous” de cette mishna, mais on verra qu’un Simon Pierre fut ainsi, pour certains, ceinturé -d’arcs-en-ciel- par... un “Autre” ! Évangile de Jean, 21, 18... Pointons que le ShéNaYiM, pour “deux”, du point 2 est un indice exégétique et que le YarHYD du point 3 a du mal à passer comme désignant un “(pas) un seul” : il a désigné l’Unité de L’unique pour la « Com-Unité » des initiés, de « Qoumrân » à Yabnéh; il a pu concerner aussi une “Eglise” unificatrice où tous sont initiés au secret messianique… Mais qui put croire que la Mishnah eut des racines judéo-chrétiennes ?!… Contournons ce scepticisme, né de notre éloignement du midrash actualisant, condamné par des siècles de christianisme et protégé par un rabbinisme qui l’enveloppa dans un principe « a-historique », afin de dissuader les talmudistes d’opposer contradictoirement les Sages les uns aux uns. Sauf à un Autre... 158 Reprenons donc très « classiquement » le début de cette mishna pour mieux évaluer son background rabbinique, tel qu’il s’est établi en lui limant les “dans ”. “Nul n’interprète les Nudités “à” trois, = Nul n’enseignera les unions interdites à plus de 2 (à la fois). Ni l’œuvre du Commencement “à” deux, = ni (n’enseignera) l’œuvre de la Création à plus d’1 (à la fois). Ni (n’enseignera l’œuvre de) la Chevauchée (“à” personne), = ni l’action du Char (divin) à quiconque = pas même à lui-même, sauf le Sage qui (s’ ?) est (assuré) de l’Intelligence de Sa (??) Science.” Dans le Babli -Hagigah 13.a- (outre le fait qu’on ne livrait à aucun goÿ les secrets de la Torah ni des Prophètes), on verra que des Sages défendent une hiérarchie ésotérique, où on explique seulement aux étudiants les « têtes de chapitre » du Chariot d’Ézéchiel, selon les grades d’une initiation, qui culminait dans l’Initié en Chef et son Second. (Sauf exception pour le disciple... “au cœur tourmenté de l’intérieur...” ! Sic.) Dans la Tosefta, on passera des 3 « huis clos » aux 4 questions « closes » de la Mishnah par un parcours plus historique, donnant les noms des grands initiés. Ce passage du 3 au 4 est un signal exégétique, dont une clé est un « trèfle » des Proverbes. (Cf. aussi Proverbes 30 sur “les trois choses qui me dépassent et les quatre que j’ignore...” Tel quel !) N’égrenons pas ici les “4 fils” de la nuit de Pâque, ni ses 4 (à 5) Coupes de vin, ni sa comptine : qu’est-ce qui est 3 ? nos patriarches (Abraham, Isaac et Jacob); qu’est-ce qui est 4 ? nos matriarches, etc.) Pointons ces 3 qui vont aux 4 (pour faire les “12”...), sans avoir le fin mot du ternaire du quaternaire. De même, sans savoir calculer les guématries de cette mishna, dé-chiffrons qu’elle distingue trois niveaux de Sagesse -rHokmah-, en passant par l’Intel-ligence ou Discernement -Bynah- et par la Connaissance ou Gnose, le DaâT, et ses lumières « mystagogiques ». D’où le sigle rHaBaD, liant les trois en une. Pour le Deux, outre “mishnah” (= double), il y a le redoublement de la formule “mieux vaut qu’il ne vienne pas au monde.” (Serait-Il advenu par 2 ? A suivre…) Faute de zéro pratiqué à l’époque, car ce qui manque ne peut pas être compté, dit L’Ecclésiaste, peu « matheux » sur ce coup, il y a le Rien ou Nul du premier mot. 159 Enfin une “Unité” est royalement citée, mais L’unique est nommé d’un Nom d’au-delà de la Torah, le QoWN —le Créateur, si on veut, mais plutôt le “Propriétaire”. C’est une façon de Le désigner comme Seigneur et Maître de la Fiancée mais aussi « l’Acquisiteur » de Sa Sagesse, autrement dit l’Époux de la Communauté OU de l’Église du Chant des Chants : Israël dans ses Assemblées... Et tout ça mène au Quatre du Tétragramme selon la quadrature des questions interdites, d’où surgit par deux fois une question suggérée, la Cinquième (pentagrammatique) : cet homme est-il venu ou pas ? Les Qabales médiévales mirent en avant « l’Homme d’En Haut », chevauchant les nuées. La théurgie de leur plus ancienne source médiévale connue, le Bahir, s’appuie sur Deutéronome 33, 26, lu ainsi : Dieu chevauche le Ciel par ton aide. “C’est comme dire : si vous étudiez la Torah de manière désintéressée, vous M’aidez (à chevaucher) et {Moi, Dieu !, grâce à vous} Je chevauche les Ciels.” Ainsi, le sens secret du Be-RéshyT, le premier mot de toute la Torah (“En-Tête, Elohym généra ‘èT le Ciel(s) et ‘èT la terre”), relèverait du tête-à-tête du maître et son élève, comme la Loi fut confiée “bouche à bouche” à Moïse. C’est l’Œuvre du Commencement OU celui “dans les Prémisses”, ce qui peut avoir d’autres sens ; il complète « l’Œuvre du Char ». Ce dernier rejoint l’Œuvre divin de la Création, mais le terme exact pour “création” est yetçyrah. Pour une telle « Œuvre des Prémisses », il vaudrait mieux en savoir plus... sur les liens qu’elle entretint avec la cosmogonie de l’alphabet chiffré du Sefèr Yetçyrah : le Livre de la Création. Au troisième cas cité, on en vient logiquement à une limitation qui se détruit elle-même en tant que transmission : 1/ Rien au-delà de l’entretien d’un avec un ou deux; 2/ rien au-delà de l’entre-deux, en tête-à-tête, au mieux. Et donc 3/ rien au-delà d’un entre soi... où pas un (moi) n’est entre Moi et la Sagesse ! Le Roi des nombres a-t-il dissout dans « l’In-Fini » l’identité de « Son » Disciple ?! Rendez-vous, ici, au chapitre 8, sur le « Moi, Je vous dis... » évangélique. Au chapitre 2, on verra le « 6e Palais ». Mais la transposition classique, en forme de profession de foi d’une Loi « profess’Orale », l’a laissé en suspens ; elle dit : “nul (maître) n’interprète les Nudités (du Lévitique) à plus de deux élèves à la fois ; ni (le secret de) de la Genèse (dont les Prémisses du Déluge) à plus d’un à la fois ; ni le (sens 160 du) “Char” (d’Ézéchiel) à qui que ce soit, sauf…” En restant ainsi au niveau des seules règles « scolaires », qu’est-ce que cette transmission à même “pas un” ?! On n’interprétera à personne ce qui est à dire et à faire dans l’unité de la Markabah... Et pourtant, cette mystique du Char (la Mèrkava) s’est transmise “de génération en génération”. N’aurait le droit d’aller au Char, dit la Mishnah, que le plus Sage des Sages qui se sait en état d’accéder à l’intel-ligence la plus fine de la gnose « markavienne » la mieux illuminée. Est-il le prisonnier d’une “boucle” ou engagé dans l’impasse d’une « passe » ? Est-ce à lui seul de décider si ce cercle est « vicieux » ou s’il va enclencher la spirale vertueuse perforant le cyclique de ce monde sub-solaire ? Cette formule d’une passe en impasse a grandement contribué à la figure du Sage dans le judaïsme des siècles suivants, qu’il s’agisse du « rationaliste », du type de Maïmonide, ou du maître qabaliste, modèle Louria. L’exception suggérée par la mishna serait celle du Sage qui s’autorise de lui-même, voire d’un Moi spécial, une fois au sommet des savoirs de son maître. Mais l’intel-ligence de la Merkabah n’est jamais solitaire. Avec ou sans la retraite au désert (ou l’esseulement du qabaliste), elle est censée se vérifier, en cas d’exception légitime, avec le maître (qui s’efface). Voire à trois, avec la « Présence »... Reprenons du début par le plus important qu’on a perdu de vue. Il faut prendre au sérieux le fait que cette mishna sur les secrets bibliques s’ouvre directement par la question du sexe. Rappelons que, bibliquement, le premier stade de la « pudeur », c’est l’interdit du “dévoilement des nudités” et qu’il n’est pas qu’une loi de l’Alliance mosaïque ; il vaut pour tout humain rescapé du Déluge. Le tiers le plus “chaud” de l’humanité l’aurait transgressée d’emblée, rHaM ayant regardé le sexe enivré de Noé en riant de bon cœur. Le tiers porté à la beauté, le japhétique, a contribué au voilement, mais ce sont les sémites, les gens du Nom, qui ont pris l’initiative de recouvrir la nudité du paternel. C’est un peuple de cette lignée, pour l’Histoire sainte, qui saura pratiquer la pudeur ésotérique, par laquelle ses initiés réalisent l’impossible : atteindre aux Noces mystiques sans dévoiler les nudités. Il engendrera l’Homme nouveau, comme fils de Jaqob furent engendrés : en passant (de Rachel à Léa) comme « entre les deux sœurs » (qui sont 4…) dans « la Nudité de la Vie », de la manière, bien sûr, la plus chaste qui soit. 161 De tels secrets mystiques des Nudités du Lévitique débordent les tabous basiques de la morale sexuelle des sociétés patriarcales. Une figure encore plus chaste veut que la Communauté soit la “Fiancée” et, Un Jour, “l’Épouse” du Divin... pour autant que, par ses Sages et sa pratique de la Loi, le peuple soit devenu “l’époux” de la Sagesse. (Or, la Torah est la “sœur” des Sages, dit Proverbe I, 4. Elle sera, au final, leur « sœur-épouse » dans le sens où Abraham l’aura dit -2 fois- de Sarah.) Chacun sait ce que signifie « connaître bibliquement ». Eh bien, ça dit aussi qu’il ne fut pas de gnose biblique (Daât) qui n’ait sa dimension nuptiale. Autrement dit, les historiens des religions, forts des malédictions bibliques contre l’idolâtrie considérée comme « fornication », « luxure », « prostitution » et cosi fan toutes… ont bien lieu d’insister sur le fait que les rites hébraïques sont désexualisés par rapport aux hiérogamies des anciennes religions d’Orient. Dans les témoignages bibliques, rappelons le cas du Veau d’or et la perversion polymorphe des Sodomites, ainsi que le « gang bang » orgiaque des Benjaminites, qui conclut le Livre des Juges. Cette insistance, à force, démultiplie les sens, et pas seulement des sens négatifs. Faute d’aller récuser le Cantique des Cantiques et l’allusion constante à ses « Noces » spirituelles promises, non pas allégoriques, mais « autres », il faut bien constater que le judaïsme antique semble avoir transféré, chastement et « conjugalement », mais de manière hyperbolique, l’antique désir hiérogamique au domaine eschatologique. Sa réalisation (la Pesée de l’Époux) est alors exaltée comme l’espèce « d’orgasme » cosmique où tous les bois de la Forêt chantent les hymnes à Sa Gloire, illustrant la jouissance indicible des “Noces”. Comme si le dit « pan-sexualisme » de la psychanalyse avait recouvert une thématique pannuptialiste du midrash. Ce privilège de la libido parmi tous les désirs humains sera pointé en B. Hagigah II (cf. chapitre 7). Mais ce « recouvrement » risque de mélanger le psychosomatisme « moderne » avec la conception antique du corps humain comme « microcosme », où l’Homme, « sexe » compris, a fonction de « Modèle » du « macrocosme » universel. Freud, trop sourd au Chant des Chants, crut pouvoir dire (cf. L’Homme Moïse et le monothéisme) que c’est “totalement dépouillé de sexualité” {!} que le Dieu surmoïque de Moïse devint un idéal de perfection éthique ! C’est au diapason de Jérôme (en Dieu, nullus est sexus) 162 mais à rebours de Freud lui-même quand il n’analyse pas ses origines. Si éthique soit le Dieu de la Distinction mosaïque, ce Dieu « Moïque » promit, de par Joël, Son Esprit sur toute chair... D’où le thème « platonique » du Mariage divin dans la philosophie de Philon d’Alexandrie (cf. ici chapitre 8)... Évaluer les sens et l’implication historiques de ce thème eschatologique est délicat, mais une grandiose « érotologie » imprègne la mystique du Char. L’évidence en apparaîtra à un détour discret du Talmud de Jérusalem (et, à partir de là, dans toute évocation des chevauchées mystiques, jusqu’aux Qabales) : à en croire les témoins de sa mystagogie, les initiés au Char s’y retrouvent transportés... dans “la Chambre nuptiale”. Telle quelle. La mystique du Char est couplée et « sexuée », et il faut qu’elle le soit d’emblée pour que les évangiles canoniques invitent toujours -mais discrètement- à se réjouir de l’événement sur le seuil de la « Tente nuptiale »... parce qu’elle porte, à la fin, jusqu’à cette Chambre de toutes les chambres, “à l’Orient de Jérusalem”, où... « l’évangile » de Philippe a vu naître tous les « chrétiens ». Mishna suivante : l’affaire du “Ménarhem” sorti d’Hillel... Rappelons brièvement, pour placer la II, 1 dans son contexte, que les trois autres mishnayot du Chapitre II du Hagigah s’ouvrent sur un “Ménarhem” (un Messie “Consolateur” ou Paraclet) qui est “sorti d’Hillel... vers le “Royaume” ! Vers le Règne du Ciel, bien sûr, et pas d’emblée vers l’empire romain “de l’arrogance”, comme les Rabbis l’interprétèrent ensuite, au vu de la dérive (vers l’autorité impériale) d’une Église romaine... Ce Ménarhem, c’est l’Autre : il sort « d’Hillel » comme en sortit... l’Aqobyah mé-Hillel, le même –cf. Edouyot 5– (et comme, ensuite, le nommé Mô-n’tân sera le « Jean » sorti « De-Natàn »). Pourquoi un tel “sortir” serait-il lu comme “sortie” hérétique, quand les “sorties” d’un Aqyba et d’autres, et depuis Abraham déjà -“sors et vois !”-, sont positives ? Ce Ménarhèm Consolateur “sort” de l’humble seigneur cher aux Babyloniens que le Talmud appelle “Hillel l’Ancien”. Il en « sort » vers le Ciel. Nota Bene : Et 80 sont sortis avec lui... (Calcul à suivre, de très près.) On rapprochera ce Ménarhem “sorti d’Hillel” du “Fils” étrange dont le même “Hillel”, au Traité Ketoubòt, se fait le serviteur et le cheval : le “Fils”, nommé “Jésus”, qui ouvrit 163 l’Aqyba “au goût de la Mishnah” (des Pères selon Natàn). “Ménahem sortit et Shammaÿ entra”, dit l’elliptique mishna II, 2. On entend que Shammaÿ, en fondateur de ce courant du judaïsme, “entre” alors “en (accord avec) Hillel” à la place de ce “Ménarhem”. Mais ça n’est pas écrit. En fait, (l’École de) Shammaÿ entra dans l’unité avec (l’École dite de) « Hillel », parce que « le » Ménarhem était “sorti” d’Hillel in extremis ! Après “deux ans et demi” (de 133 à 135) d’un « vif » débat entre les Sages (cf. le Traité Eroubyn) pour savoir si mieux valait ou pas que « cet Homme soit venu au monde », le oui l’a emporté (un certain temps, du moins...). ►Ce “oui” du Chemin de Damas fut celui du pharisien et bras droit du chef de Shammaÿ que fut Rabbi Sa(m)ü(e)l le Petit = Paul : “oui oui”, ditil alors, cet Homme… -notre “Ménarhèm” commun- est effectivement advenu... Dès lors, quelques shammaïtes survivants et leurs objecteurs “hillélites” se seraient mis d’accord, en 136, pour accorder leurs deux façons de célébrer cette advenue du Paraclet sur... l’Ouvrier de la 11e heure… qui relaya le guerrier Ben tÇémah.◄ Une telle lecture de la mishna Hagigah II, 2 risque de modifier pas mal celle de la II, 1… On note aussi que la mishna “II, 2” est pour une fois très haggadique (c’est un petit « récital » narratif), alors que la Mishnah (actuelle) relève surtout de la Halakhah. Est-ce que ce fut toujours le cas ? Quand on met en continuité, comme fait la Tosefta à sa façon, la mishna II, 1, la haggadah barayyithique des “Quatre du Pardès” et la mishna II, 2, on se retrouve avec un “tissage” de commandements et de récits semblable à la Torah Ecrite. Cela fait soupçonner que la Torah « Orale » a pu s’écrire d’abord, au IIe siècle, comme une “BaraYYitha” (parallèle à l’OuraYita biblique), où Halakhah et Haggadah s’entretissaient : c’est ce Texte disparu (en partie remanié dans la Tosefta et dans les foules de miettes de Barayita des Talmuds) qui aurait justifié (suite au Désastre de 133 et à ses 600 000 et Dix martyrs, dont Un…) de nouveaux préceptes légaux dans la Démarche rabbinique. L’actuelle Mishnah n’en serait donc qu’une reprise légale a minima. Mais son lien au cri victorieux de cet immense martyrologue s’est distendu. Un Gamaliel avait fait remarquer, 30 à 60 ans après le Désastre, que ce culte des martyrs était, certes, motivé, mais prenait trop de place. Il faut savoir terminer un deuil… Reste que, depuis 133, même la Pâque est restée un (demi) deuil... pointant la Pâque du grand martyre. 164 Du Phillel à « Hillel » : décryptage d’un nom légendaire Anticipons ici un thème guématrique de la démonstration (cf. chapitre 3). C’est à l’orée du Ier siècle, dans l’interprétation traditionnelle, qu’est censé sortir d’Hillel l’hérétique “Ménarhem”, mais c’est au IIe siècle que fleurit l’hérésie de l’Autre et qu’Hillel prend ses décisions sur l’année sabbatique (le dit « prosboul »)... Bizarre. “Ménarhèm sortit et Shammaÿ entra”, dit la Mishnah. Ce messianique Ménahèm est en fait le même que l’Autre, celui sorti en 133 du Nouvel Elisée. Son avènement de Consolateur fit entrer ceux de Shammaÿ dans (le Corps ecclésial de) ce “Médiateur” : le “Phillel”. Une barayita dit ensuite que “80 sont sortis” avec lui... Avec ce Ménarhem… 80 hommes ? Ses partisans ? C’est ce qu’on croit généralement (comme dans le lit de la marquise…). 80 vêtus de lin blanc, disent les uns ; avec la face noircie des traîtres, disent les autres... Car -« feu noir sur feu blanc »...- ce qui en est sorti, c’est… la lettre qui vaut 80 ! 80, c’est le P. de la « Bouche » = PéH = 85. On a ôté sa « Bouche » au faux PhiLèL (= 80 +30+30), le faux Intercesseur entre Dieu et Son peuple : on l’a rendu « Muet »... Il a suffi pour ça d’ôter le P. (=Phi) à son nom, pour ne garder de ce pseudo « Babylonien » que le Hé de son souffle de Louangeur (= 5 au lieu de 80) : P(h)iLèL moins P. égale HiLèL (= 5 +30+30). C’est de ce littéral jeu de mot que vint le nom (biaisé) du légendaire « Hillel l’Ancien », institué au IIIe siècle par les Rabbis pour une période antidatée au début de « notre-ère ». La cinquième question et le “sexe” du IIIe Œuvre Par quatre “pas au-delà”, tu ne fais rien savoir, dit la mishna II, 1 : “qu’en est-il 1/ de (l’)au-dessus, 2/ de (l’)en dessous, 3/ de vers (l’)avant (OU: de ce qui est à-(la)-Face) et 4/ de “l’Après” (ou de l’Envers). Ces quatre Quoi semblent porter sur les mystères 1/ des Ciels (spécialement du Septième, où l’on verra un Aqyba “au-dessus des demeures de la Grandeur”...); 2/ des lieux infernaux par où il faut passer pour monter au plus Haut ; 3/ de ce qui -ou de Celui qui...- a existé avant la « création » ; et 4/ du temps “qui vient”, celui de l’homme nouveau. 165 Qu’en dit la Tosefta ? Elle répéte la même formule que la Mishnah en offrant la variante : “quoi dessus, quoi dessous, qu’est-ce qui fut auparavant et que sera le Temps des Vivants”. C’est un recours très explicite aux Quatre du Chariot de la Prophétie d’Ézéchiel : le pavois des Quatre “Vivantes”. La variante de la Tosefta change l’interprétation des quatre (pas) questions et des trois limitations. Elle signale un niveau de sens où les quatre Quoi enchaînent tous sur les secrets du Char de la présence divine. En visitant ce Char au chapitre suivant, on verra que l’Avant vise la Face la plus sidérante, et même que les dessous de ses dessus dessous visent... les “Reins” de l’Homme ! Ce (Lé)-PaNYM pour les « Devants » de la Création peut aller jusqu’au face à FaceS... avec L’unique. Le PaNY ‘aL PaNYM. On reconnaît ici l’Ascension “palatiale” du Rabbi Ismaël selon Berakhot 7 et 51. Mais qu’il s’agisse d’avant la Création (où L’unique “était seul avec “Son” Nom”, comme l’affirme le Rabbi Elyézèr des P.R.E. : le Nom gravé sur Son Messie...), puis d’après la fin des temps, ou qu’il s’agisse de la “Face”, puis du Prêtre “Futur” qui s’y inscrit, on est dans la spirale de l’achèvement par l’origine. Car “la fin (des dix infinis) est fixé au début et leur début l’est à leur fin comme la flamme à la braise” -dit le Sefèr Yetçyrah (I, 6) et « qui est à la fin est dans le commencement » -dit un logion copte de Thomas... Autrement dit : la Qètçah est le Be-Rèshyt… Ces notions, évoquant une « re-Création », nous échappent largement, mais pas à l’homme –venu au monde ?…–, dont le Nom est censé précéder ce bas monde. Que signifie cette “venue au monde” de la mishna II, 1 du Hagigah ? On peut n’y lire qu’une malédiction classique : face à celui dont on dit “heureuse la mère qui l’a mis au monde”, il y a celui dont “mieux vaudrait qu’il ne soit pas venu au monde.” Mais une lecture banale n’est pas à la hauteur d’une telle mishna. “Mettre” ou “venir au monde” peut désigner plus qu’une naissance ; par exemple une nativité... Ceux dont on dit, dans le Talmud, “heureuse la mère qui l’a mis bas” ne sont pas si nombreux. Quant à celui qui aurait le bonheur et le malheur insignes de “venir” (B’a) en ce bas monde, alors qu’il participe depuis toujours du monde à venir, c’est l’Homme qui vient (Ha-’iYSh Ha-B’a), le Messie eschatologique. Est-il ou non venu dans ce monde-ci ? At-il fait, par sa venue, que “l’Espace Temple” de l’À-venir soit devenu ‘oLaM Ha-B’a, le 166 temps qui vient... dans ce temps-ci ? C’est la Cinquième Question qui travaille cette mishna. (Pas au sens de la « Cinquième Question » façon Moïse ibn Ezra. Encore que…) Les Traités Hagigah des Talmuds et Tosefta utilisent cette expression -“mieux vaudrait qu’il ne soit pas né...”- pour exclure du Temple “l’enfant muet” à propos d’un débat opposant les Écoles d’Hillel et de Shammaÿ et passant par le paradoxe de “l’avorton”, le “naphal” de l’Ecclésiaste : “heureux celui qui n’a pas été...” Rappelons-nous qu’au Traité Eroubyn, Shammaÿ et Hillel s’opposèrent sur la question : “eut-il mieux valu que l’Homme ne soit pas venu au monde ?”... Sacré pessimisme ! Y parle-t-on d’Adam ou de “cet homme” (’oWTWo Ha-’iYSh), le Messie en Nouvel Adam ? Est-ce qu’il s’agit d’un vieux débat sur le malheur des hommes depuis l’expulsion du Jardin ou bien d’un événement qui vient de se produire pour annuler enfin l’ancienne malédiction, et donc justifier, au final, l’advenue « gâchée » du premier « Terrien » ? Dans le cas général, les rabbins n’auraient pas eu à en débattre “deux ans et demi”, comme il est précisé; la discussion aurait été ou plus brève ou à l’infini (= “jusqu’à Elie”). Ce que ceux de Shammaÿ et Paul ont hésité à reconnaître, de 133 à 135, c’est que le Messie de leur Bar Kokhba était finalement advenu... sur son adversaire rabbinique ! Eroubyn 13.b : “On compta les avis -parmi les Sages- et on a conclu : mieux eut valu qu’il n’ait pas été mais puisqu’il a été, qu’on examine ses actes. Mais d’autres disent : qu’il veille...” Malgré ces autres, les Veilleurs (de Hénok et Marc 13, 37, etc.), il ne résista pas, faute de Retour, à l’examen... Au cas où Il serait venu, cela ne dirait d’ailleurs pas que tout était joué mais qu’on était au Temps de la Restauration (et de l’Enfant) : le ZeMàN TiQouN (et TiNoQ)... Des débats sur Adam et le Nouvel Adam se recoupent ; la polémique est à deux étages. Le débat entre les Sages sur “l’advenue de l’homme” est parallèle au même débat entre les anges, déplié en Midrash Rabba : le Dieu de la Genèse a lancé la formule (I, 26) : “faisons l’Humain !” {au pluriel !}; sur quoi les anges entament un brain storming sur cette fausse bonne idée. Le temps qu’ils aient conclu... négativement !, Dieu a déjà façonné Adam. La course-poursuite a commencé... Et la voilà qui rebondirait (en 133) avec l’homme reBâti en tant que Fils de Dieu : le “BenouYYah” (fils d’ABou YaH)... 167 Au fait, est-ce bien aux « anges » que l’Unique a dit “faisons l’homme” ? C’est la réponse, plus tard, que donnera le Midrash Rabba à l’encontre des hérétiques. Mais pour les judéo-chrétiens de l’époque tannaïtique la réponse a été que Dieu... parlait par avance à... l’À-venir. La double énigme de Genèse I, 26-27 est une clé de cette théurgie. Non seulement Dieu dit -au pluriel- : faisons un humain... sur Notre Modèle et comme Notre Similaire, MAIS, au verset suivant, Il le fait sur Son Modèle « mâle et femelle », en « oubliant » la Similitude ! (On y revient, chapitre 3, à la marge du Char...) En Genèse I, 26, Dieu, en somme, S’adressa à l’Homme qui n’était pas encore (mais déjà sous forme angélique…), pour l’engager d’emblée à sa « co-production ». Rien que de plus logique pour Celui qui Sera. Il est (Je-Suis…)… toujours-déjà dans tous les temps. Le vieil Adam étant resté sourd (en prédateur « tordu »), ce serait donc cet homme, le (re)dressé, qui est resté à co-produire, personnellement et collectivement, comme le Messager... Similaire à... et le « Co-Ouvrier » du Roi. Alors, bâti or not bâti ? Il y eut une expectative. Tint-elle compte de ce « vote » ou de sa suspension (de quand à quand ?), et donc de l’éventualité, sous réserve “d’examens”, qu’un homme, le Rédempteur, ait pu « racheter » le vieil Adam ?! That’s the point. À propos de cet homme, parlerait-on du temps d’un test (de 135 à 175 ?) ? Et dans ce cas, ce test, sur la terre comme au Ciel, s’étant révélé négatif -entre 175 et 217, du moins en Galilée...-, pourquoi furent conservées les archives d’un débat caduc ? Ne coupons pas trop vite les « plants » de cette « cinquième » question. Avant de repérer les bases d’une antique théurgie du Char d’où l’hérésie de “l’Autre” aura surgi (sur les “ailes” de son Élisée), revenons faire le point sur le background biblique de la mishna Hagigah II, 1. Ses trois limitations des exégèses « secrètes » sont censées porter spécialement sur trois passages bibliques : le Chapitre 18 du Lévitique sur les relations incestueuses, le début de la Genèse et le Chapitre Un d’Ézéchiel sur le Char. Ces trois passages ne sont pas exclusifs, puisque, de toutes façons, le midrash prend la e Torah comme un tout, “sans avant ni après” (dit la « 14 » règle de Rabbi Ismaël) : chaque verset doit s’interpréter en fonction de tous les autres. C’est plutôt trois entrées, trois “ouvertures” privilégiées sur les sens du Texte-Loi et sa Visée la plus axiale. Plus 168 tard, certains rabbins deviendront réticents à commenter la Torah des Cinq Livres du point de vue des Prophètes et des Écrits, mais, pour des Tannayim fondateurs de Yabnéh tels que les Rabbis Elyézèr et Jésus (chapitre 5 on le verra pour la Circoncision de l’Autre), les “ouvertures” midrashiques étaient d’autant plus fortes qu’elles formaient la corde à 3 brins, combinant le plus constamment les trois dimensions du TaNaK : Torah, Prophètes ET Écrits saints. La place des Écrits Saints pose donc problème dans cette mishna. Dès lors qu’elle offre deux ouvertures sur la Torah et une sur les Prophètes, on s’attendrait que la trinité du TaNaK (Torah, Nebyyim, Ketoubym) offre sa troisième amorce des secrets bibliques à travers un Écrit qui occuperait une place « égale » à Ézéchiel et à la Genèse, avec des traits énigmatiques du même ordre. À moins que l’un des Trois Écrits “de Vérité” soit impliqué directement dans une de ces trois ouvertures. On s’attendrait, en bref, que la mishna évoque une « entrée » de même type par le Livre de Job (’iYoWB), à moins que Lévitique 18 n’ait alors évoqué comme automatiquement une “Nudité” de Job... On a su que l’Aleph de ’YoWB forme avec les initiales des Proverbes et des Psaumes le mot de “Vérité” -’éMèT-. Le dénuement du Job qui s’est “rasé la tête” serait-il sous les Nudités (du Lévitique) comme « dévoilement » plus nu que nu ? On verra la place décisive de l’exégèse de Job (liée à celles de l’Ecclésiaste et du Cantique) dans le Récit des Quatre du Pardès : c’est un sommet du midrash de “l’Autre”... De plus, un « paradis » très « libertaire », souvent cité, apparaît en Job, 3, 19 : “Le petit et le grand sont Là...” : ils sont ensemble dans le Lieu “matriciel” de Son Nom. (Le Mineur et l’Ancien. À suivre...) Il y a donc de quoi penser que des versets de Job et du Lévitique eurent un rapport précis entre eux, pour mener vers l’’oWTWo-Ha-’iYSh : l’évangélique cet homme. Connaîtrons-nous “cet homme” ? On pourrait au moins retrouver des pans de son midrash, malgré toutes ses censures, rabbiniques et ecclésiastiques. (On verra chapitre 2- ce soupçon de censure évoqué par Scholem.) Une des énigmes du Talmud assure précisément qu’un Gamaliel a enterré (3 mots ? dans) le Livre de Job ou (3 folios ? dans) un Targoum de Job, dont certains hérétiques tiraient leurs arguments. A la fin du IIe siècle, ce Rabbi guéniza un aspect litigieux de Job “sous le Mur du Temple” ! 169 Cf. B. Shabbàt 115. a et Tosefta Shabbàt 13 sur « l’enterrement » de (x de) Job. En matière de Targoum, c’est-à-dire de transpositions de la Bible en araméen, avec leurs gloses d’homéliastes qui enregistrent du midrash de juste avant ou après “notre ère”, pointons ceci : le seul Targoum trouvé à Qoumrân porte sur Job (à part un fragment de targoum sur le bouc émissaire selon Lévitique 16.) Ce Targoum indique de légers glissements dans le texte biblique de Job mais surtout un écart énorme entre ses commentaires et tous ceux que rabbins et chrétiens ont pu en faire par la suite. Pince sans rire, Michael Wise (2001) note que le Targoum de Qoumrân “n’a pas compris le texte hébreu (de Job) qu’il avait sous les yeux à la manière de ses spécialistes modernes”... L᾿enjeu s’éclaircit dans « nos » Job, si on relit au moins Job 19, 25-27. Job dit : “Mais moi, je connais {par Da‘aT : “gnose” illuminante} que mon Libérateur (le Goèl) est (le) Vivant et que, dans le Futur {Arharoun}, il Se lèvera de la poussière {NdR: en Ressuscité} 26- et qu’{après mon éveil, Il m’élèvera auprès de Lui... —(enterrée ou non par un Gamaliel, cette leçon « ascensionnelle » de la Septante n’est pas celle de l’hébreu : la Massorète saute immédiatement à ce qui reste la version unanime, préfigurant la Flagellation et l’“Aqyba” écorché vif :)} après que ma peau ait été arrachée de celle-ci, depuis ma chair (BeSsaR), je verrai le (seul) Dieu (EloWHa) ! 27- Celui que je verrai moi-même sera Mien (à moi ! = LY, cf. -chapitre 8- le très fameux IM AYiN ANY LY, MY LY ? de l’Hillel du Traité des Pères) et mes yeux ne Le verront pas en étranger (= en intrus : ZaR)” ! Belle “appropriation” de « l’Un-Unique » au plus intime d’un homme ! Question : des Gamaliel, ces pacificateurs du messianisme rabbinique, auraient-ils enterré quelque chose de Job et de son lien à l’Ascension, aux Nudités et aux Prémisses... sous cette mishna ?! Les études sur les versions grecques de Job pointent les variantes ascensionnelles et résurrectionnelles. Y’en a-t-il eu aussi d’encore plus « incarnationnelles », ou seulement par gloses targoumiques ? Enterrer Job... “sous le Mur du Temple” ‒ne serait-ce que trois mots de son Targoum‒, ce 170 n’est pas rien. Surtout si on le lit d’après la fable du Golem, ce grand écho « moderne » des théurgies antiques. Cette réplique d’humain « boulu », soit l’Enroulé, fut créé par un homme pour être serviteur de la communauté (si on peut dire un homme d’un Sage si opératif…). Ce Tatoué athlétique porte au front le mot ’éMèT ‒la Vérité‒, mais si vous lui ôtez la première lettre, il n’est plus que la “Mort”. Ce mot de Vérité est justement celui formé par les initiales des Écrits de Vérité : Job, Proverbes et Psaumes. Autrement dit, si vous enlevez le Aleph de Job à la Vérité des Proverbes et Psaumes, en tordant son Targoum pour ne garder que ceux des Mishlé et des Téhilym, vous avez une belle “Cruche” (KaD = 24 : les « 24 Livres » du TaNaK) pour y puiser le meilleur vin, mais “l’espèce” d’homme qui se serait levé du Livre se trouve coupée de sa vérité et il sème le désastre... de la nuit du mort-vivant ! Dans les versions de ce Golem durant des siècles, il n’est pas dit qu’il aille aux “nations” pour retourner sa force contre ses inventeurs, bien qu’il ait existé un Golem médiateur entre juifs et goyim, mais comment ne pas y songer, si on prend au sérieux la théurgie de l’homme ? On l’avance sans réduire la mystique du Char à une affaire de « magie », mais en soulignant l’évidence que dans les âges de l’astrologie et de l’alchimie, la frontière du « miraculeux » flottait (loin de la nôtre). Il appartient aux premières traditions chrétiennes que Jésus pouvait faire d’une pierre un oiseau… et à peine ce Thaumaturge apparut-il qu’un certain Simon “le Mage” vint marcher sur ses brisées. Et peu importe ici la part du légendaire et celle des polémiques dans la figure majeure du Simon « magicien ». Le thème talmudique, parallèle aux exploits d’évangiles apocryphes, de la fabrication miraculeuse d’un oiseau ou d’un veau... s’applique aux hérétiques, mais aussi à des Rabbis présentés comme orthodoxes. C’est ce qui a nourri des Qabales du « Golem », car tous ces cas, en fait, ne sont que des « apéritifs » en vue d’une « production » de l’Homme. Chez des Qabalistes qui seraient restés informés de liens entre “l’homme même” et le “Golem”, cela revint peut-être à épingler cette « faute » d’un Gamaliel, malgré toutes les raisons que ce Sage avait eues de commettre un « accroc » au Texte ou de brouiller un peu son éclairage midrashique (en espérant que le sens de Job, une fois cette hérésie passée, pourrait encore être restauré). Mais, plus que le censeur tentant de 171 faire la part du Feu, ils condamnaient celui (et ceux), le Myn et ses mynym, qui avaient détourné la vérité de Job pour livrer ce « Golem » aux goys... Réduire “Jésus” à un « Enroulé » fut polémique, mais on verra aussi quel « avorton » glorieux a bien été... tiré du Puits, en prototype de tous les golem. Cette interprétation du Golem comme indice d’une autre lecture du schisme judéochrétien est d’un usage très douteux pour l’historien de l’Antiquité. On n’y voit qu’une légende n’éclairant que l’imaginaire du ghetto juif de Prague au XVI e siècle. Mais elle n’est pas tombée du ciel sans enjeu symbolique majeur. Le Maharal * l’a prise au sérieux. Elle lui venait d’avant les Qabales médiévales. Même sans recours au mot golem (cet hapax de Psaume 139), elle lui venait peut-être du Rabbi Ismaël du IIe siècle (= le “Ré.Y.B.É” : Bèt-Aleph pour Ben Elisée) et, en tous cas, du Rab babylonien “RaB’A”. Car il est dit de ce Rabba dans le Talmud qu’il avait “fait un homme” (grâce à des combinatoires du style du Sefèr Yetçyrah.) Or, l’Ecole de Rabba (on le verra, chapitre 6, à propos de ses rêves) est liée à un judaïsme babylonien qui a dû répudier les vues premières de sa “Kallah”... “RabbA ayant “formé un homme (gabra), il l’envoya au Rabbi Zeira.” (Donc au grand maître anti-hérétiques : ayant quitté Babel à la fin du IIIe siècle pour rallier les Amorayim de Tibériade et Césarée, il revint en Babylonie combattre les Mynym...) Et Zeira “parla avec lui (avec cet homme fait par un homme) mais celui-ci ne répondit pas.” Ce « Muet », c’était “l’Homme à la Parole cassée” dont se moque B. Hagigah I. Bref, c’était “l’Autre”. Alors, le maître anti-Mynym pulvérisa cette « créature », muette comme un pot ou plutôt comme une idole : “(Zeira) lui dit : c’est toi qui est sorti des « compagnons » {= qui a été forgé par les initiés de la « confrérie »}. Retourne à ta poussière !” Cette « scène », de vers 313, c’est une ultime répudiation du fils de l’homme. Même les aspects mineurs des contes sur le Golem sont éclairants. Ainsi la femme du Maharal aurait rêvé qu’elle s’était créée une “golem” à elle, à partir des quatre éléments, parce que quatre personnes de sa famille avaient accepté d’être l’air, l’eau, la terre et le feu pour former sa “créature”... Aperçu féministe sur la nature « anthropocosmique » de ces quadratures théurgiques... 172 Mais ces indices « folkloriques » ou « inconscients » de l’histoire religieuse sont difficiles à exploiter. Gershom Scholem concluait ainsi sur « le Golem » : « romans, récits, essais et drames peuvent être examinés, là où il s’agit de comprendre ce que la tradition juive aura fait du Golem.... En tant qu’un des symboles de « l’âme » du peuple juif, il a une signification qui pourrait faire découvrir quelque chose d’important... La tâche de l’historien s’achève où celle du psychologue commence. » Et si l’histoire, en fait, ne commençait qu’après qu’un balisage « analytique » ait un peu repéré chez les acteurs... les traditions « trans-historiques » qui les traversent ? Nul besoin pour ça d’une « méta- Histoire », mais d’une histoire qui ait de l’oreille... Car si l’anachronisme est la hantise légitime des historiens, les hommes dont ils « font » l’histoire sont des anachronismes ambulants... Ainsi, juifs et chrétiens auront porté longtemps, chacun à sa façon, certains chapitres refoulés de leur(s) histoire(s)... Ça produit des symptômes. Le « Golem » en est un, plus sympathique que d’autres. Les deux Talmuds affirment que les Écrits saints, à commencer par Job, contiennent les secrets du Messie. En Mégillah, la Voix divine a interdit à Yoh-Natàn ben OuZiel d’inclure les Hagiographes dans son travail de traduction (au-delà de la Loi, diffusable aux nations, voire des Prophètes, à la rigueur, mais...) traduire en grec les Écrits saints, ce serait divulguer les secrets messianiques. ►Anticipons : ce plus grand disciple d’Hillel, le “YoH-Natàn” dit fils d’Ozièl (de la même “Force” ou Energès * que le Ben AZaÿ et le “pays d’Oz”, celui de Job...) aura-t-il révélé quand même, au grand dam du Talmud, ces secrets messianiques dans son Apocalypse ? Serait-ce donc la “Révélation” de... Jean ?! Oui, c’est l’Apocalypse; et le Talmud qui la rejette parle ici du Jean-Nathan.◄ Avançons donc la thèse, à partir de la trinité du TaNaK et de l’architecture de cette mishna, que le Grand Œuvre messianique articulait alors à l’Histoire d’Israël les trois œuvres qui relevaient 1/ de l’œuvre de la Chevauchée, en vue du Trône “auquel tout est attaché”, 2/ de l’œuvre de la Création et du Déluge, et 3/ de l’œuvre messianique de l’Archer d’Israël (le RaB -Y), visant à la relève des KéRouByn du Char par quadrature des Sages. Au total, ces trois dimensions de l’Œuvre messianique devaient se « mettre en 173 quatre » dans le service “nuptial” des initiés des “chambres hautes”, en vue de l’“Érection” de cet homme-Là : “l’Homme Droit”. Sans saisir toute la portée du très récurrent “Maâsséh Bé-Rab-(Y.)...”, qui signifie un moment ou un cas « (tiré) “de l’œuvre (messianique, passant) par Maître” Un-tel », disons que cette mishna aura “dressé la haie autour de la Torah”, en protégeant le grand secret de ce grand œuvre : l’eschatòn messianique des “fils du Bétérah”. Une fois relié à Job et L’Ecclésiaste, le Chapitre 18 du Lévitique (ce Livre cité 444 fois dans le Yeroushalmi) est au cœur de l’affaire. Cette ToràT Kohanym du Lévitique est celle que le Fils... (advenu “sur la bouche du puits” –à suivre…) enseigne au Rabbi Aqyba pour “l’ouvrir au goût de la Mishnah”... Or, le Sifra, soit “Le Livre” par excellence qu’est ce Midrash du Lévitique, dominant les plus vieux Midrashs du Pentateuque, fut au cœur de la formation de la Mishnah. Ça réclame une étude à part des Midrashs « de Rabbi Ismaël » (70-133), dont l’origine est son Séminaire, recueilli dans sa Mékhilta et, en partie, dans le Sifra, malgré l’intense remaniement qu’ils ont subi dans la période des Amorayim. Ses épigones s’en disputèrent la transcription autorisée durant les 40 ans suivant sa mort. De 70 à 133 avait-il parcouru ses 63 Textures ?! (Il vécut jusqu’à ce que « son » Jacob soit conçu. Or, le Jacob biblique a 63 ans à la mort d’Ismaël... À suivre.) L’interdit d’un midrash public des secrets des versets sur les rapports incestueux a pesé constamment sur la rédaction des Midrashs. L’étude du Lévitique, dans la tradition rabbinique, est très prudente sur ce Chapitre des Nudités, qui relève de la parasha biblique “Après la Mort”, laquelle ouvre aux “Saintetés”... Du coup, les explications jugées manquantes sont devenues un « mistigri » de divers écrits hétérodoxes. Des textes discutés prétendent restituer la Mékhilta dé Arayòt -le Recueil des Nudités-, donnant les clés mystiques des « incestes » du Lévitique. La Gemara du Babli soulignera que la mishna ne limite pas l’étude des Nudités par souci de simple pudeur : ne pas parler crûment de ces affaires d’incestes aux enfants des écoles, ce conseil si banal de bienséance pédagogique n’a rien à faire ici. Sauf si on veut parler d’une « pudeur » mystagogique, en fonction d’un lien essentiel entre un secret du Texte et un Secret du sexe. Celui que pointe le Sefèr Yetçirah dans les 22 “désirs” en un 174 seul corps ? (Autant que les 22 Lettres de l’Alphabet de la Création.) Selon L’Ecclésiaste et le Yetçyrah, ce “désir” tient au fait que la création divine ne procède que par paires ou par couples de forces : elle “fait Ça pour-(qu’il désire être)-avec Ça”. Elle fait tout ZéH Lé’âM ZéH ou ZéH Lé’oWMaT ZéH, “l’un par-rapport-à l’autre”, dans un rapport d’opposition et d’attraction universelles. (De sorte qu’un des Noms de Dieu, le duel Eloh(a)yim, peut être lu comme le plus Unique, celui de « Dieu-de (toute)s-Paires » !) Ce thème ésotérique des “paroles de Désir” sur les couples syzygot dérive de L’Ecclésiaste. Un initié aux chambres hautes (par son maître essénien “Banah”) aura déjà cité ce Désir joyeux de vérité « vivante » au cours du Ier siècle : l’auteur du « témoignage » flavien. Par où ces relations par paires relèvent-elles d’un cryptage « sexuel » ? Par l’homme qui vient et que tous attendent. Mais quel genre d’homme, parmi ceux qui circulent en Lévitique 18, sur le refrain “YHoWaH, c’est « Moi »” ? (Sur ce “Moi” singulier, cf. chapitre 8 sur Hillel.) Parmi ces “homme” de Lévitique 18, il y a un Ha-’aDaM, faiseur de Vie (qui doit “faire” les lois de l’inceste pour “vivre en eux”...) et il y a la récurrence d’un ’IYSh ’IYSh, l’Homme (de l’)Homme, dont rien de toute sa chair ne sera mis à nu... Ce redoublement du mot a un sens idiomatique, mais IYSh IYSh doit accrocher l’œil d’une lecture « à double hauteur ». Est-ce promesse de l’homme... puissance 2 ?! Comme Job, il est celui qui, de sa chair, voit l’Unique comme le Mien ? à Moi ! Cette façon d’entendre IYSh IYSh, non pas comme signifiant « chaque homme» mais comme deux hommes placés dans un rapport spécial par rapport à un autre, est signalé dès le début de la première guémare du B. Hagigah II (folio 11.b) : “Nul n’interprète les Nudités « bé-shalshah »” {= comme trio nuptial OU, selon le décret de la Gemara, =« lé-shalshah » = à trois élèves à la fois…}. … Pour quel motif ? Suivons, à partir de là, l’Écriture (de Lévitique 18, 6) : “aucun homme (’iYSh ’iYSh) ne {s’approchera} d’aucun de sa chair”. 175 Homme homme (’iYSh ’iYSh), (ça en fait) deux ; de sa chair, (ça en fait) un ; {NdR : donc Trois en tout, correspondant à Celui... des Quatre, dont} il est dit ensuite (dans l’Écriture) : ne vous approchez pas pour dévoiler sa nudité…” Que ’iYSh ’iYSh fasse « deux » (dans ce cas) et ne soit pas à prendre dans son sens usuel de “chaque homme” guidera nos interprétations des théurgies du Char. La Gemara signale que l’interdit de la mishna Hagigah II, 1 ne vise que les secrets (Sotery) des Nudités du Lévitique. Les secrets des Noces mystiques ? Pour certains, certainement, mais pas pour un Rashi, dont la leçon verrouille bizarrement cette piste, malgré l’incise de la Gemara, où il s’agit précisément des “Secrets des Six Ordres”. Puis, le folio 12.a de cette même Gemara expliquera que l’Adam Primordial (du Shiour Qomah) ayant été créé “au-dessus” de la terre, il faut comprendre qu’il mesurait de la terre jusqu’au Ciel, et qu’il aurait dû aller d’un bout du monde à l’autre. Autrement dit, son Rédempteur, l’Homme Nouveau, occupera l’espace aussi pleinement que le Jésus cosmogonique de l’Apocalypse, et il occupera, dès lors, tous les Temps, alors même que le vieil Adam n’a même pas vécu 1000 ans... Cet homme fut élevé... « au carré » ! Jusqu’au Carré Vivant des Quatre du Chariot. (NB (à suivre) : en Hagigah I, il est lu par Aqyba comme le “Circoncis incirconcis”.) Avant d’aller penser que ce genre d’Homme se situa « en deçà de l’inceste »… et qu’il joua un rôle caché dans toute la Bible, il faudra fouiller ces formules, en dégageant le spécifique de ces lois bibliques de l’inceste (auxquelles se superpose la relation du lévirat). On dispose pour ça de midrashs foisonnants sur le « clonage » divin du “côté” féminin d’Adam (qu’il faut prendre à sa Lettre : le Samek de la Semikha). Or, côté « sexe », on sait la place ‒revendiquée par les évangiles‒ des vraies ou fausses putains de l’Histoire sainte, dont Tamar et Rahab, la Permutante et l’Engouffreuse. Sans elles, bibliquement, il n’y a ni postérité, ni entrée en Terre promise, ni lignée du Messie. La parabole de la Femme Adultère est aussi décisive dans le message évangélique que le Puits de Marie et que la Betsabée sont stratégiques dans le midrash. Et le tournant de la « vie » de l’Autre, dit le Talmud, est sa rencontre avec Zonah, la “Forniquante”. Présentant le secret de la relation sexuelle dans les Qabales, Charles Mopsik s’étonnait 176 que les monothéismes dominants aient pu (officiellement) prôner “un Dieu asexué”... En quoi, Il fut « sexué », et de quel « Sexe », c’est complexe, mais on suivra Moshé Idel : “Nous sommes en droit de conclure qu’une perception sexuellement connotée du Saint des Saints exista dans le judaïsme antique. Peu après la destruction du Temple, nous découvrons dans la Chambre nuptiale un substitut à sa fonction de lieu de la Présence.” En vue des liens à déplier entre le secret messianique des Écrits et la mystique sexuelle du Lévitique, on pourrait, entre purs pour qui tout est pur, relire les trois huis clos de la mishna Hagigah II, 1 en brisant l’allusion sexuelle de leurs ellipses : ça va du triolisme (de Lévitique 18, 18 : l’interdit de copuler avec deux sœurs, en les “enroulant” l’une sur l’autre “dans le Nu de la Vie”) à l’auto-érotisme : Pas de chevauchée solitaire ! De l’un à l’autre, tête à tête ou tête bêche, sont les accouplements des Noces... Comme Kamasoutra, c’est succinct ; c’est plutôt la Carte du Tendre à l’adresse de la Délicate... (Et cela n’a pu échapper à l’inventeur de cette mishna, dès lors gravée dans le marbre oral d’une tradition qui s’en égaya…) Quant aux suites judéo-chrétiennes, rappelons que la calomnie sur les « messes noires » ou rites orgiaques pratiqués entre fidèles ne fut pas à leur égard que le fait de païens salaces ; elle fut lancée très vite d’un groupe chrétien à l’autre. Cette donnée survint en fonction d’un thème origynant : au sens des membres communiant dans la fraternité du Messie advenant, et quel que soit leur nom, de “spirituels” ou autres, les “chrétiens” de l’Advenu furent d’abord, par définition, “les fils {ré-enfantés} de la Chambre nuptiale”, comme dit le Philippe copte. On parle de la plus chaste union mystique : la symbolique lumineuse de “l’autre chair” des fils du Fils “de l’Homme de l’homme”, dit cet « évangile » de Philippe, recoupant littéralement le ’iYSh ’iYSh récurrent de Lévitique 18. Ça n’a pas pu aller, entre premiers chrétiens, sans des soupçons de dérapages, au moindre schisme entre les fidèles, même sans aucune dérive pulsionnelle trop-humaine. Constatant que le Testament chrétien évoque à peine le sexe explicitement, alors qu’il est souvent mis en scène dans la Bible, Odon Vallet a eu ce mot qu’“avec les évangiles, on est passé du lit à la table”... Erreur totale ! Car c’est parce qu’avec eux on est au fond du « Lit »... qu’il n’y apparaît plus comme détail du tableau ! Le nuptial spirituel y a 177 tout envahi. La table de la Cène interviendrait plutôt, si on ose dire, comme un plateaurepas sur le seuil de l’évangélique « Tente des Noces » ! Si les deux traditions affirment, chacune dans ses façons, comme un « Rapport sexuel » (comme il n’y en a pas...) sur l’horizon (du Banquet) des Noces, c’est au terme d’une longue histoire. On affirme trop vite trop de choses trop globales sur le sexe dans le christianisme ou dans le judaïsme. Du fait (kérygmatique) de « l’Incarnation », la polémique fut inévitable... Mais, passés les temps sévères du Renoncement à la chair des montanismes johanniques et même de paulinismes, les deux traditions recyclèrent de nombreux éléments de base : on trouvera même dans le Talmud une plaidoirie midrashique pour la position du missionnaire... Quant à la grande coupure du « psycho//somatique » introduite par le christianisme grec dans « l’éros » de la Loi juive (cf. Stéphane Mosès), les sources talmudiques de l’Autre n’en donneront guère les clés. Elles passeront par des allusions à l’Incarnation virginale et mèneront, au final, jusqu’au « Corps » du Ecce Ego... Notre recherche, ici, d’un ecclésial inaugural s’accrochera donc au thème des Noces... sans aller « tenir la chandelle ». Et sans suivre comment ‒très audelà des naissances de l’Autre‒ la récurrence trinitaire des conceptions de sa Conception tentera de « digérer » l’audacieuse théurgie de la Nativité (proclamée au-dessus de l’eau). Pour ce qui est de ce thème dans l’émergence du christianisme, c’est l’océan des métaphores théologales et messianiques depuis le Cantique des Cantiques qu’il faudrait convoquer, jusqu’au Midrash Tanrhouma : « le Lit de Salomon est le Temple » ! Avec ou sans péché sexuel « originel », quelque chose d’un secret du sexe fut au cœur du monothéisme. Mais comment ? Il faudra faire leur place aux formules sidérantes des logia coptes de Philippe (retraduits par Jean-Yves Leloup). Aux yeux du qabaliste, cette dimension nuptiale est totalement triviale. Un Joseph de Hamadan (du XIIIe siècle) donne même explicitement la Séfira « Yessod » pour le « Membre » viril de la Divinité. (Charles Mopsik, 2003 : Le Sexe des âmes.) La question de savoir comment des initiés du IIe siècle sont passés d’un midrash du Lévitique et du Cantique et du grand “dénuement” du Job “découronné” à un programme rabbinique d’une « parthénogénèse » de l’Homme n’est pas résolue pour si 178 peu. Mais on a là des pistes qui ont mené des Sages vers les secrets du Souffle et le mystère de la Femme enceinte, mis en valeur dans le Qohélèt. Cela poussa certains Rabbis à vouloir exclure L’Ecclésiaste de leur TaNaK. L’Ecclésiastique du Ben Shirah, qui, lui, fut écarté, n’était sans doute compté que comme annexe à L’Ecclésiaste. Souvent cité dans les Talmuds et donné explicitement comme “Ecrit saint” en Baba Qamma 92.b, il a en fait « payé » pour son Livre « amiral »... Car cet Ecclésiastique du “Jésus” Siracide, qui s’enfuit en Égypte vers “moins” 165, a pu être tenu, ensuite, pour l’œuvre du premier « Jésus » à avoir divulgué des secrets ésotériques : le Siracide évoque trop bien la Torah “à double hauteur” (cf. Barc, 2000) des initiés des « chambres hautes »... Le Cantique des Cantiques et le Char d’Ézéchiel furent menacés aussi. Pour retrancher cet Hérétique, fallait-il dévaster tant de richesses bibliques ?! Au-delà du crime d’amour de David et sa Bethsabée, cet « Eros » est passé par la puissance d’un Salomon, celui des Ben David qui le fut par cet adultère... Marquons ici des distinctions. Les historiens peuvent rechercher dans quel contexte l’essentiel d’un texte fut établi et s’ajouta au corpus biblique pour enrichir sa théologie et son « Histoire » fabuleuse. Mais quand et comment tous ces textes furent lus comme un ensemble « inter-Textuel » où chaque lettre interagit avec chaque autre, c’est encore une autre histoire, qui ne s’est déployée qu’à partir du IIe siècle avant “notre ère” et devint un « sport national » au fil du Ier siècle “après”, culminant à Yabnéh. Dans ce cadre, le légendaire Roi Salomon acquiert un statut « historique » (alors qu’on sait que l’archéologie l’a démenti à 100 %). Plus encore que le reste de « l’Histoire sainte », à lire surtout comme « Science Fiction », Salomon est alors historiquement actif comme préfiguration du Roi Messie. Un texte comme le Chant des Chants, recyclant des poèmes d’amour millénaires dans une composition du III e siècle avant “notre ère”, peut ainsi devenir l’emblème d’un roi mythique du « Xe avant », puisque, de toute façon, il s’agit du « brouillon » du Roi par excellence. Ce Roi des Rois (du Livre des Rois) parle en fait de lui-même comme du Roi à venir, à travers « ses » Proverbes, « son » Ecclésiaste, « son » Cantique et les Psaumes qui lui sont attribués, voire le Job... qu’il aurait été ! 179 Du coup, ces attributions ont varié. Il existe, en Baba Batra 14.b, une série des « 18 » auteurs (/ éditeurs) de la Bible qui « enterre » Salomon. Le Livre de Job y est attribué à Moïse; et les Proverbes, le Cantique et L’Ecclésiaste à Ezéchias ! Baba Batra 15.b reprend alors la discussion (cf. aussi Genèse Rabba 57) : Job fut-il un hébreu ou pas, et à quelle époque ? Mais pour toute une tradition, en tant que le Fils de David et Bâtisseur du Temple, « Salomon » fut, « historiquement », –c’est-à-dire dans l’histoire du messianisme antique, de « Qoumrân » à Yabnéh–, celui qui parle de lui-même dans tous « ses » Livres comme du Roi Messie du (futur) Sanctuaire, dont “tous auront parlé”, soit l’Amant des Noces mystiques. Ouvrons donc ce Qohélèt ou Ecclésiaste, au sens de l’homme comme au sens du livre, puisque ce Livre porte un nom d’homme, pour annoncer... tout l’Homme. Les “Clous” de L’Ecclésiaste, où “l’Autre” s’est vu “Roi” La coïncidence Ecclésiaste / Ecclesia n’est pas un piège du grec. Hébraïquement aussi, la Vocation du Qohélèt est bien d’être l’Invocateur, « Pro-vocateur » et “Rassembleur” de la Communauté la plus « totale ». Il convoque(ra) le Peuple à sa plus haute mission : porter les novations d’au-delà du « soleil ». Moi, l’Ecclésiaste (/ le Convocateur des Eglises), “j’ai été ” Roi sur Israël dans Jérusalem, dit l’ouverture du Qohélèt, en son verset I, 12. Son Targoum le souligne en I, 1, dès le premier verset, dans l’araméen “Dé-HaWah”. C’est celui “qui a été” ‒formule d’un « Has been » à suivre. C’est dit au nom du Narrateur de L’Ecclésiaste, l’Ecclésiaste lui-même, censé être le Salomon fils de David. Or, ce Roi Salomon, à en croire un midrash qui court comme un furet des Tannas aux Qabales, fut réduit... à l’état de Job ! Il dût se reconstruire à partir de son seul “Bâton” et son “Bol de gruau”. Cette figure rabbinique du roi le plus puissant en fidèle humilié dans le juste souffrant (“le roi en haillons, c’est le Roi” –P. 77 des logia coptes de Philippe), c’est une image qui n’a pas peu fait pour l’émergence de l’Ecclesia en son sens judéo-chrétien. (Cf. les Odes de Salomon, apocryphe essénien, voire « phiAbyste », retrouvé en 1909. Il y a d’autres traditions sur l’énigme de Job, mais une telle « solution » par un Salomon exilé et prolétarisé a permis aussi « d’expliquer » qu’on présente comme un juste des nations 180 le héros du Livre de Job, destiné à configurer la sainte Histoire d’Israël.) À relire L’Ecclésiaste avec les yeux « hérétiques » des Mynym, cela vise même un Maître... « cloué au bois » ! À part le fameux “Avorton” qu’ils évoquent tous les deux, quel rapport a pu s’établir entre l’Ecclésiaste et Job ? Un lien essentiel et intime : une ouverture qui lie trois figures et trois temps du “Roi”, où le Messie prend son relief. Que Salomon ait été Job à travers l’Ecclésiaste, c’est un midrash proliférant. Salomon est l’Ecclésiaste en tant que Bâtisseur du Temple, et pourtant il subit la dure « épreuve » de Job, avant de retrouver son « sceau » dans la gueule du poisson ! Et c’est des plus évangéliques : ce Sceau de Salomon, c’est la pièce de monnaie (statère) du Pêcheur d’hommes de Matthieu 17, 27 : “Va à la mer”, dit Jésus à Pierre ; “jettes-y l’hameçon et le premier poisson que tu prendras, ouvre-lui la bouche.” Tu y trouveras de quoi payer (les 2 ½ sheqels de) la contribution au Temple “pour Moi et pour toi” ! L’attribution de L’Ecclésiaste à Salomon remontait, apparemment, aux origines de ce dernier Livre, assez récent pourtant (200 avant « notre ère » ?, voire 150 pour son Epilogue ?). Des Rabbis de Yabnéh menacèrent d’écarter ce Livre « nihiliste ». Son auteur fut un philosophe, ou, disons, un penseur juif de l’entourage d’un Simon le Juste (dont certains des disciples, tel un Antigone de Soukho, ont pu être assez déroutants); il voulut s’affronter à la philosophie. Il a lu les cyniques, voire les cyrénaïques... Mais d’où Salomon fut-il Job ?! L’ouverture de L’Ecclésiaste et celle de son Targoum par HaYYéTY ou Dé-HaWaH {celui qui a été} en avait déclenché la réaction en chaîne. Question : d’où Salomon irait-il dire qu’il “a été” roi sur Jérusalem, alors qu’il y est mort de sa belle mort de plus grand Roi sur Israël et la Judée (et très au-delà, assurent la Bible et le midrash : jusqu’à régner sur… certains Ciels !) ?! Réponse logique et inventive, un midrash rocambolesque en déduit que Salomon, dans les trois ans où il aurait écrit ce livre, ne fut pas Salomon ! Un imposteur l’avait remplacé... pendant qu’il était Job ! La Postface de Charles Mopsik à son édition d’un des Targoum de L’Ecclésiaste (Verdier, 1990) donne les références de ces midrashs. Le Babli évoque l’affaire en Gythyn 68 et 69 et le Talmud Occidental en Y. Sànhédryn 2, 6 (ou “13.a”). On la retrouve en Midrash 181 Qohélèt Rabba, Midrash Tànrhouma (parachot Aharé Mot 1 et Wa-Ethanàn 2), Midrash Ruth Rabba, Pessikta dé Rab Kahana, etc. Mopsik en cite des versions jusqu’au XVIIe siècle, dont celle du Livre des Miroirs (XIIIe ). Le noyau tannaïtique de ce midrash reste à creuser, car Mopsik le cite surtout en fonction des Qabales. (“Salomon”, féminisé par son surnom de “Qohélèt”, y représente la Communauté vis à vis de l’Époux divin. En pleine scène de ménage, en l’occurrence...) Mopsik constate : ce midrash doit être tenu pour une “tentative de rendre compte de l’origine de L’Ecclésiaste {plutôt} qu’une simple illustration… des conséquences des transgressions du roi.” Que Salomon ait abusé des chevaux et des femmes et qu’il l’ait payé d’une « épreuve » est en effet un thème « édifiant » mais trivial. Ce “Dé-HaWaH” (qui a été) n’est pas étrange en soi, mais ses résonances firent problème. On verra l’emploi insistant du mot Dé-HaWaH dans le Récit du Y. Hagigah II sur “l’Autre”. Le Disciple brillant et Serviteur suprême y est, pour ses fidèles, celui « qui a été » depuis le Commencement !, le “QadémYY”, et il vient dans ce monde pour (enfin) y être le Roi (Ultime). Or, il a existé une tradition chrétienne sur une étrange inscription du Temple, affirmant aussi d’un “Jésus” (cf. Zacharie) qu’il fut “le Roi qui n’a pas régné” ! Quel Jésus et quel genre de roi ? Salomon et Job à la fois ! Ces Récits rabbiniques savent dire, non sans variantes, que Salomon, durant trois ans de son règne mythique, n’a pas été le vrai Salomon : il y a eu substitution. Par décision divine, un ange ou un démon l’a remplacé comme son Sosie : un Kaguémousha* hébraïque occupa le trône à sa place. On voit surtout en ce démon un Asmodée, l’oriental qui soulève les toits ... et aussi toutes les « jupes » du harem à la fois. Et le « vrai » Salomon, durant ce temps d’une si longue absence ? Il a « galéré » en mendiant chez les Amanites jordaniens ou aux Confins édomites de l’Égypte, où il finit par être embauché comme cuistot des cuisines du roi, puis, selon ce feuilleton, par épouser la fille du roi, avant de retrouver son propre trône grâce au poisson miraculeux qui lui a recraché son Sceau... Tout ça paraît très picaresque. (Rappel, bis : du fait que Salomon n’est pas plus historique que Job, comme l’archéologie l’a démontré -cf. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman-, il s’agira toujours ici du Royaume... spirituel qui vient.) 182 Le Babli, en tout cas, contient encore la fable du démon Asmodaÿ. Salomon le fait enchaîner pour le temps qu’il bâtisse le Temple, mais il échappe au roi pour lui prendre sa place : Gythyn 68-69. Dans ce passage, ceux qui sauvent le vrai roi sont des “Rabbis” (du Ier Temple !, comme un historien sut parler des “intellectuels”... du Moyen Âge) : ces Sages se penchent sur le cas d’une espèce de foldingue qui crie le long des rues qu’il serait le vrai roi ! Grâce à un Nom secret de Dieu, ils enchaînent le démon et rétablissent le roi davidien… Le Talmud porte le questionnement qui a généré ces fictions. Le folio 20.b du Traité Sànhédryn s’interroge sur ce “Royaume” de Salomon qui fut en forme de peau d’chagrin. Après avoir régné sur certains Ciels (!...14) et toute la terre, puis « seulement » sur tout Israël, puis seulement sur Jérusalem, ce « Salomon » (selon un “Resh Laqysh”) ne régna plus que... sur son “Bâton” ! Ce même Traité, côté Talmud Occidental (Y. Sànhédryn 13.a / 20.c), présente la chose ainsi : “Il est écrit (Ecclésiaste 2, 2): “Du rire, j’ai dit : Dément !” (Alors,) le Saint unique a dit à Salomon {pour avoir énoncé cette formule « rabat Joie » de l’Ecclésiaste} : “Que fait cette couronne sur ta tête ?! Descends de Mon Trône !”... Immédiatement, un ange qui avait la semblance de Salomon descendit du Ciel, l’éjecta du trône et prit sa place. (Et Salomon se mit à frapper aux portes, allant) de synagogue en maison d’études, en disant : “Je suis l’Ecclésiaste ! J’ai été Roi sur Israël à Jérusalem.” On lui disait : “le roi réside en son palais et toi, tu dis que tu es {ce roi des Convocations, appelé} l’Ecclésiaste !” On le frappa avec un Roseau (Qanah) et on apporta devant lui un bol de gruau (Q’arah (shèl) GarySsyn). C’est alors qu’il a dit (Ecclésiaste 2, 10) : “Telle est ma part {NdR : pour toute la peine que j’ai prise sous le soleil...} !” On a dit que (cette part ultime,) c’était le bâton. D’autres disent le roseau. Et, certains, une ceinture de cordes.” Manifestement, le Talmud fait ici écho aux évangiles. On évoque discrètement le martyre du Baptiste par le Jonc de Cana (agité par le Vent) et celui de Jésus par la Ceinture de corde, avec laquelle il a fouetté le Temple de son temps, celui du Bar Kokhba. C’est le “bol (OU coupe) de gruau” (attesté dans toutes les versions) qui offre la bonne clé de ce royal dément, errant de porte en porte pour avoir insulté la Joie. 14 Comme quoi le Royaume Unifié de Salomon, que l’archéologie dément de mieux en mieux, ne fut pas non plus « de ce monde », aux dires même de certains Rabbis ! 183 En I Rois 5, 2, Salomon reçoit chaque jour 30 “tonnes” de fleur de farine et 60 de farine. Et voilà qu’il n’a plus droit qu’à un “bol” de fleur de farine, mouillée d’eau, pas même d’huile. (Mais il vaudrait déjà la « poignée de farine » du prophète Elie, qui, lui, dispose de la Jarre d’huile...) Ce gruau, c’est la bouillie du pauvre, sa “purée” : la garyssa ! Mais Garyssàn, c’est aussi l’accumulation des connaissances ; c’est la Bible apprise par cœur ! (Le Jastrow cite Mégillah 18 et d’autres cas.) La part de l’Ecclésiaste, dont le sceptre est Roseau (Cana), est accrochée à la Ceinture du Pèlerin. (Celle de l’Homme du Char, celle de Simon en pêcheur d’hommes et de shequel miraculeux…, et déjà celle d’un Job amené à serrer sa ceinture et à dire la chose en face...). La part du Bol, en somme, c’est “l’Appropriation de la Torah” ! Il n’y a pas plus positif. Sauf qu’on le frappe peut-être ici en lui opposant la lignée du Baptiste : ces versions sont diffusées au nom du fils du “Fils du Chambellan”, le Simon (Pierre, Bar Yorhànàn / Bar Yonah /) Bar Yorhaÿ... Car une question qui divise les Rabbis, c’est de savoir si Salomon, à la fin, à partir de sa part minime mais aussi essentielle que le “point d’appui” d’Archimède pour soulever le monde, retrouve sa puissance royale. Est-il déjà redevenu « le » Roi... ou va-t-il le redevenir ? Pour le Salomon biblique, c’est évident. Mais pas pour un “Autre” Ecclésiaste... Ce Jésus / Menarhem sorti « d’Hillel » (= porté par Rabbi Ismaël) est-il « seulement » le Prince de la Face (au Ciel, et en symbiose avec son ange, le MétaTrôn) ou est-il devenu aussi le Prince de ce monde (à la place de Satan) ?? Sànhédryn 20.b : “L’a-t-il recouvré {son Royaume} ? {Entre} Rab et Samuel, un dit oui, un dit non. Celui qui soutient qu’il n’a pas recouvré son royaume pense que Salomon fut roi, puis un homme du commun {un HédyòT, du grec idiotès}... Celui qui soutient le contraire pense qu’il fut roi, puis homme du commun, puis Roi.” Autrement dit, est-Il le Messie advenu ? Car il s’agit ici de ce Royaume où Dieu a dit : descends de Mon Trône ! Rab et Samuel parlent ici du Nouvel Ecclésiaste. Son avènement est-il acquis ? Des points de contacts entre les deux Livres justifient ces combinaisons de Job avec le « Salomon » du Qohélèt. Mais c’est surtout une convergence théologique entre Job et l’Ecclésiaste sur le thème du divin non-être (!) qui en fait la richesse exégétique. Cet homme “qui n’a pas été” et qui va advenir sur celui “qui avait été” (le plus grand des 184 humains), donc le Has been, est au cœur -déchiré- de cette christologie. La “pierre {christique} rejetée par les Bâtisseurs” rejoint ici le Roi en bâtisseur du Temple dans le Roi-Prêtre eschatologique qui devient la pierre d'angle de l’univers. Job, soumis à la pire épreuve, entame sa plainte et, malgré tout, son adoration (en forme de bras de fer avec son Dieu), en vantant le paradis utérin de celui qui n’a pas été... Il y revient au verset 11, 18 : “ah, si j’avais été comme n’ayant pas été”... oserait Job. Il rêve d’être passé directement “du ventre à la tombe”, tel “l’Avorton”. La même nudité du fœtus avorté et du corps mis en fosse traverse les deux livres. Les Paroles de l’Ecclésiaste, celles “du Désir” de vérité, développent le même thème en Qohélèt, 4, 2-3 : “Moi (dit l’Ecclésiaste), je préfère les morts qui ont accédé à leur mort aux vivants (rHaYYiM) qui n’ont pas accès à la “Vie” (rHaYYiM). -Et bien mieux que les deux {ces vivants et ces morts-, je préfère} celui qui n’a (même) pas été, car il n’eut rien à voir de tout l’ouvrage du Mal qui se fait sous le soleil…” Dure condamnation de la Création ! Sinon qu’elle ouvre au Rédempteur… Car ici, ni chez Job, ça n’est pas si désespéré : Qohélèt 4, 15 : “j’ai vu tous les vivants marchant sous le soleil être pour le jeune homme, le Second, dressé à sa place”... S’il y a de l’être “pour la mort” dans l’Ecclésiaste, c’est un « être pour la vraie vie de l’homme nouveau », car, s’il n’y “rien de neuf sous le soleil”, il y a, d’au-delà du soleil, la novation de l’homme “qui vient”... pour dépouiller le vieil Adam de ses oripeaux de Terrien : Terrien, t’es rien, mais soyons Tout ! L’espoir du Qohélèt (l’auteur biblique), c’est l’espérance en l’Enfant Roi (pas celui du Dr Spock du XXe siècle !). Elle est aussi criante que celle de l’Hérétique de 133, concluant le Traité des Pères sur l’enfant éternel de sa Torah naissante : “Heureux celui qui n’a pas été !”, réitère l’Ecclésiaste. C’est “l’Avorton” qui a chuté (naphal). Donc, par opposition : miséreux, le Has been ! Mais son courage à surmonter l’épreuve sans renier Dieu lui a permis de triompher. Job, le roi des Has been, verra son Dieu comme “Moi” !... De même, le grand Has been du rabbinisme –le Rabbi « débranché » en 128 par le Bar Kokhba– obtiendra le même résultat que le Salomon / Qohélet, et pire : il en osa le « Moi, Je vous dis…» Et comme Job, il obtint de Dieu le « Double » de son bien : sa Mishnah. Cf. Job 42 : YHoWaH yosefta la “mishnah” = “il augmenta du double toute la Richesse 185 que (Job) avait eue (ET avait été) au départ”. « Donc » l’Unique « ajoutera » le “double” (la mishnah) à la fortune (biblique) du Nouvel (Elisée, Moïse… et) Salomon. Mais quelle fut la “fortune” initiale d’Israël, sinon le miel de Sa Torah ? Son bâton devient Sceptre, sur cette terre comme au Ciel, et son bol de gruau biblique devient repas « complet » de son Sedèr mishnique. Pour ses apôtres, c’est ainsi que leur Mishnah fut “ajoutée” à la Torah, de sorte que le Has been natçaréen, excommunié dans toute la Judée, en 132, y serait devenu, en 133, le Nouvel Ecclésiaste, celui de l’Ecclesia des Temps nouveaux. En quoi le fondateur de l’Ecclesia fut l’Ecclésiaste, ce n’est pas à 18 siècles d’apologétique qu’il faut le demander, c’est au midrash. Une lecture historienne est à mille lieues de ceux qui réduisent le TaNaK, tel qu’ils l’entendent, au rôle de « Testament Ancien » ne témoignant, par « allégories », que de leur Christ, tel qu’ils l’entendent, selon Nicée et la King James ! (On a compris, j’espère, que cette approche midrashique de la « Lettre » du TaNaK s’inscrit en faux contre les fondamentalismes biblistes...) Mais le problème de l’historien du moment « judéo-chrétien » est de situer, au sein du judaïsme antique (entre Ier et IIIe siècles), ceux qui crurent en effet que le message biblique avait visé, littéralement, leur Messie eschatologique, à travers “l’Homme” qui s’y déploie. La thèse du Rabbi non rabbinique, le « marginal » du Ier siècle, biaise avec le problème : elle l’installe à côté de l’Écriture (qu’Il connaîtrait par cœur sans jamais L’étudier); sur quoi on saute à l’exégèse... des Pères grecs du IIIe siècle ! Notre thèse du Rabbi qui fait le « pas au-delà » dans la Tempête de 133 doit poser la question de front : quel fut le grand midrash natçaréen (parmi tant d’autres midrashym actualisants) qui interpréta le TaNaK, de bout en bout, de façon que sa conclusion fut bien, à la bonne heure, que son Message était ce Messager, « l’Evangélique » ? Ce midrash valorisait les Écrits saints « de vérité » : les Job +Proverbes+Psaumes. Lisait-on ceux de la sainteté par Qohélèt, Daniel et Chant des Chants ou Qinot (Lamentations), Debry (Chroniques) et Chant des Chants ?? (A suivre par le témoignage de Rabbi Aqyba, infra.) Ce midrash à plusieurs entrées valorisait l’Épreuve du Royal détrôné. Or, ce Qohélèt –ou Ecclésiaste- est un Livre énigmatique et longtemps discuté pour sa façade « nihiliste ». Celui des Rabbis qui l’a défendu à Yabnéh contre vents et marées est évoqué par le 186 Talmud à plusieurs reprises, mais (plus ?) jamais nommé « en face ». La polémique rabbinique à son sujet, du IIe au Ve siècles, devint si vive et si tranchante qu’elle n’a plus vu qu’une « tête »… à retrancher ! Elle s’en est prise en bloc, comme on va voir, à toute forme d’Ecclésiaste comme coupable d’une Ecclesia : elle visa le Livre biblique du IIe siècle avant “notre ère” et le Salomon du « Xe » à qui l’on attribuait sa narration, comme si ce Narrateur royal d’il y a si longtemps était le même que l’Interprète qui l’a le mieux défendu à Yabnéh… au IIe siècle après “notre ère” ! La question de savoir si l’Ecclésiaste est un Écrit “saint”, autrement dit s’il “souille” les mains de ses lecteurs humains, est répétée dans plusieurs Traités, dont ceux “des Mains” et des “Témoins” de la Mishnah et la Tosefta. Ceux qui estiment que ce Livre est saint sont de l’École (dite) d’Hillel, et ce fut sûrement le cas dès l’origine de cette École, à l’orée de “notre ère”. Le Sage qui obtint que L’Ecclésiaste entre pleinement dans le « canon » du rabbinisme, malgré les réticences de certains pharisiens, fut un maître hillélite de la fin de Yabnéh. Comme Rabbi Aqyba préparant la défense du Cantique des Cantiques, ce maître s’enferma avec une ration de survie de 300 nuits... pour en lever les « contradictions », c’est-à-dire qu’il développa toute la richesse des paradoxes de L’Ecclésiaste (Shabbàt 31.a et b). L’affaire a fait grand bruit. Par la place de ce débat dans le Talmud et par son voisinage avec d’autres décisions, on sait que cette question fut tranchée “ce jour-là”, vers 118, jour du triomphe du Rabbi Jésus, appuyé sur le Rabbàn Lazare ben Azaryah et sur le Rabbi Ismaël (cf. Berakhot 28.a). Au Traité des Mains (Yadayim, mishna 5), ça donne : “Tous les Écrits saints « souillent » les mains. Le Cantique des Cantiques et le Livre de l’Ecclésiaste « souillent » les mains {= ils sont “saints”}. R. Judah a dit : le Cantique des Cantiques « souille » les mains, mais les avis sont partagés sur le L’Ecclésiaste. R. Yossé a dit : L’Ecclésiaste ne « souille » pas les mains, mais les avis sont partagés sur le Cantique… R. Simon a dit : vis-à-vis de L’Ecclésiaste, l’Ecole de Shammaÿ est indulgente {quant à la purification des mains qui l’ont touché...} mais celle d’Hillel est stricte. R. Simon ben Azaÿ a dit : je sais par la tradition des “72 Anciens” que le jour où ils nommèrent Eléazar ben Azaryah {NdR: à la tête de Yabnéh, à la place du pharisien Gamaliel, autrement dit le jour de la 187 restauration par le Rabbi Jésus du projet du Ben Zakaÿ, fondateur du rabbinisme}, ils décrétèrent que le Cantique des Cantiques et le Livre de l’Ecclésiaste « souillaient » les mains. Rabbi Aqyba disait : Dieu nous préserve qu’un fils d’Israël ne conteste que le Cantique des Cantiques « souille » les mains ; le monde entier n’est pas aussi précieux que le jour où ce Livre fut donné à Israël. Toute l’Écriture est sainte, mais le Cantique des Cantiques est le saint des Livres saints ! S’il y eut polémique, ce fut sur L’Ecclésiaste. R. Yohanàn, fils de Jésus (?), fils du beau-père d’Aqyba (??)15, a dit : il y a eu polémique, mais il y a eu la décision {positive (que dit Ben Azaÿ)}.” Quel fut l’enjeu si décisif d’une polémique si récurrente ? Sans prétendre ici résumer (!) les « sens » (!) de L’Ecclésiaste, pointons son titre et son final. Le QaHaL / Qéhila (que l’on verra évoluer, cf. Midrash Rabba, jusqu’à la « QohélY(Y)a »), c’est une assemblée “convoquée”, réunie à la Voix de celui qui l’anime ou l’inspire du Souffle. Il y a un autre mot hébreu pour “assemblée” : la KnéSsèT, mais ces assemblées ou “églises” –les “matrices d’Israël”, selon les Psaumes, et, par Là, celles de Son Dieu...– sont, au pluriel, les Qohélòt. C’est ce nom qui fut donné au Livre et à l’auteur, ainsi qu’au narrateur de (Moi,) l’Ecclésiaste. Mais pourquoi dire d’un homme qu’il est “l’Invocateur” par ce nom féminin pluriel des “VocationS” ? Et pourquoi donc attribuer ce féminin pluriel au très-viril Roi Salomon ?! Il est question d’un Rassembleur à la “Voix” très vocale : elle sort d’une Bouche si phénoménale qu’elle devint, pour certains, la fontaine de la Loi Orale. Le Qohélèt est souvent cité en rapport avec “l’Autre”, et pas seulement pour retourner contre cet hérétique la pieuse formule d’Ecclésiaste V : “n’offre pas à ta bouche de faire pécher ta chair et ne parle pas de lapsus en face de l’Ange...” Sinon, cela se conclurait par la Ruine de toute ton Œuvre, celle de tes mains... dans les « Mains » de Dieu ! L’Ecclésiaste est cité pour ses mots clés, ses “28 temps” et son final explosif. (Il y a lieu de penser que le dernier Chapitre, le XIIe, fut « arrangé » plus tardivement que les premiers, pour aider à l’entrée du Qohélèt dans le TaNaK, mais à l’époque qui nous importe ce final est compté par tous dans le droit fil du Livre...) 15 Cette formule (répétée plusieurs fois) fait partie des généalogies quasi-oniriques des premiers Amorayim, qu’on verra en IIe Partie (Les Apôtres de l’Autre). Elle paraît entremêler au moins deux des Rabbis Yohanàn : le Baptiste « fils du Chambellan = fils de Rabbi Jésus le Chambellan » et le « Jean-Nathan » apocalyptique, fils de Lazare ?? 188 Ecclésiaste 12, 9 : “En outre, Qohélèt {fut un Sage OU} a été le Plus que Sage {1er choix, la Septante, 2e choix, le Targoum : “le plus sage de tous les fils d’homme” !} qui enseigna au peuple la Connaissance {= Gnose}, la formulant {en nombreux proverbes, mashalym HaRaBaH OU} en paraboles bien décochées {NdR: par un certain “Archer”}. 12, 10 : “Qohélèt cherchait à produire des Paroles de Désir (rHaPhètÇ) et (l’)Écriture équilibrée de Paroles de Vérité.” C’est cette joie « désirante » de “Vérité” qu’on voit passer dans le « témoignage flavien », où l’Ecclésiaste fut déjà le drapeau d’un certain courant. 12, 11: “Les paroles des sages sont comme les aiguillons et comme les CLOUS plantés (MeSMèRòWT NéThWo’îYM) que le Maître des Achèvements offre au Pasteur unique.” Ces achèvements sont ceux de la Moisson qui “met fin” aux Plantations... Et en Hagigah 3.b, ce Maître spécial est donné pour “le maître des assemblées {initiatiques ou ecclésiales ?} siégeant à part...” Tiens, tiens !... Affirmer que ces “clous” auront aussi conduit à la Crucifixion n’a donc rien d’obsessionnel. (On retrouvera ces clous avec les Sept du Val Rimmôn, étudiés en IIe Partie, quand sept des Tannayim, en 135, « enfonceront leurs clous » dans leur Pierre apostolique...) Le Traité Hagigah du Babli nous signale que ces “clous” (comme un certain “Qoréh” en Israël...) avaient creusé “un vide”, mais tout en assurant la bonne “Plantation” : la “Fructifiante”. Ces clous “plantés” sont les mêmes “plants” que les plants que le Qohélèt invite instamment d’extraire “à temps” (parmi ses fameux 28 Temps). Et ce sont les mêmes Plants que ceux que l’Autre a moissonnés (non sans l’aide du Baptiste, cet autre Bûcheron...) au Paradis textuel des Quatre du Talmud, en vue d’être le Natçar. Le plantage de ces “clous” fut manifestement très-messianique. Faiseur de paraboles que ce “Maître des Fins”... Au cœur de L’Assemblée... tel est le Qohélèt. Qui se conclut ainsi -12, 13-: “(Au) Bout de la Parole (Dabar), le Tout est entendu. Crains Dieu et garde Son Commandement. Voilà Tout l’Homme.” By the way, on sait la question : tous ces tout de l’Ecclésiaste, ils ajoutent Qui ?... C’est ce Total (le KoL de l’homme) qui clôt la Voix (la QoL) du QoHéLèT, en plaçant sur orbite, pour les natçaréens, la QoHéLYYA ecclésiale “totale”. 189 Shabbàt 30.a : “Que faut-il entendre par L’homme est là tout entier (cité de Qohélèt 12, 13) ? Pour Rabbi Eléazar {ou Simon Ben Azaÿ -ou Simon Ben Zoma, pour d’autres}, le monde entier n’a été créé que pour cet homme...” Voilà. C’est dit. Reste à savoir s’il est venu ou à venir. En formulant ses paraboles, cet homme des “(In)-Vocations” va “au Bout (Soph) de la Parole” (comme Moïse avait su fendre la Mer de Souph...) pour Se faire « tout entendre » aux hommes et qu’advienne en eux “l’homme total”. “Tout ce qui fut crypté sera dévoilé”, ont dit les deux “seigneurs”, le talmudique et l’évangélique, le Jésus et l’Hillel. Ils visaient avant tout ce “Tout”. Le Targoum dit « Araméen » traduit par Charles Mopsik (1990) a entendu ainsi ce final du Qohélèt (12, 13) : “La fin d’une chose accomplie en secret, c’est qu’elle sera divulguée et entendue par tous les hommes. Ainsi, crains la Parole du Seigneur et ne pèche pas.” Le Targoum de Salamanque publié par Madeleine Tadarach (1998) est lui aussi au diapason de cette lecture du Final : “Fin des paroles faites dans le monde en secret : toutes, dans le futur, seront publiées et proclamées à tous les fils d’homme. Crains le Seigneur et garde Son Commandement .” Frédéric Manns a présenté un troisième Targoum du Qohélèt, l’Urbinati, qui releva d’une orthodoxie post-talmudique : il écarte en sourdine ces interprétations « classiques » de son final. Seraient-elles devenues trop « judéo-chrétiennes » pour l’époque de sa révision ? Cette Fin des Temps du Qohélèt, c’est le Happy End messianique : la Parole sort des chambres hautes pour devenir « révélation ». Ce moment public, c’est l’Église, du point de vue judéo-chrétien : « on publie et on proclame à tous les hommes » le secret de cet Homme. Et ce « secret » va culminer dans “le” « commandement » de l’amour du prochain, par lequel Hillel et Jésus ont révélé quelle formule du Lévitique fut la base de leur éthique « aristo-Démo-cratique », celle des temps eschatologiques : tu dois aimer !... ton prochain d’amour propre. Cette fin promise, les rabbins l’attendent toujours, mais pour certains elle a eu lieu : le Ciel s’est ouvert. En conséquence ils ouvrirent à tous la Gnose de leur Maître, son Logos de la Croix. Ils l’enseignèrent à tout fils d’humain. Il a fallu pour ça qu’ils aient tenu leur 190 Dernier Rabbi pour un Roi du type Qohélèt : pour le Prophète « royal » ET le Nouveau Moïse, etc., qu’annonçait, selon eux, Deutéronome 18. C’est à cette prétention et cette publicité que les Rabbis ont objecté, mais pas unanimement de 133 jusque vers 175... À propos de ce final de L’Ecclésiaste, Madeleine Tadarach cite le folio 21. b du Traité Rosh Ha-Shanah. Étranges propositions que celles de ce folio ! Les objections de certains Rabbis au défenseur de L’Ecclésiaste en viennent à viser son auteur, si bien que ce passage du Traité du Premier de l’An affirme : “Qohélèt s’est voulu à l’égal de Moïse... {mais, de plus, « mieux » que l’âpre Moïse, l’Ecclésiaste s’est voulu tel...} en “recherchant les paroles qui plaisent”... {NdR : les belles paraboles de son Désir de Vérité.}. Alors, une Voix céleste se fit entendre pour dire {en lui dictant ces 2 supposés « correctifs », l’un dans le texte de l’Ecclésiaste, l’autre tiré du Deutéronome, qui n’a rien à voir avec Salomon, mais tout avec les prétentions du « Moïse » judéo-chrétien…} : “une écriture de droiture, des paroles de vérité !” {dit l’Ecclésiaste} et “il n’a pas paru en Israël de prophète pareil à Moïse.” {NdR : verset de Deutéronome 34 qu’on oppose classiquement à la lecture messianique de Deutéronome 18. Cf. chapitre 8} Mais (un) Autre {= l’Hérétique} a dit : certes, il n’a plus paru de Prophètes pareils {à Moïse} mais des Rois ont paru {tels que le Qohélèt, Fils de David}. Ça signifie {!} que l’Ecclésiaste {NdR: lequel ?!} voulait juger avec le cœur {NdR: dans le droit fil du Ben Zakaÿ du Traité des Pères}. Mais c’est à la parole de deux, voire trois témoins que l’on juge un tel cas {de prophétie}.” Est-ce du Qohélèt biblique ou d’un autre Fils de David, venu beaucoup plus tard, qu’il est question ici ? Il s’agit manifestement du Qohélèt judéo-christique : du Rabbi qui est monté dans la chambre haute avec (le texte de) L’Ecclésiaste et de quoi s’éclairer « 300 » nuits pour en présenter la défense, avant de « l’illustrer » -en actes- au Golgotha. En Nouvel Ecclésiaste, porteur de l’Homme total et « Tête » de l’Ecclesia... C’est à ce “Témoin de lui-même” –évangile selon Jean 8, 14–, c’est-à-dire au Jésus “du Cœur”, que le Talmud oppose ici la Loi sur les témoins (de Deutéronome 19, 15). Cet Ecclésiaste-là fonda son Ecclesia en se donnant comme le royal (super) Moïse 191 « solomonien », qui a subi l’Épreuve de Job, et pire encore. Or, qui se fait ici l’avocat du “Royaume” prôné par l’homme de l’Ecclésia ? Qui se fait le champion de ce Désir de l’Ecclésiaste, « achevant » la Révélation à force Paraboles et aussi, rappelons-nous, par “Plantation des Clous” !?! Visé par le grief classique lancé contre le Maître évangélique d’avoir été un faux prophète qui refusa le jugement des témoins prévu par la Torah, ce défenseur du “témoin de lui-même”, c’est “(l’)Autre”. Donc, l’un est l’autre... « ou » son « témoin » ! Il est le même « témoin de lui-même » que dans l’évangile selon Jean. CQFD (d’étape) : cet “Autre” du Talmud fut l’Homme de “l’Ecclesia” aux yeux d’Amorayim qui retravaillèrent ce Traité et les 62 autres. Il fut le Rabbi Ultime ET l’Elisée, c’est-à-dire le Jésus qui parla par Sa Bouche. Il est Ha-’iYSh GaM Zo : l’Homme par qui le Royaume est Aussi de Ce monde. Reste à savoir comment... D’ores et déjà, on comprend mieux que des Rabbis, au témoignage des Talmuds, aient voulu exclure L’Ecclésiaste du « Canon » de leurs Écritures. Mais comme les Églises grecques se coupèrent très vite des sources du midrash et de la « gnose » par paires du Qohélet, cette censure biblique ne fut pas nécessaire pour rétablir “la Paix des Sages”. Retour possible à la Page Sommaire 192