Épidémiologie des cancers du sein en Europe

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Épidémiologie des cancers du sein en Europe
Breast cancer epidemiology in Europe
● E. Mouret-Fourme*, D. Stevens*, C. Noguès*
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NCIDENCE ET MORTALITÉ DES CANCERS DU SEIN
EN EUROPE
Les données les plus récentes d’incidence des cancers dans les
25 pays de l’Union européenne ont été publiées dans Annals of
Oncology (1) en 2005. Le nombre de nouveaux cas de cancer
pour l’année 2004 est d’environ deux millions pour l’ensemble
des 25 pays de l’Union européenne (2 060 400 nouveaux cas)
avec un peu plus d’un million de décès (1 161 300).
Le cancer le plus fréquent, hommes et femmes confondus, est
le cancer colorectal (13,5 % des cas incidents) suivi par le cancer du sein (13,3 %) et le cancer du poumon (12,5 %). Le cancer le plus meurtrier au niveau européen est le cancer du poumon, puis le cancer colorectal, et le cancer du sein.
Le cancer du sein est le plus fréquent des cancers féminins au
niveau européen (275 100 nouveaux cas estimés pour 2004),
représentant plus d’un quart de l’ensemble des cancers de la
femme. Le risque pour une femme européenne de développer
un cancer du sein au cours de sa vie est estimé à 8 %. Le cancer du sein est aussi la principale cause de décès par cancer de
la femme européenne en 2004 avec 88 400 décès, soit 17,4 %
des décès par cancer.
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES CANCERS DU SEIN
EN EUROPE
Les taux d’incidence les plus faibles sont observés dans les
pays de l’est de l’Europe, les plus élevés en Europe du Nord et
de l’Ouest (Suède, Pays-Bas) (2). Le taux d’incidence en
France se situe à un niveau élevé, de l’ordre de ceux de
l’Europe de l’Ouest. Ce qui se traduit pour une française par
un risque cumulé sur la vie entière de cancer du sein de 12 %
(3). Les variations géographiques sont importantes entre pays,
mais rarement retrouvées à l’intérieur des pays. En Italie,
l’incidence des régions du sud est réduite de moitié par rapport
aux régions du nord (4), ce gradient nord-sud peut probablement s’expliquer en partie par une répartition différenciée des
facteurs de risque au niveau des régions (5).
Contrairement à d’autres localisations, à l’intérieur de
l’Hexagone, les variations géographiques sont faibles d’une
région à l’autre. Le taux d’incidence du cancer du sein le plus
élevé est observé dans la région Nord-Pas-de-Calais (114,9 cas
pour 100000 habitants, taux standardisé sur la population mondiale) et l’incidence la plus faible se trouve dans la région
* Centre René-Huguenin, Saint-Cloud.
6
Auvergne (75,3 cas pour 100 000 habitants, taux standardisé
sur la population mondiale) ; les autres régions ont des taux
d’incidence compris entre 80 et 100 nouveaux cas de cancers
du sein pour 100 000 habitants (6).
VARIATIONS TEMPORELLES DES CANCERS DU SEIN
EN EUROPE
L’incidence du cancer du sein est en augmentation dans tous
les pays européens. Cette tendance générale est cependant
variable d’un pays à l’autre que ce soit pour l’amplitude de
l’augmentation, l’ancienneté, les tranches d’âge concernées, et
la relation avec la mise en place d’un programme de dépistage
au niveau du pays. L’étude de la variation de l’incidence dans
16 pays européens de Botha et al. (2) est illustrative sur ce
point. Les auteurs soulignent que l’incidence a augmenté de
façon contemporaine du fait de la mise en place de programme
de dépistage dans certains pays (par exemple au Royaume-Uni
et en Suède) alors que dans d’autres pays comme la Finlande,
l’incidence du cancer du sein avait commencé à augmenter
préalablement au dépistage et ce dans toutes les tranches d’âge
(le taux d’incidence était en dessous de 100 pour 100 000 en
1950 et aux alentours de 200 pour 100 000 dans les années
1990). Les déterminants de l’augmentation d’incidence en
Europe sont donc différents d’un pays à l’autre et peuvent correspondre soit à des changements de profils de risque (modifications de la vie reproductive, du statut pondéral, des consommations alimentaires, des habitudes de vie, etc.) de la
population féminine, soit à l’impact du dépistage mammographique à l’échelle nationale et/ou à une vigilance accrue des professionnels de santé (disponibilité de moyens diagnostiques) ou de
la population féminine. Tous ces facteurs peuvent être associés ou
non, contemporains ou décalés dans le temps, rendant ainsi complexe l’explication des différences entre pays européens.
MORTALITÉ PAR CANCER DU SEIN EN EUROPE
L’augmentation d’incidence contraste avec la stabilisation,
voire la diminution de la mortalité par cancer du sein en
Europe. En effet, des années 1950 jusqu’en 1990 environ, la
mortalité a augmenté dans tous les pays (7). En 1995, le cancer
du sein représentait 17 % des décès féminins par cancer (8), ce
qui est aussi le cas en 2004 à l’échelle européenne. Cette stabilisation, voire cette diminution de la mortalité, a été observée
dans les pays européens, mais également au Canada et aux
États-Unis (9).
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Cette tendance s’explique d’une part grâce à l’amélioration de
l’efficacité et/ou à une meilleure adéquation des indications
thérapeutiques, en particulier des traitements adjuvants (hormonothérapie (10) et chimiothérapie (11, 12) et d’autre part,
grâce à l’impact du diagnostic précoce via le dépistage mammographique.
ÉVOLUTION DU PRONOSTIC
ET COMPARAISONS INTERNATIONALES
L’étude EUROCARE-3 (13) (European Concerted Action on
Survival and Care of cancer patients) qui estime la survie des
patients atteints de cancer dans 22 pays à partir des données de
56 registres européens (couvrant environ 100 millions d’habitants), montre que la survie relative globale à cinq ans est de
78 % pour le cancer du sein. Il s’agit de l’étude la plus récente
concernant le pronostic des cancers du sein en Europe. Les
patientes incluses dans cette analyse ont un cancer du sein diagnostiqué entre 1990 et 1994. Il existe entre pays européens
des différences de survie importantes. La France se situe parmi
les pays européens ayant le meilleur taux de survie, dépassant
la moyenne européenne avec la Suède, la Finlande, l’Italie et la
Suisse (taux de survie de l’ordre de 80 % à cinq ans). Les taux
de survie les plus bas sont observés en Grande-Bretagne, au
Danemark, au Portugal et dans les pays de l’est de l’Europe.
On observe également une variation du pronostic avec l’âge :
le taux de survie globale à cinq ans au niveau européen est
maximal entre 45 et 54 ans, puis diminue régulièrement alors
que l’âge au diagnostic augmente. Cela avait déjà été observé
dans les deux précédentes études EUROCARE, illustrant la
dégradation du pronostic pour les femmes les plus âgées,
constatation qui n’est pas retrouvée aux États-Unis sur les données du programme SEER (Surveillance Epidemiology and
End Results). Globalement, les différences de pronostics entre
pays européens peuvent être expliquées par une répartition
variable des stades au diagnostic en fonction des pays et/ou à
des différences de disponibilité des ressources thérapeutiques
(14, 15).
Coleman et al. (13) ont également analysé les évolutions des
taux de survie à 5 ans sur une période de 10 ans. Une amélioration de la probabilité de survie est observée dans la plupart des
pays européens. Cette avancée est surtout marquée dans les
pays de l’Europe de l’Ouest et du Nord, même si ces derniers
avaient en moyenne des taux de survie à 5 ans, au début des
années 1980, plus élevés que tous les autres pays européens
(figure 1). Le Royaume-Uni fait partie des pays où le pronostic du cancer du sein s’est fortement amélioré en 10 ans,
Blanks et al. (16) ont illustré cette évolution sur la période
1990-1998 et ont mis en évidence une réduction significative
de 21 % de la mortalité sur la tranche d’âge 55-69 ans, dix ans
après la mise en place du programme de dépistage organisé. Ils
ont estimé que 15 % de cette réduction pouvait être attribué
aux progrès thérapeutiques et 6 % à l’effet du dépistage mammographique, via la détection précoce.
L’amélioration du pronostic est aussi observée dans les pays
de l’Europe de l’Est, bien qu’il persiste un écart important
entre ces derniers et les autres pays européens (17).
Une étude récente (18) comparative des programmes SEER et
8
Figure 1. Cancer du sein. Évolution du taux de survie (%) à 5 ans en
fonction des pays en Europe et de la période du diagnostic. Patientes
dont le cancer du sein a été diagnostiqué entre 1983 et 1994 et suivies
jusqu’en 1999.
D’après Coleman MP et al. EUROCARE-3 summary: cancer survival in Europe
at the end of the 20th century. Annals of Oncology 2003;14(suppl.5):v128-9.
EUROCARE a mis en évidence des différences de survie entre
les États-Unis et l’Europe. Cet article rapporte la comparaison
du pronostic des patientes américaines et européennes dont le
cancer du sein a été diagnostiqué entre 1990 et 1992. Les données cliniques issues de registres du cancer de la population
américaine correspondaient à 13 172 femmes comparées aux
données de 4 478 patientes européennes. La différence de pronostic entre les américaines et les européennes s’expliquait
essentiellement par une différence de répartition des stades au
diagnostic ; les cancers T1N0M0 correspondaient à 41 % des
cancers du sein pour les Américaines et à 29 % pour les
Européennes. Les petites tumeurs étaient plus fréquentes chez
les américaines de plus de 70 ans (43 %) que chez les femmes
de 45 à 49 ans (36 %) ; l’inverse a été retrouvé pour les
patientes européennes ; les petites tumeurs représentaient 24 %
chez les femmes de plus de 70 ans contre 33 % pour les
femmes de 45 à 49 ans. Globalement, les cancers invasifs pT1a
≤ 5 mm de diamètre représentaient 3 % de l’ensemble des cancers du sein diagnostiqués aux États-Unis versus 1 % de
l’ensemble des cancers du sein diagnostiqués en Europe. La
prise en charge chirurgicale était, en revanche, équivalente sur
les deux continents. Les auteurs concluent que la différence de
pronostic entre les continents (taux de survie à 5 ans de 89 %
dans le programme SEER versus 79 % dans EUROCARE)
s’explique essentiellement par la différence de répartition des
stades au diagnostic. En effet, après ajustement sur le stade du
cancer, l’âge, le type de chirurgie, le risque de décès par cancer
du sein d’une femme européenne n’est pas significativement
différent de celui d’une américaine (RR : 1,07 ; IC 95 % :
0,98-1,17).
Le dépistage organisé du cancer du sein qui s’adresse en
France aux femmes de 50 à 74 ans devrait diminuer les tailles
tumorales au diagnostic, en particulier pour les femmes les
plus âgées qui se trouvent être moins impliquées dans le dépistage individuel que les femmes plus jeunes.
Le vieillissement de la population européenne, va conduire
inéluctablement à une augmentation du nombre de nouveaux
cas de cancers dans les années à venir, même si l’incidence
demeure stable dans le temps. Les efforts en particulier de prévention secondaire, de recherche de l’augmentation de l’efficaLa Lettre du Sénologue - n° 29 - juillet/août/septembre 2005
cité thérapeutique et d’adaptation de l’offre de soins sont donc
toujours une priorité en Europe, pour les cancers les plus fré■
quents de la femme européenne.
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