La prothèse métallique colique : une alternative à la colostomie en

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - nos 1-2 - janvier-février 2007
La prothèse métallique colique, une alternative
à la colostomie en urgence dans l’occlusion tumorale
colique gauche
Metallic colonic prosthesis, an alternative to emergency colostomy
in left colonic malignant obstruction
쐌쎲 P. Bichard*, E. Germain*, J. Auroux*, X. Roblin**
* Unité d’endoscopie digestive.
** Département d’hépato-gastroentérologie, CHU de Grenoble.
POINTS FORTS
La mise en place sous contrôle endoscopique en urgence
d’une prothèse métallique colique constitue une alternative
pertinente à la réalisation d’une colostomie dans l’occlusion
colique gauche par sténose tumorale.
La prothèse métallique colique constitue un traitement
provisoire de locclusion permettant la préparation colique
et la réalisation d’une chirurgie réglée en un temps chez
les patients opérables porteurs d’une tumeur pouvant être
réséquée chirurgicalement : bridge to surgery.
Pour les patients non opérables du fait du terrain et/ou
porteurs de métastases diffuses, la prothèse métallique
colique constitue un traitement définitif de l’occlusion
tumorale.
Mots-clés : Prothèse métallique colique – Occlusion mali-
gne recto-colique – Prothèse préopératoire bridge to sur-
gery – Traitement palliatif.
Keywords: Colonic stent – Malignant colorectal obstruction
– Bridge to surgery colonic prosthesis – Palliative treatment.
L’
occlusion tumorale est une complication révélatrice d’un
cancer colorectal dans 10 à 15 % des cas. Le traitement
d’urgence est chirurgical. La technique de référence est
une colostomie première de décharge suivie d’une résection
tumorale à 8-15 jours, l’alternative chirurgicale étant la réalisa-
tion d’une intervention de Hartmann. La mortalité des patients
pouvant bénéfi cier d’une résection tumorale varie de 2,7 à 15 %,
elle peut atteindre 30 % chez les patients ne pouvant bénéfi cier
d’une résection tumorale ultérieure (1). La première mise en
place d’une prothèse métallique colique (PMC) pour le traitement
palliatif d’un cancer colorectal occlusif a été rapportée en 1991 (2).
Deux techniques de pose avec un matériel spécialisé sont décrites :
mise en place sous contrôle radioscopique seul et mise en place
sous double contrôle endoscopique et radioscopique (3).
La mise en place d’une PMC est utilisée comme alternative à
la chirurgie en urgence dans deux situations :
le traitement palliatif défi nitif de l’occlusion en cas de contre-
indication à une chirurgie curative liée à la présence de métas-
tases non résécables ou à un terrain très altéré ;
– le traitement provisoire d’urgence de l’occlusion. La mise en
place d’une PMC permet ainsi la réalisation d’une préparation
colique, la résection chirurgicale de la tumeur étant eff ectuée
en un temps sans colostomie lors de la même hospitalisation.
Cette attitude est dénommée bridge to surgery. En cas de contre-
indication à une chirurgie curative diagnostiquée après la mise
en place de la PMC, la prothèse constitue le traitement défi nitif
de l’occlusion tumorale.
Une revue de la littérature publiée en 2005, colligeant 44 études
(4), rapportait la mise en place de PMC chez 1 198 patients, sous
contrôle mixte endoscopique et radiologique dans 68,5 % des
cas, comme traitement palliatif de l’occlusion chez 791 patients
et dans l’indication bridge to surgery chez 407 patients.
INDICATION DE MISE EN PLACE D’UNE PMC
La mise en place d’une PMC nest actuellement bien validée
que pour une tumeur occlusive située entre le haut rectum et
le transverse gauche.
L’indication est discutée chez un patient hospitalisé en urgence
avec un diagnostic d’occlusion colique sur les arguments cliniques
et un cliché d’abdomen sans préparation. Le diagnostic de locali-
sation de l’occlusion est actuellement porté sur la tomodensitomé-
trie. Le toucher rectal permet, en cas de perception au doigt de la
lésion, de contre-indiquer cette technique. La sténose tumorale
est située dans plus de 60 % des cas au niveau de la charnière
rectosigmoïdienne ou du sigmoïde. Le diagnostic de la malignité
de l’obstacle est à ce stade établi avec une forte présomption. La
réalisation d’une endoscopie diagnostique sans avoir la possibilité
de mettre en place immédiatement la PMC comporte un risque
de rétention d’air en amont de l’obstacle avec un risque de perfo-
ration diastatique du cæcum. Le diagnostic diff érentiel avec une
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Pôle inférieur tumoral
Fil-guide rigide en place Passage de la prothèse dans le canal opérateur de l'endoscope (≥ 3,7 mm), largage sous contrôle
radiologique et endoscopique
Franchissement par cathéter
Figure 1.
Technique endoscopique. Pose d'une PMC TTS Enteral Wallstent ™ non couverte.
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sténose bénigne sur diverticulite sigmoïdienne nest pas toujours
aisé. Ce diagnostic doit être évoqué de principe, la mise en place
d’une PMC étant contre-indiquée dans ce cas.
TECHNIQUE ENDOSCOPIQUE (fi gure 1)
Le délai de réalisation de l’intervention est idéalement de moins
de 12 heures. Le patient est installé sur une table de radiologie ou
au bloc opératoire avec une scopie mobile. La vidange du côlon
distal permet dans la majorité des cas de progresser jusqu’à la
sténose tumorale sans préparation colique.
Lendoscope comportant un canal opérateur d’un diamètre ≥ 3,7 mm
est poussé très prudemment jusqu’au pôle inférieur de la sténose
tumorale avec une insuffl ation minimale. La nature tumorale
maligne de la sténose est confi rmée avec une grande probabilité
dans la majorité des cas. Lopacifi cation par du produit de contraste
hydrosoluble injecté dans le canal opérateur de l’endoscope et/ou
par l’intermédiaire d’un cathéter permet de visualiser la sténose. Le
trajet tumoral est cathétérisé avec un fi l-guide hydrophile. Après
franchissement par le cathéter, lopacifi cation d’amont permet
d’estimer précisément la longueur tumorale et de déterminer la
longueur de la PMC à utiliser. Le cathéter doit être positionné suffi -
samment en amont de la sténose (dans le côlon descendant pour
une sténose sigmoïdienne) avant de le remplacer par un fi l-guide
rigide de 0,035 pouce. Les PMC actuellement les plus utilisées sont
en nitinol et non couvertes (fi gure 2). Le contrôle radioscopique
et endoscopique du positionnement de la PMC avant largage et
la surveillance du largage sont fondamentaux. La PMC doit être
centrée par rapport à la sténose. Une débâcle immédiate de selles
liquides suit l’expansion complète de la prothèse.
Il est préférable de mettre en place une PMC d’un diamètre
supérieur à 20 mm afi n d’éviter une obstruction par les matières
fécales. On dispose actuellement de PMC d’un diamètre de
25 mm, pouvant être posées par le canal opérateur du coloscope.
Dans notre expérience, les sténoses ont une longueur moyenne
de 50 mm. Dans plus de 70 % des cas, on sera amené à utiliser
des PME de 90 mm de longueur totale.
RÉSULTATS
Succès de mise en place de la PMC
Le succès technique défi ni par la mise en place et le déploiement
de la PMC était obtenu dans 93 % des cas (64-100 %) dans la
revue de Sebastian et al. (4).
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Figure 2.
Prothèses métalliques coliques. Modèles Boston
Scienti c : Wall ex™ (haut), Wallstent™ (bas).
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Le succès clinique défi ni par la levée de l’occlusion colique dans
les 48 heures, sans nécessité d’une réintervention, était obtenu
dans 88,6 % des cas (55-100 %), et dans 71,7 % des cas dans le
groupe bridge to surgery. En cas de succès technique dans ce
groupe, 78 % des patients pouvaient bénéfi cier d’une chirurgie
réglée en un temps.
Morbidité, mortalité
La morbidité rapportée était de 23 % (3) et était liée à trois prin-
cipales complications : une perforation survenant dans près de
4 % des cas, complication la plus grave, une migration survenant
dans 12 % des cas, complication la plus fréquente, et l’obstruction
de la PMC, rapportée dans 7 % des cas. La mortalité, de 0,58 %,
était liée cinq fois sur sept à une perforation et survenait six fois
sur sept dans une indication de traitement palliatif.
La perforation est le plus souvent précoce, survenant dans les
premières 48 heures dans 80 % des cas. Elle est due principa-
lement aux manœuvres de mise en place avec traumatisme
par le fi l-guide et aux dilatations pratiquées dans les premières
études. Il est actuellement admis qu’il y a une contre-indication
formelle à réaliser une dilatation préalable à la mise en place de
la PMC. La perforation peut être liée à la PMC elle-même, trop
rigide ou avec des extrémités traumatisantes avec les premiers
modèles de prothèse. La perforation précoce peut également
être provoquée par une ischémie cæcale préexistante ou par une
adhérence tumorale d’une anse grêle au contact de la sténose (5).
Des signes de menace de perforation, tels qu’une pneumatose
cæcale ou un épanchement péritonéal, doivent faire contre-
indiquer la mise en place d’une PMC. Une perforation liée à
l’érosion d’un diverticule a été rapportée (6). Une intervention
chirurgicale en urgence est le plus souvent nécessaire. Toutefois,
un traitement conservateur a pu être réalisé avec succès dans
20 % des cas.
Une migration de la PMC survient dans 10 à 15 % des cas (4, 7). Elle
est le plus souvent précoce : durant la première semaine dans deux
tiers des cas (4), 87 % au cours du premier mois (7). Elle est le plus
souvent expulsée par le patient, mais elle peut éventuellement être
extraite avec un rectoscope rigide. Une migration peut conduire
à la mise en place d’une nouvelle PMC ou à une intervention
chirurgicale. Cependant, dans près de la moitié des cas, il n’est pas
nécessaire de réaliser de geste complémentaire : en situation de
bridge to surgery, la PMC ayant permis de lever transitoirement
l’occlusion et de réaliser une chirurgie réglée, et en situation pallia-
tive, la migration tardive refl étant dans certains cas l’effi cacité de
la chimiothérapie sur la diminution du volume tumoral (7). La
mise en place d’un clip endoscopique aux deux extrémités de la
PMC en prévention de la migration été proposée (8).
Une obstruction de la PMC survient dans 10 % des cas. Elle
est liée à une prolifération tumorale entre les mailles ou aux
extrémités de la PMC, à une impaction de matières fécales ou
à une migration, et survient rarement en situation de bridge
to surgery (4).
La survenue d’hémorragie, pouvant nécessiter une transfusion
sanguine, a été rapportée dans 5 % des cas.
Les douleurs abdominales sont rares et contrôlables par les
antalgiques. En revanche, les douleurs rectales ou anales liées
à la mise en place d’une PMC trop distale peuvent être extrê-
mement invalidantes et nécessiter une intervention chirurgicale
dans des conditions diffi ciles.
E cacité de la PMC en bridge to surgery
Une chirurgie réglée est réalisée après la levée de l’occlusion,
la préparation colique et la correction des troubles hydroélec-
trolytiques, de façon idéale dans la semaine suivant la mise en
place de la PMC.
On dispose de deux études comparant la chirurgie en urgence
avec mise en place de PMC : une étude prospective non
randomisée portant sur 43 patients dans le groupe PMC et
sur 29 patients dans le groupe chirurgie en urgence (9), et une
étude rétrospective chirurgicale portant sur 16 patients dans
le groupe PMC et sur 17 patients dans le groupe chirurgie en
urgence (10).
Létude de Martinez-Santos et al. (9) était en faveur de la supério-
rité de la PMC en situation de bridge to surgery sur la chirurgie
en urgence en ce qui concerne la possibilité de réaliser une
ana stomose en un temps : 86,4 % (PMC) versus 41,4 % (chirurgie
en urgence), la réalisation d’une colostomie : 15,4 % (PMC) versus
58,6 % (chirurgie en urgence), la survenue de complications
sévères : 11,6 % (PMC) versus 41,2 % (chirurgie en urgence). Dans
le travail de Baqué et al., la diff érence était signifi cative en faveur
de la PMC en ce qui concerne le délai entre la levée de l’occlusion
et la colectomie : 18,5 jours (PMC) versus 73 jours (colostomie)
[p = 0,034], la durée d’hospitalisation : 19,3 jours (PMC) versus
32,7 jours (colostomie) [p = 0,02]. Néanmoins, de fortes réserves
ont été émises par cette équipe chirurgicale sur la mise en place
d’une PMC pour une tumeur accessible à un traitement curatif
du fait du risque de dissémination tumorale lors de la procédure
de la mise en place : une patiente du groupe PMC de l’étude avait
présenté une récidive locorégionale tumorale à 6 mois, mais
aucun autre cas na été rapporté jusqu’à ce jour.
Une étude d’analyse décisionnelle réalisée aux États-Unis (12) a
montré la supériorité de mise en place d’une PMC en bridge to
surgery sur la chirurgie en urgence chez les patients ayant une
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occlusion gauche tumorale. Le bénéfi ce était rapporté pour le
nombre de gestes chirurgicaux : 23 % de gestes en moins par
patient, le recours à la colostomie : 7 % versus 43 %, la morta-
lité : 5 % versus 11 %. Le coût moyen de l’hospitalisation était
diminué de 10 % par patient.
E cacité de la PMC en traitement palliatif dé nitif
Le problème de la perméabilité de la PMC se pose fréquem-
ment. Dans le travail de Ben Soussan et al. (6), seuls 53 % des
17 patients dont la survie moyenne était de 6 mois avaient un
transit effi cace jusqu’à leur décès. La prescription d’un régime
sans résidus et d’un traitement laxatif pourrait réduire le risque
d’impaction de matières fécales. En prévention de l’obstruction
prothétique, il a été proposé de réaliser un contrôle endoscopique
toutes les 6 à 8 semaines avec traitement endoscopique éventuel
de la prolifération tumorale (11). Une étude rétrospective (13) a
comparé la mise en place en urgence d’une PMC chez 30 patients
porteurs d’une tumeur colique en occlusion et la réalisation
d’une chirurgie en urgence chez 27 patients. La mise en place
d’une PMC permettait de réduire la durée d’hospitalisation :
10 jours versus 17 jours (p < 0,01) et d’éviter la réalisation d’une
colostomie défi nitive chez 1 patient contre 10 patients (p < 0,05).
Une chimiothérapie pouvait être conduite dans le groupe PMC
dans 70 % contre 59 % dans le groupe chirurgie, avec un délai
de mise en route du traitement signifi cativement plus court : 16
jours versus 36 jours (p < 0,005). Une étude européenne pros-
pective randomisée avec étude de coût menée chez 30 patients
en occlusion colique gauche néoplasique avec une tumeur non
résécable a comparé la mise en place d’une PMC et la réalisa-
tion d’une colostomie défi nitive (11). La durée moyenne de
survie était identique : 21,4 semaines (PMC) et 20,9 semaines
(colostomie). Le coût supérieur du matériel dans le groupe PMC
était compensé par une durée d’hospitalisation deux fois plus
courte : 28 jours (PMC) contre 60 jours (colostomie). Au total,
le coût moyen était proche dans les deux groupes avec une
diff érence de 6,9 % en faveur du groupe colostomie : 2 224 euros
(PMC) contre 2 092 euros (colostomie). Toutefois, les auteurs
concluaient en faveur de la PMC en raison de la meilleure qualité
de survie dans ce groupe et du retentissement psychologique
péjoratif de la colostomie.
INDICATIONS DISCUTABLES
Tumeurs rectales
La mise en place d’une PMC au tiers inférieur est contre-
indiquée sous peine d’entraîner un ténesme insupportable. La
prudence est également de mise pour les tumeurs des deux
tiers supérieurs. En eff et, un ténesme invalidant peut égale-
ment survenir pour une localisation au tiers supérieur. La
possibilité de réaliser une résection chirurgicale réglée avec
anastomose basse peut être compromise en raison de l’infl am-
mation pariétale liée à la PMC. Enfi n, en situation curative,
la réalisation d’une radiothérapie préopératoire avec PMC en
place na pas été validée.
Tumeurs proximales
Le traitement d’une occlusion colique proximale par PMC avec
une technique lourde (une PMC couverte plus une autre non
couverte) a été rapporté dans une courte série de 5 patients (14),
présentant un terrain très altéré et/ou à un stade métastatique.
CONCLUSION
La mise en place endoscopique d’une PMC fait partie de l’ar-
senal thérapeutique de la prise en charge de l’occlusion tumo-
rale colique gauche en urgence, que ce soit en préalable à une
chirurgie réglée ou comme traitement palliatif. La nécessité de
disposer en urgence d’une structure adaptée et d’une équipe
d’endoscopie formée à cette technique a limité jusqu’ici sa mise
en œuvre. La réunion de ces deux conditions est indispensable
pour convaincre nos collègues urgentistes, chirurgiens digestifs
et radiologues de la pertinence de cette technique.
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