La tradition bouddhiste

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La tradition
BOUDDHISTE
Le chemin vers l’Éveil
Nicole-Andrée Charbonneau
Simon Deraspe
en collaboration avec
Madelyn Fournier
Directeur de la collection
Jean-Marie Debunne
La tradition
BOUDDHISTE
Le chemin vers l’Éveil
Nicole-Andrée Charbonneau
Simon Deraspe
en collaboration avec
Madelyn Fournier
Directeur de la collection
Jean-Marie Debunne
La tradition bouddhiste
Auteurs
Directeur de la Collection Labyrinthes
Conception graphique
Révision linguistique
Illustrations
Photographies
Nicole-Andrée Charbonneau, enseignante à l’école
secondaire Félix-Leclerc (comm. scol. des Affluents)
Simon Deraspe, enseignant à l’école secondaire
Mont-Saint-Bénilde
en collaboration avec Madelyn Fournier, sociologue
Jean-Marie Debunne, professeur en éducation
religieuse à l’Université Saint-Paul
Les Éditions la Pensée inc.
Colette Tanguay
Louis Gilles Tremblay
Nelson Morneau, Suzie Bouchard,
Nicole-Andrée Charbonneau, Mathieu Boisvert,
Lynda Champagne
© Les Éditions la Pensée inc., 2001
Tous droits réservés.
On ne peut reproduire, enregistrer ni diffuser aucune partie du présent ouvrage, sous
quelque forme ou par quelque procédé que ce soit, électronique, mécanique, photographique, sonore, magnétique ou autre, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite de
l’éditeur.
Dépôt légal
Bibliothèque nationale du Québec, 2001
Bibliothèque nationale du Canada, 2001
Imprimé et relié au Québec
ISBN 978-2-89458-290-9
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du
Programme d’Aide au Développement de l’Industrie de l’Édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
«Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC»
LE «PHOTOCOPILLAGE» TUE LE LIVRE
T
a
b
l
e
d
e
s
Introduction
2
La jeunesse du fondateur du bouddhisme – un homme parmi les autres hommes
Entre mythe et réalité
4
La jeunesse de Siddharta Gautama 5
La naissance d’un prince
5
Une jeunesse heureuse d’enfant choyé et préservé
7
Siddharta fait quatre rencontres
9
Le prince décide de changer de vie
15
La vie de moine mendiant…
La quête de Siddharta 21
L’état d’éveil – l’illumination
4
19
26
Le Ministère du Bouddha et la formation de la communauté
La mort du Bouddha et les premiers conciles 32
La rupture au sein de la communauté 33
La doctrine du bouddhisme
34
Entrée en matière 34
L’enseignement du Bouddha – les quatre nobles vérités
30
36
L’expansion du bouddhisme – deux parcours distincts 40
Asoka: le diffuseur du bouddhisme en Inde
40
Description des principales écoles de la tradition bouddhiste 43
Le Bouddhisme du Petit Véhicule ou Theravada 44
Le Bouddhisme du Grand Véhicule ou Mahayana 45
Le Bouddhisme zen
46
Le Bouddhisme tibétain 47
Les lieux et les objets de culte de la tradition bouddhiste
Les lieux de culte
48
Les objets de culte
50
Les figures du Bouddha et les fêtes bouddhiques
Une iconographie rigoureuse
52
Les fêtes bouddhiques
54
Conclusion
Glossaire
48
52
56
57
Bibliographie
59
matières
La tradition
bouddhiste
Le sentier vers l’éveil
Nicole-Andrée Charbonneau
Simon Deraspe
Nelson Morneau
En collaboration avec Madelyn Fournier
I
ntrodu c t i o n
«Les religions en perte de vitesse!…» Qui
dit cela? Et pour quelles religions? Et pour
quelles raisons? Certes, s’il faut voir en ce
nouveau millénaire que certaines pratiques
religieuses connaissent leur déclin tandis
que d’autres sont complètement abandonnées par des croyants déçus; s’il faut
reconnaître que certaines religions meurent
à la naissance de nouveaux courants religieux, d’autres, bien au contraire, sont en
plein essor et pendant ce temps gagnent
le cœur d’Occidentaux de plus en plus
nombreux.
ces courants. À titre d’exemples, les livres
sur le bouddhisme abondent de plus en
plus sur les tablettes des librairies; dans les
médias, tant écrits qu’électroniques, de
nombreux reportages portent notamment
sur la sagesse bouddhique et sur les lois du
karma tandis que d’autres traitent entre
autres du grand dalaï-lama*1; certaines
revues spécialisées gagnent aussi en popularité en raison de leurs nombreux articles
sur la réincarnation; et ce ne sont là, bien
sûr, que quelques-uns des signes indiquant
l’intérêt manifesté pour cette tradition qui
nous vient de l’Asie du 6e siècle avant
Si l’on en croit certaines manifestations Jésus-Christ. Mais comment comprendre
médiatiques, le bouddhisme, une pratique que l’Occident, en ce début de millénaire,
de tradition orientale, est certainement de puisse démontrer un pareil engouement
Suzie Bouchard
Jeunes moines
bouddhistes.
2
_______________
1 Les astérisques renvoient au glossaire.
pour une tradition qui a vu le jour en Inde?
Peut-on supposer que l’idée d’une religion
qui ne se réfère pas à un Dieu, mais à une
expérience religieuse personnelle, puisse,
en effet, s’avérer attrayante à une société
moderne quand celle-ci, tout en se
questionnant sur l’existence de Dieu, se
sent par ailleurs attirée par la spiritualité?
Une hypothèse qui peut, bien entendu,
expliquer cet engouement, mais nous
pouvons aussi supposer que les grandes
incertitudes de l’Occident en regard de
certains dogmes et de certaines pratiques
religieuses ont pu aussi mener à ce besoin
d’un nouveau type de spiritualité. Le
bouddhisme, en raison notamment de ces
principes fondateurs et de l’approche
spirituelle qu’il propose, semble ainsi
répondre à certaines attentes, voire les
combler.
sance», «zen». On peut aussi penser à des
images telles que les rudes montagnes de
l’Himalaya que parcourent des moines peu
chaussés et sévèrement vêtus. Comment,
par ailleurs, ne pas rappeler ce personnage
au visage joufflu et au corps imposant que
d’aucuns connaissent surtout dans la
position assise, les jambes croisées?
Enfin, comment ne pas penser à
cette fameuse loi du karma qui
détermine la nature de la
réincarnation?
Dans cet ouvrage, nous reviendrons sur ces
représentations comme nous reviendrons
sur quelques-unes des grandes explications
pouvant motiver cet attrait pour le bouddhisme. Nous aborderons aussi bien sûr les
principes fondateurs de cette tradition
Pour de nombreux lecteurs et lectrices, des religieuse, mais comment intégrer cette
mots, des images, des symboles, des philosophie de vie, comment en saisir le
représentations colorent particulièrement sens sans en connaître d’abord son
cette doctrine. On peut ainsi penser aux fondateur. Sa naissance l’a prénommé
expressions telles que «nirvana», «renais- Siddharta, l’histoire l’a nommé Bouddha.
Bonne lecture et bon
apprentissage dans l’univers
de la tradition bouddhiste!
3
La jeunesse du fondateur
du bouddhisme
un homme parmi les autres hommes
Entre mythe et réalité
560 avant notre ère, tandis qu’il serait mort
vers 480. Les indianistes soutiennent ainsi
Le récit d’événements anciens, à partir de que Bouddha aurait vécu jusqu’à l’âge de
sources aussi lointaines que celles de la quatre-vingts ans, un âge vénérable conhaute antiquité, n’est pas une sinécure car, sidérant cette époque.
les données imprécises
Une période forte en grands
jointes à des documents À l’instar de plusieurs autres courants
personnages et événements…
douteux peuvent nuire religieux ayant tendance à magnifier le
Siddharta Gautama aurait vécu à
à l’authenticité des faits caractère unique et remarquable de leur
une époque à peu près contemporaine historiques.
fondateur, la tradition bouddhiste n’y
à d’autres grands chefs religieux tels
échappe pas et présente le jeune Siddharta
Lao-Tseu et Confucius, en Chine, ou
En raison de l’époque Gautama sous les traits d’un homme
Zoroastre, en Perse. De plus, à cette
éloignée où se déroule à l’intelligence exceptionnelle et doué
même époque, la science de
aussi la vie de Boud- d’une force surnaturelle. La même traPythagore s’affirmait en Grèce
tandis que le peuple juif endurait la dha, la distinction entre dition bouddhiste souligne aussi, d’autre
l’histoire personnelle part, les dimensions surhumaines de
déportation à Babylone et suivait
l’enseignement de prophètes tels que de Siddharta Gautama certains faits ayant marqué la vie de
et la légende qui entoure Bouddha; nous pouvons par exemple
Zacharie ou Malachie.
la vie de Bouddha2 est penser à certains événements inusités
difficile à établir. D’ailleurs, certains qui ont entouré sa naissance, mais aussi
auteurs ont longtemps remis en question aux circonstances qui ont motivé son
l’authenticité de ce récit, mais depuis, la départ du palais de son père, ou encore à
question ne se pose plus. La littérature celles qui l’ont mené à la grande vérité
actuelle met fin à ces doutes et une étude bouddhique, mais nous y reviendrons. Des
approfondie de textes anciens confirme les récits qui sont, de fait, parfois difficiles à
faits et situe approximativement la période distinguer de la réalité historique, mais
de la naissance et de la mort de Bouddha. entrons avec abandon dans cette légende et
Celui-ci, sous les patronyme et prénom de allons voir l’histoire de ce personnage
Gautama Siddharta, aurait vu le jour vers extraordinaire.
4
_______________
2 Selon la littérature, Bouddha signifie «le Sage» ou «l’Éveillé».
La jeunesse de Siddharta Gautama
La naissance d’un prince
Siddharta est le fils unique du roi
Suddhodana et de son épouse la reine
Maya. La tradition décrit celle-ci sous les
traits d’une jeune femme d’une grande
beauté. Siddharta est de la caste des ksatriyas* et de la famille des Shakya, clan
formant une confédération. Celle-ci s’étend
du sud du Népal jusqu’au Gange* et la cité
de Kapilavastu en est la capitale. On
appelle ce pays l’État de
Kosala, et ses habitants,
le peuple Gautama;
c’est ce royaume que le
jeune héritier est appelé
à gouverner après son
père. La famille de
Siddharta, ainsi que
lui-même dans la première partie de sa vie,
respectent et pratiquent
alors les préceptes de la
religion hindoue.
qu’un jour la jeune souveraine avait fait ce
songe: un petit éléphant blanc à six
défenses, avec la tête aussi rouge qu’un
rubis, la frappait au flanc droit et la
pénétrait pour la féconder. Ce même rêve
lui fit aussi entrevoir la naissance toute
particulière de son futur enfant: le nourrisson, en effet, allait voir le jour par
l’aisselle de sa mère.
Savais-tu que…?
On donne parfois
au Bouddha le
nom de Shakyamuni, titre qui
signifie «l’ascète
de la tribu des
Shakya».
La légende quant
à la naissance du
Bouddha est
étrange; elle
affirme que la
conception de
celui-ci fut
miraculeuse,
qu’aucun humain n’y
fut pour quelque chose3
et que Maya resta
chaste4. On raconte ainsi
_______________
3 Nous pouvons ici faire un certain lien avec l’enfantement de la Vierge-Marie dans la tradition chrétienne.
4 La littérature explique le désir de virginité de Maya par son respect pour une discipline religieuse de type ascétique.
5
Le lotus, fleur
sacrée de l’Inde,
est le symbole de
l’éveil spirituel.
Si la plante pousse
dans la boue, ses
fleurs, elles,
s’épanouisent
dans l’air pur.
6
Le lendemain matin, Maya informe donc
son mari, le roi, du songe qu’elle vient de
faire: «Maharajah, cette nuit, dans un rêve,
un éléphant blanc a percé et pénétré mon
flanc droit. Jamais de ma vie je n’ai connu
de bonheur aussi intense. Par conséquent,
de ce jour, je ne veux plus soumettre mon
corps au plaisir des sens et dès maintenant
laisse-moi faire appel à un sage en mesure
de me donner la signification de ce songe.»
Les sages consultés confirment tous la
chose: le rêve est de bon augure; l’éléphant
symbolise la sagesse alors que ses défenses
expriment la nature divine. Quant à l’arrivée au monde de l’enfant par l’aisselle de
sa mère, elle indique, toujours selon les
sages, la nature transcendante* de l’enfant.
On laisse aussi savoir au roi que Maya
engendrera un enfant saint et que celui-ci
deviendra, à son choix, un monarque
illustre ou un grand maître spirituel. Dès en raison des prodiges qui marquent sa
lors, son nom sera célébré aux quatre coins naissance et ensuite parce que le corps
de la Terre.
même de Siddharta présente les marques
de ce que l’on croit alors être celles de la
Dix-huit mois après ce songe, Maya perfection. En effet, lorsqu’on le présente
pressent l’enfantement et se rend seule aux au temple selon la coutume, les
bois de Lumbini5 près de Kapilavastu, où prêtres découvrent que l’enfant
se trouve l’une des résidences de son époux. porte sur son corps les trenteDans des circonstances étranges, l’enfant, deux grands signes de la
le futur bouddha, vient au monde. Ainsi, perfection ainsi que les
alors que debout sous un figuier la reine quatre-vingts petites mars’agrippe aux branches pour enfanter, une ques du «grand homme».
musique divine se fait entendre tandis que Les plus importantes
le ciel s’illumine d’une étrange lumière; du sont le cercle avec des
ciel tombe aussi une pluie de fleurs et un rayons sous la plante de
enfant dénué de toutes souillures, un ses pieds (roue de la vie),
enfant dont la peau est de couleur d’or, sort l’épaisseur de ses talons,
du flanc droit de sa mère; celle-ci, l’excroissance ou chignon
étrangement, ne ressent alors aucune des sur le sommet de son crâne, le
douleurs propres à l’enfantement.
duvet de poils très doux entre
ses sourcils, ses cheveux poussant
Au même moment, un dieu recueille le vers la droite et de très longs lobes
nouveau-né et fait son berceau d’un lotus d’oreilles. Soutenant les prédictions faites à
blanc. Dès ses premiers gestes, l’enfant Suddhodana suite au songe de Maya, ces
prend symboliquement possession du marques attestent, selon les prêtres que
monde: il se lève, fait sept pas en direction Siddharta est une «grande âme», qu’il est
de chacun des quatre points cardinaux, et destiné à un avenir glorieux, soit en tant
dans chacune de ses traces s’ouvre une fleur que puissant souverain soit en tant que
de lotus; il remarque aussi en posant son maître spirituel; on le dit déjà libérateur de
regard à droite et à gauche, devant et la souffrance terrestre. Cette deuxième
derrière lui que personne d’autre dans condition n’est certes pas de nature à plaire
l’univers n’est semblable à lui. Il prononce au roi qui voit plutôt dans l’enfant son
alors ces mots: «Ceci est en vérité ma unique et éventuel héritier.
dernière naissance et il n’y aura plus pour
moi d’autre existence. Je viens mettre un Une jeunesse heureuse d’enfant
terme à la souffrance, à la maladie et à la choyé et préservé
mort.» Non loin de là, au même moment, La reine meurt mystérieusement sept jours
naissent aussi Yasodhara, sa future épouse, après la naissance de l’enfant. Avant de
Channa, celui qui deviendra son fidèle mourir, elle confie celui-ci à sa sœur
Mahapajati, deuxième épouse du roi. Mais
cocher, et son valeureux cheval Kantala.
le roi lui-même se charge de l’éducation de
Son père le prénomme Siddharta, ce qui son fils, gardant à l’esprit la prédiction des
signifie «accomplissement parfait», d’abord sages. Craignant, en effet, que son fils ne
_______________
5 Aujourd’hui Rumindei au Népal.
Siddharta veut
aussi dire «celui
qui accomplit».
7
devienne un jour un gourou*, il le fait
surveiller étroitement. D’ailleurs, afin de
préserver son fils d’un possible désir
d’abandonner la vie mondaine pour se
consacrer à sa destinée spirituelle, le roi
met tout en œuvre pour que le jeune
homme ne pense qu’à devenir un grand roi
comme lui-même. Et il ordonne à ses
serviteurs que le spectacle de la laideur et
de la souffrance humaine soit désormais
banni du palais. Le bonheur et l’avenir de
son fils en dépend pense le souverain.
l’ignorance la plus complète de la condition
humaine. Chaque serviteur est choisi pour
préserver cette ignorance: ils sont tous dans
la force de l’âge, beaux et en parfaite santé.
Siddharta grandit ainsi, choyé dans
l’opulence et les rires de la cour. Son
existence n’en est pas pour autant
paresseuse et insouciante. C’est un jeune
homme à l’intelligence vive et il bénéficie
de l’enseignement des maîtres les plus
compétents; il passe donc la majeure partie
de son temps à lire et à étudier. Son père
l’incite aussi à se fortifier par la pratique
Sous les soins de son père, Siddharta passe des arts militaires ce qu’il fait en comdonc sa jeunesse dans un palais doré pagnie des meilleurs guerriers.
entouré de murailles et de forêts et dans
8
Quand Siddharta atteint l’âge de dix-neuf
ans, suivant l’avis de ses conseillers,
Suddhodana lui fait bâtir trois palais,
un pour chaque saison de l’année, où tous
ses désirs seront comblés. Afin d’exclure
définitivement ce qui pourrait stimuler,
chez son fils, le désir de commencer une
quête spirituelle, le souverain fait aussi
construire un quatrième palais; dans celuici abondent les plus jolies jeunes femmes
du royaume; sous l’ordre du souverain
celles-ci doivent respecter tous les désirs du
jeune Siddharta. Le souverain espère ainsi
retenir son fils par le plaisir des sens.
Le prince tombe effectivement amoureux;
c’est sa cousine Yasodhara. On met tout
en œuvre pour le marier et un tournoi de tir
à l’arc est organisé. La main de Yasodhara
est donnée en récompense. Siddharta joue,
gagne et épouse la jeune femme. La
légende raconte que cette union est tout à
fait naturelle, qu’il est prévu que Yasodhara
devienne la femme de Siddharta puisqu’un
lien les unit tous deux depuis déjà plusieurs
vies.
Pendant plusieurs années «dix ans», diront
certains auteurs, Siddharta a le sentiment
qu’il mène, avec son épouse, une existence
heureuse et comblée de bonheur. Si on
trouve de plus en plus souvent Siddharta
seul au pied d’un arbre et perdu dans ses
pensées, nul ne sait encore, ni même le
jeune prince que ce bonheur devient peu
à peu illusoire. C’est à la naissance de
son fils Rahula6 que Siddharta prend
soudain conscience d’un grand malaise
dans sa vie.
Siddharta fait quatre rencontres
C’est en effet en ce jour de la naissance
de Rahula qu’inspiré par les Dieux,
_______________
6 Rahula signifierait empêchement.
Siddharta est poussé par le besoin de sortir
du palais. Il a vingt-neuf ans, et sans la
permission de son père, il ne peut en sortir.
Le premier réflexe de Suddhodana fut de
s’inquiéter de cette demande soudaine du
prince. Cependant, conseillé par les sages,
le souverain concède que la chose puisse
être bonne pour l’avenir du prince et que
celui-ci devrait en effet effectuer une
tournée du royaume. Ne va-t-il pas un jour
le gouverner? Le roi et les sages s’entendent
également sur une autre chose: le jeune
prince doit absolument être toujours tenu
à l’écart de la souffrance et de la laideur.
Rien ne doit l’atteindre et le faire souffrir.
Rien ne doit choquer le regard de l’héritier.
Mille précautions sont prises dans l’organisation du voyage de Siddharta et des
ordres stricts sont donnés aux serviteurs
qui l’accompagnent.
Avant le passage du prince, on procède
donc au grand nettoyage de la cité.
Chacune des voies et des ruelles sont bien
balayées, les bâtiments rénovés, les maisons
décorées et parfumées; bientôt, règne dans
la ville l’ambiance des grands jours de fête.
Du même coup, on cache aussi tout ce qui
peut révéler à Siddharta la misère ou le
malheur des hommes. On oblige les handicapés, les blessés, les vieilles personnes,
les enfants malades, les pauvres, les
mendiants, tous à se terrer. Toute cette
facette de la triste condition humaine est
donc tue à Siddharta. Et cela dans un seul
objectif: maintenir l’intérêt du jeune prince
pour les affaires dans un royaume bien
mené et où tous sont heureux. Mais
derrière cet objectif, le roi veut surtout
empêcher son fils de se consacrer à la vie
religieuse, une destinée prédite par les
sages à la naissance de l’enfant.
9
Siddharta rencontre la vieillesse
Nicole-Andrée Charbonneau
C’est donc sur un char conduit par
Channa, son fidèle cocher, que le prince
passe enfin les portes du palais. En prenant
contact avec les habitants de la cité et en
traversant celle-ci de
toutes parts, Siddharta
est comblé et réjoui
par ce qu’il voit: son
peuple a le cœur en
fête et toute la ville
éclate de lumière et de
richesse. La première
journée de sa visite se
termine donc dans le
plus grand contentement. C’est du moins
ce qu’il pense, tout
10
heureux, sur le chemin du retour lorsqu’il
fait une étrange rencontre: sur la route un
vieil homme aux cheveux blancs, au corps
maigre et voûté, marche avec beaucoup de
difficultés et de souffrances.
«Channa!, demanda le prince, qu’est-ce
cela? Qui est cette créature? Pourquoi cet
homme a-t-il cette apparence? De mes
livres, j’ai entendu parler de la vieillesse,
mais je ne l’ai jamais vue. Est-ce cela? Et
pourquoi cela paraît-il si terrible?
— Vieillir, mon prince, entraîne beaucoup
de souffrances et de soucis; chez les hommes s’éteignent le plaisir des sens et les
douceurs de l’étreinte amoureuse. Aussi, la
vue s’amenuise, l’oreille devient sourde, la
mémoire se perd et le corps, vieilli, ne
répond plus autant aux demandes de
l’homme. Oui, mon prince, une bien triste
chose que la vieillesse.
— Est-ce que toi, Channa, est-ce que
Yasodhara, ma ravissante princesse, est-ce
que mon fils né en ce jour, et moi-même,
allons aussi un jour être semblables à cette
personne?
— Oui, mon prince, puisque telle est la
destinée de tous les hommes.»
Siddharta, troublé, presse son cocher de
rentrer au palais.
douleur, à l’épuisement et à des maux pires
encore; en quelques jours des épidémies
peuvent tuer des populations entières. Cet
homme est de ceux-là; il est atteint de
la peste, un fléau terrible dont beaucoup,
comme lui, mourront.»
Bouleversé, Siddharta exige de son cocher
de rentrer immédiatement.
Un moment face à la mort
De retour chez lui, Siddharta replonge
dans ses pensées. Sa réflexion autour des
Siddharta rencontre la douleur et
deux premières rencontres faites sur
la souffrance
la route le tourmente de plus en plus. Une
Quelques jours après ces événements, troisième visite effectuée dans le royaume
Siddharta redemande à son père l’auto- quelques jours plus tard accentue encore
risation de reprendre sa tournée. Le ce sentiment et ce qu’il en pressent le
souverain y consent mais exige
de ses serviteurs de recourir aux
mêmes précautions et plus encore:
seuls la beauté, le bonheur et la force
doit marquer le passage du prince,
excluant ainsi toute forme de laideur de son chemin. Et pour
la deuxième fois, Siddharta sort
de l’enceinte du palais. Au terme
de la journée, tout comme la
première fois, la visite s’achève
lorsque l’attention de Siddharta est
attirée par des bruits étranges.
Ceux-ci proviennent d’un champ
en bordure de la route. Écartant de
ses mains les hautes herbes,
Siddharta voit un homme recroquevillé sur le sol: atteint de la peste
celui-ci se tord de douleur. Troublé
encore, Siddharta questionne à
nouveau son cocher.
«Channa, est-ce là encore une situation où trouble énormément. En effet, en dépit
l’homme souffre?
de toutes les mesures prises par le souverain
— Certes, mon prince, dit le cocher, pour préserver son fils de toutes nouvelle
malheureusement le corps des hommes est tristesse et de toute nouvelle souffrance,
mortel: il est aussi sensible à la maladie, à la le prince n’est guère épargné.
11
Crémation d’un
corps aux abords
du fleuve sacré,
le Gange.
Au milieu de sa route, alors qu’il revient de
sa tournée de la ville, Siddharta voit des
gens qui portent le corps d’un homme
emmailloté; et ces gens pleurent. Ignorant
de cette tristesse, c’est encore le cocher qui
renseigne Siddharta sur la source de cette
souffrance.
«C’est la mort, mon prince, c’est la mort
qui ravit le frère, le mari, le fils de ces
femmes… Et ce petit garçon, qui ne sait
pas encore et qui rit de cette mouche sur sa
main, c’est le fils de cet homme. Bientôt,
demain sans doute, ou peut-être même ce
soir, cet enfant connaîtra lui aussi la
souffrance. On lui dira que plus jamais son
père ne rira avec lui. Voilà pourquoi toutes
ces larmes, mon prince.
Nicole-Andrée Charbonneau
— Et où vont ces gens ainsi; où mènent-ils
cet homme?
— Mais voyons mon prince, on le mène à
la crémation. C’est ainsi que le veut la
coutume de notre pays. La dépouille de cet
homme sera donc brûlée, ce soir, aux
abords du Gange.»
12
La richesse rencontre l’indigence
Sa découverte de la vieillesse, son
apprentissage de la maladie et sa rencontre
avec la mort troublent certes la réflexion de
Siddharta en regard de la connaissance
qu’il a eue jusque-là de la condition
humaine. Une quatrième rencontre, ajoutée aux trois premières, a cependant un
impact encore plus déterminant sur la vie
de Siddharta. Cette rencontre a lieu lors de
la quatrième sortie du prince dans le
royaume de son père. Cette fois, la rencontre l’étonne d’abord plus qu’elle ne le
fait souffrir: le vieil homme a la tête
complètement rasée et ne porte, en guise
de vêtement, qu’une simple tunique ou du
moins ce qu’il en reste, des haillons; ce que
l’on voit de son corps est enduit de cendre.
Assis en bordure de la route, appuyé sur un
bâton - sa seule fortune - l’homme présente
un visage calme et absent; il semble
indifférent aux bruits et aux gens qui
déposent parfois quelques aumônes dans sa
sébile.
«C’est un moine», explique aussitôt
Channa qui comprend le regard du prince.
«Ce moine mendie son quotidien, il
marche et médite; c’est tout ce qu’il fait
tout au long du jour. Tout au long de son
parcours il médite et ne se nourrit que
d’aumônes, soit bien chichement mon
prince.»
Surpris, Siddharta demande à son cocher
de lui expliquer pourquoi ce mendiant est
assis ainsi, dans cette position, les yeux
fermés. «Cet homme cherche la sainteté,
c’est le chemin usuel pour les religieux qui
veulent atteindre la libération.»
De plus en plus intéressé, Siddharta veut
aussi savoir si cette libération préserve
l’homme des tourments de la maladie, du
vieillissement et de la mortalité. «De telles
pratiques, marcher, mendier, se priver,
méditer, protègent-elles l’homme des
maux de la Terre?
— Les sadhus*, dit le cocher, considèrent
que les hommes de bien, c’est-à-dire ceux
qui évitent de faire le mal par la pensée ou
par les gestes, ceux qui souhaitent ardemment le bien pour chacun des vivants, ceux
qui considèrent comme passagers les
plaisirs de la chair, ceux-là alors peuvent
échapper aux souffrances humaines.»
13
14
Mathieu Boisvert
Le prince décide de changer de vie
apprécie la richesse; de ses doigts, il touche
Impressionné par les dernières connais- et fait tinter les verreries; le cristal étincelle
sances qu’il avait acquises au contact des sous les soins des servantes.
hommes et de leurs souffrances, décontenancé par les derniers propos de Channa Et pourtant, dans sa propre maison, les
sur la libération, Siddharta rentre au palais serviteurs, même les plus fidèles, ne
et prend conscience qu’en peu de jours des disposent que de peu d’espace pour dormir.
changements importants se sont opérés en Ils s’entassent côte à côte dans une seule et
lui: il n’est plus le même homme, jeune et même pièce et de vilaines paillasses leur
insouciant; il n’est plus aussi rieur et enjoué tiennent lieu de lit. Pendant ce temps, les
qu’auparavant. Sa vie, jusque-là douce et chiens des maîtres s’amusent et dorment
bienfaisante, lui paraît maintenant vide et sur des tapis magnifiques.
sans but. Sa femme, son fils, son père, ses
amis, plus personne ne peut apaiser cette Et pourtant, dans sa propre maison, les
tristesse et combler ce vide qui prend chiens des maîtres sont nourris des
naissance en lui. Rien, ni même son fils, ne meilleurs morceaux rapportés à la cuisine;
le fait plus rire ou sourire. La joie a disparu des morceaux de choix que les maîtres,
de son cœur et Siddharta paraît bien devant trop d’abondance, abandonnent
bouleversé.
dans les plats. Pendant ce temps, les
serviteurs, même les plus fidèles, ne
Soucieuse, Yasodhara s’inquiète de l’état de disposent que de riz et de quelques
son époux: «Es-tu souffrant, mon bien- communs légumes.
aimé?
— Yasodhara, écoute-moi, lui dit le prince, Siddharta prend soudainement conscience
écoute-moi bien mon épouse; je ne souffre que les chiens de la maison sont mieux
pas, pas vraiment de mon corps. Mon corps traités que les hommes et les femmes qui
est jeune, il est sans malaise, il est sans servent fidèlement son père et sa famille;
maux et il se porte bien. C’est mon âme qui que des hommes, des femmes, des enfants
souffre. C’est ce que j’ai vu à l’extérieur de de son royaume vivent dans l’indigence la
l’enceinte du palais qui me fait souffrir et plus grande; que beaucoup souffrent et
bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. meurent, en gueux, dans la misère la plus
Dehors, c’est la terre entière qui souffre. effrayante.
Dehors, les hommes pleurent, les hommes
ont mal, les hommes meurent!»
Siddharta prend soudainement conscience
que toute l’opulence dans laquelle lui et sa
Siddharta ne connaît plus le repos. Il perd famille vivent ne profite en fait qu’à
le sommeil et passe de longues nuits à quelques-uns: que tout est là pour répondre
réfléchir et à déambuler. Il marche dans les aux volontés de sa famille, et surtout, pour
jardins; il marche dans le grand palais de sa répondre au plaisir des sens; que tout est
famille; il traverse d’immenses pièces; il mis en œuvre pour combler leurs désirs et
touche de ses pieds le marbre doux et frais; leurs besoins les plus infimes. Son père,
il glisse sa main sur les boiseries et en Suddhodana, Mahapajati, la deuxième
15
• La tradition chrétienne
• La tradition islamique
• La tradition hindoue
• La tradition juive
• Le phénomène religieux
• Le guide des grandes religions
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