Mathieu GALLIOT-BISMUTH
Mémoire de Master1 Histoire Contemporaine mention Etudes Rurales
Sous la direction de M. Edouard Lynch
Université Lumière Lyon II
Année 2004-2005
LE VERCORS EN RESISTANCE
Les rapports entre villages et maquis dans les cantons de
La Chapelle-en-Vercors et Villard-de-Lans.
Mémoire soutenu le 26 septembre 2005 devant un jury composé par MM. Jean-Luc Mayaud,
Professeur des universités, et Edouard Lynch, Maître de conférence, tous deux professant à
l’Université Lumière Lyon II.
Ce jury accorda au présent mémoire la mention très bien.
Que reste-t-il encore à dire sur le Vercors ? Depuis plus de soixante ans maintenant,
nombreuses ont été les publications de témoignages et d’études sur ce sujet. Protagonistes de
la Résistance, historiens, acteurs du « Vercors » devenus historiens, les personnes s’étant
penchées sur cette page de l’histoire de France sont légion. Alors pourquoi un nouveau travail
de recherche concernant ce maquis ?
Parce que la parole n’a que très peu été donnée aux autochtones. Pourtant tous sont unanimes,
aussi bien les militaires que les jeunes maquisards et les Résistants des vallées voisines qui
envoyaient dans le massif « leurs » réfractaires au S.T.O. : sans l’aide de la population locale
rien n’eût été possible. Ainsi le thème des rapports entre le maquis et la population rurale qui
le soutient, et les changements que cela entraîne sur la vie de cette dernière, demeure encore
neuf. Nous tenterons donc dans les pages qui vont suivre de revoir l’histoire du maquis du
Vercors, mais cette fois du point de vue de la population qui habitait cette région.
L’implantation du maquis dans le Vercors fut celle d’une sorte de seconde société, mais
clandestine celle-ci. Malgré la nécessité de retrait pour cette dernière, question de sécurité,
elle ne pouvait vivre en complète autarcie, et était donc en interaction avec la population
autochtone. Rapidement elle s’est même trouvée dans une situation de dépendance. En ce qui
concerne les habitants du Vercors, la présence sur leur terre de ces « terroristes »(c’est ainsi
que les maquisards étaient appelés par les occupants et par Vichy) engendra des modifications
de leurs conditions d’existence. Nous verrons donc au cours de cette enquête comment des
liens se sont tissés entre ces deux « sociétés » d’une part, et d’autre part quels en furent les
conséquences sur les modes de vie, les quotidiens des habitants du plateau.
Cette étude s’arrête à la veille du « verrouillage » du plateau, avant une nouvelle phase dans
les rapports entre le maquis et la population du Vercors. La barrière temporelle du début de
l’été 1944 constitue donc une première limite à cette enquête. Une seconde qui pourrait être
formulée se situe cette fois sur un plan géographique. En effet il est légitime de se restreindre
à la zone formée par les seuls cantons de La Chapelle-en-Vercors et de Villard-de-Lans parce
qu’ils correspondaient au territoire concerné par le Plan Montagnards. Néanmoins nous
savons qu’il y eut aussi des maquisards en dehors de cette zone, notamment le C.1 d’Ambel.
Par ailleurs, toute une partie du réseau de Résistance du Vercors provenait de l’extérieur du
plateau. Que se soit de régions plutôt urbaines comme les agglomérations grenobloisse,
romanaises ou même Pont-en-Royans. Ou de régions rurales pourtant éloignée du Vercors,
remontant notamment jusqu’à la vallée du Rhône dans le département de la Drôme où
s’étaient organisés des groupes d’hommes qui avaient pour mission de collecter du
ravitaillement, et de gagner le plateau à l’heure de la mobilisation des Compagnies civiles.
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INTRODUCTION
Que reste-t-il encore à dire sur le Vercors ? Depuis plus de soixante ans maintenant,
nombreuses ont été les publications de témoignages et d’études sur ce sujet. Protagonistes de
la Résistance, historiens, acteurs du « Vercors » devenus historiens, les personnes s’étant
penchées sur cette page de l’histoire de France sont légion. Les premiers ouvrages qui lui
furent consacrés décrivaient avant tout l’attaque allemande et les atrocités qui furent
commises sur le plateau comme c’est le cas par exemple dans Le livre noir du Vercors1,paru
en 1944 ou dans Crimes hitlériens. Ascq. Le Vercors2, en 1946. Par la suite, c’est le thème de
la « trahison » qui a été développé. En effet un débat fut ouvert sur l’éventuel abandon du
Vercors par les plus hautes autorités de la résistance française à Londres et à Alger. De là
naquit entre autre Tears of glory. The betrayal of Vercors3en 1978. Puis dans une phase
suivante, ce sont les témoignages personnels, où militaires, maquisards, et simples civils
racontèrent leurs propres épopées ou celles de compagnons dont ils furent les témoins.
Cependant l’historiographie du Vercors a été ponctuée d’enquêtes qui sortirent du courant qui
dominait les publications de leur époque. Notons en premier lieu l’ouvrage de Paul Dreyfus
Vercors, Citadelle de la Liberté4paru pour la première fois en 1969. Première entreprise
visant à analyser l’histoire du Vercors depuis ses débuts jusqu’aux combats de juillet 1944, il
reste encore aujourd’hui un ouvrage de référence incontournable. Vient ensuite le
Témoignages sur le Vercors5de Joseph La Picirella, ancien maquisard et fondateur d’un
musée de la Résistance à Vassieux-en-Vercors. Dans ce livre essentiellement constitué de
témoignages comme son nom l’indique, pour la première fois la parole est donné aux
habitants du plateau. Il se démarque notamment par sa grande précision sur la narration des
faits, et par son style emprunt d’émotions. Plus récemment vient de paraître la « version
courte » de la thèse de Gilles Vergnon Le Vercors. Histoire et mémoire d’un maquis6,
principalement consacré à la place du maquis du Vercors dans la mémoire collective et à la
construction de sa Légende.
1Albert Béguin, Pierre Courthion, Paul Du Bochet, Richard Heyd, Georges Menkès, Lucien Tronchet, Le livre
noir du Vercors, Neuchâtel, Idées et Calendes, 1944.
2Louis Jacob, Crimes hitlériens. Ascq. Le Vercors, Paris, Mellottée, 1946.
3Michael Pearson, Tears of glory. The betrayal of Vercors, Londres, Macmillan, 1978.
4Paul Dreyfus, Vercors, Citadelle de la Liber, Grenoble, Arthaud, 1969.
5Joseph La Picirella, Témoignages sur le Vercors, Lyon, 14eédition, 1991.
6Gilles Vergnon, Le Vercors. Histoire et mémoire d’un maquis, Paris, Les Editions de l’Atelier/Editions
Ouvrières, 2002.
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Alors pourquoi un nouveau travail de recherche concernant ce maquis ? Parce que
comme nous l’avons dit, la parole n’a que très peu été donnée aux autochtones. Pourtant tous
sont unanimes, aussi bien les militaires que les jeunes maquisards et les Résistants des vallées
voisines qui envoyaient dans le massif « leurs » réfractaires au S.T.O. : sans l’aide de la
population locale rien n’eût été possible. Précurseur dans la place accordée aux habitants du
Vercors, Joseph La Picirella a été suivi dans cette idée par Suzanne et Paul Silvestre dans leur
ouvrage Chronique des maquis de l’Isère7: 1943-1944, paru en 1996. Pas seulement consacré
au Vercors, ce livre contient des passages où pour la première fois il est fait allusion aux
rapports villages/maquis sur le plateau. Nous reprendrons d’ailleurs plusieurs thèmes qui y ont
été abordés. Cette nouvelle orientation de la recherche sur l’étude des maquis semble
s’affirmer avec la parution en France en 1999 de A la recherche du maquis8, étude réalisée par
l’historien anglais Harry Roderick Kedward. Celle-ci repose sur l’analyse des relations entre
les maquis et les villages qui les bordent, dans le sud-ouest de la France. Il n’y est pas
question du Vercors mais les problématiques soulevées se rapprochent de celles que nous
aborderons.
Ainsi le thème des rapports entre le maquis et la population rurale qui le soutient, et
les changements que cela entraîne sur la vie de cette dernière, demeure encore neuf. Nous
tenterons donc dans les pages qui vont suivre de revoir, et non réécrire, l’histoire du maquis
du Vercors, mais cette fois du point de vue de la population qui habitait cette région. Avant de
se pencher sur les évolutions engendrées sur le plateau par l’activité des Résistants,
intéressons-nous à ce qu’était le Vercors avant la guerre.
En prélude à cette description, il nous faut tout d’abord définir un point : qu’est-ce que
le « Vercors ». C’est à dire, quel est l’espace géographique qui est déterminé par cette
appellation. Dans le cadre de notre enquête, nous retiendrons pour ce terme la zone formée
par deux cantons, l’un dans le département de la Drôme, l’autre dans celui de l’Isère, qui à
eux deux forment ce que l’on appelle le plateau du Vercors. Il s’agit respectivement des
cantons de La Chapelle-en-Vercors et de Villard-de-Lans. Ce découpage pourrait paraître
restrictif car en effet le Vercors au sens large descend beaucoup plus vers le sud jusqu’au
Diois, de même qu’il englobe quelques autres communes au nord et à l’ouest. Cependant,
c’est dans les deux cantons que nous avons cités que se trouvèrent la quasi-totalité des camps
de maquisards constitués par ce que nous appèlerons le réseau de Résistance du Vercors.
7Paul et Suzanne Silvestre, Chronique des maquis de l’Isère : 1943-1944, Grenoble, PUG, 1996.
8Harry Roderick Kedward, A la recherche du maquis, Paris, Cerf, 1999.
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Ainsi le massif découpé tel que nous l’avons fait correspond à une entité : « le maquis du
Vercors », tel qu’il était délimité dans le plan d’organisation militaire. De ce fait, le choix de
s’intéresser à ces deux cantons, s’il n’est pas sans poser des difficultés quant à la recherche en
archives, présente l’intérêt d’être le principal lieu de théâtre des « événements » du
« Vercors ».
Région rurale de moyenne montagne, le Vercors est à la veille de la Seconde Guerre
mondiale une terre de petites exploitations agricoles. La plupart d’entre-elles ne sont
exploitées que par un ménage, mais il arrive que celui-ci puisse recevoir l’apport d’ouvriers
agricoles. Dans la majeure partie des cas donc, seule la famille du cultivateur travaille sur
l’exploitation. Il lui faut alors pour la mettre à profit au mieux, faire participer tous ses
membres. Chacun est mit à contribution suivant ses moyens pourvu qu’il puisse mener sa
tâche à bien et, en quelque sorte, apporter sa pierre à l’édifice. Devant la rudesse du labeur de
paysan, on voit donc apparaître comme une « solidarité familiale » qui fait participer tout le
monde au travail. En effet dès l’âge de huit ans environ, on commence à confier des charges
aux enfants. Du fait de leurs capacités physiques qui sont encore faibles, ils reçoivent bien
souvent la mission de garder les troupeaux quand ceux-ci sont en champs. De leur côté les
femmes ne sont pas en reste. Elle sont, si l’on peut dire, les responsables de tout ce qui
concerne l’intérieur de la maison. Mais leur rôle ne se limite pas à cela. Elles prennent aussi
part à certains travaux agricoles. Evoquant les jours où son mari partait travailler en forêt avec
les vaches, cette dame raconte : « Il fallait se lever à trois heures du matin, soigner les vaches,
on leur donnait, comme on dit, d’abord deux données. On les faisait boire, on leur redonnait
une donnée, quand elles avaient fini, il fallait leur donner la farine, l’avoine, tout ce qu’il
fallait leur donner […] et puis mon mari partait avec bien souvent un ouvrier, avec deux ou
quatre vaches et le cheval, et il fallait qu’ils partent, ça dépend où ils allaient, une heure
avant le jour, pour être sur place comme le jour. Si c’était le jour à six heures, on soignait les
vaches de trois heures à cinq heures pour faire leur journée. Ils rentraient le soir, et quand ils
venaient, il fallait soigner les bêtes… Alors là, c’étaient des journées ! Et bien souvent […]
c’était moi qui me levais pour laisser mon mari se reposer un peu, qui donnais aux bêtes
[…] »9. Ce témoignage résume bien la participation des femmes au travail, dont les faits
relatés par cette dame n’en sont qu’un exemple parmi d’autres. On perçoit de plus dans ses
paroles l’état d’esprit de solidarité qui règne au sein de la famille quand elle dit qu’elle se met
9Jeannie Bauvois (dir.), Un siècle… Un hiver. Les traditions rurales de quelques familles du pays des Quatre
Montagnes à travers le témoignage oral, Grenoble, Parc Naturel Régional du Vercors, 1982, pp.65-66.
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