1
CHAPITRE 3 :
COMMENT ÊTRE
RELIGIEUX ?
2
LES RELIGIONS
COMME REMEDES INSTITUES CONTRE NOS MAUX
(ou comment l’on combat souvent le mal par le mal)
"Il est si facile de faire de Dieu une idole et nous en avons la preuve, la plus terrifiante d'ailleurs, dans le
fait qui passe trop généralement inaperçu, que Notre Seigneur lui-même a été condamné au nom de la
religion par les hommes de la religion, comme l'ennemi de leur religion. Ce sont les prêtres, c'est le
Prince des prêtres, le Grand Prêtre, ce sont les Docteurs de la Loi (…) qui ont vu en Jésus l'ennemi de la
religion" (Maurice Zundel, « Je parlerai à ton cœur »)
Chaque religion détient LE remède contre la souffrance
- La religion –ou l’idéologie- rendrait-elle les conflits plus virulents, opérant comme un facteur de
radicalisation ?
- Je le crois, car il y a alors passage de l’avoir à l’être. Quand les seuls intérêts sont en cause, il est
toujours possible de négocier. Pas lorsque l’enjeu est d’ordre existentiel, qu’il touche l’idée que l’homme se
fait de lui-même, la manière dont il se définit en tant qu’être humain (…)
Une conviction, c’est plus qu’une opinion. C’est une opinion où la sensibilité est engagée (…)
La dimension religieuse, c’est le tragique de la condition humaine. Il y a en tout être humain comme une
insatisfaction fondamentale. Sans doute peut-il se contenter de ce qu’il a, même s’il a peu, mais il ne se
contente pas de ce qu’il est. Ce manque, c’est son angoisse.
(Regis Debray, in « Actualités Des Religions », mai-juin 2003)
Nous avons vu qu’il n'y a pas de vie possible dans le doute.
Le doute est la maladie de l’âme humaine qui la réduit à l’impuissance.
Le chamanisme est un système destiné avant tout à penser le malheur, à en garantir les humains
ou à les en soulager, qu’il s’agisse de maladies, de problèmes économiques, climatiques ou
politiques…
L’objectif des religions africaines est le salut temporel. Elles se préoccupent moins d’éternité
bienheureuse que de maintien de l’harmonie ici-bas…
Le marabout désigne à l’origine le saint musulman qui vit retidu monde. Par un glissement
de sens, surtout dans les pays d’Afrique noire, il en est venu à signer le guérisseur qui
s’appuie, pour soigner, sur les écritures coraniques. Ce glissement s’est fait à l’époque du
colonialisme. Le terme « marabout » est employé surtout par les Européens.
En hébreux, Jésus -« Yehoshua »- signifie « Yahvé sauve ».
« Hosanna » est la francisation de l’hébreu « Hos iah-na » et signifie littéralement : « Donne le
salut » (« Sauve-nous ! »).
En grec, sauver (« sôzein ») signifie délivrer mais aussi guérir. Le Sauveur est « Celui qui
guérit »…
Prescrire, du grec « paraggellô », verbe construit sur le mot « aggelos » qui a donné « ange »
(messager) et Evangile (bonne nouvelle). Prescrire n’est pas d’abord enseigner, instruire ou
commander, mais transmettre un message ou un ordre.
Si l’on tient compte des récits parallèles entre Evangiles, ceux-ci présentent au total quinze
guérisons et trois résurrections
3
Quant aux lettres des apôtres, elles ne relatent pas les miracles de Jésus, et n’attachent pas
grande importance aux guérisons accomplies dans les premières communautés chrétiennes…
Pourtant dès le XIIIè siècle en Allemagne, le peuple catholique prie saint Denis contre la rage,
saint Blaise contre les maux de gorge, saint Erasme contre les maux d’intestins, saint Guy contre
l’épilepsie, saint Gilles contre les possessions, saint Eustache contre le feu, etc…
Comme le rappelle Jean Delumeau, « la christianisation intensive conduite par les deux Réformes à
partir du XVI siècle constitua un effort sans précédent pour spiritualiser les conduites quotidiennes (…)
Ils proposèrent résolument une religion désincarnée, d’une incroyable austérité. L’excès même de leurs
exigences révèle en négatif la situation qu’ils voulaient à tout prix modifier une situation de
« paganisme » -c’était leur propre terme- dans laquelle prier, c’est d’abord demander la santé, des bonnes
récoltes, des succès ici-bas. »1
La guérison joue un rôle important dans le mouvement pentecôtiste, une branche du
protestantisme née à l’aube du XXè siècle en Amérique et au Pays de Galles, qui regroupe
actuellement entre 200 et 400 millions de personnes dans le monde.
Issue du protestantisme nord-américain, la vague du Renouveau charismatique a gagné la
France vers le milieu des années 70.
Dans la sphère catholique, elle a suscité des dizaines de groupes de prière2. Vedette de ce
mouvement qui met l’accent sur l’effusion de l’esprit, le père Tardif remplit les stades du
monde depuis vingt ans pour guérir. Les télévisions se l’arrachent. En septembre 1996, il officie
un vrai show en direct à Beyrouth devant 80 000 personnes.
La hiérarchie de l’Eglise catholique, elle, se montre très prudente quant à l’homologation des
guérisons miraculeuses. Et aujourd’hui plus que par le passé : de 1947 à 1993, sur 29 guérisons
inexpliquées par les médecins, seules 19 ont été retenues comme miraculeuses…
Cette prudence est bon aloi tant est forte la tendance humaine à rechercher dans la religion un
remède à la maladie du doute (foi), à la résignation devant la fatalité absurde du malheur
(espérance), à la division mortifère (charité).
Or un être humain ne peut vivre dans la certitude que si ses activités sont reliées les unes aux
autres, si, autour d'une véricentrale, il peut organiser -rendre vivante comme un organisme-
toutes ses autres activités sans exception.
Mais tout mouvement religieux de rassemblement (cf l’autre étymologie latine “relegere” =
recueillir, rassembler) peut devenir violent s’il viole l’ordre harmonieux des choses ; ce qui
arrive facilement dès que la conception du religieux qui l’anime se substantifie et devient
Religion.
Toute Religion se proclame détentrice de La Vérité transcendante et universelle (en grec :
“katholikos”).
En réalité, répondant plus à un besoin qu’au Désir, la religion part de ce qu’elle consire
comme le p.p.c.m. de l’humanité, la souffrance (le mal comme principe).
Puis elle pose LE diagnostic, révèle LE remède et prescrit L’ordonnance miracle.
Dès que l’on passe aux capitales, on sort des limites humaines du médecin de l’âme et l'on
rencontre souvent le gourou.
Le traitement qu’il prescrit étant, par définition, infaillible, les limites de son pouvoir ne sont
que celles de la croyance (dévotion) de son patient.
1 « Le Christianisme va-t-il mourir ? » 1977
2 Dont Les Béatitudes, Le Chemin Neuf, L’Emmanuel, Béthanie, Le Pain de vie….
4
Ainsi les religions salvifiques qui se proclament détentrices de dogmes3 (du grec « dogma » : ce
qui paraît bon) dérivent-elles souvent en totalitarisme.
Entré éclopé en religion, on en ressort alors borgne et fou furieux.
Dans la Rome antique, le fanatique (de « fanum »= temple) désignait le prêtre de Bellone, la
déesse de la guerre, qui, pris d’un délire sacré, allait jusqu’à s’automutiler.
L’histoire témoigne qu’aucune religion n’est à l’abri de dérives violentes.
Surtout quand le principe de séparation des pouvoirs spirituels et temporels n’est pas respecté.
Petit historique des rapports entre l’Eglise catholique et « les princes de ce monde »
« le Christianisme s’est mis du côté des patrons, en trahissant l’Evangile, du côté des patrons, du côté des
pouvoirs, du côté des empereurs, du côté des rois. » (Maurice Zundel, « Je parlerai à ton cœur)
Pour ceux qui aimeraient accéder à un texte bien plus solide et synthétique que celui-ci
concernant ce sujet4, je recommande la lecture du livre de l’historien Jean Delumeau « Le
Christianisme va-t-il mourir ».5
Son deuxième chapitre, « L’Eglise et le pouvoir » commence ainsi : « Avec le recul du temps, il
apparaît que le principal péché de l’Eglise au cours des âges est d’être devenue un pouvoir, et donc, par la
force des choses, un instrument d’oppression. »
L’histoire des relations entre l’Eglise chrétienne et la politique est une suite de conflits de pouvoir
entre le religieux et le temporel.
La France a joué dans cette histoire un rôle de premier plan.
Le français reste d’ailleurs la langue officielle du pape : dans les assemblées internationales, les
discours officiels sont toujours prononcés en français.
Au IVè siècle, l’empereur romain Constantin Ier le Grand se convertit au Dieu d’amour en le
prenant pour un Dieu guerrier (suite à une vision lui serait apparu un signe -le chrisme,
monogramme du Christ-, accompagné d’une devise : « Triomphe par ceci »). La croix apparaît
sur les enseignes et les étendards. Les déserteurs sont excommuniés…
En 325, réuni sous l’instigation de Constantin, le Concile de Nicée condamne l’hérésie arienne.
Prônée par Arius, un prêtre d’Alexandrie, l’arianisme nie la consubstantiali du Fils avec le
Père : le Christ n’est « que » la première des créatures.
Après la mort de Théodose en 395, l’immense empire de Rome est partagé en deux, l’Orient et
l’Occident. Les évêques se substituent alors peu à peu à l’administration romaine défaillante.
Pendant cinq siècles, alors que l’Orient prospère, l’Occident vit dans une atmosphère de
violence et de guerre permanente, faisant face aux vagues d’assauts barbares.
C’est à cette époque que la doctrine de l’Eglise est la plus hostile à la guerre.
L’évêque de Rome s’impose progressivement comme le chef de l’Eglise chrétienne, alors que
pour les églises d’Orient, il n’est jamais que l’un des cinq patriarches, avec ceux de Jérusalem,
d’Alexandrie, d’Antioche et de Constantinople.
Au début du VIè siècle, l’Occident est aux mains des envahisseurs barbares. A Rome, règne
Théodoric, le roi des Ostrogoths, qui est arien. Il fait emprisonner le pape Jean Ier qui meurt en
détention en 526.
3 Points de doctrine établis ou regardés comme des vérités fondamentales et incontestables.
4 Je ne l’avais pas lu à l’époque j’ai écris ces notes.
5 1977
5
Dans la seconde partie du VIè siècle, Justinien Ier, l’empereur romain d’Orient, enhardi par ses
victoires (dont la reconquête de l’Italie), entreprend de réaliser l’unité de l’Empire et de la
chrétienté. S’ensuivent les prétentions du patriarche de Constantinople au titre
« œcuménique », ce qui indispose le pape de Rome.
Pendant la première moitié du VIIsiècle, 26 papes se succèdent. Ils sont souvent en conflit
avec les empereurs d’Orient qui maintiennent une tutelle et interviennent dans les conciles en
imposant des compromis théologiques « hérétiques » (l’iconoclasme par exemple).
De plus, les empereurs d’Orient n’aident pas efficacement les papes à défendre Rome contre les
envahisseurs lombards ariens.
Le pape Etienne II se saisit alors de la fausse donation de Constantin, un document dont il
revendique l’authenticité avec la complicité de Pépin le Bref et qui lui accorderait des territoires
immenses au cœur de l’Italie assortis de la dignité impériale. En 754, démarche sans précédent,
il vient sacrer roi Pépin le Bref, à Saint-Denis. En contrepartie, le roi des Francs monte une
expédition contre les Lombards qui encerclent Rome. Le premier des Carolingiens donne
officiellement à l’Eglise les terres reprises. C’est la naissance des Etats de l’Eglise. Le pape,
patriarche de l’Occident, devient chef d’Etat.
Pour Adrien Ier (pape de 772 à 795), le pouvoir spirituel (l’«auctoritas » des pontifes) est
supérieur au pouvoir temporel (la « potestas » des empereurs). En même temps, voyant dans le
roi des Francs un allié stratégique, il le pousse vers l’Empire. A l’adresse de Charles, fils de
Pépin, il utilise le surnom impérial de »magnus » (grand).
Son successeur, Léon III, reçoit une lettre Charles donne sa conception de la primauté du
pouvoir de l’Empereur : « A moi, il appartient, avec l’aide de la divine piété, de défendre la sainte
Eglise du Christ par les armes (…) A vous, Très Saint Père, il appartient, élevant les mains vers Dieu
avec Moïse, d’aider par vos prières au succès de nos armes. »
En 797, l’impératrice byzantine Irène écarte du pouvoir son propre fils, Constantin VI. Elle lui
fait crever les yeux en signe de déchéance et se proclame « basileus » (« empereur »). Scandale
aux yeux des Francs : « Une femme sur le trône impérial ! Autant dire qu’il était vide ! » écrit Michel
Rouche6. Deux ans plus tard, Léon III se fait attaquer en pleine rue, puis enfer par des
conjurés romains. Il s’échappe et se réfugie auprès de Charles… qui voit là une configuration
dont il peut tirer avantage : « Jusqu’à présent trois personnes ont été au sommet de la hiérarchie dans
le monde » -écrit son conseiller anglo-saxon Alcuin-, le pape, l’empereur et Charles. « Le
successeur de Pierre est renversé, le trône impérial est vacant. Il ne reste debout que le roi des Francs. »7
Charles voit donc dans son futur sacre l’institution de sa supériorité de fait.
Effectivement, en l’an 800, en remerciement de son secours contre les Lombards, Léon III lui
remet la couronne d’empereur d’Occident. En échange, l’Eglise reçoit de vastes territoires. Mais
le combat pour la primauté du pouvoir se poursuit et le pape contre-attaque : il inverse à son
avantage les phases du cérémonial pratiqué à Constantinople, couronnant Charles avant son
acclamation par le peuple, alors qu’en Orient, l’acclamation par le peuple et l’armée est l’acte
primordial et constitutif. Charlemagne encaisse et retient la leçon.
Treize ans plus tard, quelques mois avant de mourir, il rassemble les grands du peuple franc
dans le palais d’Aix, et leur fait acclamer empereur son fils Louis. Mais Louis le Pieux -Clovis-
n’est pas d’accord avec son père. En 816, il se fait couronner empereur à Reims, en souvenir du
baptême de son homonyme, et il s’intitule « par la Providence divine, empereur auguste. »
Parallèlement s’envenime une autre querelle de préséance, avec le patriarche de
Constantinople, qui, en 867, déclare le pape déposé.
6 In « Le Nouvel Observateur », hors-série n°40, début 2000.
7 Michel Rouche
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