Dans la seconde partie du VIè siècle, Justinien Ier, l’empereur romain d’Orient, enhardi par ses
victoires (dont la reconquête de l’Italie), entreprend de réaliser l’unité de l’Empire et de la
chrétienté. S’ensuivent les prétentions du patriarche de Constantinople au titre
« œcuménique », ce qui indispose le pape de Rome.
Pendant la première moitié du VIIIè siècle, 26 papes se succèdent. Ils sont souvent en conflit
avec les empereurs d’Orient qui maintiennent une tutelle et interviennent dans les conciles en
imposant des compromis théologiques « hérétiques » (l’iconoclasme par exemple).
De plus, les empereurs d’Orient n’aident pas efficacement les papes à défendre Rome contre les
envahisseurs lombards ariens.
Le pape Etienne II se saisit alors de la fausse donation de Constantin, un document dont il
revendique l’authenticité avec la complicité de Pépin le Bref et qui lui accorderait des territoires
immenses au cœur de l’Italie assortis de la dignité impériale. En 754, démarche sans précédent,
il vient sacrer roi Pépin le Bref, à Saint-Denis. En contrepartie, le roi des Francs monte une
expédition contre les Lombards qui encerclent Rome. Le premier des Carolingiens donne
officiellement à l’Eglise les terres reprises. C’est la naissance des Etats de l’Eglise. Le pape,
patriarche de l’Occident, devient chef d’Etat.
Pour Adrien Ier (pape de 772 à 795), le pouvoir spirituel (l’«auctoritas » des pontifes) est
supérieur au pouvoir temporel (la « potestas » des empereurs). En même temps, voyant dans le
roi des Francs un allié stratégique, il le pousse vers l’Empire. A l’adresse de Charles, fils de
Pépin, il utilise le surnom impérial de »magnus » (grand).
Son successeur, Léon III, reçoit une lettre où Charles donne sa conception de la primauté du
pouvoir de l’Empereur : « A moi, il appartient, avec l’aide de la divine piété, de défendre la sainte
Eglise du Christ par les armes (…) A vous, Très Saint Père, il appartient, élevant les mains vers Dieu
avec Moïse, d’aider par vos prières au succès de nos armes. »
En 797, l’impératrice byzantine Irène écarte du pouvoir son propre fils, Constantin VI. Elle lui
fait crever les yeux en signe de déchéance et se proclame « basileus » (« empereur »). Scandale
aux yeux des Francs : « Une femme sur le trône impérial ! Autant dire qu’il était vide ! » écrit Michel
Rouche6. Deux ans plus tard, Léon III se fait attaquer en pleine rue, puis enfermé par des
conjurés romains. Il s’échappe et se réfugie auprès de Charles… qui voit là une configuration
dont il peut tirer avantage : « Jusqu’à présent trois personnes ont été au sommet de la hiérarchie dans
le monde » -écrit son conseiller anglo-saxon Alcuin-, le pape, l’empereur et Charles. « Le
successeur de Pierre est renversé, le trône impérial est vacant. Il ne reste debout que le roi des Francs. »7
Charles voit donc dans son futur sacre l’institution de sa supériorité de fait.
Effectivement, en l’an 800, en remerciement de son secours contre les Lombards, Léon III lui
remet la couronne d’empereur d’Occident. En échange, l’Eglise reçoit de vastes territoires. Mais
le combat pour la primauté du pouvoir se poursuit et le pape contre-attaque : il inverse à son
avantage les phases du cérémonial pratiqué à Constantinople, couronnant Charles avant son
acclamation par le peuple, alors qu’en Orient, l’acclamation par le peuple et l’armée est l’acte
primordial et constitutif. Charlemagne encaisse et retient la leçon.
Treize ans plus tard, quelques mois avant de mourir, il rassemble les grands du peuple franc
dans le palais d’Aix, et leur fait acclamer empereur son fils Louis. Mais Louis le Pieux -Clovis-
n’est pas d’accord avec son père. En 816, il se fait couronner empereur à Reims, en souvenir du
baptême de son homonyme, et il s’intitule « par la Providence divine, empereur auguste. »
Parallèlement s’envenime une autre querelle de préséance, avec le patriarche de
Constantinople, qui, en 867, déclare le pape déposé.
6 In « Le Nouvel Observateur », hors-série n°40, début 2000.
7 Michel Rouche