Histoire du Japon préhistorique et protohistorique Page 3 Le modèle chinois Page 7 La période de Heian Page 11 La période de Kamakura Page 15 La période de Muromachi Page 19 Les trois unificateurs Page 23 Le shogunat des TOKUGAWA : la période d'Edo Page 27 L'Ere Meiji Page 32 L'Ere Taisho et la 1ère partie de l'Ere Showa Page 36 2e partie de l'Ere Showa et début de l'Ere Heise Page 40 Page 2/43 - Histoire du Japon, 1ère partie Japon préhistorique et protohistorique Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 10 000 av. JC au milieu du VIe siècle ap. JC. Le cadre géographique Le Japon est formé d'un archipel tout en longueur, d'une superficie de 378 000 km2. Quatre îles composent, du nord au sud, la majeure partie de son territoire : Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu. Au large de cette dernière, les Ryukyu (Okinawa) n'entrent, comme Hokkaido, que tardivement dans le giron japonais, à partir du XVIIe siècle. Les quatre îles principales s'étendent d'une latitude correspondant à la région lyonnaise, jusqu’à une autre, voisine du sud du Maroc. Elles appartiennent à la zone tempérée de l'hémisphère nord, mais connaissent de grandes variations climatiques, d'Hokkaido, affectée par la froidure sibérienne, aux Ryukyu subtropicales. Les eaux du Japon sont rendues poissonneuses par la rencontre du courant froid Oyashio et du courant chaud Kuroshio. Depuis les temps anciens, la mer Intérieure, située entre Honshu, Shikoku et Kyushu, n'a pas constitué un obstacle pour les communications. En revanche, depuis l'archipel nippon, il faut compter au minimum180 km pour rejoindre la Corée, et 800 km pour rallier la Chine. Aussi, suivant les époques, celui-ci s'est ouvert sur le continent asiatique ou replié sur lui-même. Géologiquement, le Japon est une terre récente et volcanique. Située dans la zone de contact de deux plaques tectoniques, elle est secouée par de fréquents tremblements de terre. Extrêmement montagneuse, ses plus grandes plaines, rares, se trouvent dans les régions du Kansai (Osaka, Kobe, Kyoto) et du Kanto (région de Tokyo). L'archipel nippon se révèle également pauvre en matières premières. Les hommes La population du Japon s'élève à environ 126 millions d'habitants. Elle présente des caractéristiques homogènes et des traits physiques mongoloïdes proches de ceux des Coréens ou des Chinois. Il est cependant difficile de dater à quel moment advint ce processus d'homogénéisation. Car, si la présence humaine est attestée dans l'archipel 30 000 ans av. J.-C., notamment par l'existence d'une civilisation précéramique, le peuple japonais est issu, à la base, du mélange de plusieurs apports de populations successifs. Ceux-ci vinrent, depuis la Préhistoire, de différentes parties du continent asiatique ; voire étaient, en partie, d'origine malayo-polynésienne. Un tel creuset a abouti à l'émergence des ancêtres des Japonais actuels qui, à défaut d'unité anthropologique, se sont différenciés de leurs voisins continentaux par leur insularité, leur langue et leur culture. Ils ont colonisé l'ensemble de l'archipel, aux dépens des Ainu (lien article id=129), peuple peut-être d'origine sibérienne ou de Protocaucasiens, plus proches des Blancs que des Mongoloïdes et caractérisés par une pilosité abondante. Les Ainu furent progressivement repoussés vers le nord (Hokkaido), assimilés par la force et le métissage, jusqu'à pratiquement disparaître aujourd'hui. Le Japon actuel compte également deux minorités importantes : le peuple des îles Ryukyu, et les Coréens, descendants des travailleurs forcés venus durant la première partie du XXe siècle. Jomon Page 3/43 De 10 000 av. J.-C. à 300 av. J.-C., une civilisation de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, venant peut-être de Sibérie et centrée sur le Nord-Est du Honshu, s'étend à tout l'archipel nippon, d'Hokkaido aux îles Ryukyu. Elle va même se prolonger encore durant de nombreux siècles dans les villages de montagne ou chez les Ainu du nord du Japon. Les hommes d'alors se confectionnent des ustensiles divers et des pointes de flèches à l'aide de pierres taillées ou polies et à partir d'os. À l'aide d'arcs, ils chassent le sanglier, les cervidés et le petit gibier, en compagnie de chiens, les seuls animaux domestiqués. De nombreux amas de restes de coquillages (kaizuka), souvent devenus des dépotoirs ou des lieux de sépulture, ont été retrouvés près de campements de pêcheurs, sur les zones littorales. On y consommait aussi des mammifères marins et divers poissons. Le nom de civilisation Jomon provient des "motifs cordés" qui caractérisent les céramiques de cette époque, décorées à cru au moyen de bâtonnets enveloppés de cordelettes roulés sur leurs flancs. Ces poteries permettent de cuire et de mieux conserver les aliments. Mieux nourrie, la population augmente en nombre et se sédentarise. Celle-ci se concentre dans des hameaux comprenant une douzaine d'habitations semi-enterrées (tateana), recouvertes d'un toit de branches et de feuillages, percé d'un trou afin de laisser s'échapper la fumée du foyer. Ultérieurement, ces villages adoptent une disposition en arrondi, autour de places ou de monuments mégalithiques (cromlechs) pouvant servir à la célébration de rites, ou utilisés comme tombeaux. Les morts sont inhumés en position accroupie, et la coutume de l'extraction des dents est très répandue. En fin de période, les fouilles ont révélé l'enterrement des petits enfants défunts dans des jarres. La question de savoir si l'agriculture fait son apparition pendant la civilisation Jomon reste très discutée. La basse époque voit sans doute l'émergence de la culture de céréales sur terrain sec. Yayoi Du IIIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C. intervient une nouvelle civilisation. Venue probablement du sud de la Chine, elle est centrée sur la partie septentrionale de l'île de Kyushu, puis s'étend graduellement vers le nord de l'archipel nippon. Elle est nommée Yayoi, d'après le quartier de l'actuelle Tokyo où ont été découverts les premiers exemples de céramiques caractéristiques de cette période. Outre les poteries, fabriquées avec un tour, la civilisation Yayoi se distingue, bien que l'élevage ne se développe guère, par la généralisation d'une agriculture fondée sur la riziculture sur terrain inondé. Celle-ci va demeurer, jusqu'à la deuxième partie du XIXe siècle, la base de l'économie japonaise et ses techniques d'exploitation, nonobstant quelques améliorations, vont se perpétuer jusqu'à nos jours. Les habitations, proches de celles de la période Jomon, et des greniers sur pilotis, sont regroupées au sein d'agglomérations éventuellement fortifiées de talus en terre battue et de rondins de bois. En dehors de la maîtrise de la riziculture, cette époque voit l'apparition des objets en bronze, dont l'usage est limité d'abord à des rituels religieux (dotaku), puis en fer, en fin de période. Pour ce qui concerne plus particulièrement le travail des métaux, les modèles pour les armes (hallebardes) et pour les outils provenant de Chine. Cette dernière rayonne alors culturellement, suite à son unification par le premier empereur QIN SHIHUANGDI (221-210 av. J.-C.) ; puis à la poursuite de son oeuvre de centralisme politique par la dynastie HAN (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.). C'est également sous ces monarques que le bouddhisme est introduit dans l'Empire du Milieu. Les chroniques chinoises de la dynastie WEI, leWeizhi (IIIe siècle ap. J.-C.), font référence aux Japonais d'alors, parlant d'un "Pays des Wa" (Pays des "Nains"...). Page 4/43 À ce moment, l'organisation politique de l'archipel est marquée par une division en de nombreux petits États tribaux. Une reine-prêtresse, HIMIKO ("Fille du Soleil"), serait à la tête d'une confédération regroupant une partie d'entre eux. Ce mystérieux "Pays de la Reine" ou royaume du Yamatai, vraisemblablement situé dans le nord de Kyushu, aurait envoyé un tribut aux Chinois en 238 ap. J.-C. Ces sociétés agraires, plus ou moins structurées, où les guerriers doivent jouer un rôle important, obéissent à des monarques-chamanes, guides spirituels plus encore que politiques. Ainsi, HIMIKO, qui n'apparaissait jamais au commun de ses sujets, aurait gouverné en tandem avec son frère cadet, par l'intermédiaire duquel elle aurait commandé à son peuple. Kofun et État du Yamato À partir de la fin du IIIe siècle ap. J.-C., des cavaliers lourdement armés d'arcs et d'épées de fer, protégés de cuirasses de métal et de cuir, imposent progressivement, partis du nord de Kyushu, un pouvoir centralisé dans la plaine du Yamato (région de Nara, île principale de Honshu). La question de leur origine est discutée. Il s'agirait peut-être de "peuples cavaliers" altaïques arrivés, depuis steppes continentales et via la Corée, par vagues successives dans l'île de Kyushu. Ils auraient formé une aristocratie qui aurait imposé sa suzeraineté aux populations rurales Yayoi, en se plaçant au sommet de leur hiérarchie sociale. À moins que l'évolution économique locale n'ait abouti à la création d'une couche sociale supérieure de guerriers autochtones, nourris par le travail des paysans. Ces cavaliers sont à l'origine d'une nouvelle civilisation dite des "Anciens Tertres" (ou kofun). En effet, ce ne sont plus des poteries, mais des monuments funéraires qui servent de critère déterminant pour cette période. Ces tombeaux monumentaux, des tumuli en forme de "trou de serrure" pour les plus connus, sont bâtis pour les hauts dignitaires de leur aristocratie, dans le Kyushu et le Honshu, du IIIe jusqu'au VIIe siècle ap. J.-C. Ils sont entourés de plusieurs rangs de cylindres-figurines en terre cuite. Ces haniwa serviraient, sur le modèle des coutumes chinoises, de substituts à des victimes sacrificielles accompagnant, à l'origine, le défunt dans sa dernière demeure. À moins que leur usage ne se résume à retenir la terre du tumulus. Quoi qu'il en soit, de telles sépultures n'ont commencé à être fouillées que tardivement, après la Deuxième Guerre mondiale. Car certaines font l'objet d'une vénération particulière, vues comme les tombes des premiers empereurs japonais. Selon le Kojiki et le Nihon Shoki, les plus anciennes sources historiques traditionnelles japonaises (début du VIIIe siècle ap. J.-C.), la cour impériale japonaise aurait été établie dans les années 660 av. J.-C. par le premier empereur JIMMU . Celui-ci aurait quitté Kyushu pour, guidé par un faucon, faire la conquête du Yamato. Cependant, comme JIMMU, les dix, sinon les trente premiers monarques japonais (660 av. J.-C. à 538 ap. J.-C.) ont vraisemblablement été inventés pour soutenir la comparaison avec les très anciennes dynasties chinoises. Cependant, cette légende nationale repose certainement sur le souvenir de la soumission progressive de peuplades antagonistes par un groupe unique de cavaliers venus de Kyushu, jusqu'à la fondation du royaume de Yamato. Mais cette unification politique daterait en fait du IVe siècle ap. J.C. Ainsi, les premiers dirigeants de cet État du Yamato donnent naissance à la famille impériale. Sa dynastie règne encore aujourd'hui sur le Japon. Pétris de croyances chamaniques, ces monarques se réclament alors de la descendance de la déesse solaire AMATERASU. Le grand sanctuaire d'Ise, dont les bâtiments en bois sont aujourd'hui encore reconstruits tous les 20 ans, renferme les trois trésors impériaux : un miroir en bronze symbole de la divinité, un sabre de fer et un bijou magique en forme de croc (magatama). De tels mythes se greffent à ceux dus aux périodes antérieures Jomon et Yayoi pour former la religion proprement indigène du Japon. Celle-ci est appelée ultérieurement shinto (voie des dieux), pour la différencier du bouddhisme, importé au Japon au VIe siècle ap. J.-C. Outre la vénération de la déesse solaire et de multiples divinités (kami), notamment protectrices des clans guerriers, ou la célébration du culte des ancêtres, le shinto fait la part belle au panthéisme et à l'animisme. On établit des fêtes religieuses et des sanctuaires, entre autres dans des lieux naturels propices à des manifestations surnaturelles. Les pratiques rituelles sont marquées par un grand souci de pureté : importance des ablutions et des bains chez les Japonais, défiance à l'égard de tâches incompatibles qui mettent en contact avec la mort, le sang et la souillure en général. Page 5/43 À partir du Ve-VIe siècles ap. J.-C., le roi du Yamato, appelé Okimi, et sa cour vivent dans un palais, dont l'emplacement est changeant, dans la région de Nara. De grandes familles forment des clans (uji), chargés d'une fonction spécifique auprès du souverain, comme les NAKATOMI, prêtres shintoïstes, ou les MONONOBE et les OTOMO, employés à des fonctions militaires. Ces uji sont eux-mêmes à la tête de corporations regroupant des artisans spécialisés (be). Les chefs de ces clans tentent de s'allier le plus possible à la dynastie régnante, en lui fournissant des épouses et en occupant les plus hautes fonctions d'une hiérarchie de titres honorifiques. Les plus puissants d'entre eux se font construire des kofun comparables par leur taille à ceux de leurs monarques, portant de plus en plus ombrage à leur puissance. Après la fondation du royaume du Yamato, son autorité ne va s'étendre que progressivement à la totalité de l'archipel nippon, du fait de la résistance contre les ancêtres des Japonais actuels de populations aborigènes. Il s'agit en particulier des Hayato (Kumaso) du sud de Kyushu, combatifs jusqu'au VIIIe siècle ; ou des Ainu (Emishi, Ezo), graduellement repoussés jusqu'au nord du Honshu et à Hokkaido, où ils ne sont définitivement soumis qu'au XIXe siècle. On trouve dans le Kojiki et le Nihon Shoki une symbolisation de ces luttes en la personne du légendaire prince YAMATO TAKERU , futur treizième empereur SEIMU, qui affronte ces "barbares" du Sud et du Nord. De 369 jusqu'à 562 ap. J.-C., le Yamato aurait également disposé d'une tête de pont sur la péninsule coréenne (Mimana), suite aux conquêtes de l'impératrice-régente JINGU KOGO. De nombreux immigrés coréens affluent alors dans l'archipel nippon et y sont à l'origine d'apports culturels très importants. Page 6/43 - Histoire du Japon, 2e partie Le modèle chinois Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon du milieu du VIe siècle après J.-C. à 794. L'introduction du bouddhisme (538/552 - 645) L'histoire du Japon ancien, ou royaume du Yamato, ne débute réellement qu'avec l'introduction du bouddhisme, en 538 ou 552 ap. J.-C. selon les sources. Il n'est alors qu'un État aux structures assez primitives, dont la cour est divisée par des rivalités claniques. Il ne domine encore que partiellement les trois îles de Honshu, Kyushu et Shikoku. Pour fortifier son unité et étendre son influence à tout l'archipel, il va s'appuyer, tout en conservant ses spécificités, sur le modèle politique que lui offre la Chine et sur une doctrine religieuse importée : le bouddhisme. Fondé au VIe siècle av. J.-C., dans le nord-est de l'Inde, par un prince népalais, Siddhartha Gautama (Bouddha) , le bouddhisme s'appuie sur une philosophie qui vise à l'extinction du désir, source de souffrances, dans le but d'atteindre l'"éveil" et la suprême félicité (nirvana) permettant de s'affranchir du cycle des réincarnations. Il donne lieu à la création de nombreuses écoles réparties en deux branches principales, nommées le Petit et le Grand Véhicule, et se diffuse dans différentes parties de l'Asie, dont la Chine et la Corée actuelles. À partir du début du IIe siècle ap. J.-C., la Chine des HAN installe des commanderies et influence grandement la péninsule coréenne. Celle-ci, outre le Mimana (ou pays de Kaya) bientôt conquis par les Japonais d'alors, est divisé en trois royaumes antagonistes : Koguryo, Silla et Paekche. En 538 ou 552, le roi de ce dernier fait partir pour Asuka – l'une des premières capitales du Yamato, située près de l'actuelle Nara – une mission diplomatique sollicitant l'alliance de son souverain. Le monarque du Paekche envoie notamment une lettre vantant les mérites de la nouvelle religion, des rouleaux de saintes écritures, et une représentation de Bouddha. Malgré cette introduction officielle du bouddhisme au Japon, il y est certainement connu depuis au moins le siècle précédent, amené par des réfugiés coréens, voire chinois ; les mêmes qui ont contribué à la sinisation culturelle croissante de l'archipel. L'esprit de tolérance du bouddhisme s'accorde d'ailleurs bien de la préexistence de croyances locales (shinto), voire favorise les syncrétismes. Mais son adoption contribue à aggraver au Yamato les rivalités claniques qui opposent les NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour et les MONONOBE, guerriers favorables aux croyances autochtones, aux SOGA, tenants de la nouvelle religion. Au point que, si certains historiens font des SOGA une famille issue de la plaine du Yamato, d'autres leur attribuent une origine coréenne. SOGA no Iname, chef des SOGA qui s'est appuyé sur le changement pour accentuer sa puissance, occupe une position dominante équivalente à celle de premier ministre du souverain du Yamato. Il accapare en fait la réalité du pouvoir au profit de son clan, tout en se gardant de remettre en cause l'existence de la dynastie régnante. Un tel schéma politique allait se répéter constamment dans l'histoire du Japon. Après la mort de YOMEI, monarque du Yamato, et les luttes de succession qui s'ensuivent, SOGA no Umako, fils d'Iname, défait les MONONOBE et les NAKATOMI à la bataille de Shigisan (587). Il fait intrôniser SUSHUN, fils de YOMEI de mère SOGA, puis le fait assassiner et remplacer par une parente, SUIKO. Un certain nombre de femmes vont d'ailleurs ainsi régner jusqu'à la fin du VIIIe siècle. Mais un autre fils de YOMEI, également de mère SOGA, SHOTOKU Taishi (572-622) est nommé prince héritier et régent. Grâce à SHOTOKU, homme politique, saint bouddhiste et lettré familier des classiques chinois, la nouvelle religion renforce ainsi son statut de religion d'État, aux côtés du shinto. Les membres de la cour et de la noblesse clanique s'y rallient en grand nombre. En 593, le premier grand temple bouddhique, le Shitenno-ji ou "temple des Quatre Rois gardiens", est fondé (actuelle Osaka). D'autres suivront, construits sur des modèles coréens. Page 7/43 Après une longue période de division, l'empire chinois réunifié retrouve à ce moment toute sa magnificence sous la dynastie SUI (581-618), puis leurs successeurs les TANG (618-907). La cour du Yamato va s'inspirer du modèle politique offert par la Chine et échanger avec cette dernière de nombreuses ambassades (600-838) qui entraînent l'arrivée dans l'archipel de moines, d'artistes, d'artisans chinois et de textes bouddhiques. Dans ses relations avec la Chine, le monarque du Yamato est, pour la première fois, désigné sous le nom de tenno, encore en vigueur aujourd'hui. Plus que l'appellation occidentale d'empereur, il désigne un "Souverain céleste", assimilé à l'étoile polaire. Entre alors également en usage le mot Nihon (Japon), grosso modo le pays du Soleil levant. Le temps va être désormais mesuré en ères, plusieurs intervenant parfois sous le règne d'un même empereur. Vers 603-604, SHOTOKU institue à la cour, sur le modèle de la Chine et de sa culture prestigieuse, un système de "rangs" et de fonctions distingués par le port de chapeaux de différentes couleurs. Mais les cadres du système administratif de l'État vont rester plutôt des membres de la grande noblesse clanique acquérant leur fonction par la naissance plutôt que par le mérite comme les mandarins chinois recrutés par concours. On attribue également à SHOTOKU la promulgation d'une "Constitution en dix-sept articles" inspirée par le confucianisme et le bouddhisme. À sa mort, selon les chroniques japonaises, l'archipel compte "46 monastères, 816 moines et 569 nonnes". Mais le premier bouddhisme japonais se cantonne aux cercles aristocratiques et aux communautés monastiques. Il ne va se diffuser que lentement parmi le peuple. Le renforcement du régime impérial (645-710) Après la mort de SHOTOKU, les SOGA gagnent encore en puissance, se retournant même contre son héritier, qu'ils assassinent. Ils constituent de plus en plus un danger pour la dynastie régnante. Mais ils sont finalement éliminés par une conspiration qui vise à consolider le régime impérial (645). Le coup de force est dirigé par NAKATOMI no Kamatari, dont le clan avait été évincé un temps par les SOGA, et le prince NAKA no Oe. Celui-ci, futur empereur TENCHI, préfère exercer le pouvoir réel en coulisse et laisse pour le moment le trône à son parent KOTOKU (règne : 645-654). Dès lors, toute une série de réformes et de codes, inspirés de la Chine des TANG, vont être instaurés afin de renforcer l'autorité impériale et de doter le Japon d'un gouvernement centralisé. Ainsi, les réformes de l'ère Taika (du "Grand Changement") réaffirment le principe de primauté de l'empereur et de l'appartenance au seul État de la terre et des hommes. Les grandes familles, dont on veut ainsi réduire le pouvoir, doivent se contenter, en principe, de charges de fonctionnaires et de compensations financières. Une nouvelle organisation administrative et son personnel sont également mis en place. Les régions entourant la capitale forment une circonscription particulière, nommée le Kinai. Le reste des territoires de l'archipel sous la domination de l'empereur forme sept provinces divisées en "pays", "préfectures" et "villages" de cinquante familles. En outre, le Kyushu connaît une forme de gouvernement militaire particulier. Une division de la société en classes sociales est fixée : l'aristocratie, le peuple des hommes libres, constitué par la masse des paysans, et les "gens vils" (semmin), descendants d'anciens esclaves. Une répartition par découpage géométrique des terres, en fonction du nombre de bouches à nourrir par famille, révisée périodiquement par des recensements, est aussi instaurée. Une telle rationalisation vise à optimiser la collecte centralisée de l'impôt, payé en nature, riz et tissu (développement de la sériciculture). Les paysans doivent des corvées à l'État, tâches agricoles et périodes de garde militaire, notamment dans l'est du Honshu, encore insoumis à la cour à l'époque. Parmi les autres mesures prises sous le règne de KOTOKU pour réduire la puissance de la grande noblesse clanique, un édit interdit la construction de nouvelles tombes monumentales privées (fin des kofun), dont la splendeur portait atteinte au prestige impérial. Page 8/43 Peu après, les relations que le Japon entretenait avec la Corée connaissent une fin brutale car il doit y faire face à une intervention des Chinois et au royaume coréen de Silla. Ce dernier, déjà vainqueur du Mimana en 562, va bientôt réaliser l'unité de la péninsule à son profit. Une flotte japonaise envoyée à l'aide de son rival le Paekche est défaite à la bataille d'Haksukinoe (663) . L'empereur TENCHI fait bâtir de nouvelles fortifications dans l'archipel afin de prévenir une éventuelle invasion chinoise. Aussi, l'établissement d'un pouvoir fort va se poursuivre, sous le règne de TENCHI (662-672) et, après une querelle de succession et la mise au pas de nobles non encore soumis, sous celui de son frère TEMMU (673-686). Les réformes de Taika trouvent des améliorations dans celles du code Taiho (701). Au tournant du VIIe siècle, le Japon dispose donc d'un gouvernement centralisé, imité des institutions chinoises, dont les caractéristiques vont perdurer très longtemps. À sa tête, se trouve l'empereur et le Grand Conseil d'État, avec son premier ministre et deux ministres, l'un de la Droite et l'autre de la Gauche, chapeautant une administration divisée en huit départements. Bien que le bouddhisme fasse alors figure de religion officielle, la présence d'un département du culte shinto dans les plus hautes sphères de l'État marque cependant la spécificité nationale du Japon. La période de Nara (710-794) En 710 est achevé la construction de Heijo (Nara). La nouvelle ville, bâtie sur le modèle de Chang'an, la capitale des TANG, forme presque un carré, avec un palais impérial au nord, une large avenue qui coupe la cité en deux à partir du sud de cet édifice et des rues qui se coupent en angle droit. Elle occupe une position stratégique centrale dans l'archipel facilitant la transmission des ordres et le recouvrement de l'impôt. Pour la première fois, le Japon se dote d'une capitale qui se veut permanente. Auparavant, les interdits religieux liés à la souillure faisaient changer de capitale après la mort de chaque souverain. Mais les rouages de l'État deviennent trop lourds pour tolérer de continuels déménagements.Les premières pièces de monnaie japonaises, en cuivre, font également leur apparition à ce moment (708). Le Kojiki et le Nihon Shoki, chroniques achevées respectivement en 712 et 720, assoient la légende nationale de l'origine divine de la dynastie impériale. Les lettrés de la cour écrivent en chinois, langue des intellectuels. Mais une littérature proprement japonaise, utilisant les caractères chinois, commence à se développer avec, notamment, le Man'yoshu, une anthologie de plus de 4500 poèmes d'auteurs appartenant à toutes les couches de la population. Une grande Statue de Bouddha (Daibutsu) et le temple en bois du Todai-ji devant l'abriter (749-752) sont construits à Nara. L'enceinte de ce dernier accueille également bientôt le "musée" (Shoso-in) des collections de l'empereur SHOMU (règne : 724-749) : des objets précieux venus de Chine, d'Asie mineure, Perse et Inde par la route de la soie. Ce monarque généralise aussi la fondation de temples bouddhiques d'État dans tous les territoires sous son autorité. Cependant, malgré la nationalisation des terres au siècle précédent, qui visait à réduire la puissance des grandes familles, celles-ci se constituent de vastes domaines exemptés de taxes, du fait du défrichement de nouvelles terres, des donations impériales et de mesures gouvernementales contradictoires. Ainsi, les NAKATOMI, rebaptisés FUJIWARA par faveur impériale d'après le nom d'une éphémère capitale de la fin du VIIe siècle, occupent une place éminente et marient leurs filles aux souverains. Les monastères bouddhiques bénéficient aussi de dons de grands domaines défiscalisés de la part de pieux empereurs et impératrices, constituant de plus en plus un nouveau pouvoir et un danger pour la dynastie en place. Page 9/43 Le phénomène est amplifié par une ordonnance de 743 qui reconnaît la propriété privée à perpétuité des nouveaux territoires, formant des manoirs (shoen), gagnés à l'agriculture par défrichement, notamment dans l'est du Honshu, au dépens des peuples aborigènes. D'autant que les paysans préfèrent échapper à un impôt impérial trop lourd en se plaçant sous l'autorité des nobles et des institutions religieuses. Par ailleurs, vers la fin du VIIIe siècle, ils voient supprimer leurs corvées militaires. Ce qui va renforcer la formation, avec le temps, d'une nouvelle classe de guerriers professionnels, recrutés parmi les cadets des grandes familles et la petite noblesse. À Nara, des rivalités opposent six grandes écoles (sectes) bouddhiques, héritières de courants de pensée chinois. Ces divisions sont d'ailleurs entretenues par des bonzes originaires du continent. Un moine guérisseur appelé DOKYO, Raspoutine de son temps, exerce son ascendant sur une impératrice régnante, fille de SHOMU, mais est banni quand il tente de s'approprier le pouvoir. Il est alors décidé que les femmes ne pourront plus monter sur le trône. Les empereurs KONIN (règne : 770-781) et KAMMU (règne : 782-806) vont tenter de réduire la puissance des monastères. Un nouveau déménagement de Nara vers une autre capitale est même décidé pour échapper à leur influence. Page 10/43 - Histoire du Japon, 3e partie La période de Heian Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 794 à 1192 après JC. La domination politique et culturelle des Fujiwara (794-1068) En 794 est achevée Heian, construite près de Heijo (Nara) et calquée - comme cette cité, presque un siècle plus tôt - sur le modèle de la Chang'an des monarques chinois TANG. Heian (Kyoto) allait rester la capitale impériale jusqu'en 1868. SAKANOUE no Tamuramaro (758-811) est envoyé par la cour impériale pacifier le nord-est du Honshu (Shotoku) et repousser les populations aborigènes (Ainu). L'empereur KAMMU crée alors pour lui, en 797, le titre appelé à un grand avenir de "général en chef contre les barbares" (sei i tai shogun, abrégé en shogun). Ses conquêtes sont parachevées par BUN'YA no Watamaro (763-821). Au début du IXe siècle sont fondées deux nouvelles sectes, qui trouvent leur inspiration dans des écoles chinoises ésotériques du Bouddhisme. Contrairement aux monastères de Nara, dont l'influence envahissante a conduit à un changement de capitale, celles-ci offrent des perspectives d'illumination spirituelle et de salut, accessibles à un plus grand nombre. Il s'agit de la secte Tendai (d'après la secte chinoise du Tiantai), créée par le moine SAICHO (767-822), fondateur du temple Enryaku-ji sur le mont Hiei, au nord-est de Kyoto ; ainsi que de la secte Shingon (de la "Vraie Parole"), créée par le moine KUKAI (774-835), fondateur du temple Kongobu-ji, sur le mont koya, au Sud-Est de la capitale. Toutes deux vont dominer la vie religieuse au Japon pour les trois siècles à venir et sont à l'origine de nombreux établissements religieux. Les moines créateurs des deux sectes ont pu partir étudier en Chine, en faisant partie d'une des ambassades visitant les empereurs TANG. Mais après 838, l'envoi de ces dernières est interrompu, et l'archipel nippon connaît une phase de repli sur luimême. Dans le courant du IXe siècle, la famille des FUJIWARA s'approprie de plus en plus les rênes de l'État, au détriment de la dynastie régnante, bien que les FUJIWARA descendent paradoxalement des NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour, qui avaient contribué en 645 à renforcer la puissance impériale en éliminant le clan SOGA probouddhiste. Toutefois, selon un schéma politique typiquement japonais, qui devait se reproduire souvent dans l'histoire du pays, le clan alors dominant des FUJIWARA préfère gouverner en coulisses. Sans porter atteinte au prestige moral et religieux attaché à la personne de l'empereur et, à plus forte raison, sans tenter de le supplanter. Même si, dans les faits, ce dernier n'occupe plus qu'un rôle purement honorifique. Le moyen trouvé par les FUJIWARA pour s'emparer du pouvoir consiste pour le chef du clan à marier ses filles à de jeunes empereurs, incités à abdiquer après avoir eu un héritier. Le grand-père FUJIWARA devient alors "régent de minorité" (sessho) durant le jeune âge du nouvel empereur, puis "régent de majorité" (kampaku) du souverain devenu adulte. En outre, les membres de la famille FUJIWARA, qui croît de façon pléthorique avec le temps, s'accaparent les plus hautes charges de l'État. De plus, en se faisant attribuer de grands domaines fonciers défiscalisés dans tout l'archipel, ils deviennent plus riches que la lignée impériale elle-même. Page 11/43 Les FUJIWARA atteignent le sommet de leur gloire avec FUJIWARA no Michinaga (966-1028), beau-père de plusieurs empereurs et détenteur du pouvoir réel, qui donne le ton et lance les modes à la cour impériale de son temps. Celui-ci aurait inspiré à la dame MURASAKI Shikibu le prince protagoniste de son célèbre roman, Le Dit du Genji. Car, si des troubles et des famines agitent les provinces, voire la capitale, la cour y vit en vase clos. Plutôt qu'imiter strictement la Chine, elle commence à développer les caractéristiques d'une culture brillante typiquement nippone. Au point que, pour les Japonais d'aujourd'hui, le période de Heian représente le temps fort de leur histoire nationale, souvent idéalisé par la suite. Les courtisans, caparaçonnés de nombreuses couches de riches vêtements, y sont soumis à l'observance d'une stricte étiquette. Les hommes, lettrés, délaissent les armes pour s'adonner à la calligraphie ou composer des vers en chinois. Les femmes rédigent journaux et romans, contribuant à la constitution d'une littérature en langue japonaise, facilitée par l'invention des deux syllabaires hiragana et katakana (caractères chinois simplifiés). Le régime des empereurs retirés (1068-1156) Jusqu'à 1068, les FUJIWARA restent maîtres du Japon. Mais leur suprématie commence à décliner avec l'avénement de GO SANJO. Cet empereur présente la caractéristique, alors exceptionnelle, de n'entretenir aucun lien familial avec ces derniers. GO SANJO s'applique à restaurer une autorité impériale indépendante de l'influence des FUJIWARA. Il abdique bientôt volontairement (1072) et fait mine de se retirer dans un monastère. En fait, il se libère ainsi des tâches accaparantes liées à la fonction d'empereur et des intrigues de la cour, pour mieux exercer le pouvoir par l'entremise de son héritier monté sur le trône à sa place. Mais, GO SANJO meurt trop rapidement (1073) pour réaliser toutes les réformes qu'il a en tête. Néanmoins, son oeuvre politique est reprise par son fils SHIRAKAWA (règne : 1073-1086) et ses successeurs, qui institutionnalisent ce mode de gouvernement des empereurs retirés (insei). L'empereur retiré, depuis son monastère (in), devient donc le régent de parenté de l'empereur en titre par ligne masculine, et non par les femmes comme dans le système instauré précédemment par les FUJIWARA. Outre le fait qu'il conserve la réalité du pouvoir, le premier constitue, en parallèle, sa propre cour, une clientèle, et cherche à restaurer les finances de la famille impériale dans le but de contrecarrer les FUJIWARA. Significativement, l'une des mesures parmi les plus importantes prises par GO SANJO avait consisté à créer un bureau de contrôle des titres domaniaux, souvent illégaux. Afin d'enrayer la réduction constante des domaines impériaux au profit des grands manoirs (shoen) des familles aristocratiques, dont les FUJIWARA, et des monastères bouddhistes et shintoïstes. Cependant, la maison impériale n'en demeure pas moins divisée. Notamment quand, par le biais d'abdications successives, plusieurs empereurs retirés sont amenés à coexister en même temps. Des rivalités similaires existent au sein des FUJIWARA, très nombreux, et les opposent aussi à d'autres grandes familles aristocratiques de la cour. Ce qui explique que la capitale, Kyoto, où se concentrent tous ces pouvoirs rivaux, connaisse de nombreux troubles. D'autant que, peu sûre, elle est parfois menacée par les brigands. Page 12/43 En outre, les monastères, pour protéger leurs intérêts et s'imposer, contre d'autres monastères, voire contre l'empereur, se mêlent au jeu politique. Ils entretiennent des troupes de moines-soldats, qui n'ont de bonze que le nom, et recourent à toutes les armes à leur disposition, y compris des palanquins porteurs de reliques sacrées, objets de la dévotion populaire. Ainsi, les adeptes du temple Enryaku-ji du mont Hiei ou des monastères de Nara viennent-ils faire des démonstrations de force dans la capitale. Face à de telles situations, empereurs et familles aristocratiques de courtisans raffinés, qui ne disposent pas de réelles forces armées à leur service, ont de plus en plus recours, même s'ils les méprisent, à des clans de guerriers venus de leurs domaines provinciaux. Ces guerriers (bushi), appelés plus tard samourai (au sens premier : serviteurs armés de la noblesse), constituent alors une nouvelle classe. Elle est issue, à l'origine, de cadets des grandes familles aristocratiques partis chercher fortune et se mêler aux notables locaux dans les provinces, parfois reculées, y menant une vie de pionnier. Même s'ils conservent un souvenir idéalisé de la cour, ces guerriers vont conquérir progressivement leur liberté d'action par rapport à celle-ci en adoptant un mode de vie plus rustique centré sur le métier des armes : équitation, tir à l'arc et escrime. Dans les régions excentrées par rapport à la capitale où ils sont installés, ils instaurent une nouvelle société. Celle-ci tend à s'approprier les terres et vers la féodalité, avec la création de liens de vassaux à suzerain organisés au sein de ligues de guerriers (bushidan), consolidées par des mariages. Ces organisations sont destinées à combattre un seigneur concurrent, des bandits, des pirates ou les incursions ainues dans les marches du Honshu. Théoriquement dépendants des grandes familles aristocratiques comme les FUJIWARA, des clans guerriers comme les TAIRA (ou HEIKE) et les MINAMOTO (ou GENJI), qui descendent de branches cadettes de la lignée impériale, sont de plus en plus autonomes de fait. Ils ne demandent qu'à revenir à Kyoto se mêler des rivalités de la cour, voire à appuyer l'un ou l'autre des empereurs retirés. L'ascension des guerriers (1156-1192) Au gré d'allégeances fluctuantes, les TAIRA et les MINAMOTO servent donc les empereurs retirés ou les FUJIWARA, combattant les moines-soldats ou les pirates de la Mer Intérieure. Mais des querelles de succession entre empereurs retirés au sein de la maison impériale et des oppositions au sein de la famille des FUJIWARA vont aboutir à deux affrontements successifs dits troubles de "l'ère Hogen" (1156) et de "l'ère Heiji" (1160), auxquels participent ces clans guerriers. Au terme de ces combats, les TAIRA, évinçant les MINAMOTO, se hissent brutalement à une position dominante dans la capitale, qu'ils vont occuper de 1160 à 1180. Leur chef TAIRA no Kiyomori (1118-1181), déjà le plus important des seigneurs des provinces, se fait attribuer les postes les plus honorifiques de la cour, et reprend à son compte la tactique matrimoniale des FUJIWARA. Il devient ainsi le grand-père de l'enfantempereur ANTOKU. Préoccupé de fortifier son pouvoir neuf à Kyoto, en s'insinuant dans les rouages de l'État, Kiyomori tente aussi de développer le commerce avec la Chine des SONG sur les côtes de la Mer Intérieure, qu'il contrôle. Mais il parvient moins bien à affermir son autorité sur les bouillants lignages de guerriers des provinces. D'autant qu'après 1160, il a commis l'erreur d'épargner un fils du chef défait des MINAMOTO, MINAMOTO no Yoritomo (1147-1199), confié à un vassal des TAIRA, HOJO Tokimasa. Parmi ses autres frères survivants, son demi-frère MINAMOTO no Yoshitsune (1159-1189), est élevé dans un temple près de Kyoto, promis par contrainte à l'état de moine. Parvenu en âge de combattre, Yoritomo saisit le prétexte d'un différend entre la maison impériale et les TAIRA pour se rebeller et se venger. Après avoir retourné ses gardiens, les HOJO de la péninsule d'Izu, il s'installe à Kamakura, dans le Kanto (maintenant région de Tokyo), fief où ont été confinés après 1160 les partisans des MINAMOTO. Pour la première fois, cette province de l'est du Honshu commence à jouer un rôle central dans l'archipel. Page 13/43 De 1180 à 1185, une guerre oppose les TAIRA et les MINAMOTO, durant laquelle Yoritomo se montre un fin politique agissant en retrait. Depuis Kamakura, il rallie à sa personne une coalition d'opposants aux TAIRA et, au fur et à mesure que ses armées avancent vers l'Ouest, gagne au bushidan MINAMOTO le soutien des seigneurs à la tête des ligues locales de guerriers. Il s'emploie également à assurer la richesse de son clan en favorisant le commerce du port de Kamakura avec la Chine. En 1181-1182, la sécheresse provoque une famine qui touche plus durement les régions de l'Ouest, et donc davantage les soldats des TAIRA qui y cantonnent. L'année suivante, ceux-ci évacuent Kyoto prise par un parent et rival de Yoritomo, KISO Yoshinaka (1154-1184). Mais ce dernier est battu par Yoshitsune qui se montre, sur le terrain, un brillant général et tacticien oeuvrant pour son demi-frère resté à Kamakura. Yoshitsune défait aussi à Ichi no Tani (1184) les troupes des TAIRA, qui retraitent toujours plus à l'Ouest. Il ne reste plus alors aux TAIRA que leur puissance navale, anéantie à la bataille de Dan no Ura (1185), dans le détroit entre Honshu et Kyushu, où périt le jeune empereur ANTOKU et la fine fleur du clan TAIRA. Yoritomo se brouille alors avec le très admiré - et devenu très encombrant - Yoshitsune. Celui-ci est poursuivi et acculé au suicide avec les siens. Une branche des FUJIWARA du nord du Honshu qui l'avait soutenu contre son demi-frère est aussi éliminée par la même occasion (1189). Pendant les siècles à venir, les chansons de geste, la littérature - notamment le Dit des Heike - et le théâtre japonais, vont s'inspirer des combats épiques entre les TAIRA et les MINAMOTO . Une place particulière y sera faite au preux Yoshitsune, archétype du paladin du Japon médiéval, sorte d'équivalent du Roland de Roncevaux occidental. Yoritomo reste seul vainqueur, s'imposant comme un nouveau pouvoir face à l'institution impériale et au gouvernement antique de Kyoto. Il se fait reconnaître par la cour, a posteri, des pouvoirs étendus en matière de maintien de l'ordre, qu'il exerce déjà de fait dans tout l'empire. En 1192, pour honorer le nouvel homme fort venu de l'est du Japon, l'ancienne zone "retardataire" au contact des Ainu, l'empereur remet en vigueur le titre de shogun (sei i tai shogun ou "général en chef contre les barbares" ). Page 14/43 - Histoire du Japon, 4e partie La période de Kamakura Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1192 1333 après JC. L'affermissement du régime de Kamakura (1192-1221) Au cours du conflit qui oppose, de 1180 à 1185, les TAIRA et les MINAMOTO, MINAMOTO no Yoritomo, vainqueur à la tête de ces derniers, passe rapidement du statut de rebelle à celui de seul interlocuteur de la cour impériale. Le titre de shogun, donné en 1192 à Yoritomo, ne fait qu'entériner le fait que, devenu le plus puissant chef des clans guerriers, il s'est hissé à la position d'une sorte de dictateur militaire détenteur du pouvoir réel, au nom et à la place de l'empereur. Yoritomo instaure un nouveau régime dit du bakufu, littéralement du "gouvernement sous la tente", ce qui souligne son caractère guerrier, appelé également shogunat. Un système politique dualiste, fondé sur un fragile compromis, se met en place entre la maison impérale et la cour de Kyoto face à Yoritomo, soutenu par leurs "ennemis", les guerriers de l'est du Japon. Depuis son centre de commandement du Kanto, excentré par rapport à la capitale, le "Sire de Kamakura" a fait reconnaître par la cour sa ligue militaire, le bushidan MINAMOTO, comme la seule force armée publique. Ce qui lui confère un ascendant sur l'ensemble de la classe des guerriers. D'autant que Yoritomo met en place diverses institutions, notamment pour renforcer son pouvoir sur ses vassaux directs et bientôt héréditaires, les gokenin, noyau de son armée. Il s'agit de quelque 2 000 familles de guerriers possédant des droits reconnus sur un domaine par le shogun ou le Bureau des samourai, office nouvellement créé pour les contrôler. Dès 1185, l'édit de l'ère Bunji donne aussi à Yoritomo le droit de nommer certains de ses hommes liges comme protecteurs ou gouverneurs militaires d'une province (shugo), ou intendants militaires (jito) de domaines agricoles. L'administration impériale déficiente se trouve donc ainsi doublée progressivement par une organisation de vassaux attachés par des liens féodaux à leur suzerain-shogun. Yoritomo meurt en 1199. Même s'il s'est débarrassé de tous ses rivaux potentiels, le pouvoir qu'il désire transmettre à ses descendants n'est pas consolidé. Depuis 1177, il était marié à HOJO Masako (1157-1225), fille d'HOJO Tokimasa (1138-1215), ex-féal des TAIRA et ex-gardien de Yoritomo rallié à lui. Aux côtés de son père, habile politique, négociateur de l'édit de l'ère Bunji et gouverneur de Kyoto depuis 1185, Masako va jouer un rôle capital dans le règlement de la succession de son mari au profit des HOJO. Yoritomo laisse plusieurs enfants dont deux fils. Le premier, Yoriie, shogun à sa suite, tombe sous l'influence du clan HIKI, des vassaux des MINAMOTO. En 1203, ceux-ci sont écartés du pouvoir par Masako et Tokimasa, qui se décerne le poste de régent (shikken) du shogun. Yoriie est déposé puis assassiné par un homme de main des HOJO. Sanetomo, deuxième fils de Yoritomo et de Masako, devient alors shogun. En 1205, cette dernière et son frère, HOJO Yoshitoki (1163-1224), obligent leur père Tokimasa à se retirer pour, trop amoureux de sa seconde et jeune épouse, avoir comploté contre les intérêts des HOJO. Les vassaux des MINAMOTO les plus réticents face à l'ascension du clan HOJO sont éliminés par Masako et Yoshitoki. Celui-ci, devenu régent, concentre sur sa personne tous les pouvoirs du shogunat, surtout après la mort de Sanetomo, tué en 1219 par son neveu, fils de Yoriie. Ce meurtre crispe les relations entre Kyoto et Kamakura. GO TOBA, l'empereur retiré, tente alors de redonner la première place à la maison impériale en se retournant contre Yoshitoki. Mais, aidé par Masako, le régent se forge une légitimité en ralliant à lui les guerriers du Kanto, principaux soutiens des MINAMOTO dont Page 15/43 il se veut le continuateur. Il défait ensuite les troupes de GO TOBA lors de la guerre dite de l'ère Jokyu, en 1221. Les Hojo maîtres de Kamakura (1221-1274) La guerre de 1221 permet au régime de Kamakura de prendre l'ascendant sur Kyoto. La grande aristocratie de la cour impériale est désormais contrainte de partager le pouvoir avec les seigneurs provinciaux de l'est de l'archipel. Le réveil de la maison des empereurs retirés est muselé par l'envoi en exil de plusieurs de ses membres et la confiscation d'une grande partie des domaines qui faisaient sa richesse. Les HOJO sortent grandis de l'épreuve aux yeux des vassaux de Kamakura, et renforcent leur domination par la création d'une série d'institutions. Le chef de ce clan va continuer jusqu'en 1333 à exercer la réalité du pouvoir en tant que régent (shikken) du shogun. Un vice-régent (rensho) le seconde, également issu de la famille HOJO. Après 1221, un contrôleur militaire (tandai) et une garde spéciale surveillent Kyoto et sa cour au nom du régent. Il nomme le plus souvent à ce poste son futur successeur, fils aîné ou frère cadet. Cette antenne du régime de Kamakura, abritée par le Rokuhara, l'ancien palais des TAIRA, renforce l'emprise des HOJO sur la capitale. À partir de 1225, est également fondé un conseil d'État aux fonctions politiques et judiciaires de treize membres, dont le régent et le vicerégent. Les HOJO de la branche principale et leurs alliés y sont toujours majoritaires. À partir de 1219, le poste de shogun, dépossédé de toute autorité au profit de celui de régent, est laissé à un descendant d'une branche cadette des FUJIWARA. Par la suite, ce rôle est assumé par des princes impériaux, également fantoches des HOJO. Dès lors, le régime de Kamakura sous les régents HOJO va s'efforcer, tout au long du XIIIe siècle, de préserver la stabilité politique à laquelle il est parvenu, en rassérénant ses rapports avec la maison impériale, la cour de Kyoto et les grands monastères. Par ailleurs, un code de lois en 51 articles (Joei Shikimoku) est promulgué en 1232. Il devait perdurer, nonobstant quelques amendements, jusqu'en 1868. Soucieux de légitimer leur mainmise sur le shogunat, les HOJO s'appuient sur les préceptes du confucianisme chinois, cherchant notamment à favoriser une certaine équité en matière de justice et à préserver le statu quo social. Ils y parviennent assez bien, hormis les révoltes rapidement matées de certains vassaux turbulents, jaloux de l'exclusivité de leur pouvoir. Paysans et commerçants profitent du calme relatif de la période. L'agriculture augmente ses rendements grâce à des progrès techniques. La reprise du négoce avec la Chine contribue au développement des échanges monétaires, grâce à la circulation de pièces chinoises. Les grands monastères arment des navires et constituent un acteur majeur du trafic marchand avec le continent. Les bénéfices ainsi engrangés servent à la construction de nouveaux édifices religieux ou à la fonte du grand Bouddha (ou Daibutsu) de bronze de Kamakura (1252). Le bouddhisme japonais, dont l'audience a souvent du mal jusque-là à dépasser les cercles aristocratiques de Kyoto et Nara, connaît un renouveau dû à l'apparition de nouvelles sectes. Celles-ci mettent l'accent sur des perspectives de salut accessibles à tous, qui trouvent un grand écho parmi les couches populaires, voire les plus pauvres, et dans les provinces. Deux de ces sectes sont dites amidistes. La vision pessimiste du bouddhisme indien des débuts, fondée sur le renoncement en vue d'atteindre un éventuel Éveil au terme d'un cycle de réincarnations, s'est transformée dans le Japon du XIIIe siècle. On y insiste donc, selon une conception qui rappelle le Paradis et l'Enfer du christianisme, sur la possibilité d'un salut individuel centré sur la foi et l'invocation d'une divinité particulière du panthéon bouddhique. Ce Bouddha Amida recevrait les âmes Page 16/43 des défunts dans son "Paradis de l'Ouest" ou de la "Terre pure". Après 1175, le moine HONEN (1133-1212) crée la secte de la Terre pure (Jodo-shu). En 1224, l'un de ses disciples radicalise son enseignement et fonde la Nouvelle secte de la Terre pure (Jodo shin-shu). SHINRAN (1173-1263) se montre hostile au monachisme, autorise le mariage des religieux et fait traduire, pour les rendre accessibles au peuple, les écrits bouddhiques rédigés en chinois classique. À partir de 1253, NICHIREN (1222-1282) commence sa propre prédication en s'appuyant sur le Sutra du Lotus, texte sacré du bouddhisme. Mais, contrairement à l'esprit de tolérance de ce dernier, sa secte (Hokke-shu ou Nichiren-shu) adopte une démarche de combativité envers ses rivales. Son nationalisme avant l'heure voudrait faire du Japon la terre d'élection de la forme de bouddhisme qu'il professe, la seule orthodoxe pour lui. Le Zen est un mode de pensée et de méditation emprunté à la secte chinoise Chan, qui trouve ses origines en Inde. Il connaît un regain de faveur au Japon, mais auprès des couches dirigeantes cette fois, grâce à EISAI (1141-1215), fondateur de la secte Rinzai, et à DOGEN (1200-1253) , créateur de la secte Soto. Le Zen se détourne des textes et des spéculations métaphysiques, voire du rationalisme, pour privilégier une quête spirituelle sous la conduite d'un maître, passant par l'ascèse du corps et de l'esprit, qui doit amener à l'illumination intérieure (satori). La progression du disciple vers l'éveil spirituel passe par son incitation à la réflexion à partir de questions absurdes et la méditation en position assise (zazen). La simplicité et la discipline physique et mentale préconisées par le Zen correspondent bien aux moeurs rustiques des nombreux guerriers, tenants du régime de Kamakura, qui se font ses adeptes. Il ne présente que des avantages pour les HOJO, soutenant l'équilibre social précaire, se montrant tolérant avec les autres sectes et favorisant la vie monastique, ainsi que l'ouverture du Japon sur le continent par la venue de maîtres chinois. Des débarquements mongols à la fin du pouvoir des Hojo (1274-1333) Suite à l'unification de leurs tribus par GENGIS KHAN, au début du XIIIe siècle, les Mongols, cavaliers nomades des steppes asiatiques, ont créé un vaste empire s'étendant de la Corée et la Chine jusqu'aux portes de l'Europe. En 1260, KOUBILAI KHAN, petit-fils de GENGIS KHAN, établit sa capitale à Pékin et réduit par la conquête la dynastie Song (960-1279), repliée dans le sud de la Chine. Il fonde sa propre dynastie, mongole mais au nom chinois, celle des Yuan (1279 -1368). Or, dès le milieu des années 1260, KOUBILAI KHAN s'intéresse au Japon et à ses richesses supposées, désirant achever de dominer toute l'Asie. La demande de soumission formulée par une ambassade envoyée dans l'île de Kyushu est ignorée par l'administration du jeune HOJO Tokimune, régent du bakufu de Kamakura de 1256 à 1284. Néanmoins, celui-ci organise la défense de l'archipel nippon en vue d'une attaque mongole. Une première tentative d'invasion survient en 1274. Neuf cents bateaux et vingt-cinq mille soldats mongols et auxiliaires chinois et coréens ravagent les îles de Tsushima et d'Iki avant de débarquer dans le nord du Kyushu. Après les premiers combats, une tempête oblige les envahisseurs à se retirer vers la péninsule coréenne, d'où ils étaient venus. En 1281, une nouvelle flotte adverse de quatre mille navires et cent quarante mille hommes rejoint le Kyushu septentrional. Les Japonais se sont préparés à cette deuxième confrontation, notamment en bâtissant sur les plages un mur peu élevé mais suffisant pour gêner les manoeuvres de la cavalerie ennemie. Cependant, les Mongols auraient sans doute triomphé sans la nouvelle intervention providentielle d'un typhon. Ce "vent des dieux" (kamikaze) détruit leur impressionnante armée. Ces deux victoires face à une terrible menace extérieure passent pour être celles des HOJO. Elles contribuent à une plus grande unité politique et culturelle du Japon, sous l'égide du régent, qui a su galvaniser les combattants Page 17/43 japonais et préparer la résistance aux troupes d'invasion. Celui-ci profite d'ailleurs de la menace pour, homme de l'est du Japon, renforcer son autorité dans l'ouest de l'archipel, par la nomination de gouverneurs liés à son clan et par la mise en place d'une administration militaire et juridique spéciale à Kyushu. La nécessité d'opposer un front uni face aux Mongols a également rapproché lebakufu de Kamakura de la cour de Kyoto. Un excès de confiance fait croire aux guerriers qui ont refoulé les Mongols que le Japon bénéficie désormais d'une protection divine. Le régent en profite pour faire passer dans son giron les seigneurs de l'Ouest qui ne le sont pas encore. Mais, tous vont se montrer, à la longue, insatisfaits. Car, comparablement aux chevaliers occidentaux à la même époque, ils se sont endettés pour s'armer, en vue d'une victoire qui, cette fois, ne leur rapporte aucun avantage matériel. En effet, le shogunat n'a plus de nombreux domaines confisqués à redistribuer à ses partisans, comme il l'a fait après les guerres de 1185 ou de 1221. Et les mécontements ainsi suscités sont annonciateurs de la déliquescence du régime de Kamakura.Sans parler des religieux qui estiment être bien mal récompensés pour avoir contribué à sauver l'archipel grâce au vent divin invoqué par leurs prières... Avant de se voir reprocher de ne rien faire pour enrichir ses vassaux victorieux à la guerre, le régent HOJO jouit encore d'assez de prestige pour arbitrer, en 1272, une querelle de succession. Celle-ci oppose deux fils du défunt empereur retiré GO SAGA, à la tête d'une branche aînée et cadette de la famille impériale, dans lesquelles seront dorénavant choisis en alternance les empereurs. Ce différend sera à l'origine, au siècle suivant, de la confrontation d'une cour dite du Nord et d'une cour dite du Sud, pourtant issues de la même dynastie impériale. En 1318 intervient l'accession au trône de GO DAIGO, de la branche aînée, résolu à faire retrouver à la fonction impériale son pouvoir et ses fastes d'antan. Après avoir mis fin à l'institution de l'empereur retiré (insei), facteur de division dans le passé, il regroupe des forces afin d'attaquer frontalement les HOJO et les mener à leur perte. Page 18/43 - Histoire du Japon, 5e partie La période de Muromachi Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1333 à 1573 après JC. La guerre civile entre les cours du Nord et du Sud (1333-1392) L'empereur GO DAIGO rêve d'un retour au passé et d'un rétablissement de l'autorité impériale aux dépens des HOJO, maîtres du shogunat de Kamakura. Après un complot éventé en 1324 et l'échec d'une première révolte armée en 1331, qui lui vaut un exil temporaire, il fomente un nouveau soulèvement victorieux. La classe des guerriers, déçue après les combats contre les deux tentatives d'invasion mongole de l'archipel japonais en 1274 et 1281, est en proie à l'agitation dans les cinquante années qui suivent. En outre, des petits guerriers rallient à eux des paysans mécontents, voire des hors-la-loi, et forment des bandes de "brigands" (akuto). Ensemble, ils pratiquent une forme de guérilla avant l'heure contre les troupes du shogunat et les grands propriétaires de domaines seigneuriaux. GO DAIGO recrute parmi eux des partisans. Ainsi, KUSUNOKI Masashige (12941336) chef akuto, fera figure d'archétype du samurai dévoué à l'empereur pour les générations futures, notamment sous l'effet de la propagande impériale et des régimes militaires nippons de la première partie du XXe siècle. ASHIKAGA Takauji (1305-1358) est alors l'un des plus puissants seigneurs du Japon et, en particulier, du Kanto. Dans cette région de l'Est, où se situe Kamakura, les HOJO croient conserver leurs vassaux les plus fiables. À l'origine général des HOJO chargé de mater la rébellion, ce descendant d'une branche cadette des MINAMOTO, parmi lesquels furent choisis les premiers shoguns de Kamakura, décide pourtant de prendre le parti de GO DAIGO. Les HOJO, mis en difficulté par cette défection majeure, sont également encerclés à Kamakura par un autre de leurs généraux du Kanto qui s'est aussi révolté contre eux. Ils se suicident en masse et leur défaite précipite la fin du régime de Kamakura. La "restauration de l'ère Kemmu", éphémère tentative par GO DAIGO de rétablir l'autorité impériale, ne dure que de 1333 à 1336. ASHIKAGA Takauji se retourne rapidement contre GO DAIGO, se trouvant injustement récompensé de son ralliement à l'empereur. Il le chasse du pouvoir et le remplace par un autre prétendant. Takauji prend peu après le titre de shogun (1338), se prévalant de sa parenté avec les MINAMOTO. Takauji crée ainsi un deuxième shogunat (ou bakufu) dit de Muromachi, d'après le nom du quartier de Kyoto où s'établit le siège du pouvoir shogunal. Pour une énième fois dans l'histoire du Japon, Takauji et ses héritiers vont commander au pays au détriment d'empereurs fantoches qu'ils ont mis sur le trône à Kyoto. Ceux-ci sont d'ailleurs affaiblis par un schisme qui divise la dynastie impériale en deux factions. Les monarques de cette cour dite du Nord, soutenus par les ASHIKAGA, ne verront finalement leur légitimité reconnue qu'au terme d'une longue guerre civile (nommée Nambokucho). Celle-ci partage en deux camps la classe des guerriers et s'accompagne de nombreuses destructions, y compris dans la capitale "nordiste". En face, GO DAIGO a été vaincu militairement par ASHIKAGA Takauji à la bataille de Minatogawa (1336), en partie pour n'avoir pas suivi les conseils du fidèle KUSUNOKI Masashige, qui se suicide après cet affrontement. Mais l'empereur défait se réfugie avec ses Page 19/43 principaux soutiens dans les régions montagneuses et boisées de Yoshino, dans le Kinai, non loin de Nara. Lui et ses descendants y forment une cour du Sud et opposent une tenace résistance armée, avant de devoir s'incliner en 1392. À ce moment, les belligérants s'entendent pour voir régner le seul empereur GO KOMATSU de la cour du Nord, à la condition que soit rétablie la règle antérieure d'une alternance du pouvoir entre les deux factions. Mais l'accord n'est finalement pas respecté et la cour du Sud est définitivement supplantée par sa rivale. Les hauts et les bas du shogunat de Muromachi (1392-1467) Contrairement à leurs prédécesseurs, les shoguns ASHIKAGA choisissent de gouverner depuis la capitale impériale de Kyoto, et non depuis l'Est excentré, à Kamakura. Malgré cela, ils ne parviendront jamais à contrôler le Japon aussi bien que les HOJO et leur action gouvernementale va, dès le départ, connaître de nombreuses faiblesses. Ainsi, l'instauration d'un vice-shogunat dans le Kanto approfondi les divisions entre la branche cadette à laquelle il est confié et la branche aînée des ASHIKAGA. Dans le même temps leurs plus importants vassaux se montrent indociles. Néanmoins, l'archipel est divisé en trois entités administratives regroupant Kyoto et les régions centrales, le Kanto et Kyushu, confiées à des gouverneurs généraux (kanrei) issus de grandes familles alliées des ASHIKAGA. Cependant, les gouverneurs militaires (shugo) à la tête des provinces s'émancipent de plus en plus par rapport au pouvoir du shogun. Ces shugo-daimyo (daimyo : "grand nom") s'assurent, à titre personnel, l'appui de ligues féodales de guerriers. Ils s'emploient également à contrôler les domaines fonciers de la vieille aristocratie de la cour de Kyoto, alors en pleine déliquescence, comme la maison impériale. Tandis que les grands monastères et sanctuaires religieux parviennent davantage à préserver leurs intérêts. ASHIKAGA Yoshimitsu (1358-1408) devient le troisième shogun de Muromachi en 1367. Homme d'une certaine trempe, il met au pas plusieurs gouverneurs provinciaux révoltés et son "règne" voit la fin de la guerre civile. Comme les anciens empereurs retirés, il abdique en 1395 en faveur de son fils, Yoshimochi (1386-1428), et se fait moine tout en continuant à influencer fortement la vie politique du Japon. Yoshimitsu s'installe en 1397 dans la demeure de ses rêves, le Pavillon d'or (Kinkaku-ji) de Kitayama (aujourd'hui à Kyoto) . Les nobles de la cour impériale ne veulent toujours voir dans les guerriers que des rustauds ignares. Comme pour démentir cette analyse retardataire, Yoshimitsu cultive là son goût pour les lettres chinoises, l'étude érudite du Zen ou le théâtre Nô, alors à ses débuts. Dans ce petit paradis, à l'écart du monde, s'épanouissent ainsi les fondements d'une culture dite de Kitayama. Depuis sa retraite, Yoshimitsu diligente aussi une reprise officielle (1401-1419) des relations commerciales avec la dynastie chinoise des Ming (1368-1644), avec envois d'ambassades. Mais ces échanges s'interrompent rapidement sous le shogun Yoshimochi, qui les fait capoter, en partie par haine de son père ou bien trop occupé à faire tuer son frère. Mais, surtout, ces activités vont être durablement mises à mal par les attaques des pirates japonais (waco) contre les côtes chinoises et coréennes. Le shogunat de Muromachi se révèlera incapable de les arrêter. Cependant, ses insuffisances profitent aux grands monastères et aux gouverneurs militaires provinciaux (shugo-daimyo) qui reprennent à leur compte le profitable commerce avec les Ming. Les affaires des ASHIKAGA ne vont pas s'arranger avec le cordialement détesté Yoshinori (1394-1441), qui tente de renforcer son contrôle sur le Kanto et de réduire la puissance des Page 20/43 gouverneurs militaires. Mais, il est assassiné par l'un de ses vassaux, évènement dont ne se relèvera jamais vraiment cette dynastie shogunale . Malgré une époque troublée, parmi une bourgeoisie urbaine en développement se signale, spécialement dans le centre du Japon, le groupe des prêteurs d'argent. Outre ces profiteurs d'une première économie monétaire japonaise à base de pièces chinoises, les fabricants de saké (alcool de riz) prospèrent également. Tous sont d'ailleurs vite taxés par un shogunat toujours plus avide de rentrées fiscales. Certains agriculteurs se convertissent à des métiers liés au transport, comme les loueurs de chevaux de Sakamoto, près du mont Hiei et de Kyoto. D'autres s'enrichissent en devenant marchands, voire armateurs. En revanche, dans les campagnes, les paysans s'appauvrissent et sont de plus en plus ponctuellement menacés par la famine. À partir de 1428 et tout au long du XVe siècle, les jacqueries se multiplient, dans les régions périphériques mais aussi aux portes de Kyoto. On voit ainsi des petits guerriers (ji-samourai) endettés s'unir aux paysans dans des ligues militaires (ikki) et entreprendre des soulèvements contre les usuriers et les seigneurs féodaux. Les turbulents loueurs de chevaux se joignent souvent à eux. Nombre de ces révoltes, à l'échelle d'une ou plusieurs provinces, exigent par la force et obtiennent de la part du shogun ASHIKAGA en poste des actes d'annulation des dettes (tokusei). Les observateurs de cette époque assistent donc à la défaite des plus puissants par les paysans et les couches les plus miséreuses de la population, qui n'avaient compté pour rien jusque-là dans la société. Il leur semble donc voir advenir un "monde à l'envers", dans lequel "ceux du bas dépassent ceux du haut" (gekokujo) L'"Époque des pays en guerre" (1467-1573) Le Japon n'en finit pas de connaître des boulversements suite aux défaillances de la lignée shogunale des ASHIKAGA. Ainsi, de 1467 à 1477, une querelle de succession provoque un nouveau conflit, dit de l'ère Onin, qui déchire l'archipel. En 1464, ASHIKAGA Yoshimasa (1435-1490), huitième shogun de Muromachi, sans héritier, adopte son frère cadet Yoshimi, ancien moine bouddhiste choisi pour lui succéder. Mais, un fils, Yoshihisa, lui naît alors de son épouse Tomiko, qui veut en faire l'héritier de son père. Deux camps se forment pour soutenir les deux prétendants, menés par deux clans pourtant apparentés, les HOSOKAWA et les YAMANA. Leur opposition devait se perpétuer, même après la mort des dirigeants des deux parties et que Yoshihisa soit reconnu comme shogun. Cette guerre de l'ère Onin ravage une nouvelle fois Kyoto et, sur le plan tactique, confirme l'importance grandissante des ashigaru. Ces fantassins légèrement armés, qui sont recrutés parmi la paysannerie, quand le besoin s'en fait sentir, évincent le samurai-cavalier, ancien roi des batailles. De son côté, Yoshimasa, sur le modèle de son ancêtre Yoshimitsu, se retire dans sa tour d'ivoire, indifférent aux vicissitudes de son temps. Il s'enferme dans son Pavillon d'argent (Ginkaku-ji) à Higashiyama (Kyoto), où s'épanouit une culture du même nom. Il s'y adonne à sa passion pour les arts, la cérémonie du thé ou le Nô. On y élabore un style architectural à l'origine de la maison japonaise traditionnelle d'aujourd'hui. Pourtant, à partir de1467, les guerres civiles vont en fait se prolonger pendant un peu plus de cent ans, une période nommée l'"Époque des pays en guerre" (Sengoku Jidai), référence historique à la Chine divisée des "Royaumes combattants" (481-221 av. J.-C.). Les daimyo, devenus des seigneurs féodaux quasiment indépendants et chacun maître d'un fief équivalent à environ deux ou trois départements français, s'affrontent les uns les autres. Le shogunat se révèle incapable d'arbitrer leurs rivalités. Après les shugodaymo, apparaît au tournant du XVe siècle une nouvelle génération de sengoku-daimyo. Suite à la confusion de la guerre de l'ère Onin, le gekokujo joue pleinement. Certains des anciens gouverneurs militaires restent en place. Mais ces personnages de haut rang sont aussi fréquemment remplacés par des vassaux devenant de grands seigneurs à leur place ; voire par des hommes neufs, de simples aventuriers non issus de lignées prestigieuses. Ces sengoku-daimyo légifèrent en toute autonomie sur leurs terres, font établir des cadastres pour maximiser les collectes fiscales, creuser des mines et battent monnaie. Malgré les conflits incessants et les déprédations de la soldatesque, la population urbaine commence à s'accroître significativement. Page 21/43 La ville de Sakai (sud de l'actuelle Osaka) connaît un essor particulier à la fin du XVe siècle grâce au négoce avec la Chine. Des voyageurs européens bientôt en visite au Japon la compareront à Venise. La même prospérité se rencontre dans un autre port comme Hakata (nord de Kyushu). Les commerçants et les artisans font partie des gens qui s'enrichissent durant cette période et les daimyo les incitent à venir habiter autour des châteaux qu'ils commencent à se faire construire. Ces "villes nées d'un château" (joka machi), capitales de fiefs de daimyo, vont former les noyaux de nouveaux centres urbains comme, par exemple, Nagoya ou Hiroshima. Toutefois, les émeutes de révoltés ruraux continuent dans les campagnes, en partie menées par des groupements formés sur une base religieuse. Ces ikko ikki sont des ligues chapeautées par la secte Jodo shin-shu et son guide spirituel du moment RENNYO (1415-1499). Elles défont même les troupes des daimyo sur les champs de bataille et gouvernent des provinces entières, devenant notamment un potentat avec lequel il faut compter dans le centre du Japon. En 1453, intervient également un évènement lourd de conséquences pour la suite de l'histoire du Japon : un navire avec à son bord des Chinois et des Portugais rejoint l'île de Tanegashima (sud de Kyushu). Des mousquets à mèche, armes inconnues dans l'archipel, y sont ainsi introduits et immédiatement copiés par les forgerons locaux. En 1549, le jésuite espagnol François XAVIER (1506-1552) aborde à son tour à Kagoshima (sud de Kyushu) et commence à convertir des Japonais au christianisme, y compris des daimyo. Dans le même temps, la décadence de la dynastie shogunale des ASHIKAGA se poursuit, faite de dérobades, voire de fuites face aux oppositions multiples et de morts violentes. Son dernier représentant, Yoshiaki (15371597), tombe sous la coupe du daimyo ODA Nobunaga (1534-1582), qui le met en place, puis l'exile de Kyoto. Ainsi prend fin le bakufu de Muromachi (1573).. Page 22/43 - Histoire du Japon, 6e partie Les trois unificateurs Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1573 - 1616 après JC. ODA Nobunaga (1534-1582) Après une longue période de guerres civiles (Sengoku Jidai) et la fin du shogunat des ASHIKAGA (1573), l'archipel nippon est réunifié sous la férule de trois dictateurs militaires. Alliés entre eux, ils vont réduire la résistance des autres grands seigneurs féodaux (daimyo) et détenir entre leurs mains, à tour de rôle, les destinées du Japon. La période correspondant au faîte de leur puissance (1573-1616) est appelée "époque d'Azuchi-Momoyama" d'après les noms de célèbres châteaux des deux premiers d'entre eux. Au départ, ODA Nobunaga devient l'un des quelque trente daimyo qui se partagent le contrôle de l'archipel nippon dans les années 1550-1560. Mais, à partir de 1568, il se hisse à une position dominante et s'approprie tous les pouvoirs. Il s'empare de Kyoto et s'impose comme le "protecteur" de l'empereur du moment, OGIMACHI, et du dernier shogun ASHIKAGA, ensuite exilé par lui (1573). Il continue néanmoins à combattre jusqu'à ses derniers jours pour assurer sa suprématie sur les régions centrales du Japon. Ses succès acquis par les armes sont couronnés par son accession au poste de shogun, accordée par une cour impériale moribonde mais qui conserve le prestige d'attribuer des titres (1582). Cependant, avant d'en arriver là, le jeune Nobunaga doit surmonter de sérieux handicaps. Toute sa vie, il fera figure de parvenu, car non issu d'une lignée de guerriers prestigieux, mais fils d'un vassal aux origines obscures du clan SHIBA, ODA Nobuhide (1510-1551). Ce dernier s'est cependant rendu maître du château de Nagoya et constitué un fief dans la riche province agricole d'Owari. Mais, pour recueillir son héritage, Nobunaga doit écarter ou éliminer la plupart des autres membres de sa famille. Une étape décisive est ensuite franchie quand Nobunaga défait et tue son rival à l'est de ses terres, le daimyo IMAGAWA Yoshimoto, seigneur de Totomi, à la bataille d'Okehazama (1560). À la tête de provinces proches du centre du Japon, il se met à rêver d'un destin national et d'une progression militaire vers Kyoto, afin d'y devenir le nouvel homme fort du Japon et de le réunifier sous sa bannière. Outre cet atout géographique, il va faire avancer son projet par un habile mélange de recours à la guerre, à la diplomatie et aux alliances matrimoniales. Ainsi, il parvient à s'entendre avec le jeune daimyo MATSUDAIRA Motoyasu (futur TOKUGAWA Ieyasu), pourtant à l'origine allié de ses ennemis les IMAGAWA. Le sort des armes favorise décidément Nobunaga puisque, se rapprochant de la capitale, il s'empare de la province de Mino, puis fonde le château et la ville de Gifu (1567). Même si ses conquêtes et le nombre de ses vassaux augmentent, il s'appuie en priorité sur ses très proches parents, comme l'un de ses frères ou son fils aîné, ou un groupe d'hommes lui devant tout, comme KINOSHITA Tokichiro (le futur TOYOTOMI Hideyoshi). Devenu un acteur politique incontournable dans le centre du Japon, Nobunaga prend le contrôle de Kyoto (1568). Après avoir mis au pas l'empereur et le shogun ASHIKAGA Yoshiaki, il réduit avec brutalité l'autonomie acquise par les moines soldats de la secte Tendai du mont Hiei (1571) ou les ligues de ruraux révoltés ikko ikki de la secte Jodo shin-shu. En outre, Nobunaga défait successivement tous les daimyo qui tentent de lui résister, même si, un temps, TAKEDA Shingen (1521-1573), illustre chef de guerre maître de la province de Kai, semble devoir lui tenir Page 23/43 tête. Mais, après la mort de celui-ci, son héritier, allié aux ikko ikki, est battu à Nagashino (1575) par Nobunaga, TOYOTOMI Hideyoshi et TOKUGAWA Ieyasu. Cette bataille marque un tournant dans l'art de la guerre et une rupture avec l'esprit de chevalerie tels qu'ils sont pratiqués jusque-là au Japon. Car, sur le plan stratégique, le pragmatique Nobunaga est le premier à saisir l'importance de l'utilisation des mousquets à mèche et des fantassins légers (ashigaru), face à la cavalerie lourde que ses adversaires prennent encore pour la reine des batailles. Aussi, il s'emploie à faire copier les arquebuses venues d'Occident, quitte à faire les yeux doux aux "Barbares du Sud" (Namban), Portugais et Espagnols, afin de s'en procurer. Ainsi, à Nagashino, un corps de 3 000 arquebusiers (teppo ashigaru) constitué par Nobunaga joue un rôle crucial au cours de l'affrontement. Alignés sur trois rangs derrière une palissade, ils déciment de leur feu nourri la charge de la fière cavalerie des TAKEDA. En 1576, Nobunaga se fait construire une somptueuse résidence, une forteresse avec donjon, à Azuchi (province d'Omi), qui deviendra le modèle de ce genre de château édifié par la suite au Japon. Il prend également des mesures concrètes pour raffermir sa dictature militaire. Pour mettre un terme à la confusion entre les classes sociales qui s'était établie durant le Sengoku Jidai, il sépare strictement les militaires des paysans, désarmés par une "chasse aux sabres" (katanagari). L'établissement d'un cadastre à l'échelle de toutes les provinces sous sa domination est aussi décidé afin de servir de base à la perception des impôts. Néanmoins, Nobunaga doit encore combattre les ikko ikki et leur templeforteresse, le Hongan-ji d'Ishiyama, se trouvant sur le site de la future Osaka (1580). Il doit aussi en finir avec les TAKEDA et une coalition de daimyo de l'ouest du Japon s'opposant à lui. Après avoir été nommé shogun, Nobunaga, en visite à Kyoto, est attaqué dans le Honno-ji. Ce temple est encerclé et incendié par l'un des propres généraux, AKECHI Mitsuhide, qui le rend responsable de la mort de sa mère. Le premier unificateur s'y suicide en compagnie de son fils aîné (1582). TOYOTOMI Hideyoshi (1536-1598) ODA Nobunaga est promptement vengé par un autre de ses généraux, TOYOTOMI Hideyoshi, qui dirige les troupes combattant les daimyo de l'Ouest. Hideyoshi défait AKECHI Mitsuhide à la bataille de Yamazaki (1582). Il fait alors donner le titre de shogun à un fils cadet de Nobunaga,mais va tout de suite concentrer sur sa personne les rênes du pouvoir et devenir le deuxième unificateur du Japon. Celui qui finit par s'appeler TOYOTOMI Hideyoshi a d'abord porté divers noms et s'est inventé, la gloire venant grâce au métier des armes, un pedigree prestigieux pour masquer sa très humble origine. Il est le fils d'un paysan d'Owari, en temps de guerre fantassin léger des ODA. Après s'être essayé à différents apprentissages auprès d'artisans, il opte pour une carrière militaire. Il se place d'abord sous les ordres d'un vassal des IMAGAWA, ennemis des ODA, avant de finalement rallier le camp de Nobunaga (1558). Malgré son physique particulier, qui le fait surnommer "le singe" (saru) par Nobunaga, Hideyoshi sait faire valoir ses nombreuses qualités au service de son nouveau maître, y compris un sens consommé de l'intrigue. Désormais, il est de toutes les guerres menées par Nobunaga et reçoit en récompense divers fiefs et châteaux, dont celui d'Himeji, dans l'ouest de Honshu. Après la mort de Nobunaga et après avoir neutralisé ou éliminé d'autres prétendants possibles, Hideyoshi recueille son héritage. Il fortifie sa position dominante sur les provinces centrales et poursuit l'unification du Japon. Suite aux batailles sans grand résultat de Komaki et de Nagakute, il fait la paix avec TOKUGAWA Ieyasu, évitant que ce dernier ne devienne son plus puissant opposant (1584). Dans le même temps, sur les ruines du temple-forteresse des ikko ikki, il fonde le château et la ville d'Osaka. Page 24/43 Maître du Japon dans les faits, sa très modeste origine lui interdit d'être nommé shogun. Il fait alors "exhumer" pour lui le titre, remontant à la période de Heian, de kampaku ("régent de majorité" de l'empereur) et se fait adopter (1585) par la famille FUJIWARA, à laquelle il est réservé depuis lors. Dans les années qui suivent, Hideyoshi s'applique à "pacifier" définitivement l'archipel nippon, en soumettant les daimyo qui lui résistent encore à Kyushu, à Shikoku et dans le nord de Honshu. Il fait détruire leurs châteaux et s'attribue leurs terres ou les répartit entre ses partisans. Les daimyo sont hiérarchisés par un classement qui évalue en koku (180 litres) la récolte annuelle de riz dans leurs domaines. Ils sont assujettis à Hideyoshi par un système qui les obligent à venir lui rendre ponctuellement visite et à laisser leur famille en otage à Kyoto. Hideyoshi s'y est d'ailleurs fait construire les châteaux du Jurakutei, puis de Momoyama, où il joue les mécènes et s'adonne au plaisir de cultiver les arts, comme certains des ASHIKAGA, sous le shogunat de Muromachi. Il peut se le permettre pour être devenu l'homme le plus riche du Japon. À la suite de Nobunaga, il a perfectionné l'établissement de cadastres et la rentrée des recettes fiscales. En outre, il se montre très attentif au développement de la prospection minière qui lui permet de battre les premières monnaies japonaises en or, notamment grâce aux gisements de l'île de Sado (nord-ouest de Honshu). Ainsi, il préfigure l'industrie du Japon moderne. Lui, qui a pu s'élever grâce à sa réussite en tant que combattant, enlève aux autres cette possibilité en achevant de figer la mobilité entre les classes sociales. De plus, une nouvelle "chasse aux sabres" confisque les armes des paysans sous le prétexte de construire avec une grande statue de Bouddha. Hideyoshi se préoccupe également du fructueux commerce avec la Chine, mais reprend aux Européens le contrôle du port de Nagasaki, concédé par un daimyo chrétien de Kyushu. Échaudé par les rivalités entre Portugais et Espagnols, il redoute surtout que l'extension du christianisme au Japon ne préfigure une tentative de conquête étrangère, et le fait interdire (1587). Il fait même supplicier 26 religieux chrétiens de Nagasaki pour l'exemple (1597).Afin d'occuper la classe toujours remuante des guerriers, il organise deux grandes campagnes de conquête de la Corée (1592 et 1597) qui, au-delà, visent la Chine. Mais elles se soldent, au final, par une déroute. Cependant, Hideyoshi a d'autres préoccupations en tête car vient de lui naître tardivement un fils, TOYOTOMI Hideyori (1592-1615) et il rêve de fonder une dynastie quand la dysenterie l'emporte brusquement (1598). Il a juste eu le temps de confier la garde de son cher rejeton à un conseil de régence où domine la personnalité du puissant TOKUGAWA Ieyasu. TOKUGAWA Ieyasu (1543-1616) À l'origine le plus favorisé par la naissance des trois unificateurs, TOKUGAWA Ieyasu est paradoxalement celui qui doit attendre le plus patiemment son heure. Il finit néanmoins par capter l'héritage de ses deux prédécesseurs et, contrairement à eux, fonder une dynastie shogunale durable. Fils du daimyo MATSUDAIRA Hirotada (1526-1549), TOKUGAWA Ieyasu naît sous le nom de MATSUDAIRA Takechiyo, au château d'Okazaki, dans la province de Mikawa. Très jeune, il est envoyé comme page - en fait otage et garant d'une alliance - auprès d'IMAGAWA Yoshimoto, ennemi des ODA. En chemin, il est capturé par ces derniers qui le retiennent un temps prisonnier, puis il regagne le giron des IMAGAWA. Après la bataille d'Okehazama (1560), celui qui se fait appeler maintenant MATSUDAIRA Motoyasu se range aux côtés d'ODA Nobunaga, qui a pris le dessus sur son père et sur son tuteur IMAGAWA. Page 25/43 Dès lors, MATSUDAIRA Motoyasu va collaborer avec Nobunaga dans ses entreprises guerrières. Depuis son château d'Okazaki et le Mikawa, il étend progressivement son influence sur 5 provinces. Après la mort de Nobunaga, il combat TOYOTOMI Hideyoshi dans un premier temps, puis parvient à s'entendre avec lui. Entre-temps, il a obtenu de la cour impériale, dès 1566, de s'appeler TOKUGAWA Ieyasu. L'adoption de ce nom, indice de sa très grande ambition, lui permet de rapprocher son lignage familial de celui des MINAMOTO et des ASHIKAGA. Une ascendance dont il faut se réclamer pour fonder éventuellement un shogunat comme ceux de Kamakura et de Muromachi... En 1590, après avoir défait avec Hideyoshi le clan des HOJO - sans lien de parenté avec les régents de Kamakura -, il transporte le centre de son pouvoir vers l'Est. Avec l'accord d'Hideyoshi, il échange ses possessions contre sa domination sur le Kanto, qui lui procure un revenu de 2 500 000 koku, faisant de lui le daimyo le plus riche du Japon. Il s'installe à Edo (future Tokyo), ancien village de pêcheurs pourvu d'un château et commençant à devenir une ville à partir de 1457. Désigné comme l'un des cinq membres du conseil de régence instauré avant sa mort par Hideyoshi, Ieyasu va s'approprier son héritage aux dépens de l'héritier de ce dernier. Comme Hideyoshi l'avait fait lui-même à la mort de Nobunaga. Deux coalitions de daimyo, l'une de l'Est soutenant Ieyasu, l'autre de l'Ouest acquise à TOYOTOMI Hideyori, fils d'Hideyoshi, se font alors face pour le contrôle du pays. Elles s'affrontent lors de la bataille décisive de Sekigahara (1600) . Vainqueur, Ieyasu procède à une redistribution des fiefs de ses ennemis à ses partisans et attend sans s'impatienter - il a l'habitude - que la cour impériale le nomme shogun (1603). Ainsi est fondé le troisième shogunat (ou bakufu), celui des TOKUGAWA (ou d'Edo) qui, comme le premier, celui des MINAMOTO, a son siège dans l'est du Japon. Très préoccupé d'assurer solidement sa succession, Ieyasu transmet rapidement ce titre à l'un de ses fils (1605), mais continue à diriger les affaires du pays. Par tactique politique, Ieyasu se montre grand seigneur avec Hideyori, le perdant de Sekigahara, en le mariant à sa petitefille. Mais il l'enferme néanmoins dans une cage dorée au château d'Osaka. Ce qui n'empêche pas les opposants au nouveau régime de se regrouper autour de lui. Au point qu'Ieyasu finit par faire mettre le siège autour de cette forteresse (1614-1615), puis par la faire incendier, acculant Hideyori au suicide. Le très jeune fils de ce dernier, petit-fils d'Hideyoshi et arrière-petit-fils d'Ieyasu, est également décapité. Ce dernier épisode sanglant assure l'exclusivité du pouvoir aux seuls TOKUGAWA, peu avant le décès d'Ieyasu (1616). Sa main de fer va cependant procurer au Japon deux siècles et demi de paix à venir. Page 26/43 - Histoire du Japon, 7e partie Le shogunat des TOKUGAWA : la période d'Edo Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1616 à 1867 après JC. L'instauration de la dictature de la paix (1616-1651) TOKUGAWA Ieyasu (1543-1616) devient shogun en 1603. Il fonde le troisième shogunat (ou bakufu) japonais, celui des TOKUGAWA, dit aussi celui d'Edo, d'après le nom de la ville (aujourd'hui Tokyo) de l'est de Honshu, où il installe le centre de son autorité. Cette dernière éclipse dès lors Kyoto, la cité impériale, dans son rôle de capitale et devient le vrai centre politique du pays. Théoriquement, le shogun TOKUGAWA est un dictateur militaire qui détient son pouvoir par délégation de l'empereur du Japon. En réalité, c'est bien le premier qui gouverne l'archipel, tenant le second et sa cour sous sa coupe et l'obligeant à se contenter de vivre de revenus financiers relativement modestes. La bataille de Sekigahara (1600) a rendu Ieyasu maître du pays. Ensuite, le shogunat établit son administration directe sur de nombreux domaines. Les autres fiefs sont redistribués aux seuls grands seigneurs féodaux (daimyo) ayant soutenu Ieyasu. Outre Edo et Kyoto, le shogunat étend également sa domination sur les grandes villes, souvent riches et commerçantes, comme Osaka, Sakai, Nara et Nagasaki. Ieyasu et ses successeurs, son fils Hidetada (1579-1632) et son petit-fils Iemitsu (1604-1651), renforcent le caractère autoritaire du régime et le dotent de diverses institutions. Ainsi, le shogun est assisté par un "conseil des anciens" (roju), de cinq membres, présidé par un "grand ancien" (tairo), et appuyé par un conseil auxiliaire de "moins anciens" (wakadoshiyori). Des préfets sont placés à la tête des grandes villes contrôlées directement par le régime et un gouverneur surveille Kyoto. La grande décision du shogunat des TOKUGAWA demeure la fermeture du Japon aux étrangers, progressive à partir de 1616, puis quasiment complète à partir de 1639. Elle va couper l'archipel du reste du monde pendant plus de deux siècles. Dans un premier temps, les ports d'Hirado et de Nagasaki (Kyushu) continuent à être ouverts. Puis, Portugais, Espagnols et Anglais, présents depuis le début du XVIIe siècle avec les Hollandais, sont sommés de partir. En 1637, intervient l'insurrection des catholiques japonais de Shimabara (Kyushu), réprimée dans le sang par les troupes du shogunat, aidées par les navires et les canons des Hollandais, protestants. Ces derniers, confinés dans l'îlot artificiel de Dejima, dans le port de Nagasaki, sont désormais les seuls Européens autorisés à venir au Japon. Le christianisme y est à nouveau prohibé. Tandis que les Japonais expatriés sont interdits de retour, l'archipel ne reçoit plus que, quelques fois par an, la visite de quelques bateaux chinois, coréens et hollandais dûment autorisés. Shimabara constitue d'ailleurs la dernière grande manifestation de violence collective connue sous le shogunat. Page 27/43 Dans les affaires intérieures, le nouveau régime instaure sa dictature de la paix. Afin d'en finir avec les anciennes divisions régionales, un contrôle sévère s'exerce sur les daimyo. Ceux-ci sont inclus dans une hiérarchie en fonction de leur degré d'alliance aux TOKUGAWA. Leur autonomie par rapport à l'autorité centrale du shogun est supprimée par un système coercitif qui les menace d'une plus ou moins grande disgrâce. Surveillés par des inspecteurs, ils sont éventuellement punis par leur déplacement dans un fief au revenu moins important, voire en sont privés ou obligés de se suicider. Leurs finances sont affaiblies par le paiement des travaux du château shogunal édifié à Edo et l'obligation de fournir des troupes. Ils sont aussi contraints à une "présence alternée" (sankin-kotai) d'une année sur deux à Edo, où ils laissent leurs principales épouses et leurs héritiers sous la menace du shogun durant l'année passée dans leurs domaines. Ce devoir d'entretenir une double résidence, un seul château par fief, irréparable sans autorisation, mais aussi un palais dans la capitale shogunale, est conçu pour les appauvrir. Tout comme le fait de se déplacer vers Edo et en revenir avec leur suite en un dispendieux cortège, le long de routes imposées, comme celle du Tokaido, qui conduit de Kyoto à Edo en 53 étapes. Elle comporte d'ailleurs autant de barrières où la police des TOKUGAWA vérifie les possibles déplacements frauduleux d'armes, voire des femmes du daimyo, assujetti jusque dans sa vie privée. En l'occurrence, il lui est même interdit de se marier sans en référer au shogun... En ce XVIIe siècle, le groupe des guerriers représente 6 à 7 % des Japonais. Il se distingue du reste de la population (paysans, commerçants et artisans), sur lequel il a le droit de vie et de mort, par le port de deux sabres, le long (katana) et le court (wakizashi). En fait, le shogun TOKUGAWA a domestiqué cette classe et l'a organisée dans une structure pyramidale. Il en constitue la tête avec, au-dessous de lui, les daimyo, commandant et regroupant au sein de leurs clans respectifs ces samurai. Ceux-ci se répartissent en différentes catégories en fonction du fief ou du revenu dont ils ont l'usufruit en échange de leur fidélité à leur seigneur. Ils obéissent à un code moral fixé à cette époque, le bushido (voie des guerriers), prônant des valeurs de maîtrise de soi, de frugalité, de chevalerie et de dévouement qui trouvent leur manifestation ultime dans le suicide ritualisé (seppuku, appelé improprement en Occident hara-kiri). Ce dernier va demeurer l'une des rares manifestations de violence individuelle. En effet, une fois que le shogunat des TOKUGAWA a établi sa dictature de la paix, il va réduire progressivement les samurai à devenir des guerriers virtuels, maniant surtout le sabre de bois (développement dukendo). Le pouvoir, bien que militaire à l'origine, va les inciter à se cultiver pour se transformer en bureaucrates au service du régime. Vassaux de perdants de la bataille de Sekigahara ou de daimyo disgraciés plus tard, certains samurai se transforment en errants sans maître, devenant des ronin (littéralement hommes de la vague). Le shogunat interdit d'ailleurs les suicides collectifs par fidélité après la mort d'un daimyo destitué, qui tendaient à se généraliser. De plus en plus nombreux, ces déclassés se font donc enseignants pour les plus instruits, artisans ou, plus prosaïquement, brigands. Leur révolte est réprimée après la mort du shogun Iemitsu (1651), puis ils finissent par se fondre dans le reste de la population. En outre, les problèmes d'argent, qui vont devenir récurrents pour les TOKUGAWA, commencent à apparaître avec les dépenses somptuaires occasionnées par la construction des monuments funéraires des premiers shoguns de la dynastie à Nikko (aujourd'hui au nord de Tokyo). Apogée et déclin du shogunat des Tokugawa (1651-1853) Du XVIIe au XIXe siècle, les TOKUGAWA ne vont pas cesser de se cramponner à leur objectif premier de perpétuer leur régime. Dans ce but, ils ont imposé une paix civile qu'ils voudraient maintenir par l'immobilisme politique et social à l'intérieur de l'archipel nippon, et l'isolationnisme envers l'extérieur. Leur conservatisme est conforté par l'adoption d'une idéologie officielle néo-confucianiste, inspirée du modèle toujours présent de la Chine. Page 28/43 Cependant, le Japon tourne ainsi le dos au progrès technique et aux développements qui naissent en Europe à l'époque de la Révolution industrielle. Au contraire, parmi l'élite dirigeante de la classe des guerriers va continuer à prévaloir l'idée, de plus en plus rétrograde, que l'agriculture et, surtout, la production de riz, doivent demeurer les fondements de l'économie. En dépit du blocage social, un exode rural très important grossit les populations des grandes villes et y augmente la misère. Mais, à côté, une bourgeoisie citadine (les chonin) s'y épanouit également. Elle profite de l'essor du commerce, favorisé par la fin de la segmentation du Japon en fiefs de daimyo imposant anciennement des entraves douanières. Cette situation disparaît au profit de la constitution d'un grand marché intérieur et d'une économie monétaire enfin étendue à tout le pays. Daimyo et samurai, appauvris par le shogunat, vont d'ailleurs de plus en plus s'endetter auprès des chonin et se lier à eux, notamment par le biais d'unions matrimoniales. La prospérité des chonin est aussi à l'origine de l'émergence d'une nouvelle culture, dite de l'ère Genroku. Plus frivole que celle affectionnée par les guerriers, elle connaît son sommet au tournant du XVIIe siècle et s'épanouit dans les quartiers des plaisirs, comme Yoshiwara à Edo. Ce "monde flottant" est notamment le domaine de la geisha, courtisane et aussi experte dans la pratique de divers arts, la musique notamment. Les auteurs d'estampes et de xylogravures sont inspirés par des thèmes de cette culture urbaine dont deux des fleurons sont le théâtre Kabuki et la vogue des poèmes haiku. Pendant ce temps, après un début de "règne" prometteur, apogée du régime des TOKUGAWA, le shogun Tsunayoshi (1646-1709) laisse la situation péricliter. Ses prédécesseurs avaient, certes, pris le contrôle des gisements de métaux précieux (or et argent) du pays et s'étaient attribués le droit exclusif de battre monnaie. Mais, face à des difficultés financières persistantes, lui et ses successeurs vont devoir prendre des mesures répétées de dévaluation et d'augmentation de la pression fiscale. Tsunayoshi, bouddhiste fervent préoccupé de la protection des êtres vivants plus faibles dans lesquels on est susceptible de se réincarner, se signale par son amour exagéré des chiens. Ce qui lui vaut d'être moqué. Il finit d'ailleurs fou et assassiné par sa femme... En 1701-1703 vient se placer l'incident des quarante-sept ronin. Ils attendent deux ans dans la dissimulation de pouvoir venger leur ancien maître, un daimyo contraint au suicide par les manigances d'un dignitaire de la cour du shogun. Leur vendetta défiant l'ordre public accomplie, ce dernier les autorise néanmoins à se faire seppuku. Leur déjà presque anachronique expression de l'esprit de chevalerie et de fidélité de vassaux envers leur suzerain marque pourtant durablement les esprits. Quoi qu'il en soit, le Japon continue à vivre replié sur lui-même, avec une économie essentiellement agricole. Or, entre le début et la fin du shogunat, la population est multipliée par trois, pour atteindre plus d'une trentaine de millions d'habitants, tandis que les rendements ne suivent pas toujours. Le sort des paysans ne va pas s'en trouver amélioré. Les famines vont donc se répéter, y compris dans la première moitié du XIXe siècle, avec leur lot de rébellions impitoyablement réprimées s'étendant parfois aux villes. À cela s'ajoutent diverses catastrophes naturelles. À commencer par plusieurs incendies ravageant Edo, première ville du monde par sa population et longtemps construite en bois. Sans parler des tremblements de terre, comme celui du Kanto, en 1703, ou des éruptions volcaniques, dont la dernière touchant le mont Fuji, en 1707. Le shogun Yoshimune (1684-1751) tente bien par des mesures énergiques de réduire les crises rurales et la pauvreté des campagnes. Il allège également les restrictions qui pèsent sur la circulation des livres étrangers, facilitant l'épanouissement des "études hollandaises" (rangaku). Les Hollandais restent les Page 29/43 seuls étrangers autorisés à des contacts parcimonieux avec les Japonais, constituant leur principale source d'information sur les techniques nouvelles, les sciences modernes et la médecine. À l'inverse, une autre école d'intellectuels nippons (wagakusha) remet à l'honneur le shinto et les anciens mythes sur l'ascendance divine de l'empereur. Elle annonce un nationalisme en devenir et un mouvement favorable à la restauration du pouvoir impérial qui va remettre en question l'existence même d'un shogun. Cependant, la pression sur les frontières toujours fermées de l'archipel se fait de plus en plus forte de la part des puissances occidentales colonialistes. Entre autres, les Britanniques, menaçants champions du Libre Échange, viennent de s'ouvrir le marché de la Chine avec leurs canonnières suite aux Guerres de l'opium (1839-1842). De même, les Français s'intéressent aux îles Ryukyu, au sud du Japon, tandis que les Russes convoitent la nordique Ezo (la future Hokkaido), alors seulement partiellement entrée dans le giron du shogunat. Fin du shogunat des Tokugawa (Bakumatsu,1853-1867) Après presque 250 ans de soumission collective, passés à l'écart du reste du monde, le Japon, encore partiellement plongé dans la féodalité, est brutalement contraint à l'ouverture. Cet évènement se solde par la capitulation du shogunat (ou bakufu) des TOKUGAWA face aux exigences étrangères. Il va provoquer une crise de confiance à l'intérieur du pays qui va précipiter la fin du régime, à l'issue d'une période troublée appelée Bakumatsu (la Fin du bakufu). En 1853, profitant de la Guerre de Crimée qui occupe Anglais et Français, les Américains, en pleine expansion dans le Pacifique, obtiennent la déclaustration du Japon. L'officier de marine Matthew PERRY (1794-1858), au cours d'une promenade militaire dans la baie d'Edo, exhibe quelques navires et leurs canons, dont certains à vapeur. Le shogun en poste doit s'incliner face à la supériorité technologique des étrangers et décide de traiter lors du retour des "vaisseaux noirs", en 1854. Des accords commerciaux sont passés avec les États-Unis, leur ouvrant deux ports : Shimoda (près d'Edo) où vient s'installer bientôt un consul américain, Townsend HARRIS (1804-1878), et Hakodate (Ezo, aujourd'hui Hokkaido). Très rapidement, d'autres puissances occidentales s'engouffrent dans la brèche à la suite des Américains. Ainsi, outre les Hollandais déjà présents, Anglais, Russes et Français se voient reconnaître des conditions commerciales favorables pour s'établir au Japon. Certains ports comme Yokohama (maintenant près de Tokyo) profitent de leur implantation pour se développer. Néanmoins, la venue des étrangers divise les sphères dirigeantes japonaises en deux camps. Les plus conservateurs et xénophobes voudraient tout simplement s'en débarrasser. On trouve parmi eux eux de jeunes samurai très dynamiques, entraînés physiquement et bien éduqués, issus des couches les plus basses des guerriers de clans éloignés géographiquement du pouvoir central du shogun à Edo. C'est particulièrement le cas des hommes des fiefs de Choshu (extrême ouest de Honshu) et de Satsuma (sud de Kyushu). Ces seigneuries, traditionnellement résistantes au shogunat, se sont pourtant enrichies, malgré ses interdictions, en continuant à faire du négoce avec la Chine et la Corée. Leurs samurai se réclament de l'empereur, dont ils veulent faire le défenseur de l'indépendance nationale. Ils se rapprochent dans ce but des princes de la cour impériale de Kyoto qui sort d'un sommeil de nombreux siècles. En revanche, les plus pragmatiques, shogun en tête, ont pris le parti de s'accommoder de l'intrusion occidentale, au moins le temps d'apprendre d'elle comment moderniser le pays et, en premier lieu, son artillerie et sa flotte. Leur différend va rapidement dégénérer et se régler en batailles rangées au sabre dans les rues. Ainsi, des éléments conservateurs assassinent le "grand ancien" (tairo) II Naosuke (1815-1860), négociateur des "traités inégaux", pour eux la personnalité symbolique de la compromission avec les étrangers. Les marines occidentales se livrent cependant à des démonstrations de force contre les ports de Kagoshima (Satsuma) en Page 30/43 1862 et Shimonoseki (Choshu) en 1863-1864, suite à des actes d'hostilité des clans locaux. Elles obligent le shogunat à de nouvelles concessions. Partisans d'une restauration de l'empereur, clan de Choshu au premier rang, et troupes shogunales comme la milice nommée shinsen-gumi, s'affrontent au cours de diverses escarmouches. Ils se disputent notamment le contrôle de Kyoto. Face à la progression des idées prônant le rétablissement du pouvoir impérial et à une situation de guerre civile latente, le shogunat ne reste pas inactif. Il crée un embryon d'armée moderne équipée de fusil. Mais les élites de Satsuma et de Choshu font de même, tirant les leçons de leurs affrontements perdus contre les Occidentaux. Elles mettent une sourdine à leur xénophobie et reçoivent l'appui des Britanniques ! Dans le même temps, l'échec d'opérations militaires dirigées contre ces fiefs récalcitrants de 1864 à 1866 conforte le parti pro-impérial. Le dernier shogun TOKUGAWA, Yoshinobu (1837-1913), gouverne un an avant de devoir renoncer à un pouvoir qu'il est censé détenir d'une délégation impériale. Le 9 novembre 1867, le shogunat est supprimé au profit d'une restauration de l'autorité du jeune empereur Mutsuhito (nom posthume : Meiji, 1852-1912). Page 31/43 - Histoire du Japon, 8e partie L'Ere Meiji Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1868 à 1912. L'Occident pour modèle (1868-1877) En janvier 1868, à Kyoto, les jeunes samurai des clans favorables à l'empereur proclament sa restauration. Il s'agit, en particulier, de ceux de Choshu (extrême Ouest de Honshu) et de Satsuma (Sud de Kyushu), qui ont pu jauger la supériorité technique et militaire des Occidentaux en les combattant en 1862-1864. Aussi, de conservateurs xénophobes, les membres de leurs élites sont devenus rapidement en partie des progressistes favorables à une modernisation du Japon, dans le but de rétablir son indépendance nationale. Ces hommes, qui vont diriger le pays jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, vont en faire un État centralisé et fort, ouvert sur le monde après plus de deux siècles d'isolationnisme. Dans ce but, l'archipel nippon, comme il s'était jadis mis à l'école de la Chine, va prendre modèle sur les puissances occidentales pour se rénover et retourner contre elles leurs propres armes. Avant cela, les troupes pro-impériales doivent en finir avec la résistance d'une coalition de seigneurs féodaux (daimyo) du nord de Honshu et une force navale repliée sur Hakodate (aujourd'hui à Hokkaido) restées fidèles au dernier shogun TOKUGAWA (guerre civile de Boshin, 1868-1869). Dès avril 1868, le jeune empereur Mutsuhito (18521912) prête cependant un serment en cinq articles, qui annoncent les changements prévus par le nouveau régime et l'ouverture officielle du Japon. Le monarque proclame peu après une nouvelle ère Meiji (du "Gouvernement éclairé"), qui va correspondre au temps de son règne, Meiji lui servant aussi de nom posthume après sa mort. Il transfère également la capitale impériale de Kyoto à Edo, prenant alors pour nom Tokyo (Capitale de l'Est), où l'ancien château shogunal devient sa résidence. Les nouveaux dirigeants du Japon se recrutent parmi les jeunes samurai des fiefs méridionaux partisans de l'empereur, auxquels sont associés des dignitaires de sa cour, se contentant souvent de postes honorifiques. Par certains aspects de leur action, ils engagent une véritable révolution tranquille en mettant fin à certaines structures féodales et archaïsmes persistants. Ils vont chercher, par l'imitation de l'Occident, à placer le pays sur les rails de la modernité, pour tenter d'en faire une locomotive, au moins en Asie, parmi les puissances les plus avancées techniquement de la fin du XIXe siècle. Dans le même temps, ils forment une oligarchie qui, née sous le shogunat des TOKUGAWA, conserve une conception assez retardataire du pouvoir, plus proche de l'autocratie que des idées démocratiques. Néanmoins, dès 1869, les daimyo, ceux de Satsuma et de Choshu montrant l'exemple, restituent leurs fiefs à l'empereur. Ces derniers sont d'ailleurs supprimés en 1871 et refondus en un nombre moins important de Page 32/43 préfectures (ou départements : ken). Dans le même temps, le shinto redevient une religion d'État, insistant sur la fidélité au souverain et refaisant de lui véritablement un dieu pour ses sujets. Même si d'autres cultes sont également pratiqués, comme le bouddhisme ou le christianisme redevenu autorisé mais restant très minoritaire. L'éducation fait l'objet d'une attention spéciale. En 1872, un système scolaire obligatoire est instauré. Des universités impériales ou privées commencent à être créées, comme celle de Tokyo, entre 1869 et 1877. Afin de former les Japonais aux sciences et aux techniques modernes, on y fait venir des enseignants étrangers, attirés par de fortes rémunérations. Des missions et des étudiants sont aussi envoyés en Europe et aux ÉtatsUnis pour se former et y copier ce qui se fait de mieux dans les domaines des technologies, de la politique ou de la justice. Ce mouvement a même débuté dès la période de la fin du shogunat des TOKUGAWA. Les missionnaires protestants, entre autres, fondent des écoles au Japon. Gratuites, elles représentent une charge de moins pour le gouvernement. Car le Japon a besoin d'argent pour mener à bien sa rénovation qui poursuit, avant tout, deux buts primordiaux : industrialiser le pays et mettre sur pied une armée moderne. Au-delà, il compte bien retrouver une complète indépendance par rapport aux conditions des "traités inégaux" imposés par les puissances colonialistes occidentales. D'abord, pour mettre un terme aux privilèges d'extraterritorialité dont bénéficient leurs ressortissants dans l'archipel, et afin de pouvoir fixer à sa guise ses droits de douane. Aussi, l'État japonais qui, outre les domaines des daimyo, a récupéré ceux de l'ancien shogunat, s'attelle à des réformes fiscales et tente de récupérer ses prérogatives dans le domaine du commerce. Il favorise le développement industriel qui se traduit par le dynamisme de la sériciculture ou des filatures. Il finance la mise en place d'infrastructures : train, routes, ports, poste, télégraphe, etc. Une première ligne de chemin de fer, reliant Tokyo à Yokohama, est inaugurée en 1872. Le yen, devise du pays, apparaît en 1871, et un système bancaire se met en place. Une armée devenue nationale prend la France pour modèle, puis l'Allemagne prussienne après la défaite de 1870. En 1873, la conscription militaire est établie et ses effectifs, encadrés et équipés à l'occidentale, sont désormais recrutés en priorité parmi les paysans, auxquels une réforme foncière donne au même moment la propriété de la terre. Dans le même temps, outre la famille impériale (kozoku), la société est divisée en trois classes sociales : noblesse (kazoku, incluant les daimyo), samurai (shizoku) et roturiers (heimin). Cependant, les samurai, vestiges de la féodalité, sont voués à disparaître, bien que les hommes qui gouvernent le Japon appartiennent à ce groupe. En 1876, le port du sabre leur est dorénavant interdit et ils ne sont plus pensionnés par l'État. Une faction de mécontents ne veut pas se résoudre à se fondre dans la masse des roturiers. Elle se soulève à Satsuma, en ralliant la personne du plus prestigieux d'entre eux, un ancien général ayant combattu pour l'empereur, SAIGO Takamori (1827-1877). Ce dernier se suicide peu après, constatant que les sabres de l'ancien monde ne peuvent rien contre les fusils de la nouvelle armée... La modernisation s'accélère (1877-1894) L'industrialisation rapide du Japon et l'imitation de l'Occident se poursuivent sous la houlette de l'État. Mais, dans les années 1880-1890, les dépenses occasionnées par les rénovations contraignent le pays à des mesures Page 33/43 d'austérité. Le ministre des Finances - et futur Premier Ministre - MATSUKATA Masayoshi (1835-1924) réduit l'inflation, fait remonter la valeur du yen et crée la Banque du Japon. C'est aussi à ce moment, après une phase de décollage économique initiée par la puissance publique, que l'industrie, suite à des dénationalisations, se trouve concentrée entre les mains de quelques grands hommes d'affaires. Ceux-ci, souvent d'anciens samurai, qui perpétuent l'esprit de cette classe dans leurs nouvelles activités, se révèlent très liés aux gouvernants du pays. Leurs entreprises, familiales à l'origine, forment ainsi des grands groupes financiers et industriels - ou zaibatstu (littéralement cliques financières) - en situation d'oligopole sur le marché national. Il s'agit en particulier de trusts comme Sumitomo, Mitsui ou Mistubishi. Entre 1875 et 1890, un conseil d'"aînés fondateurs" (genro), nommé par l'empereur, est fondé. Celui-ci s'inscrit dans la lignée du "conseil des anciens" (roju) de l'ex-shogunat des TOKUGAWA et préfigure la future Chambre des Pairs. Il prépare la promulgation d'une constitution qui s'inspire de ce qui se fait dans les pays occidentaux, comme l'organisation du gouvernement qui se met alors en place avec ses cabinets ministériels. Mais les constituants japonais se méfient cependant des idées sur la démocratie et sur les libertés personnelles - voire bientôt parfois socialisantes -, que les Japonais partis en séjour à l'étranger ramènent avec eux. En 1889, ils préfèrent faire adopter une constitution plus proche de celle de l'Allemagne prussienne, qui insiste sur la prépondérance de l'empereur, devant lequel le gouvernement est responsable. Elle entre en vigueur l'année suivante et prévoit l'instauration d'un Parlement, la Diète. Celle-ci se compose d'une Chambre des pairs, un sénat regroupant des nobles dont d'anciens daimyo, et une Chambre des représentants, éligibles au suffrage censitaire par une très faible partie de la population masculine. Les premières élections de 1890 tournent d'ailleurs en faveur de partis libéraux et progressistes créés peu auparavant en réaction contre le régime en place. Ils ne l'incitent pourtant qu'à adopter une politique encore plus autoritaire. Cependant, la population, éduquée et formée, s'accroît régulièrement et ne trouve plus toujours d'emplois dans l'industrie. Une partie d'entre elle est contrainte à l'émigration, notamment vers Hawaï, les États-Unis et l'Australie. Dans le même temps, l'archipel a étendu ses frontières exiguës aux îles Ryukyu (1879), au Sud. Il poursuit aussi au nord la colonisation d'Ezo (rebaptisée Hokkaido) et des îles Kouriles, au détriment du peuple autochtone des Ainu. Outre chez les capitaines d'industrie, l'esprit des samurai survit également au sein de l'armée nationale où les officiers continuent à porter le sabre. Dès le début des années 1860, les dirigeants de Satsuma, après avoir été bombardés par les navires des Britanniques, méditent rapidement leur échec et demandent à ceux-ci de les aider à développer une flotte moderne. Des hommes de ce fief méridional servent bientôt de cadres à la nouvelle marine japonaise de type occidental qui prend réellement son essor à la fin des années 188O. Le Japon, dorénavant prêt à entrer dans le concert des puissances coloniales, dispose ainsi d'un outil militaire susceptible d'appuyer sa volonté d'expansionnisme en Asie et dans le Pacifique. Une puissance internationale (1894-1912) Dès le milieu des années 1870, l'archipel renoue avec les appétits de conquête de TOYOTOMI Hideyoshi, trois siècles plus tôt, visant la Corée. Il inaugure une politique interventionniste à son encontre et commence à s'y implanter de la même manière que les Occidentaux ont fait intrusion chez lui. Au même moment, une expédition militaire est également menée contre l'île chinoise de Formose (aujourd'hui Taïwan). La Chine intervient d'ailleurs aussi dans les affaires de la Corée et ses intérêts y entrent en concurrence avec ceux du Japon, aboutissant à un conflit sino-japonais (1894-1895). Les Nippons l'emportent facilement sur terre et sur mer et leur pays démontre qu'il est devenu une puissance en Asie avec laquelle il faudra désormais compter. À l'issue du traité de Shimonoseki (Japon, 1895), il reçoit une forte indemnité de la Chine et étend sa domination sur Formose, les îles Pescadores et le Liaodong (Mandchourie, au nord-est de la Corée). Dans cette péninsule se situe Port-Arthur, base militaire âprement disputée entre les deux camps. Page 34/43 Toutefois, la Russie intervient, appuyée par l'Allemagne et la France, pour priver le Japon d'une partie de sa victoire. Le Liaodong et Port-Arthur sont restitués à la Chine et passent peu après dans le giron des Russes (1898) désireux, comme les Japonais, de contrôler la Mandchourie et la Corée. Le Japon, qui a gagné du galon dans le concert des grandes nations, participe aux côtés des puissances occidentales à la répression de la révolte des Boxers en Chine (1900). Mais il reste isolé diplomatiquement tandis que ses ambitions se heurtent maintenant à celles de l'expansion tsariste. Avant d'en découdre, l'archipel conclut une alliance avec la Grande-Bretagne (1902), rival de la Russie en Asie. Les Japonais se plaisent d'ailleurs à établir des rapprochements avec cet autre État insulaire, qui a créé un vaste empire et qui a par le passé soutenu la restauration du pouvoir de leur monarque. Le conflit russo-japonais (1904-1905) débute suite à une initiative nippone, sans déclaration de guerre. Les combats terrestres et maritimes principaux ont lieu autour de Port-Arthur, Moukden (Mandchourie) et près des îles Tsushima, entre le Japon et la Corée. Certes, la Russie tsariste est affaiblie par des troubles révolutionnaires et par les distances maritimes à parcourir pour les renforts de sa flotte de la Baltique venus se faire couler par les Japonais au large de leur archipel. Mais la victoire nippone est un véritable choc pour l'Europe et les États-Unis. Le Japon est désormais devenue la principale nation d'Asie et le premier pays non occidental à défaire une puissance impérialiste avec un armement moderne. Parmi d'autres, le journaliste américain Jack LONDON est alors correspondant de guerre en Corée et en Mandchourie. Socialiste, il est aussi, paradoxalement, persuadé de la supériorité de la "race" anglo-saxonne et un Californien inquiet de l'ampleur de l'immigration asiatique aux États-Unis. Aussi, il voit dans cette victoire du Japon une manifestation concrète de ce "Péril jaune" qu'il redoute, comme beaucoup de Blancs de son époque... Néanmoins, suite au traité de Portsmouth (États-Unis, 1905), la Russie abandonne ses prétentions sur la Mandchourie, son chemin de fer, et sur la Corée au profit du Japon. Celui-ci y gagne également le Liaodong et Port-Arthur, ainsi que la partie sud de l'île de Sakhaline. La péninsule coréenne devient un protectorat japonais, avec pour résident général ITO Hirobumi (1841-1909), inspirateur de la constitution de 1889 et plusieurs fois Premier ministre. Après son assassinat, la Corée est même annexée (1910). Dans ses affaires intérieures, le Japon a en outre, entre 1894 et 1911, retrouvé sa complète autonomie par rapport aux "traités inégaux" contractés avec diverses puissances occidentales. Il est ainsi débarrassé des privilèges d'extraterritorialité dont jouissaient certains étrangers et peut fixer à nouveau librement ses droits de douane. Dans les années 1910-1911, le régime en place continue à gouverner avec poigne. Une police politique est créée et l'opposition de gauche est mise au pas, notamment suite à la découverte d'un complot, peut-être un prétexte fabriqué, contre l'empereur. Ce dernier, Mutsuhito (ou Meiji), meurt en 1912. À l'annonce du décès de son souverain, le général NOGI, héros de la guerre russo-japonaise, se suicide avec son épouse. Ce geste anachronique de fidélité inspiré par l'ancienne tradition des samurai conforte une montée constante du nationalisme dans l'archipel. Page 35/43 - Histoire du Japon, 9e partie L'Ere Taisho et la 1ère partie de l'Ere Showa Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui : le Japon de 1912 à 1945. L'ère Taisho (1912-1926) Après le décès de son père, l'empereur MEIJI, YOSHIHITO règne sur le Japon de 1912 à 1926, période dite de l'ère Taisho (de "Grande Justice"), appelée ainsi d'après le nom posthume de ce dernier souverain. Lié à la Grande-Bretagne par un traité depuis 1902, le Japon combat durant la Première Guerre Mondiale aux côtés des Alliés contre L'Allemagne et ses colonies d'Extrême-Orient, et contre le Pacifique. Sa participation au conflit lui permet d'établir son hégémonie temporaire sur les Îles Mariannes, Carolines, Marshall et, en Chine, sur les territoires allemands du Shandong. En outre, le pays du Soleil levant profite du fait que les puissances occidentales s'entredéchirent au loin pour présenter "21 demandes" à la Chine, qui visent à faire d'elle un protectorat nippon (1915). L'ancien Empire du Milieu, devenu en 1911 une république, doit partiellement accepter ses conditions. En 1918, suite à la révolution bolchevique en Russie, les Japonais participent en force à l'intervention alliée en Sibérie (Vladivostok) et dans le nord de la Mandchourie, où ils veulent s'implanter durablement. Le Japon, dans le camp des vainqueurs, participe en 1919-1920 à la Conférence de la Paix à Versailles, et adhère à la SDN (Société des Nations), instance préfigurant l'ONU (Organisation des Nations Unies), créée à l'issue de la Première Guerre Mondiale. Il en reçoit un mandat confirmant sa domination sur divers archipels du Pacifique pris aux Allemands et son contrôle provisoire du Shandong. Cependant, la Chine s'emploie à contrecarrer les appétits de conquête nippons, soutenue par les États-Unis. Ces derniers encouragent aussi de graves émeutes indépendantistees en Corée, colonisée par les Japonais, où l'usage du coréen a même été interdit... En 1921-1922, est organisée la Conférence de Washington, qui doit régler ces questions de contentieux territoriaux. Le Japon est contraint d'abandonner le Shandong et d'évacuer ses troupes de Sibérie et de Mandchourie du Nord. Il voit aussi le tonnage de sa flotte de guerre limité par rapport à celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne, une mesure ressentie comme vexatoire. Ce grave échec diplomatique renforce parmi les militaires et dans le pays un vif sentiment anti-occidental. En outre, cette conviction des Japonais d'être victimes d'un racisme anti-Jaunes de la part des leurs propres alliés, en premier lieu anglo-saxons, est entretenue par la question de la forte immigration de leurs compatriotes aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Dans le courant des années 1920, ces pays mettent en place des quotas d'entrée plus restrictifs, notamment à l'encontre des Asiatiques... Page 36/43 À l'intérieur du Japon, la période est marquée par le tremblement de terre du 1er septembre 1923, qui ravage Tokyo et la plaine du Kanto, faisant entre 120 000 et 170 000 morts. La fureur populaire, à la recherche de responsables, prend pour cible la minorité coréenne (Zainichi). On dénombre ainsi 6 000 victimes de lynchages. Des militants de gauche périssent également d'exactions policières. La capitale est ensuite reconstruite, dotée d'infrastructures plus modernes. Une démocratisation relative de la vie politique se poursuit néanmoins, caractérisée par un régime de partis, dominé par les libéraux. En 1925, le suffrage universel est adopté pour tout électeur masculin âgé d'au moins 25 ans. Pourtant, la liberté d'opinion reste soumise à la surveillance policière. Un Parti socialiste modéré voit le jour en 1906, et un Parti communiste est fondé en 1921. Ils sont cependant vite interdits. La démocratisation va être de plus en plus entravée par une montée du nationalisme extrémiste, qui trouve notamment un écho favorable dans l'Armée. Ainsi, dès 1921, le Premier ministre HARA Kei est assassiné, annonçant une escalade du recours à la violence. Dans le domaine social, malgré certains relents d'hostilité à son endroit, l'habitude de prendre pour modèle l'Occident, initiée sous l'ère précédente Meiji, se perpétue ; surtout dans les villes, grossies par un fort exode rural. Ainsi, par exemple, la presse et les habitudes de la culture de masse occidentale s'y développent : cinéma, dancings, engouement pour le base-ball, sport "national"... En revanche, les campagnes restent réfractaires à ces transformations. Elles vont aussi être durement touchées par les difficultés économiques que va bientôt connaître l'archipel nippon, qui vont renforcer ses réflexes passéistes. L'empereur YOSHIHITO (ou TAISHO) décède en 1926. Diminué par une forme de méningite, il est remplacé dans les faits depuis 1921 par son fils HIROHITO, devenu régent. Ce dernier règne alors officiellement, de 1926 à 1989, durant l'ère SHOWA (nom posthume du nouveau monarque). Cette période de "Paix rayonnante" porte un nom paradoxal puisqu'elle débute par des années de guerre. La montée du militarisme (1926-1941) Dès 1927, et avant même la crise de 1929, dont les effets ne l'affectent réellement qu'en 1930 (Crise de Showa), le Japon est confronté à des problèmes économiques qui touchent d'abord les paysans et les petites entreprises. La grogne populaire profite à l'ultranationalisme, qui voudrait rejeter le parlementarisme et établir un régime autoritaire. Celui-ci serait alors susceptible d'appuyer une politique d'expansion territoriale en Asie, réclamée par les militaires. Selon les tenants d'une telle option, l'établissement d'un grand empire colonial, protégé par des mesures douanières protectionnistes, rétablirait la santé de l'économie nippone. Il lui offrirait des débouchés importants et réduirait sa trop grande dépendance par rapport à ses marchés extérieurs. Ce nationalisme extrémiste et expansionniste trouve ses racines dans la fondation en 1881-1901 - à Kyushu, partie de l'archipel nippon -, au contact de la Corée et de la Chine, de sociétés patriotiques d'extrême-droite comme la "Société de l'océan noir" (Genyosha) ou la "Société du Dragon noir" (kokuryukai). Les membres de ces mouvements veulent créer une "Grande Asie" japonaise s'étendant jusqu'au fleuve Amour, séparant la Sibérie de la Chine. Un tel impérialisme nippon, à la fois imitation et réaction contre le colonialisme occidental, séduit les milieux conservateurs de l'Armée. Il reçoit également le soutien des grandes entreprises, interessées par les profits économiques à tirer de futures conquêtes, bien que ces zaibatsu concentrent sur elles, à égalité avec les hommes politiques, le mécontentement populaire engendré par la récession. Le caractère péjoratif de leur nom, signifiant "cliques financières", date d'ailleurs de cette époque. Page 37/43 Ainsi, les conditions sont réunies pour que la population accepte la mise en place d'un régime de plus en plus autoritaire, dont les militaires vont progressivement contrôler la politique extérieure, pour finir par le dominer complètement. L'expansion japonaise trouve même son origine dans des initiatives venant de la base de l'Armée, sur le terrain, plutôt que de ses dirigeants, cependant prêts à assumer les actions de leurs subordonnés. Devant l'escalade orchestrée par les militaires, les gouvernements successifs et l'empereur du Japon vont laisser faire. En juin 1928, des membres de l'armée nippone du Guandong (Mandchourie) éliminent le général TCHANG Tso-lin, faisant sauter son train blindé. Celui-ci, l'un de ces "seigneurs de la guerre" qui se partagent alors la Chine, gouvernait la Mandchourie. Allié des Japonais, il montrait des velléités d'indépendance... En septembre 1931, les mêmes cadres de l'armée du Guandong provoquent l'"incident de Mandchourie" qui permet aux militaires nippons de conquérir cette dernière contre les Chinois. En février 1932 est ainsi créé un État vassal, le Mandchoukouo, avec à sa tête l'ancien empereur chinois déchu POU YI. Les militaires ne se contentent pas d'actions terroristes sur les théâtres d'opérations extérieurs. Ils durcissent également le ton à l'intérieur du pays. En mai 1932, l'assassinat du Premier ministre INUKAI Tsuyoshi annonce une perte rapide du pouvoir par les civils. Dorénavant, ses successeurs sont majoritairement des militaires jusqu'à la défaite de 1945. De plus, l'Armée est divisée en différentes factions et de jeunes officiers extrémistes, issus des campagnes appauvries par la crise économique, tentent un coup d'État en février 1936. Ils manquent de peu d'abattre le gouvernement et font plusieurs victimes parmi les parlementaires et de hauts gradés. Les mutins sont condamnés par l'empereur HIROHITO qui nomme cependant après cet incident un nouveau Premier ministre ultranationaliste : HIROTA Koki (1878-1948). Il s'ensuit un basculement des alliances du Japon qui a quitté la SDN dès 1933, suite à la création du Mandchoukouo. Le pays du Soleil levant se rapproche de l'Allemagne nazie (Pacte anti-Komintern contre l'URSS en 1936), puis de l'Italie fasciste, glissant vers le totalitarisme. Outre le nationalisme, le culte de l'empereur, remis en vigueur depuis l'ère Meiji, connaît alors son paroxysme. En juillet 1937 intervient l'"incident du pont Marco Polo", près de Pékin, prétexte à une tentative d'invasion nippone de la Chine qui débouche sur une nouvelle guerre sino-japonaise. Empereur et gouvernement laissent encore l'initiative à l'Armée sur le terrain qui progresse vers Shanghaï, Nankin et les zones côtières chinoises. Cette dernière se livre à des atrocités et à des massacres mais ne parvient pas à conquérir l'ensemble de la Chine. Dès lors, deux options opposent les militaires japonais à propos de la poursuite de l'expansion territoriale. La Marine lorgne sur l'Asie du Sud-Est et, entre autres, sur le pétrole - qui fait cruellement défaut au Japon - des Indes néerlandaises (actuelle Indonésie). En revanche, l'Armée de terre voudrait en découdre avec l'URSS au Nord. En 1938 et 1939, au cours de deux brèves périodes d'affrontement sans déclaration de guerre, les Japonais sont défaits à plate couture par les Soviétiques sur la frontière mandchoue. Ce qui détermine la direction future de l'impérialisme nippon... Le Japon dans la Deuxième Guerre mondiale (1941-1945) Quand débute le Second Conflit mondial, en 1939, le Japon combat donc déjà depuis plusieurs années, même s'il ne fait son entrée officielle dans cette guerre qu'en décembre 1941. En septembre 1940, il signe le "Pacte tripartite" avec l'Allemagne et l'Italie. L'armée japonaise profite de la défaite de la France contre les nazis pour occuper alors partiellement sa colonie d'Indochine, puis entièrement en Juillet 1941. L'expansion nippone en Asie se heurte cependant à l'opposition des États-Unis qui décrètent un embargo économique et pétrolier contre le Japon, dont ils sont le principal fournisseur, misant sur sa dépendance énergétique, son talon d'Achille. Mais un affrontement entre les deux nations se profile, même si les Américains se recroquevillent un temps sur leur vieux réflexe isolationniste, hésitant à entrer en guerre contre l'Allemagne en Europe et, encore plus, à ouvrir un deuxième front contre le Japon dans le Pacifique. Page 38/43 Le Premier ministre japonais, le prince KONOE Fumimaro (1891-1945) échoue dans une négociation de la dernière chance. Il est remplacé par le général TOJO Hideki (1884-1948), militaire favorable à l'entrée en conflit avec les Américains. S'ensuit l'attaque par surprise, sans déclaration de guerre, d'une grande partie de la flotte américaine du Pacifique dans sa base de Pearl Harbor (Hawaï), le 7 décembre 1941. Les Japonais comptent sur ce coup terrible pour faire fléchir la détermination des États-Unis à s'engager dans une guerre longue, qu'ils sousestiment. C'est pourtant le contraire qui advient. Cependant, dans les six premiers mois de la guerre du Pacifique, les militaires nippons conservent l'initiative. Ils font la conquête de la Malaisie, des colonies britanniques de Hong Kong et Singapour, des Philippines américaines. Ils s'étendent jusqu'aux Indes néerlandaises et son précieux pétrole, à la Nouvelle-Guinée, aux îles du nord de l'Australie et de divers archipels du Pacifique à la Birmanie. Néanmoins, le bombardement de Pearl Harbor a épargné des porte-avions américains dont l'emploi va se révéler crucial dans les batailles aéronavales de la Mer de Corail (nord de l'Australie) et de Midway (nord-ouest des îles Hawaï), au printemps 1942. Avec la victoire de Guadalcanal (îles Salomon) s'amorce déjà, début 1943, la reconquête du Pacifique dirigée par le général Douglas MAC ARTHUR (1880-1964). Pendant ce temps, le Japon organise ses nouvelles possessions en une éphémère "Sphère de Coprospérité de la Grande Asie de l'Est" qu'il dit avoir arrachée au joug occidental. Mais les populations autochtones, travaillées par le nationalisme, se rendent bien compte qu'elles sont incorporées dans un empire colonial auxquel elles résistent. D'où un enlisement des Japonais dans des combats stériles en Chine et en Asie du Sud-Est. Bientôt massivement bombardé par les B-29 américains, le Japon, qui n'a jamais connu d'invasion au cours de son histoire, s'engage dans une défense acharnée pour forcer les États-Unis à négocier. En avril-juin 1945, ceux-ci prennent Okinawa (Îles Ryukyu), malgré une âpre résistance des militaires japonais et des suicides collectifs de civils fanatisés par la propagande, annonciateurs de ce qui pourrait se passer dans l'archipel nippon. Mais, tandis que l'Allemagne capitule le 8 mai 1945, les Américains sont déterminés à ne pas transiger (déclaration de Postdam, juillet 1945). Une majorité d'historiens occidentaux insistent avec raison sur le fait que le recours à deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945) , deux villes japonaises de moyenne importance choisies pour faire une démonstration de force, a épargné la vie de nombreux soldats américains en leur évitant de devoir conquérir le Japon. Dans un deuxième temps, cette manifestation de puissance des États-Unis sert accessoirement d'avertissement à distance pour son "allié" soviétique. Car, alors que le conflit n'est pas encore achevé, se profile déjà la guerre froide et l'URSS ne possède pas encore (1949) la maîtrise de l'arme absolue... D'autant plus que celle-ci s'engage dans une opportuniste guerre contre le Japon une semaine avant l'armistice américano-nippon, respectant tardivement un engagement pris par STALINE à la conférence de Yalta (février 1945). De ce bref conflit va naître le contentieux sur les îles Kouriles qui complique jusqu'à nos jours les relations russo-japonaises. Néanmoins, le 2 septembre 1945, le général MAC ARTHUR et des plénipotentiaires nippons signent la capitulation du Japon à bord du cuirassé Missouri. L'empereur HIROHITO semble avoir usé de son influence pour arrêter le conflit, demandant à son peuple de "supporter l'insupportable". Mais, la question du rôle plus ou moins actif qu'il aurait joué durant la guerre n'en finit pas de diviser les historiens... Page 39/43 - Histoire du Japon, 10e partie 2e partie de l'Ere Showa et début de l'Ere Heise Son insularité confère au Japon une histoire riche et singulière. A travers cet historique du Japon, décliné en plusieurs tranches chronologiques, nous vous proposons une plongée dans le coeur historique et géographique du pays, de sa préhistoire à nos jours. Aujourd'hui, dernier article de notre série : le Japon de 1945 à nos jours. L'occupation américaine (1945-1952) En 1945, le Japon sort ruiné de la Deuxième Guerre mondiale. La famine menace sa population alors que le marché noir se généralise. En outre, il a perdu dans la défaite son immense et éphémère empire colonial asiatique. Il doit donc rapatrier, de 1945 à 1947, plus de 6 millions de ses ressortissants expatriés, charge supplémentaire pour son économie exsangue. Les Japonais en ont assez du militarisme, du nationalisme et de leurs ravages. Désormais davantage tournés vers le pacifisme, ils sont prêts à reconstruire le pays dans un esprit de coopération avec l'occupant américain. Le général MAC ARTHUR est nommé commandant suprême des forces alliées au japon (en anglais et en abrégé : SCAP). Il prend la tête d'un organisme du même nom et, devenu une sorte de "shogun" américain, engage l'archipel nippon sur la voie d'importants changements vers plus de démocratie. Ceux-ci s'effectuent sous les auspices d'une administration occupante composée en majorité d'officiers américains, travaillant de concert avec un gouvernement de civils japonais. Une nouvelle constitution est promulguée en 1947. Elle rétablit un régime des partis. La préséance à la Diète est accordée à la Chambre des représentants (486 membres, élus pour 4 ans), qui choisit le Premier ministre, par rapport à une Chambre des conseillers (250 membres, élus pour 6 ans). Cette dernière remplace l'ancienne Chambre des pairs. De plus, depuis 1946, l'empereur HIROHITO, maintenu dans sa fonction, a officiellement cessé à se réclamer d'une ascendance divine, et l'article 9 de la Constitution comporte une "renonciation à la guerre" du peuple japonais. À cela s'ajoutent la mise en place d'une réforme agraire, ainsi qu'une refonte du système judiciaire et scolaire, sur le modèle américain. Parallèlement, une épuration est menée pour écarter les anciennes sphères dirigeantes militaristes. Le Tribunal de Tokyo, pendant du Tribual de Nuremberg en Allemagne, siège de 1946 à 1948, faisant notamment exécuter sept hauts responsables déchus, dont le général TOJO. Néanmoins, l'occupant américain évite diplomatiquement à l'empereur HIROHITO de comparaître ou d'être seulement cité comme témoin devant cette instance. En outre, la purge atteint ses limites tandis que le monde se divise en deux blocs, et que se développe un contexte de guerre froide entre l'URSS et les États-Unis. Ces derniers, dans leur désir de faire du Japon un allié fiable dans le camp occidental, se résolvent de plus en plus à ménager les cadres de l'ancien régime ; d'autant plus que la Chine devient bientôt communiste (1949) et que se profile la guerre de Corée (1950-1953). Page 40/43 Dans un premier temps, la démocratisation avait été à l'ordre du jour, le droit de vote étant étendu aux femmes ou les libertés des syndicats et des partis politiques, y compris le Parti communiste, étant rétablies. Dans un deuxième temps, le régime d'occupation se fait plus restrictif dans ce domaine et le redressement économique du Japon devient l'objectif prioritaire d'Américains soucieux de s'adjoindre un pays capitaliste ami en Asie. Ainsi, les mesures coercitives d'abord prises contre les grandes entreprises (zaibatsu) compromises avec les militaristes sont allégées. Le traité de San Francisco (8 septembre 1951) met un terme à l'état de guerre entre les États-Unis et le Japon, qui recouvre officiellement son indépendance. Il s'accompagne d'un traité de sécurité qui lie les deux pays en matière de défense, les Américains continuant à occuper Okinawa et conservant des bases militaires. Quarante-huit autres nations signent le traité, à l'exception notable de l'URSS. Un accord particulier intervient entre Chinois et Japonais en 1952. La même année, le SCAP est dissous et l'occupation américaine prend fin. Une économie florissante (1952-1973) Le pays du Soleil levant, à défaut de pleinement se démocratiser, s'attache à redresser son parc industriel mis à mal par son isolement international durant les années 1930, puis par les destructions du Second Conflit mondial. Il bénéficie pour redémarrer de financements américains, stimulés par la guerre de Corée. Des années 1950 à nos jours, les efforts des Japonais se portent sur le développement successif de différents secteurs moteurs pour leur économie : les industries lourdes (métallurgie et chantiers navals) ; les produits manufacturés de grande consommation (textile, électroménager, photographie et automobile) ; puis les domaines de pointe (électronique, informatique, robotique, biotechnologies et multimédia). Outre un marché intérieur important sur lequel il peut s'appuyer, le Japon en reconstruction mise sur ses exportations pour s'enrichir. Ainsi, il parvient à écouler ses productions dans de nombreux pays d'Asie malgré le souvenir défavorable lié à l'occupation de certains d'entre eux par l'ex-armée impériale. En outre, son commerce extérieur conquiert de nouveaux marchés plus lointains, aux États-Unis et en Europe. Divers facteurs favorables accompagnent ce renouveau industriel. Le handicap constitué par la dépendance en énergie et en matières premières de l'archipel nippon est réduit par la baisse du coût des transports d'hydrocarbures. Mais, surtout, celui-ci peut compter sur une main-d'oeuvre nombreuse, bien formée et se contentant de bas salaires. Un patronat paternaliste, évitant l'affrontement avec des syndicats coopératifs, assure la sécurité de l'emploi et un avancement à l'ancienneté. Des années 1960 aux années 1980, le Japon poursuit sa croissance économique florissante. Habile à capter les savoir-faire étrangers, après avoir inondé ses marchés extérieurs de produits imités de ses concurrents occidentaux, il surclasse désormais ces derniers par la qualité de ses productions. Dans ce domaine, un rôle primordial est joué par le MITI (Ministry of International Trade and Industry). Ce super Ministère de l'Industrie et du Commerce extérieur diffuse dans le pays de l'information économique et technologique recueillie partout dans le monde. De plus, par son intermédiaire, l'État japonais intervient fortement, d'une manière inhabituelle pour un pays capitaliste, aux côtés de ses entreprises. Un tel dirigisme implique que toute société s'adresse au MITI avant d'exporter une marchandise. En outre, pour gagner des marchés à l'extérieur, les Japonais n'hésitent pas à recourir à des méthodes commerciales agressives, comme la vente à prix trop bas dans un premier temps pour tuer la concurrence (dumping). À l'inverse, pour protéger son marché Page 41/43 intérieur, le MITI utilise des formes détournées de protectionnisme en édictant des réglements fastidieux et restrictifs limitant l'importation de produits étrangers... Dans les années 1960, le PNB (Produit National Brut) du pays augmente de 10 % par an. En 1964 est inaugurée la ligne du Shinkansen (TGV japonais) entre Osaka et Tokyo et la capitale organise les Jeux olympiques d'été, deux symboles forts de la prospérité retrouvée. En 1968, le Japon devient, devant la République fédérale d'Allemagne, la troisième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis et l'URSS. Si l'article 9 de sa nouvelle constitution l'interdit de guerre en dehors de ses frontières, il se dote pourtant d'une armée professionnelle, appelée pudiquement forces d'autodéfense. Ces dernières répondent notamment au besoin de faire face à la menace de la Corée du Nord et aux exigences de l'alliance militaire avec les États-Unis. Leur budget reste longtemps inférieur à 1 % du PNB, mais leurs effectifs passent de 75 OOO à près de 240 000 hommes de 1950 à la fin du siècle. Depuis 1955 jusqu'en 1993, la vie politique japonaise est dominée par le Parti libéral-démocrate (PLD ou JiyuMinshuto), conservateur. Cette longue période au pouvoir va être cependant marquée par sa division en factions rivales et de la corruption (scandales Lockheed en 1976 ou Recruit en 1988). Les reconductions du traité de sécurité militaire avec les États-Unis (1960 et 1970) entraînent de grandes manifestations. Le débat suscité par l'alliance avec les Américains agite les tenants d'un retour du nationalisme nippon et, à l'opposé, la Gauche et l'Extrême-Gauche qui se fourvoie parfois dans le terrorisme (Faction armée rouge). En 1972, Okinawa est restituée au Japon mais la question de l'évacuation des bases américaines des îles Ryukyu reste aujourd'hui d'actualité. La même année, à l'imitation des Américains, le Japon esquisse un rapprochement avec la Chine dont il espère des retombées économiques. Un traité est signé en 1978. Au milieu des années 1970, les suites judiciaires de la contamination au mercure de la population de Minamata (Kyushu), remontant à 1956, interpellent l'opinion publique japonaises sur les risques de pollution, revers d'une industrialisation à outrance non maîtrisée. Poursuite de la croissance et crises (de 1973 à nos jours) Malgré son problème de dépendance énergétique et la très forte augmentation du prix du baril de pétrole, le Japon résiste bien aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Il connaît encore une croissance soutenue dans les années 1970 et 1980, en continuant de miser sur ses exportations. Certes, le chomâge fait son apparition, mais demeure plus faible que dans un Occident qui lui envie sa situation. Il réussit également le redéploiement de son économie et son adaptation à la mondialisation en marche en faisant porter son effort sur les industries à haute valeur ajoutée et en délocalisant ses usines dans les pays de sa périphérie asiatique. États-Unis et Europe prennent d'ailleurs des mesures douanières pour se protéger de ses exportations massives, entre autres d'automobiles. Les Occidentaux s'inquiètent aussi de l'importance des investissements nippons sur leur sol tandis que que la valeur du yen s'accroît, en faisant une devise forte (1985). Les années 1986 à 1989 se caractérisent par l'envolée de la spéculation à la bourse de Tokyo et la flambée des prix de l'immobilier. En matière de politique, NAKASONE Yasuhiro (né en 1918), Premier ministre de 1982 à 1987, motivé par une politique agressive de l'URSS (Afghanistan), ravive les relations avec les États-Unis. Il parle d'une "communauté de destin" entre les deux pays ; notion vite devenue obsolète avec la fin de la guerre froide (perestroïka). La période est cependant marquée par son néonationalisme. Il instaure la pratique décriée, reprise par plusieurs de ses successeurs jusqu'à nos jours, de la visite annuelle au sanctuaire shintoïste de Yasukuni (Tokyo), en hommage aux soldats morts de l'ex-armée impériale. Page 42/43 Personnage au centre du contentieux polémique lié au passé militariste du Japon, l'empereur HIROHITO (ou SHOWA) meurt en 1989, après 62 ans de règne. Son fils AKIHITO (né en 1933) prend sa succession. Ainsi débute l'ère Heisei ("Paix et Accomplissement"). Après avoir connu un sommet dans ses activités économiques autour de 1989, le Japon doit faire face au début des années 1990 à un renversement de la tendance boursière après l'emballement de la période faste 1986-1989. La bourse de Tokyo s'effondre. L'éclatement la "bulle" spéculative et foncière entraîne la faillite de nombreuses entreprises, banques, promoteurs et mine la confiance des ménages qui freinent leur consommation (crise de Heisei). Ce contexte morose est entretenu par les bouleversements internationaux survenus à la charnière des années 1989-1991 : écrasement du "printemps de Pékin", fin du bloc communiste et première guerre du Golfe. En 1994, le Japon connaît un chômage réel de 5 à 6 % et multiplie les plans de relance. Il n'est plus le principal créancier du monde. Les choses empirent en 1997. Les effets de la crise asiatique semblent sonner le glas du système japonais de l'emploi garanti à vie et renforcer les troubles psychologiques d'une population partagée entre modernité et tradition, qui se prend à douter. Mais la deuxième puissance économique mondiale reste riche et dispose de nombreux atouts pour rebondir. Dans cette société postindustrielle, de surconsommation et de surinformation, l'esprit de groupe fait place à l'individualisme et certains trouvent de nouvelles certitudes auprès des 180 000 sectes qui prospèrent dans le pays. L'une d'elles, la secte Aum, organise un spectaculaire attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 (12 morts et 5 000 intoxiqués). Au début de la même année, un grave séisme avait déjà détruit en partie Kobe (près de 6 500 morts et 500 000 sinistrés). Dans le domaine politique, le presque inamovible Parti libéral-démocrate, discrédité par des scandales, doit faire face au désintérêt et à l'abstentionnisme croissant des électeurs. Il cède brièvement le pouvoir en 1993, avant de revenir aux affaires en 1996. Ces dernières années sont marquées par la participation au gouvernement du Komeito, parti bouddhiste fondé en 1964, lié à la puissante et inquiétante secte Soka Gakkai. Sur le plan international, en dépit de sa défaite durant la Deuxième Guerre mondiale, le Japon aspire aujourd'hui à jouer un rôle politique en rapport avec sa puissance économique. Membre de l'ONU depuis 1956, il ambitionne d'occuper un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de cette organisation. Dans ce but, il a montré sa bonne volonté en participant au financement de la première guerre du Golfe ou en envoyant des soldats participer à des opérations de paix hors de ses frontières sous l'égide de l'ONU dans les années 1990. Pour cela, il a dû passer outre le caractère exclusivement défensif de ses forces d'autodéfense, suscitant les réactions des tenants du pacifisme ou, au contraire, des partisans d'une révision de l'article 9 de la Constitution. Le débat sur cette question reste vif en 2003 tandis que les Japonais se demandent s'il vont envoyer un contingent militaire participer à l'occupation de l'Irak à l'issue de la deuxième Guerre du Golfe. Cependant, si le Japon a déjà conquis une position internationale éminente, il le doit d'abord à ses prouesses économiques. Pour tenir réellement sa place dans le concert des nations, il ne pourra pas faire plus longtemps l'économie de tordre le cou à certains de ses vieux démons : révisionnisme concernant son passé militariste, lourd contentieux avec les pays asiatiques dominés durant la Deuxième Guerre mondiale, recrudescence du nationalisme, maintien tenace d'un certain anti-américanisme, etc. Néanmoins, le pays du Soleil levant brille aussi dans le monde grâce à sa culture. Outre le japonisme de la fin du XIXe siècle, ses arts traditionnels recommencent ainsi à fasciner l'Occident notamment après l'attribution du Lion d'Or du Festival de Venise au film Rashomon de KUROSAWA Akira en 1951. Mais, aujourd'hui, se sont des domaines artistiques réputés à tort plus mineurs qui font énormément pour la renommée internationale du Japon, comme les manga et les anime... Dossier fait par Florian RUBIS et reconstitué sur http://www.animeland.com Page 43/43