Le Concile Vatican II et le rôle de l`Ecriture Sainte

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Comment le Concile Vatican II a ravivé le goût de l’Écriture Sainte
dans l’Église catholique
Conférence pour l’assemblée des amis de la Maigrauge, 2 mars 2013, à
l’Abbaye de la Maigrauge
Après soixante-dix ans dramatiques (1893 – 1963) …
Pour mesurer le changement apporté par le Concile Vatican II il faut se
replonger dans la longue période des relations tendues entre le magistère
de l’Église catholique et les biblistes engagés dans l’étude de l’Écriture
Sainte. Ceux-ci mesuraient le profit que les recherches modernes en
matière biblique pouvaient apporter à une meilleure connaissance de la
Bible dans un monde de plus en plus marqué par les sciences historiques et
naturelles. Le modernisme et sa condamnation avaient provoqué un climat
de suspicion à l’égard des exégètes catholiques en Europe et en Amérique
résolus à conjuguer foi et science dans l’approche de la Bible. Certes,
l’encyclique Providentissimus Deus de Léon XIII avait plaidé pour une
certaine liberté qu’il fallait accorder à la recherche biblique, mais ensuite
les condamnations du modernisme par le pape Pie X et l’encyclique biblique
de Benoît XV Spiritus Paraclitus (1920) exprimaient une profonde méfiance
du magistère et de beaucoup de théologiens à l’égard des méthodes
modernes dans l’étude de la Bible. Un climat de crainte en était la
conséquence.
Le pape Pie XII publia en 1943, cinquante ans après Providentissimus, une
nouvelle encyclique biblique, sous le titre Divino afflante Spiritu. Elle devint
célèbre. Elle marqua un changement d’attitude. Sensible aux mentalités
modernes, le pape avait senti l’attrait qu’exerçait la science biblique, alors
en plein épanouissement, sur les esprits cultivés catholiques. Il était
impossible de la stopper aux frontières de l’Église catholique et de l’arrêter
en son sein par des mises en garde disciplinaires. Les résultats étaient trop
convaincants pour passer à côté d’eux si on ne voulait pas s’isoler dans un
ghetto intellectuel dans la culture contemporaine. Après tout, il y allait aussi
d’une question de vérité à reconnaître. Avec prudence il ouvrit donc la
porte et admit la légitimité de la recherche moderne en matière biblique.
Mais le pontificat de Pie XII en général restait très soucieux d’autorité
doctrinale du magistère. Par conséquent les biblistes se tenaient tout
comme leurs collègues théologiens prudemment sur leurs gardes afin
d’éviter des mises à l’index de leurs livres à cause de positions audacieuses.
Le climat n’était pas encore à la confiance.
… et une période de créativité extraordinaire dans l’Eglise (1920-1960)
Mais on aurait tort de limiter son regard aux rapports souvent houleux et
presque toujours méfiants qu’entretenaient les milieux du magistère avec
l’exégèse de cette époque. La vie de l’Église est toujours riche en
développements et déborde le milieu de la théologie proprement dite.
Après la Première Guerre mondiale, parmi les catholiques et les autres
chrétiens, beaucoup avaient la sensation nette qu’un monde s’était effondré
et qu’il n’était plus possible ni désirable de le refaire tel qu’il avait existé
avant la cassure. On cherchait de nouvelles bases pour la vie sociale et
ecclésiale. Ce fut l’éveil et le renouveau liturgiques. Comme la Bible, la
liturgie avait fait l’objet de nombreux travaux historiques qui l’expliquaient
et la faisaient comprendre. Loin de la dévaloriser la liturgie de l’Église, ces
travaux suscitaient au contraire le désir de la purifier des scories et
scléroses qui depuis des siècles l’avaient enfermé comme dans une gaine
afin de lui redonner splendeur et beauté. On comprit que le rubricisme ne
pouvait être l’expression adéquate de l’esprit de la liturgie dont parlait le
grand théologien et rénovateur du sens de la liturgie, Romano Guardini. Son
œuvre de renouveau liturgique eut un énorme écho.
Or la liturgie est bâtie sur l’Écriture Sainte. On ne pouvait renouveler la
célébration de l’Église sans donner à la lecture des passages scripturaires
qui en font partie, leur vraie place, réduite à la partie congrue jusque-là
puisqu’elles étaient chantées en latin. De plus on mettait un nouvel accent
sur l’homélie dans la liturgie. Elle introduit les fidèles dans la parole de Dieu
proclamée et célébrée. C’est pourquoi les missels fleurissaient partout à
partir de ce moment-là, notamment en France, en Allemagne et ailleurs. Ils
contenaient surtout les traductions bibliques expliquées dont la liturgie fait
un si grand usage. Les missels, « les paroissiens » comme on les appelait en
France, étaient – et sont en fait – une sorte de Bible. Ils sont des
lectionnaires c’est-à-dire un choix de lectures de la Bible pour la liturgie. De
la sorte beaucoup de fidèles commençaient à chanter les psaumes et à
fréquenter de nombreux passages de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Tout cela stimulait la soif de mieux connaître la Bible.
Justement, en ces mêmes années l’intérêt pour l’Écriture Sainte grandit lui
aussi parmi les fidèles. Ils cherchaient l’accès aux sources de la foi, par-delà
les dévotions particulières. En France ce désir devait aboutir au début des
années cinquante à la Bible de Jérusalem. Elle fut réalisée par les
Dominicains de l’École biblique de Jérusalem et diffusée par le Cerf à Paris.
Elle eut un retentissement immense. Elle ne donna pas seulement le texte
biblique en traduction mais accompagnait celui-ci par tout un appareil de
notes et de références qui constitua une vraie petite bibliothèque pour les
lecteurs. Dans cette annotation les meilleurs résultats de l’exégèse
contemporaine étaient intégrés. Par-là les lecteurs de langue française
disposaient d’une Bible abondamment expliquée de façon moderne, et les
traductions en de nombreuses langues diffusèrent cet instrument
exégétique moderne partout.
Parallèlement à cette manière novatrice de rendre accessible Bible et
liturgie les croyants des différentes Églises ressentaient avec une
insatisfaction profonde la fragmentation des Églises et confessions. Ce
sentiment était accru par la persécution religieuse qui frappait l’Église
orthodoxe et de nombreuses minorités chrétiennes en Union soviétique.
Le temps n’était-il pas venu de s’unir en face d’un monde devenu païen et
hostile aux croyants chrétiens de quelque confession qu’ils fussent ? Ce fut
le début de l’effort œcuménique dans Église catholique, à la suite des autres
confessions chrétiennes qui avaient commencé ce travail de
rapprochement. Dans ce contexte il faut évoquer encore le choc que
produisit, Dieu merci, parmi les chrétiens la shoa, c’est-à-dire l’essai
inimaginable du régime d’Hitler de mettre à mort tous les juifs d’Europe
dont il pouvait se saisir. Lorsque, après la guerre, l’abîme du crime se
dévoilà dans toute sa vérité horrible les chrétiens comprirent que
l’antisémitisme ne pouvait plus être toléré parmi eux puisqu’il avait conduit
à cette iniquité sans nom. On prit conscience du martyre d’Edith Stein, et
derrière cette sainte se profilait la procession infinie des victimes conduites
aux fours de gaz parce qu’ils appartenaient au peuple de Jésus et des
apôtres. Il fallait radicalement changer le rapport au peuple juif et à sa
religion. La shoa était un point de non retour. Il fallait entièrement
repenser la place du judaïsme vis-à-vis de l’Église.
On peut encore signaler à la même époque le désir de renouveler l’art sacré
par une réflexion sur les arts modernes dans leur rapport au mystère
chrétien. Dans le domaine social, à cette même époque se développaient des
initiatives que des représentants de l’Église prenaient au niveau de la
réflexion et d’actions politiques concrètes.
La moisson du Concile Vatican II
Sous l’aspect de la grande vitalité spirituelle et théologique de la vie d’Église
avant et après la Deuxième Guerre mondiale le Concile Vatican II est un
point d’arrivée. Le concile accueillit ces réflexions qui avaient précédé sur la
liturgie, la Bible, le rapport entre Églises et confessions chrétiennes, entre
Église et juifs, sur la responsabilité sociale de l’Église et des chrétiens. Le
concile était le magistère de l’Église pendant ces années-là, et voilà qu’au
lieu de se méfier, il accueillait les bras ouverts et reconnaissait avec
enthousiasme ces nombreux efforts des théologiens et des fidèles. Il y
voyait un apport authentique au renouveau de la vie d’Église.
On a de la peine aujourd’hui à se représenter la joie que cet accueil suscita.
L’Église reconnut par la bouche de sa plus haute autorité, c’est-à-dire tous
les évêques réunis autour de Pierre, que toutes ces pensées, recherches et
labeurs, menés pendant des décennies, dans le but de renouveler la vie de
l’Église à partir de ses meilleures sources, ne devaient pas être soupçonnés
de manque de fidélité à la tradition de l’Église. Au contraire ils méritaient
d’être reconnus et accueillis par elle avec comme une bénédiction, un don
providentiel. Le concile était l’aboutissement, la récolte de presqu’un siècle
de travail théologique assidu et de beaucoup d’intuitions spirituelles. On
pouvait avoir l’impression que le concile fermerait le chapitre des combats
doctrinaux qui avaient pesé comme une ombre sur la vie de l’Église pendant
des dizaines d’années. Un air de joie et de gratitude remplissait les esprits.
L’Église allait pouvoir bénéficier de tout cet apport spirituel et théologique
et ainsi se renouveler. Il faut se souvenir aussi qu’à cette époque les
vocations sacerdotales et religieuses étaient nombreuses et justifiaient de
grands espoirs pour la vie de l’Église à venir.
Conclusion : la parole de Dieu, la Bible, dans l’Église après Vatican II
Par la constitution dogmatique Dei verbum, promulguée le 18 novembre
1965, le Concile Vatican II a voulu réaffirmer en particulier la place
d’honneur de la Bible dans l’Église. De manière comparable il avait
solennellement accueilli et ratifié précédemment tout le travail accompli à
la recherche d’une liturgie plus proche à la fois des sources liturgiques
anciennes les plus pures et de la sensibilité moderne. Il l’avait fait par la
promulgation de la constitution Sacrosanctum concilium (5 décembre
1965).
Pour l’Écriture Sainte, cela signifie deux choses : la Bible est le fondement
de la foi de l’Église, et c’est pourquoi son étude, selon toutes les ressources
qui sont à la disposition des exégètes compétents, est un service de la
parole de Dieu et de l’Église.
Concrètement et pratiquement cela signifie : la lectio divina personnelle de
la Bible, telle qu’elle est pratiquée par les moines et moniales dans la vie
monastique, est au cœur de la vie de foi. Elle ne doit pas se restreindre aux
religieux et religieuses. Tout croyant quel qu’il soit, laïc, prêtre ou religieux,
gagnera beaucoup lorsqu’il se familiarise profondément avec les évangiles,
les psaumes et les autres passages bibliques, surtout ceux que la liturgie
nous fait entendre. C’est la nourriture de la foi.
Mais cela signifie aussi que l’étude spécialisée consacrée à la Bible est un
vrai service rendu à l’ensemble des croyants. C’est un service nécessaire. Il
est bien sûr un service particulièrement utile pour ceux qui ont à expliquer,
au cours de la liturgie, en catéchèse et en théologie, la parole de Dieu.
Le concile Vatican II a renouvelé la confiance en l’exégèse et l’enthousiasme
pour les études de la Bible. La Bible était très populaire en ces années-là
parmi les étudiants en théologie. On goûtait la reconnaissance que le
magistère de l’Église dans sa plus haute instance, le concile, avait montrée
pour les labeurs des biblistes.
Ce n’est pas le lieu ici de montrer comment et pourquoi les choses ont
changé au cours des cinquante ans qui se sont écoulés depuis le concile. Ce
que j’ai voulu rappeler ici c’est toute l’histoire qui a précédé et préparé le
concile, et qui explique la vague de fond qu’il a déclenchée à ce moment-là
de l’histoire de l’Église. Le concile n’est pas brusquement sorti de rien. Il
était le fruit de toute une période de créativité religieuse intense. Ce qu’il
nous a apporté, et ce qui restera c’est certainement, parmi d’autres
bénéfices, l’accès large, sans crispation ni méfiance, à la parole de Dieu qui
s’exprime dans l’Écriture Sainte. De plus il a démontré que l’Église avait
raison de faire confiance à ceux qui sont chargés d’étudier la Bible avec la
rigueur de l’exégèse moderne en vue de la rendre accessible et fructueuse à
tous les fidèles. Car l’étude historique authentique est animée par le désir
de trouver la vérité. C’est un idéal élevé, qui a droit de cité dans l’Église. Et
l’Église doit toujours être du côté de la vérité et de ceux qui la cherchent
avec le sens de la responsabilité qui lui convient.
Sarnen, Kloster St. Andreas, 25 février 2013
Fr. Adrien Schenker OP
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