« J`aime les auteurs qui osent des sujets plus grands qu`eux »

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18 | le festival d’avignon
le festival
d’avignon
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JEUDI 30 JUIN 2016
« J’aime les auteurs qui osent
des sujets plus grands qu’eux »
Du 6 au 24 juillet
Réservations :
Festival-avignon.com ou fnac.com
Par téléphone : 04-90-14-14-14.
Sur place : Cloître Saint-Louis,
20, rue du Portail-Boquier,
84000 Avignon.
| Après « Les Particules élémentaires », Julien Gosselin revient à Avignon avec le livretestament du Chilien Roberto Bolaño. Un spectacle de douze heures qui explore la question du mal
ENTRETIEN
Tarifs : de 14 € à 49 €, selon le spectacle.
théâtre
Les Damnés
Mise en scène : Ivo van Hove.
Cour d’honneur du Palais des papes,
du 6 au 16 juillet (relâche le 10),
à 22 heures (ou 23 heures, le 14).
Le grand metteur en scène flamand,
le retour de la troupe de la ComédieFrançaise à Avignon, le scénario
de Visconti, la Cour d’honneur
du Palais des papes… L’incontournable
du Festival.
Ceux qui errent ne se trompent pas
Mise en scène : Maëlle Poésy,
d’après José Saramago. Théâtre BenoîtXII, du 6 au 10 juillet, à 15 heures.
Un jour d’élection et de pluie diluvienne,
les électeurs votent blanc à 80 %.
Maëlle Poésy met en scène une crise qui
pourrait bien ressembler à la nôtre.
2666
Mise en scène : Julien Gosselin.
La FabricA, les 8, 10, 12, 14 et 16 juillet,
à 14 heures.
Un spectacle-fleuve, inspiré par le
roman magistral de Roberto Bolaño
qui explore le mal au XXIe siècle.
Tristesses
Mise en scène : Anne-Cécile Vandalem.
Gymnase du lycée Aubanel, du 8
au 14 juillet (relâche le 11), à 18 heures.
Une nouvelle venue à Avignon,
avec une pièce policière sur la montée
de l’extrême droite en Europe.
Karamazov
Répétition,
fin juin
à Avignon,
de « 2666 »,
mis en scène
par Julien
Gosselin.
SIMON GOSSELIN
Mise en scène : Jean Bellorini.
Carrière de Boulbon, du 11 au 22 juillet
(relâche les 14 et 20 juillet), à 21 h 30.
Le chef-d’œuvre de Dostoïevski à ciel
ouvert, dans la splendeur de la carrière
de Boulbon.
Tigern (La Tigresse) et 20 November
Mise en scène : Sofia Jupither.
Théâtre Benoît-XII, du 13 au 17 juillet
et du 14 au 17 juillet, à 18 heures
et à 15 heures.
La metteuse en scène suédoise confronte
deux textes contemporains de Gianina
Carbunariu et de Lars Noren, pour parler
d’une Europe au bout du rouleau.
danse
Caen Amour
Chorégraphie : Trajal Harrell.
Cloître des Célestins, du 9 au 12 juillet,
à 22 heures et à minuit.
Dans un décor aux airs de maison
de poupée, le chorégraphe américain
dévoile, avec cinq interprètes, les dessous
de la féminité sur le fil d’une parade de
cow-boys, danseuses orientales et autres
troublantes créatures. Chaud devant.
Fatmeh et Leïla se meurt
Chorégraphie : Ali Chahrour.
Cloître des Célestins, du 16 au 18 juillet
et du 21 au 23 juillet, à 22 heures.
Avec ces deux pièces centrées sur
des femmes et interprétées par des nonprofessionnels, le danseur et chorégraphe
libanais Ali Chahrour questionne
les rituels de funérailles de la religion
chiite pour creuser le rapport au corps.
Soft Virtuosity, Still Humid,
on the Edge
Chorégraphie : Marie Chouinard. Cour
du lycée Saint-Joseph, du 17 au 23 juillet
(relâche le 21), à 22 heures.
Une exploration de la marche et du
visage, happée par la force imparable
d’un groupe de dix danseurs experts
dans l’escalade de sensations chère
à la chorégraphe québécoise.
Sisters
Chorégraphie : Elsa Wolliaston.
Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph,
du 18 au 24 juillet, à 11 heures.
La danseuse et chorégraphe
ambassadrice de la danse africaine
contemporaine et la chorégraphe
espagnole Roser Montllo se prennent
par la main pour s’inventer une famille
planétaire qui leur ressemble.
E
n 2013, Julien Gosselin entrait par
la grande porte à Avignon, avec
une mise en scène des Particules
élémentaires, de Michel Houellebecq. Il avait 26 ans, le crâne rasé,
un sweat à capuche, et c’était le
benjamin du festival. Il conserve son titre
cette année, où il vient avec un autre roman,
2666, de Roberto Bolaño. Le spectacle dure
douze heures, le temps qu’il faut pour traverser les 1 352 pages de la fantastique œuvre
testamentaire du poète et écrivain chilien
(1953-2003) qui explore le mal au XXIe siècle.
Y a-t-il un lien entre « Les Particules
élémentaires » et « 2666 » ?
Oui, au sens où le choix de l’un découle de
l’autre. Après Les Particules élémentaires, je
voulais faire un spectacle plus léger, dans sa
forme, et parler de la violence révolutionnaire. J’ai cherché des textes, sans en trouver
un qui me convienne. Ceux que je lisais traitaient d’un thème ou deux, mais aucun
n’ouvrait un champ aussi large que le roman
de Houellebecq, qui m’avait permis d’explorer différents types d’écriture, de la narration
à la poésie, et une multitude de thèmes : la
sexualité, le clonage, Mai 68… J’ai donc fait
l’inverse de ce que je voulais faire au début :
me tourner vers des romans encore plus
« totaux » que Les Particules élémentaires.
2666 a été le premier que j’ai lu.
Pourquoi ce roman-là ?
Quand 2666 est sorti en France, en 2008, je
lisais des magazines comme Chronic’art, qui
faisait de vrais longs papiers sur des auteurs
que j’aime, Don DeLillo, William T. Vollmann, Thomas Pynchon… Pour 2666, je me
souviens qu’ils avaient titré : « Le premier
grand roman du XXIe siècle ». Un de mes
amis qui l’avait lu m’en a parlé. Je l’ai commencé, et dès le début, j’ai su que je pouvais
avoir les armes pour le porter au théâtre.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement
intéressé dans ce roman ?
J’aime être face à des auteurs qui osent des
sujets monumentaux, ou plus grands
qu’eux. Et Roberto Bolaño parle d’une apocalypse qui pourrait recouvrir le monde.
A travers quelle histoire ?
Il y a une multitude d’histoires dans 2666.
Pour les raconter, il faut dévoiler la première
partie du roman. Quatre universitaires européens sont fous d’un auteur allemand dont
on ne connaît rien, sinon qu’il est né
en 1920, qu’il a été jeune pendant la seconde
guerre mondiale, et qu’il a pris pour pseudonyme le nom de Benno von Archimboldi.
« Ce qui m’intéresse,
c’est de dessiner des perspectives
théâtrales, des chocs musicaux,
des chocs de jeu. C’est ce qui
explique la durée de “2666” »
Les universitaires, qui sont prêts à tout pour
le retrouver, suivent une piste qui les amène
au Mexique : l’écrivain vivrait dans une ville
frontière avec les Etats-Unis, où depuis une
vingtaine d’années sont commis des centaines de meurtres sur de jeunes femmes.
Cette ville, qui s’appelle Santa Teresa
dans le roman, c’est Ciudad Juarez, où
effectivement des centaines de femmes
ont été tuées ou ont disparu, dans les années 1990 et 2000, sans que ces meurtres
soient élucidés. Etiez-vous au courant ?
Oui, mais de très loin. J’ai lu des livres sur le
sujet, en particulier Des os dans le désert, de
Sergio Gonzales Rodrigues. Roberto Bolaño
s’est inspiré de ce livre pour « La part des crimes », qui occupe une place centrale dans
2666. Il a d’ailleurs donné le nom de Sergio
Gonzalez dans son livre à un journaliste qui
enquête sur le sujet. Bolaño reprend la thèse
de Sergio Gonzales Rodrigues : ce n’est pas
un, ou des serial killers qui ont tué, c’est la
corruption généralisée au Mexique, où les
narcotrafiquants sont liés à l’Etat, qui fait que
de jeunes ouvrières sont violées, tuées et
abandonnées dans le désert. Mais Bolaño va
encore plus loin : il montre que le mal ne
règne pas que dans l’Etat mexicain, il règne
sur le monde entier.
Avez-vous été tenté d’aller à Ciudad
Juarez, quand vous prépariez le spectacle ?
Oui, à un moment, même si je suis plutôt
un voyageur immobile. Mais j’ai eu peur
d’être dans la reproduction esthétique de
détails. Je n’avais pas envie qu’il y ait des cactus partout sur le plateau, ni des vidéos du
Mexique. Et puis mon travail n’est pas d’être
un sociologue, ni de faire du théâtre politique, au sens où je pourrais porter une accusation concrète et étayée, avec des preuves ou
des témoignages que j’aurais pu trouver sur
place. Mon but est de transformer le roman
de Bolaño en théâtre, en toute liberté.
Comment votre projet a-t-il été accueilli
par les programmateurs ?
A une ou deux exceptions près, personne
ne savait qui était Bolaño. Des collaborateurs de l’Espagnol Alex Rigola, qui a mis en
scène 2666, n’en revenaient pas, tellement
Bolaño est une mégastar, pour le dire vite,
en Espagne et en Amérique latine. C’est surtout la durée de la représentation, douze
heures, qui a fait peur aux programmateurs, au départ. Mais je savais que c’était le
moment où je pouvais proposer une forme
aussi longue. Les Particules élémentaires
avaient été un succès, et tout ce qu’on me
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JEUDI 30 JUIN 2016
Au Liban, Ali Chahrour
fait un pas de côté
Le jeune chorégraphe a recruté des amateurs pour interroger
les rituels chiites du deuil et le rapport au corps féminin
tive, il dit en substance au lecteur : on se
fiche du suspense, le plus important, c’est le
combat que vous menez avec ma littérature. Il y a ainsi dans 2666 une percussion
entre un classicisme du grand roman et
une extrême modernité de la violence.
C’est cela qui m’intéresse.
Qu’est-ce qui vous intéresse autant dans
la violence ?
Je le dis honnêtement : il faudrait entamer
une longue psychanalyse pour savoir pourquoi la violence me questionne autant. En
tout cas, le fait est que je suis rentré dans l’art
avec des artistes qui travaillaient sur ce sujet.
Quels artistes ?
Les deux premiers chocs esthétiques que
j’ai eus, c’étaient deux films : Caché, de
Michael Haneke, et Hors Satan, de Bruno
Dumont, pour lequel j’ai une tendresse particulière parce qu’il se passe dans ma région
natale, le Nord. Ces deux cinéastes ont toujours filmé la violence à l’intérieur du
monde, sans jamais verser dans l’esthétisation molle ou facile. Même si c’est bête de le
dire, cette question de la violence revient
tous les jours sur le devant de la scène. C’est
l’un des thèmes fondamentaux dont il faut
parler aujourd’hui.
Y a-t-il pour vous un lien avec le fait que
vous aviez 14 ans en 2001, et que vous
avez grandi avec cette violence ?
J’ai du mal à le dire, mais c’est très envisageable. En tout cas, Houellebecq et Bolaño
en parlent, chacun à leur façon. Là où je suis
fou de Bolaño, et où je ressens une fraternité
totale envers lui, c’est dans sa vision de la littérature. Il croit en la littérature, mais il ne
dira jamais qu’elle peut être plus forte que la
violence. On pourrait penser que c’est une
vision pessimiste, mais je ne le crois pas :
c’est une vision de combat. Une vision de
samouraï, comme dirait lui-même Bolaño.
« Personne n’accorde d’attention
à ces assassinats, mais en eux se cache
le secret du monde », lit-on page 529
de « 2666 ». Vous le pensez ?
Je ne sais même pas si je le pense, mais ça
me tue.
demandait, c’était de faire un nouveau
spectacle. Sur le fond, c’était bizarre, pendant la préparation de 2666 ; je n’avais
même pas de contradicteurs, comme avec
Les Particules élémentaires, où l’on me
disait « Houellebecq, c’est nul », ou « Houellebecq, c’est génial ».
Qu’est-ce qui a guidé votre adaptation ?
Je ne suis pas un metteur en scène qui
prend des phrases dans un livre et en propose sa vision. Ma vision est dictée par les
contraintes pratiques. Ce qui m’intéresse,
c’est de suivre le fil narratif d’un roman, et,
partant de là, de dessiner des perspectives
théâtrales, des chocs musicaux, des chocs
de jeu. C’est ce qui explique la durée de
2666. Je ne peux pas traiter une partie
comme celle des crimes, qui fait 500 pages,
en une heure. Dans mon travail, j’ai besoin
de créer un suspense, comme Bolaño le fait.
Il met en place une intrigue, qui est presque
de l’ordre du roman de gare, à certains
égards, même si littérairement on en est
très loin. Mais ce suspense, Bolaño le désac-
C’est-à-dire ?
C’est pour des moments de littérature
comme celui-ci que je mets en scène 2666. Il y
a dans cette phrase quelque chose que je peux
saisir. Mais le secret du monde, je ne peux pas
le saisir. Les jeunes femmes tuées sont des
ouvrières, peu éduquées. Bolaño ne met pas
en avant cet aspect, mais en même temps il
est constamment présent. Et tout se passe
comme si la laideur de ce lumpenprolétariat,
la laideur de ce monde industriel cachait la
plus grande pureté. Cette pureté, ce n’est pas
celle de la non-culture. Elle est d’un autre ordre : quand le mal s’attaque à qui n’a rien pour
se défendre naît la plus grande tragédie. Et
c’est peut-être là l’un des secrets du monde. p
propos recueillis par brigitte salino
2666, d’après Roberto Bolaño.
Mise en scène : Julien Gosselin. La FabricA,
du 8 au 16 juillet (relâche les 9, 11, 13
et 15 juillet), à 14 heures. Durée : 12 heures
(entractes compris). De 20 € à 49 € .
L’édition de « 2666 » de Roberto Bolaño
citée ici est celle de Folio (traduction
de l’espagnol par Roberto Amutio, 2011).
il y donne aussi des cours de
danse – impossible au Liban de
vivre de son travail de chorégraphe. Allongé au sol, il s’étire,
s’échauffe à coups de grands
écarts lents et longuement tenus.
Il a décidé de devenir danseur tardivement. « Il n’y a pas véritablement d’école, ni de formation professionnelle pour la danse ici », précise-t-il. Admis aux trois filières
universitaires qu’il avait choisies
– ressources humaines, médias et
théâtre –, il opte pour la dernière.
Lors de la deuxième année, il s’immerge dans le cours « danse dramatique » d’Omar Rajeh, figure de
la scène contemporaine, à la tête
de la compagnie Maqamat et du
festival Bipod. Il intègre sa troupe
et y fait son apprentissage pen-
« Je me suis
demandé
quelle sorte de
chorégraphie faire,
ici, à Beyrouth.
Je veux faire face
à ce qui se passe
dans mon pays »
ALI CHAHROUR
chorégraphe
dant quatre ans. Pas question
pour lui, comme pour certains de
ses collègues, de filer à l’étranger.
« Je ne voulais pas voyager, quitter
mon pays, assène-t-il. Je désirais
rester avec ma famille. Si je devais
faire de la danse, c’était ici, à Beyrouth. Jamais d’ailleurs, je ne
m’installerai ailleurs. »
Vite, il crée son premier duo, Sur
les lèvres la neige (2011), enchaîne
avec Danas (2012), « sur la violence
quotidienne faite au corps ».
Fatmeh, qu’il considère comme sa
première pièce, marque d’emblée
son territoire. « J’ai décidé d’ouvrir
la recherche en danse contemporaine, explique-t-il. Je me suis
demandé quelle sorte de chorégraphie il fallait faire, ici, à Beyrouth.
Quel spectacle pour la société dans
laquelle je vis ? Je n’ai pas envie
d’être un artiste qui se contente
de présenter des performances. Je
veux faire face à ce qui se passe
dans mon pays et me confronter
aux questions que je me pose au
quotidien. »
Avec Fatmeh, Ali Chahrour fait
un pas de côté : il ne collabore pas
avec des danseurs professionnels
mais avec des amateurs, comme la
vidéaste Rania Al-Rafei et la
comédienne Umama Hamido.
Une décision qui estampille en
profondeur sa démarche. « Je
désire trouver une sorte de qualité
locale du geste et mettre en scène
des personnes qui racontent leur
propre histoire en proposant une
autre approche du mouvement,
affirme-t-il. Je veux aussi raconter
les grands récits du monde arabe. »
Travailler sur le « local » sans
faire « couleur locale », même si la
menace de l’exotisme pointe parfois le bout de son nez, est une
gageure. Surtout lorsqu’il s’agit de
retourner les couches de traditions, en particulier religieuses,
pour en ausculter les paradoxes.
Sur scène dans Leïla se meurt, Ali
Chahrour joue le mort pendant
que Leïla raconte sa vie. « Je veux
montrer la complexité du rapport
de la religion et de la politique
autour du féminin, poursuit-il. Il
s’agit pour moi de chorégraphier la
façon dont le corps dans la religion
n’est libre que dans des situations
extrêmes, telles les cérémonies funéraires. Ce sont les seuls endroits
où il peut se libérer. Des femmes
peuvent même tout d’un coup arracher leurs voiles lorsqu’elles sont
emportées par la douleur. Ce qui est
généralement interdit est alors pardonné et autorisé, car il s’agit de la
souffrance et de la mort. »
Dans le contexte libanais, les
thèmes des spectacles d’Ali Chahrour sont délicats. Le poids de la
censure, à laquelle il refuse de soumettre ses textes, ne l’empêche
pas de poursuivre sa recherche.
« Je ne veux pas faire de compromission avec quoi ou qui que ce
soit, assène-t-il. On ne doit pas
représenter la religion mais je la
respecte. Je veux simplement la
questionner au plus profond. »
Difficile d’oublier la mort à Beyrouth. Les immeubles éventrés,
percés de traces de balles, cohabitent avec des constructions flambant neuf. Au pied de l’appartement d’Ali Chahrour, quelques
bidonvilles abritent des Palestiniens. Chaque semaine, des
explosions surviennent. L’une a
eu lieu récemment devant une
banque à quelques mètres du studio de danse. « C’est très rare dans
ce quartier, commente le chorégraphe. Malheureusement, nous y
sommes habitués. Lorsque ça
arrive, nous appelons nos amis
pour savoir si tout va bien, et nous
retournons à nos activités. »
Au travail, donc ! Pour le troisième
volet de cette trilogie autour des
rituels et de la mort, Ali Chahrour
dégagera l’espace à cinq hommes
non-danseurs. Pour explorer « la
fragilité du monde masculin au
regard de l’image que veut en donner notre société ». Encore un pas de
côté. Ainsi va Ali. p
rosita boisseau
(beyrouth, liban)
Fatmeh et Leïla se meurt,
chorégraphie et mise en scène :
Ali Chahrour. Cloître des
Célestins, du 16 au 18 juillet
et du 21 au 23 juillet, à 22 heures.
Durées : 55 minutes et 1 h 20.
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e studio de danse explose de soleil. Les immenses fenêtres ont été
occultées par des paravents verts pour tamiser l’atmosphère. Plus
de trente degrés sur Beyrouth,
samedi 18 juin. Les ventilos
turbinent. Les packs de bouteilles
d’eau s’effondrent. Le danseur et
chorégraphe Ali Chahrour aménage l’espace – quelques chaises
ici et là – en attendant sa petite
troupe, composée de deux musiciens et de Leïla Chahrour, 52 ans,
la cousine de son père, pleureuse
et vedette de son spectacle Leïla
se meurt.
Voilà donc Leïla, tout de marron
vêtue jusqu’au voile. Alternativement souriante et grave, tranquille toujours. Elle parle peu, file
fumer une cigarette dans le couloir, revient et prend position au
centre de la salle. Présence évidente, solide, simplement puissante. « Elle n’était jamais entrée
dans un théâtre, ni montée sur
scène, précise Ali Chahrour. Lorsque j’étais petit, j’avais peur d’elle.
Elle venait régulièrement pour les
funérailles de telle ou telle personne dans la famille. C’est elle qui
a pleuré mon père lorsqu’il est
mort il y a quatorze ans. Malheureusement, les femmes comme elle
sont en train de disparaître au
Liban. On ne fait plus appel à leurs
services. Il y a tellement de morts
maintenant qu’ils sont relégués
dans l’anonymat. »
Ali Chahrour ne tourne pas
autour du pot. Vite, il file au but,
décortique le cœur du sujet, avec
un curieux mélange de ferveur et
de détachement. Qu’il s’agisse de
Fatmeh (2014), portraits croisés
de trois femmes – Fatima Zahra, la
fille du prophète Mahomet,
Oum Kalsoum, la diva égyptienne, et sa mère – ou de Leïla se
meurt (2015), ce jeune chorégraphe de 27 ans, musulman chiite,
sait exactement ce qu’il cible. « Les
deux pièces de ce qui va être une
trilogie sont basées sur les rituels
chiites autour de la mort et les
façons d’exprimer la catastrophe et
le chagrin, explique-t-il. Nous
n’avons plus le temps de pleurer
nos défunts. Par ailleurs, le pouvoir
considère aujourd’hui que la mort
est un devoir qui doit servir ses
objectifs. Lors des cérémonies de
deuil, les pleureuses célèbrent les
grandes figures religieuses plutôt
que les disparus, gelant toute
relation intime avec eux. Cela
change complètement le rituel.
Leïla, elle, pleure d’abord les gens
qu’elle aime. »
Située en plein centre de la ville,
à quelques mètres du Théâtre
Al-Madina qu’Ali Chahrour loue
pour présenter ses spectacles
comme tous les artistes libanais,
la petite salle de répétitions du
Houna Holistic Center est devenue son QG. Une fois par semaine,
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