La mémoire d’une grande dame du judaïsme par Pierre Assouline Benjamin Gross : Un monde inachevé Les Dix jours du Consistoire Histoire : Le Portugal face à son passé juif Mémoire : Quand le peuple juif de Pologne vivait encore Jacques Attali “POUR UNE ALLIANCE DES DÉMOCRATIES” N°272 - OCTOBRE 2007 - 3€ M 01907 - 272 - F: 3,00 E Dossier : les juifs d'Algérie 3:HIKLTA=\UXUUU:?a@m@h@m@a; SOMMAIRE A LA UNE 4 Pour une alliance des démocraties par Jacques Attali HISTOIRE 8 La mémoire d'une grande dame du judaïsme par Pierre Assouline SOCIÉTÉ 12 Retour sur une confusion par Josy Eisenberg MÉMOIRE 13 Quand le peuple juif de Pologne vivait encore par Benoît Rayski LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI 14 Le stade de la guerre la chronique de Guy Konopnicki ACTUALITÉ 16 Les prophètes ne disent pas l'avenir par Paul Giniewski JUDAÏSME 17 Un monde inachevé par Benjamin Gross 19 Sous les branchages de la paix par Philippe Haddad Le Président de la République à la Victoire - page 22 BONNES FEUILLES 20 Le Portugal face à son passé juif par Carsten L.Wilke LA VIE DE L’ACIP 22 La visite du Président de la République à la Synagogue de La Victoire 23 Les dix jours du Consistoire par Joël Mergui 25 La chorale juive de France BICENTENAIRE 26 Le Consistoire israélite de Paris pendant le 1er Empire par Philippe Landau DOSSIER 29 Les juifs d'Algérie par Albert Bensoussan et Annie Ayache Lelièvre CULTURE 35 Pourquoi j'aime le cinéma israélien par Thierry Le Boité 38 Pourim 1946 : L'énigme de Nuremberg par Yohan Perez POST-SCRIPTUM 40 Interrogations Sous les branchages de la paix - page 19 INFORMATION JUIVE 17, rue Saint-Georges 75009 Paris Rédaction : 01 48 74 34 17 Administration : 01 48 74 29 87 Fax : 01 48 74 41 97 [email protected] Fondateur : Jacques Lazarus Gérant de la SARL, directeur de la publication : Philippe Meyer Directeur : Victor Malka [email protected] Editorialiste : Josy Eisenberg Chroniqueur : Guy Konopnicki Comité de rédaction : Josy Eisenberg, Michel Gurfinkiel, Victor Malka, Joël Mergui, Philippe Meyer Collaborateurs : Armand Abécassis, Anne-Julie Bémont, Albert Bensoussan, Paul Giniewski, Hélène Hadas-Lebel, Carol Iancu, Gérard Israël, André Kaspi, Naïm Kattan, Odette Lang, Annie Lelièvre, Daniel Sibony. 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INFORMATION JUIVE Octobre 2007 3 A LA UNE UN ENTRETIEN AVEC JACQUES ATTALI “Pour une alliance des démocraties” Ancien conseiller spécial du président François Mitterrand, ancien président de la Berd , essayiste et écrivain, Jacques Attali est aujourd'hui président de la Commission pour la libération de la croissance française. Il a bien voulu recevoir Information juive. Information juive : Comment analysezvous la question de la " bombe "iranienne ? Jacques Attali : Pour moi, la situation ressemble assez fortement à ce qu'elle fut dans l'Europe d'avant Munich. Il arrive un moment où il devient très important de mettre en garde et de prendre les mesures nécessaires pour que la prolifération de l'arme atomique soit impossible. Pour l'instant, il nous faut simplement réaffirmer de façon extrêmement formelle que l'on ne peut pas admettre la violation du traité de non-prolifération, qu'on doit mettre en place toutes les conditions de sanctions nécessaires. Celles-ci ont fonctionné avec l'Afrique du sud , avec le Brésil qui étaient à l'époque, je le rappelle, des dictatures. J'ajoute qu'elles semblent pouvoir fonctionner (même si ce n'est pas certain) avec la Corée du Nord. Cela rester la règle de droit. Parler de " guerre " me paraît excessif. Quand personnellement j'évoque Munich, cela dit bien ce que je veux dire. L'erreur de Munich a été en fait l'erreur de 36 puisque c'est alors qu'a commencé la lâcheté européenne. I.J : La position de la France, dans ce dossier, telle qu'elle a été exprimée il y a quelques jours par le président Sarkozy, vous paraît-elle judicieuse ? J.A : C'est, en effet, une position qui me paraît tout à fait raisonnable, si on n'emploie pas le mot " guerre ". I.J : Quelle doit être, selon vous, la réaction d'Israël dans les circonstances actuelles ? 4 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 J.A : Israël est à l'évidence en première ligne. Je n'aimerais pas que l'occident considère l'Etat d'Israël, peuple veilleur par son histoire, non pas aux avant-postes mais comme l'avant-garde dans la bataille. Faire d'Israël l'armée de l'occident par procuration ou bien encore on ne sait quel mercenaire de la démocratie constituerait à mes yeux une faute gravissime. Il convient d'éviter, à la fois du point de vue israélien et du point de vue occidental, de considérer l'Etat d'Israël comme une force supplétive. S'il y a une réponse collective à faire, elle doit être administrée par l'occident ou plus exactement par les démocraties. Le moment est venu, à l'occasion de cette crise, de repenser l'ordre international et de dire, par exemple, que l'Otan n'a plus de raison d'être. On n'a plus besoin de cette organisation puisque nous n'avons plus d'Union Soviétique en face de nous. En revanche, nous avons Jacques Attali démocraties des pays du sud - le Brésil, l'Argentine, l'Afrique du Sud - mais également certains pays africains et le Japon, l'Indonésie sans oublier l'Inde évidemment. Ces démocraties auraient vocation à se battre contre l'ennemi mortel de tous c'est-à-dire la dictature. Dans cette alliance, Israël a le plus naturellement du monde sa place. L'armée intégrée de ces démocraties ( c'est la proposition que j'ai faite dans mon dernier livre ) devrait constituer l'arme de combat militaire ultime , une arme de dissuasion, face à tous ceux qui voudraient mettre en cause la démocratie. I.J : Certains prétendent que le président Bush est en train de préparer les esprits à une guerre contre l'Iran. Qu'en pensez-vous ? J.A : Il me semble qu'il est très difficile pour un président américain de laisser un bourbier pareil à son successeur. Je suis tout de même frappé de ce que l'erreur qu'a été l'entrée des Américains Faire d'Israël l'armée de l'occident par procuration ou bien encore on ne sait quel mercenaire de la démocratie constituerait à mes yeux une faute gravissime. besoin d'une alliance planétaire des démocraties au sein de laquelle nous aurions les pays membres de l'Otan ( ce qui justifierait du même coup le retour de la France à une force intégrée ). Ce serait alors une force intégrée des démocraties. On y trouverait à la fois les grandes en Irak a créé les conditions d'un désordre général dans la région. D'une certaine façon l'Iran est aujourd'hui l'allié des Etats-Unis contre la désagrégation de l'Irak. Il faut sans doute se préparer à un important changement dans la région qui est semblable à celui qu'on a vécu en A LA UNE Inde. Je suis frappé par le parallélisme qu'il y a entre le discours de Bush et celui de l'amiral britannique Lord Mountbatten, au moment de l'indépendance indienne. La question qui se posait alors aux Anglais était la suivante : si on reste, on s'enfonce dans le bourbier, si on part c'est la cassure du pays. Ils ont finalement, comme on sait, choisi de partir et cela a été suivi par la rupture du pays. Mais il y avait en Inde des hommes de grand talent pour gérer la crise. Aujourd'hui il n'y a évidemment rien de tel en Irak. Cela signifie que lorsque les Américains partiront - car ils partiront - il y aura plusieurs Irak. Une partie du pays rejoindra le millénaire royaume perse. On n'a pas intérêt à faire durer cette évolution : il faut créer les conditions pour que la bourgeoisie et la classe moyenne perses prennent le pouvoir à Téhéran. I.J : Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, a dit qu'il y a en France un antiaméricanisme qui serait “seul déterminant de la politique étrangère française”. Partagez-vous ce point de vue ? J.A : La vérité c'est que la France - quel qu'ait été le président de la République - La grande préoccupation qui est la mienne aujourd'hui concerne la stabilisation des voisins d'Israël. n'a jamais accepté d'être un pays vassal des Etats-Unis et d'avoir à obéir à des ordres venus d'ailleurs Nous avons une position géo- stratégique et une arme nucléaire indépendante. Il n'y a pas d'anti-américanisme mais seulement la volonté d'être indépendant. Vous conviendrez qu'on peut être ami de quelqu'un sans pour autant accepter qu'il vous dicte des ordres. Ehoud Olmert “Il faut aujourd'hui faire avec les hommes qui sont en place”. 6 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 I.J : Cette conférence, vous y croyez ? J.A : Je pense qu'elle ne constituera une étape positive sur la route de la paix que si elle se traduit par la mise en place urgente de moyens financiers nouveaux en faveur des Palestiniens. Le succès de I.J : Sur quoi peut, selon vous, déboucher la conférence de Novembre consacrée à la paix au Proche Orient ? J.A : Tout le monde sait qu'il faudra aboutir à la création d'un Etat palestinien mais aussi - ainsi que le souhaitait Shimon Pérès - à celle d'un marché commun de la région. Personne ne sait comment arriver à ces résultats mais toute conférence qui permettra de réaffirmer ces principes essentiels et d'apporter davantage de ressources aux Palestiniens est la bienvenue. Je dois dire que la situation des Palestiniens devient plus que difficile. cette conférence dépend, selon moi, de l'assistance technique qu'il faut mettre en place et des instruments financiers qui font aujourd'hui cruellement défaut. I.J : Ehoud Olmert est-il l'homme de la situation ? J.A : Il faut aujourd'hui faire avec les hommes qui sont en place. I.J : Quelles réflexions vous inspire la comparaison des politiques menées à l'égard d'Israël par M. Chirac d'une part et par M.Sarkozy d'autre part ? J.A : Disons que l'actuel président de la République a une position légèrement plus équilibrée et plus positive. Cela étant dit, la France a des intérêts à défendre et j'ajoute que l'intérêt de l'Etat d'Israël est que la France ait de bonnes relations avec l'ensemble des voisins arabes. La grande préoccupation qui est la mienne aujourd'hui concerne la stabilisation des voisins d'Israël. Il faut que l'on sache que personne n'a intérêt à ce que s'aggrave la déstabilisation libanaise ou celle de la Jordanie. Plus encore, le souci concerne l'Egypte. C'est un pays-clé que personne ne regarde plus parce qu'on pense qu'il est définitivement rangé du côté de la démocratie et de la stabilité. Or il s'agit d'un pays très peuplé, avec une croissance démographique difficile à contrôler, des mouvements de toutes natures et un système politique qui devra bientôt gérer une transition. Il me semble que la France - mais aussi les Etats-Unis- devront désormais s'intéresser davantage à la situation en Egypte. Propos recueillis par V.M HISTOIRE UN ENTRETIEN AVEC PIERRE ASSOULINE La mémoire d’une grande dame du judaïsme Ecrivain réputé ( son dernier livre consacré au Lutétia a été traduit en hébreu ), notre ami Pierre Assouline vient de publier " Le portrait ", un livre où il fait parler la baronne Betty de Rothschild et raconte notamment quelles ont été les relations qu'elle a entretenues avec la tradition juive. Entretien. Pierre Assouline Dans votre nouveau livre " Le portrait " ( Editions Gallimard), vous faites raconter l'histoire d'une dynastie française - les Rothschild - par un tableau, celui de la baronne Betty. Vous faites parler ce tableau qui relate des pages de l'histoire de France mais aussi le destin d'une grande famille juive. La baronne Betty a été une grande philanthrope. Le grand rabbin Zadog Kahn qui lui rendait visite disait d'elle qu'elle a " rempli le rôle de la femme juive dans l'Histoire ". Pourquoi l'a-t-on présentée comme " la plus grande Juive des temps modernes " ? Pierre Assouline :Parce qu'elle a occupé une place prépondérante dans une famille qui, elle-même, occupait une place importante dans la communauté juive. C'est Betty de Rothschild, l'épouse du baron James, le fondateur de la branche française de la famille , qui a permis à son mari d'asseoir sa notoriété . James avait réussi dans la banque - il était l'homme le plus riche de France - mais c'est elle qui a tenu la maison de la famille en quelque sorte. Il est arrivé qu'on la compare à la reine Esther… P.A : On l'a comparée à beaucoup de juives célèbres mais elle n'aimait pas cela. Elle était très marquée par la tradition juive. Elle a d'ailleurs une formule tirée de cette tradition : si on vous voit donner, vous perdez tout le bénéfice moral de votre action. P.A : C'est une manière de donner de plus en plus rare de nos jours. La baronne Betty avait un homme d'affaires à la Banque, rue Laffitte, qui s'occupait exclusivement des questions philanthropiques. Elle donnait à tout le monde. Mais j'ai vu dans son testament qu'elle donnait beaucoup plus au grand rabbin qu'au curé. La baronne Betty de Rothschild : le portrait 8 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 Elle considère qu'on a toujours eu tort d'associer les Rothschild à l'argent. Elle dit que la principale richesse n'est pas un domaine aux terres innombrables mais un principe venu du fond des âges. Quel est ce principe ? P.A : S'il y a bien une famille qui a des principes et des valeurs qui se transmettent de généra- tion en génération c'est bien celle-là. Il y a une idée que j'ai tenu à mettre en évidence dès les premières pages de ce livre : les deux testaments, celui de James et celui de son épouse Betty. Ils disent en léguant leur immense fortune à leurs héritiers : si l'un de vos enfants venait à se marier en dehors de la foi de nos ancêtres, il serait automatiquement déshérité. C'est ce qui au demeurant est arrivé aux enfants de Betty qui se sont tous mariés non seulement entre juifs mais entre cousins. Mais l'une de ses nièces qui a fait un mariage mixte a été déshéritée. Betty n'était pas une juive orthodoxe mais elle respectait les traditions et elle supplie ses enfants de rester fidèles à la religion de ses pères et elle demande qu'aucun " d'entre eux ne jette sur notre nom l'opprobre d'une désertion " P.A : J'ai appris à connaître cette femme à travers sa correspondance et ses archives. James était un juif distrait. Il disait souvent : " Pour le judaïsme, voyez ma femme ".Mais elle , elle respectait le shabbat. Elle avait fait de sorte qu'à l'entrée du château de Ferrière il y ait une mezouza. Et la pièce la plus intime de ce château était devenue une synagogue où a été célébrée la bar-mitsva des enfants. C'était là une cérémonie à laquelle n'assistait que la famille. La mondanité désertait d'un coup l'hôtel de la rue Laffitte. Ses enfants étaient éduqués dans le judaïsme par des professeurs d'hébreu. On y voit passer l'ombre de Salomon Minc entre autres. A ses réceptions, les plus belles de Paris, se pressaient la noblesse et les grands artistes mais " pour moi, disait-elle, les plus belles fêtes ce sont le vendredi soir à la maison, le Séder de Pessah et Rosh Hashana ". Elle considère que ce sont ces fêtes HISTOIRE qui resteront dans sa mémoire. Et elle ne dit pas cela pour la galerie mais elle l'écrit dans des lettres privées. Est-il vrai, comme vous l'écrivez, que c'est par les femmes et par le rôle qu'elles ont joué que la finance israélite s'est modifiée et modernisée ? P.A : Ce qui est sûr c'est que, chez les Rothschild, les femmes jouent un rôle pré- finalement l'histoire des Rothschild ? P.A : C'est elle qui a créé l'esprit de la branche française. Cette branche est, on peut le dire aujourd'hui, la plus importante et la plus illustre et celle qui a brillé le plus. Il y a encore la branche anglaise. La branche allemande s'est éteinte très vite ; la branche italienne n'a guère eu une longue vie ; l'Autriche, quant à elle, “Tout était baigné de la lumière des ancêtres et cela n'a pas de prix, sauf à être sans mémoire, ce qui est plus misérable encore que d'être sans Dieu”. pondérant. Sur le plan bancaire et financier, ce sont évidemment les hommes qui décident. D'ailleurs, le fondateur de la famille, avait par testament ordonné à ses fils de ne jamais permettre à leurs sœurs, à leurs femmes ou à leurs filles d'entrer dans la gestion et dans le capital des affaires. Parce qu'un jour ou l'autre la solidarité entre frères pourrait alors disparaître. a cessé d'exister pour des raisons historiques…La famille française est, depuis une vingtaine d'années, dirigée par un esprit brillantissime : David qui est l'aîné des Rothschild. On vient d'ailleurs d'assister à un passage de générations puisque successivement Guy et Elie de Rothschild ont disparu au cours de l'été, à un mois d'intervalle. Par quoi la baronne Betty a-t-elle marqué Vous écrivez que parmi les objets précieux de la baronne Betty, il y avait une mezouza et un chandelier à 7 branches qui trônait sur la table familiale. P.A : Cette femme qui était avec son mari à la tête d'une collection d'art fabuleuse disait : le premier objet que j'ai ramené de Francfort quand je me suis installé à Paris à l'hôtel de la rue Laffitte c'est le chandelier à 7 branches et cet objet était pour elle le plus important. Vous lui faites dire à propos du repos et des prières du shabbat cette phrase : " Tout était baigné de la lumière des ancêtres et cela n'a pas de prix, sauf à être sans mémoire, ce qui est plus misérable encore que d'être sans Dieu". P.A : Jean d'Ormesson m'a fait com- 10 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 prendre un jour qu'il y avait entre les aristocrates français et les Israélites (comme on disait à l'époque) des parentés et des affinités . Les uns et les autres ont - ajoutait-il - le sens de la transmission, le culte de la mémoire et celui du passé. On apprend en vous lisant que Chopin, Heine et Rossini étaient des familiers du couple. On comprend moins qu'ils reçoivent Balzac : il leur empruntait de l'argent qu'il ne rendait jamais et disait pis que pendre des juifs. P.A : James et Betty voyaient en Balzac un écrivain important et un esprit parvenu au sommet de son art. Quand on entre dans la mondanité, on se rend compte que les gens s'obligent à frayer avec des personnages qui ne leur plaisent pas toujours. On ferme souvent les yeux. Avec Heine, il y avait une réelle amitié et de l'affection. Le couple recevait également les frères Goncourt qui étaient des hommes fielleux. P.A : Des antisémites sordides. Betty n'est pas dupe. Elle connaît le caractère des Goncourt. Les Rothschild recevaient quatre fois par semaine , un minimum de 60 couverts. Ils organisaient un bal tous les mois, c'est-à-dire entre 1.OOO et 1.200 personnes. Il y avait parmi ces gens beaucoup d'antisémites mais cela faisait partie de la mondanité. Lors de l'Occupation, les Allemands vont voler tous les tableaux des Rothschild. P.A : Quand Goering et ses collaborateurs vont spolier la plupart des grandes collections françaises (90 % de ces collections sont juives à l'époque), ils s'approprieront le maximum chez les Rothschild. Ils volent donc le tableau de Ingres (celui de Betty ). Au fond, je dirai que ce tableau va connaître le destin des juifs : en 1940, il se retrouve au musée du jeu de Paume qui est un peu comme Drancy. Une gare de triage avant d'être déporté. Le tableau est poinçonné comme à d'autres on imposait un tatouage. Qu'avez-vous appris dans ce voyage en compagnie d'une grande dame qui appartient à la noblesse du cœur ? P.A : J'ai appris que la vraie noblesse n'est pas celle du titre. C'est celle de l'âme. J'ai appris qu'il faut avoir des principes, des valeurs et s'y tenir. Et enfin d'avoir le sens de ce que peut être une famille. SOCIÉTÉ Après la mort du cardinal Lustiger : Retour sur une confusion PAR JOSY EISENBERG C 'A l'intention des lecteurs d'Information Juive qui n'auraient pas lu les divers articles que j'ai consacrés à Jean-Marie Lustiger (Actualité Juive du 6 septembre, Le Figaro du 8 septembre 2007) je rappelle brièvement que j'y ai démontré : 1) que le cardinal ne pouvait d'aucune manière être considéré comme juif, 2) qu'il a certes rendu de grands services à l'Eglise, mais qu'il incarnait cependant la doctrine de la substitution selon laquelle le christianisme est la forme la plus accomplie du judaïsme, thèse aussi nocive qu'inadmissible pour la conscience juive, 3) que, dans cette démarche, il allait à contre-courant d'un désir de plus en plus affirmé dans le monde chrétien - sauf au Vatican - d'abolir ce phantasme qui a empoisonné les relations judéo-chrétien- Le cardinal Jean-Marie Lustiger 12 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 nes pendant deux millénaires. J'ajoute que le cardinal avait osé utiliser les morts d'Auschwitz pour prouver la véracité de la mort du Christ, thèse scandaleuse que j'avais jadis ouvertement stigmatisée dans " Le Nouvel Observateur ". A la suite de ces articles, j'ai eu l'immense satisfaction de recevoir une lettre d'approbation d'un des plus éminents spécialistes du christianisme, Jacques Duquesne, ancien directeur du " Point " et auteur de nombreux livres. Il m'a aimablement autorisé à rendre public son témoignage et je l'en remercie : Cher Monsieur, Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Mais je vous vois - sauf rares exceptions - tous les dimanches ; mon épouse et moi apprécions votre émission, la plus riche, à mes yeux, de cette matinée-là. Je vous ai aussi beaucoup lu, et il m'est arrivé de vous citer. Je voudrais seulement, aujourd'hui, vous dire mon accord avec ce que vous avez écrit dans " Le Figaro " samedi dernier. Non pour la première raison qui ne me concerne pas directement et sur laquelle il est possible de s'interroger (je pense à l'arrêté de la Cour Suprême d'Israël). Mais pour la raison théologique. Vous êtes, me semble-t-il, tout à fait dans le vrai. Le christianisme n'accomplit pas le judaïsme. Il est une révolution. Et si l'on compare avec ce qui se produit en d'autres domaines, une révolution peut garder certains traits du régime précédent, une partie de ses rites et de ses formes, de ses lois et de ses normes, mais fondamentalement, elle s'en distingue. Théologiquement - revenons-y - le point fondamental me paraît être l'incarnation. Le Dieu de Jésus n'est pas celui de Moïse. Que l'on respecte enfin, que l'on prie en Jacques Duquesne même temps et côte à côte, très bien. Mais que l'on entretienne la confusion, non. Je suis parfois agacé, à la messe, d'entendre lire aux fidèles les textes de ce que les chrétiens appellent l'Ancien Testament, textes sans doute bien choisis mais qui sont quelque peu - et parfois beaucoup - en contradiction avec ce que va lire ensuite et les propos que va tenir le prêtre. Je sais bien qu'écrivant cela, je suis minoritaire dans le catholicisme. D'ailleurs, on me le fait assez savoir. Mais j'ai été moi aussi choqué par la confusion que l'on a entretenue, renforcée même, lors des obsèques de Lustiger. Et j'étais étonné que des juifs s'y soient prêtés. Merci de m'avoir lu. J'imagine que vous ne devez pas manquer de courrier… Bien cordialement Jacques Duquesne P.S : J'ai été particulièrement sensible à l'étonnement de Jacques Duquesne devant les flagorneries de certains " responsables " d'institutions juives et je partage cet étonnement : le mot est faible. MÉMOIRE Quand le peuple juif de Pologne vivait encore… C PAR BENOÎT RAYSKI* 'est une chanson qui me ressemble… Juive ou russe, je ne sais exactement. Car j'ai tellement entendu de chansons yiddish sur des mélodies russes et tellement de chansons russes sur des mélodies juives. La chanson, telle une complainte, dit ce qui suit. Où est cette rue ? Où est cette maison ? Où est cette fille que j'aimais ? Et elle ajoute, dans un souffle de bonheur retrouvé : Voilà cette rue. Voilà cette maison. Voilà cette fille que j'aimais. La chanson ne m'a jamais quitté. Chant du départ, chant du retour… Je sais bien sûr qu'elle ne dit pas vrai. La fille que j'aimais est morte. La rue, la rue juive, a été brûlée. Et la maison n'est plus que ruines calcinées. Mais qu'importe. La chanson me permet de rêver d'un temps quand le peuple juif de Pologne vivait encore. Il y a quinze ans je suis revenu pour la première fois à Varsovie. En tant que journaliste. Le chauffeur de taxi (éternelle providence du reporter jeté dans la fosse aux lions d'un pays étranger) qui m'amenait à l'hôtel, ayant appris que j'arrivais de Paris et que je baragouinais le polonais, se fit un devoir de m'enrichir de ses puissantes considérations sur la situation en Pologne. Bien que longuement argumentées, elles tenaient en une phrase dont la foi robuste excluait tout débat : " Les Juifs relèvent la tête et veulent de nouveau s'emparer du pays. " Cela faisait longtemps que je n'avais pas été aussi comblé. Je me sentais comme le héros du Caporal épinglé, rentrant à Paris après des années passées dans un stalag allemand. " Je descendis au métro Gobelins. Je vis un nègre. Et je compris que j'étais rentré chez moi. " Oui, j'étais comme lui. " J'atterris à Varsovie. Je rencontrai un antisémite. Et je compris que j'étais rentré chez moi. " C'était d'ailleurs peut-être tout ce qui restait du foisonnant et merveilleux monde juif de la Pologne d'avant-guerre : la singulière persistance de l'antisémitisme. Non, non et non, je ne cultive ici aucun goût du paradoxe. Tous les Polonais sont imprégnés d'une très étonnante connais- - ne les oublions pas dans ce casting habités par une pathétique et impuissante haine antijuive. De tout cela rien ne me pose problème. Je suis chez moi en Pologne. Auschwitz, Treblinka, Belzec, c'est chez moi, c'est là que sont partis tous les miens. Varsovie aussi c'est chez moi, si on y rajoute le mot ghetto, où je n'ai pas eu la chance de mourir. Bialystok, où quelques jours après la prise de la ville par les nazis, on enferma 1800 Juifs dans la synagogue avant d'y mettre le feu, c'est toujours chez moi. Et, comme il ne faut rien oublier pour être honnête, Jedwabne aussi, c'est chez moi, car là-bas 2000 Juifs, hommes, femmes et enfants, furent massacrés artisanalement - pelles, pioches et bâtons par la population locale. Rien, je le redis, ne me pose problème, ne devrait nous poser problème. Car depuis longtemps il nous est interdit d'avoir peur. Et si vous voulez gagner un peu en assurance avant de fouler le sol polonais, allez donc d'abord à Jérusalem. Au tout début du printemps, ou peut-être à la fin de l'hiver, vous y verrez passer Je suis chez moi en Pologne. Auschwitz, Treblinka, Belzec, c'est chez moi, c'est là que sont partis tous les miens. sance sur les Juifs. Tous les Polonais savent à quoi ressemble un Juif. Tous les Polonais peuvent immédiatement reconnaître un Juif. Tous les Polonais savent que la Pologne a un problème avec les Juifs, même si cela les arrange de penser que ce sont les Juifs qui ont un problème avec la Pologne, ce qui n'est peut-être pas faux. Et certains Polonais sont de surcroît A l’heure de l’oppression dans le ciel des centaines de cigognes. Elles volent vers le nord, vers la légendaire forêt polonaise de Bialoveza. Elles ne se trompent jamais ni de chemin ni de destination. Moi, je n'ai fait que les suivre. Et ce n'est pas un privilège accordé aux seuls Juifs polonais. Des centaines de milliers de Juifs hongrois, grecs, tchèques, allemands, français, roumains ont fertilisé de leur sang et de leurs cendres la terre polonaise. Cela suffit à nous donner des droits inaliénables de propriété sur la Pologne, des droits qui ne dépendent en rien de la bonne ou mauvaise humeur des autochtones. Si parmi eux on trouve encore des antisémites haineux et butés, ce n'est pas à moi, pas à nous, de nous sentir mal à l'aise ou indésirables. C'est à eux, et rien qu'à eux, de raser les murs en courbant la tête. Pour l'obtenir, il suffit de revenir à une chanson. Celle qui dit : Voilà cette rue. Voilà cette maison. Voilà cette fille que j'aimais. Elle permet d'être fort. *Benoît Rayski est l'auteur, entre autres, de Là où vont les cigognes, paru aux éditions Ramsay. INFORMATION JUIVE Octobre 2007 13 LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI Le stade de la guerre L a question titre du merveilleux roman de Robert Bober est brutalement reposée. Quoi de neuf sur la guerre ? Elle revient à tout propos et, bien évidemment, hors de propos ! Les morts sont convoqués, pour soutenir une cause dérisoire et, pis encore, mercantile. On offrira bientôt une lettre de fusillé à tout acheteur de ballon ovale ! Je ne sais si mon effarement provient de mon peu d'intérêt pour le rugby et, plus généralement, pour les compétitions sportives. N'ayant, en ce qui me concerne, jamais partagé les passions qu'elles soulèvent, faute, peut-être, de la patience nécessaire pour regarder plus de cinq minutes des gens s'agitant autour d'un ballon sur mon écran de télévision, je ne puis prétendre à l'impartialité. Les rites du rugby me sont étrangers. Supportant difficilement la place prise par le sport dans la vie et les conversations de mes contemporains, j'ai été sans doute plus ulcéré que quiconque, en découvrant que l'on avait convoqué la Résistance dans les vestiaires d'un stade. Il paraît qu'en plus la lecture de la lettre de Guy Môquet n'a pas arrangé le moral des joueurs. Cependant, l'initiative de l'entraîneur et futur ministre des sports est on ne peut plus significative de l'idée que l'on se fait, aujourd'hui, de l'histoire et de ses enseignements. À force de jouer du registre émotionnel, on ruine la compréhension de chaque période et, tout particulièrement de celle qui revient dans toutes les incantations, depuis la disparition des frontières intérieures et extérieures qu'elle avait dessinée. On évoque beaucoup plus la Seconde Guerre mondiale, la Shoah, l'occupation de la France, Vichy, la Résistance, depuis que nous vivons dans une Europe unifiée, par delà les anciennes lignes de partage de 1945. Et ces évocations ont d'autant plus d'importance en France que le paysage politique a été radicalement transformé en vingt ans. Les deux forces fondamentales qui longtemps se posèrent en gardiennes de la mémoire, ont à peu près disparu. Il n'y a plus, à proprement Les comparaisons oiseuses hantent le discours et la critique politiques. parler, de parti gaulliste et le parti communiste n'est que résiduel. Ce dernier avait, en tout état de cause, détruit lui-même sa légitimité, en excluant ses dirigeants résistants aux profits de bureaucrates au passé trouble. Sur la scène politique française, nous voyons désormais deux grands partis issus de refondations récentes, et qui, de ce fait, peuvent choisir les continuités qu'ils revendiquent dans leur histoire et dans celle de la nation. L'UMP et le PS se livrent donc une guerre de références. On a ainsi vu, pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy accusant la gauche d'avoir oublié Jaurès et Blum, tout comme l'on voit, depuis fort longtemps, la gauche invoquer le général De Gaulle contre la droite d'aujourd'hui. Les références communistes tombées en déshérence devaient 14 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 revenir au premier qui oserait s'en emparer, ce fut donc, contre toute attente, Nicolas Sarkozy. Mais à ce jeu, la compréhension de l'histoire se trouve totalement brouillée. Et les enjeux d'hier semblent tellement lointains, mythifiés, que les héros et les martyrs sont invoqués en des situations proprement extravagantes. L es comparaisons oiseuses hantent le discours et la critique politiques. Quand le gouvernement entreprend, dans des conditions certes discutables, de contrôler les flux migratoires, en fixant à ses préfets des objectifs de reconduite à la frontière, on lit ici et là des tribunes, des manifestes d'associations renvoyant aux rafles de juifs par la police de Vichy. Or, si les enfants d'immigrés, parfois apatrides, que nous sommes ne peuvent supporter les arrestations brutales d'étrangers, et tout particulièrement celles des parents et grands parents d'enfants scolarisés, il n'est pas supportable de comparer les plus brutales des actions policières d'aujourd'hui aux effroyables scènes qui se répétèrent, au long de l'occupation. Les camps de rétention représentent des réalités douloureuses, ils témoignent de la misère des pays du Sud comme de l'impuissance des pays riches ou supposés tels à les sortir du marasme. Mais ces camps ne sont pas Drancy ou Beaune-la Rolande. Et pour insupportable qu'il soit de voir de pauvres gens menés de force dans les avions du retour, ces charters ne sont pas les convois en partance pour les camps de la mort. L'omniprésence de la comparaison rend difficile le combat pour une politique humaine et juste de l'immigration. Mais ce même comparatisme surgit de l'autre côté de la vie politique. Ainsi, parlant devant l'université d'été du Medef, le président de la République promet de revoir les procédures financières, de dépénaliser un peu plus la vie économique. Cela mérite discussion. Mais voici que Nicolas Sarkozy compare les investigations déclenchées sur la foi d'informations dont l'origine est souvent obscure à la délation anonyme sous Vichy ! Il nous est certes fort désagréable de savoir que la justice et les services fiscaux ouvrent des enquêtes sur la foi de lettres anonymes. Il est tout à fait louable d'envisager une réforme, par laquelle les autorités ne tiendraient compte que des témoignages à visage découvert. Mais que vient faire le souvenir de Vichy en cette affaire ? Il n'y a pas, que l'on sache, de personnes risquant aujourd'hui, en France, la torture et la mort lorsqu'elles sont victimes d'une dénonciation anonyme. Au surplus, l'horreur de la délation sous Vichy ne tient pas à son anonymat supposé. La caractéristique des régimes fascistes, comme des régimes staliniens, c'est d'avoir fait de la délation un acte civique, de lui avoir donné un statut moral. On dénonçait donc à visage découvert, pour prouver sa fidélité au régime. Et, plus encore, pour obtenir des avantages. Les délateurs se présentaient comme de zélés serviteurs du Maréchal, des Français qui méritaient de récupérer l'appartement d'une famille juive ou d'obtenir la gérance d'une entreprise aryanisée. On dénonçait en quémandant sa part du butin, ce n'était donc pas anonyme. Mais une foi de plus, on en appelle au sordide de l'histoire pour justifier, au nom d'une morale née des épreuves, une réforme judiciaire dont on redoute qu'elle soit mal perçue, pour ne concerner que des catégories réputés privilégiées. Absurde. chaque soir. Marcel Marceau portait en lui la douleur de l'histoire, et, sans un mot, chacune de ses pantomimes portait plus de sens que toutes les paroles déversées quotidiennement. La caractéristique des régimes fascistes, comme des régimes staliniens, c'est d'avoir fait de la délation un acte civique, de lui avoir donné un statut moral. L'appel désordonné à l'histoire atteste d'une incapacité à penser le présent, à produire, pour aujourd'hui, une philosophie politique. Le public étant las des mornes projets économiques, et, comme on ne saurait faire rêver les foules avec des taux de croissance, réels ou supposés, on agite les ombres du passé, cela donne un peu de panache au discours. On n'hésitera pas à invoquer les fusillés de la Résistance et les juifs assassinés pour donner une dimension à des projets ou des combats qui sont singulièrement dépourvus de toute vision historique. On plante le décor de la tragédie pour nous jouer de petites comédies contemporaines. Au mieux une campagne électorale, au pire un match de rugby ! Le mime Marceau A P. S. u milieu de cette comédie insensée, disparaît un artiste qui avait, lui vécu, l'histoire. Il était le fils d'un boucher casher de Strasbourg, arrêté en France et assassiné à Auschwitz. Il s'appelait Marcel Mangel, il était entré à vingt ans dans la Résistance, où il avait choisi, pour pseudonyme, le nom d'un général de la Révolution Française. Il tenait Marceau pour le symbole de cette France qu'il aimait, celle de la poésie de Victor Hugo. Cette France républicaine, qui avait permis aux juifs de demeurer dans Strasbourg, rendant enfin inutile la fameuse sonnerie de la cathédrale, qui leur ordonnait, sous l'ancien régime, de quitter la ville INFORMATION JUIVE Octobre 2007 15 ACTUALITÉ Les prophètes ne disent pas l'avenir ! PAR PAUL GINIEWSKI L es mots prophète et prophétie sont aujourd'hui bien galvaudés. Quiconque énonce une probabilité est appelé prophète. Et les politologues annoncent quantité d'avenirs contradictoires. Mais ces contradictions sont dans la nature des choses. Car il est vrai, par exemple, que le monde civilisé pourrait succomber à l'extrémisme islamiste et plausible également que le monde se débarrasse du fanatisme islamiste. Et si l'on peut redouter que l'Iran ne mette le monde à feu et à sang, on peut espérer qu'on finira par désarmer le pays d'Ahmadinejad. Toutes les options ( et leurs contraires ) sont ouvertes. Parmi les prophéties réalisées ou inaccomplies, certaines se rapportent à l'événement majeur de l'histoire des juifs et de l'humanité : la Shoah. Le commentateur israélien Yoram Hazoni en rappelle deux (1), frappantes par leur dualité et leur contraste. Elles ne sont pas inconnues mais ce que leur contradiction nous enseigne est largement méconnu. En 1895, Théodore Herzl était enthousiasmé par sa découverte de la solution sioniste. Il se proposait de gagner le soutien des Rothschild et préparait à leur intention un discours - programme préfigurant son livre prophétique L'Etat juif. Il y prédisait ce qui attendait les juifs d'Europe, en un développement que Yoram Hazoni ne cite qu'en partie et qu'il vaut la peine de découvrir plus complètement. " Une amélioration des conditions d'existence des juifs - soutient Herzl - est exclue. Si l'on me demande comment je le sais, je répondrai que je sais également où une pierre, roulant sur une pente, aboutira : en bas. Seuls les ignorants ou les fous ne tiennent pas compte des lois de la nature. C'est pourquoi nous aboutirons tout en bas. A quoi cela ressemblera, quelle forme cela prendra, je ne peux le prévoir. S'agira-t-il d'une expropriation révolutionnaire venant de la base ou d'une confiscation réaction16 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 sinera dans les autres où nous serons réfugiés (2). Vingt ans après cette prédiction, Hermann Cohen formulait une autre prophétie qui prédisait au contraire pour l'Allemagne un rôle de sauveur et de garant des Juifs : " Ce qu'ont en commun les Allemands et le judaïsme devrait être évident pour tous. Le concept d'humanité a son origine dans le messianisme des prophètes d'Israël. Aujourd'hui, nous rencontrons à nouveau le Messie dans l'ensemble de l'esprit allemand. Les Juifs de France, d'Angleterre et de Russie ont un devoir de loyauté envers l'Allemagne parce que l'Allemagne est la patrie de leurs âmes. C'est pourquoi, en dépit de préjugés répandus, je soutiens que l'égalité des Juifs en Allemagne est plus profondément enracinée que n'importe où ailleurs" (3). Cette profession de foi utopique date de 1915. Peu de prophéties politiques se sont aussi dramatiquement trompées ou accomplies que celles de Herzl et de Cohen. Dix-huit années seulement séparent le constat illusoire de Cohen de la funeste année - 1933 - où les nazis sont arrivés au pouvoir. Et ils y sont arrivés parce que les hommes n'avaient pas fait ce qu'il fallait pour que la prophétie de Herzl ne se réalise pas. Herzl et Cohen n'étaient donc incompatibles que virtuellement Les deux exprimaient des potentialités réelles, les deux avaient des chances égales de s'accomplir ou d'avorter. Et c'est après coup seulement que les politologues et les historiens montreront que les événements devaient se dérouler fatalement selon les potentialités négatives ou positives de l'une ou l'autre prédiction. Les prophètes ne disent pas l'avenir mais des à- venir. Ils proposent des choix et c'est à nous de choisir et de faire en sorte que notre choix se réalise. Faut-il rappeler que Dieu a placé " la vie et la mort devant l'homme, le bonheur et la calamité " et il l'a exhorté à "choisir la vie" (Deut.30.19). Et il a parlé en ces termes à David : " Je te propose trois calamités, choisis l'une d'elles et je te l'infligerai" (1 Chron. 21.10 ). En 1895, Théodore Herzl était enthousiasmé par sa découverte de la solution sioniste. naire venant du sommet ? Nous expulsera-t-on ? Serons- nous massacrés ? J'imagine à peu près que cela prendra toutes ces formes et d'autres encore. Dans tel ou tel pays, probablement en France, se produira une révolution sociale dont les premières victimes seront forcément la haute banque et les Juifs…En Russie, on confisquera simplement d'en- haut. En Allemagne, on fera des lois d'exception…En Autriche, on se laissera intimider par la populace viennoise et on lui livrera les Juifs…C'est ainsi qu'on nous chassera de ces pays et qu'on nous assas- (1) The Guardian of the Jews " in New Essays of Zionism. Jérusalem 2007. (2) Briefe und Tagebücher, tome 2 , p.154. (3) Germanité et judaïsme. Cité par Yoram Hazoni. P.45 JUDAÏSME UN ENTRETIEN AVEC BENJAMIN GROSS Un monde inachevé Benjamin Gross, un des représentants les plus importants de la pensée juive contemporaine nous invite, dans son dernier livre " Un monde inachevé " (Editions Albin Michel. Collection Présences du judaïsme) à penser la situation de l'homme et plus particulièrement celle de l'homme juif aujourd'hui. Nous publions ci-dessous l'entretien que M.Gross nous a accordé. Qu'appelez-vous une liberté responsable ? Benjamin Gross : Une liberté responsable est une liberté qui, au nom même de la liberté, s'impose des limites. L'homme tente de se libérer des nécessités naturelles et des contraintes sociales. Grâce aux progrès des sciences et des techniques ainsi qu'aux réformes sociales, l'Occident a réalisé de ce point de vue de remarquables ouvertures. Cependant, dans la course éperdue vers une expansion illimitée et une autonomie individuelle indéterminée qui caractérise le monde post-moderne, la société a perdu le sens du sens et toute référence à des valeurs incontestables. Elle n'a plus de représentation d'elle-même, ce qui conduit à son effondrement et, par voie de conséquence, prive l'individu d'une des conditions vitales de son existence. C'est ce qu'on a appelé "l'ère du vide", "le monde du rien" - ce que j'appelle la démesure et l'absence du sens de la limite. Quelle conception vous faites-vous, dans ce livre, de l'éducation juive ? B.G. : La liberté, telle que nous venons de la définir,comme projet d'autonomie, passe inévitablement par l'éducation. C'est un problème central pour toute société, mais je crois qu'il occupe une place particulièrement cruciale pour la société juive. Celle-ci doit répondre - et ne peut s'y soustraire- au défi que lui lancent, et le plus souvent d'une façon dramatique , les événements de sa singulière histoire. Il ne s'agit pas pour moi, essentiellement en tout cas, de méthodes pédagogiques, de technique, de programmes, mais d'une éducation permanente de l'individu qui débute à sa naissance et s'achève à sa mort. Dans ce sens, le judaïsme est en lui-même éducation, ouvert à la création de la personne par l'acceptation de la règle morale et le respect de l'Autre et au sens de la responsabilité pour l'avènement de l'Homme, par sa conception messianique de l'Histoire. Maïmonide ne définissait-il pas le Livre, comme étant un guide éducatif pour l'orientation des générations passées comme des générations modernes ? Vous semblez penser que l'éducation ce n'est pas seulement la transmission d'un savoir mais essentiellement la formation de la personne. B.G. : L'éducation juive plus particulièrement est d'abord transmission d'un savoir. L'étude de la Torah et de ses commentaires, la connaissance de Benjamin Gross l'hébreu et de l'histoire de notre peuple sont des éléments indispensables. Il importe à ce sujet de préciser que la tâche d'un maître aujourd'hui consiste à formuler le message de la Tradition en un langage moderne dans la cadre d'une culture générale sans qu'il perde pour autant son authenticité. Le but principal de cette étude ne consiste pas seulement à aider l'élève à l'épanouissement de toutes ses potentialités, mais à l'amener à se soumettre à un ordre extérieur, à se confronter à une sagesse qui vient d'ailleurs et à viser un idéal situé au-delà de la réalité. Le savoir ne doit pas être ODASEJ L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919 Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x devient un adulte qui a de meilleures chances de construire son avenir et celui de la communauté L’ODASEJ a pour mission d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou en difficulté sur le territoire national Leur avenir est entre vos Transmettez mains votre nom à un programme de solidarité… Perpétuez la mémoire de vos parents … legs ou une donation à l’ODASEJ … Faites un Que vous ayez des héritiers ou non, vous pouvez faire un legs ou une donation en faveur de l’ODASEJ en exonération des droits de succession ou de mutation Pour un rendez-vous confidentiel Appelez Tony SULTAN Tél. : 01 42 17 07 57 • Fax : 01 42 17 07 67 ODASEJ ESPACE RACHI, 39, RUE BROCA, 75005 PARIS INFORMATION JUIVE Octobre 2007 17 JUDAÏSME considéré comme un but en lui-même mais un moyen spécifique pour faire accéder l'élève à une vision générale de l'humain qui dessinerait l'horizon ultime de ses aspirations. Pourquoi la pensée et la personnalité du Maharal de Prague vous paraissent-elles si importantes quand on évoque l'humanisme ? B.G. : Le Maharal a vécu au coeur de la Re-naissance, une période qui par bien des aspects évoque la nôtre, fin d'une l'État d'Israël, l'humanité est placée devant le choix d'une voie qui mène à la destruction ou bien à un sursaut de moralité vers un nouveau mode de civilisation. Au moment des grands bouleversements, des renouvellements des cycles de civilisations, lorsque l'humanité s'interroge sur sa destinée, le peuple juif est appelé à témoigner de la continuité de l'Histoire et de sa signification. Convoqués aujourd'hui à cette tâche,nous trouvons dans les intuitions fulgurantes et les ana- Le verbe Zakhor (souviens-toi) apparaît 169 fois dans la Bible hébraïque, complété par l'adjuration de ne pas oublier ! époque et aube d'une ère nouvelle. Les explorations maritimes ouvrent les frontières sur une dimension transformée du monde,la révolution copernicienne bouleverse les conceptions astronomiques, l'invention de l'imprimerie assure la diffusion de la culture et simultanément l'utilisation de la poudre augmente considérablement les moyens de destruction. Un siècle après l'expulsion des juifs d'Espagne, le Maharal s'interroge sur le destin de l'homme et la vocation du peuple juif. Une opportunité nouvelle s'ouvre peut-être pour un dialogue entre le peuple juif et les nations. Aujourd'hui,par la découverte de l'espace le monde se donne de nouvelles frontières, l'ordinateur ouvre des possibilités insoupçonnées pour la transmission du savoir, les armes non- conventionnelles font peser sur l'humanité la menace de destructions massives. Après Auschwitz et la tentative d'extermination du peuple juif, après la résurgence de La tombe du Maharal de Prague 18 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 lyses hardies du Maharal des textes du Midrash , des lignes fécondes de réflexion pour sortir l'homme de sa finitude, lui permettre de développer son potentiel de créativité, tout en restant fidèle à l'appel de la transcendance. Expliquez-nous cette formule que vous utilisez dans ce travail : "Le juif est lié à sa mémoire proche et lointaine". B.G. : Alors que l'humanité a perdu la mémoire et tente le plus souvent de résoudre les conflits en oubliant ce qui les a provoqués, les juifs, à cause des épreuves qu'ils subissaient, se sont vus constamment interpellés par l'Histoire. Mémoire proche d'événements souvent tragiques qui ont marqué presque chaque génération et dicté son rapport à son propre passé. Mais également et peutêtre surtout, mémoire collective lointaine des origines dont tout dépend, et qui confère à la totalité de l'histoire un sens ultime. Le concept d'une histoire universelle est le fondement de la métaphysique biblique et elle a imprégné tout au long des siècles le vécu juif et la pensée de ses grands maîtres. Le verbe Zakhor (souvienstoi) apparaît 169 fois dans la Bible hébraïque, complété par l'adjuration de ne pas oublier! En arrière-plan de ce livre qui est d'une grande densité, il y a, semble-t-il, l'idée selon laquelle si le judaïsme se coupe de la transcendance, il court le risque de disparaître. C'est l'une de vos conclusions ? B.G. : Le lien avec la transcendance s'éclaire par l'approfondissement de la notion biblique d'Alliance. Elle impose un sens éthique à tout ce qui arrive au peuple juif et place toute son histoire, qu'il le veuille ou non, sous le signe du témoignage. Même si de nombreux secteurs de la société juive, en diaspora comme en Israël, semblent coupés de toute transcendance, la survie du peuple juif, dans sa dimension collective, est objectivement dans le monde moderne et post-moderne, une audacieuse et impérieuse tentative pour réaliser une synthèse entre le passé et l'avenir, la tradition et le respect de la liberté individuelle, le sacré et le profane. Vous considérez comme ambigus les rapports qui existent aujourd'hui entre l'Europe et l'Etat d'Israël. Que voulez-vous dire ? De quel type d'ambiguïté s'agit-il ? B.G. : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, prenant la mesure de l'inhumanité dans laquelle l'Europe s'était laissé entraîner, des voies s'élevèrent pour protester contre la haine des juifs et les persécutions dont ils avaient été l'objet. La naissance de l'État d'Israël était considérée comme une réparation, et les rapports avec cet Etat étaient emprunts de sympathie dans sa lutte pour son existence. Cependant le projet de l'unification de l'Europe et la nécessité de définir un authentique idéal européen de civilisation devaient faire renaître les vieux démons et projeter progressivement sur l'expérience israélienne une vision empruntée au passé raciste et colonialiste de la plupart des pays européens, désireux de se décharger sur les juifs de leur propre culpabilité. Ce glissement pervers les empêche de comprendre le véritable sens des revendications nationales juives (Retour sur la Terre des ancêtres et non colonialisme) et les amène à s'ériger en justiciers et à condamner un État et un peuple cherchant à vivre en paix et devant lutter pour résister à un ennemi qui ne cache pas son désir de l'anéantir. D'où un langage ambigu qui affirme à la fois un soutien à l'État d'Israël tout en lui refusant les justifications morales et les moyens politiques indispensables pour garantir sa souveraineté. Finalement pourquoi avoir écrit ce livre ? B.G. : L'humanité et l'homme sont aujourd'hui, malgré les déclarations formelles des "Droits de l'homme", en proie à une crise spirituelle et menacés par une barbarie qui ne cesse de s'étendre. J'ai tenté de répondre à la question comment définir et comment défendre, dans le monde post-moderne, ce qui fait l'humanité de l'homme. Mon argumentation prend appui sur certains textes de la Tradition, en vue d'établir de quelle manière le judaïsme, le peuple juif, et plus spécialement l'État d'Israël se doivent et sont en mesure de répondre à ce défi.Réponse dont dépendent l'avenir de la civilisation et sans doute notre existence ellemême. JUDAÏSME SOUCCOTH SOUS LES BRANCHAGES DE LA PAIX PAR PHILIPPE HADDAD Souccoth - fête de Cabanes- clôture le cycle des trois fêtes de pèlerinage et invite le juif à sortir de " sa demeure fixe pour vivre une semaine dans une demeure provisoire ". A travers ce rite, le citadin sédentaire retrouve, un tant soit peu, la dimension nomade de ses ancêtres hébreux. Par-delà cette spécificité cultuelle, la tradition rabbinique met en évidence la dimension universelle que recèle cette solennité " écologique ". Q uatre commencements pour une année : Le traité Rosh Hashana du Talmud présente quatre débuts d'année situés le long d'un cycle liturgique et agricole. Sans entrer dans les détails techniques, retenons l'idée que notre calendrier met l'accent sur la notion de commencement plutôt que sur celle de fin. Point de fêtes de fin d'année dans le judaïsme, mais des inaugurations de temps. Au plan de la pensée religieuse, ces renouvellements invitent la conscience du croyant à se renouveler dans le service de Dieu. Recommencer à étudier, recommencer à prier, recommencer à s'engager dans la communauté, recommencer à aimer, autant de défis permanents pour la foi. A l'analyse de ce découpage, nous distinguons deux périodes : celle qui va du 1er nissan au 1er tichri, et celle qui s'étend du 1er tichri au 1er nissan. Temps d'Israël et temps universel : La première période exprime le temps propre d'Israël, depuis la sortie d'Egypte (naissance physique du peuple) jusqu'au don de la Torah (naissance de l'entité politique). A la lumière de l'enseignement de nos sages, la seconde période a ceci de particulier : elle interpelle l'universel. Ce fait surgit de façon manifeste lors des solennités de Tichri : Rosh Hashana, anniversaire de la création d'Adam et Eve ; Kippour où le repentir d'Israël se conjugue avec celui de Ninive (Jonas), quant à Souccoth, il était au Temple ce moment de joie, où les Cohanim sacrifiaient soixante-dix taureaux “De même que la fête de Pessah proclama la liberté d'un peuple, la fête de Souccoth marquera la naissance d'une humanité libérée de sa violence.” pour les soixante-dix nations nées à Babel. Le coup de génie du calendrier juif qui dénote une authentique vision universelle, est d'alterner tous les six mois, le temps singulier d'Israël et celui des peuples de la terre. Plutôt que de remettre à zéro les compteurs de l'histoire, la naissance de " la royauté de prêtre " convoque à une plus grande vigilance éthique à l'égard de l'humain. Les pluies de bénédiction : Cette dimension universelle de la fête de Souccoth ne s'exprime pas uniquement par le sacrifice des soixante-dix taureaux, mais le huitième jour, nommé Chémini Atséreth, nous demandons la pluie pour le monde entier. Bien que nous suivions les saisons du pays d'Israël, notre prière se manifeste à l'égard de l'humanité tout entière, sans distinction de peuple. Ici encore, le particularisme juif ne peut s'entendre que dans cette vocation de porteur de bénédiction pour " les familles de la terre ".. Une solennité messianique :Le prophète Zacharie, l'un des derniers prophètes, révèle une autre dimension de Souccoth : cette fête deviendra, à la fin des temps, une solennité pour toutes les nations. Il faut relire le chapitre quatorze du prophète, dans lequel Zacharie décrit tout d'abord un terrible conflit mondial qui se déroulera à Jérusalem. Le vainqueur de ce combat sera Dieu Lui-même, reconnu " roi sur toute la terre. " Après le déluge du feu des armes, une ère de paix débutera, et Souccoth soulignera cette fraternité universelle. De même que la fête de Pessah proclama la liberté d'un peuple, la fête de Souccoth marquera la naissance d'une humanité libérée de sa violence. La colombe de la paix aura enfin un lieu où se nicher, à l'ombre d'une maison aux rameaux verdoyants, évoquant la tente d'Abraham. Notre planète ressemble, dit-on, à un village planétaire, mais pour l'heure trop de logis sont encore repliées sur leurs propres revendications. L'espérance d'Israël n'est pas de croire qu'un jour l'humanité deviendra juive, mais qu'un jour les hommes vivront l'amitié des cœurs sous les branchages de la Paix. INFORMATION JUIVE Octobre 2007 19 BONNES FEUILLES Le Portugal face à son passé juif PAR CARSTEN L. WILKE Les Editions Chandeigne publient dans leur collection Péninsules une Histoire des juifs portugais de Casten L.Wilke. Cette Histoire apparaît à l'auteur comme celle d'un entêtement puisqu'elle montre comment s'est construite et perpétuée l'identité d'une nation, en dépit des atteintes successives portées à sa religion et à ses traditions. Avec l'autorisation des éditions Chandeigne que nous remercions, nous publions ici un extrait que l'auteur consacre au Portugal confronté à son passé juif. D ans l'historiographie, les juifs portugais sont dotés d'une forte personnalité. Ces " cousins " de Spinoza, qui se distinguent par leur résistance à la persécution comme par leur esprit d'innovation, seraient les artisans d'une première modernité juive, plus respectueuse des traditions que le mouvement assimilationniste ultérieur. Par ailleurs, un courant qui remonte à l'économiste antisémite Werner Sombart (1911) a exagéré et séparé du contexte la part prise par les Judéo-Portugais dans les débuts de la domination capitaliste et coloniale, particulièrement dans l'esclavage des Noirs. Ces lieux communs ne circulèrent que tardivement au Portugal, qui porte un regard original sur l'histoire juive. L'imaginaire des Portugais s'est en effet élaboré d'après l'expérience singulière de ce pays où des dizaines de milliers de nouveaux-chrétiens se sont mêlés à la population et où le judaïsme n'appartient pas seulement à la tradition culturelle de la nation, mais à sa généalogie (…). Dans l'imaginaire du métissage, le juif est un ancêtre inquiétant. Le désir de refoulement fut symbolisé par la violence avec laquelle la police secrète de Salazar se déchaîna contre deux pages d'un ouvrage paru en 1938 qui affirmaient l'origine néochrétienne du dictateur : elle se mit en quête des exemplaires vendus jusque dans les maisons privées pour les amputer de ces pages compromettantes. Cependant, Salazar ne dédaigna pas pour autant d'inaugurer en personne le Musée luso-hébreu ouvert en 1939 à Tomar. A fortiori, le courant libéral a souligné l'apport des nouveaux- chrétiens à la nation portugaise, qui leur devrait notamment leur lucidité critique et leur faculté d'abstraction. Ce sont " des caractères vaguement typiques d'un juif portugais " que le poète Fernando Pessoa attribua, dans une lettre écrite en 1935, à Ricardo Reis, l'un de ses trois " hétéronymes ", un médecin de Porto partisan d'une esthétique néoclassique et d'une politique monarchiste. Pessoa et d'autres ont attribué des origines juives à la mélancolie, au sentiment d'exil, à l'esprit messianique et à la nostalgie du passé (saudade) qui caractériseraient le tempérament portugais. Par ailleurs, des historiens comme Luís de Bivar Guerra prétendirent que l'ascendance juive était démontrable et quantifiable grâce aux généalogies de l'Inquisition, ce qui déclencha des exercices d'auto-analyse : " Mon ami, le Dr Eugénio de Freitas [autre historien portugais] est, tout comme moi, descendant de marranes... Il est curieux que nous soyons tous deux des libéraux par la structure même de notre personnalité. Morphologiquement, j'appartiens au type sémito-séfarade de Trás-os-Montes, quoique je n'aie que 12 % de sang sémite. Selon mes anciens amis, c'est 20 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 un esprit intellectuel juif qui me caractérise en tant qu'érudit. " La population portugaise recherchait, de toute évidence, une explication rationnelle à son labyrinthe identitaire. La preuve en est le succès du livre d'António José Saraiva, Inquisition et Nouveaux-Chrétiens, dont vingt mille exemplaires furent vendus l'année même de sa parution, en 1969. Selon Saraiva, le particularisme ethnique néo-chrétien et la religion marrane sont des "mythes " inventés par la société féodale pour ostraciser la bourgeoisie chrétienne à laquelle les juifs baptisés s'étaient de bonne heure assimilés. En forçant ses prisonniers à confesser des hérésies inexistantes, le Saint-Office se chargeait à la fois de dénigrer et de spolier cet ennemi de l'ordre féodal. Saraiva accepte, lui aussi, la thèse d'un potentiel critique supérieur des intellectuels nouveaux-chrétiens, mais il l'attribue à l'esprit bourgeois et à la situation de persécution ; les mêmes motivations matérielles expliqueraient le retour au judaïsme de ceux qui durent émigrer. Cette thèse matérialiste a inspiré pendant longtemps les interprétations portugaises sur ce sujet. La pièce O judeu (Le Juif, 1966) de Ber- L'engouement des étrangers pour cette histoire et, en particulier, pour l'épopée marrane, a fini par gagner le Portugal. nardo Santareno et le roman Um bicho da terra (Un ver de terre, 1984) d'Agustina Bessa-Luís participent à cette mise en valeur de l'altérité néo-chrétienne tout en minimisant sa dimension juive. Lors d'un voyage à Jérusalem, António José Saraiva confessa qu'il avait révisé ses idées sur le judaïsme. D'autres Portugais se sont également laissé tenter par l'introspection historique au contact des populations israéliennes. En 1969, l'écrivain António Quadros révéla que le premier sentiment inspiré par une rencontre avec des contemporains israéliens fut " la honte pour ce que nous, Portugais, pour ce que nous, chrétiens, avons fait à ce peuple, auquel, enfin de compte, nous avons été tant redevables aux XVe et XVIe siècles ". L'intégration européenne a apporté un nouveau vocabulaire, qui valorise les manifestations de la différence culturelle relevant du passé. Sous l'influence de la mondialisation, le discours historique rappelle le pluralisme médiéval et colonial et évoque les défenseurs des minorités, tels le père António Vieira et le consul Sousa Mendes, dont la réhabilitation fut votée par le parlement portugais en 1988 au terme d'une controverse mémorable. Les anniversaires historiques et la restauration des monuments ont créé une tradition de la commémoration, où s'unis- BONNES FEUILLES sent rituellement les représentants des institutions héritières de l'histoire judéo-portugaise : la République, la CIL et l'État d'Israël. En 1989, lors d'un discours prononcé dans la judiaria restaurée de Castelo de Vide, le président Mário Soares demanda pardon aux juifs pour les persécutions qu'ils avaient subies au Portugal. La sérénité avec laquelle cette culpabilité est ici évoquée tient évidemment au fait qu'elle n'entache plus aucune personne ou institution dans le Portugal actuel. Cas exceptionnel, une commission d'enquête de 1999 examina (et démentit) des rumeurs selon lesquelles la Banque du Portugal aurait administré pendant la guerre des réserves d'or du régime hitlérien. Contrairement à l'Espagne, où les Estudios Judíos y Sefardíes sont suivies depuis plusieurs générations à un haut niveau, le riche patrimoine judéo-portugais n'a pas encore donné naissance à une culture de la recherche dans ce domaine. Plusieurs institutions académiques du pays comptent toutefois des chercheurs qui, en tant qu'historiens, hispanisants ou sociologues, travaillent de manière individuelle, sans prétendre à un hébraïsme scientifique. À ce jour, la seule université lusophone qui prépare à un doctorat en Études juives est celle de São Paulo, au Brésil. Cette lacune a été repérée et des initiatives privées tentent de la combler. Fondée en 1994 par l'entrepreneur Roberto Bachmann, l'Associação Portuguesa de Estudos Judaicos publie la Revista de Estudos Judaicos et organise des conférences publiques et des colloques. À la faculté des lettres de l'université de Lisbonne, la chaire Alberto Benveniste d'études séfarades, créée en 1997 grâce à une donation privée, a fondé une bibliothèque de recherche, des archives historiques et une revue, les Cadernos de Estudos Sefarditas, destinée à faire connaître au Portugal le travail des chercheurs étrangers. Ainsi, l'engouement des étrangers pour cette histoire et, en particulier, pour l'épopée marrane objet de best-sellers comme le roman policier Le dernier kabbaliste de Lisbonne de Richard Zimler, ou des nombreuses déclinaisons littéraires de l'héroïne Grácia Nasi -, a fini par gagner le Portugal. Çà et là, dans ce pays épargné par les grandes guerres et conscient de ses atouts touristiques, des monuments juifs médiévaux ont été mis en valeur. Les sites les plus visités sont la synagogue de Tomar, le cimetière de Faro et les anciens quartiers juifs de Castelo de Vide, d'Évora, de Guarda, d'Óbidos, de Porto et de Trancoso. Le lieu de mémoire du judaïsme au Portugal est par excellence la synagogue de Lisbonne, classée monument national en 1997 et visitée chaque année par cinq mille élèves d'écoles portugaises. Pour les festivités du centenaire de 2004, l'édifice a été restauré et doté d'une exposition. Au Portugal, où certaines maisons ont encore sur leurs linteaux les traces d'une mezouza médiévale, les souvenirs du passé juif appartiennent à la culture générale, et de beaux gestes symboliques évoquent la réconciliation. Récemment, un descendant new-yorkais du grand Abravanel fut invité, à Lisbonne, chez l'entrepreneur immobilier Duarte Pio, porteur actuel du titre de duc de Bragance, qui le reçut en ces termes : " Je vous attendais depuis cinq cents ans. " La conscience intense de l'enchevêtrement des histoires nationale et juive ne saurait pas dissimuler le fait que les représentations du judaïsme ont un référent distant, voire absent : à Israël, aux Amériques, au temps passé. Comme d'autres pays européens, le Portugal comptera bientôt plus de musées juifs que de communautés juives, plus de touristes juifs que de citoyens juifs. Mais le judaïsme portugais ne sombre pas sous le poids de son histoire. Parmi les pays de la diaspora, le Portugal a su démontrer de manière spectaculaire que la mémoire des générations passées est capable de se renouveler et de resurgir dans des continents lointains comme dans les ruelles de jadis. (Copyright Editions Chandeigne) La synagogue Shaaré Tikvà de Lisbonne INFORMATION JUIVE Octobre 2007 21 LA VIE DE L’ACIP Le Président de la République à la Victoire E vénement exceptionnel, le Président de la République Nicolas Sarkozy s'est rendu samedi 22 octobre, le jour de Yom Kippour, à la grande synagogue de la Victoire. Accueilli par le Président du Consistoire de Paris Joël Mergui et par le grand Rabbin de la synagogue de la Victoire Gilles Bernheim, Nicolas Sarkozy a tenu à partager, dans une synagogue comble à ce moment de la prière, quelques instants de solennité avec la communauté juive dans ce haut lieu du Consistoire de Paris. Comme l'a souligné Joël Mergui dans son allocution de bienvenue, cette venue exceptionnelle symbolisait " (…) D'une part, la reconnaissance, en cette année du bicentenaire du Consistoire, de l'attachement sans faille de la communauté juive de France à la République ; d'autre part, la présence de l'Etat et des pouvoirs publics auprès de la communauté juive pour mener ensemble des combats essentiels, et notamment celui contre l'antisémitisme ; enfin, la volonté commune de l'Etat et du Consistoire de construire ensemble les conditions d'une vie sereine et paisible des juifs de France dans leur pays (…) ". Et de conclure, " (…) Nous avons là une responsabilité partagée pour la construction d'un avenir commun basé sur la connaissance et le respect mutuel. En ce jour de Kippour qui marque le moment le plus solennel de notre calendrier, je forme les vœux, au nom de la Communauté juive, de voir cette volonté commune de construire ensemble l'avenir de nos enfants être couronnée de succès. (…) ". Il faut noter qu'il s'agissait là d'un moment unique. C'est en effet la première fois qu'un Président de la République française en exercice se rendait dans une 22 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 Le Président de la République s'est rendu à la synagogue de la Victoire pour Yom Kippour synagogue le jour de Kippour. On a également noté la venue à la synagogue de la Victoire du Garde des Sceaux Mme Rachida Dati, du Prefet de Paris M. Michel Gaudin, du Maire de Paris M. Bertrand Delanoë, du Maire du 17ème arrdt de Paris Mme Françoise De Panafieu et du Maire du 9ème arrdt. M. chement et leur proximité avec les fidèles de la communauté juive et leurs représentants. Partout, les juifs de France sont une composante majeure de la République pour ce qu'ils lui transmettent depuis des siècles et ce qu'ils lui apportent au quotidien, mais les juifs de France ont également besoin de la République pour Pour la première fois, un Président de la République se rend dans une synagogue le jour de Kippour. Jacques Bravo. Cette présence auprès de la communauté juive de personnalités de premier plan s'est accompagnée tout au long de la journée de la venue de nombreux élus dans toutes les synagogues qui ont tous souhaité marquer leur atta- s'y épanouir dans le respect de leur histoire, de leur culture, et de leurs valeurs. A l'aube de la nouvelle année, c'est ce dialogue permanent et nécessaire qui a été symbolisé avec autant de force à l'occasion de ce Yom Kippour 5768. LA VIE DE L’ACIP UN ENTRETIEN AVEC JOËL MERGUI* “Les dix jours du Consistoire” Joël Mergui, président du Consistoire de Paris Ile de France explique à Information juive la signification et les objectifs des Dix jours du Consistoire que l'institution organise du 15 au 25 octobre 2007. Il s'explique également sur les projets qu'il compte mener à bien avec l’ensemble des Administrateurs et des permanents du Consistoire, ainsi que sur sa volonté d'œuvrer pour construire une identité juive. Quelle est la signification de cette manifestation que vous organisez sous le titre " Les Dix jours du Consistoire " ? Joël Mergui : J'ai depuis longtemps pris conscience du fait que le Consistoire est insuffisamment ou mal connu. Même les gens qui ont souvent recours à ses services n'appréhendent pas en vérité l'ensemble des responsabilités que nos différents services assurent au quotidien l'impulsion de l'ensemble des administrateurs, qui chacun et chacune dans son domaine de compétence se dévoue sans compter, c'est une équipe volontaire et dynamique qui travaille au quotidien au service de la Communauté Bien des gens aiment le Consistoire. Ils ont parfaitement conscience de son caractère indispensable quand ce ne serait que parce qu'on a, à un moment ou à un autre de Ces Dix jours ont pour objectif de fournir à la communauté juive une meilleure connaissance de nos responsabilités quotidiennes pour l'ensemble de la communauté juive. Il nous a semblé important de faire un effort de communication afin que les membres de la communauté connaissent mieux les charges et les responsabilités qui sont les nôtres et réfléchissent concomitamment à l'aide qu'ils peuvent nous apporter. L'objectif de cette meilleure compréhension éspérée de notre institution réside dans l'incitation faite aux utilisateurs de nos services à adhérer au Consistoire et à l'aider concretement. Le soutien actif du plus grand nombre est en effet nécessaire pour parvenir à atteindre ensemble les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés. Nous célébrons cette année le bicentenaire de l'institution et il nous a semblé que, par delà cette référence historique, il était bon de faire le point et de dresser une sorte de bilan. Et ce d'autant que sous son existence, besoin de lui. Il nous a donc semblé judicieux de nous adresser à la communauté juive. Nous avons voulu le faire avant le mois de la Tsédaka par respect pour l’action du Fond Social. Nous avons choisi les lendemains des fêtes de Tichri parce que, au cours de ces célébrations, les uns et les autres ont vu les efforts déployés par les rabbins et les présidents de communautés afin que les besoins religieux soient satisfaits. Durant ces Dix jours, nous serons à l'écoute de nos coreligionnaires pour savoir les grandes questions qu'ils se posent, et tenter d'y répondre. Avec nos permanents et nos administrateurs, nous aurons à expliquer l'importance des services qui assurent la cachrout . Avec l'information sur le service de la Hevra Kadicha, nous voulons montrer combien nous sommes à l'écoute des familles endeuillées. Nous comptons Joël Mergui organiser, durant ces Dix jours, dans le cadre d'une synagogue, à l'intention des mariés de l'année, une cérémonie au cours de laquelle ils recevront, selon la tradition, par la bénédiction du grand rabbin de France et du grand rabbin de Paris. Ce sera pour nous l'occasion d'une réflexion sur la nécessité pour nos services d'accompagner les mariés au cours des premières années de leur union. Ainsi nous avons - ce que peu de gens savent - un service dont la vocation est de s'occuper de ce que nous appelons chlom bayit , la paix dans le ménage. De même avons-nous l'intention de mettre en exergue la solidarité qui doit exister entre les différentes communautés: nous organiserons une cérémonie à Sarcelles parce que les juifs de cette ville symbolisent, mieux que d'autres, les difficultés qui peuvent se présenter ici et là. Le Consistoire est depuis de longues années solidaire de cette communauté et lui vient en aide pour qu'elle puisse fonctionner harmonieusement. Cela également fait partie de la tradition juive. Nous mettrons en évidence au cours de ces journées destinées à rencontrer le public le rôle que le Consistoire assume dans le domaine du patrimoine. Il s'agit après tout du plus grand patrimoine juif d'Europe. Nous avons la responsabilité de cent bâtiments ( il s'agit exclusivement de synagogues ou de centres communautaires ). Ces bâtiments sont mis à la disposition de toutes les associations qui veulent y organiser des rencontres culturelles. Ces bâtiments nécessitent souvent d'être mis aux normes de sécurité. Celles-ci se sont alourdies et INFORMATION JUIVE Octobre 2007 23 LA VIE DE L’ACIP nous avons le devoir d'y faire face. Il y a par ailleurs la formation du corps rabbinique dont nous revoyons le fonctionnement. Nous voulons prodiguer à nos jeunes rabbins une formation et fonctionner harmonieusement que dans l'union et la coopération. Je veux enfin insister sur notre solidarité de tous les instants avec l'Etat d'Israël. Nous édifions ici une commu- Nous agissons avec les moyens que nous donne la communauté juive complémentaire afin de mieux les aider à faire face à leurs diverses responsabilités. Nous avons désormais un grand nombre de jeunes rabbins qui méritent d'être entendus et dont le niveau intellectuel et universitaire est à l'image de ce qu'une communauté juive comme la nôtre est en droit d'attendre. Ces Dix jours ont pour objectif de fournir aux uns et aux autres une meilleure connaissance de nos responsabilités quotidiennes. Du fait que le Consistoire représente, par tradition et par vocation, les communautés juives de la région parisienne qui seraient administrativement indépendantes, nous souhaitons que ces communautés nous rejoignent dans nos efforts. Elles peuvent nous enrichir de leurs conseils, participer aux choix stratégiques que nous aurions à faire. Ces communautés indépendantes se reconnaissent naturellement dans le Beth Din et dans le rabbinat. Face aux pouvoirs publics, il est important que nous puissions parler également en leur nom, que ce soit pour défendre leur sécurité ou bien encore leurs intérêts spécifiques. J'ajoute que nous avons un très important réseau de partenaires. La responsabilité du Beth Din de Paris nous incombe en totalité : qu'il s'agisse des rabbins chargés de la certification du cacher ou qu'il s'agisse des contrôleurs qui veillent (dans les 180 restaurants, les 50 boucheries, les 50 pâtisseries et autant de traiteurs qui dépendent de nos services) au strict respect des règles de la cachrout. Je souhaite que l'ensemble des membres de ce réseau se sentent comme nos partenaires et partagent avec nous au fond cette énorme responsabilité. Nous sommes les uns et les autres indissolublement liés : nous ne pouvons exister 24 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 nauté qui est à la fois respectueuse de ses traditions et fondamentalement proche d'Israël. J'ajoute que le soutien multiforme que nous apportons à Israël est permanent. Quelles sont les carences du Consistoire ? J.M : Ces Dix jours sont également faits pour nous permettre d'entendre de la part des membres de la communauté juive quels sont les domaines où notre action est soit insuffisante soit stérile. Qui peut prétendre que le Consistoire réussit tout ce qu'il entreprend ? Ces Dix jours nous permettront de prendre connaissance des suggestions et pourquoi pas des conseils ou des idées nouvelles de tout un chacun. Comme l'avait dit mon illustre prédécesseur Alain de Rothschild, mon sentiment est que nous agissons avec les moyens que nous donne la communauté juive. Nous avons un grand nombre de projets - pourtant indispensables de l'avis de tous pour notre avenir - mais le manque de moyens nous oblige à faire des choix et à agir selon des priorités. Avec l'aide de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, nous comptons ouvrir très vite le centre Edmond Fleg qui sera dédié à la jeunesse estu-diantine. Cela per-mettre aux jeunes de se rencontrer, d'organiser des dîners shabbatiques et également de combattre l'assimilation, un com-bat qui naturel-lement est au cœur de notre action. Selon moi, notre plus grande carence aujourd'hui c'est justement cette méconnaissance du Consistoire que manifestent ceux qui devraient pourtant se sentir proches de nos vues et de nos objectifs. Par ailleurs, nous devons sans doute améliorer la réactivité de nombre de nos services. Vous avez également l'intention d'organiser ce que vous appeler “le shabbat de la jeunesse”. De quoi s'agit-il ? J.M : Pour assurer la transmission condition essentielle de la pérennité du judaïsme - nous cherchons à impliquer au maximum les enfants et les jeunes dans la vie communautaire. Nous souhaitons que ces jeunes deviennent des acteurs de l'animation du culte dans les synagogues. Que ceux qui en ont les capacités prennent sur eux la responsabilité de lire la Torah , le jour du shabbat. Je souhaite que les rabbins les fassent participer à l'office. Je souhaite également que le 20 octobre, ce shabbat du Consistoire soit animé et dirigé éventuellement par des jeunes qui en ont la capacité. Une fois par mois, nous réunirions ces jeunes pour les inciter à poursuivre de telle sorte qu'ils puissent un jour constituer un " Consistoire de la jeunesse". Quelle signification donnez-vous à la visite, à l'occasion de Kippour, du président Sarkozy, à la Grande synagogue de La Victoire ? J.M : D'abord, j'ai été heureux que le Chef de l'Etat ait accepté notre invitation. Sauf erreur de ma part, c'est la première fois qu'un Chef de l'Etat en exercice se rend à la synagogue le jour de Kippour. J'y vois personnellement le signe de ce que le président et son gouvernement souhaitent, par delà les questions qui nous préoccupent régulièrement comme l'antisémitisme ou le négationnisme, voir s'épanouir une vie juive en France. Quel est votre credo ? Qu'est-ce qui vous anime dans votre action ? J.M : Je pense être fidèle à l'action que j'ai menée dès mon plus jeune âge. Sans doute y a-t-il l'héritage familial : j'ai toujours vu mon père qui est rabbin se consacrer à la vie de sa communauté. J'ajoute enfin que j'aime relever des défis : notre responsabilité aujourd'hui est de construire une identité juive. C'est à cette tâche qu'avec d'autres j'ai décidé de me dédier. *Président du Consistoire de Paris Ile de France. Les Dix jours du Consistoire Renseignements - Programme www.consistoire.org Tél. 01 40 82 26 42 LA VIE DE L’ACIP MUSIQUE La chorale juive de France La Chorale juive de France est formée aujourd'hui de plus de 35 choristes. Le 23 octobre 2006 a eu lieu le septième Concert International de Hazanout. Il était organisé par l'Association pour la promotion de l'art chantorial (APAC) à l'UNESCO et s'est déroulé devant près de 1500 personnes. MM. Raphaël Cohen et Daniel Sandler, respectivement président fondateur et porte-parole de cette association, ont annoncé la création de la Chorale juive de France en partenariat avec le Consistoire israélite de Paris Ile de France et son président Joël Mergui. La France était jusqu'à présent le seul pays parmi ceux qui ont une communauté juive importante à ne pas avoir une vraie chorale de haut niveau, composée exclusivement d'hommes et tous juifs, capable de se produire en concert, en France et à l'étranger, pour des cérémo- nies comme des mariages. Notre pays était ainsi le seul, notamment en Europe, à ne pas pouvoir garantir la pérennité des divers styles de la musique juive (hébraïque, yiddish, ashkénaze, sépharade,etc.) par un ensemble vocal dont la qualité artistique serait irréprochable. La défense de ce patrimoine juif exceptionnel est par ailleurs intimement liée à la mémoire et à l'Histoire des juifs. Grâce aux efforts conjugués du Consistoire Israélite de Paris fervent supporter de l'APAC et du travail qu'elle accomplit depuis près de huit ans, grâce au talent incomparable de Raphaël Cohen et à l'arrivée de M. Hector Sabo, directeur artistique, la Chorale juive de France est formée aujourd'hui de plus de 35 choristes qui répètent avec régularité et dans un esprit professionnel chaque semaine dans la magnifique synagogue de Buffault, grâcieusement mise à la disposition de l'APAC par son M.Elie Balmain ,lui aussi un vrai fidèle des concerts APAC. Moins d'un an après sa création, cette chorale se produira publiquement au Casino de Paris le lundi 15 octobre 2007,à l'occasion du 8ème Concert international de Hazanout de l'APAC. Ce concert sera celui " de la fraternité." De grands ténors, de jeunes prodiges et quelques surprises combleront comme chaque année un public aussi exigeant que fidèle et qui a fait désormais de cette soirée annuelle l'événement musical juif à ne manquer sous aucun prétexte. Comme l'an passé, l'ambassadeur d'Israël à l'UNESCO, M.David Kornbluth a accepté de parrainer ce concert. INFORMATION JUIVE Octobre 2007 25 BICENTENAIRE Le Consistoire israélite de Paris pendant le 1er Empire (1809 - 1815) PAR PHILIPPE LANDAU Dès sa création en 1809, le Consistoire israélite de Paris s'applique d'imposer les décisions doctrinales émises par le Grand Sanhédrin. Pour le grand rabbin et président Michel Seligmann, la tâche n'est pas aisée car, installé dans la capitale depuis 1796, il a noué de solides relations avec les responsables des petits oratoires et des sociétés de secours mutuel. Son prestige rabbinique est néanmoins un atout pour réaliser l'œuvre napoléonienne. N'est-il pas un ancien élève du grand rabbin David Sintzheim et un ami très proche de Baruch Cerf-Berr qui siègent au Consistoire central ? Sa méconnaissance de la langue française le dessert pour les sermons et les relations avec les autorités publiques. Selon l'avis de ses contemporains, il était "d'une entière ignorance des choses du monde et, après vingt ans d'exercice dans la capitale, ne savait pas un mot de français." Mais il est alors secondé par le grand rabbin Abraham de Cologna et certains laïques comme le porcelainier Baruch Weill. C oratoires pour n'avoir qu'un seul lieu de culte ou obtenir la per mission ministérielle pour maintenir une synagogue particulière. La synagogue Sainte-Avoie, disposant de deux cents places et d'annexes, est choisie pour devenir le lieu de culte consistorial. Aron Schmoll en est l'administrateur. L a centralisation religieuse commence et l'autoritarisme consistorial devient offensif. De l'été 1809 au printemps 1810, trois oratoires sont fer més. Il ne reste plus que ceux de la r ue de Chaume (conservée car elle réunit principalement les Israélites aisés) et de la r ue Sainte-Avoie pour les Allemands et la synagogue portugaise rue Saint André des Arts sur la rive gauche. Les administrateurs imposent la taxe au culte hébraïque à tous les fidèles masculins selon leur état de richesse. Tout récalcitrant peut être dénoncé auprès des services de la préfecture. Les sommes perçues doivent servir à l'entretien et au loyer des lieux de culte, aux divers frais de l'administration consistoriale (du salaire du grand rabbin à des aides octroyées aux nécessiteux) et à la participation du Consistoire israélite de Paris pour le Consistoire central. Désor mais, et surtout à partir de 1810, les offices se transfor ment. Outre le ser mon prononcé en français, les montées à la Torah se font avec l'appel du patronyme et non plus par le prénom ; les enchères sont supprimées ainsi que certains chants traditionnels (piyoutim) et des gardiens veillent au silence complet dans le lieu. Afin de garantir la dignité du culte divin, le personnel consistorial doit avoir une tenue appropriée. Il est précisé que le grand rabbin doit s'habiller avec " une robe longue noire avec ceinture de soie et rabat blanc, chapeau ecclésiastique" ; quant au ministreofficiant, il doit porter " un manteau de serge noir avec un rabat blanc. " Il Le recencement des métiers du Consistoire israélite de Paris, 1809 en est de même pour les membres Crédits : "ACIP - Service DSI" entraliser le judaïsme sans pour autant le réformer dans ses fondements, tel est l'objectif que se fixent le grand rabbin et les membres laïques (élus par mi les notables de la communauté) pour bâtir l'institution consistoriale. Dans le premier bureau composé en février 1809, on trouve donc Michel Seligmann, grand rabbin et pour laïques les banquiers Olr y Wor ms de Romilly et Benjamin Rodrigues, le rentier et propriétaire Isaac de Oliveiras et le négociant Aron Schmoll. Les membres resteront les mêmes au cours de l'Empire. D'abord installé dans une pièce de la synagogue Sainte-Avoie, le bureau se déplace ensuite rue Michel le Comte, toujours dans l'arrondissement où se trouve la majorité des Israélites notamment alsaciens, lorrains et rhénans. Puisque le décret du 11 décembre 1808 précise qu'il y aura une synagogue consistoriale par circonscription, le Consistoire de Paris estime qu'il faut supprimer les 26 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 BICENTENAIRE laïques qui auront un " habit français, veste, culotte, bas noirs et un petit chapeau à la française. " Il investit d'autres domaines qui concer nent davantage la vie privée des fidèles. Les mariages en plein air ou dans les appartements sont interdits et doivent être célébrés par le grand rabbin dans " les édifices destinés aux cérémonies du culte ". L'union doit d'abord avoir été confirmée par l'officier de l'état civil sinon elle est annulée. Quiconque ne respecte pas ce règlement s'est alors marié clandestinement et peut être dénoncé à la police par les administrateurs. Le divorce religieux ne peut être obtenu que si le mariage a été " déclaré dissous par les tribunaux compétents et selon les formes voulues par le Code Civil. " Comme nous le constatons, le Consistoire respecte fermement les décisions du Grand Sanhédrin. Par le décret de 1804 qui place les cimetières sous l'autorité des communes puis par l'arrêté préfectoral de juin 1809 qui concède au Consistoire une partie du cimetière du Père L achaise pour les inhumations, l'institution décide la désaffection des deux anciens cimetières israélites situés à L a Villette pour les Portugais et à Montrouge pour les Allemands et établit un service des inhumations qu'il confie par la suite à la Société d'encouragement et de secours. L a tarification varie selon la condition sociale mais il est exigé un cérémonial pour le convoi funèbre avec deux chevaux et un sobre corbillard et surtout quatre porteurs qui doivent avoir " des habits gris, des pantalons noirs, des chapeaux garnis de crêpe et des gants de castor noirs. " Toute veillée mortuaire doit être autorisée par le Consistoire qui envoie un surveillant. Mais le Consistoire israélite de Paris, comme les autres consistoires, ne se limite pas à intervenir dans le culte. Il entend bien régénérer les Israélites par les métiers utiles et contrôler le paupérisme qui touche près de 60% de la population. Aussi, s'attaque-t-il aux sociétés de secours mutuel et veut les regrouper estimant que " les confréries qui existaient ne peuvent être tolérées. Notre culte a été organisé par S.M. l'Empereur et Roi : nous avons été nommés pour en surveiller l'exercice et pour faire le bien de tout Israël." Les confréries résistent mais sont néanmoins dissoutes en novembre 1809 pour constituer la Société d'encouragement et de secours qui deviendra le Comité de bienfaisance israélite de Paris. Face au nombre croissant d'indigents qui s'installent dans la capitale Centraliser le judaïsme sans pour autant le réformer dans ses fondements, tel est l'objectif que se fixent le grand rabbin et les membres laïques (élus parmi les notables de la communauté) pour bâtir l'institution consistoriale. dans l'espoir d'y connaître un meilleur sort, le Consistoire propose alors d'interdire la mendicité et de faire expulser les plus pauvres ! En 1812, la préfecture décide l'exclusion des juifs étrangers non domiciliés dans la capitale et qui ne bénéficient pas d'un permis consistorial mais autorise la création de sociétés d'aide placées sous le contrôle de l'institution. L a population israélite d'environ 5 000 âmes est désor mais, non sans résistance, sous le contrôle consistorial qui, au nom de la régénération, modifie profondément les usages communautaires. Fort du soutien gouvernemental, le Consistoire adopte souvent des mesures répressives pour mener à bien l'œuvre émancipatrice alors que les fidèles vivent encore sur des modèles hérités de l'Ancien Régime. Sans doute est-il à l'image de l'administration impériale : autoritaire et centralisateur. Il n'empêche qu'il établit les bases mêmes du judaïsme parisien qui perdureront au cours du siècle et qui transfor meront le juif en israélite français au nom de sa devise adoptée dès 1809 " Patrie. Religion ". Le grand rabbin Michel Seligmann (1739 - 1829) N é à Phalsbourg (Moselle) vers 1739, Michel Seligmann est issu d'une famille très pieuse comme il en existait dans l'ensemble des villages lor rains. Sans doute, connaît-il le même parcours religieux que la majorité des garçons juifs : jusqu'à l'âge de six ans l'apprentissage de l'hébreu et de la Torah avec son père, puis entre six et douze ans l'entrée à l'école ou 'héder avec un maître qui lui inculque la Michna et les rudiments du Talmud, enfin une formation talmudique dans l'une des yéchivoth alsaciennes d'Ettendorff ou de Westhoffen ou bien dans le célèbre centre de Metz. En tant qu'élève vraisemblablement brillant, il a du INFORMATION JUIVE Octobre 2007 27 BICENTENAIRE poursuivre ses études en Rhénanie pour obtenir le titre de rabbin. Eut-il par la suite une charge rabbinique dans une communauté ? Ce qui est certain, c'est qu'en 1786, il est aux côtés de David Sintzheim pour enseigner le Talmud à la yéchiva de Biescheim fondée par Cerf Berr. Il n'est pas impossible qu'il ait été auparavant l'un des précepteurs des enfants de cet illustre notable alsacien. Marié au début des années 1780 avec Babeth Lazard de Mutzig, il aura quatre enfants qui, lors de la prise de nom en 1808, choisiront celui de Michel. Les troubles anti-judaïques qui se produisent en Alsace au cours des années 1794-1796, sont peut-être à l'origine de son départ vers Paris avec des membres de la famille Cerf Berr. Son savoir talmudique l'impose alors comme rabbin de la communauté allemande dans la synagogue de la r ue des Petits- Champs-SaintMartin. Il devient alors le chef spirituel des 500 Israélites de la capitale. Dès 1806, il conseille déjà les notables pour l'Assemblée et l'année suivante, il fait partie du Grand Sanhédrin. " Honnête, loyal, attaché à sa religion mais sans fanatisme " selon un rapport de la préfecture en 1808, il est désigné pour devenir le premier grand rabbin du Consistoire israélite de Paris et officie en la synagogue Sainte Avoie puis en 1822 en celle de la rue de Nazareth. Secondé dans sa tâche par les membres laïques et par son ami David Sintzheim, il fait alors appliquer les 28 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 décisions doctrinales du Grand Sanhédrin sans véritablement s'opposer à l'œuvre régénératrice. Néanmoins, il interdit la présence des femmes aux côtés des hommes lors des mariages et veille à ce que le déroulement du culte soit conforme à la tradition. Avec la disparition de David Sintzheim en 1812, il bénéficie des conseils d'Abraham de Cologna et participe au développement des écoles consistoriales “Honnête, loyal, attaché à sa religion mais sans fanatisme” à partir de 1819. Comme les grands rabbins de sa génération, il ne domine pas la langue française et continue à prononcer les sermons en judéo -alsacien. Ses allocutions sont souvent traduites par Elie Halévy, secrétaire du Consistoire et père du compositeur Fromenthal Halévy. Lorsqu'il décède en octobre 1829, les membres laïques proposent d'exposer son corps en la synagogue, ce que refuse le grand rabbin du Consistoire central Emmanuel Deutz. Il repose au cimetière du Père Lachaise. Signe des temps, il fut le dernier grand rabbin à être désigné sous le titre de "rabbi". Désor mais, son successeur Marchand Ennery sera appelé " Monsieur le Grand Rabbin.” Ph.L. DOSSIER JUIFS D’ALGÉRIE La mémoire algérienne de Simon Darmon N ous recevons un ouvrage des plus précieux qui rassemble une grande partie de notre mémoire : Contes et récits des Juifs d'Algérie (Paris 456p., 22€). L'auteur et compilateur est un Algérois de Jérusalem, Simon Darmon, dont on connaissait déjà quelques travaux notables dont Le livre de nos coutumes et La Haggada d'Alger, publiée en fac-similé à Jérusalem en 1975, d'après un exemplaire de sa propre collection. Le tome volumineux qu'il nous donne aujourd'hui est né de la volonté de Simon Darmon de rassembler les pans déchirés de notre manteau : arpenteur de mémoire, il a interrogé, consulté, lu, recueilli et voilà qu'au terme il nous fournit un livre qui dit et rappelle l'essentiel. À savoir que nous étions une communauté structurée et homogène, profondément religieuse aussi, et que, durant nos plus de vingt siècles de présence en terre (après coup appelée) algérienne, nous avions bel et bien constitué une culture, avec son langage, son rituel, ses légendes, ses grands hommes (et femmes), son histoire, ses coutumes. Le rabbin Léon Askenazi, natif d'Oran, qui a su apprécier les cultures de la diaspora en voie d'extinction, a pu écrire à ce propos : " La communauté juive algérienne s'est transplantée ailleurs et, de toute évidence, l'authenticité de sa dimension culturelle était attachée à un paysage historique et culturel qui ne se reconstituera plus. On peut le regretter, pas seulement pour la culture juive telle que je l'ai connue en Algérie, mais également pour les cultures de toutes les juiveries qui se sont constituées partout, à tra- PAR ALBERT BENSOUSSAN vers les siècles, pendant les 2 000 ans de la diaspora ". Sauf que ce paysage a persisté sous forme de géographie humaine et peut se retrouver au détour du Kikar de Netanya, dans les rues d'Ashdod, dans les immeubles de Jérusalem qui font face au désert de Judée ou la belle maison du regretté André Chouraqui en bordure de ville. Car c'est bien d'Israël que nous revient cette mémoire juive recomposée. Simon Darmon prend plaisir à parcourir, dans le souvenir, les rues de son Alger natal : ici la rue de la Lyre, haut lieu des tissus et soieries, où tous les commerçants étaient juifs, là le marché de Chartres, souk inouï où tout était achetable et vendable ; le parcours englobe, certes, les principales synagogues de la ville et leurs rabbins, et ce n'est pas pour rien que Simon Darmon fut élève cinq années durant à l'École rabbinique d'Alger - qu'il décrit, pour cela, comme pas un. Le cimetière Saint-Eugène n'est pas oublié, pas plus que l'école de l'Alliance, rue Suffren et rue Bab-el-Oued, non plus que la basse et la haute Casbah, avec la description d'une inénarrable course de carrioles - à laquelle nous avons tous participé. Mais, sortant du cadre étroit de la capitale, il nous donne une chronique de (presque) toutes les communautés juives d'Algérie, évoquant la synagogue de Bône, la tombe du rab de Tlemcen, les rues encaissées de Constantine, la splendeur rayonnante de Blida, les hautes terres de Boghari et de Médéa. Et voilà pour la géographie. Mais il y a aussi l'histoire, jamais oblitérée, qui est celle de ces rapports à la fois fraternels et conflictuels avec le monde arabo-berbère. Celle-ci apparaît le plus souvent, d'ailleurs, à travers histoires et historiettes, et le sel de ces pages tient à l'humour - qui est toujours saine distance envers le tragique ou le dramatique - avec lequel les menus faits sont rapportés. Et puis, ces figures exemplaires du judaïsme algérien, au premier rang desquels, les fameux rabbanim espagnols d'Alger, qui codifièrent dès le XV° siècle le judaïsme algérien, et dont la mémoire est prolongée dans la synagogue des rabbanim à Netanya, avec au mur du fond la photo du Grand Temple de la place Abraham-Bloch, dans la Casbah, et son saccage en 1960 ; le grand Ephraïm Elnkaoua, qui créa de toutes pièces, à la fin du XIV° siècle, le kahal de Tlemcen, et dont la tombe est l'objet de la plus grande vénération, encore aujourd'hui ; et plus près de nous, entre autres illustres figures, le grand-rabbin Rahamim Naouri, qui s'embarqua de Bône en 1962, en enveloppant autour de sa poitrine cet illustre et historique Séfer-Torah INFORMATION JUIVE Octobre 2007 29 DOSSIER dit la Ghriba, échappé à l'Inquisition espagnole, qu'on peut aujourd'hui contempler et pieusement baiser à la Yechiva de France à Jérusalem ; et tant d'autres, comme Sidi Fredj Halimi, grand-rabbin de Constantine, qui a aussi, aujourd'hui, une synagogue sur le kikar de Netanya ; et ses belles figures contemporaines que furent l'aumônier-en-chef (pendant la guerre d'Algérie) Charles Kamoun (dont le fils vit à Netanya), le regretté rabbin Cohen-Solal qui apprit l'hébreu et les prières à tous ceux de ma génération au sein de l'Alliance Israélite, et le h'akham de Bab-el-Oued, qui éblouit par sa science talmudique notre enfance, Aïzer Cherqui, et dont toute la descendance est à Jérusalem. Sans oublier notre cher Jacques Lazarus, qui marqua si fortement de son empreinte, par son combat au sein des institutions juives, l'histoire tourmentée de l'Algérie, de la Libération à l'Exode. Et puis il y a cette foule d'historiettes, souvent drôles, avec tous ces mots de pays, en judéo-arabe, qui fondent notre folklore ; tous ces rites aussi, typiquement algérois, ces superstitions -- dont l'auteur ne manque pas de souligner l'excès -- : la lame de couteau glissée sous le berceau pour couper le mauvais sort, la main de fatma contre le mauvais œil, l'eau qu'on jette sur celui qui part afin qu'il revienne, et toutes ces poudres qu'on brûlait pour chasser les mauvais esprits, ou qu'on portait sur soi pour protéger son chemin (un jour, guère lointain, j'ai retrouvé au fond d'une poche de pantalon un sachet de poudres que ma mère avait glissé pour que je sois reçu à mes examens : mais comme j'étais déjà professeur et avais fini mes études, j'ai jeté ce talisman ; hélas ! étant génétiquement superstitieux, comme on savait l'être en Algérie, chaque fois que m'arrive un pépin je me désole sur cette absence de poudres magiques). Simon Darmon rapporte aussi de savoureuses blagues de chez nous, comme de prêter à cette mama juive ce bon mot : " Mon fils, descends du soleil, tu vas attraper un coup de terrasse ! ", ou d'attribuer à un mari vieillissant cette drôlerie : " Ma femme a 60 ans, mais comme elle est sourde, elle ne les pas entendu sonner ", ou encore de rapporter cette répartie très populaire chez les Juifs d'Algérie : " La culture c'est comme la confiture : moins on en a et plus on l'étale ". Et pour prouver que la mémoire est comme la poussière, dans l'étroit carcan du sablier, qui ne cesse de s'écouler, eh bien, j'ajouterai pour finir cette anecdote, que je dédie affectueusement à Simon Darmon ; " Aux temps de l'Algérie française, dans le sillage de Vichy et des nombreuses vexations à notre encontre, nous savions lutter et résister. Dans la rue de Lyon, au quartier de Belcourt, Ange 30 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 Tibika, qui était le premier haltérophile de toute l'Algérie, bondissait et rugissait sous l'insulte : Monsieur, s'écriait-il à l'adresse l'insensé et imprudent antisémite : Tyépafou, retire, tu vois pas que c'est Tibika et qu'il va te massacrer ? " Et voilà pour notre Et puis il y a cette foule d'historiettes, souvent drôles, avec tous ces mots de pays, en judéo-arabe. de celui qui avait proféré 'sale Juif !', je vous demande à deux genoux de retirer l'insulte, je vous le demande à deux genoux, car sinon… je vais être forcé de vous tuer ! Et il s'avançait, poings en avant et roulant des épaules. Alors la foule se massait et il y avait toujours quelqu'un pour sermonner folklore. Après avoir lu, dévoré et savouré ce livre, on se console de l'avoir si vite fini en se disant que la compilation n'est jamais achevée, et que Simon Darmon, qui sait veiller au grain… et le moudre, saura bien donner une suite à cette valeureuse récupération de notre mémoire juive d'Algérie. Rimonims DOSSIER JUIFS D’ALGÉRIE Jules Roy : la saga de l'Algérie Pour le centenaire de la naissance de Jules Roy, l'autre grand écrivain d'Algérie après Albert Camus, les éditions Omnibus nous offrent la somme romanesque de " Julius ", rassemblant en un volume les six livres de cette saga qui commence par le débarquement des troupes du général de Bourmont en 1830 et s'achève sur le départ précipité et dramatique des " pieds-noirs " en 1962. Cette saga a fait l'objet d'une brillante adaptation à la télé, dont nous trouverons trois épisodes joints en cédérom. Vaste fresque brossée avec un lyrisme permanent, tant fut forte l'émotion du vieil écrivain, retiré à Vézelay, à qui l'on demandait de retracer - ce que lui seul pouvait faire ? cette saga tourmentée et tragique, romanesque à souhait, qu'il allait mettre dix ans à écrire, avant de succomber à l'aube du troisième millénaire. Nous ne reviendrons pas sur tous les épisodes de la tumultueuse histoire de l'Algérie, ni sur le jeu de massacre des képis étoilés au dernier chapitre, dans la débâcle de " l'aventure " algérienne, mais nous ne manquerons pas de nous intéresser au magnifique volume du " Maître de la Mitidja ", clouant au pilori d'une plume vengeresse cet antisémitisme algérois post-dreyfusard, dont nos anciens se souviennent encore. Jules Roy évoquera le destin tragique de ce Bacri qui a trouvé refuge chez le généreux instituteur (personnage chez qui l'auteur a mis beaucoup de son propre père), l'arrivée au port d'Alger de l'ignoble Drumont, tout auréolé de son pamphlet La France Juive et qui, pour la honte de la société blanche d'Algérie, est élu député de la capitale ; saisissant est le portrait brossé par Jules Roy de cet homme laid, ratatiné et crochu, qui embrasa tant de foules haineuses contre les Juifs ; l'auteur nous citera quelques vers particulièrement ignominieux de la " Marseillaise antijuive ", il évoquera cet apéritif de si mauvais goût qu'on appelait au début du XX° siècle à Alger ”L'Antijuif" ; il évoquera, enfin, les hordes de Max Régis, cet Italien d'Algérie, qui lèvera des ligues et des troupes pour combattre, humilier, voire assassiner de paisibles Juifs, qui étaient pourtant bien chez eux, Jules Roy comme le souligne Julius ; jusqu'à cette ultime " youpinade ", dont l'effroi conduit le Juif Bacri à se trancher les veines pour échapper à ses persécuteurs. La leçon du maître aux turbulents apôtres aussi. Quand vous allez à l'église et que vous priez, vous priez des Juifs ", et la leçon s'orientera ensuite vers la déclaration des droits de l'homme : "Libres, égaux en droits, oui, tous les hommes ! Blancs ou Noirs, Juifs ou Arabes, tous naissent et demeurent libres et égaux en droits". Pareille leçon est toujours d'actualité. Jules Roy montre, audelà de sa sympathie, qu'il connaissait bien cette communauté juive, dont il évoque, par exemple, le curieux et séculaire " Pourim " dit d'Alger, où les Juifs ? dont mon père jusqu'en 1962 ? faisaient un jour de jeûne pour commémorer l'échec de Charles-Quint devant le port d'Alger, en parfaite solidarité indigène avec la population musulmane. Ailleurs, il citera en exergue un bout de notre Haggada de Pessah. Bien sûr, cela n'occupe que quelques chapitres de ce roman au long souffle, mais c'est assez pour nous dire où allaient les choix politiques de Jules Roy, un militaire qui jugea sévèrement ses anciens camarades et leurs " bêtises " comme le souligne le colonel Griès, son porte-parole dans le roman. Portrait en pied de cet écrivain qui, fidèle aux leçons d'un Montaigne et plaçant au plus haut son idéal humaniste, ne cesse en parlant d'Algérie de parler de Quand vous allez à l'église et que vous priez, vous priez des Juifs "sauvageons" dont il doit assurer l'instruction est un des morceaux de bravoure du livre : " Le Christ était d'abord un Juif ? lance le maître à ces ahuris ?. Sa mère et son père, encore des Juifs. Les lui, de son combat et de ses amertumes. Mais aussi de l'exquise saveur des cerises d'Icherridène. A.B. Le savoir innocent PAR ANNIE AYACHE-LELIÈVRE Aujourd'hui, des voix juives nous parlent de l'Algérie. Elles ressuscitent avec émotion le pays perdu. Une rue, une maison, une lumière. L'évocation fait revivre ce que les êtres ne vivront plus. On mesure à quel point le départ fut cruel. Et irréversible. De cet exil, on ne revient pas. Reste la nostalgie… La tristesse réanime des séquences de vie et des visions anciennes. Dès lors ces exilés qui ont perdu leur terre, au moins ils peuvent s'en souvenir. Mais les autres… ceux qui sont nés " après "… ou ceux dont les parents étaient partis avant… ceux qui n'ont pas vu l'Algérie où toute leur famille a vécu, sont comme exclus de l'exil-même. Car pour eux nul repère… Nul support tangible… Littéralement coupés du sol de leurs racines, privés de tout regard sur une Algérie inconnue, ils n'ont que les paroles des parents. Le nom des rues, les habitudes… le bain maure avec les enfants… les matelas dans la cour où l'on dormait l'été tant il faisait chaud. Les descendants des juifs d'Algérie n'ont que des souvenirs de souvenirs. Ils recomposent la vie avec des petits bouts de récits familiers qui, sublimés par l'affection, s'animent et se spatialisent. A écouter ainsi ceux qu'on aime, on intègre leur histoire comme si c'était la INFORMATION JUIVE Octobre 2007 31 DOSSIER nôtre. Quelques noms prononcés : rue d'Arzew, la Place d'Armes… Et les sonorités suffisent à faire image… Miracle de la transmission. Elle franchit les générations, traverse les millénaires comme si c'était une vie. Ainsi lorsqu'un juif se rend à Jérusalem, il pleure devant le mur des Lamentations, comme celui qui revoit la maison où il est né. L'exil n'a pas découragé cette mémoire. Au contraire. Paradoxalement l'exclusion va de pair avec une appropriation totale du passé. Le départ est une tragédie qui fonde une renaissance. C'est ainsi qu'elle assure à la tradition juive une persistance inouïe. Le Dalaï-Lama s'en étonnait lui-même: "Comment faites-vous ? … Nous, en deux ou trois générations, tout se perd… ". Et en effet les peuples, en quittant leur pays, quittent leur appartenance. Pourtant la mémoire juive affirme sa constance en dépit des ruptures et de l'éloignement. Dès lors qu'est-ce qui résiste irréversiblement ? Marcel Proust écrit : " La mémoire de l'être le plus successif établit chez lui une sorte d'identité. " C'est dire que le souvenir ne transmet pas seulement des savoirs linéaires : il restitue la structure-même et constitue l'être pluriel, traversé par l'Histoire et fondé par la Loi. Pourtant le plus souvent il ne la connaît pas. De la religion, il n'a gardé que des bribes… Le respect de Kippour, les galettes de Pessah et les plats pour les fêtes… Mais faute d'avoir appris, l'ignorant peut encore, dans le plaisir du goût, ressentir son histoire… " Savoir " et " savourer " ont la même étymologie. Et cette synonymie est une chance pour la tradition : quand le " savoir " a disparu, il reste la " saveur "… Et de même qu'il existe, selon les plus fervents de l'Union libérale, la " religion du cœur " et la " religion des pratiques ", on pourrait ajouter la " religion du goût "… Dès lors la préparation des gâteaux fait office de rite sacré : " Maman, tout ce que tu connais du judaïsme, c'est les cigares au miel ! " disait un fils à sa mère juive… Et il avait raison. Mais elle aussi avait raison d'alimenter, si l'on peut dire, à travers la pulsion nourricière, la persistance du passé. Sagesse ou dérision… la spiritualité s'inscrit là où elle peut… mais l'être ne varie pas puisqu'il garde en mémoire une histoire qui lui est donnée. Il y a un parallélisme entre la succession des exils et la complexité du sujet. Comme si l'exil à répétition définissait, en lui, des traces internes, des strates, une superposition. Autant dire que tout juif hérite d'une structure qui ne le quittera pas. Même s'il ignore la Loi, il est dépositaire d'un savoir innocent. Il ne sait 32 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 pas ce qu'il sait. Il sait ce qu'il ne sait pas. Tout au long de sa vie, il décline malgré lui sa référence ancienne, au gré de l'espace et du temps. Cette continuité s'inscrit dans le langage quand d'une œuvre à une autre, les signifiants circulent. Le livre du peuple juif - le Talmud - montre l'obstination des interprétations qui s'engendrent l'une l'autre comme une suite sans fin : " le commentaire du commentaire… " C'est dire que le langage naît de luimême et ne cède pas. Quel que soit son registre, tout écrit restitue les relais linguistiques qui fondent la " passation ". Et pour prendre un exemple, il suffit d'une chanson : ainsi " Les feuilles mortes " … Une succession du texte sur trois générations… Comme dans la dédicace qu'inscrit Léo Rosten en tête de son ouvrage sur " Les joies du Yiddish " : " A mes enfants, à leurs enfants, et aux enfants des enfants de mes enfants "… Ainsi la vocation de " l'être successif " c'est la transmission-même. Il ne revendique pas l'originalité. Être " original " pour un juif, c'est être fidèle à l'origine. Dès lors qu'il soit instruit ou non de la Torah, qu'il soit religieux ou pas, son judaïsme le constitue. Une condition lourde à porter. Elle n'a pas l'arrogance d'un " Je suis " triomphant ! Car il n'y a pas le choix. Être juif c'est ne pas pouvoir ne pas être ce qu'on est. On mesure à quel point le départ fut cruel. Et irréversible. De cet exil, on ne revient pas. Reste la nostalgie… La tristesse réanime des séquences de vie et des visions anciennes. Dès lors ces exilés qui ont perdu leur terre, au moins ils peuvent s'en souvenir. Elle réfère en effet à une autre chanson qu'elle cite et qui disait : " les feuilles mortes se ramassent à la pelle "… C'est ainsi que la chanson de Prévert et Kosma va se construire elle-même autour d'une " citation "… Pour ce qui est de la mélodie, Kosma s'est inspiré, paraît-il, d'un air du folklore yiddish. On ne connaît ni la référence du texte ni celle de la musique. Mais l'une et l'autre restent vivantes à travers la nouvelle chanson. D'ailleurs la transmission ne s'arrête pas là puisque Serge Gainsbourg a repris, quant à lui, les mots de la chanson de Prévert et Kosma pour écrire le début de sa propre chanson : " Oh je voudrais tant que tu te souviennes… " Et il poursuit : " Cette chanson était la tienne "… Ainsi l'objet du souvenir porte toujours sur une chanson, car la chanson qui se souvient va devenir ellemême l'objet du souvenir pour une autre chanson… Permanence de l'amour et du langage aussi… La mélodie varie, le contexte a changé mais l'histoire est la même : c'est toujours " la chanson d'la chanson d'la chanson "… Cette double négation ne se négocie pas. Et on a beau vouloir en modifier les termes : "pouvoir " plus … " être" moins… s'adapter… faire comme si… On peut tout falsifier. Impossible d'échapper à sa définition. A. A.L. “De cet exil, on ne revient pas...” CULTURE LIVRES Sténo sauvage La vie et la mort d'Isaac Babel PAR JÉROME CHARYN Enquête approfondie après coup de foudre littéraire : Jerome Charyn entend pour la première fois prononcer le nom d'Isaac Babel lors d'un déjeuner avec son éditeur. En librairie, il découvre les recueils de nouvelles du Russe : une attirance qui ne le quittera plus. Dans l'ouvrage qu'il vient de lui consacrer, nous plongeons d'emblée dans l'univers d'un écrivain fascinant à la personnalité énigmatique et ambiguë " souffrant de mytholepsie, un besoin de se mettre constamment en avant ". Isaac Babel est né en 1894 dans le quartier juif d'Odessa. Il mourra, fusillé sur ordre de Staline en 1940. Son monde sera fait de rencontres, de rêves et de fein qui le quittera pour étudier l'art à Paris où va naître leur fille Nathalie-Makhno, les maîtresses : la blonde Tamara Kachirina puis Evgenia Gladoum/Iegov, la " seconde " épouse l'ingénieur Antonina, sans compter ces polonaises " aux bas blancs ". Parmi les rencontres, celle littéraire de Maupassant, et surtout celle de Gorki, en 1916 qui deviendra son protecteur et lui conseillera de voyager. En 1920 il s'engage pour quelques mois dans le régiment de Cosaques du Général Boudienny lors de la désastreuse campagne contre les Polonais en qualité de correspondant de guerre et se fait appeler Kiril Lioutov (en russe : " sauvage, féroce ") jouant avec aisance le rôle de " propagandiste et embelliseur ". En 1921 paraît sa nouvelle " Le Roi " ce Benya Krik (en russe : " le Hurleur ") au pantalon orange, maître incontesté du ghetto d'Odessa. Un choc, car jamais on n'avait écrit comme cela. Puis ce seront les " Contes d'Odessa " et surtout la " Cavalerie rouge ". Jerome Charyn analyse bien - tout comme pour les ouvrages suivants - le rapport entre les pulsions et les masques de Babel et ses projections et affabulations dans les écrits de ses nouvelles. Le voilà devenu un homme célèbre, il continue d'écrire, une " Autobiographiya " en 1924, des scénarios et des nouvelles, restant toujours aussi torturé et ambivalent. Mais les temps vont tourner, sous la férule stalinienne… Un livre passionné, très bien documenté. (Editions Mercure de France - 22,50e) Sténo sauvage - La vie et la mort d’Isaac Babel Le Monde à venir PAR DARA HORN Lors d'un cocktail de rencontres pour célibataires dans un musée new-yorkais, Benjamin Ziskind, la trentaine, tombe en arrêt devant un petit tableau de Chagall, une étude pour " Au-dessus de Vitebsk ". Stupeur, car cette toile ornait autrefois l'appartement de ses parents dans le New-Jersey. Profitant de l'inattention des invités rassemblés devant le buffet dînatoire, il décroche subrepticement le tableau, le glisse sous sa veste et quitte le musée en catimini. Rentré chez lui, il appelle Sara sa sœur jumelle, mariée à Leonid, son ancien " jumeau de bar-mitsva " russe. En l'attendant, Benjamin rumine sur l'échec de sa vie : ancien enfant surdoué, ancien étudiant brillant, il n'est plus aujourd'hui qu'un adulte raté affublé d'une profession ridicule, obsédé par l'image de ses parents décédés, contrairement à sa sœur, heureuse et sereine. Mais au musée, sa présence n'est pas passée tout à fait inaperçue par la jeune conservatrice, Erica Frank. Démarre alors une véritable saga à tiroirs et corridors multiples, s'emboîtant les uns dans les autres. L'enquête débute en 1920, à la colonie de Malakhova, maison recueillant les orphelins des pogroms russes où Chagall et Kaganovitch (plus connu sous le nom de plume Der Nister) enseignent peinture et littérature. Tous deux sont frappés par le réalisme des dessins du petit Boris Koulbak et invitent l'enfant dans leur atelier, un monde de couleurs où le bleu domine. Fiction et réalité vont dorénavant s'imbriquer étroitement, permettant au lecteur de naviguer avec aisance entre le passé et le présent. Il va suivre le cheminement de Chagall vers la gloire, celui plus sombre du Nister demandant à la vie son sens, et bien sûr celui de Benjamin, le héros du roman, dans sa quête obstinée de l'appartenance du tableau de Rosalie, sa mère bien-aimée. (Editions Denoël et D'ailleurs - 24e) Odette Lang Dara Horn - Le Monde à venir INFORMATION JUIVE Octobre 2007 33 CULTURE LIVRES ENTRETIEN AVEC MAUD TABACHNIK*, ÉCRIVAIN “J'aime l'idée d'un Être innommé” Qu'avez-vous voulu illustrer dans ce livre, (Tous ne sont pas des monstres, Editions Baleine La Martinière) qu'il y a des allumés, des possédés et des gens qui jouent avec la mystique aussi bien chez les juifs et chez les musulmans ? M.T. : Allumés et possédés procèdent du fanatisme. Mysticisme peut se voir comme une recherche d'une élévation spirituelle. Si les mystiques musulmans Si les gendarmes désertent c'est parce qu'ils sont confrontés à l'irrationnel. Mais n'oubliez pas les nombreuses zones de non- droit des territoires de la République. Dans votre livre les juifs sont très inquiets. Ils craignent le retour de ce que "nos parents ont connu", Là aussi il y a exagération. M.T. : Une anecdote : je suis abordée dans mon quartier par un couple de jeunes juifs prospères accompagnés de Les croyants par leur philosophie devraient échapper à la haine qui alimente le coeur des hommes. et juifs peuvent avoir des points communs, il n'en est évidemment pas de même des deux fanatismes, même si celui des juifs, pour ne pas être meurtrier, n'en est pas moins préoccupant. Le Djinn auquel a recours le mystique musulman et le Golem qu'invoque Nathan, par ailleurs professeur de khâgne, sont pour vous frères ennemis. Janus d'une même face et "diaboliques créatures nées de l'esprit et du coeur des hommes". Vous trouvez qu'il y a symétrie entre les deux sociétés, la juive et la musulmane. Elles sont travaillées par les mêmes forces ? M.T. : Avez-vous lu mon livre ? Ou quelques autres que j'ai écrits sur ce thème ? Alors je m'étonne de votre question. Car la réponse est dans ce livre et dans les autres. Vous imaginez des villes en France entre les mains des "barbus émeutiers", les faubourgs s'embraser dans cinq villes et le pays au bord de la guerre. De plus les gendarmes désertent le combat. Vous n'exagérez pas un peu ? M.T. : Ce livre n'est ni un essai ni une enquête, mais un roman, et un roman est par définition romanesque. Le talent d'un romancier qui comme moi analyse notre société, est de prévoir ou percevoir avant les autres ce qui peut se passer (cf Les cercles de l'Enfer, roman sur le terrorisme écrit avant les événements. Editions J'ai lu. Ou Douze heures pour mourir. Poche). 34 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 deux enfants qui, après m'avoir vue dans une émission littéraire de la télévision, me félicitent de ma détermination à combattre le fanatisme musulman, et me disent vouloir quitter la France. Je les en décourage vivement et leur dis que, quant à moi, je ne bougerai pas. Chacun s'arrange avec ses angoisses. Vous posez la question "Pourquoi dans la plupart de ces villes de l'Est, c'est le cimetière juif qui est célèbre. Oui, pourquoi ? M.T. : Parce que c'est dans les cimetières que résident le plus de juifs de ces pays- là, et peut-être aussi que c'est là qu'on les préfère. De plus le cimetière juif de Prague n'est pas un cimetière mais "c'est un chaos". M.T. : C'est comme ça que je l'ai ressenti. Bien loin de l'ordonnancement des cimetières occidentaux. Et bien plus émouvant. C'est bien la première fois que dans un polar je vois Dieu écrit D'. Curieux, non ? M.T. : Vous avez lu beaucoup de polars sur ce thème ? Et pour être athée je n'en suis pas moins informée. Et j'aime bien l'idée d'un être innommé. Qui sont par ailleurs ces "Révolutionnaires de Dieu" que vous évoquez ? M.T. : Pardonnez-moi, je n'ai pas retrouvé l'expression dans le livre. Mais si je suis pour la révolte, je suis de toute façon contre les révolutions. Vous trouvez vraiment que ce siècle est le plus matérialiste qui ait existé depuis le début de l'humanité ? M.T. : Pas vous ? "Le fanatisme est le poison des croyants", écrivez-vous. Mais il y a aussi des incroyants fanatiques et même criminels. M.T. : Pourquoi pensez-vous que j'évoque seulement le fanatisme religieux ? Le nazisme, le communisme et ses dérives, ont été des fanatismes qui ont autant étouffé la pensée libre et empoisonné le coeur des hommes que les fanatismes panthéistes, chrétiens, musulmans, et j'en oublie beaucoup. Ils sont comptables pour leur courte période de vie d'autant de massacres et d'horreur. Mais les croyants par leur philosophie devraient échapper à la haine qui alimente le coeur des hommes. Hélas ! *Maud Tabachnik a écrit de très nombreux livres de littérature policière. Sa dernière œuvre Tous ne sont pas des monstres ( Editions Baleine La Martinière) met en scène Nathan, un sage juif confronté à des émeutes qui éclatent en banlieue. CULTURE CINÉMA Les Méduses de Etgar Kerret et Shira Geffen Pourquoi j'aime le cinéma israélien L PAR THIERRY LE BOITÉ 'autre soir, à l'occasion de Rosh ha-Shana, je confie à quelques amis tout le bien que je pense du film d'Etgar Keret et Shira Geffen, Les Méduses, et j'explique pour quelles raisons je ne partageais pas la critique très mitigée de Jacques Mandelbaum du Monde. Pour mon malheur, des oreilles bien trop indulgentes m'entendent et me voilà embarqué dans la rédaction de cet article. Je ne suis pas un spécialiste du cinéma israélien, mais j'aime ce cinéma. dans les rues de Jérusalem et confrontent leurs relations amicales à la réalité du pays. Autre cinéaste très talentueux : Eytan Fox qui, après le très réussi Tu marcheras sur l'eau, mêlant habilement les rebondissements d'une histoire d'espionnage avec une réflexion sur la mémoire de la Shoah, confirme dans The Bubble sa maîtrise formelle et son sens de la narration, alternant le grave et le léger. Une tout autre expérience cinématographique nous est proposée dans Les Méduses qui, comme chacun sait, se laissent Quel autre cinéma, d'un petit pays, peut offrir autant de diversité, autant de nouveaux auteurs ? Je le trouve extraordinairement riche, complexe, imprévisible, inventif. Quel autre cinéma, d'un petit pays, peut offrir autant de diversité, autant de nouveaux auteurs ? Au début de l'année, le spectateur français aura pu découvrir Une jeunesse comme aucune autre, réalisé par Dalia Hager et Vidi Bilu. Une chronique hyperréaliste, sensible et pacifiste dans laquelle deux jeunes femmes patrouillent dériver au fil de l'eau, au gré des courants… De même les personnages du film. Pourtant, à la relative surprise du spectateur qui guettait, au détour d'un dialogue, la révélation de la métaphore promise dans le titre, cette rhétorique n'y sera pas explicitement développée même si la structure du film s'en fait l'écho et invite le spectateur lui-même, - telle une méduse, à se laisser entraîner par les personnages dont les destins vont se croiser au fil du récit. Ainsi, nous suivons tour à tour Batya, une jeune fille un peu perdue, au regard lunaire, qui se fait renvoyer de son travail de serveuse et dont nous suivrons l'errance tout au long du film, son improbable mère hyperactive et absente, un couple en voyage de noces bloqué dans un hôtel, dont la mariée, une jambe dans le plâtre, devient jalouse d'une belle voisine. Puis Galia, une actrice qui joue dans un Hamlet très contemporain, et aussi Joy, une employée de maison philippine, discrète allégorie d'une relation impossible entre Galia et sa mère aussi acariâtre que généreuse, Joy dont le visage illuminé soudain crève l'écran lorsqu'elle téléphone à son petit garçon resté à Manille. Le parti- pris narratif est aussi une manière de morale : en suivant successivement les destins qui parfois se croisent, le spectateur découvre que tous les personnages ont leurs raisons. Certains passent, comme Joy, du statut de second rôle à celui de figure principal. Ce changement de point de vue qui, dans la narration même, interroge les éléments de la fiction, n'est pas le moindre charme d'un film dont l'enjeu esthétique consiste justement à tenir cet équilibre délicat entre empathie et distance, entre une chronique au plus près de la sensibilité des personnages et l'effet de distanciation inévitablement provoqué par les ruptures du montage juxtaposant les histoires plurielles. Etgar Keret raconte qu'au départ, le scénario écrit par Shira Geffen, avait été proposé à plusieurs réalisateurs qui, confrontés à l'originalité du script, voulaient revoir le ton d'une histoire jugée " trop triste pour une comédie, trop réaliste pour un film surréaliste… ". Ce qui a finalement poussé Etgar Keret, réalisateur du court-métrage Skin Deep, à se lancer lui-même dans l'aventure du long-métrage. Heureuse initiative ! Car les talents conjugués du couple nous ménagent bien des surprises. Shira Geffen avoue beaucoup aimer Magritte et Pina Bausch. C'est une piste. En effet, on peut penser à l'efficacité visuelle du surréaliste belge et à l'entêtante présence des corps fantomatiques de la chorégraphe allemande dans les séquences où figurent un marchand de glaces tout à fait onirique et surtout le personnage mystérieux et mutique de la petite fille. Lorsqu'elle émerge des vagues sur une plage de Tel-Aviv, les mains tenant une bouée autour de la taille, ses grands yeux souriants sont comme une promesse. Pourtant, nous n'en saurons pas plus : elle traverse le film en gardant toujours sa bouée et son mystère et ainsi, apporte à cette chronique plutôt réaliste une dimension imaginaire, voire fantastique que chacun interprétera selon son envie. INFORMATION JUIVE Octobre 2007 35 CULTURE ENTRETIEN AVEC YOHAN PEREZ, RÉALISATEUR. Pourim 1946 : l’énigme de Nuremberg Yohan Perez, réalisateur de 36 ans, privilégie une approche sociale de l'histoire. Il s'est immergé dans la Shoah, non par réflexe identitaire mais au service de la mémoire collective. Interpellé, lors d'une conférence, sur la mise en parallèle du rouleau d'Esther et des dernières paroles d'un condamné de Nuremberg, il a décidé d'en faire un documentaire. Pourim 1946 devrait sortir en salle courant 2008. Yohan Perez avec l’affiche du film Pourim 1946 PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER VALENTIN 36 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 CULTURE INFORMATION JUIVE Octobre 2007 37 LES PETITES ANNONCES CENTRE COMMUNAUTAIRE DE PARIS - Lundi 8 Octobre 2007 Début des cours d'Hébreu moderne. - Dimanche 14 Octobre 2007 YOM CHEKOULO LIMOUD Journée d'étude JOURNEE PORTE OUVERTE DU BETH HALIMOUD 24 Cours Chrono Grande journée d'étude du Beth Halimoud, placée sous le Haut Patronage du Grand Rabbin de France, Joseph Haïm Sitruk. - Lundi 15 Octobre 2007 Début des cours du Beth Halimoud. de ses royalties au profit des fonds sociaux de la communauté. Contact : [email protected] - Samedi 17 Novembre 2007 à 21h00 Musique Klezmer Groupe Pad Brapad Moujika Renseignement : 119, rue La Fayette - 75010 Paris Tél : 01 53 20 52 52 www.centrecomparis.com [email protected] DIVERS Homme 59 ans, Paris, profession libérale, divorcé, cultivé, actif, bien physiquement, traditionnaliste, stable, non fumeur, cherche femme moins de 50 ans, équilibrée, indépendante, travailleuse, aimant culture, judaïsme, voyages. Ecrire au journal qui transmettra. RENCONTRE Homme 59 ans, d'origine africaine, cherche partenaire sérieux dans la Au Programme : communauté pour signer - 10h00 : Ouverture par le contrat de concession le Grand Rabbin de Paris, David Messas. de la licence de marque - 10h30 à 13h00 : 12 cours non-stop moyennant royalties pour - 13h00 - 14h30 : Déjeuner (sur réservation) la fabrication et la - 15h00 - 18h00 : distribution des T-Shirts 12 cours non-stop ; Sweat-Shirts ; casquet- 18h30 : Intervention du Grand Rabbin de tes ; coupe-vent ; blouFrance Joseph Haïm Sitruk sons. En reconnaissance, - 20h00 : Collation de fin d'étude il est prêt à verser 15% NOS PETITES ANNONCES Vos annonces reçues avant le 31/10/07 paraîtrons dans le numéro de Novembre 2007 6 LIGNES = 40 SIGNES (espaces compris) 1 PARUTION 45 € Rencontres 3 PARUTIONS 90 € Offres d’emplois Cours Carnet LIGNE SUPPLÉMENTAIRE 8 € Divers Annonces Communautaires FOND COULEUR - 8 € Immobiliers Vacances Règlement par chèque à : Information Juive - 17, rue Saint-Georges - 75009 Paris Tél: 01 48 74 29 87 - Fax: 01 48 74 41 97 - Mail: [email protected] NOS BONNES ADRESSES COMMERCIALES Vos annonces reçues avant le 31/10/07 paraîtrons dans le numéro de novembre 2007 LE MODULE 136 € LE DOUBLE MODULE 246 € Règlement par chèque à : Information Juive - 17, rue Saint-Georges - 75009 Paris Tél: 01 48 74 29 87 - Fax: 01 48 74 41 97 - Mail: [email protected] VERBATIM ANTOINE GALLIMARD. Editeur : " Le livre qui était au cœur de notre civilisation jusque dans les années 1970 a beaucoup perdu de son prestige. Les rois de l'époque sont à la télévision ". GARRY KASPAROV. Ancien champion du monde d'échecs : Ce n'est qu'en essayant et en échouant qu'on apprend " CHRISTIAN MILLAU. Spécialiste de cuisine : " Quand une société ne sait pas tenir sa langue, elle bascule dans la décadence " DANIEL HERRERO. Ancien joueur de rugby : " Aucune époque n'est grande si elle ne conçoit pas qu'un jour le fils peut dépasser le père " Dany Boon. Comédien : "Pour ma part, je me suis converti au judaïsme et je trouve que ma belle-famille a une façon très festive et très rassembleuse de vivre sa religion". IDIR. Chanteur algérien : " Si je dois me rendre en Israël, il faudrait que j'aie la liberté de me pencher sur le problème du peuple palestinien et d'en parler librement. Je suis un homme libre et qui assume ses choix. Quand j'avais déclaré dès le début des années 70, qu'il faut reconnaître le droit au peuple juif d'avoir un Etat, je me suis fait taper sur les doigts. Le président Bouteflika s'est entretenu pendant sept minutes avec le Premier ministre Ehoud Barak lors des obsèques du roi Hassan II, en juillet 1999, mais cela ne l'a pas empêché de fustiger une délégation de journalistes algériens qui s'était rendue en Israël quelques semaines plus tôt. Il faut en finir avec ces contradictions " (Jeune Afrique. 22. juillet 2007 ). LE CARNET Bat mitsva Ludivine Esther Perez célèbre sa batmitzva le dimanche 21 octobre 2007 à 10 heures en la synagogue Berit Chalom 18, rue St. Lazare Paris 9ème A Lorie, Harold et Roland ainsi qu'à sa grand-mère Esther Perez, nous présentons nos sincères félicitations. Mazal Tov Mariages Isalelle & David M. et Mme Isaac Perez, M. et Mme Jacques Muszkatblit sont heureux de vous faire part du mariage leurs enfants Isabelle Nina et David. La cérémonie religieuse sera célébrée le Dimanche 14 Octobre 2007 à 15h30 à la synagogue de Lille. Isabelle est la fille de notre ami Isaac Perez, Président de la synagogue Vercingétorix (14ème) Félicitations aux parents et Mazal tov aux futurs époux. Virginie & Efraïm Se diront “oui” Will say “I do” Zullen tegen elkaar zeggen “Ja” Dimanche 21 octobre 2007 à 16h30 La cérémonie religieuse sera célébrée dans les Jardins “Les Pyramides” à Port Marly Nous souhaitons à Virginie et Efraïm beaucoup de bonheur - un grand Mazal Tov Félicitations à Juliette et Jules Abib les parents de la mariée ainsi qu'à Maurits et Marjan Blog - les parents du marié. Hachem, d'avoir la joie de vous faire part de l'inauguration du Séfer Thora écrit et dédié à la mémoire de leurs chers parents Chalom et Messody Lasry “Zal” Et vous prie de les honorer de votre présence à l'écriture des dernières lettres Le Dimanche 28 octobre 2007 à partir de 15h00. A la Yéchiva Tom'hei Tmimim Loubavitch de Brunoy - 2,bis Avenue du Petit Château -91800 Brunoy Nécrologie Ses enfants, ses petits-enfants, ses arrières petits-enfants, ses amis ont la tristesse de vous faire part du décès survenu le 22 août 2007, de Mme Juliette Fredj née Elkaïm à MEDEA, le 21 avril 19202. 24, rue Jean Colly - 75013 Paris - et chez Mme Deysson , 62, rue Domremy - 75013 Paris Le mime Marceau Le mime Marceau qui vient de s'éteindre à l'âge de 84 ans était né à Strasbourg le 23 mars 1923( Lire la chronique de Guy Konopnicki). De son vrai nom Marcel Mangel, il avait changé de nom pour échapper aux rafles antisémites. Son père fut arrêté et déporté à Auschwitz. Marcel s'était engagé avec son frère Alain dans les rangs de la résistance en France et avait tenté de sauver des enfants juifs. Il avait l'habitude de dire : " Il y avait peut-être parmi les enfants assassinés lors de la Shoah un Mozart, un Einstein ou quelqu'un qui aurait réussi à vaincre le cancer". M. et Mme Bernard ANKRI Mme Josiane ANKRY Ont la joie de vous faire part du Mariage de leurs enfants Laurence et Didier La cérémonie religieuse se tiendra en la Synagogue NAZARETH, le Mercredi 31 Octobre 2007 à 13 H 30. Laurence Ankri, est collaboratrice au service “Traiteurs” du Consistoire de Paris. Nous leur souhaitons un grand Mazal tov, ainsi que toutes nos félicitations aux heureux parents. Noces d'or Nos excellents amis Esther et René Amsellem ont célébré, le 30 septembre, leurs noces d'or. Ils étaient entourés de tous leurs amis. Nous présentons à Esther et à René nos félicitations et nos meilleurs vœux d'une longue vie. Mazal tov. Inauguration Sefer Torah La famille Lasry remercie INFORMATION JUIVE Octobre 2007 39 POST-SCRIPTUM INTERROGATIONS Elisha ben Avouya D es dizaines de légendes ont, jadis, couru sur son compte pour tenter d'expliquer l'énigme que fut ce maître de la Mishna, contemporain de rabbi Akiva. Des centaines d'exégètes et d'interprètes de la littérature talmudique ont tenté de comprendre l'itinéraire de cet homme d'exception que les sages du Talmud appelèrent Aher ( Autre). Que s'est-il passé pour que ce maître parmi les maîtres devienne un jour un paria et un pestiféré pour ses collègues ? Et pourquoi a-t-on alors minutieusement conservé ses dires dans le populaire Traité des Pères (Pirké Avot)? On connaît la thèse de Yehouda Libess : pour cet éminent penseur juif, ancien professeur à l'Université hébraïque, Ben Avouya n'a jamais commis les différents " crimes " que telle légende lui L'Istiqlal pour mémoire L es dernières élections au Maroc ont donc donné une relative victoire au parti politique le plus ancien du pays : l'Istiqlal. Cette formation a, dès les origines, compté dans ses rangs de grands leaders et des intellectuels de qualité. Il en est un cependant dont les juifs qui ont habité ce pays, dans les années 1960 , ont des raisons de se souvenir: Allal el Fassi. C'était une époque où la florissante communauté qui vivait là était placée devant des choix difficiles. D'un côté, il y avait peu de juifs qui avaient pris part, d'une manière ou d'une autre, au combat des Marocains pour leur indépendance et de l'autre, ils se sentaient sincèrement attachés à ce pays. Or, les forces nationalistes et à leur tête l'Istiqlal n'ont eu de cesse de s'en prendre aux juifs en parlant d'eux, un jour, comme de simples dhimmis ( protégés) et non comme de citoyens à part entière . Leur liberté de circuler était pratiquement réduite à néant : les passeports ne leur étaient délivrés qu'au compte gouttes. Si bien que le 10 40 INFORMATION JUIVE Octobre 2007 impute. Il a toujours gardé pour lui ses doutes métaphysiques et n'a jamais versé, contrairement à ce qu'on a prétendu, dans le gnosticisme ou dans la philosophie dualiste. Libess considère que la seule faute de Ben Avouya fut l'orgueil qu'il manifesta même à l'égard des anges. Son erreur a été, signe de l'admiration sans bornes qu'il et à la culture occidentale. Une sorte de symbole d'intellectuels flottant dans un no man's land entre ces deux mondes. Nourit Bari étudie en particulier les différences, nombreuses, dans les récits des légendes qui existent entre le Talmud de Jérusalem et celui de Babylone. Que s'est-il passé pour que ce maître parmi les maîtres devienne un jour un paria et un pestiféré pour ses collègues ? se portait, d'accorder foi à la voix selon laquelle " la repentance est possible pour tous sauf pour Aher " . Pourquoi parler de Ben Avouya ? Parce qu'un nouveau livre vient d'être consacré en Israël à ce personnage hors du commun et qu'il paraît dans la désormais célèbre collection " Le judaïsme, ici et maintenant" (Yahdout , kane véakhchav ). Cette nouvelle enquête est signée d'une universitaire Nourit Bari qui considère Ben Avouya comme le représentant des penseurs juifs fidèles à la fois à la tradition de leurs pères Ben Avouya a-t-il été puni parce que les anges étaient assis alors que, selon lui, ils ne doivent jamais s'asseoir ou bien estce parce qu'il est monté à cheval un jour de shabbat ? Nourit Bari est d'avis que la punition de Ben Avouya a pour origine le conflit qu'il eut avec rabbi Akiva au sujet de la permission donnée à tout homme de choisir le bien ou le mal. A en croire notre auteur, Ben Avouya professait, au contraire, que c'est Dieu et non l'homme qui accorde les permissions. Aussi bien aux anges qu'aux hommes. janvier 1961, un rafiot à bord duquel avaient pris place 44 juifs marocains dont 24 enfants et qui avait quitté clandestinement les côtes au large de Tanger fit naufrage. Il n'y eut pas un seul survivant. Cet événement déclencha, dans les quartiers juifs de tout le pays, une vague de peur et d'inquiétude. Chaque père de famille ne pensait qu'à la manière de quitter au plus vite cette terre devenue inhos- pitalière. Et voilà que le chef de l'Istiqlal, devenu ministre des Affaires islamiques, autorise la conversion à l'islam de petites juives mineures. Et chaque jour, le journal Al Alam, organe de cette formation politique, publie des photographies de ces adolescentes (12-13 ans ) sous le titre " Elles ont embrassé volontairement l'islam ". Ce fut le début de la fin de cette communauté. Ce fut aussi une catastrophe historique : le Maroc aura pourtant été - si l'on excepte cette période au cours de laquelle l'Istiqlal aura joué avec le feu - un des rares pays arabes et musulmans qui aura manifesté sa volonté de sauvegarder des relations d'amitié et d'estime avec sa population juive. C'est là qu'aurait pu se mettre en place une philosophie politique de la coexistence judéo- arabe. Aujourd'hui, le Maroc donne chaque jour les signes de modernisation et de démocratisation. Il montre également qu'il est sensible à l'affection que lui portent, où qu'ils se trouvent - en Israël, au Québec ou en France - les juifs nés dans ce pays. La preuve en est - s'il en fallait une - l'attention et l'intérêt que le Festival des musiques sacrées de Fès porte régulièrement aux artistes et aux intellectuels juifs d'origine marocaine. V.M Alla el Fassi