Information Juive

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La mémoire d’une
grande dame
du judaïsme
par Pierre Assouline
Benjamin Gross :
Un monde inachevé
Les Dix jours
du Consistoire
Histoire : Le Portugal
face à son passé juif
Mémoire :
Quand le peuple juif
de Pologne
vivait encore
Jacques Attali
“POUR UNE ALLIANCE
DES DÉMOCRATIES”
N°272 - OCTOBRE 2007 - 3€
M 01907 - 272 - F: 3,00 E
Dossier : les juifs d'Algérie
3:HIKLTA=\UXUUU:?a@m@h@m@a;
SOMMAIRE
A LA UNE
4 Pour une alliance des démocraties par Jacques Attali
HISTOIRE
8 La mémoire d'une grande dame du judaïsme par Pierre Assouline
SOCIÉTÉ
12 Retour sur une confusion par Josy Eisenberg
MÉMOIRE
13 Quand le peuple juif de Pologne vivait encore par Benoît Rayski
LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI
14 Le stade de la guerre la chronique de Guy Konopnicki
ACTUALITÉ
16 Les prophètes ne disent pas l'avenir par Paul Giniewski
JUDAÏSME
17 Un monde inachevé par Benjamin Gross
19 Sous les branchages de la paix par Philippe Haddad
Le Président de la République à la Victoire - page 22
BONNES FEUILLES
20 Le Portugal face à son passé juif par Carsten L.Wilke
LA VIE DE L’ACIP
22 La visite du Président de la République à la Synagogue de La Victoire
23 Les dix jours du Consistoire par Joël Mergui
25 La chorale juive de France
BICENTENAIRE
26 Le Consistoire israélite de Paris pendant le 1er Empire
par Philippe Landau
DOSSIER
29 Les juifs d'Algérie
par Albert Bensoussan et Annie Ayache Lelièvre
CULTURE
35 Pourquoi j'aime le cinéma israélien par Thierry Le Boité
38 Pourim 1946 : L'énigme de Nuremberg par Yohan Perez
POST-SCRIPTUM
40 Interrogations
Sous les branchages de la paix - page 19
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ne sont pas renvoyés.
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 3
A LA UNE
UN ENTRETIEN AVEC JACQUES ATTALI
“Pour une alliance
des démocraties”
Ancien conseiller spécial du président François Mitterrand, ancien
président de la Berd , essayiste et écrivain, Jacques Attali est
aujourd'hui président de la Commission pour la libération de la
croissance française. Il a bien voulu recevoir Information juive.
Information juive : Comment analysezvous la question de la " bombe "iranienne ?
Jacques Attali : Pour moi, la situation
ressemble assez fortement à ce qu'elle fut
dans l'Europe d'avant Munich. Il arrive
un moment où il devient très important
de mettre en garde et de prendre les
mesures nécessaires pour que la
prolifération de l'arme atomique soit
impossible.
Pour l'instant, il nous faut simplement
réaffirmer de façon extrêmement formelle
que l'on ne peut pas admettre la violation
du traité de non-prolifération, qu'on doit
mettre en place toutes les conditions de
sanctions nécessaires. Celles-ci ont
fonctionné avec l'Afrique du sud , avec le
Brésil qui étaient à l'époque, je le rappelle,
des dictatures. J'ajoute qu'elles semblent
pouvoir fonctionner (même si ce n'est pas
certain) avec la Corée du Nord. Cela
rester la règle de droit.
Parler de " guerre " me paraît excessif.
Quand personnellement j'évoque
Munich, cela dit bien ce que je veux dire.
L'erreur de Munich a été en fait l'erreur
de 36 puisque c'est alors qu'a commencé
la lâcheté européenne.
I.J : La position de la France, dans ce
dossier, telle qu'elle a été exprimée il y a
quelques jours par le président Sarkozy, vous
paraît-elle judicieuse ?
J.A : C'est, en effet, une position qui me
paraît tout à fait raisonnable, si on
n'emploie pas le mot " guerre ".
I.J : Quelle doit être, selon vous, la réaction
d'Israël dans les circonstances actuelles ?
4 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
J.A : Israël est à l'évidence en première
ligne. Je n'aimerais pas que l'occident
considère l'Etat d'Israël, peuple veilleur
par son histoire, non pas aux avant-postes
mais comme l'avant-garde dans la
bataille. Faire d'Israël l'armée de l'occident
par procuration ou bien encore on ne sait
quel mercenaire de la démocratie
constituerait à mes yeux une faute
gravissime.
Il convient d'éviter, à la fois du point de
vue israélien et du point de vue
occidental, de considérer l'Etat d'Israël
comme une force supplétive. S'il y a une
réponse collective à faire, elle doit être
administrée par l'occident ou plus
exactement par les démocraties.
Le moment est venu, à l'occasion de
cette crise, de repenser l'ordre
international et de dire, par exemple, que
l'Otan n'a plus de raison d'être. On n'a
plus besoin de cette organisation puisque
nous n'avons plus d'Union Soviétique en
face de nous. En revanche, nous avons
Jacques Attali
démocraties des pays du sud - le Brésil,
l'Argentine, l'Afrique du Sud - mais
également certains pays africains et le
Japon, l'Indonésie sans oublier l'Inde
évidemment. Ces démocraties auraient
vocation à se battre contre l'ennemi mortel
de tous c'est-à-dire la dictature. Dans cette
alliance, Israël a le plus naturellement du
monde sa place.
L'armée intégrée de ces démocraties (
c'est la proposition que j'ai faite dans mon
dernier livre ) devrait constituer l'arme
de combat militaire ultime , une arme de
dissuasion, face à tous ceux qui
voudraient mettre en cause la démocratie.
I.J : Certains prétendent que le président
Bush est en train de préparer les esprits à une
guerre contre l'Iran. Qu'en pensez-vous ?
J.A : Il me semble qu'il est très difficile
pour un président américain de laisser
un bourbier pareil à son successeur. Je
suis tout de même frappé de ce que
l'erreur qu'a été l'entrée des Américains
Faire d'Israël l'armée de l'occident par procuration
ou bien encore on ne sait quel mercenaire
de la démocratie constituerait à mes yeux
une faute gravissime.
besoin d'une alliance planétaire des
démocraties au sein de laquelle nous
aurions les pays membres de l'Otan ( ce
qui justifierait du même coup le retour de
la France à une force intégrée ). Ce serait
alors une force intégrée des démocraties.
On y trouverait à la fois les grandes
en Irak a créé les conditions d'un désordre
général dans la région. D'une certaine
façon l'Iran est aujourd'hui l'allié des
Etats-Unis contre la désagrégation de
l'Irak. Il faut sans doute se préparer à un
important changement dans la région qui
est semblable à celui qu'on a vécu en
A LA UNE
Inde. Je suis frappé par le parallélisme
qu'il y a entre le discours de Bush et celui
de l'amiral britannique Lord Mountbatten,
au moment de l'indépendance indienne.
La question qui se posait alors aux
Anglais était la suivante : si on reste, on
s'enfonce dans le bourbier, si on part c'est
la cassure du pays. Ils ont finalement,
comme on sait, choisi de partir et cela a
été suivi par la rupture du pays. Mais il
y avait en Inde des hommes de grand
talent pour gérer la crise. Aujourd'hui il
n'y a évidemment rien de tel en Irak.
Cela signifie que lorsque les Américains partiront - car ils partiront - il y aura
plusieurs Irak. Une partie du pays rejoindra le millénaire royaume perse. On n'a
pas intérêt à faire durer cette évolution :
il faut créer les conditions pour que la
bourgeoisie et la classe moyenne perses
prennent le pouvoir à Téhéran.
I.J : Bernard Kouchner, le ministre des
Affaires étrangères, a dit qu'il y a en France
un antiaméricanisme qui serait “seul
déterminant de la politique étrangère
française”. Partagez-vous ce point de vue ?
J.A : La vérité c'est que la France - quel
qu'ait été le président de la République -
La grande préoccupation qui est
la mienne aujourd'hui concerne la stabilisation
des voisins d'Israël.
n'a jamais accepté d'être un pays vassal
des Etats-Unis et d'avoir à obéir à des
ordres venus d'ailleurs Nous avons une
position géo- stratégique et une arme
nucléaire indépendante.
Il n'y a pas d'anti-américanisme mais
seulement la volonté d'être indépendant.
Vous conviendrez qu'on peut être ami de
quelqu'un sans pour autant accepter qu'il
vous dicte des ordres.
Ehoud Olmert
“Il faut aujourd'hui faire avec les
hommes qui sont en place”.
6 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
I.J : Cette conférence, vous y croyez ?
J.A : Je pense qu'elle ne constituera
une étape positive sur la route de la paix
que si elle se traduit par la mise en place
urgente de moyens financiers nouveaux
en faveur des Palestiniens. Le succès de
I.J : Sur quoi peut,
selon vous, déboucher
la conférence de
Novembre consacrée
à la paix au Proche
Orient ?
J.A : Tout le
monde sait qu'il
faudra aboutir à la
création d'un Etat
palestinien mais
aussi - ainsi que le
souhaitait Shimon
Pérès - à celle d'un
marché commun
de
la
région.
Personne ne sait
comment arriver à
ces résultats mais
toute conférence
qui permettra de
réaffirmer ces principes essentiels et
d'apporter davantage de ressources
aux Palestiniens est
la bienvenue. Je
dois dire que la
situation
des
Palestiniens devient
plus que difficile.
cette conférence dépend, selon moi, de
l'assistance technique qu'il faut mettre en
place et des instruments financiers qui
font aujourd'hui cruellement défaut.
I.J : Ehoud Olmert est-il l'homme de la situation ?
J.A : Il faut aujourd'hui faire avec les
hommes qui sont en place.
I.J : Quelles réflexions vous inspire la comparaison des politiques menées à l'égard d'Israël par M. Chirac d'une part et par M.Sarkozy
d'autre part ?
J.A : Disons que l'actuel président de
la République a une position légèrement
plus équilibrée et plus positive. Cela étant
dit, la France a des intérêts à défendre et
j'ajoute que l'intérêt de l'Etat d'Israël est
que la France ait de bonnes relations avec
l'ensemble des voisins arabes.
La grande préoccupation qui est la
mienne aujourd'hui concerne la
stabilisation des voisins d'Israël. Il faut
que l'on sache que personne n'a intérêt à
ce que s'aggrave la déstabilisation
libanaise ou celle de la Jordanie. Plus
encore, le souci concerne l'Egypte. C'est
un pays-clé que personne ne regarde plus
parce qu'on pense qu'il est définitivement
rangé du côté de la démocratie et de la
stabilité. Or il s'agit d'un pays très peuplé,
avec une croissance démographique
difficile à contrôler, des mouvements de
toutes natures et un système politique qui
devra bientôt gérer une transition. Il me
semble que la France - mais aussi les
Etats-Unis- devront désormais s'intéresser
davantage à la situation en Egypte.
Propos recueillis
par V.M
HISTOIRE
UN ENTRETIEN AVEC PIERRE ASSOULINE
La mémoire d’une grande
dame du judaïsme
Ecrivain réputé ( son dernier livre consacré au Lutétia a été traduit en
hébreu ), notre ami Pierre Assouline vient de publier " Le portrait ", un livre
où il fait parler la baronne Betty de Rothschild et raconte notamment quelles
ont été les relations qu'elle a entretenues avec la tradition juive. Entretien.
Pierre Assouline
Dans votre nouveau livre " Le portrait "
( Editions Gallimard), vous faites raconter l'histoire d'une dynastie française - les Rothschild
- par un tableau, celui de la baronne Betty.
Vous faites parler ce tableau qui relate des
pages de l'histoire de France mais aussi le
destin d'une grande famille juive.
La baronne Betty a été une grande philanthrope. Le grand rabbin Zadog Kahn qui lui rendait visite disait d'elle qu'elle a " rempli le rôle
de la femme juive dans l'Histoire ". Pourquoi
l'a-t-on présentée comme " la plus grande
Juive des temps modernes " ?
Pierre Assouline :Parce qu'elle a
occupé une place prépondérante dans
une famille qui, elle-même, occupait une
place importante dans la communauté
juive. C'est Betty de Rothschild, l'épouse
du baron James, le fondateur de la
branche française de la famille , qui a
permis à son mari d'asseoir sa notoriété .
James avait réussi dans la banque - il était
l'homme le plus riche de France - mais
c'est elle qui a tenu la maison de la famille
en quelque sorte.
Il est arrivé qu'on la compare à la reine
Esther…
P.A : On l'a comparée à beaucoup de
juives célèbres mais elle n'aimait pas cela.
Elle était très marquée par la tradition juive.
Elle a d'ailleurs une formule tirée de cette
tradition : si on vous voit donner, vous perdez
tout le bénéfice moral de votre action.
P.A : C'est une manière de donner de
plus en plus rare de nos
jours. La baronne Betty
avait un homme d'affaires
à la Banque, rue Laffitte,
qui
s'occupait
exclusivement
des
questions
philanthropiques. Elle donnait
à tout le monde. Mais j'ai
vu dans son testament
qu'elle donnait beaucoup
plus au grand rabbin
qu'au curé.
La baronne Betty de Rothschild : le portrait
8 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
Elle considère qu'on a
toujours eu tort d'associer
les Rothschild à l'argent. Elle
dit que la principale richesse
n'est pas un domaine aux
terres innombrables mais un
principe venu du fond des
âges. Quel est ce principe ?
P.A : S'il y a bien une
famille qui a des principes et des valeurs qui se
transmettent de généra-
tion en génération c'est bien celle-là. Il y
a une idée que j'ai tenu à mettre en évidence dès les premières pages de ce livre
: les deux testaments, celui de James et
celui de son épouse Betty. Ils disent en
léguant leur immense fortune à leurs héritiers : si l'un de vos enfants venait à se
marier en dehors de la foi de nos ancêtres, il serait automatiquement déshérité.
C'est ce qui au demeurant est arrivé aux
enfants de Betty qui se sont tous mariés
non seulement entre juifs mais entre cousins. Mais l'une de ses nièces qui a fait
un mariage mixte a été déshéritée.
Betty n'était pas une juive orthodoxe mais
elle respectait les traditions et elle supplie
ses enfants de rester fidèles à la religion
de ses pères et elle demande qu'aucun
" d'entre eux ne jette sur notre nom l'opprobre
d'une désertion "
P.A : J'ai appris à connaître cette femme
à travers sa correspondance et ses archives. James était un juif distrait. Il disait
souvent : " Pour le judaïsme, voyez ma
femme ".Mais elle , elle respectait le shabbat. Elle avait fait de sorte qu'à l'entrée
du château de Ferrière il y ait une
mezouza. Et la pièce la plus intime de ce
château était devenue une synagogue où
a été célébrée la bar-mitsva des enfants.
C'était là une cérémonie à laquelle n'assistait que la famille. La mondanité désertait d'un coup l'hôtel de la rue Laffitte.
Ses enfants étaient éduqués dans le
judaïsme par des professeurs d'hébreu.
On y voit passer l'ombre de Salomon
Minc entre autres.
A ses réceptions, les plus belles de Paris,
se pressaient la noblesse et les grands
artistes mais " pour moi, disait-elle, les plus
belles fêtes ce sont le vendredi soir à la
maison, le Séder de Pessah et Rosh Hashana ". Elle considère que ce sont ces fêtes
HISTOIRE
qui resteront dans sa mémoire. Et elle ne
dit pas cela pour la galerie mais elle l'écrit
dans des lettres privées.
Est-il vrai, comme vous l'écrivez, que c'est
par les femmes et par le rôle qu'elles ont joué
que la finance israélite s'est modifiée et
modernisée ?
P.A : Ce qui est sûr c'est que, chez les
Rothschild, les femmes jouent un rôle pré-
finalement l'histoire des Rothschild ?
P.A : C'est elle qui a créé l'esprit de la
branche française. Cette branche est, on
peut le dire aujourd'hui, la plus importante et la plus illustre et celle qui a brillé
le plus. Il y a encore la branche anglaise.
La branche allemande s'est éteinte très
vite ; la branche italienne n'a guère eu
une longue vie ; l'Autriche, quant à elle,
“Tout était baigné de la lumière
des ancêtres et cela n'a pas de prix, sauf à être
sans mémoire, ce qui est plus misérable
encore que d'être sans Dieu”.
pondérant. Sur le plan bancaire et financier, ce sont évidemment les hommes qui
décident. D'ailleurs, le fondateur de la
famille, avait par testament ordonné à ses
fils de ne jamais permettre à leurs sœurs,
à leurs femmes ou à leurs filles d'entrer
dans la gestion et dans le capital des affaires. Parce qu'un jour ou l'autre la solidarité entre frères pourrait alors disparaître.
a cessé d'exister pour des raisons historiques…La famille française est, depuis une
vingtaine d'années, dirigée par un esprit
brillantissime : David qui est l'aîné des
Rothschild. On vient d'ailleurs d'assister
à un passage de générations puisque successivement Guy et Elie de Rothschild
ont disparu au cours de l'été, à un mois
d'intervalle.
Par quoi la baronne Betty a-t-elle marqué
Vous écrivez que parmi les objets précieux
de la baronne Betty, il y
avait une mezouza et un
chandelier à 7 branches
qui trônait sur la table
familiale.
P.A : Cette femme
qui était avec son
mari à la tête d'une
collection d'art fabuleuse disait : le premier objet que j'ai
ramené de Francfort
quand je me suis installé à Paris à l'hôtel
de la rue Laffitte c'est
le chandelier à 7
branches et cet objet
était pour elle le plus
important.
Vous lui faites dire à
propos du repos et des
prières du shabbat cette
phrase : " Tout était baigné de la lumière des
ancêtres et cela n'a pas
de prix, sauf à être sans
mémoire, ce qui est
plus misérable encore
que d'être sans Dieu".
P.A : Jean d'Ormesson m'a fait com-
10 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
prendre un jour qu'il y avait entre les aristocrates français et les Israélites (comme
on disait à l'époque) des parentés et des
affinités . Les uns et les autres ont - ajoutait-il - le sens de la transmission, le culte
de la mémoire et celui du passé.
On apprend en vous lisant que Chopin, Heine
et Rossini étaient des familiers du couple. On
comprend moins qu'ils reçoivent Balzac : il
leur empruntait de l'argent qu'il ne rendait
jamais et disait pis que pendre des juifs.
P.A : James et Betty voyaient en Balzac
un écrivain important et un esprit parvenu au sommet de son art. Quand on
entre dans la mondanité, on se rend
compte que les gens s'obligent à frayer
avec des personnages qui ne leur plaisent pas toujours. On ferme souvent les
yeux. Avec Heine, il y avait une réelle
amitié et de l'affection.
Le couple recevait également les
frères Goncourt qui étaient des hommes fielleux.
P.A : Des antisémites sordides. Betty
n'est pas dupe. Elle connaît le caractère
des Goncourt. Les Rothschild recevaient
quatre fois par semaine , un minimum de
60 couverts. Ils organisaient un bal tous
les mois, c'est-à-dire entre 1.OOO et 1.200
personnes. Il y avait parmi ces gens beaucoup d'antisémites mais cela faisait partie de la mondanité.
Lors de l'Occupation, les Allemands vont
voler tous les tableaux des Rothschild.
P.A : Quand Goering et ses collaborateurs vont spolier la plupart des grandes
collections françaises (90 % de ces collections sont juives à l'époque), ils s'approprieront le maximum chez les Rothschild.
Ils volent donc le tableau de Ingres (celui
de Betty ). Au fond, je dirai que ce tableau
va connaître le destin des juifs : en 1940,
il se retrouve au musée du jeu de Paume
qui est un peu comme Drancy. Une gare
de triage avant d'être déporté. Le tableau
est poinçonné comme à d'autres on imposait un tatouage.
Qu'avez-vous appris dans ce voyage en
compagnie d'une grande dame qui appartient
à la noblesse du cœur ?
P.A : J'ai appris que la vraie noblesse
n'est pas celle du titre. C'est celle de
l'âme. J'ai appris qu'il faut avoir des
principes, des valeurs et s'y tenir. Et enfin
d'avoir le sens de ce que peut être une
famille.
SOCIÉTÉ
Après la mort du cardinal Lustiger :
Retour sur une confusion
PAR JOSY EISENBERG
C
'A l'intention des lecteurs d'Information
Juive qui n'auraient
pas lu les divers articles que j'ai consacrés
à Jean-Marie Lustiger
(Actualité Juive du 6 septembre, Le
Figaro du 8 septembre 2007) je rappelle
brièvement que j'y ai démontré :
1) que le cardinal ne pouvait d'aucune
manière être considéré comme juif,
2) qu'il a certes rendu de grands services à l'Eglise, mais qu'il incarnait cependant la doctrine de la substitution selon
laquelle le christianisme est la forme la
plus accomplie du judaïsme, thèse aussi
nocive qu'inadmissible pour la conscience
juive,
3) que, dans cette démarche, il allait à
contre-courant d'un désir de plus en plus
affirmé dans le monde chrétien - sauf au
Vatican - d'abolir ce phantasme qui a
empoisonné les relations judéo-chrétien-
Le cardinal Jean-Marie Lustiger
12 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
nes pendant deux millénaires.
J'ajoute que le cardinal avait osé utiliser les morts d'Auschwitz pour prouver la
véracité de la mort du Christ, thèse scandaleuse que j'avais jadis ouvertement stigmatisée dans " Le Nouvel Observateur ".
A la suite de ces articles, j'ai eu l'immense satisfaction de recevoir une lettre
d'approbation d'un des plus éminents spécialistes du christianisme, Jacques
Duquesne, ancien directeur du " Point "
et auteur de nombreux livres. Il m'a aimablement autorisé à rendre public son
témoignage et je l'en remercie :
Cher Monsieur,
Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Mais je vous vois - sauf rares exceptions - tous les dimanches ; mon épouse
et moi apprécions votre émission, la plus
riche, à mes yeux, de cette matinée-là. Je
vous ai aussi beaucoup lu, et il m'est
arrivé de vous citer.
Je voudrais seulement, aujourd'hui,
vous dire mon accord avec ce que vous
avez écrit dans " Le Figaro " samedi dernier. Non pour la première raison qui ne
me concerne pas directement et sur
laquelle il est possible de s'interroger (je
pense à l'arrêté de la Cour Suprême d'Israël). Mais pour la raison théologique.
Vous êtes, me semble-t-il, tout à fait dans
le vrai. Le christianisme n'accomplit pas
le judaïsme. Il est une révolution. Et si
l'on compare avec ce qui se produit en
d'autres domaines, une révolution peut
garder certains traits du régime précédent, une partie de ses rites et de ses formes, de ses lois et de ses normes, mais
fondamentalement, elle s'en distingue.
Théologiquement - revenons-y - le point
fondamental me paraît être l'incarnation.
Le Dieu de Jésus n'est pas celui de Moïse.
Que l'on respecte enfin, que l'on prie en
Jacques Duquesne
même temps et côte à côte, très bien.
Mais que l'on entretienne la confusion,
non. Je suis parfois agacé, à la messe,
d'entendre lire aux fidèles les textes de
ce que les chrétiens appellent l'Ancien
Testament, textes sans doute bien choisis
mais qui sont quelque peu - et parfois
beaucoup - en contradiction avec ce que
va lire ensuite et les propos que va tenir
le prêtre.
Je sais bien qu'écrivant cela, je suis
minoritaire dans le catholicisme. D'ailleurs, on me le fait assez savoir.
Mais j'ai été moi aussi choqué par la
confusion que l'on a entretenue, renforcée même, lors des obsèques de Lustiger.
Et j'étais étonné que des juifs s'y soient
prêtés.
Merci de m'avoir lu. J'imagine que vous
ne devez pas manquer de courrier…
Bien cordialement
Jacques Duquesne
P.S : J'ai été particulièrement sensible à
l'étonnement de Jacques Duquesne
devant les flagorneries de certains " responsables " d'institutions juives et je partage cet étonnement : le mot est faible.
MÉMOIRE
Quand le peuple juif de
Pologne vivait encore…
C
PAR BENOÎT RAYSKI*
'est une chanson qui
me ressemble… Juive
ou russe, je ne sais
exactement. Car j'ai
tellement entendu de
chansons yiddish sur
des mélodies russes et tellement de chansons russes sur des mélodies juives. La
chanson, telle une complainte, dit ce qui
suit. Où est cette rue ? Où est cette maison ? Où est cette fille que j'aimais ? Et
elle ajoute, dans un souffle de bonheur
retrouvé : Voilà cette rue. Voilà cette maison. Voilà cette fille que j'aimais.
La chanson ne m'a jamais quitté. Chant
du départ, chant du retour… Je sais bien
sûr qu'elle ne dit pas vrai. La fille que j'aimais est morte. La rue, la rue juive, a été
brûlée. Et la maison n'est plus que ruines
calcinées. Mais qu'importe. La chanson
me permet de rêver d'un temps quand le
peuple juif de Pologne vivait encore.
Il y a quinze ans je suis revenu pour la
première fois à Varsovie. En tant que journaliste. Le chauffeur de taxi (éternelle
providence du reporter jeté dans la fosse
aux lions d'un pays étranger) qui m'amenait à l'hôtel, ayant appris que j'arrivais
de Paris et que je baragouinais le polonais, se fit un devoir de m'enrichir de ses
puissantes considérations sur la situation
en Pologne. Bien que longuement argumentées, elles tenaient en une phrase
dont la foi robuste excluait tout débat : "
Les Juifs relèvent la tête et veulent de
nouveau s'emparer du pays. "
Cela faisait longtemps que je n'avais
pas été aussi comblé. Je me sentais
comme le héros du Caporal épinglé, rentrant à Paris après des années passées
dans un stalag allemand. " Je descendis
au métro Gobelins. Je vis un nègre. Et je
compris que j'étais rentré chez moi. " Oui,
j'étais comme lui. " J'atterris à Varsovie.
Je rencontrai un antisémite. Et je compris que j'étais rentré chez moi. " C'était
d'ailleurs peut-être tout ce qui restait du
foisonnant et merveilleux monde juif de
la Pologne d'avant-guerre : la singulière
persistance de l'antisémitisme.
Non, non et non, je ne cultive ici aucun
goût du paradoxe. Tous les Polonais sont
imprégnés d'une très étonnante connais-
- ne les oublions pas dans ce casting habités par une pathétique et impuissante
haine antijuive.
De tout cela rien ne me pose problème.
Je suis chez moi en Pologne. Auschwitz,
Treblinka, Belzec, c'est chez moi, c'est là
que sont partis tous les miens. Varsovie
aussi c'est chez moi, si on y rajoute le mot
ghetto, où je n'ai pas eu la chance de
mourir. Bialystok, où quelques jours après
la prise de la ville par les nazis, on
enferma 1800 Juifs dans la synagogue
avant d'y mettre le feu, c'est toujours chez
moi. Et, comme il ne faut rien oublier
pour être honnête, Jedwabne aussi, c'est
chez moi, car là-bas 2000 Juifs, hommes,
femmes et enfants, furent massacrés artisanalement - pelles, pioches et bâtons par la population locale.
Rien, je le redis, ne me pose problème,
ne devrait nous poser problème. Car
depuis longtemps il nous est interdit
d'avoir peur. Et si vous voulez gagner un
peu en assurance avant de fouler le sol
polonais, allez donc d'abord à Jérusalem.
Au tout début du printemps, ou peut-être
à la fin de l'hiver, vous y verrez passer
Je suis chez moi en Pologne.
Auschwitz, Treblinka, Belzec, c'est chez moi,
c'est là que sont partis tous les miens.
sance sur les Juifs. Tous les Polonais
savent à quoi ressemble un Juif. Tous les
Polonais peuvent immédiatement reconnaître un Juif. Tous les Polonais savent
que la Pologne a un problème avec les
Juifs, même si cela les arrange de penser
que ce sont les Juifs qui ont un problème
avec la Pologne, ce qui n'est peut-être pas
faux. Et certains Polonais sont de surcroît
A l’heure de l’oppression
dans le ciel des centaines de cigognes.
Elles volent vers le nord, vers la légendaire forêt polonaise de Bialoveza. Elles
ne se trompent jamais ni de chemin ni de
destination. Moi, je n'ai fait que les suivre. Et ce n'est pas un privilège accordé
aux seuls Juifs polonais. Des centaines
de milliers de Juifs hongrois, grecs, tchèques, allemands, français, roumains ont
fertilisé de leur sang et de leurs cendres
la terre polonaise.
Cela suffit à nous donner des droits inaliénables de propriété sur la Pologne, des
droits qui ne dépendent en rien de la
bonne ou mauvaise humeur des autochtones. Si parmi eux on trouve encore des
antisémites haineux et butés, ce n'est pas
à moi, pas à nous, de nous sentir mal à
l'aise ou indésirables. C'est à eux, et rien
qu'à eux, de raser les murs en courbant
la tête. Pour l'obtenir, il suffit de revenir à
une chanson. Celle qui dit : Voilà cette
rue. Voilà cette maison. Voilà cette fille
que j'aimais. Elle permet d'être fort.
*Benoît Rayski est l'auteur, entre autres,
de Là où vont les cigognes, paru aux éditions Ramsay.
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 13
LA CHRONIQUE DE GUY KONOPNICKI
Le stade
de la guerre
L
a question titre du merveilleux roman de Robert
Bober est brutalement reposée. Quoi de neuf
sur la guerre ? Elle revient à tout propos et, bien
évidemment, hors de propos ! Les morts sont
convoqués, pour soutenir une cause dérisoire
et, pis encore, mercantile. On offrira bientôt une
lettre de fusillé à tout acheteur de ballon ovale !
Je ne sais si mon effarement provient de mon peu d'intérêt
pour le rugby et, plus généralement, pour les compétitions
sportives. N'ayant, en ce qui me concerne, jamais partagé les
passions qu'elles soulèvent, faute, peut-être, de la patience
nécessaire pour regarder plus de cinq minutes des gens s'agitant
autour d'un ballon sur mon écran de télévision, je ne puis
prétendre à l'impartialité. Les rites du rugby me sont étrangers.
Supportant difficilement la place prise par le sport dans la vie
et les conversations de mes contemporains, j'ai été sans doute
plus ulcéré que quiconque, en découvrant que l'on avait
convoqué la Résistance dans les vestiaires d'un stade. Il paraît
qu'en plus la lecture de la lettre de Guy Môquet n'a pas arrangé
le moral des joueurs. Cependant, l'initiative de l'entraîneur et
futur ministre des sports est on ne peut plus significative de
l'idée que l'on se fait, aujourd'hui, de l'histoire et de ses
enseignements. À force de jouer du registre émotionnel, on
ruine la compréhension de chaque période et, tout
particulièrement de celle qui revient dans toutes les incantations,
depuis la disparition des frontières intérieures et extérieures
qu'elle avait dessinée.
On évoque beaucoup plus la Seconde Guerre mondiale, la
Shoah, l'occupation de la France, Vichy, la Résistance, depuis
que nous vivons dans une Europe unifiée, par delà les anciennes
lignes de partage de 1945. Et ces évocations ont d'autant plus
d'importance en France que le paysage politique a été
radicalement transformé en vingt ans. Les deux forces
fondamentales qui longtemps se posèrent en gardiennes de la
mémoire, ont à peu près disparu. Il n'y a plus, à proprement
Les comparaisons oiseuses
hantent le discours et
la critique politiques.
parler, de parti gaulliste et le parti communiste n'est que résiduel.
Ce dernier avait, en tout état de cause, détruit lui-même sa
légitimité, en excluant ses dirigeants résistants aux profits de
bureaucrates au passé trouble. Sur la scène politique française,
nous voyons désormais deux grands partis issus de refondations
récentes, et qui, de ce fait, peuvent choisir les continuités qu'ils
revendiquent dans leur histoire et dans celle de la nation. L'UMP
et le PS se livrent donc une guerre de références. On a ainsi
vu, pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy accusant
la gauche d'avoir oublié Jaurès et Blum, tout comme l'on voit,
depuis fort longtemps, la gauche invoquer le général De Gaulle
contre la droite d'aujourd'hui.
Les références communistes tombées en déshérence devaient
14 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
revenir au premier qui oserait s'en emparer, ce fut donc, contre
toute attente, Nicolas Sarkozy. Mais à ce jeu, la compréhension
de l'histoire se trouve totalement brouillée. Et les enjeux d'hier
semblent tellement lointains, mythifiés, que les héros et les
martyrs sont invoqués en des situations proprement
extravagantes.
L
es comparaisons oiseuses hantent le discours et
la critique politiques. Quand le gouvernement
entreprend, dans des conditions certes
discutables, de contrôler les flux migratoires, en
fixant à ses préfets des objectifs de reconduite
à la frontière, on lit ici et là des tribunes, des
manifestes d'associations renvoyant aux rafles de juifs par la
police de Vichy. Or, si les enfants d'immigrés, parfois apatrides,
que nous sommes ne peuvent supporter les arrestations brutales
d'étrangers, et tout particulièrement celles des parents et grands
parents d'enfants scolarisés, il n'est pas supportable de comparer
les plus brutales des actions policières d'aujourd'hui aux
effroyables scènes qui se répétèrent, au long de l'occupation.
Les camps de rétention représentent des réalités douloureuses,
ils témoignent de la misère des pays du Sud comme de
l'impuissance des pays riches ou supposés tels à les sortir du
marasme. Mais ces camps ne sont pas Drancy ou Beaune-la
Rolande. Et pour insupportable qu'il soit de voir de pauvres gens
menés de force dans les avions du retour, ces charters ne sont
pas les convois en partance pour les camps de la mort.
L'omniprésence de la comparaison rend difficile le combat
pour une politique humaine et juste de l'immigration. Mais ce
même comparatisme surgit de l'autre côté de la vie politique.
Ainsi, parlant devant l'université d'été du Medef, le président
de la République promet de revoir les procédures financières,
de dépénaliser un peu plus la vie économique. Cela mérite
discussion. Mais voici que Nicolas Sarkozy compare les
investigations déclenchées sur la foi d'informations dont l'origine
est souvent obscure à la délation anonyme sous Vichy ! Il nous
est certes fort désagréable de savoir que la justice et les services
fiscaux ouvrent des enquêtes sur la foi de lettres anonymes. Il
est tout à fait louable d'envisager une réforme, par laquelle les
autorités ne tiendraient compte que des témoignages à visage
découvert. Mais que vient faire le souvenir de Vichy en cette
affaire ? Il n'y a pas, que l'on sache, de personnes risquant
aujourd'hui, en France, la torture et la mort lorsqu'elles sont
victimes d'une dénonciation anonyme. Au surplus, l'horreur de
la délation sous Vichy ne tient pas à son anonymat supposé. La
caractéristique des régimes fascistes, comme des régimes
staliniens, c'est d'avoir fait de la délation un acte civique, de lui
avoir donné un statut moral. On dénonçait donc à visage
découvert, pour prouver sa fidélité au régime. Et, plus encore,
pour obtenir des avantages. Les délateurs se présentaient comme
de zélés serviteurs du Maréchal, des Français qui méritaient
de récupérer l'appartement d'une famille juive ou d'obtenir la
gérance d'une entreprise aryanisée. On dénonçait en
quémandant sa part du butin, ce n'était donc pas anonyme.
Mais une foi de plus, on en appelle au sordide de l'histoire pour
justifier, au nom d'une morale née des épreuves, une réforme
judiciaire dont on redoute qu'elle soit mal perçue, pour ne
concerner que des catégories réputés privilégiées.
Absurde.
chaque soir. Marcel Marceau portait en lui la douleur de
l'histoire, et, sans un mot, chacune de ses pantomimes portait
plus de sens que toutes les paroles déversées quotidiennement.
La caractéristique des régimes
fascistes, comme des régimes
staliniens, c'est d'avoir fait de la
délation un acte civique, de lui
avoir donné un statut moral.
L'appel désordonné à l'histoire atteste d'une incapacité à
penser le présent, à produire, pour aujourd'hui, une philosophie
politique. Le public étant las des mornes projets économiques,
et, comme on ne saurait faire rêver les foules avec des taux de
croissance, réels ou supposés, on agite les ombres du passé,
cela donne un peu de
panache au discours. On
n'hésitera pas à invoquer les
fusillés de la Résistance et
les juifs assassinés pour
donner une dimension à
des projets ou des combats
qui sont singulièrement
dépourvus de toute vision
historique.
On plante le décor de la
tragédie pour nous jouer de
petites comédies contemporaines. Au mieux une
campagne électorale, au
pire un match de rugby !
Le mime Marceau
A
P. S.
u milieu
de cette
comédie
insensée,
disparaît
un artiste
qui avait, lui vécu, l'histoire.
Il était le fils d'un boucher
casher de Strasbourg, arrêté
en France et assassiné à
Auschwitz. Il s'appelait
Marcel Mangel, il était
entré à vingt ans dans la
Résistance, où il avait
choisi, pour pseudonyme, le
nom d'un général de la
Révolution Française. Il
tenait Marceau pour le
symbole de cette France
qu'il aimait, celle de la
poésie de Victor Hugo.
Cette France républicaine,
qui avait permis aux juifs de
demeurer dans Strasbourg,
rendant enfin inutile la
fameuse sonnerie de la
cathédrale,
qui
leur
ordonnait, sous l'ancien
régime, de quitter la ville
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 15
ACTUALITÉ
Les prophètes ne disent
pas l'avenir !
PAR PAUL GINIEWSKI
L
es mots prophète et
prophétie
sont
aujourd'hui bien galvaudés. Quiconque
énonce une probabilité
est appelé prophète. Et
les politologues annoncent quantité
d'avenirs contradictoires. Mais ces
contradictions sont dans la nature
des choses. Car il est vrai, par exemple, que le monde civilisé pourrait
succomber à l'extrémisme islamiste
et plausible également que le monde
se débarrasse du fanatisme islamiste.
Et si l'on peut redouter que l'Iran ne
mette le monde à feu et à sang, on
peut espérer qu'on finira par désarmer le pays d'Ahmadinejad. Toutes
les options ( et leurs contraires ) sont
ouvertes.
Parmi les prophéties réalisées ou
inaccomplies, certaines se rapportent à l'événement majeur de l'histoire des juifs et de l'humanité : la
Shoah. Le commentateur israélien
Yoram Hazoni en rappelle deux (1),
frappantes par leur dualité et leur
contraste. Elles ne sont pas inconnues mais ce que leur contradiction
nous enseigne est largement
méconnu.
En 1895, Théodore Herzl était
enthousiasmé par sa découverte de
la solution sioniste. Il se proposait
de gagner le soutien des Rothschild
et préparait à leur intention un discours - programme préfigurant son
livre prophétique L'Etat juif. Il y prédisait ce qui attendait les juifs d'Europe, en un développement que
Yoram Hazoni ne cite qu'en partie et
qu'il vaut la peine de découvrir plus complètement. " Une amélioration des conditions d'existence des juifs - soutient Herzl
- est exclue. Si l'on me demande comment
je le sais, je répondrai que je sais également où une pierre, roulant sur une
pente, aboutira : en bas. Seuls les ignorants ou les fous ne tiennent pas compte
des lois de la nature. C'est pourquoi nous
aboutirons tout en bas. A quoi cela ressemblera, quelle forme cela prendra, je
ne peux le prévoir. S'agira-t-il d'une
expropriation révolutionnaire venant de
la base ou d'une confiscation réaction16 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
sinera dans les autres où nous serons
réfugiés (2).
Vingt ans après cette prédiction,
Hermann Cohen formulait une autre
prophétie qui prédisait au contraire pour
l'Allemagne un rôle de sauveur et de
garant des Juifs : " Ce qu'ont en commun
les Allemands et le judaïsme devrait être
évident pour tous. Le concept d'humanité
a son origine dans le messianisme des
prophètes d'Israël. Aujourd'hui, nous
rencontrons à nouveau le Messie
dans l'ensemble de l'esprit allemand.
Les Juifs de France, d'Angleterre et
de Russie ont un devoir de loyauté
envers l'Allemagne parce que
l'Allemagne est la patrie de
leurs âmes. C'est pourquoi, en dépit
de préjugés répandus, je soutiens
que l'égalité des Juifs en Allemagne
est plus profondément enracinée
que n'importe où ailleurs" (3).
Cette profession de foi utopique
date de 1915.
Peu de prophéties politiques se
sont aussi dramatiquement trompées ou accomplies que celles de
Herzl et de Cohen. Dix-huit années
seulement séparent le constat illusoire de Cohen de la funeste année
- 1933 - où les nazis sont arrivés au
pouvoir. Et ils y sont arrivés parce
que les hommes n'avaient pas fait
ce qu'il fallait pour que la prophétie
de Herzl ne se réalise pas. Herzl et
Cohen n'étaient donc incompatibles
que virtuellement Les deux exprimaient des potentialités réelles, les
deux avaient des chances égales de
s'accomplir ou d'avorter.
Et c'est après coup seulement que
les politologues et les historiens
montreront que les événements
devaient se dérouler fatalement
selon les potentialités négatives ou
positives de l'une ou l'autre prédiction.
Les prophètes ne disent pas l'avenir mais des à- venir. Ils proposent
des choix et c'est à nous de choisir
et de faire en sorte que notre choix
se réalise. Faut-il rappeler que Dieu a
placé " la vie et la mort devant l'homme,
le bonheur et la calamité " et il l'a exhorté
à "choisir la vie" (Deut.30.19). Et il a parlé
en ces termes à David : " Je te propose
trois calamités, choisis l'une d'elles et je
te l'infligerai" (1 Chron. 21.10 ).
En 1895, Théodore Herzl
était enthousiasmé
par sa découverte
de la solution sioniste.
naire venant du sommet ? Nous expulsera-t-on ? Serons- nous massacrés ?
J'imagine à peu près que cela prendra
toutes ces formes et d'autres encore. Dans
tel ou tel pays, probablement en France,
se produira une révolution sociale dont
les premières victimes seront forcément
la haute banque et les Juifs…En Russie,
on confisquera simplement d'en- haut.
En Allemagne, on fera des lois d'exception…En Autriche, on se laissera intimider par la populace viennoise et on lui
livrera les Juifs…C'est ainsi qu'on nous
chassera de ces pays et qu'on nous assas-
(1) The Guardian of the Jews " in New Essays
of Zionism. Jérusalem 2007.
(2) Briefe und Tagebücher, tome 2 , p.154.
(3) Germanité et judaïsme. Cité par Yoram
Hazoni. P.45
JUDAÏSME
UN ENTRETIEN AVEC BENJAMIN GROSS
Un monde inachevé
Benjamin Gross, un des représentants les plus importants de la pensée juive
contemporaine nous invite, dans son dernier livre " Un monde inachevé "
(Editions Albin Michel. Collection Présences du judaïsme) à penser la
situation de l'homme et plus particulièrement celle de l'homme juif
aujourd'hui. Nous publions ci-dessous l'entretien que M.Gross nous a
accordé.
Qu'appelez-vous une liberté responsable ?
Benjamin Gross : Une liberté responsable est une liberté qui, au nom même
de la liberté, s'impose des limites.
L'homme tente de se libérer des
nécessités naturelles et des contraintes
sociales. Grâce aux progrès des sciences
et des techniques ainsi qu'aux réformes
sociales, l'Occident a réalisé de ce point
de vue de remarquables ouvertures.
Cependant, dans la course éperdue vers
une expansion illimitée et une autonomie
individuelle indéterminée qui caractérise
le monde post-moderne, la société a
perdu le sens du sens et toute référence
à des valeurs incontestables. Elle n'a plus
de représentation d'elle-même, ce qui
conduit à son effondrement et, par voie
de conséquence, prive l'individu d'une
des conditions vitales de son existence.
C'est ce qu'on a appelé "l'ère du vide", "le
monde du rien" - ce que j'appelle la
démesure et l'absence du sens de la
limite.
Quelle conception vous faites-vous, dans
ce livre, de l'éducation juive ?
B.G. : La liberté, telle que nous venons
de la définir,comme projet d'autonomie,
passe inévitablement par l'éducation.
C'est un problème central pour toute
société, mais je crois qu'il occupe une
place particulièrement cruciale pour la
société juive. Celle-ci doit répondre - et
ne peut s'y soustraire- au défi que lui
lancent, et le plus souvent d'une façon
dramatique , les événements de sa
singulière histoire. Il ne s'agit pas pour
moi, essentiellement en tout cas, de
méthodes pédagogiques, de technique,
de programmes, mais d'une éducation
permanente de l'individu qui débute à sa
naissance et s'achève à sa mort. Dans ce
sens, le judaïsme est en lui-même
éducation, ouvert à la création de la
personne par l'acceptation de la règle
morale et le respect de l'Autre et au sens
de la responsabilité pour l'avènement de
l'Homme, par sa conception messianique
de l'Histoire.
Maïmonide ne définissait-il pas le
Livre, comme étant un guide éducatif
pour l'orientation des générations passées
comme des générations modernes ?
Vous semblez penser que l'éducation ce
n'est pas seulement la transmission d'un savoir
mais essentiellement la formation de la
personne.
B.G. : L'éducation juive plus particulièrement est d'abord transmission d'un
savoir. L'étude de la Torah et de ses
commentaires, la connaissance de
Benjamin Gross
l'hébreu et de l'histoire de notre peuple
sont des éléments indispensables. Il
importe à ce sujet de préciser que la tâche
d'un maître aujourd'hui consiste à
formuler le message de la Tradition en un
langage moderne dans la cadre d'une
culture générale sans qu'il perde pour
autant son authenticité. Le but principal
de cette étude ne consiste pas seulement
à aider l'élève à l'épanouissement de
toutes ses potentialités, mais à l'amener
à se soumettre à un ordre extérieur, à se
confronter à une sagesse qui vient
d'ailleurs et à viser un idéal situé au-delà
de la réalité. Le savoir ne doit pas être
ODASEJ
L’ Œ U V R E D ’A S S I S TA N C E S O C I A L E A L’ E N FA N C E J U I V E
est une association reconnue d’utilité publique par décret du 28 mai 1919
Pa r c e q u ’ u n e n f a n t h e u r e u x
devient un adulte qui a de meilleures chances
de construire son avenir et celui
de la communauté
L’ODASEJ a pour mission
d’aider les enfants et les adolescents défavorisés ou
en difficulté sur le territoire national
Leur avenir
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Transmettez
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votre nom à un programme
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INFORMATION JUIVE Octobre 2007 17
JUDAÏSME
considéré comme un but en lui-même
mais un moyen spécifique pour faire
accéder l'élève à une vision générale de
l'humain qui dessinerait l'horizon ultime
de ses aspirations.
Pourquoi la pensée et la personnalité du
Maharal de Prague vous paraissent-elles si
importantes quand on évoque l'humanisme ?
B.G. : Le Maharal a vécu au coeur de
la Re-naissance, une période qui par bien
des aspects évoque la nôtre, fin d'une
l'État d'Israël, l'humanité est placée devant
le choix d'une voie qui mène à la destruction ou bien à un sursaut de moralité vers
un nouveau mode de civilisation. Au
moment des grands bouleversements, des
renouvellements des cycles de civilisations, lorsque l'humanité s'interroge sur
sa destinée, le peuple juif est appelé à
témoigner de la continuité de l'Histoire
et de sa signification. Convoqués
aujourd'hui à cette tâche,nous trouvons
dans les intuitions fulgurantes et les ana-
Le verbe Zakhor (souviens-toi) apparaît
169 fois dans la Bible hébraïque, complété
par l'adjuration de ne pas oublier !
époque et aube d'une ère nouvelle. Les
explorations maritimes ouvrent les
frontières sur une dimension transformée
du monde,la révolution copernicienne
bouleverse
les
conceptions
astronomiques, l'invention de l'imprimerie
assure la diffusion de la culture et
simultanément l'utilisation de la poudre
augmente considérablement les moyens
de destruction. Un siècle après l'expulsion
des juifs d'Espagne, le Maharal
s'interroge sur le destin de l'homme et la
vocation du peuple juif. Une opportunité
nouvelle s'ouvre peut-être pour un
dialogue entre le peuple juif et les nations.
Aujourd'hui,par la découverte de l'espace le monde se donne de nouvelles
frontières, l'ordinateur ouvre des possibilités insoupçonnées pour la transmission du savoir, les armes non- conventionnelles font peser sur l'humanité la
menace de destructions massives. Après
Auschwitz et la tentative d'extermination
du peuple juif, après la résurgence de
La tombe du Maharal de Prague
18 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
lyses hardies du Maharal des textes du
Midrash , des lignes fécondes de réflexion
pour sortir l'homme de sa finitude, lui permettre de développer son potentiel de
créativité, tout en restant fidèle à l'appel
de la transcendance.
Expliquez-nous cette formule que vous
utilisez dans ce travail : "Le juif est lié à sa
mémoire proche et lointaine".
B.G. : Alors que l'humanité a perdu la
mémoire et tente le plus souvent de
résoudre les conflits en oubliant ce qui
les a provoqués, les juifs, à cause des
épreuves qu'ils subissaient, se sont vus
constamment interpellés par l'Histoire.
Mémoire proche d'événements souvent
tragiques qui ont marqué presque chaque
génération et dicté son rapport à son
propre passé. Mais également et peutêtre surtout, mémoire collective lointaine
des origines dont tout dépend, et qui
confère à la totalité de l'histoire un sens
ultime. Le concept d'une histoire
universelle est le fondement de la
métaphysique biblique et elle a
imprégné tout au long des siècles le
vécu juif et la pensée de ses grands
maîtres. Le verbe Zakhor (souvienstoi) apparaît 169 fois dans la Bible
hébraïque, complété par l'adjuration
de ne pas oublier!
En arrière-plan de ce livre qui est d'une
grande densité, il y a, semble-t-il, l'idée
selon laquelle si le judaïsme se coupe de
la transcendance, il court le risque
de disparaître. C'est l'une de vos
conclusions ?
B.G. : Le lien avec la transcendance
s'éclaire par l'approfondissement de
la notion biblique d'Alliance. Elle
impose un sens éthique à tout ce qui
arrive au peuple juif et place toute
son histoire, qu'il le veuille ou non,
sous le signe du témoignage. Même
si de nombreux secteurs de la société
juive, en diaspora comme en Israël,
semblent coupés de toute transcendance,
la survie du peuple juif, dans sa
dimension collective, est objectivement
dans le monde moderne et post-moderne,
une audacieuse et impérieuse tentative
pour réaliser une synthèse entre le passé
et l'avenir, la tradition et le respect de la
liberté individuelle, le sacré et le profane.
Vous considérez comme ambigus les
rapports qui existent aujourd'hui entre l'Europe
et l'Etat d'Israël. Que voulez-vous dire ? De
quel type d'ambiguïté s'agit-il ?
B.G. : Au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, prenant la mesure de
l'inhumanité dans laquelle l'Europe s'était
laissé entraîner, des voies s'élevèrent pour
protester contre la haine des juifs et les
persécutions dont ils avaient été l'objet.
La naissance de l'État d'Israël était
considérée comme une réparation, et les
rapports avec cet Etat étaient emprunts
de sympathie dans sa lutte pour son
existence. Cependant le projet de
l'unification de l'Europe et la nécessité de
définir un authentique idéal européen de
civilisation devaient faire renaître les
vieux démons et projeter progressivement
sur l'expérience israélienne une vision
empruntée au passé raciste et colonialiste
de la plupart des pays européens,
désireux de se décharger sur les juifs de
leur propre culpabilité. Ce glissement
pervers les empêche de comprendre le
véritable sens des revendications
nationales juives (Retour sur la Terre des
ancêtres et non colonialisme) et les
amène à s'ériger en justiciers et à
condamner un État et un peuple
cherchant à vivre en paix et devant lutter
pour résister à un ennemi qui ne cache
pas son désir de l'anéantir. D'où un
langage ambigu qui affirme à la fois un
soutien à l'État d'Israël tout en lui refusant
les justifications morales et les moyens
politiques indispensables pour garantir
sa souveraineté.
Finalement pourquoi avoir écrit ce livre ?
B.G. : L'humanité et l'homme sont
aujourd'hui, malgré les déclarations
formelles des "Droits de l'homme", en
proie à une crise spirituelle et menacés
par une barbarie qui ne cesse de
s'étendre. J'ai tenté de répondre à la
question comment définir et comment
défendre, dans le monde post-moderne,
ce qui fait l'humanité de l'homme. Mon
argumentation prend appui sur certains
textes de la Tradition, en vue d'établir
de quelle manière le judaïsme, le peuple
juif, et plus spécialement l'État d'Israël se
doivent
et
sont
en
mesure
de répondre à ce défi.Réponse
dont dépendent l'avenir de la civilisation
et sans doute notre existence ellemême.
JUDAÏSME
SOUCCOTH
SOUS LES
BRANCHAGES
DE LA PAIX
PAR PHILIPPE HADDAD
Souccoth - fête de Cabanes- clôture le
cycle des trois fêtes de pèlerinage et invite
le juif à sortir de " sa demeure fixe pour
vivre une semaine dans une demeure
provisoire ". A travers ce rite, le citadin
sédentaire retrouve, un tant soit peu, la
dimension nomade de ses ancêtres
hébreux. Par-delà cette spécificité
cultuelle, la tradition rabbinique met en
évidence la dimension universelle que
recèle cette solennité " écologique ".
Q
uatre commencements
pour une année : Le
traité Rosh Hashana du
Talmud présente quatre
débuts d'année situés le
long d'un cycle liturgique et agricole. Sans entrer dans les détails
techniques, retenons l'idée que notre calendrier met l'accent sur la notion de commencement plutôt que sur celle de fin. Point de
fêtes de fin d'année dans le judaïsme, mais
des inaugurations de temps. Au plan de la
pensée religieuse, ces renouvellements
invitent la conscience du croyant à se
renouveler dans le service de Dieu. Recommencer à étudier, recommencer à prier,
recommencer à s'engager dans la communauté, recommencer à aimer, autant de
défis permanents pour la foi.
A l'analyse de ce découpage, nous distinguons deux périodes : celle qui va du
1er nissan au 1er tichri, et celle qui s'étend
du 1er tichri au 1er nissan.
Temps d'Israël et temps universel : La
première période exprime le temps propre
d'Israël, depuis la sortie d'Egypte (naissance physique du peuple) jusqu'au don
de la Torah (naissance de l'entité politique).
A la lumière de l'enseignement de nos
sages, la seconde période a ceci de particulier : elle interpelle l'universel. Ce fait
surgit de façon manifeste lors des solennités de Tichri : Rosh Hashana, anniversaire
de la création d'Adam et Eve ; Kippour où
le repentir d'Israël se conjugue avec celui
de Ninive (Jonas), quant à Souccoth, il
était au Temple ce moment de joie, où les
Cohanim sacrifiaient soixante-dix taureaux
“De même que la fête de Pessah proclama la liberté d'un
peuple, la fête de Souccoth marquera la naissance
d'une humanité libérée de sa violence.”
pour les soixante-dix nations nées à Babel.
Le coup de génie du calendrier juif qui
dénote une authentique vision universelle,
est d'alterner tous les six mois, le temps
singulier d'Israël et celui des peuples de
la terre. Plutôt que de remettre à zéro les
compteurs de l'histoire, la naissance de "
la royauté de prêtre " convoque à une plus
grande vigilance éthique à l'égard de l'humain.
Les pluies de bénédiction : Cette dimension universelle de la fête de Souccoth ne
s'exprime pas uniquement par le sacrifice
des soixante-dix taureaux, mais le huitième
jour, nommé Chémini Atséreth, nous
demandons la pluie pour le monde entier.
Bien que nous suivions les saisons du pays
d'Israël, notre prière se manifeste à l'égard
de l'humanité tout entière, sans distinction
de peuple. Ici encore, le particularisme juif
ne peut s'entendre que dans cette vocation
de porteur de bénédiction pour " les familles de la terre "..
Une solennité messianique :Le prophète
Zacharie, l'un des derniers prophètes,
révèle une autre dimension de Souccoth :
cette fête deviendra, à la fin des temps, une
solennité pour toutes les nations. Il faut
relire le chapitre quatorze du prophète,
dans lequel Zacharie décrit tout d'abord
un terrible conflit mondial qui se déroulera à Jérusalem. Le vainqueur de ce combat sera Dieu Lui-même, reconnu " roi sur
toute la terre. "
Après le déluge du feu des armes, une
ère de paix débutera, et Souccoth soulignera cette fraternité universelle. De même
que la fête de Pessah proclama la liberté
d'un peuple, la fête de Souccoth marquera
la naissance d'une humanité libérée de sa
violence. La colombe de la paix aura enfin
un lieu où se nicher, à l'ombre d'une maison aux rameaux verdoyants, évoquant la
tente d'Abraham.
Notre planète ressemble, dit-on, à un village planétaire, mais pour l'heure trop de
logis sont encore repliées sur leurs propres
revendications. L'espérance d'Israël n'est
pas de croire qu'un jour l'humanité deviendra juive, mais qu'un jour les hommes
vivront l'amitié des cœurs sous les branchages de la Paix.
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 19
BONNES FEUILLES
Le Portugal face
à son passé juif
PAR CARSTEN L. WILKE
Les Editions Chandeigne publient dans leur collection Péninsules une Histoire des juifs portugais de Casten L.Wilke.
Cette Histoire apparaît à l'auteur comme celle d'un entêtement puisqu'elle montre comment s'est construite et perpétuée
l'identité d'une nation, en dépit des atteintes successives portées à sa religion et à ses traditions. Avec l'autorisation
des éditions Chandeigne que nous remercions, nous publions ici un extrait que l'auteur consacre au Portugal confronté
à son passé juif.
D
ans l'historiographie, les juifs portugais sont
dotés d'une forte personnalité. Ces " cousins "
de Spinoza, qui se distinguent par leur résistance à la persécution comme par leur esprit
d'innovation, seraient les artisans d'une première
modernité juive, plus respectueuse des traditions que le mouvement assimilationniste ultérieur. Par ailleurs,
un courant qui remonte à l'économiste antisémite Werner Sombart (1911) a exagéré et séparé du contexte la part prise par les
Judéo-Portugais dans les débuts de la domination capitaliste et
coloniale, particulièrement dans l'esclavage des Noirs.
Ces lieux communs ne circulèrent que tardivement au Portugal, qui porte un regard original sur l'histoire juive. L'imaginaire
des Portugais s'est en effet élaboré d'après l'expérience singulière
de ce pays où des dizaines de milliers de nouveaux-chrétiens se
sont mêlés à la population et où le judaïsme n'appartient pas
seulement à la tradition culturelle de la nation, mais à sa généalogie (…).
Dans l'imaginaire du métissage, le juif est un ancêtre inquiétant. Le désir de refoulement fut symbolisé par la violence avec
laquelle la police secrète de Salazar se déchaîna contre deux
pages d'un ouvrage paru en 1938 qui affirmaient l'origine néochrétienne du dictateur : elle se mit en quête des exemplaires
vendus jusque dans les maisons privées pour les amputer de ces
pages compromettantes.
Cependant, Salazar ne dédaigna pas pour autant d'inaugurer
en personne le Musée luso-hébreu ouvert en 1939 à Tomar. A fortiori, le courant libéral a souligné l'apport des nouveaux- chrétiens à la nation portugaise, qui leur devrait notamment leur lucidité critique et leur faculté d'abstraction. Ce sont " des caractères
vaguement typiques d'un juif portugais " que le poète Fernando
Pessoa attribua, dans une lettre écrite en 1935, à Ricardo Reis,
l'un de ses trois " hétéronymes ", un médecin de Porto partisan
d'une esthétique néoclassique et d'une politique monarchiste.
Pessoa et d'autres ont attribué des origines juives à la mélancolie, au sentiment d'exil, à l'esprit messianique et à la nostalgie du
passé (saudade) qui caractériseraient le tempérament portugais.
Par ailleurs, des historiens comme Luís de Bivar Guerra prétendirent que l'ascendance juive était démontrable et quantifiable
grâce aux généalogies de l'Inquisition, ce qui déclencha des exercices d'auto-analyse : " Mon ami, le Dr Eugénio de Freitas [autre
historien portugais] est, tout comme moi, descendant de marranes... Il est curieux que nous soyons tous deux des libéraux par
la structure même de notre personnalité. Morphologiquement,
j'appartiens au type sémito-séfarade de Trás-os-Montes, quoique
je n'aie que 12 % de sang sémite. Selon mes anciens amis, c'est
20 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
un esprit intellectuel juif qui me caractérise en tant qu'érudit. "
La population portugaise recherchait, de toute évidence, une
explication rationnelle à son labyrinthe identitaire. La preuve en
est le succès du livre d'António José Saraiva, Inquisition et Nouveaux-Chrétiens, dont vingt mille exemplaires furent vendus l'année même de sa parution, en 1969. Selon Saraiva, le particularisme ethnique néo-chrétien et la religion marrane sont des
"mythes " inventés par la société féodale pour ostraciser la bourgeoisie chrétienne à laquelle les juifs baptisés s'étaient de bonne
heure assimilés. En forçant ses prisonniers à confesser des hérésies inexistantes, le Saint-Office se chargeait à la fois de dénigrer
et de spolier cet ennemi de l'ordre féodal. Saraiva accepte, lui
aussi, la thèse d'un potentiel critique supérieur des intellectuels
nouveaux-chrétiens, mais il l'attribue à l'esprit bourgeois et à la
situation de persécution ; les mêmes motivations matérielles expliqueraient le retour au judaïsme de ceux qui durent émigrer. Cette
thèse matérialiste a inspiré pendant longtemps les interprétations
portugaises sur ce sujet. La pièce O judeu (Le Juif, 1966) de Ber-
L'engouement des étrangers pour cette
histoire et, en particulier, pour l'épopée
marrane, a fini par gagner le Portugal.
nardo Santareno et le roman Um bicho da terra (Un ver de terre,
1984) d'Agustina Bessa-Luís participent à cette mise en valeur de
l'altérité néo-chrétienne tout en minimisant sa dimension juive.
Lors d'un voyage à Jérusalem, António José Saraiva confessa
qu'il avait révisé ses idées sur le judaïsme. D'autres Portugais se
sont également laissé tenter par l'introspection historique au
contact des populations israéliennes. En 1969, l'écrivain António
Quadros révéla que le premier sentiment inspiré par une rencontre avec des contemporains israéliens fut " la honte pour ce que
nous, Portugais, pour ce que nous, chrétiens, avons fait à ce peuple, auquel, enfin de compte, nous avons été tant redevables aux
XVe et XVIe siècles ". L'intégration européenne a apporté un nouveau vocabulaire, qui valorise les manifestations de la différence
culturelle relevant du passé. Sous l'influence de la mondialisation, le discours historique rappelle le pluralisme médiéval et colonial et évoque les défenseurs des minorités, tels le père António
Vieira et le consul Sousa Mendes, dont la réhabilitation fut votée
par le parlement portugais en 1988 au terme d'une controverse
mémorable. Les anniversaires historiques et la restauration des
monuments ont créé une tradition de la commémoration, où s'unis-
BONNES FEUILLES
sent rituellement les représentants des institutions héritières de
l'histoire judéo-portugaise : la République, la CIL et l'État d'Israël. En 1989, lors d'un discours prononcé dans la judiaria restaurée de Castelo de Vide, le président Mário Soares demanda
pardon aux juifs pour les persécutions qu'ils avaient subies au
Portugal. La sérénité avec laquelle cette culpabilité est ici évoquée tient évidemment au fait qu'elle n'entache plus aucune personne ou institution dans le Portugal actuel. Cas exceptionnel,
une commission d'enquête de 1999 examina (et démentit) des
rumeurs selon lesquelles la Banque du Portugal aurait administré pendant la guerre des réserves d'or du régime hitlérien.
Contrairement à l'Espagne, où les Estudios Judíos y Sefardíes
sont suivies depuis plusieurs générations à un haut niveau, le
riche patrimoine judéo-portugais n'a pas encore donné naissance
à une culture de la recherche dans ce domaine. Plusieurs institutions académiques du pays comptent toutefois des chercheurs
qui, en tant qu'historiens, hispanisants ou sociologues, travaillent de manière individuelle, sans prétendre à un hébraïsme scientifique. À ce jour, la seule université lusophone qui prépare à un
doctorat en Études juives est celle de São Paulo, au Brésil.
Cette lacune a été repérée et des initiatives privées tentent de
la combler. Fondée en 1994 par
l'entrepreneur Roberto Bachmann,
l'Associação Portuguesa de Estudos Judaicos publie la Revista de
Estudos Judaicos et organise des
conférences publiques et des colloques. À la faculté des lettres de
l'université de Lisbonne, la chaire
Alberto Benveniste d'études séfarades, créée en 1997 grâce à une
donation privée, a fondé une
bibliothèque de recherche, des
archives historiques et une revue,
les Cadernos de Estudos Sefarditas, destinée à faire connaître au
Portugal le travail des chercheurs
étrangers.
Ainsi, l'engouement des étrangers pour cette histoire et, en particulier, pour l'épopée marrane objet de best-sellers comme le
roman policier Le dernier kabbaliste de Lisbonne de Richard Zimler, ou des nombreuses déclinaisons littéraires de l'héroïne Grácia
Nasi -, a fini par gagner le Portugal. Çà et là, dans ce pays épargné
par les grandes guerres et
conscient de ses atouts touristiques, des monuments juifs médiévaux ont été mis en valeur. Les
sites les plus visités sont la synagogue de Tomar, le cimetière de
Faro et les anciens quartiers juifs
de Castelo de Vide, d'Évora, de
Guarda, d'Óbidos, de Porto et de
Trancoso. Le lieu de mémoire du
judaïsme au Portugal est par excellence la synagogue de Lisbonne,
classée monument national en
1997 et visitée chaque année par
cinq mille élèves d'écoles portugaises. Pour les festivités du centenaire de 2004, l'édifice a été restauré et doté d'une exposition. Au
Portugal, où certaines maisons ont encore sur leurs linteaux les
traces d'une mezouza médiévale, les souvenirs du passé juif appartiennent à la culture générale, et de beaux gestes symboliques
évoquent la réconciliation. Récemment, un descendant new-yorkais du grand Abravanel fut invité, à Lisbonne, chez l'entrepreneur immobilier Duarte Pio, porteur actuel du titre de duc de Bragance, qui le reçut en ces termes : " Je vous attendais depuis cinq
cents ans. "
La conscience intense de l'enchevêtrement des histoires nationale et juive ne saurait pas dissimuler le fait que les représentations du judaïsme ont un référent distant, voire absent : à Israël,
aux Amériques, au temps passé. Comme d'autres pays européens,
le Portugal comptera bientôt plus de musées juifs que de communautés juives, plus de touristes juifs que de citoyens juifs. Mais
le judaïsme portugais ne sombre pas sous le poids de son histoire.
Parmi les pays de la diaspora, le Portugal a su démontrer de
manière spectaculaire que la mémoire des générations passées
est capable de se renouveler et de resurgir dans des continents
lointains comme dans les ruelles de jadis.
(Copyright Editions Chandeigne)
La synagogue Shaaré Tikvà de Lisbonne
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 21
LA VIE DE L’ACIP
Le
Président
de la
République
à la Victoire
E
vénement exceptionnel,
le Président de la République Nicolas Sarkozy
s'est rendu samedi 22
octobre, le jour de Yom
Kippour, à la grande
synagogue de la Victoire. Accueilli par le
Président du Consistoire de Paris Joël
Mergui et par le grand Rabbin de la synagogue de la Victoire Gilles Bernheim,
Nicolas Sarkozy a tenu à partager, dans
une synagogue comble à ce moment de
la prière, quelques instants de solennité
avec la communauté juive dans ce haut
lieu du Consistoire de Paris. Comme l'a
souligné Joël Mergui dans son allocution
de bienvenue, cette venue exceptionnelle
symbolisait " (…) D'une part, la reconnaissance, en cette année du bicentenaire du
Consistoire, de l'attachement sans faille
de la communauté juive de France à la
République ; d'autre part, la présence de
l'Etat et des pouvoirs publics auprès de
la communauté juive pour mener ensemble des combats essentiels, et notamment
celui contre l'antisémitisme ; enfin, la
volonté commune de l'Etat et du Consistoire de construire ensemble les conditions d'une vie sereine et paisible des juifs
de France dans leur pays (…) ". Et de
conclure, " (…) Nous avons là une responsabilité partagée pour la construction
d'un avenir commun basé sur la connaissance et le respect mutuel. En ce jour de
Kippour qui marque le moment le plus
solennel de notre calendrier, je forme les
vœux, au nom de la Communauté juive,
de voir cette volonté commune de
construire ensemble l'avenir de nos
enfants être couronnée de succès. (…) ".
Il faut noter qu'il s'agissait là d'un moment
unique. C'est en effet la première fois
qu'un Président de la République française en exercice se rendait dans une
22 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
Le Président de la République s'est rendu à la synagogue de la Victoire pour Yom Kippour
synagogue le jour de Kippour. On a également noté la venue à la synagogue de
la Victoire du Garde des Sceaux Mme
Rachida Dati, du Prefet de Paris
M. Michel Gaudin, du Maire de Paris
M. Bertrand Delanoë, du Maire du
17ème arrdt de Paris Mme Françoise De
Panafieu et du Maire du 9ème arrdt. M.
chement et leur proximité avec les fidèles de la communauté juive et leurs représentants. Partout, les juifs de France sont
une composante majeure de la République pour ce qu'ils lui transmettent depuis
des siècles et ce qu'ils lui apportent au
quotidien, mais les juifs de France ont
également besoin de la République pour
Pour la première fois,
un Président de la République se rend dans une
synagogue le jour de Kippour.
Jacques Bravo. Cette présence auprès de
la communauté juive de personnalités de
premier plan s'est accompagnée tout au
long de la journée de la venue de nombreux élus dans toutes les synagogues
qui ont tous souhaité marquer leur atta-
s'y épanouir dans le respect de leur histoire, de leur culture, et de leurs valeurs.
A l'aube de la nouvelle année, c'est ce dialogue permanent et nécessaire qui a été
symbolisé avec autant de force à l'occasion de ce Yom Kippour 5768.
LA VIE DE L’ACIP
UN ENTRETIEN AVEC JOËL MERGUI*
“Les dix jours
du Consistoire”
Joël Mergui, président du Consistoire de Paris Ile de France explique à
Information juive la signification et les objectifs des Dix jours du Consistoire
que l'institution organise du 15 au 25 octobre 2007.
Il s'explique également sur les projets qu'il compte mener à bien avec
l’ensemble des Administrateurs et des permanents du Consistoire, ainsi que
sur sa volonté d'œuvrer pour construire une identité juive.
Quelle est la signification de cette manifestation que vous organisez sous le titre " Les
Dix jours du Consistoire " ?
Joël Mergui : J'ai depuis longtemps
pris conscience du fait que le Consistoire
est insuffisamment ou mal connu. Même
les gens qui ont souvent recours à ses
services n'appréhendent pas en vérité
l'ensemble des responsabilités que nos
différents services assurent au quotidien
l'impulsion de l'ensemble des administrateurs, qui chacun et chacune dans son
domaine de compétence se dévoue sans
compter, c'est une équipe volontaire et
dynamique qui travaille au quotidien au
service de la Communauté Bien des gens
aiment le Consistoire. Ils ont parfaitement
conscience de son caractère indispensable quand ce ne serait que parce
qu'on a, à un moment ou à un autre de
Ces Dix jours ont pour objectif de fournir à la
communauté juive une meilleure connaissance
de nos responsabilités quotidiennes
pour l'ensemble de la communauté juive.
Il nous a semblé important de faire un
effort de communication afin que les
membres de la communauté connaissent
mieux les charges et les responsabilités
qui sont les nôtres et réfléchissent
concomitamment à l'aide qu'ils peuvent
nous apporter.
L'objectif
de
cette
meilleure
compréhension éspérée de notre
institution réside dans l'incitation faite
aux utilisateurs de nos services à adhérer
au Consistoire et à l'aider concretement.
Le soutien actif du plus grand nombre est
en effet nécessaire pour parvenir à
atteindre ensemble les objectifs ambitieux
que nous nous sommes fixés.
Nous célébrons cette année le bicentenaire de l'institution et il nous a semblé
que, par delà cette référence historique,
il était bon de faire le point et de dresser
une sorte de bilan. Et ce d'autant que sous
son existence, besoin de lui. Il nous a
donc semblé judicieux de nous adresser
à la communauté juive. Nous avons voulu
le faire avant le mois de la Tsédaka par
respect pour l’action du Fond Social.
Nous avons choisi les lendemains des
fêtes de Tichri parce que, au cours de ces
célébrations, les uns et les autres ont vu
les efforts déployés par les rabbins et les
présidents de communautés afin que les
besoins religieux soient satisfaits.
Durant ces Dix jours, nous serons à
l'écoute de nos coreligionnaires pour
savoir les grandes questions qu'ils se
posent, et tenter d'y répondre.
Avec nos permanents et nos administrateurs, nous aurons à expliquer
l'importance des services qui assurent la
cachrout . Avec l'information sur le service
de la Hevra Kadicha, nous voulons
montrer combien nous sommes à l'écoute
des familles endeuillées. Nous comptons
Joël Mergui
organiser, durant ces Dix jours, dans le
cadre d'une synagogue, à l'intention des
mariés de l'année, une cérémonie au
cours de laquelle ils recevront, selon la
tradition, par la bénédiction du grand
rabbin de France et du grand rabbin de
Paris. Ce sera pour nous l'occasion d'une
réflexion sur la nécessité pour nos
services d'accompagner les mariés au
cours des premières années de leur
union. Ainsi nous avons - ce que peu de
gens savent - un service dont la vocation
est de s'occuper de ce que nous appelons
chlom bayit , la paix dans le ménage.
De même avons-nous l'intention de
mettre en exergue la solidarité qui doit
exister entre les différentes communautés:
nous organiserons une cérémonie à
Sarcelles parce que les juifs de cette ville
symbolisent, mieux que d'autres, les
difficultés qui peuvent se présenter ici et
là. Le Consistoire est depuis de longues
années solidaire de cette communauté et
lui vient en aide pour qu'elle puisse
fonctionner harmonieusement. Cela
également fait partie de la tradition juive.
Nous mettrons en évidence au cours
de ces journées destinées à rencontrer le
public le rôle que le Consistoire assume
dans le domaine du patrimoine. Il s'agit
après tout du plus grand patrimoine juif
d'Europe. Nous avons la responsabilité
de cent bâtiments ( il s'agit exclusivement
de synagogues ou de centres
communautaires ). Ces bâtiments sont
mis à la disposition de toutes les
associations qui veulent y organiser des
rencontres culturelles. Ces bâtiments
nécessitent souvent d'être mis aux normes
de sécurité. Celles-ci se sont alourdies et
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 23
LA VIE DE L’ACIP
nous avons le devoir d'y faire face.
Il y a par ailleurs la formation du corps
rabbinique dont nous revoyons le
fonctionnement. Nous voulons prodiguer
à nos jeunes rabbins une formation
et fonctionner harmonieusement que
dans l'union et la coopération.
Je veux enfin insister sur notre
solidarité de tous les instants avec l'Etat
d'Israël. Nous édifions ici une commu-
Nous agissons avec les moyens que nous donne
la communauté juive
complémentaire afin de mieux les aider
à faire face à leurs diverses responsabilités. Nous avons désormais un grand
nombre de jeunes rabbins qui méritent
d'être entendus et dont le niveau
intellectuel et universitaire est à l'image
de ce qu'une communauté juive comme
la nôtre est en droit d'attendre.
Ces Dix jours ont pour objectif de
fournir aux uns et aux autres une
meilleure connaissance de nos
responsabilités quotidiennes. Du fait que
le Consistoire représente, par tradition et
par vocation, les communautés juives de
la région parisienne qui seraient
administrativement indépendantes, nous
souhaitons que ces communautés nous
rejoignent dans nos efforts. Elles peuvent
nous enrichir de leurs conseils, participer
aux choix stratégiques que nous aurions
à faire.
Ces communautés indépendantes se
reconnaissent naturellement dans le Beth
Din et dans le rabbinat. Face aux pouvoirs
publics, il est important que nous
puissions parler également en leur nom,
que ce soit pour défendre leur sécurité ou
bien encore leurs intérêts spécifiques.
J'ajoute que nous avons un très
important réseau de partenaires. La
responsabilité du Beth Din de Paris nous
incombe en totalité : qu'il s'agisse des
rabbins chargés de la certification du
cacher ou qu'il s'agisse des contrôleurs
qui veillent (dans les 180 restaurants, les
50 boucheries, les 50 pâtisseries et autant
de traiteurs qui dépendent de nos
services) au strict respect des règles de la
cachrout.
Je souhaite que l'ensemble des
membres de ce réseau se sentent comme
nos partenaires et partagent avec nous
au fond cette énorme responsabilité. Nous
sommes les uns et les autres indissolublement liés : nous ne pouvons exister
24 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
nauté qui est à la fois respectueuse de ses
traditions et fondamentalement proche
d'Israël. J'ajoute que le soutien multiforme
que nous apportons à Israël est permanent.
Quelles sont les carences du Consistoire ?
J.M : Ces Dix jours sont également faits
pour nous permettre d'entendre de la part
des membres de la communauté juive
quels sont les domaines où notre action
est soit insuffisante soit stérile. Qui peut
prétendre que le Consistoire réussit tout
ce qu'il entreprend ? Ces Dix jours nous
permettront de prendre connaissance des
suggestions et pourquoi pas des conseils
ou des idées nouvelles de tout un chacun.
Comme l'avait dit mon illustre
prédécesseur Alain de Rothschild, mon
sentiment est que nous agissons avec les
moyens que nous donne la communauté
juive. Nous avons un grand nombre de
projets - pourtant indispensables de l'avis
de tous pour notre avenir - mais le
manque de moyens nous oblige à faire
des choix et à agir selon des priorités.
Avec l'aide de la Fondation pour la
mémoire de la Shoah, nous comptons
ouvrir très vite le centre Edmond Fleg qui
sera dédié à la jeunesse estu-diantine.
Cela per-mettre aux jeunes de se
rencontrer, d'organiser des dîners shabbatiques et également de combattre l'assimilation, un com-bat qui naturel-lement
est au cœur de notre action.
Selon moi, notre plus grande carence
aujourd'hui c'est justement cette
méconnaissance du Consistoire que
manifestent ceux qui devraient pourtant
se sentir proches de nos vues et de nos
objectifs. Par ailleurs, nous devons sans
doute améliorer la réactivité de nombre
de nos services.
Vous avez également l'intention d'organiser
ce que vous appeler “le shabbat de la
jeunesse”. De quoi s'agit-il ?
J.M : Pour assurer la transmission condition essentielle de la pérennité du
judaïsme - nous cherchons à impliquer
au maximum les enfants et les jeunes
dans la vie communautaire. Nous
souhaitons que ces jeunes deviennent des
acteurs de l'animation du culte dans les
synagogues. Que ceux qui en ont les
capacités prennent sur eux la
responsabilité de lire la Torah , le jour du
shabbat. Je souhaite que les rabbins les
fassent participer à l'office. Je souhaite
également que le 20 octobre, ce shabbat
du Consistoire soit animé et dirigé
éventuellement par des jeunes qui en ont
la capacité.
Une fois par mois, nous réunirions ces
jeunes pour les inciter à poursuivre de
telle sorte qu'ils puissent un jour
constituer un " Consistoire de la jeunesse".
Quelle signification donnez-vous à la visite,
à l'occasion de Kippour, du président Sarkozy,
à la Grande synagogue de La Victoire ?
J.M : D'abord, j'ai été heureux que le
Chef de l'Etat ait accepté notre invitation.
Sauf erreur de ma part, c'est la première
fois qu'un Chef de l'Etat en exercice se
rend à la synagogue le jour de Kippour.
J'y vois personnellement le signe de ce
que le président et son gouvernement
souhaitent, par delà les questions qui
nous préoccupent régulièrement comme
l'antisémitisme ou le négationnisme, voir
s'épanouir une vie juive en France.
Quel est votre credo ? Qu'est-ce qui vous
anime dans votre action ?
J.M : Je pense être fidèle à l'action que
j'ai menée dès mon plus jeune âge. Sans
doute y a-t-il l'héritage familial : j'ai
toujours vu mon père qui est rabbin se
consacrer à la vie de sa communauté.
J'ajoute enfin que j'aime relever des
défis : notre responsabilité aujourd'hui est
de construire une identité juive. C'est à
cette tâche qu'avec d'autres j'ai décidé de
me dédier.
*Président du Consistoire de Paris Ile
de France.
Les Dix jours du Consistoire
Renseignements - Programme
www.consistoire.org
Tél. 01 40 82 26 42
LA VIE DE L’ACIP
MUSIQUE
La chorale juive de France
La Chorale juive de France est formée aujourd'hui de plus de 35 choristes.
Le 23 octobre 2006 a eu lieu le
septième Concert International de Hazanout. Il était organisé par l'Association
pour la promotion de l'art chantorial
(APAC) à l'UNESCO et s'est déroulé
devant près de 1500 personnes.
MM. Raphaël Cohen et Daniel Sandler,
respectivement président fondateur et
porte-parole de cette association, ont
annoncé la création de la Chorale juive
de France en partenariat avec le Consistoire israélite de Paris Ile de France et son
président Joël Mergui.
La France était jusqu'à présent le seul
pays parmi ceux qui ont une communauté juive importante à ne pas avoir une
vraie chorale de haut niveau, composée
exclusivement d'hommes et tous juifs,
capable de se produire en concert, en
France et à l'étranger, pour des cérémo-
nies comme des mariages.
Notre pays était ainsi le seul, notamment en Europe, à ne pas pouvoir garantir la pérennité des divers styles de la
musique juive (hébraïque, yiddish, ashkénaze, sépharade,etc.) par un ensemble
vocal dont la qualité artistique serait irréprochable. La défense de ce patrimoine
juif exceptionnel est par ailleurs intimement liée à la mémoire et à l'Histoire des
juifs.
Grâce aux efforts conjugués du
Consistoire Israélite de Paris fervent
supporter de l'APAC et du travail qu'elle
accomplit depuis près de huit ans, grâce
au talent incomparable de Raphaël Cohen
et à l'arrivée de M. Hector Sabo, directeur
artistique, la Chorale juive de France est
formée aujourd'hui de plus de 35 choristes
qui répètent avec régularité et dans un
esprit professionnel chaque semaine dans
la magnifique synagogue de Buffault,
grâcieusement mise à la disposition de
l'APAC par son M.Elie Balmain ,lui aussi
un vrai fidèle des concerts APAC.
Moins d'un an après sa création, cette
chorale se produira publiquement au
Casino de Paris le lundi 15 octobre 2007,à
l'occasion du 8ème Concert international
de Hazanout de l'APAC. Ce concert sera
celui " de la fraternité."
De grands ténors, de jeunes prodiges
et quelques surprises combleront comme
chaque année un public aussi exigeant
que fidèle et qui a fait désormais de cette
soirée annuelle l'événement musical juif
à ne manquer sous aucun prétexte.
Comme l'an passé, l'ambassadeur
d'Israël à l'UNESCO, M.David Kornbluth
a accepté de parrainer ce concert.
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 25
BICENTENAIRE
Le Consistoire israélite de Paris
pendant le 1er Empire
(1809 - 1815)
PAR PHILIPPE LANDAU
Dès sa création en 1809, le Consistoire israélite de Paris s'applique d'imposer les décisions doctrinales émises par le Grand
Sanhédrin. Pour le grand rabbin et président Michel Seligmann, la tâche n'est pas aisée car, installé dans la capitale
depuis 1796, il a noué de solides relations avec les responsables des petits oratoires et des sociétés de secours mutuel. Son
prestige rabbinique est néanmoins un atout pour réaliser l'œuvre napoléonienne. N'est-il pas un ancien élève du grand
rabbin David Sintzheim et un ami très proche de Baruch Cerf-Berr qui siègent au Consistoire central ? Sa méconnaissance
de la langue française le dessert pour les sermons et les relations avec les autorités publiques. Selon l'avis de ses
contemporains, il était "d'une entière ignorance des choses du monde et, après vingt ans d'exercice dans la capitale, ne
savait pas un mot de français." Mais il est alors secondé par le grand rabbin Abraham de Cologna et certains laïques
comme le porcelainier Baruch Weill.
C
oratoires pour n'avoir qu'un seul lieu de culte ou obtenir
la per mission ministérielle pour maintenir une
synagogue particulière. La synagogue Sainte-Avoie,
disposant de deux cents places et d'annexes, est choisie
pour devenir le lieu de culte consistorial. Aron Schmoll
en est l'administrateur. L a centralisation religieuse
commence et l'autoritarisme consistorial devient
offensif. De l'été 1809 au printemps 1810, trois oratoires
sont fer més. Il ne reste plus que ceux de la r ue de
Chaume (conservée car elle réunit principalement les
Israélites aisés) et de la r ue Sainte-Avoie pour les
Allemands et la synagogue portugaise rue Saint André
des Arts sur la rive gauche. Les administrateurs
imposent la taxe au culte hébraïque à tous les fidèles
masculins selon leur état de richesse. Tout récalcitrant
peut être dénoncé auprès des services de la préfecture.
Les sommes perçues doivent servir à l'entretien et au
loyer des lieux de culte, aux divers frais de
l'administration consistoriale (du salaire du grand
rabbin à des aides octroyées aux
nécessiteux) et à la participation du
Consistoire israélite de Paris pour le
Consistoire central.
Désor mais, et surtout à partir de
1810, les offices se transfor ment.
Outre le ser mon prononcé en
français, les montées à la Torah se
font avec l'appel du patronyme et non
plus par le prénom ; les enchères sont
supprimées ainsi que certains chants
traditionnels (piyoutim) et des
gardiens veillent au silence complet
dans le lieu. Afin de garantir la
dignité du culte divin, le personnel
consistorial doit avoir une tenue
appropriée. Il est précisé que le grand
rabbin doit s'habiller avec " une robe
longue noire avec ceinture de soie
et rabat blanc, chapeau ecclésiastique" ; quant au ministreofficiant, il doit porter " un manteau
de serge noir avec un rabat blanc. " Il
Le recencement des métiers du Consistoire israélite de Paris, 1809
en est de même pour les membres
Crédits : "ACIP - Service DSI"
entraliser le judaïsme sans pour autant
le réformer dans ses fondements, tel est
l'objectif que se fixent le grand rabbin et
les membres laïques (élus par mi les
notables de la communauté) pour bâtir
l'institution consistoriale. Dans le
premier bureau composé en février 1809, on trouve
donc Michel Seligmann, grand rabbin et pour laïques
les banquiers Olr y Wor ms de Romilly et Benjamin
Rodrigues, le rentier et propriétaire Isaac de Oliveiras
et le négociant Aron Schmoll. Les membres resteront
les mêmes au cours de l'Empire. D'abord installé dans
une pièce de la synagogue Sainte-Avoie, le bureau se
déplace ensuite rue Michel le Comte, toujours dans
l'arrondissement où se trouve la majorité des Israélites
notamment alsaciens, lorrains et rhénans.
Puisque le décret du 11 décembre 1808 précise qu'il
y aura une synagogue consistoriale par circonscription,
le Consistoire de Paris estime qu'il faut supprimer les
26 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
BICENTENAIRE
laïques qui auront un " habit français, veste, culotte,
bas noirs et un petit chapeau à la française. "
Il investit d'autres domaines qui concer nent
davantage la vie privée des fidèles. Les mariages en
plein air ou dans les appartements sont interdits et
doivent être célébrés par le grand rabbin dans " les
édifices destinés aux cérémonies du culte ". L'union
doit d'abord avoir été confirmée par l'officier de l'état
civil sinon elle est annulée. Quiconque ne respecte pas
ce règlement s'est alors marié clandestinement et peut
être dénoncé à la police par les administrateurs. Le
divorce religieux ne peut être obtenu que si le mariage
a été " déclaré dissous par les tribunaux compétents et
selon les formes voulues par le Code Civil. " Comme
nous le constatons, le Consistoire respecte fermement
les décisions du Grand Sanhédrin.
Par le décret de 1804 qui place les cimetières sous
l'autorité des communes puis par l'arrêté préfectoral
de juin 1809 qui concède au Consistoire une partie du
cimetière du Père L achaise pour les inhumations,
l'institution décide la désaffection des deux anciens
cimetières israélites situés à L a Villette pour les
Portugais et à Montrouge pour les Allemands et établit
un service des inhumations qu'il confie par la suite à
la Société d'encouragement et de secours. L a
tarification varie selon la condition sociale mais il est
exigé un cérémonial pour le convoi funèbre avec deux
chevaux et un sobre corbillard et surtout quatre
porteurs qui doivent avoir " des habits gris, des
pantalons noirs, des chapeaux garnis de crêpe et des
gants de castor noirs. " Toute veillée mortuaire doit être
autorisée par le Consistoire qui envoie un surveillant.
Mais le Consistoire israélite de Paris, comme les
autres consistoires, ne se limite pas à intervenir dans
le culte. Il entend bien régénérer les Israélites par les
métiers utiles et contrôler le paupérisme qui touche
près de 60% de la population. Aussi, s'attaque-t-il aux
sociétés de secours mutuel et veut les regrouper
estimant que " les confréries qui existaient ne peuvent
être tolérées. Notre culte a été organisé par S.M.
l'Empereur et Roi : nous avons été nommés pour en
surveiller l'exercice et pour faire le bien de tout Israël."
Les confréries résistent mais sont néanmoins dissoutes
en novembre 1809 pour constituer la Société
d'encouragement et de secours qui deviendra le Comité
de bienfaisance israélite de Paris. Face au nombre
croissant d'indigents qui s'installent dans la capitale
Centraliser le judaïsme sans
pour autant le réformer dans
ses fondements, tel est l'objectif
que se fixent le grand rabbin et
les membres laïques (élus parmi
les notables de la communauté)
pour bâtir l'institution consistoriale.
dans l'espoir d'y connaître un meilleur sort, le
Consistoire propose alors d'interdire la mendicité et de
faire expulser les plus pauvres ! En 1812, la préfecture
décide l'exclusion des juifs étrangers non domiciliés
dans la capitale et qui ne bénéficient pas d'un permis
consistorial mais autorise la création de sociétés d'aide
placées sous le contrôle de l'institution.
L a population israélite d'environ 5 000 âmes est
désor mais, non sans résistance, sous le contrôle
consistorial qui, au nom de la régénération, modifie
profondément les usages communautaires. Fort du
soutien gouvernemental, le Consistoire adopte souvent
des mesures répressives pour mener à bien l'œuvre
émancipatrice alors que les fidèles vivent encore sur
des modèles hérités de l'Ancien Régime. Sans doute
est-il à l'image de l'administration impériale :
autoritaire et centralisateur. Il n'empêche qu'il établit
les bases mêmes du judaïsme parisien qui perdureront
au cours du siècle et qui transfor meront le juif en
israélite français au nom de sa devise adoptée dès 1809
" Patrie. Religion ".
Le grand rabbin Michel Seligmann
(1739 - 1829)
N
é à Phalsbourg (Moselle) vers 1739,
Michel Seligmann est issu d'une
famille très pieuse comme il en
existait dans l'ensemble des villages
lor rains. Sans doute, connaît-il le
même parcours religieux que la
majorité des garçons juifs : jusqu'à l'âge de six ans
l'apprentissage de l'hébreu et de la Torah avec son père,
puis entre six et douze ans l'entrée à l'école ou 'héder
avec un maître qui lui inculque la Michna et les
rudiments du Talmud, enfin une formation talmudique
dans l'une des yéchivoth alsaciennes d'Ettendorff ou
de Westhoffen ou bien dans le célèbre centre de Metz.
En tant qu'élève vraisemblablement brillant, il a du
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 27
BICENTENAIRE
poursuivre ses études en Rhénanie pour obtenir le titre
de rabbin.
Eut-il par la suite une charge rabbinique dans une
communauté ? Ce qui est certain, c'est qu'en 1786, il
est aux côtés de David Sintzheim pour enseigner le
Talmud à la yéchiva de Biescheim fondée par Cerf Berr.
Il n'est pas impossible qu'il ait été auparavant l'un des
précepteurs des enfants de cet illustre notable alsacien.
Marié au début des années 1780 avec Babeth Lazard
de Mutzig, il aura quatre enfants qui, lors de la prise
de nom en 1808, choisiront celui de Michel.
Les troubles anti-judaïques qui se produisent en
Alsace au cours des années 1794-1796, sont peut-être
à l'origine de son départ vers Paris avec des membres
de la famille Cerf Berr. Son savoir talmudique l'impose
alors comme rabbin de la communauté allemande dans
la synagogue de la r ue des Petits- Champs-SaintMartin. Il devient alors le chef spirituel des 500
Israélites de la capitale. Dès 1806, il conseille déjà les
notables pour l'Assemblée et l'année suivante, il fait
partie du Grand Sanhédrin. " Honnête, loyal, attaché
à sa religion mais sans fanatisme " selon un rapport de
la préfecture en 1808, il est désigné pour devenir le
premier grand rabbin du Consistoire israélite de Paris
et officie en la synagogue Sainte Avoie puis en 1822
en celle de la rue de Nazareth.
Secondé dans sa tâche par les membres laïques et
par son ami David Sintzheim, il fait alors appliquer les
28 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
décisions doctrinales du Grand Sanhédrin sans
véritablement s'opposer à l'œuvre régénératrice.
Néanmoins, il interdit la présence des femmes aux
côtés des hommes lors des mariages et veille à ce que
le déroulement du culte soit conforme à la tradition.
Avec la disparition de David Sintzheim en 1812, il
bénéficie des conseils d'Abraham de Cologna et
participe au développement des écoles consistoriales
“Honnête, loyal, attaché à sa religion
mais sans fanatisme”
à partir de 1819. Comme les grands rabbins de sa
génération, il ne domine pas la langue française et
continue à prononcer les sermons en judéo -alsacien.
Ses allocutions sont souvent traduites par Elie Halévy,
secrétaire du Consistoire et père du compositeur
Fromenthal Halévy.
Lorsqu'il décède en octobre 1829, les membres
laïques proposent d'exposer son corps en la synagogue,
ce que refuse le grand rabbin du Consistoire central
Emmanuel Deutz. Il repose au cimetière du Père
Lachaise.
Signe des temps, il fut le dernier grand rabbin à être
désigné sous le titre de "rabbi". Désor mais, son
successeur Marchand Ennery sera appelé " Monsieur
le Grand Rabbin.”
Ph.L.
DOSSIER
JUIFS D’ALGÉRIE
La mémoire algérienne
de Simon Darmon
N
ous recevons un ouvrage
des plus précieux
qui rassemble une
grande partie de notre
mémoire : Contes et
récits des Juifs d'Algérie
(Paris 456p., 22€). L'auteur et compilateur
est un Algérois de Jérusalem, Simon Darmon, dont on connaissait déjà quelques
travaux notables dont Le livre de nos coutumes et La Haggada d'Alger, publiée en
fac-similé à Jérusalem en 1975, d'après un
exemplaire de sa propre collection. Le tome
volumineux qu'il nous donne aujourd'hui
est né de la volonté de Simon Darmon de
rassembler les pans déchirés de notre manteau : arpenteur de mémoire, il a interrogé,
consulté, lu, recueilli et voilà qu'au terme
il nous fournit un livre qui dit et rappelle
l'essentiel. À savoir que nous étions une
communauté structurée et homogène, profondément religieuse aussi, et que, durant
nos plus de vingt siècles de présence en terre (après coup appelée) algérienne, nous avions bel
et bien constitué une culture,
avec son langage, son rituel, ses
légendes, ses grands hommes
(et femmes), son histoire, ses
coutumes. Le rabbin Léon Askenazi, natif d'Oran, qui a su
apprécier les cultures de la diaspora en voie d'extinction, a pu
écrire à ce propos : " La communauté juive algérienne s'est
transplantée ailleurs et, de toute
évidence, l'authenticité de sa
dimension culturelle était attachée à un paysage historique et
culturel qui ne se reconstituera
plus. On peut le regretter, pas
seulement pour la culture juive
telle que je l'ai connue en Algérie, mais également pour les cultures de toutes les juiveries qui
se sont constituées partout, à tra-
PAR ALBERT BENSOUSSAN
vers les siècles, pendant les 2 000 ans de
la diaspora ". Sauf que ce paysage a persisté sous forme de géographie humaine
et peut se retrouver au détour du Kikar de
Netanya, dans les rues d'Ashdod, dans les
immeubles de Jérusalem qui font face au
désert de Judée ou la belle maison du
regretté André Chouraqui en bordure de
ville. Car c'est bien d'Israël que nous
revient cette mémoire juive recomposée.
Simon Darmon prend plaisir à parcourir, dans le souvenir, les rues de son Alger
natal : ici la rue de la Lyre, haut lieu des
tissus et soieries, où tous les commerçants
étaient juifs, là le marché de Chartres, souk
inouï où tout était achetable et vendable ;
le parcours englobe, certes, les principales synagogues de la ville et leurs rabbins,
et ce n'est pas pour rien que Simon Darmon fut élève cinq années durant à l'École
rabbinique d'Alger - qu'il décrit, pour cela,
comme pas un. Le cimetière Saint-Eugène
n'est pas oublié, pas plus que l'école de l'Alliance, rue Suffren et rue Bab-el-Oued, non
plus que la basse et la haute Casbah, avec
la description d'une inénarrable course de
carrioles - à laquelle nous avons tous participé. Mais, sortant du cadre étroit de la
capitale, il nous donne une chronique de
(presque) toutes les communautés juives
d'Algérie, évoquant la synagogue de Bône,
la tombe du rab de Tlemcen, les rues
encaissées de Constantine, la splendeur
rayonnante de Blida, les hautes terres de
Boghari et de Médéa. Et voilà pour la géographie. Mais il y a aussi l'histoire, jamais
oblitérée, qui est celle de ces rapports à la
fois fraternels et conflictuels avec le monde
arabo-berbère. Celle-ci apparaît le plus
souvent, d'ailleurs, à travers histoires et
historiettes, et le sel de ces pages tient à
l'humour - qui est toujours saine distance
envers le tragique ou le dramatique - avec
lequel les menus faits sont rapportés. Et
puis, ces figures exemplaires du
judaïsme algérien, au premier
rang desquels, les fameux rabbanim espagnols d'Alger, qui
codifièrent dès le XV° siècle le
judaïsme algérien, et dont la
mémoire est prolongée dans la
synagogue des rabbanim à
Netanya, avec au mur du fond
la photo du Grand Temple de la
place Abraham-Bloch, dans la
Casbah, et son saccage en 1960
; le grand Ephraïm Elnkaoua,
qui créa de toutes pièces, à la fin
du XIV° siècle, le kahal de
Tlemcen, et dont la tombe est
l'objet de la plus grande vénération, encore aujourd'hui ; et plus
près de nous, entre autres illustres figures, le grand-rabbin
Rahamim Naouri, qui s'embarqua de Bône en 1962, en enveloppant autour de sa poitrine cet
illustre et historique Séfer-Torah
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 29
DOSSIER
dit la Ghriba, échappé à l'Inquisition espagnole, qu'on peut aujourd'hui contempler
et pieusement baiser à la Yechiva de
France à Jérusalem ; et tant d'autres,
comme Sidi Fredj Halimi, grand-rabbin de
Constantine, qui a aussi, aujourd'hui, une
synagogue sur le kikar de Netanya ; et ses
belles figures contemporaines que furent
l'aumônier-en-chef (pendant la guerre d'Algérie) Charles Kamoun (dont le fils vit à
Netanya), le regretté rabbin Cohen-Solal
qui apprit l'hébreu et les prières à tous ceux
de ma génération au sein de l'Alliance
Israélite, et le h'akham de Bab-el-Oued,
qui éblouit par sa science talmudique notre
enfance, Aïzer Cherqui, et dont toute la
descendance est à Jérusalem. Sans oublier
notre cher Jacques Lazarus, qui marqua
si fortement de son empreinte, par son
combat au sein des institutions juives, l'histoire tourmentée de l'Algérie, de la Libération à l'Exode.
Et puis il y a cette foule d'historiettes,
souvent drôles, avec tous ces mots de pays,
en judéo-arabe, qui fondent notre folklore
; tous ces rites aussi, typiquement algérois,
ces superstitions -- dont l'auteur ne manque pas de souligner l'excès -- : la lame de
couteau glissée sous le berceau pour couper le mauvais sort, la main de fatma
contre le mauvais œil, l'eau qu'on jette sur
celui qui part afin qu'il revienne, et toutes
ces poudres qu'on brûlait pour chasser les
mauvais esprits, ou qu'on portait sur soi
pour protéger son chemin (un jour, guère
lointain, j'ai retrouvé au fond d'une poche
de pantalon un sachet de poudres que ma
mère avait glissé pour que je sois reçu à
mes examens : mais comme j'étais déjà
professeur et avais fini mes études, j'ai jeté
ce talisman ; hélas ! étant génétiquement
superstitieux, comme on savait l'être en
Algérie, chaque fois que m'arrive un pépin
je me désole sur cette absence de poudres
magiques).
Simon Darmon rapporte aussi de savoureuses blagues de chez nous, comme de
prêter à cette mama juive ce bon mot : "
Mon fils, descends du soleil, tu vas attraper un coup de terrasse ! ", ou d'attribuer
à un mari vieillissant cette drôlerie : " Ma
femme a 60 ans, mais comme elle est
sourde, elle ne les pas entendu sonner ",
ou encore de rapporter cette répartie très
populaire chez les Juifs d'Algérie : " La culture c'est comme la confiture : moins on en
a et plus on l'étale ". Et pour prouver que
la mémoire est comme la poussière, dans
l'étroit carcan du sablier, qui ne cesse de
s'écouler, eh bien, j'ajouterai pour finir cette
anecdote, que je dédie affectueusement à
Simon Darmon ; " Aux temps de l'Algérie
française, dans le sillage de Vichy et des
nombreuses vexations à notre encontre,
nous savions lutter et résister. Dans la rue
de Lyon, au quartier de Belcourt, Ange
30 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
Tibika, qui était le premier haltérophile de
toute l'Algérie, bondissait et rugissait sous
l'insulte : Monsieur, s'écriait-il à l'adresse
l'insensé et imprudent antisémite : Tyépafou, retire, tu vois pas que c'est Tibika et
qu'il va te massacrer ? " Et voilà pour notre
Et puis il y a cette foule d'historiettes,
souvent drôles, avec tous ces mots
de pays, en judéo-arabe.
de celui qui avait proféré 'sale Juif !', je vous
demande à deux genoux de retirer l'insulte,
je vous le demande à deux genoux, car
sinon… je vais être forcé de vous tuer ! Et
il s'avançait, poings en avant et roulant des
épaules. Alors la foule se massait et il y
avait toujours quelqu'un pour sermonner
folklore. Après avoir lu, dévoré et savouré
ce livre, on se console de l'avoir si vite fini
en se disant que la compilation n'est jamais
achevée, et que Simon Darmon, qui sait
veiller au grain… et le moudre, saura bien
donner une suite à cette valeureuse récupération de notre mémoire juive d'Algérie.
Rimonims
DOSSIER
JUIFS D’ALGÉRIE
Jules Roy :
la saga
de l'Algérie
Pour le centenaire de la naissance
de Jules Roy, l'autre grand écrivain d'Algérie après Albert Camus, les éditions
Omnibus nous offrent la somme romanesque de " Julius ", rassemblant en un
volume les six livres de cette saga qui
commence par le débarquement des troupes du général de Bourmont en 1830 et
s'achève sur le départ précipité et dramatique des " pieds-noirs " en 1962. Cette
saga a fait l'objet d'une brillante adaptation à la télé, dont nous trouverons trois
épisodes joints en cédérom. Vaste fresque
brossée avec un lyrisme permanent, tant
fut forte l'émotion du vieil écrivain, retiré
à Vézelay, à qui l'on demandait de retracer - ce que lui seul pouvait faire ? cette
saga tourmentée et tragique, romanesque à souhait, qu'il allait mettre dix ans
à écrire, avant de succomber à l'aube du
troisième millénaire.
Nous ne reviendrons pas sur tous les
épisodes de la tumultueuse histoire de
l'Algérie, ni sur le jeu de massacre des
képis étoilés au dernier chapitre, dans la
débâcle de " l'aventure " algérienne, mais
nous ne manquerons pas de nous
intéresser au magnifique volume du "
Maître de la Mitidja ", clouant au pilori
d'une plume vengeresse cet antisémitisme
algérois post-dreyfusard, dont nos anciens
se souviennent encore. Jules Roy
évoquera le destin tragique de ce Bacri
qui a trouvé refuge chez le généreux
instituteur (personnage chez qui l'auteur
a mis beaucoup de son propre père),
l'arrivée au port d'Alger de l'ignoble
Drumont, tout auréolé de son pamphlet
La France Juive et qui, pour la honte de
la société blanche d'Algérie, est élu
député de la capitale ; saisissant est le
portrait brossé par Jules Roy de cet
homme laid, ratatiné et crochu, qui
embrasa tant de foules haineuses contre
les Juifs ; l'auteur nous citera quelques
vers particulièrement ignominieux de la
" Marseillaise antijuive ", il évoquera cet
apéritif de si mauvais goût qu'on appelait
au début du XX° siècle à Alger ”L'Antijuif"
; il évoquera, enfin, les hordes de Max
Régis, cet Italien d'Algérie, qui lèvera des
ligues et des troupes pour combattre,
humilier, voire assassiner de paisibles
Juifs, qui étaient pourtant bien chez eux,
Jules Roy
comme le souligne Julius ; jusqu'à cette
ultime " youpinade ", dont l'effroi conduit
le Juif Bacri à se trancher les veines pour
échapper à ses persécuteurs.
La leçon du maître aux turbulents
apôtres aussi. Quand vous allez à l'église
et que vous priez, vous priez des Juifs ",
et la leçon s'orientera ensuite vers la
déclaration des droits de l'homme :
"Libres, égaux en droits, oui, tous les
hommes ! Blancs ou Noirs, Juifs ou
Arabes, tous naissent et demeurent libres
et égaux en droits". Pareille leçon est
toujours d'actualité. Jules Roy montre, audelà de sa sympathie, qu'il connaissait
bien cette communauté juive, dont il
évoque, par exemple, le curieux et
séculaire " Pourim " dit d'Alger, où les Juifs
? dont mon père jusqu'en 1962 ? faisaient
un jour de jeûne pour commémorer
l'échec de Charles-Quint devant le port
d'Alger, en parfaite solidarité indigène
avec la population musulmane. Ailleurs,
il citera en exergue un bout de notre
Haggada de Pessah. Bien sûr, cela
n'occupe que quelques chapitres de ce
roman au long souffle, mais c'est assez
pour nous dire où allaient les choix
politiques de Jules Roy, un militaire qui
jugea sévèrement ses anciens camarades
et leurs " bêtises " comme le souligne le
colonel Griès, son porte-parole dans le
roman.
Portrait en pied de cet écrivain qui,
fidèle aux leçons d'un Montaigne et
plaçant au plus haut son idéal humaniste,
ne cesse en parlant d'Algérie de parler de
Quand vous allez à l'église et que vous priez,
vous priez des Juifs
"sauvageons" dont il doit assurer
l'instruction est un des morceaux de
bravoure du livre : " Le Christ était d'abord
un Juif ? lance le maître à ces ahuris ?.
Sa mère et son père, encore des Juifs. Les
lui, de son combat et de ses amertumes.
Mais aussi de l'exquise saveur des
cerises d'Icherridène.
A.B.
Le savoir innocent
PAR ANNIE AYACHE-LELIÈVRE
Aujourd'hui, des voix juives nous
parlent de l'Algérie. Elles ressuscitent
avec émotion le pays perdu. Une rue, une
maison, une lumière. L'évocation fait
revivre ce que les êtres ne vivront plus.
On mesure à quel point le départ fut
cruel. Et irréversible. De cet exil, on ne
revient pas. Reste la nostalgie… La
tristesse réanime des séquences de vie et
des visions anciennes. Dès lors ces exilés
qui ont perdu leur terre, au moins ils
peuvent s'en souvenir.
Mais les autres… ceux qui sont nés "
après "… ou ceux dont les parents étaient
partis avant… ceux qui n'ont pas vu
l'Algérie où toute leur famille a vécu, sont
comme exclus de l'exil-même. Car pour
eux nul repère… Nul support tangible…
Littéralement coupés du sol de leurs
racines, privés de tout regard sur une
Algérie inconnue, ils n'ont que les paroles
des parents. Le nom des rues, les
habitudes… le bain maure avec les
enfants… les matelas dans la cour où l'on
dormait l'été tant il faisait chaud.
Les descendants des juifs d'Algérie
n'ont que des souvenirs de souvenirs. Ils
recomposent la vie avec des petits bouts
de récits familiers qui, sublimés par
l'affection, s'animent et se spatialisent.
A écouter ainsi ceux qu'on aime, on
intègre leur histoire comme si c'était la
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 31
DOSSIER
nôtre. Quelques noms prononcés : rue
d'Arzew, la Place d'Armes… Et les
sonorités suffisent à faire image…
Miracle de la transmission. Elle franchit
les générations, traverse les millénaires
comme si c'était une vie. Ainsi lorsqu'un
juif se rend à Jérusalem, il pleure devant
le mur des Lamentations, comme celui
qui revoit la maison où il est né.
L'exil n'a pas découragé cette mémoire.
Au contraire. Paradoxalement l'exclusion
va de pair avec une appropriation totale
du passé. Le départ est une tragédie qui
fonde une renaissance. C'est ainsi qu'elle
assure à la tradition juive une persistance
inouïe.
Le Dalaï-Lama s'en étonnait lui-même:
"Comment faites-vous ? … Nous, en deux
ou trois générations, tout se perd… ". Et
en effet les peuples, en quittant leur pays,
quittent leur appartenance. Pourtant la
mémoire juive affirme sa constance en
dépit des ruptures et de l'éloignement.
Dès lors qu'est-ce qui résiste
irréversiblement ? Marcel Proust écrit : "
La mémoire de l'être le plus successif
établit chez lui une sorte d'identité. " C'est
dire que le souvenir ne transmet pas
seulement des savoirs linéaires : il restitue
la structure-même et constitue l'être
pluriel, traversé par l'Histoire et fondé par
la Loi.
Pourtant le plus souvent il ne la connaît
pas. De la religion, il n'a gardé que des
bribes… Le respect de Kippour, les
galettes de Pessah et les plats pour les
fêtes… Mais faute d'avoir appris,
l'ignorant peut encore, dans le plaisir du
goût, ressentir son histoire… " Savoir " et
" savourer " ont la même étymologie. Et
cette synonymie est une chance pour la
tradition : quand le " savoir " a disparu, il
reste la " saveur "… Et de même qu'il
existe, selon les plus fervents de l'Union
libérale, la " religion du cœur " et la "
religion des pratiques ", on pourrait
ajouter la " religion du goût "…
Dès lors la préparation des gâteaux fait
office de rite sacré : " Maman, tout ce que
tu connais du judaïsme, c'est les cigares
au miel ! " disait un fils à sa mère juive…
Et il avait raison. Mais elle aussi avait
raison d'alimenter, si l'on peut dire, à
travers la pulsion nourricière, la
persistance du passé.
Sagesse ou dérision… la spiritualité
s'inscrit là où elle peut… mais l'être ne
varie pas puisqu'il garde en mémoire une
histoire qui lui est donnée.
Il y a un parallélisme entre la succession des exils et la complexité du sujet.
Comme si l'exil à répétition définissait,
en lui, des traces internes, des strates, une
superposition. Autant dire que tout juif
hérite d'une structure qui ne le quittera
pas. Même s'il ignore la Loi, il est
dépositaire d'un savoir innocent. Il ne sait
32 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
pas ce qu'il sait. Il sait ce qu'il ne sait pas.
Tout au long de sa vie, il décline malgré
lui sa référence ancienne, au gré de
l'espace et du temps.
Cette continuité s'inscrit dans le
langage quand d'une œuvre à une autre,
les signifiants circulent. Le livre du peuple
juif - le Talmud - montre l'obstination des
interprétations qui s'engendrent l'une
l'autre comme une suite sans fin : " le
commentaire du commentaire… "
C'est dire que le langage naît de luimême et ne cède pas. Quel que soit son
registre, tout écrit restitue les relais
linguistiques qui fondent la " passation ".
Et pour prendre un exemple, il suffit d'une
chanson : ainsi " Les feuilles mortes " …
Une succession du texte sur trois
générations… Comme dans la dédicace
qu'inscrit Léo Rosten en tête de son
ouvrage sur " Les joies du Yiddish " : " A
mes enfants, à leurs enfants, et aux
enfants des enfants de mes enfants "…
Ainsi la vocation de " l'être successif "
c'est la transmission-même. Il ne
revendique pas l'originalité. Être " original
" pour un juif, c'est être fidèle à l'origine.
Dès lors qu'il soit instruit ou non de la
Torah, qu'il soit religieux ou pas, son
judaïsme le constitue.
Une condition lourde à porter. Elle n'a
pas l'arrogance d'un " Je suis " triomphant
! Car il n'y a pas le choix. Être juif c'est ne
pas pouvoir ne pas être ce qu'on est.
On mesure à quel point le départ fut cruel. Et
irréversible. De cet exil, on ne revient pas.
Reste la nostalgie… La tristesse réanime des
séquences de vie et des visions anciennes.
Dès lors ces exilés qui ont perdu leur terre,
au moins ils peuvent s'en souvenir.
Elle réfère en effet à une autre chanson
qu'elle cite et qui disait : " les feuilles
mortes se ramassent à la pelle "… C'est
ainsi que la chanson de Prévert et Kosma
va se construire elle-même autour d'une
" citation "… Pour ce qui est de la mélodie,
Kosma s'est inspiré, paraît-il, d'un air du
folklore yiddish. On ne
connaît ni la référence du
texte ni celle de la musique.
Mais l'une et l'autre restent
vivantes à travers la nouvelle
chanson.
D'ailleurs
la
transmission ne s'arrête pas là
puisque Serge Gainsbourg a
repris, quant à lui, les mots de
la chanson de Prévert et
Kosma pour écrire le début de
sa propre chanson : " Oh je
voudrais tant que tu te
souviennes… " Et il poursuit :
" Cette chanson était la tienne
"…
Ainsi l'objet du souvenir
porte toujours sur une
chanson, car la chanson qui
se souvient va devenir ellemême l'objet du souvenir pour
une
autre
chanson…
Permanence de l'amour et du
langage aussi… La mélodie
varie, le contexte a changé
mais l'histoire est la même :
c'est toujours " la chanson d'la
chanson d'la chanson "…
Cette double négation ne se négocie
pas. Et on a beau vouloir en modifier les
termes : "pouvoir " plus … " être" moins…
s'adapter… faire comme si… On peut tout
falsifier. Impossible d'échapper à sa
définition.
A. A.L.
“De cet exil, on ne revient pas...”
CULTURE
LIVRES
Sténo sauvage
La vie et la mort d'Isaac Babel
PAR JÉROME CHARYN
Enquête approfondie après coup de foudre littéraire : Jerome Charyn entend pour
la première fois prononcer le nom d'Isaac
Babel lors d'un déjeuner avec son éditeur.
En librairie, il découvre les recueils de nouvelles du Russe : une attirance qui ne le
quittera plus. Dans l'ouvrage qu'il vient de
lui consacrer, nous plongeons d'emblée dans
l'univers d'un écrivain fascinant à la personnalité énigmatique et ambiguë " souffrant
de mytholepsie, un besoin de se mettre
constamment en avant ".
Isaac Babel est né en 1894 dans le quartier juif d'Odessa. Il mourra, fusillé sur ordre
de Staline en 1940. Son monde sera fait de
rencontres, de rêves et de fein qui le quittera pour étudier l'art à Paris où va naître
leur fille Nathalie-Makhno, les maîtresses
: la blonde Tamara Kachirina puis Evgenia
Gladoum/Iegov, la " seconde " épouse l'ingénieur Antonina, sans compter ces polonaises " aux bas blancs ". Parmi les rencontres, celle littéraire de Maupassant, et surtout celle de Gorki, en 1916 qui deviendra
son protecteur et lui conseillera de voyager.
En 1920 il s'engage pour quelques mois
dans le régiment de Cosaques du Général
Boudienny lors de la désastreuse campagne contre les Polonais en qualité de correspondant de guerre et se fait appeler Kiril
Lioutov (en russe : " sauvage, féroce ") jouant
avec aisance le rôle de " propagandiste et
embelliseur ". En 1921 paraît sa nouvelle "
Le Roi " ce Benya Krik (en russe : " le Hurleur ") au pantalon orange, maître incontesté du ghetto d'Odessa. Un choc, car
jamais on n'avait écrit comme cela. Puis ce
seront les " Contes d'Odessa " et surtout la
" Cavalerie rouge ". Jerome Charyn analyse
bien - tout comme pour les ouvrages suivants - le rapport entre les pulsions et les
masques de Babel et ses projections et affabulations dans les écrits de ses nouvelles.
Le voilà devenu un homme célèbre, il continue d'écrire, une " Autobiographiya " en
1924, des scénarios et des nouvelles, restant toujours aussi torturé et ambivalent.
Mais les temps vont tourner, sous la férule
stalinienne…
Un livre passionné, très bien documenté.
(Editions Mercure de France - 22,50e)
Sténo sauvage - La vie et la mort d’Isaac Babel
Le Monde à venir
PAR DARA HORN
Lors d'un cocktail de rencontres pour
célibataires dans un musée new-yorkais,
Benjamin Ziskind, la trentaine, tombe en
arrêt devant un petit tableau de Chagall,
une étude pour " Au-dessus de Vitebsk ".
Stupeur, car cette toile ornait autrefois l'appartement de ses parents dans le New-Jersey. Profitant de l'inattention des invités
rassemblés devant le buffet dînatoire, il
décroche subrepticement le tableau, le
glisse sous sa veste et quitte le musée en
catimini. Rentré chez lui, il appelle Sara
sa sœur jumelle, mariée à Leonid, son
ancien " jumeau de bar-mitsva " russe. En
l'attendant, Benjamin rumine sur l'échec
de sa vie : ancien enfant surdoué, ancien
étudiant brillant, il n'est plus aujourd'hui
qu'un adulte raté affublé d'une profession
ridicule, obsédé par l'image de ses parents
décédés, contrairement à sa sœur, heureuse et sereine. Mais au musée, sa présence n'est pas passée tout à fait inaperçue par la jeune conservatrice, Erica Frank.
Démarre alors une véritable saga à tiroirs
et corridors multiples, s'emboîtant les uns
dans les autres. L'enquête débute en 1920,
à la colonie de Malakhova, maison recueillant les orphelins des pogroms russes où
Chagall et Kaganovitch (plus connu sous
le nom de plume Der Nister) enseignent
peinture et littérature. Tous deux sont frappés par le réalisme des dessins du petit
Boris Koulbak et invitent l'enfant dans leur
atelier, un monde de couleurs où le bleu
domine.
Fiction et réalité vont dorénavant s'imbriquer étroitement, permettant au lecteur
de naviguer avec aisance entre le passé et
le présent. Il va suivre le cheminement de
Chagall vers la gloire, celui plus sombre
du Nister demandant à la vie son sens, et
bien sûr celui de Benjamin, le héros du
roman, dans sa quête obstinée de
l'appartenance du tableau de Rosalie, sa
mère bien-aimée. (Editions Denoël et D'ailleurs - 24e)
Odette Lang
Dara Horn - Le Monde à venir
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 33
CULTURE
LIVRES
ENTRETIEN AVEC MAUD TABACHNIK*, ÉCRIVAIN
“J'aime l'idée
d'un Être innommé”
Qu'avez-vous voulu illustrer dans ce livre,
(Tous ne sont pas des monstres, Editions
Baleine La Martinière) qu'il y a des allumés,
des possédés et des gens qui jouent avec la
mystique aussi bien chez les juifs et chez les
musulmans ?
M.T. : Allumés et possédés procèdent
du fanatisme. Mysticisme peut se voir
comme une recherche d'une élévation
spirituelle. Si les mystiques musulmans
Si les gendarmes désertent c'est parce
qu'ils sont confrontés à l'irrationnel. Mais
n'oubliez pas les nombreuses zones de
non- droit des territoires de la République.
Dans votre livre les juifs sont très inquiets.
Ils craignent le retour de ce que "nos parents
ont connu", Là aussi il y a exagération.
M.T. : Une anecdote : je suis abordée
dans mon quartier par un couple de
jeunes juifs prospères accompagnés de
Les croyants par leur philosophie devraient
échapper à la haine qui alimente le coeur
des hommes.
et juifs peuvent avoir des points
communs, il n'en est évidemment pas de
même des deux fanatismes, même si celui
des juifs, pour ne pas être meurtrier, n'en
est pas moins préoccupant.
Le Djinn auquel a recours le mystique musulman et le Golem qu'invoque Nathan, par ailleurs professeur de khâgne, sont pour vous
frères ennemis. Janus d'une même face et "diaboliques créatures nées de l'esprit et du coeur
des hommes". Vous trouvez qu'il y a symétrie
entre les deux sociétés, la juive et la musulmane. Elles sont travaillées par les mêmes forces ?
M.T. : Avez-vous lu mon livre ? Ou
quelques autres que j'ai écrits sur ce
thème ? Alors je m'étonne de votre
question. Car la réponse est dans ce livre
et dans les autres.
Vous imaginez des villes en France entre
les mains des "barbus émeutiers", les faubourgs s'embraser dans cinq villes et le pays
au bord de la guerre. De plus les gendarmes
désertent le combat. Vous n'exagérez pas un
peu ?
M.T. : Ce livre n'est ni un essai ni une
enquête, mais un roman, et un roman est
par définition romanesque. Le talent d'un
romancier qui comme moi analyse notre
société, est de prévoir ou percevoir avant
les autres ce qui peut se passer (cf Les
cercles de l'Enfer, roman sur le terrorisme
écrit avant les événements. Editions J'ai
lu. Ou Douze heures pour mourir. Poche).
34 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
deux enfants qui, après m'avoir vue dans
une émission littéraire de la télévision,
me félicitent de ma détermination à
combattre le fanatisme musulman, et me
disent vouloir quitter la France. Je les en
décourage vivement et leur dis que, quant
à moi, je ne bougerai pas.
Chacun s'arrange avec ses angoisses.
Vous posez la question "Pourquoi dans la
plupart de ces villes de l'Est, c'est le cimetière juif qui est célèbre. Oui, pourquoi ?
M.T. : Parce que c'est dans les
cimetières que résident le plus de juifs de
ces pays- là, et peut-être aussi que c'est
là qu'on les préfère.
De plus le cimetière juif de Prague n'est pas
un cimetière mais "c'est un chaos".
M.T. : C'est comme ça que je l'ai
ressenti. Bien loin de l'ordonnancement
des cimetières occidentaux. Et bien plus
émouvant.
C'est bien la première fois que dans un polar
je vois Dieu écrit D'. Curieux, non ?
M.T. : Vous avez lu beaucoup de polars
sur ce thème ? Et pour être athée je n'en
suis pas moins informée. Et j'aime bien
l'idée d'un être innommé.
Qui sont par ailleurs ces "Révolutionnaires
de Dieu" que vous évoquez ?
M.T. : Pardonnez-moi, je n'ai pas
retrouvé l'expression dans le livre. Mais
si je suis pour la révolte, je suis de toute
façon contre les révolutions.
Vous trouvez vraiment que ce siècle est le
plus matérialiste qui ait existé depuis le début
de l'humanité ?
M.T. : Pas vous ?
"Le fanatisme est le poison des croyants",
écrivez-vous. Mais il y a aussi des incroyants
fanatiques et même criminels.
M.T. : Pourquoi pensez-vous que
j'évoque seulement le fanatisme religieux
? Le nazisme, le communisme et ses
dérives, ont été des fanatismes qui
ont autant étouffé la pensée libre
et empoisonné le coeur des hommes que
les fanatismes panthéistes, chrétiens,
musulmans, et j'en oublie beaucoup. Ils
sont comptables pour leur courte
période de vie d'autant de massacres et
d'horreur. Mais les croyants par leur
philosophie devraient échapper à la
haine qui alimente le coeur des hommes.
Hélas !
*Maud Tabachnik a écrit de très nombreux
livres de littérature policière. Sa dernière
œuvre Tous ne sont pas des monstres (
Editions Baleine La Martinière) met en
scène Nathan, un sage juif confronté à des
émeutes qui éclatent en banlieue.
CULTURE
CINÉMA
Les Méduses de Etgar Kerret et Shira Geffen
Pourquoi j'aime
le cinéma israélien
L
PAR THIERRY LE BOITÉ
'autre soir, à l'occasion de
Rosh ha-Shana, je confie à
quelques amis tout le bien
que je pense du film d'Etgar
Keret et Shira Geffen, Les
Méduses, et j'explique pour
quelles raisons je ne partageais pas la critique très mitigée de Jacques Mandelbaum
du Monde. Pour mon malheur, des oreilles bien trop indulgentes m'entendent et
me voilà embarqué dans la rédaction de
cet article. Je ne suis pas un spécialiste du
cinéma israélien, mais j'aime ce cinéma.
dans les rues de Jérusalem et confrontent
leurs relations amicales à la réalité du pays.
Autre cinéaste très talentueux : Eytan
Fox qui, après le très réussi Tu marcheras
sur l'eau, mêlant habilement les rebondissements d'une histoire d'espionnage avec
une réflexion sur la mémoire de la Shoah,
confirme dans The Bubble sa maîtrise formelle et son sens de la narration, alternant
le grave et le léger.
Une tout autre expérience cinématographique nous est proposée dans Les Méduses qui, comme chacun sait, se laissent
Quel autre cinéma, d'un petit pays,
peut offrir autant de diversité,
autant de nouveaux auteurs ?
Je le trouve extraordinairement riche, complexe, imprévisible, inventif.
Quel autre cinéma, d'un petit pays, peut
offrir autant de diversité, autant de nouveaux auteurs ? Au début de l'année, le
spectateur français aura pu découvrir Une
jeunesse comme aucune autre, réalisé par
Dalia Hager et Vidi Bilu. Une chronique
hyperréaliste, sensible et pacifiste dans
laquelle deux jeunes femmes patrouillent
dériver au fil de l'eau, au gré des courants… De même les personnages du film.
Pourtant, à la relative surprise du spectateur qui guettait, au détour d'un dialogue,
la révélation de la métaphore promise dans
le titre, cette rhétorique n'y sera pas explicitement développée même si la structure
du film s'en fait l'écho et invite le spectateur lui-même, - telle une méduse, à se
laisser entraîner par les personnages dont
les destins vont se croiser au fil du récit.
Ainsi, nous suivons tour à tour Batya,
une jeune fille un peu perdue, au regard
lunaire, qui se fait renvoyer de son travail
de serveuse et dont nous suivrons l'errance
tout au long du film, son improbable mère
hyperactive et absente, un couple en
voyage de noces bloqué dans un hôtel,
dont la mariée, une jambe dans le plâtre,
devient jalouse d'une belle voisine. Puis
Galia, une actrice qui joue dans un Hamlet très contemporain, et aussi Joy, une
employée de maison philippine, discrète
allégorie d'une relation impossible entre
Galia et sa mère aussi acariâtre que généreuse, Joy dont le visage illuminé soudain
crève l'écran lorsqu'elle téléphone à son
petit garçon resté à Manille.
Le parti- pris narratif est aussi une
manière de morale : en suivant successivement les destins qui parfois se croisent,
le spectateur découvre que tous les personnages ont leurs raisons. Certains passent, comme Joy, du statut de second rôle
à celui de figure principal. Ce changement
de point de vue qui, dans la narration
même, interroge les éléments de la fiction,
n'est pas le moindre charme d'un film dont
l'enjeu esthétique consiste justement à tenir
cet équilibre délicat entre empathie et distance, entre une chronique au plus près de
la sensibilité des personnages et l'effet de
distanciation inévitablement provoqué par
les ruptures du montage juxtaposant les
histoires plurielles.
Etgar Keret raconte qu'au départ, le scénario écrit par Shira Geffen, avait été proposé à plusieurs réalisateurs qui, confrontés à l'originalité du script, voulaient revoir
le ton d'une histoire jugée " trop triste pour
une comédie, trop réaliste pour un film surréaliste… ". Ce qui a finalement poussé
Etgar Keret, réalisateur du court-métrage
Skin Deep, à se lancer lui-même dans
l'aventure du long-métrage.
Heureuse initiative ! Car les talents
conjugués du couple nous ménagent bien
des surprises. Shira Geffen avoue beaucoup aimer Magritte et Pina Bausch. C'est
une piste. En effet, on peut penser à l'efficacité visuelle du surréaliste belge et à l'entêtante présence des corps fantomatiques
de la chorégraphe allemande dans les
séquences où figurent un marchand de
glaces tout à fait onirique et surtout le personnage mystérieux et mutique de la petite
fille. Lorsqu'elle émerge des vagues sur
une plage de Tel-Aviv, les mains tenant une
bouée autour de la taille, ses grands yeux
souriants sont comme une promesse. Pourtant, nous n'en saurons pas plus : elle traverse le film en gardant toujours sa bouée
et son mystère et ainsi, apporte à cette
chronique plutôt réaliste une dimension
imaginaire, voire fantastique que chacun
interprétera selon son envie.
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 35
CULTURE
ENTRETIEN AVEC YOHAN PEREZ, RÉALISATEUR.
Pourim 1946 :
l’énigme de Nuremberg
Yohan Perez, réalisateur de 36 ans, privilégie une approche
sociale de l'histoire. Il s'est immergé dans la Shoah, non par
réflexe identitaire mais au service de la mémoire collective.
Interpellé, lors d'une conférence, sur la mise en parallèle du
rouleau d'Esther et des dernières paroles d'un condamné de
Nuremberg, il a décidé d'en faire un documentaire. Pourim
1946 devrait sortir en salle courant 2008.
Yohan Perez avec l’affiche
du film Pourim 1946
PROPOS RECUEILLIS PAR DIDIER VALENTIN
36 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
CULTURE
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 37
LES PETITES ANNONCES
CENTRE
COMMUNAUTAIRE
DE PARIS
- Lundi 8 Octobre 2007
Début des cours d'Hébreu moderne.
- Dimanche 14 Octobre 2007
YOM CHEKOULO LIMOUD
Journée d'étude
JOURNEE PORTE OUVERTE
DU BETH HALIMOUD
24 Cours Chrono
Grande journée d'étude du Beth Halimoud, placée sous le Haut Patronage du Grand Rabbin
de France, Joseph Haïm Sitruk.
- Lundi 15 Octobre 2007
Début des cours du Beth Halimoud.
de ses royalties au profit des fonds sociaux de
la communauté. Contact : [email protected]
- Samedi 17 Novembre 2007 à 21h00
Musique Klezmer
Groupe Pad Brapad Moujika
Renseignement :
119, rue La Fayette - 75010 Paris
Tél : 01 53 20 52 52
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divorcé, cultivé, actif, bien physiquement,
traditionnaliste, stable, non fumeur, cherche
femme moins de 50 ans, équilibrée, indépendante, travailleuse, aimant culture, judaïsme,
voyages. Ecrire au journal qui transmettra.
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africaine, cherche partenaire sérieux dans la
Au Programme :
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le Grand Rabbin de Paris, David Messas.
de la licence de marque
- 10h30 à 13h00 : 12 cours non-stop
moyennant royalties pour
- 13h00 - 14h30 : Déjeuner (sur réservation) la fabrication et la
- 15h00 - 18h00 :
distribution des T-Shirts
12 cours non-stop
; Sweat-Shirts ; casquet- 18h30 : Intervention du Grand Rabbin de tes ; coupe-vent ; blouFrance Joseph Haïm Sitruk
sons. En reconnaissance,
- 20h00 : Collation de fin d'étude
il est prêt à verser 15%
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VERBATIM
ANTOINE GALLIMARD.
Editeur :
" Le livre qui était au cœur de notre
civilisation jusque dans les années
1970 a beaucoup perdu de son
prestige. Les rois de l'époque sont à
la télévision ".
GARRY KASPAROV.
Ancien champion du monde
d'échecs :
Ce n'est qu'en essayant et en
échouant qu'on apprend "
CHRISTIAN MILLAU.
Spécialiste de cuisine :
" Quand une société ne sait pas tenir
sa langue, elle bascule dans la
décadence "
DANIEL HERRERO.
Ancien joueur de rugby :
" Aucune époque n'est grande si elle
ne conçoit pas qu'un jour le fils peut
dépasser le père "
Dany Boon.
Comédien :
"Pour ma part, je me suis
converti au judaïsme et
je trouve que ma
belle-famille a une façon
très festive et très
rassembleuse de vivre
sa religion".
IDIR.
Chanteur algérien :
" Si je dois me rendre en Israël, il
faudrait que j'aie la liberté de me
pencher sur le problème du peuple
palestinien et d'en parler librement.
Je suis un homme libre et qui
assume ses choix. Quand j'avais
déclaré dès le début des années 70,
qu'il faut reconnaître le droit au
peuple juif d'avoir un Etat, je me suis
fait taper sur les doigts. Le président
Bouteflika s'est entretenu pendant
sept minutes avec le Premier
ministre Ehoud Barak lors des
obsèques du roi Hassan II, en juillet
1999, mais cela ne l'a pas empêché
de fustiger une délégation de
journalistes algériens qui s'était
rendue en Israël quelques semaines
plus tôt. Il faut en finir avec ces
contradictions " (Jeune Afrique. 22.
juillet 2007 ).
LE CARNET
Bat mitsva
Ludivine Esther Perez célèbre sa batmitzva le dimanche 21 octobre 2007 à
10 heures en la synagogue Berit Chalom 18, rue St. Lazare Paris 9ème
A Lorie, Harold et Roland ainsi qu'à sa
grand-mère Esther Perez, nous présentons
nos sincères félicitations. Mazal Tov
Mariages
Isalelle & David
M. et Mme Isaac Perez,
M. et Mme Jacques Muszkatblit
sont heureux de vous faire part du mariage
leurs enfants Isabelle Nina et David.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le Dimanche 14 Octobre 2007 à 15h30
à la synagogue de Lille.
Isabelle est la fille de notre ami Isaac
Perez, Président de la synagogue
Vercingétorix (14ème)
Félicitations aux parents et Mazal tov aux
futurs époux.
Virginie & Efraïm
Se diront “oui”
Will say “I do”
Zullen tegen elkaar zeggen “Ja”
Dimanche 21 octobre 2007 à 16h30 La cérémonie religieuse sera célébrée dans
les Jardins “Les Pyramides” à Port Marly
Nous souhaitons à Virginie et Efraïm
beaucoup de bonheur - un grand Mazal Tov
Félicitations à Juliette et Jules Abib les parents de la mariée ainsi qu'à Maurits
et Marjan Blog - les parents du marié.
Hachem, d'avoir la joie de vous faire part
de l'inauguration du Séfer Thora écrit et
dédié à la mémoire de leurs chers parents
Chalom et Messody Lasry “Zal”
Et vous prie de les honorer de votre
présence à l'écriture des dernières lettres
Le Dimanche 28 octobre 2007 à partir de
15h00.
A la Yéchiva Tom'hei Tmimim Loubavitch
de Brunoy - 2,bis Avenue du Petit Château
-91800 Brunoy
Nécrologie
Ses enfants, ses petits-enfants, ses
arrières petits-enfants, ses amis ont la
tristesse de vous faire part du décès
survenu le 22 août 2007, de Mme Juliette
Fredj née Elkaïm à MEDEA, le 21 avril
19202.
24, rue Jean Colly - 75013 Paris - et chez
Mme Deysson , 62, rue Domremy - 75013
Paris
Le mime Marceau
Le mime Marceau qui vient de s'éteindre
à l'âge de 84 ans était né à Strasbourg le
23 mars 1923( Lire la chronique de Guy
Konopnicki). De son vrai nom Marcel
Mangel, il avait changé de nom pour
échapper aux rafles antisémites. Son père
fut arrêté et déporté à Auschwitz. Marcel
s'était engagé avec son frère Alain dans les
rangs de la résistance en France et avait
tenté de sauver des enfants juifs. Il avait
l'habitude de dire : " Il y avait peut-être
parmi les enfants assassinés lors de la
Shoah un Mozart, un Einstein ou quelqu'un
qui aurait réussi à vaincre le cancer".
M. et Mme Bernard ANKRI Mme Josiane ANKRY
Ont la joie de vous faire part du
Mariage de leurs enfants
Laurence et Didier
La cérémonie religieuse se tiendra
en la Synagogue NAZARETH, le
Mercredi 31 Octobre 2007 à
13 H 30.
Laurence Ankri, est collaboratrice
au service “Traiteurs” du
Consistoire de Paris.
Nous leur souhaitons un grand
Mazal tov, ainsi que toutes nos
félicitations aux heureux parents.
Noces d'or
Nos excellents amis Esther
et René Amsellem ont célébré, le
30 septembre, leurs noces d'or.
Ils étaient entourés de tous leurs
amis.
Nous présentons à Esther et à
René nos félicitations et nos
meilleurs vœux d'une longue vie.
Mazal tov.
Inauguration
Sefer Torah
La famille Lasry remercie
INFORMATION JUIVE Octobre 2007 39
POST-SCRIPTUM
INTERROGATIONS
Elisha ben Avouya
D
es dizaines de légendes
ont, jadis, couru sur son
compte pour tenter d'expliquer l'énigme que fut
ce maître de la Mishna,
contemporain de rabbi
Akiva. Des centaines d'exégètes et d'interprètes de la littérature talmudique ont tenté
de comprendre l'itinéraire de cet homme
d'exception que les sages du Talmud appelèrent Aher ( Autre). Que s'est-il passé pour
que ce maître parmi les maîtres devienne
un jour un paria et un pestiféré pour ses
collègues ? Et pourquoi a-t-on alors minutieusement conservé ses dires dans le
populaire Traité des Pères (Pirké Avot)?
On connaît la thèse de Yehouda
Libess : pour cet éminent penseur juif,
ancien professeur à l'Université hébraïque,
Ben Avouya n'a jamais commis les différents " crimes " que telle légende lui
L'Istiqlal
pour mémoire
L
es dernières élections au
Maroc ont donc donné une
relative victoire au parti
politique le plus ancien du
pays : l'Istiqlal. Cette formation a, dès les origines,
compté dans ses rangs de grands leaders
et des intellectuels de qualité. Il en est un
cependant dont les juifs qui ont habité ce
pays, dans les années 1960 , ont des raisons de se souvenir: Allal el Fassi. C'était
une époque où la florissante communauté
qui vivait là était placée devant des choix
difficiles. D'un côté, il y avait peu de juifs
qui avaient pris part, d'une manière ou
d'une autre, au combat des Marocains pour
leur indépendance et de l'autre, ils se sentaient sincèrement attachés à ce pays. Or,
les forces nationalistes et à leur tête l'Istiqlal n'ont eu de cesse de s'en prendre aux
juifs en parlant d'eux, un jour, comme de
simples dhimmis ( protégés) et non comme
de citoyens à part entière . Leur liberté de
circuler était pratiquement réduite à néant
: les passeports ne leur étaient délivrés
qu'au compte gouttes. Si bien que le 10
40 INFORMATION JUIVE Octobre 2007
impute. Il a toujours gardé pour lui ses
doutes métaphysiques et n'a jamais versé,
contrairement à ce qu'on a prétendu, dans
le gnosticisme ou dans la philosophie dualiste. Libess considère que la seule faute
de Ben Avouya fut l'orgueil qu'il manifesta
même à l'égard des anges. Son erreur a
été, signe de l'admiration sans bornes qu'il
et à la culture occidentale. Une sorte de
symbole d'intellectuels flottant dans un no
man's land entre ces deux mondes. Nourit Bari étudie en particulier les différences, nombreuses, dans les récits des légendes qui existent entre le Talmud de Jérusalem et celui de Babylone.
Que s'est-il passé pour que ce maître parmi les
maîtres devienne un jour un paria et un
pestiféré pour ses collègues ?
se portait, d'accorder foi à la voix selon
laquelle " la repentance est possible pour
tous sauf pour Aher " .
Pourquoi parler de Ben Avouya ? Parce
qu'un nouveau livre vient d'être consacré
en Israël à ce personnage hors du commun
et qu'il paraît dans la désormais célèbre
collection " Le judaïsme, ici et maintenant"
(Yahdout , kane véakhchav ). Cette nouvelle enquête est signée d'une universitaire Nourit Bari qui considère Ben Avouya
comme le représentant des penseurs juifs
fidèles à la fois à la tradition de leurs pères
Ben Avouya a-t-il été puni parce que
les anges étaient assis alors que, selon lui,
ils ne doivent jamais s'asseoir ou bien estce parce qu'il est monté à cheval un jour
de shabbat ? Nourit Bari est d'avis que la
punition de Ben Avouya a pour origine le
conflit qu'il eut avec rabbi Akiva au sujet
de la permission donnée à tout homme de
choisir le bien ou le mal. A en croire notre
auteur, Ben Avouya professait, au contraire,
que c'est Dieu et non l'homme qui accorde
les permissions. Aussi bien aux anges
qu'aux hommes.
janvier 1961, un rafiot à bord duquel
avaient pris place 44 juifs marocains dont
24 enfants et qui avait quitté clandestinement les côtes au large de Tanger fit
naufrage. Il n'y eut pas un seul survivant.
Cet événement déclencha, dans les
quartiers juifs de tout le pays, une vague
de peur et d'inquiétude. Chaque père de
famille ne pensait qu'à la manière de quitter au plus vite cette terre devenue inhos-
pitalière. Et voilà que le chef de l'Istiqlal,
devenu ministre des Affaires islamiques,
autorise la conversion à l'islam de petites
juives mineures. Et chaque jour, le journal
Al Alam, organe de cette formation politique, publie des photographies de ces adolescentes (12-13 ans ) sous le titre " Elles
ont embrassé volontairement l'islam ".
Ce fut le début de la fin de cette communauté. Ce fut aussi une catastrophe historique : le Maroc aura pourtant été - si l'on
excepte cette période au cours de laquelle
l'Istiqlal aura joué avec le feu - un des rares
pays arabes et musulmans qui aura manifesté sa volonté de sauvegarder des relations d'amitié et d'estime avec sa population juive. C'est là qu'aurait pu se mettre
en place une philosophie politique de la
coexistence judéo- arabe.
Aujourd'hui, le Maroc donne chaque jour
les signes de modernisation et de démocratisation. Il montre également qu'il est
sensible à l'affection que lui portent, où
qu'ils se trouvent - en Israël, au Québec ou
en France - les juifs nés dans ce pays. La
preuve en est - s'il en fallait une - l'attention et l'intérêt que le Festival des musiques sacrées de Fès porte régulièrement
aux artistes et aux intellectuels juifs d'origine marocaine.
V.M
Alla el Fassi
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