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Diabète et société 37
Alors que nous pensons comprendre la connexion, les Nauruans connaissent, mieux que
personne, le lien entre un changement de style de vie néfaste et l’une de ses conséquences
dévastatrices, le diabète de type 2. Située dans le Pacifique central, à 60 km au sud
de léquateur, Nauru est la plus petite république indépendante au monde. Ses 10 000
habitants occupent une île corallienne unique dà peine 6 km de long sur 4 km de large.
La population est constite à 80 % de Nauruans indigènes d’origine micronésienne,
les autres 20 % provenant d’autres îles du Pacifique (principalement Kiribati et Tuvalu),
de Chine et d’Australie. L’histoire du diate à Nauru est étroitement liée au boom, puis
à l’effondrement de léconomie et des richesses tirées des mines de phosphate au cours
de la seconde moitié du 20e siècle. Avant lexploitation du phosphate, les Nauruans
avaient un style de vie actif typique des îles du Pacifique et une alimentation pauvre
en graisse. Dans les anes 1970, Nauru est devenu un pays richeentraînant un des
taux de diabète les plus élevés au monde.
Le diabète à Nauru :
le prix de la richesse
économique et de
loccidentalisation
Ruth Colagiuri et Si Thu Win Tin
Mars 2009 | Volume 54 | Numéro 1
Au début des années 1900, l’Allemagne
a commencé à exploiter les immenses
réserves de phosphate déposées par les
fientes d’oiseaux durant des siècles sur
l’île de Nauru. En 1970, peu après être
devenue la plus petite république indé-
pendante de la planète, Nauru a acquis
les droits d’exploitation du phosphate et,
grâce à cette hausse de revenu, est deve-
nue riche du jour au lendemain avec l’un
des revenus par habitant et des niveaux
de vie le plus élevés au monde
1
une
réussite d’un point de vue économique,
mais un désastre pour la santé.
Si le progrès économique présente des
avantages en termes d’infrastructures
(pour les soins de santé et l’éducation,
par exemple), de technologie, d’idées et
de croissance, elle a aussi des inconvé-
nients. La croissance économique expo-
nentielle engendrée par l’exploitation du
phosphate a en effet conduit à une occi-
dentalisation et une urbanisation rapides
de Nauru de même qu’à l’abandon du
style de vie et de la culture traditionnels,
et de leurs facteurs de protection contre
les maladies chroniques entraînant ainsi
une détérioration de la santé et l’appari-
tion de comportements malsains, tels que
le tabagisme.
L’enquête sur le diabète de 1975
Il n’existe aucune preuve claire de l’exis-
tence du diabète avant 1900, mais au
milieu des années 1900 la présence de
quelques cas de diabète semblait être re-
connue. Il a cependant fallu attendre 1975,
date de la première enquête sur le diabète,
pour prendre toute la mesure des terribles
proportions du problème.2 L’enquête a en
effet établi que la prévalence générale du
diabète était de 34,4 %. Autrement dit,
une personne de plus de15 ans sur trois
était atteinte de diabète et 11,3 % autres
étaient à haut risque de le développer. Le
tabagisme touchait quant à lui deux tiers
des plus de 15 ans (soit une prévalence
générale de 66,5 %).
Pour ceux d’entre nous qui ont connu une
croissance économique et des change-
ments de style de vie progressifs au fil des
générations, il est difficile d’imaginer la
vitesse et l’ampleur des bouleversements
vécus par les Nauruans. Ceux aujourd’hui
d’âge moyen ou plus âgés se rappellent
leur enfance et les jours heureux lors de ces
périodes d’opulence. Bon nombre d’entre
eux sont aujourd’hui sans emploi et éprou-
vent des difficultés techniques et financières
à se procurer des aliments sains.
L’exploitation du phosphate a dégradé le
sol à un point tel qu’il est devenu quasiment
impossible de cultiver des denrées alimen-
taires et que la plupart des produits de
première nécessité doivent être importés,
y compris l’eau douce, qui doit parfois être
amenée d’Australie. Le pays est desservi
par une seule compagnie aérienne qui
n’effectue qu’un à deux vols par semaine.
La nourriture, le carburant, les équipements
et les matériaux sont donc amenés par
bateau, mais les incertitudes engendrées
par la localisation en haute mer du port
de Nauru menacent l’approvisionnement
régulier de ces produits.
Le phosphate, seule ressource capable de
soutenir l’économie nationale, a été épuisé
de manière irréparable. Fin du 20e siècle,
la quasi totalité des réserves de phosphate
étaient épuisées et les dommages écolo-
giques dus à la surexploitation avaient
atteint des proportions catastrophiques.1,3
La fortune amassée à l’apogée de l’exploi-
tation du phosphate avait fondu comme
neige au soleil à cause d’une exploitation et
d’investissements malavisés. L’épuisement
des réserves de phosphate, la chute des
prix et les investissements peu judicieux
ont provoqué l’effondrement de l’économie
nationale à la fin des années 1990. En
ce début de siècle, Nauru n’a plus aucun
produit à échanger et hérite d’un fardeau
très lourd en termes de diabète et d’obésité,
les deux principaux problèmes sanitaires
du pays.
L’enquête Nauru-STEPS
Réalisée 30 ans après la première enquête
de prévalence, l’enquête Nauru-STEPS me-
née auprès de 2272 Nauruans âgés de
15 à 64 ans a établi que, malgré une
diminution de la prévalence générale du
diabète de 34,4 % en 1975 à 16,2 %
en 2004, celle-ci demeurait très élevée.4
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Pratiquement aucune
denrée alimentaire ne
peut être cultivée à
Nauru ; l’île doit donc
importer la plupart des
produits de première
nécessité, parfois même
jusqu’à l’eau douce.
Ainsi, après le retrait du groupe d’âge le
plus jeune de l’analyse de 2004, il est
apparu que la prévalence générale chez
les personnes âgées de 25 à 64 ans était
de 22,7 %. Avec l’âge, cette prévalence
atteignait 24,1 % pour les personnes âgées
de 35 à 44 ans, 37,4 % pour les 45 à
54 ans et 45,0 % pour les 55 à 64 ans.
Pour le groupe d’âge des 55 à 64 ans,
la prévalence était de 52,8 % chez les
femmes et de 37,4 % chez les hommes.
Un pourcentage élevé (82,2 %) de la po-
pulation présentait par ailleurs un surpoids
ou était obèse.
D’après l’enquête Nauru-STEPS, le taux
de tabagisme est en baisse depuis 1975,
mais demeure très préoccupant. En 2004,
la prévalence générale du tabagisme était
de 52,9 % pour les 15 à 64 ans et était
plus élevée chez les femmes (56,0 %).
Complications et conséquences
Si les richesses se sont envolées, le diabète
a quant à lui des conséquences néfastes
toujours plus grandes sur la santé des
Nauruans. Mais au-delà des souffrances
humaines, l’impact sur la productivité, la sta-
bilité économique et la pauvreté est énorme
– comme en témoigne une visite effectuée
dans un service de dialyse de Nauru.
Si on extrapole à partir de la taille de la
population et des données relatives à la
prévalence du diabète recueillies dans le
cadre de l’enquête Nauru-STEPS, 2150
personnes environ sont atteintes de dia-
bète à Nauru. Parmi celles-ci, 35 person-
nes étaient sous dialyse en 2006 et près
de 40 % sont décédées par la suite. Les
complications au niveau des yeux et les
amputations sont également fréquentes.
En 2006, le diabète était à l’origine de
12 amputations en dessous du genou et
de 3 au-dessus.
D’après le recensement réalisé en 2002
à Nauru, l’espérance de vie moyenne est
de 58,2 ans pour les femmes et de 52,5
ans pour les hommes des chiffres bas
auxquels le diabète contribue très certai-
nement dans une large mesure.
L’avenir
Le temps des richesses tirées de l’exploita-
tion du phosphate est aujourd’hui révolu,
même si l’exploitation semble se poursuivre
à petit échelle ; Nauru dépend désormais
dans une très large mesure de l’aide inter-
nationale pour survivre. Cette minuscule
nation est confrontée aux mêmes problèmes
de durabilité économique et environnemen-
tale que l’ensemble des sociétés contem-
poraines, mais sans les ressources et avec
le poids écrasant du diabète et la menace
de maladies infectieuses qui sont depuis
longtemps éradiquées ou sous contrôle
dans les pays développés.
Nauru connaît peut-être
des problèmes, mais il est
uni contre le diabète –
et des choses positives
devraient en découler.
Mais tout n’est pas négatif. Nauru affronte
l’avenir avec détermination et courage. Son
gouvernement est pleinement conscient des
proportions critiques prises par le diabète et
les maladies liées au style de vie qui lui sont
associées. Le gouvernement a donc décidé
d’investir de manière intense et avisée dans la
santé et la durabilité au travers de program-
mes qui permettront d’améliorer les soins
du diabète, ainsi que dans la prévention
du diabète par le biais de programmes de
promotion d’un style de vie sain (voir l’article
«Sus aux kilos en trop» dans ce numéro).
Le gouvernement est d’un grand soutien ;
les équipes de santé publique et de soins
du diabète sont dévouées ; la communauté
est engagée. De plus, Nauru vient de poser
sa candidature afin de devenir membre
provisoire de la Fédération internationale
du diabète. Nauru a connu une histoire uni-
que de conflits, d’occupation étrangère, de
richesse et, à présent, d’extrême pauvreté.
Le pays connaît peut-être des problèmes,
mais est cependant uni contre le diabète,
ce qui débouchera certainement sur des
choses positives.
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Ruth Colagiuri et Si Thu Win Tin
Ruth Colagiuri est professeur
assistante et directrice du service de
diabétologie du centre Menzies de
politique de la santé, à l’Université
de Sydney, en Australie.
Si Thu Win Tin est responsable de la
santé publique au sein du ministère de
la Santé de la République de Nauru.
Références
1 Pukrop ME. Trade and Environment Database
Case Studies. Phosphate mining in Nauru.
TED. Washington, DC, 1997. Available at
www.american.edu/TED/NAURU.htm
2 Zimmet P, Taft P, Guinea A, et al. The high
prevalence of diabetes mellitus on a central
pacific island. Diabetologia 1977; 13: 111-5.
3 Nauru. History, Economy.
http://en.wikipedia.org/wiki/Nauru#History
4 Secretary of Health and Medical Services
(Republic of Nauru); World Health
Organization Office for the South Pacific;
Centre for Physical Activity and Health
(Sydney, Australia). Nauru Stepwise
Noncommunicable Diseases Prevalence and
Risk Factor Survey (Nauru-STEPS). WHO
Office for the South Pacific. Suva, 2007.
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