L`accompagnement, un certain rapport des hommes entre eux

S
ciences-
C
roisées
Numéro 5 : Contributions libres
L’accompagnement, un certain rapport des hommes entre eux…
Christine Charpentier,
Maéva Duchène
Université de P
rovence
(Département des Sciences de L’éducation ; UMR A
D
EF)
L’accompagnement,
un certain rapport des hommes entre eux …
Résumé
Ce travail prend sa source dans la mise en lumière de la diversité des
discours sur les pratiques d’accompagnement à l’emploi. Nous nous
sommes attachés à préciser la relation particulière que les pratiques
professionnelles désignent par « accompagnement ». Si la posture
d’accompagnement est transverse, elle réfère néanmoins à une mission
d’éducation de l’autre, elle est un cas particulier d’intervention éducative,
un « être là » qui vise à l’émancipation, à l’autonomisation de l’autre.
Contrairement au guidage ou à l’un de ses modes particulier qu’est la
relation d’aide, dans l’accompagnement, la place conférée à l’autre n’est
pas celle du suiveur, mais celle de créateur de son propre chemin.
L’accompagnement est de l’ordre de la rencontre d’un autre. Forme
particulière d’étayage, ce qui est en jeu dans la relation d’accompagnement
est la qualité de la liaison, l’accompagnateur s’éloignant de toute attitude de
maîtrise. Pour travailler à partir de la confiance en l’autre, pour parier que
l’autre pourra se dépasser, l’accompagnement demande travail sur soi,
vigilance et questionnement éthique.
Mots-clés : Accompagnement Relation Aide Guidage
Autonomisation – Ethique
Abstract
This work takes its source in the highlighting of the diversity of speeches
on the practices of accompaniment in job. We applied ourselves to
specifying the particular relation which professional practices indicate by
“accompaniment”. If the position of accompaniment is transverse, it refers
however to a mission of education of the other, it is a particular case of
instructive intervention, one “to be alongside” which aims at emancipation,
at developing autonomy of the other. Contrary to guidance or to one of its
individual modes that is help relation, in accompaniment, the place
conferred on the other is not that of follower, but that of creator of its own
way. Accompaniment is in the order of meeting of the other. Particular
form of shoring up, what is at stake in the relation of accompaniment is the
quality of link, the accompanist moving away from any attitude of mastery.
To work from the trust in the other, to bet that the other will be able to
surpass himself, accompaniment asks for work on oneself, for alertness and
for ethical question setting.
Key words: Accompaniment Relation Help Guidance Autonomy
Ethics.
Parce que nous sommes à un stade de notre vie « l’on se pose la
question de ce qui a été effectivement acquis jusque-là, tant d’un point de vue
affectif que social » (Malarewicz, 2005, p.52) et à l’issue d’un travail sur nos
expériences, sur nos intentions, sur nos relations à l’environnement, nous
avons intégré un master professionnel en Sciences de l’Education. Le point
commun entre les enseignements tirés de nos expériences professionnelles
d’hier et nos aspirations d’aujourd’hui, réside dans notre conviction que
favoriser le développement de l’autre, l’aider à grandir, l’aider à se trouver est
un élément c tant au sein de l’entreprise qu’à l’extérieur. Le travail
d’enquêtes réalisé en début d’année universitaire nous a permis une rencontre
qui s’est avérée déterminante dans le choix de notre thématique de mémoire.
Ainsi, le fil rouge de nos travaux, de nos recherches, de nos questionnements
concerne t-il l’accompagnement, ou plus exactement la relation
d’accompagnement dans le type de rapports qu’elle induit entre
accompagnateur et accompagné.
Effet de mode ou nouveau paradigme existentiel pérenne, le terme
« accompagnement » appartient désormais au vocabulaire usuel des sciences
humaines et des sciences de l’éducation. La montée en puissance sur le
devant de la scène sociale de l’idée d’accompagnement s’est assortie d’un
développement exponentiel des pratiques « d’assistance », « d’aide », de
« conseil », de « tutorat », de « consultance », de « mentorat », de
« compagnonnage », de « coaching » avec des tentatives extrêmement
hétérogènes d’en donner des définitions et d’établir des consensus sur les
manières de faire. C’est au travers du prisme des théories que nous nous
proposons de rechercher des éclairages sur la nature et la fonction de la
relation d’accompagnement. Ainsi tenterons-nous dans un premier chapitre
de comprendre ce que serait une relation d’accompagnement en procédant par
la négative, c’est-à-dire en « évacuant » ce qu’elle n’est pas. Nous
consacrerons un second chapitre à la fonction de cette relation, nous
chercherons des éléments de réponse aux questions : « Que fait-on lorsque
l’on accompagne quelqu’un? Quelle cause sert-on ? ». Nous aborderons enfin
ce que nous qualifierons de «comment être » de l’accompagnateur pour que
sa pratique s’inscrive véritablement dans l’accompagnement et en serve la
visée.
1. La relation d’accompagnement, ce qu’elle n’est pas, ce
qu’elle serait.
1.1. « La démarche d’accompagnement, un signe des
temps » 1
1 (Le Bouëdec, 2002, p.13)
Si Paul (2004) nous précise que l'origine du « fond traditionnel » de
l’accompagnement, d'où toutes les formes actuelles revendiquent d'être
issues, se perd dans la nuit des temps (la question initiatique avec Homère, le
modèle maïeutique avec Socrate et le modèle thérapeutique avec Hippocrate),
nous concentrerons notre propos sur un rapide exposé des mutations de
civilisation qui se sont opérées au cours du dernier demi-siècle. Cette
incursion dans ce passé proche semble en effet pouvoir nous éclairer sur les
causes de l’émergence puis de l’envahissement du terme
« accompagnement » dans la plupart des domaines de la vie que sont
l’éducation, la santé, l’économie, la politique, la vie sociale ou encore
spirituelle.
Avant les années 60, les institutions, que ce soit la famille, l’école ou le
travail exerçaient une autorité naturellement admise et prescrivaient aux
individus leurs devoirs et le sens de leurs pratiques. C’est entre 1960 et 1975
que ces trois intégrateurs majeurs se trouvent ébranlés, des évènements tels
que Mai 68, la libération des mœurs ou l’après-concile Vatican II2
symbolisent une rupture avec les idéaux antérieurs. Avec les différents chocs
pétroliers, c’est à l’intégrateur travail d’être mis à mal, émergent dès lors les
problématiques du chômage, de l’insertion et de l’exclusion. L’intégrateur
politique sera lui discrédité avec l’évènement-signe que fut la chute du mur
de Berlin3, bousculant les derniers repères idéologiques qui valorisaient le
collectif au détriment de l’individu. L’idéologie libérale et l’individualisme
deviennent les piliers d’une société qui va enjoindre « l’individu à se tenir
debout seul, à assumer et à conduire sa vie, à ne plus s’en remettre à d’autres
qui pensent pour lui » (Le Bouëdec, 2002, p 15).
Dès lors, le sujet se définit par son individualité, son historicité, il est
responsable de son destin. La communauté ne prenant plus en charge les
individus, il revient à chacun d’établir des liens avec autrui. Confrontée à un
effacement de repères bien identifiables pour délimiter durablement la place
de chacun, la société développe une culture du projet. « Il est alors demandé à
chacun de produire lui-même son projet tandis que disparaissent les
mécanismes de solidarité sur lequel peut s’appuyer l’individu de la société
salariale pour construire les voies de sa socialisation » (Bachelart, 2002, p
111).
Le projet devenu maître mot impose son volontarisme. Une telle culture de la
dérégulation par le projet, en germe dans nos environnements dès les années
80, transforme dans les années 90 tout un chacun en un acteur supposé
capable de définir ses intentions dans des environnements aux contours
beaucoup plus souples, parce que bousculés, par d’incessants changements.
Cet acteur est supposé, par ailleurs, être capable de mettre en pratique ses
intentions ainsi définies (Boutinet, 2002, p 245).
Mais cette entreprise, pour valorisée qu’elle soit, n’a-t-elle pas d’autant plus
de chance d’aboutir que l’individu est suréquipé en ressources tant
relationnelles, que symboliques ou matérielles ? Un individu en risque
2 Le IIème concile œcuménique du Vatican, appelé Vatican II, est le XXIIème
Concile œcuménique de l'Église catholique romaine. Ouvert par Jean XXIII en
octobre 1962, il sera clos par Paul VI en 1965. Evénement marquant de l'histoire
de l'Église catholique au XXe siècle , il symbolise son ouverture à la modernité.
3 Le 9 novembre 1989
d’exclusion ou exclus est-il en capacité de se mettre en projet, de prétendre à
l’autonomie ?
Comment envisager de se projeter quand le principal enjeu est de chercher à
assurer le quotidien ? A ce sujet, Boutinet (2002, p. 245) nous dit que chez
des personnes en situation difficile, l’injonction au projet a accentué les
formes de dépendance, en faisant achopper des illusions d’autonomie face à
des contraintes insupportables, celles de la déqualification, celles de la
flexibilité, celles d’un marché du travail très capricieux.
Ainsi, dans cette même société dominent les injonctions au projet et à
l’autonomie, le taux de chômage, la précarité de l’emploi et les difficultés
d’insertion progressent. De fait, il se dessine une réalité angoissante sinon
désespérante, tant l’incertitude est grande, les voies diverses et
contradictoires, le discernement difficile. On est dans une ambiance
d’insécurité, de doute, d’absence d’horizon ; on a du mal à s’assurer de ce qui
est crédible ou non, de ce qui est normal (Le Bouëdec, 2002, p 15).
Face à des parcours professionnels comme personnels jamais assurés,
jalonnés de crises et de transitions incertaines, face à une recherche de sens
toujours plus difficile parce que singulière, surgissent le besoin et l’offre
d’accompagnement. « A la fois expression d’un mal de vivre dans nos
environnements post-modernes et révélateur d’un déplacement
anthropologique dans nos constructions culturelles, tel semble être le paysage
dominant qui entoure l’accompagnement et ses pratiques » (Boutinet, 2002, p
241). S’il nous parait dès lors avéré que l’accompagnement émerge en
réponse au risque de désadaptation sociale « d’un public dit “en difficulté”
mais soumis à une injonction d’autonomie » (Paul, 2007, p 253), ce terme
reste à cette étape de notre recherche un « mot valise », une étiquette verbale
dont le sens échappe. Puisque « sans travail sur les mots, on ne peut pas faire
de recherche » (Vial, 2007, p.2), nous proposons une première tentative de
clarification qui prendra appui sur une analyse sémantique.
1.2. Eclairage sémantique du mot « accompagner ».
Le mot « accompagner » est un parasynthétique, il est composé d’un radical,
d’un préfixe et d’un suffixe. Le suffixe « er » désigne l’action de. Le radical
est lui-même un composé de « com/co » et « pain ». Accompagner est donc
de la famille de « co-pain » : partager le pain, être copain. Dans cette famille,
sont d’usage courant les mots « compagnon » et « compagnie » qui expriment
l’idée de partage, partage du plaisir de voyager, pour le compagnon de
voyage, partage des épreuves de la guerre, pour le compagnon d’armes,
partage de la vie de l’autre, pour la dame de compagnie. Pour ce qui est du
préfixe « ac », il exprime le fait de devenir, d’aller vers, il exprime un
processus.
L’accompagnement est le processus pendant lequel deux personnes,
partenaires temporairement, deviennent compagnons. Elles ne sont pas
compagnons d’emblée, sinon on aurait le verbe « compagner ». Le préfixe
« ac » dit que c’est le fait d’être ensemble à ce moment qui fait qu’au bout
du compte, ils seront compagnons. Autrement dit, on est compagnon quand
on se quitte dans l’accompagnement, pas quand on démarre […]
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