Chapitre 2 : Amorçage et dénomination d`objets

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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
1 Introduction
Notre problématique est centrée sur la perception des sons de l’environnement, et plus
particulièrement nous cherchons à comprendre comment ces stimulations pourraient activer
des structures de connaissances abstraites en mémoire sémantique. Si les sons de
l’environnement activent des connaissances abstraites, sont-elles propres à ce type de
stimulation ou utilisent-elles des structures dévolues à d’autres stimulations (langage,
images). Pour aborder ces questions, nous avons choisi d’utiliser le paradigme d’amorçage,
paradigme permettant l’étude de la mémoire et de manière générale l’étude de l’organisation
des connaissances en mémoire. Il a été largement employé pour évaluer le traitement du
langage et reste intimement lié aux théories de l’activation. Dans un premier temps, nous
détaillerons les différentes formes d’amorçage que nous trouvons dans la littérature, puis nous
présenterons quelques modèles explicatifs des effets d’amorçage en langage. Nous verrons
comment un mot et une image sont capables d’activer des connaissances, la comparaison
entre mot et image concerne directement la différence entre verbal et non-verbal qui nous
conduira au cœur de cette thèse, l’étude des sons de l’environnement. Le fil directeur
consistera à suivre l’avancée des recherches utilisant des objets visuels pour éclairer les
résultats obtenus avec des sons de l’environnement. Pour commencer, attachons-nous à
détailler le paradigme d’amorçage. Nous en donnerons d’abord une définition générale, puis
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nous verrons quelles en sont les caractéristiques et comment différents modèles en expliquent
les effets.
L’amorçage
L’effet d’amorçage se définit comme l’influence de la présentation d’un événement
(communément appelé amorce) sur le traitement d’un événement consécutif (communément
appelé cible). Cette influence se traduit en général par une facilitation lorsqu’un lien existe
entre l’amorce et la cible. Cette facilitation se mesure en comparant le temps de traitement
et/ou la précision des réponses effectuées sur la cible en fonction de la nature de sa relation
avec l’amorce (reliée ou non). La nature de ces relations diffère selon les paradigmes, les plus
courants étant, la relation sémantique (avion-hélicoptère), la relation associative (clé-porte),
ou encore la répétition (avion-avion). On précise également «inter-modalité» lorsque
l’amorce et la cible ne sont pas présentées dans la même modalité (par exemple visionaudition).
1.1 Amorçage à long terme et amorçage à court terme
Deux formes d’amorçage peuvent être distinguées, une forme dite à court terme
(«Short-term priming») et une forme dite à long terme («Long-term priming»). Ces deux
paradigmes diffèrent à plusieurs niveaux, en fonction de leur administration expérimentale,
des modèles qui rendent compte des effets observés, et enfin des enjeux théoriques. Nous
verrons dans quelle mesure les mécanismes de traitements sont différents pour ces deux
formes d’amorçage.
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1.1.1 Les différences méthodologiques
Au niveau de la présentation des items
L’amorçage à court terme consiste à présenter l’amorce et la cible successivement,
séparées par une fenêtre temporelle relativement courte (en général inférieur à quelques
secondes). Le délai séparant l’amorce de la cible est appelé l’Intervalle Inter Stimuli («Inter
Stimuli Interval», ISI), le temps séparant l’apparition de l’amorce et de la cible s’appelle
quant à lui l’asynchronie de départ des stimuli («Stimulus Onset Asychrony», SOA). En
général, la tâche du participant consiste à répondre la plus rapidement et le plus correctement
possible à propos de la cible (par exemple, une tâche de décision lexicale, mot non-mot, en
langage; catégorisation sémantique; go-no go). La mesure la plus fréquemment utilisée est le
temps de réaction. L’effet d’amorçage se mesure en comparant les temps de réaction sur les
cibles précédées d’une amorce liée de celles précédées d’une amorce non liée. Un essai se
déroule en une seule phase, au cours de laquelle on mesure l’influence directe du traitement
de l’amorce sur celui de la cible, le participant n’étant pas informé des liens qui unissent ou
non les deux stimulations.
L’amorçage à long terme se déroule en deux phases, une phase d’étude et une phase de
test. L’ensemble des amorces liées est vu pendant la phase d’étude et on mesure l’impact de
cette phase sur celle de test. Une consigne particulière est souvent donnée durant l’encodage,
on peut par exemple, si le matériel est une liste de mots, demander aux participants de
compter le nombre de syllabes de chaque mot (encodage perceptif) ou de penser à un autre
mot qui pourrait lui être associé (encodage sémantique). Un délai pouvant varier de quelques
minutes à plusieurs jours sépare les amorces des cibles, pour les délais les plus courts les
chercheurs ont souvent recours à des tâches de remplissage ou de barrage (barrer tous les «c»
dans un texte, par exemple). Ces tâches sont employées pour éviter que le sujet utilise des
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
stratégies (l’autorépétition par exemple) pour retenir consciemment le matériel. Au cours de la
phase de test, le participant est soumis à des stimuli qu’il a déjà rencontrés ou non en phase
d’étude, les items non étudiés sont appelés des «leurres». En général, la mesure s’effectue en
calculant le pourcentage de réponses correctes (tâche de complètement de trigramme). On
compare la performance obtenue pour les items partageant des similarités avec ceux vus en
phase d’étude avec la performance des leurres.
Le délai entre l’amorce et la cible constitue la différence majeure au niveau descriptif
pour ces deux paradigmes d’amorçage. On peut remarquer qu’en amorçage à court terme, le
participant n’a en général pas de tâche spécifique à effectuer sur les amorces.
Au niveau de la tâche
Les différences au niveau de la présentation des items sont relativement simples à
appréhender. Les différences au niveau de la tâche sont plus à même de générer des
confusions, d’autant plus que le vocabulaire varie d’un auteur à l’autre. On distingue
habituellement l’amorçage répété de l’amorçage sémantique. Dans le cas de l’amorçage à
court terme ces deux formes sont faciles à différencier, le terme répétition correspond à la
présentation de la même stimulation en amorce et en cible. Le terme sémantique désigne une
amorce et une cible qui partagent un lien sémantique, on distingue l’amorçage associatif dans
le cas où les deux stimuli sont reliés associativement (clé-porte).
La terminologie devient plus compliquée quand on considère l’amorçage à long terme
(voir Roediger & McDermott, 1993, pour une revue). Les tests s’organisent autour de la
distinction mémoire explicite/mémoire implicite (tests implicites et tests explicites) et se
réfèrent aux différentes tâches utilisées et aux instructions données aux participants. On
retrouve différentes terminologies pour les tests explicites, tests directs de mémoire, tests
intentionnels de mémoire, ou encore tests d’utilisation contrôlée de la mémoire. Dans tous les
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cas, la consigne au moment du test incite le participant à utiliser les items qui ont été vus
durant la phase d’étude. De la même manière, on retrouve différentes terminologies pour les
tests de mémoire implicite, tests indirects, tests incidents. Dans ce cas, rien n’incite le
participant à utiliser le matériel étudié en phase d’étude, la récupération du matériel se ferait
de manière non-consciente. La phase d’étude peut quel que soit l’amorçage considéré
nécessiter un encodage perceptif ou sémantique. La nature du test revêt également une grande
importance, en fonction qu’il soit perceptif (complètement de fragments de mots) ou
conceptuel (réponse à des questions de culture générale). L’amorçage est testé avec des tests
implicites, sans récupération «consciente», on parle d’amorçage implicite. D’ailleurs, dans la
distinction tests implicites/tests explicites, le terme amorçage est employé uniquement pour
désigner les résultats des premiers. Les confusions peuvent naître en fonction du type
d’indices fournis en phase de test. On parle d’amorçage de répétition, direct, perceptif,
conduit par les données («data-driven»), lorsque le matériel qui est présenté en phase
d’étude est identique à celui présenté en phase de test (généralement sous forme dégradée).
On parle d’amorçage sémantique, conceptuel, conduit par les concepts («conceptually
driven»), lorsque le matériel encodé en phase d’étude est associativement ou sémantiquement
lié à celui présenté lors du test.
En résumé, pour les deux formes d’amorçage, le lien qui unit l’amorce (ou le matériel
vu en phase d’étude) et la cible (ou le matériel vu en phase de test) va déterminer le type
d’amorçage (sémantique, répétition...). Une précision supplémentaire est apportée pour
l’amorçage à long terme. Elle porte sur le critère d’intentionnalité, soit le participant est
amené à utiliser son expérience passée (test direct/explicite), soit non (test indirect/implicite).
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1.1.2 Modèles envisagés pour rendre compte des effets d’amorçage
L’amorçage à court terme est fortement associé aux modèles d’activation (voir point
suivant) et permet de capturer la «propagation» de cette dernière au sein du réseau stabilisé
en mémoire sémantique.
L’amorçage à long terme sert à l’étude de la mémoire implicite (voir Chapitre 1,
2.2.3). Schacter (voir, Chiu & Schacter, 1995; Schacter & Church, 1992) propose que les
effets observés avec les tests perceptifs (identification perceptive, complètement de mots,
décision sur l’objet), dépendent d’un système de représentations perceptives pré-sémantiques
(PRS). Les représentations activées sont essentiellement de nature perceptive. Ce système
serait composé d’un certain nombre de sous-systèmes qui traiteraient l’information sur la
forme et la structure, mais non sur le sens ou les propriétés associées, pour les mots, les
objets, ou toutes autres formes de stimulations.
1.1.3 Enjeux théoriques
La distinction quoique grossière entre les deux formes d’amorçage peut se comparer
aux approches structurale et fonctionnelle développées pour la MLT, reflétant la différence
majeure entre l’amorçage à court terme (fonctionnel) et l’amorçage à long terme (structural).
La compréhension des effets d’amorçage diffèrent selon l’approche envisagée, en termes
d’activation pour le court terme et en terme de mémoire pour le long terme. Un des objectifs
de recherche des théories de l’activation reste d’élucider la nature des processus
psychologiques au sein d’un domaine particulier (perception de mots, visages, images...).
Dans cette perspective, l’amorçage est un outil de test. Morton (1979) utilise l’amorçage pour
tester si les «logogènes» représentent des mots ou des morphèmes et si les mots écrits et
parlés utilisent le même ensemble de «logogènes». Les recherches en amorçage à long terme
s’attachent à comparer les performances en fonction de la mémoire envisagée (implicite
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
versus explicite). La relation entre l’encodage et la récupération permettant de mettre en
évidence différentes formes de mémoire, cette perspective est fortement liée à l’approche
développée en neuropsychologie cognitive et plus particulièrement sur les cas de patients
amnésiques. L’intérêt subsiste également dans l’étude des liens étroits entre l’apprentissage et
la mémoire, le rôle de l’apprentissage restant un «after-effect» (le délai entre la l’amorce et
la cible étant très bref) quand on considère l’approche utilisant l’amorçage à court terme.
1.1.4 Mécanismes de traitement
Les mécanismes sous-jacents à ces deux types d’amorçage sont-ils identiques? Les
théories de l’activation proposent qu’ils le soient. Les effets observés quel que soit l’amorçage
considéré seraient la conséquence d’un changement d’activation, d’un ou plusieurs nœuds,
généré par l’amorce. Cependant la persistance des effets reste différente, le meilleur exemple
reste les effets d’amorçage sémantique. En amorçage à court terme, ils perdurent simplement
quelques secondes. Dans la perspective connexionniste, les deux formes d’amorçage reflètent
les opérations de deux systèmes distincts mais en interaction. L’amorçage à long terme est lié
aux processus d’apprentissage (phase d’étude/phase de test) qui ajustent la connectivité au
sein du réseau considéré. Les effets d’amorçage à court terme quant à eux sont plus liés au
flux d’activation à l’intérieur du réseau. Un des principaux conflits entre ces deux types
d’approches réside dans la nature des représentations mentales, soit des entités abstraites
localisées ou des patrons distribués d’activation.
Dans la suite du manuscrit, nous ferons référence à l’amorçage à court terme sous le
seul terme d’amorçage, nous préciserons uniquement «à long terme» si besoin est. Le point
suivant consiste à présenter les différentes interprétations formalisées sous formes de modèles
qui permettent d’appréhender les effets observés en amorçage.
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
2 Explications théoriques des effets d’amorçage
2.1 Généralités
Différents modèles permettent d’expliquer les phénomènes d’amorçage (voir Neely,
1991, pour une revue). La notion de propagation de l’activation est encore souvent utilisée
pour rendre compte de différents faits expérimentaux. Le modèle de Collins et Loftus (1975)
est particulièrement cité pour expliquer les effets d’amorçage sémantique. Un concept activé
générera une activation vers les concepts voisins dans le réseau («fleur» propagera de
l’activation vers «rose», «tulipe», «coquelicot», «rouge», etc..). L’ensemble des concepts
soumis à la propagation de cette activation sera considéré comme pré-activé, et donc plus
facile à traiter. Cette facilitation de traitement s’exprime dans les effets d’amorçage
sémantique où un mot précédé d’un autre mot sémantiquement relié sera reconnu plus
rapidement. Si la notion de propagation de l’activation est encore souvent citée, d’autres
alternatives explicatives ont été proposées. Par exemple, la théorie de l’indice composite de
récupération («compound cue retrieval theory», Ratcliff & McKoon, 1988) et la théorie de la
mémoire sémantique distribuée (Masson 1995).
2.2 Les modèles de diffusion de l’activation
Dans un premier temps, le phénomène d’amorçage a été attribué à la propagation de
l’activation. Les théories de la propagation de l’activation sont restées l’explication dominante
jusqu’à la fin des années 1990 (McNamara, 1992). Même si ces approches diffèrent
énormément entre elles (Collins & Loftus, 1975; Anderson, 1983), elles partagent des
principes essentiels:
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
*Récupérer un item en mémoire correspond à l’activation de sa représentation interne.
*L’activation se diffuse à l’intérieur d’un réseau de traces/nœuds/concepts
interconnectés.
*L’accumulation de l’activation au niveau d’un concept facilite sa récupération
ultérieure.
L’organisation de la mémoire sémantique se traduit par un ensemble de nœuds
interconnectés en fonction de leurs relations sémantiques, où chaque nœud représente un
concept. Plus les nœuds sont sémantiquement/associativement liés, plus ils sont considérés
comme proches au sein du réseau ou fortement connectés. Ainsi, les effets d’amorçage se
comprennent aisément: lorsque le participant traite l’amorce, l’activation du concept lui
correspondant se diffuse dans le réseau vers les concepts fortement connectés et/ou proches,
réduisant le temps requis pour atteindre le niveau d’activation pour tous les concepts profitant
de la diffusion de cette activation. Au final, l’amorce facilite le traitement des cibles qui lui
sont liées, le degré de facilitation étant inversement proportionnel à la distance conceptamorce/concept-cible. La célèbre expérience de Meyer et Schvaneveldt (1971) illustre
parfaitement ce phénomène d’amorçage. Les participants voyaient apparaître deux séries de
lettres l’une au-dessus de l’autre formant chacune un mot ou un non-mot. Leur tâche
consistait à répondre le plus rapidement et le plus correctement possible si oui ou non les deux
séries étaient des mots (Expérience 1). Cinq agencements étaient possibles en fonction de la
nature de la stimulation, de sa position et du lien entretenu entre les deux termes (uniquement
dans le cas où les deux stimulations étaient des mots):
Paires (Haut/bas)
Exemples de stimuli
Réponse attendue
Temps de réaction (ms)
1 * Mot/mot associés
2 * Mot/mot non associés
3 * Mot/non-mot
4 * Non-mot/mot
5 * Non-mot/non-mot
«Bread» «Butter»
«Bread» «Nurse»
«Doctor» «Marb»
«Marb» «Butter»
«Herk» «Stur»
Oui
Oui
Non
Non
Non
855
940
1087
904
884
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Les auteurs observent que les participants répondent plus vite «non» lorsque le nonmot était situé en haut, effet probablement dû à des stratégies de lecture. Le fait de lire le nonmot placé en haut en premier permet de donner la réponse «non» plus rapidement que
lorsque le non-mot est situé en-bas. Le résultat intéressant pour notre propos se situe au
niveau de la différence entre les paires 1 et 2, constituées de mots. Le participant devait
répondre «oui» pour ces deux types de paires, on remarque que les temps de réactions sont
plus courts lorsque les deux mots sont reliés sémantiquement (855ms versus 940ms), la
différence est statistiquement significative (p<.001). Meyer et Schvaneveldt interprètent ce
résultat dans le cadre de la diffusion de l’activation, et plus particulièrement par rapport au
modèle de Collins et Quillian (1969). Quand les participants lisent un mot, le concept
correspondant s’active diffusant de l’activation aux concepts sémantiquement et/ou
associativement liés. La diffusion de l’activation génère en retour une facilitation de
traitement sur le second mot si celui-ci est sémantiquement relié, s’exprimant ici par une
diminution des temps de réaction de 85ms dans la condition reliée comparée à la condition
non reliée.
2.3 Les modèles de mémoire distribuée
Les modèles connexionnistes
L’approche connexionniste propose de nouveaux travaux de modélisation et de
simulation du traitement de l’information, sous forme d’unités élémentaires interconnectées
reparties et distribuées en réseau. Le principe général des modèles connexionnistes envisage
la mémoire comme un réseau d’unités de traitement (appelées parfois neurones formels) qui
reçoit l’information d’un certain nombre d’unités d’entrée pour l’envoyer vers des unités de
sortie. Parmi ces unités, un certain nombre reçoit des informations de l’extérieur, d’autres y
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
sont connectés mais uniquement en sortie. Certains des réseaux proposés possèdent des unités
de traitement intermédiaires, dites cachées, entre celles de sortie et d’entrée. L’activation
reçue par une unité est égale à la somme des activations des entrées pondérées, si cette somme
est supérieure à un seuil fixé, l’unité enverra à son tour une valeur 1 en sortie. Si le seuil n’est
pas atteint l’unité n’enverra pas d’information est restera dans un état dit dormant (valeur 0).
Le fonctionnement du réseau ne se base pas uniquement sur le calcul des informations
d’entrée/sortie d’une unité, mais également sur la modification des poids d’interconnexion en
fonction de son activité. Le calcul de la modification des poids se fait en général en fonction
d’une constante (en rapport avec la vitesse d’apprentissage du réseau) et de l’écart existant
entre l’activité d’entrée et de sortie de l’unité de traitement. «L’état mental» correspond au
niveau d’activation de l’ensemble du réseau, la mémoire représentant la restauration d’un état
mental à partir d’un indice (une entrée). Les modèles connexionnistes sont une alternative aux
modèles informatiques (Collins & Quillian, 1969; Collins & Loftus, 1975) où la mémoire est
vue comme un stock d’informations. Ces systèmes permettent également de simuler des
données comportementales décrites en psychologie expérimentale.
Pour illustrer les modèles connexionnistes nous allons présenter le modèle de mémoire
distribuée développé par Masson (1991, 1995). Le modèle se base sur un réseau de Hopfield
(1982) créé au départ dans le domaine de la physique. Ce réseau connexionniste appliqué à la
mémoire permet de représenter les connaissances par le poids des connexions reliant un
ensemble d’unités de traitement (unités orthographiques, phonologiques et sémantiques) entre
elles, définissant un concept par un patron d’activation à travers ces unités. Toutes les unités
de traitement ont le même statut, il n’y a pas de différence en termes de couches d’unités
(unités d’entrée, unités de sortie) contrairement à d’autres modèles connexionnistes
(Rosenblatt, 1958; Hinton, Rumelhart, & Willians, 1986). Les unités dans le réseau Hopfield
peuvent avoir deux états, activées ou non. Le poids des connexions est établi selon la règle
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
d’apprentissage de Hebb (1949), qui est utilisée pour encoder les différents patrons
d’activation. L’apprentissage de nouveaux stimuli implique l’altération des poids de
connexion pour toutes les paires d’unités de traitement en fonction de leurs valeurs
d’activation. Au début du traitement, les unités prennent des états d’activité aléatoires et au
fur et à mesure des itérations, les poids de connexion augmentent quand deux unités ont la
même valeur sinon ils diminuent. Les itérations continuent jusqu’à arriver à un état
d’équilibre en fonction des patrons à apprendre.
Le modèle de la mémoire distribuée s’inspire des capacités du réseau de Hopfield.
Dans la première version du modèle (Masson, 1991), l’identification d’un mot dépend de
l’attribution des valeurs d’activation appropriées à un sous-ensemble d’unités de traitement
(unités perceptives) et de la mise à jour des unités restantes (unités conceptuelles) pour
prendre en compte les patrons d’activation correspondant à la signification des mots. La
version révisée (Masson, 1995) ajoute des unités de traitement phonologique, correspondant
au code phonologique associé à la signification des mots. Trois modules sont proposés
(phonologique, orthographique et sémantique), les connexions entre les modules sous-tendent
qu’il existe deux routes différentes pour accéder à la signification d’un mot: une route
d’accès directe et une route d’accès indirecte par l’intermédiaire du module phonologique. Le
modèle de Masson (1991, 1995) simule les effets d’amorçage sémantiques en supposant que
les mots sémantiquement reliés ont des patrons d’activation similaires à travers les unités de
traitement du module sémantique. Cette hypothèse se base sur deux postulats:
1-La construction de la signification d’un concept se fait en fonction du contexte
dans lequel il apparaît.
2-Les concepts qui apparaissent fréquemment ensemble partagent beaucoup
d’aspects sémantiques en fonction du contexte.
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Par exemple, des concepts tels que «vache» et «lait» auront des patrons d’activation
similaires au niveau des unités sémantiques du fait qu’ils apparaissent fréquemment dans les
mêmes contextes, alors que «taureau» et «lait» n’auront pas de patron similaire malgré la
similarité entre «vache» et «taureau». Cette similarité sémantique est cruciale pour la
simulation des effets d’amorçage sémantiques car lorsque le modèle commence à identifier
l’amorce, les unités sémantiques évoluent vers son patron d’activation. Ce patron sera
similaire à celui de la cible à venir si elle est sémantiquement liée à l’amorce. Quand la cible
est présentée, son patron d’activation orthographique remplace celui de l’amorceet les unités
phonologiques et sémantiques sont mises à jour. Si le patron d’activation, activé par l’amorce,
au niveau des unités sémantiques est similaire à celui de la cible, il aidera à faire évoluer plus
rapidement le patron des unités phonologiques vers le patron de la cible, expliquant ainsi
l’effet d’amorçage. Lorsque l’amorce et la cible ne sont pas liées, les mises à jour nécessaires
sont plus nombreuses pour que les unités phonologiques atteignent un état stable. Les patrons
d’activation des trois ensembles d’unités de traitement évoluent donc plus rapidement vers le
patron d’activation de la cible lorsque l’amorce et la cible entretiennent un lien sémantique.
2.4 Théorie de l’indice composite («compound cue theory»)
Ratcliff et McKoon (1988) proposent une alternative aux théories de l’activation et
développent une théorie épisodique appliquée au phénomène d’amorçage. L’hypothèse d’une
diffusion graduelle de l’activation au sein d’un réseau n’est plus nécessaire. Dans ce cadre,
l’amorce et la cible se combinent à la récupération pour fournir un indice composite qui
facilite le rappel.
Ratcliff et McKoon (1988) développent leur théorie de l’amorçage sur le modèle SAM
(«Search of Associative Memory», voir Raaijmakers & Shiffrin, 2002, pour une revue).
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Le modèle SAM (Raaijmakers & Shiffrin, 1980, 1981)
Le modèle se base sur les premiers travaux de Shiffrin (1970), les premiers
développements sont faits pour le rappel libre (Raaijmakers, 1979) puis rapidement
généralisés aux autres paradigmes de rappel et de reconnaissance (Gillund & Shiffrin, 1984).
Les informations stockées sont représentées sous forme d’images qui contiennent l’item et les
informations associatives et contextuelles. La quantité et le type d’information sont
déterminés par les processus de codage en MCT. Les informations stockées en MLT sont
dépendantes du temps que l’item, ou la paire d’items, a passé en MCT lors de l’apprentissage.
Dans ce modèle, la récupération en MLT est un processus dépendant d’indices. Ces indices
peuvent être des mots, d’une liste étudiée par exemple, des indices de catégorie, de contexte
ou n’importe quelle information que le participant utilise pour essayer de retrouver
l’information en MLT. Retrouver une image dépend de la force associative de l’indice pour
l’image considérée, une règle générale calcule la force globale d’un ensemble d’indices pour
une image particulière. Un indice associé à cette image permettra donc la récupération si la
force des liens qui l’unit à l’image est assez importante. Si la récupération est effective, alors
les liens entre l’indice et l’image se renforcent. Si l’indice ou l’ensemble d’indices ne
permettent pas de récupérer l’image, d’autres tentatives avec d’autres indices sont effectuées.
La décision d’arrêter des recherches infructueuses est généralement basée sur les nombres de
recherches qui n’aboutissent pas. Un aspect important de ce modèle pour la reconnaissance
est la familiarité. Gillund et Shiffrin (1984) proposent que la reconnaissance se base sur une
activation globale générée par l’indice. Cette activation globale définit la familiarité qui
détermine la probabilité de la reconnaissance. Pour un indice unique, la familiarité est
calculée comme la force entre l’indice et l’image en mémoire multipliée par la force qui existe
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
entre le contexte et cette image. La somme de ce produit est comparée à l’ensemble des
images en mémoire.
Un nouveau modèle a été développé récemment qui garde les meilleurs éléments du
modèle SAM, le modèle REM («Retrieving Effectively from Memory», Shiffrin & Steyvers,
1997). Nous ne le développerons pas car ce n’est pas le sujet de ce point, la théorie de Ratcliff
et McKoon se base donc sur le modèle SAM pour appréhender le phénomène d’amorçage.
Ratcliff et McKoon (1988) adoptent l’idée selon laquelle la MLT est composée
d’images mnésiques. Nous pouvons y accéder par l’intermédiaire d’indices construits en
MCT lors de l’encodage. Dans le cas de l’amorçage, cet indice est composé de l’item test sur
lequel doit être réalisée la tâche, ainsi que de l’information relative au contexte dans lequel cet
item test est apparu (l’amorce par exemple). En explorant la totalité de la MLT, l’indice
provoque l’activation des informations associées aux items qui le constituent. La
caractéristique fondamentale du modèle ne réside pas dans la nature des informations activées
par l’indice, mais dans la quantité totale d’activation que celui-ci provoque dans l’ensemble
de la mémoire. Ratcliff et McKoon (1988) développent la notion de «valeur de familiarité».
Quand une amorce et une cible ne sont pas identiques, plus le nombre d’associés communs est
grand, plus grande est la valeur de familiarité. Plus les deux concepts sont connectés en
mémoire, plus grande sera la familiarité et donc le temps de décision sur la cible n’en sera que
plus court. Par exemple, si l’amorce est la cible sont identiques nous sommes dans le cas où la
valeur de familiarité est la plus grande. Si on considère deux items A et B qui partagent des
associés en mémoire, lorsqu’on teste la paire A-B, la somme du produit impliquera deux
sources d’activation importantes. L’addition de ces activations partielles fournit le degré
d’activation provoqué par l’item A. De la même manière une estimation du degré d’activation
provoqué par l’item B est obtenue. La valeur de familiarité correspond à la somme des deux
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Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
degrés d’activation engendrés par chaque item. Comme A et B sont associés en MLT, chaque
item active sa propre trace mnésique et les traces qui lui sont associées, l’association des deux
items ajoute une source supplémentaire d’activation correspondant au produit de l’activation
individuelle des deux items. Cette composante non-linéaire du processus de récupération
(provenant de la multiplication des forces des deux items associés) est essentielle car elle
permet aux auteurs d’implémenter leur conception de l’amorçage dans les modèles de
mémoire. La valeur de familiarité est plus élevée quand les deux items de l’indice sont
associés en MLT que lorsqu’ils ne le sont pas. En effet, une simple addition ne produirait pas
d’avantages pour les indices associés en mémoire par rapport à ceux qui ne sont pas associés.
La valeur de familiarité permet donc de prédire les temps et la précision des réponses. De
façon générale, plus cette valeur est élevée, plus la réponse est rapide et précise.
Dans le cas du phénomène d’amorçage, l’indice est constitué de l’item test (la cible) et
des items qui l’ont précédés (dont l’amorce). Par exemple, dans le cas où le mot «beurre» est
précédé du mot «docteur», l’indice est constitué de deux mots non-associés beurre-docteur.
Les deux mots activent chacun leur trace mnésique en MLT, ce qui permet de calculer une
valeur globale d’activation obtenue en additionnant les deux quantités d’activation
provoquées par les deux items de l’indice. Maintenant si le mot «beurre» est précédé du mot
«pain», l’indice est formé du couple de mots associés sémantiquement pain-beurre. Comme
dans le cas précédent, chacun des deux mots active les traces mnésiques qui lui sont associées.
Les deux items étant reliés sémantiquement, une source supplémentaire d’activation est
ajoutée, celle provenant du produit des valeurs d’activation engendrées par chacun des deux
items (plus les recouvrements sont grands plus la valeur d’activation sera importante). Dans
ces conditions, la valeur de familiarité produite par l’indice pain-beurre est suffisamment
élevée pour que la décision lexicale à propos du mot «beurre» soit plus rapide que dans le
cas de l’indice docteur-beurre. Ratcliff et McKoon (1988) se sont principalement intéressés
64
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
aux effets d’amorçage sémantique, mais le principe s’applique aisément aux effets
d’amorçage de répétition: la valeur de familiarité produite par un indice constitué de deux
items identiques est plus élevée (et sera probablement la plus élevée possible du fait de la
correspondance parfaite des traces mnésiques activées) que celle produite par l’indice d’une
condition neutre.
Cette théorie propose une alternative aux modèles d’activation, l’effet d’amorçage
n’est pas un effet de la représentation de l’amorce sur la représentation de la cible. L’amorce
se combine avec la cible pour former un indice composite. L’amorce contribue ou non à
l’augmentation de la valeur de familiarité de l’indice, laquelle détermine le temps et la
précision de la réponse sur la cible.
Ratcliff et McKoon (1988) montrent que l’essence de leur théorie de l’amorçage (la
construction d’un indice composite de récupération à travers l’interaction amorce/cible) peut
être mise en oeuvre dans certains modèles de mémoire.
Les trois modèles proposés, propagation de l’activation, mémoire distribuée et indice
composite permettent de rendre compte à la fois des effets d’amorçage sémantique et de
répétition. Les modèles de Collins et Loftus (1975) et de Masson (1991, 1995) reposent sur un
même principe d’activation. Dans le cas de l’amorçage, l’amorce augmente temporairement
l’accessibilité de représentations associées en mémoire. Ces modèles diffèrent au niveau de
leur conception de la représentation mnésique, Collins et Loftus proposent qu’elle soit
préexistante, alors que Masson l’envisage plutôt comme émergeante (l’amorce fait émerger
un patron qui sera comparé au patron que la cible fait à son tour émerger). Un problème
majeur de la théorie de l’activation (Collins & Loftus, 1975) reste que les phénomènes
d’inhibition ne sont pas pris en compte (voir Neely, 1991, pour une revue). La théorie de
l’indice composite a été développée spécifiquement pour rendre compte des effets
65
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
d’amorçage, lors de tâche de choix binaire (par exemple en décision lexicale), et s’inscrit
plutôt dans la lignée des modèles épisodiques (voir également la théorie du TAP, Chapitre 1,
2.2.1 p.21). Elle permet d’envisager notre mémoire de manière plus économique que celle
proposée par les modèles d’activation.
3 Accès verbal et non-verbal aux connaissances, des différences ?
Comment accède-t-on à nos connaissances? Et comment sont-elles organisées? Les
points précédents montrent que diverses conceptions existent. Selon les modèles, l’accès aux
connaissances est soit identique quelle que soit la nature, verbale ou non-verbale, du matériel
considéré (Chase & Clark, 1972), soit dépendant du format (Davidoff & De Bleser, 1993;
Paivio, 1971). Il en va de même pour l’organisation des connaissances qui est soit envisagée
comme des systèmes multiples fonction du type de stimuli (Beauvois & Saillant, 1985;
Paivio, 1971; Warrington, 1975), soit comme un système amodal (Bub et al., 1988;
Caramazza et al., 1990; Chase & Clarke, 1972; Humphreys et al., 1988). La plupart des
données, comme nous l’avons vu, sont issues d’études utilisant des stimulations langagières
et/ou des images. L’aspect non-verbal se réduisant souvent à ces représentations imagées.
Nous commencerons par présenter quelques-uns des travaux réalisés avec ces deux types de
stimulation, plus particulièrement dans le domaine des objets visuels. Les recherches
effectuées dans le domaine des images nous serviront de modèle de recherche pour nos études
sur les sons de l’environnement. Il semble assez raisonnable de considérer l’existence de
similitudes entre l’accès et l’organisation des connaissances pour les images et les sons de
l’environnement. Si les images possèdent un accès différent aux connaissances par rapport
aux mots, il est fort probable qu’il en aille de même pour les sons de l’environnement. De la
même manière, si les images possèdent des structures de connaissances qui leur sont propres,
66
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
probablement est-ce également le cas pour les sons de l’environnement. Nous détaillerons
certaines études sur les images, et plus particulièrement dans des tâches dénomination et
d’interférence mot-OBJET. Le choix de la dénomination n’est pas neutre comme nous le
verrons dans le chapitre suivant consacré aux sons de l’environnement, certains auteurs
suggèrent que ces stimulations accèdent à du sens via une étape phonologique (Lebrun et al.,
2001; Maeder et al., 2001). Présenter les études sur les images permettra de voir à quel
moment ces stimulations sont censées activer la représentation phonologique du mot qui les
désigne.
3.1 La dénomination des objets
3.1.1 Généralités
Nous sommes capables de dénommer un objet visuel très rapidement, en 600 à 1200
ms (voir Ferrand, 1997, pour une revue). La plupart des chercheurs du domaine distinguent
deux processus généraux, un processus d’accès lexical (accès au sens, à la sémantique) et un
processus d’activation de la représentation phonologique du mot qui correspond à l’objet
activé. Chacune de ces deux étapes forme un module cognitif distinct, le système sémantique
et le lexique phonologique pouvant être altérés de façon spécifique à la suite d’accidents
cérébraux. En général, les modèles supposent que la dénomination des objets nécessite au
moins trois étapes :
1–Récupération des descriptions structurales de l’objet
2–Activation de la représentation sémantique
3–Activation du nom de l’objet, de sa représentation phonologique
La distinction de ces trois étapes s’appuie sur des données recueillies tant au niveau de
sujets «normaux» que cérébrolésés.
67
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
3.1.2 Troubles liés à la perception visuelle des objets
Nous n’entrerons pas dans le détail des troubles liés aux traitements sensoriels et
perceptifs (agnosies aperceptives (agnosie de la forme, intégrative et de transformation), voir
Cambier, 1995, pour une revue) pour nous focaliser sur les troubles liés à la signification et à
la dénomination.
De manière générale, une agnosie visuelle correspond à un trouble de la
reconnaissance des éléments visuels du monde extérieur en l’absence de toute perturbation
sensorielle élémentaire. Le sujet agnosique, peut par exemple, trouver et utiliser un objet de
manière spontanée, mais ne parvient pas sur demande à le reconnaître à partir de la simple
information visuelle. Il est souvent incapable de trouver visuellement une clé qu’on lui dit être
posée sur la table, il peut l’identifier après l’avoir touchée et l’utiliser pour ouvrir une porte. Il
a besoin de se servir d’une autre modalité sensorielle pour traiter les informations visuelles,
dont le canal est perturbé. On distingue trois troubles spécifiquement liés à la représentation
sémantique et au lexique phonologique:
- L’agnosie associative correspond à un échec entre l’association du percept et du
concept correspondant. Le sujet est capable d’analyser les caractéristiques de la forme de
l’objet, sans pouvoir associer le percept à un concept stocké en MLT. La forme est bien
analysée, il peut la comparer, la décrire, la copier. Le trouble concerne l’association perceptconcept sans pour autant impliquer une altération de la mémoire sémantique. Taylor et
Warrington (1971) décrivent un patient, qui lors de la présentation d’une seconde
photographie (sous un angle différent) d’un objet qu’il avait échoué à reconnaître, répond «Je
vous ai déjà dit que je ne savais pas ce que c’était». Le cas illustre très bien la déconnexion
entre la perception et les connaissances sémantiques. Le sujet se souvient de son expérience
perceptive, il reconnaît la forme de l’objet (intégrité de la reconnaissance des formes) mais
reste toujours incapable de lui associer des connaissances sémantiques.
68
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
- L’agnosie asémantique correspond à un échec de l’association d’un sens et d’une
fonction à la forme perçue. Le sujet ne parvient pas à définir le sens, la fonction et le nom de
l’objet. Le déficit dans l’identification est souvent commun à d’autres modalités, c’est la
mémoire sémantique qui semble être atteinte.
- L’aphasie optique (voir Riddoch, 1999, pour une revue) correspond au manque du
mot, la forme, la fonction et le sens sont reconnus. Le patient parvient à percevoir
parfaitement l’objet, mais n’arrive pas à accéder à la représentation phonologique de son nom.
Ce n’est pas un cas d’aphasie «classique» car les représentations lexicales du sujet sont
préservées et l’objet pourra être dénommé lors d’une présentation par un autre canal sensoriel.
Le terme aphasie est utilisé ici car l’objet est parfaitement reconnu. Riddoch et Humphreys
(1987a) observent que leur patient JB, souffrant d’aphasie optique, peut effectuer des tâches
de décision d’objet, sur le modèle des tâches de décision lexicale.
3.1.3 Principaux modèles de la dénomination d’objets
Le modèle «Logogène» de Morton (1969, 1985)
Morton propose un modèle où les processus sont considérés comme modulaires
(Figure 2.1), exprimant chacun une opération différente. La dénomination d’un objet nécessite
plusieurs étapes:
1-Analyse de l’image
2-Catégorisation des objets
3-Analyse sémantique (sémantique verbale et sémantique des objets)
4-Lexique phonologique
L’existence d’un module spécifique de connaissances sémantiques pour les objets
permet, selon Morton, d’interagir avec les objets qui nous entourent sans avoir un recours
69
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
automatique à la sémantique verbale. L’idée reste que nous ne sommes pas obligés d’activer
le nom d’un objet pour pouvoir nous en servir par exemple.
OBJET
Analyse de
l’objet
Catégorisation
de l’objet
Sémantique
des objets
Sémantique
verbale
SYSTEME COGNITIF
Logogènes de
sortie (phonologie)
Nom de
l’objet
Figure 2.1: Modèle Logogène, adapté de Morton (1985).
Le modèle en cascade de Riddoch et Humphreys (1987b)
Ce modèle hiérarchique (Humphreys & Riddoch, 1988; Humphreys, Riddoch, &
Quinlan, 1988; Riddoch & Humphreys, 1987b), proposé pour la reconnaissance et la
dénomination d’objets est développé sur une base connexionniste. Des valeurs d’activation et
d’inhibition sont transmises entre les unités de traitement de manière continue en fonction des
70
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
différents types de connaissances (structurales, sémantiques et phonologiques, voir Figure
2.2). La transmission d’information s’opère en cascade, en fonction du type de connaissance
et au sein d’un même niveau, plusieurs stimuli peuvent être activés en parallèle. Dans ces
conditions, pour pouvoir dénommer un objet particulier, le processus d’inhibition est
indispensable (McClelland & Rumelhart, 1981) au sein de chacun des niveaux. Le degré
d’inhibition sera inversement proportionnel au degré d’activation de la représentation. L’objet
présenté, recevant plus d’activation, générera plus d’inhibition (vers les autres objets) à force
de recevoir lui-même plus d’activation. Différents facteurs influencent la reconnaissance et la
dénomination d’un objet, comme la similarité de la cible avec d’autres membres de sa
catégorie, la fréquence du nom des objets à dénommer, etc... Le fonctionnement général du
modèle implique que, lors du traitement d’un objet particulier, les représentations sémantiques
et phonologiques puissent être activées par les autres objets qui lui sont structurellement
similaires. En général, le temps de traitement augmente en fonction du nombre d’exemplaires
structurellement similaires. La séparation entre les représentations sémantiques et structurales
s’appuie sur des observations neuropsychologiques. Le patient JB (Riddoch & Humphreys,
1987a) n’était pas capable d’apparier sémantiquement des objets présentés visuellement, tâche
qu’il accomplissait sans problèmes lors de la présentation des noms des objets. Les
performances de ce patient suggèrent une lésion entre les représentations structurales et
sémantiques lors de la présentation visuelle d’objets. Le modèle en cascade a été implémenté
(Humphreys, Lamote, & Lloyd-Jones, 1995) grâce à une architecture similaire de celui de
McClelland et Rumelhart (1981). Les simulations rendent compte de plusieurs effets
expérimentaux:
1-La catégorisation sémantique est plus rapide pour des objets sémantiquement
similaires, et la dénomination est plus rapide pour des objets structurellement dissimilaires.
71
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
2-Des déficits spécifiques aux catégories apparaissent quand on opère des «lésions»
dans le réseau.
OBJET
Connexions :
Excitatrices
Système des descriptions
structurales
Inhibitrices
Lexique
sémantique
Lexique
phonologique
Nom de
l’objet
Figure 2.2: Modèle d’activation interactive et compétition adapté de Humphreys, Riddoch, et Quinlan
(1988).
Le modèle d’activation multiple à voie directe non-sémantique (Ferrand, 1997)
Une majorité de modèles suggère l’existence d’une étape sémantique obligatoire, le
modèle à activation multiple, quant à lui, propose l’existence d’une voie directe, nonsémantique. Cette voie irait directement des représentations visuelles aux représentations
phonologiques. L’existence de cette voie est basée sur un certain nombre de données
72
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
expérimentales. Heilman, Tucker et Valenstein (1976), par exemple, rapportent le cas d’un
patient capable de dénommer 25 objets sans pour autant réussir une tâche d’appariement
sémantique entre deux objets. D’autres observations de même type appuient cette conception
en faveur d’une voie directe non-sémantique. Certaines observations de bon sens semblent
également renforcer l’existence d’une voie directe sans recours à une étape sémantique
(Ferrand, 1997). Dénommer un objet consiste à lui faire correspondre une étiquette
linguistique, cette opération peut très bien s’effectuer sans recours à des connaissances
sémantiques. Imaginons que l’on vous présente un objet que vous ne connaissez pas et qu’on
vous dise que le nom de cet objet est «camo», sans aucunes autres précisions. Vous serez
capable si jamais vous voyez à nouveau cet objet de dire que c’est un «camo» sans passer
par la sémantique puisqu’elle n’existe pas. Ferrand (1997) propose un modèle à deux voies de
dénomination d’objets (voir Figure 2.3):
-Une voie d’accès directe qui évite la sémantique en allant des représentations
visuelles aux représentations phonologiques.
-Une voie d’accès indirecte avec un accès obligatoire aux représentations sémantiques
avant l’accès aux représentations phonologiques nécessaires à la dénomination.
Les deux voies ne sont pas envisagées comme étant en compétition, la différence entre
les deux est plutôt quantitative. La transmission des informations en provenance des
stimulations visuelles se fait en parallèle, l’organisation est triangulaire. Cette organisation
implique des connexions directes entre toutes les représentations (visuelles, phonologiques et
sémantiques). L’activation des informations phonologique et sémantique existe toujours mais
n’est pas suffisante ou nécessaire dans certains cas, comme pour la dénomination de formes
géométriques ou d’objets rares. Ce modèle permet de prendre en compte des cas de patients
qui sont capables de dénommer des objets sans pour autant les comprendre.
73
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
OBJET
Connexions :
Excitatrices
Système des descriptions
structurales
Route indirecte
Lexique
sémantique
Inhibitrices
Route directe
Lexique
phonologique
Articulation
Figure 2.3: Modèle d’activation multiple avec route directe et indirecte, adapté de Ferrand (1997).
Modèle computationnel basé sur l’aphasie optique (Plaut, 2002)
L’aphasie optique occupe un rôle central dans la plupart des modèles
neuropsychologiques s’intéressant à la mémoire et plus particulièrement à la reconnaissance
des objets. Le modèle connexionniste proposé par Plaut (2002) repose sur les principaux cas
d’aphasie optique. En implémentant puis en «lésant» son modèle, Plaut simule les cas de
patients rapportés dans la littérature. Les patients testés (voir tableau 2.1) montrent, en
général, un déficit en dénomination lorsque l’objet est présenté visuellement. Ce déficit est
moins important dans des tâches de dénomination de l’action de l’objet ou lorsque les patients
doivent nommer des objets dont on leur fait une démonstration d’utilisation. AG (Campbell,
& Manning, 1996; Manning, & Campbell, 1992), par exemple, a un taux de réponses
correctes de 27% à la question: «Quel est le nom de cela?», taux qui atteint les 67% quand
on lui demande: «Que peut-on faire avec cet objet?». Ces cas sont les arguments majeurs
pour étayer l’organisation de la mémoire en plusieurs sous-systèmes (voir Chapitre 1, 3.2), où
74
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
l’aphasie optique serait le résultat d’une déconnexion entre la mémoire sémantique visuelle et
verbale.
TACHE
Etude
Dénomination
visuelle
Lhermitte et Beauvois (1973)
Gil et al. (1985)
Teixera Fereira et al. (1997)
Schnider et al. (1994)
Riddoch et Humphreys (1987)
Campbell et Manning (1996)
Manning (2000)
De Renzi et Saetti (1997)
Luzzati et al. (1998)
Coslett et Saffran (1992)
Raymer et al. (1997)
Hillis et Caramazza (1995)
Poeck (1984)
Coslett et Saffran (1989)
73
64
53
50
46
40
38
37
23
21
15
10
8
0
Imitation
d'utilisation
après
présentation
visuelle
100
100
95
58
75
75
83
42
79
100
46
30
75
50
Dénomination
tactile
Dénomination
après définition
oral
Dénomination
de l'action
d'un objet
91
81
75
75
92
100
100
77
68
45
94
35
92
96
100
78
100
100
100
81
97
92
68
63
95
90
73
75
83
67
50
63
-
Tableau 2.1: Pourcentages de réponses correctes de patients souffrant d’aphasie optique en fonction de
différentes tâches, repris de Plaut (2002).
Cette hypothèse n’est pas totalement satisfaisante, car une déconnexion entre les deux
systèmes sémantiques n’est pas consistante avec les résultats obtenus dans les tâches de
génération du nom des actions. Les informations sur l’action devraient également être
déconnectées si on envisage l’aphasie optique comme le résultat d’une séparation entre les
deux systèmes sémantiques. Cependant certains patients présentent des déficits plus difficiles
à appréhender par une conception de systèmes multiples de mémoire. L’accès sémantique
n’est pas toujours totalement intact, par exemple le patient DHY (Hillis & Caramazza, 1995)
ne présentait pas de troubles lors de tâche de correspondance sémantique quand les
distracteurs étaient d’une autre catégorie, alors que son taux de réussite tombait à 58%,
lorsque les distracteurs étaient de la même catégorie. Le modèle que propose Plaut se situe
entre les partisans d’une mémoire sémantique unitaire et une mémoire multi-modale. Les
connaissances sémantiques s’acquièrent et les représentations internes se développent en
75
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
fonction de la variété des tâches décrites impliquant différentes modalités sensorielles. La
nature de cette spécialisation «gradée» se modélise par deux facteurs généraux:
1-Les différences dans le degré relatif de systématicité des tâches (combinaisons des
cartes sémantiques d’entrées-sorties entre la gestuelle, le toucher, la dénomination, etc...).
2-Un biais d’apprentissage topographique en faveur des connexions courtes,
entraînant le recrutement de régions sémantique qui sont anatomiquement proches des
modalités (vision, toucher...) adéquates pour les entrées-sorties.
Action
(imitation gestuelle)
Touché
Toucher
Vision
Tâche
Phonologie
(dénomination)
Figure 2.4: Architecture du réseau, adapté de Plaut (2002). Chaque carré gris correspond à une unité
dont la valeur d’activité est indiquée par la taille de la région blanche. Plus cette région blanche est importante,
plus l’activité est grande. Le patron d’activation présenté, correspond au réseau entraîné quand on lui présente un
objet visuellement et qu’on lui demande de générer une représentation de son action et de dénommer l’action
associée. Les flèches indiquent la connectivité entre les différents groupes d’unités, les flèches directionnelles
correspondent à 2 projections séparées. Les unités «tâche» sont connectées à tous les groupes qui ne
correspondent pas à des entrées.
76
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Un réseau connexionniste récurrent a été entraîné pour cartographier à la fois les
entrées visuelle et tactile sous forme d’action (imitation gestuelle) ou phonologique
(dénomination), par un réseau sémantique commun topographiquement restreint (Figure 2.4).
La simulation de lésion dans ce réseau, de la vision aux régions sémantiques proches de la
phonologie prédit les résultats principaux observés chez les patients souffrant d’aphasie
optique. Le modèle simule l’atteinte plus importante pour la dénomination d’objets présentés
visuellement par rapport à l’imitation des gestes permettant de les utiliser ou la dénomination
après palpation. Comme les patients, le réseau montre de meilleures performances pour la
dénomination d’actions associées à des objets présentés visuellement. Cette capacité est
relativement épargnée puisque la dénomination d’action bénéficie de zones sémantiques
préservées proches de la représentation des actions.
L’intérêt de ce réseau reste qu’il se place entre la conception d’une mémoire
sémantique unitaire et d’une mémoire sémantique multi-modale. Comme dans la conception
d’une mémoire unitaire (Caramazza et al., 1990), une représentation sémantique commune
sert de base entre les entrées/sorties des différentes modalités. La même représentation
sémantique est activée par un objet indépendamment de sa modalité d’entrée. Comme dans la
conception d’une mémoire multi-modale (Beauvois & Saillant, 1985), les régions
sémantiques deviennent partiellement spécialisées pour quelques modalités et se superposent
avec les autres pouvant conduire à des déficits plus sélectifs.
Les deux derniers modèles ne sont pas incompatibles, mais décrivent différents
niveaux de représentations et prennent en compte des apports de données différents. Le
modèle de Plaut (2002) prend principalement en considération le cas d’aphasie optique, pour
se concentrer sur les déficits qu’elle génère. La simulation obtenue rend compte, de par les
lésions, d’une grande partie des données et envisage la mémoire sémantique dans une
77
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
acception beaucoup plus large que celle proposée par Ferrand (1997). Ce dernier s’intéresse
plus aux différentes étapes de traitement qu’à l’organisation des connaissances. Cependant,
les arguments apportés pour l’existence d’une voie directe non-sémantique ne sont en aucun
cas incompatibles avec l’organisation proposée par Plaut. L’existence d’une voie directe nonsémantique pour la dénomination permet d’intégrer des données qui sont difficiles à prendre
en compte avec des modèles sériels ou en cascade. L’intérêt réside ici dans la présentation de
modèles récents proposant à la fois une organisation plausible de la mémoire sémantique
(Plaut, 2002) et les différentes étapes qui semblent nécessaires à la dénomination des objets
(Ferrand, 1997). Nous verrons cependant qu’un modèle développé dans un premier temps
pour rendre compte de l’accès lexical (Starreveld & La Heij, 1996), permet d’expliquer, après
quelques modifications, un grand nombre de faits expérimentaux. Ce modèle, le CSM ajusté
(«Conceptual Selection Model», modèle de sélection conceptuelle; Bloem, van den
Boogaard, & La Heij, sous presse) permet de simuler des données issues aussi bien de
dénomination d’objets que d’expériences d’amorçage. Il ne remet pas en cause l’organisation
en mémoire sémantique proposée par Plaut, mais soulève des questions quant aux
descriptions proposées par les modèles rendant compte des effets en la dénomination des
objets. L’approche développée pour comprendre l’organisation de la mémoire par les objets
visuels semble compatible avec l’étude de la perception des sons de l’environnement. Le
modèle CSM ajusté paraît particulièrement intéressant pour appréhender les données
d’amorçage dans le domaine non-verbal. Nous développerons plus longuement ce modèle
dans la suite de ce chapitre. Nous verrons quelles sont les observations qui ont conduit à sa
conception et si sa forme finale cadre avec les objectifs théoriques que nous envisageons avec
les sons de l’environnement.
La suite du chapitre présente la mise en évidence expérimentale d’une étape
sémantique et d’une étape phonologique dans la dénomination d’objets. Les études portant sur
78
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
le niveau sémantique nous conduiront à développer les travaux qui forment le cadre du
modèle CSM ajusté.
3.1.4 Effets d’amorçage et d’interférence dans la dénomination d’objets
Comme nous l’avons déjà vu, les modèles de dénomination d’objets proposent une
distinction entre les lexiques phonologique et sémantique. Il devrait être possible d’influencer
la récupération des informations en fonction du système considéré. Deux techniques ont été
utilisées dans ce sens, l’amorçage et l’interférence mot-objet (utilisation de distracteurs) en
dénomination. Les deux techniques permettent de manipuler le niveau phonologique et le
niveau sémantique.
Niveau phonologique
Les résultats des études s’intéressant aux caractéristiques phonologiques montrent que
l’utilisation de mots ou de non-mots similaires phonologiquement au nom du dessin à
dénommer, génère un effet facilitateur comparé aux mots non reliés. Cet effet facilitateur a été
observé dans des tâches d’interférence mot-OBJET (Schriefers, Meyer, & Levelt, 1990;
Starreveld & La Heij, 1995) mais aussi en amorçage (Collins & Ellis, 1992; Ferrand, Segui,
& Grainger, 1995; Wheeldon & Monsell 1992). Ferrand et al. (1995) utilisent un paradigme
d’amorçage masqué, en manipulant des distracteurs homophones («brat» pour «bras») et
des non-homophones proches orthographiquement («brai» pour «bras») du nom de l’objet à
dénommer, ils observent un effet de facilitation dans le cas de l’homophone, mais pas pour le
non homophone proche orthographiquement. Ces résultats suggèrent que l’amorce active la
représentation phonologique, activation qui facilite la dénomination du mot cible,
indépendamment de la relation sémantique. Par ailleurs, cet effet de répétition s’observe en
79
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
amorçage non-masqué uniquement quand l’amorce partage des propriétés phonologiques et
sémantiques avec la cible (Wheeldon & Monsell, 1992).
Niveau sémantique
La présentation du mot «pomme» facilite la dénomination du dessin d’une pomme
(Wheeldon & Monsell, 1992). Cet effet de répétition en inter-format a servi de point de départ
pour la plupart des recherches dans ce champ. Le phénomène a également été documenté en
amorçage sémantique intra-format (OBJET-OBJET) et inter-format (mot-OBJET) par
Sperber, McCauley, Ragain et Weil (1979), effets confirmés dans de nombreuses études
(Bajo, 1988; Carr, McCauley, Sperber, & Parmelee, 1982; Hines et al., 1984; Humphreys et
al., 1988; Huttenlocher & Kubicek, 1983; Irwin & Lupker, 1983; Lupker, 1985; McCauley,
Parmelee, Sperber, & Carr, 1980). Lupker (1985) suggère que les effets d’amorçage
sémantique sont plus dépendants des relations associatives entre les items que des liens
sémantiques. La plupart des paires utilisées dans les études citées utilisent des objets qui sont
d’une part, membres d’une même catégorie sémantique et d’autre part, associés verbalement
(associés forts et même catégorie: «Chaise-TABLE », associés faibles et même catégorie:
«Vache-CHEVAL»). Lorsque l’on manipule cette valeur associative l’effet d’amorçage
sémantique tend à disparaître. Lupker (1988) manipule les relations catégorielles amorce-cible
et montre qu’elles n’influencent en rien les effets des relations associatives. D’autres auteurs
proposent une approche qui ne se base pas sur la notion de propagation de l’activation.
Wheeldon et Monsell (1994) partent du manque de précision quant à la définition du lien
entretenu entre l’amorce et le mot correspondant à l’image. Ils proposent de définir cette
relation pour deux mots comme étant sémantiquement proches s’ils partagent un certain
nombre de propriétés, qui peuvent être de nature fonctionnelles (utilisation ou catégorie) et/ou
structurales (par exemple, des caractéristiques utiles pour l’identification visuelle). Les
80
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
auteurs parlent de compétiteurs sémantiques («semantic competitors»), où un compétiteur
partage des propriétés sémantiques et/ou fonctionnelles avec un autre mot, de telle sorte que
les deux mots se retrouvent en «compétition» au niveau de la sélection lexicale.
Manipulation du SOA et de la relation entre l’IMAGE et le mot
L’étude de la nature des mécanismes conduisant à des effets d’amorçage sémantique a
conduit certains auteurs à manipuler d’autres facteurs. Glaser et Düngelhoff (1984) analysent
le décours temporel de la dénomination d’objets dans un paradigme d’interférence motOBJET. Ils présentent successivement un mot et une image, la tâche du sujet consiste à
dénommer l’image. Ils vont varier deux facteurs, le SOA et la relation entre l’image et le mot.
Le SOA peut être, négatif (-400, -300, -200 ou -100ms, le mot apparaît avant l’image), nul
(0 ms, le mot et l’image apparaissent simultanément), ou positif (100, 200, 300 ou 400ms, le
mot apparaît après l’image). Le mot et l’image sont non reliés, de la même catégorie
sémantique ou identiques. Les résultats montrent pour le SOA négatif le plus long (-400ms)
une dénomination plus rapide pour l’image si le mot est sémantiquement relié plutôt que non
relié, et pas de différences entre ces deux conditions pour les SOA intermédiaires (-300 et
–200ms). Pour les SOA courts (-100 et 0ms) une inversion de l’effet avec une
dénomination plus longue lorsque le mot est sémantiquement relié à l’image comparée à la
condition non reliée. Cet effet inhibiteur disparaît quand le mot est présenté plus tard (200,
300 et 400 ms). Ce patron de résultat différent, particulièrement l’effet inhibiteur, interroge
sur les effets facilitateurs observés dans les expériences utilisant un paradigme d’amorçage
«classique». L’effet d’inhibition à de courts SOA (-100 et 0ms) a été répliqué par
Starreveld et La Heij (1996) et par Schriefers et al. (1990) avec présentation auditive du mot.
Roelofs (1992) précise que deux conditions sont nécessaires à l’apparition de l’effet
inhibiteur. Premièrement, les distracteurs reliés sémantiquement doivent appartenir à
81
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
l’ensemble des réponses, si le mot «chat» est utilisé dans une paire, on doit le retrouver à un
moment sous forme d’image à dénommer. Deuxièmement, plusieurs membres d’une même
catégorie doivent être présents, par exemple différents objets manufacturés. Lorsque ces
conditions ne sont pas remplies l’effet inhibiteur n’est plus observé notamment, Roelofs
(1993) observe un effet sémantique facilitateur pour un SOA de -100ms. L’ensemble des
résultats pose la question de la nature exacte du lien entretenu entre l’amorce et la cible.
Cependant, comme nous l’avons vu les résultats de ces études manquent d’homogénéité dans
la manipulation des relations entre le mot est l’image, ce qui conduit à l’observation de
patrons de résultats différents. L’influence du SOA sur les effets observés ne permet pas de
démêler l’implication des facteurs sémantiques de ceux plus associatifs.
Relation associative versus sémantique
Récemment, Alario, Segui et Ferrand (2000) ont manipulé dans leur étude la durée du
SOA (114 ms et 234 ms), la durée de l’amorce (100 et 220ms) et la nature de la relation
partagée entre l’amorce et le nom de l’image à dénommer (purement sémantique «écoleÉGLISE», purement associatif «carrote-LAPIN» ou non reliée «dentifrice-ZÈBRE»). Le
choix de leurs paires d’items a été réalisé en fonction des normes françaises pour les mots
(Ferrand & Alario, 1998) et les images (Alario & Ferrand, 1999), afin d’obtenir des paires
sémantiques ne partageant pas d’association verbale et des paires d’items associées exemptes
de relation sémantique. Ils observent dans une tâche de dénomination d’objets (Expérience 1,
SOA=114 ms, amorce=100ms), un effet inhibiteur du lien sémantique et pas d’effets du
lien associatif, comparé à la condition non liée. Un patron de résultat différent apparaît quand
le SOA est de 234ms (Expérience 2), et ce quel que soit le temps de présentation de l’amorce
(100 ou 220ms). Dans la condition «lien associatif», un effet facilitateur est observé sur les
temps de dénomination et pas d’effets dans la condition «lien sémantique», comparé à la
82
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
condition non reliée. Les effets du SOA en ce qui concerne les paires sémantiquement reliées
répliquent ceux cités plus haut, observés par Glaser et Düngelhoff (1984). Les auteurs
interprètent l’effet inhibiteur dans le cadre du modèle de Roelofs (1992, 1993) et de
Starreveld et La Heij (1996), (voir aussi Roelofs, Meyer, & Levelt, 1996), récemment
implémenté dans un cadre plus général de production de mot, «Weaver ++» de Levelt,
Roelofs, et Meyer (1999). Quand un mot est traité («cheval»), il active les représentations
phonologique et/ou lexicale qui lui sont associées. Si une image montrant un chat est
présentée pendant le traitement du mot cheval, donc peu de temps après son apparition, le
traitement de l’image produira alors de l’activation associée à cette image. Comme cheval et
chat partagent des caractéristiques sémantiques, un certain nombre d’indices sera disponible
pour les deux candidats. Le système doit sélectionner entre ces deux possibilités, voire même
plus s’il existe d’autres candidats. La conséquence de l’activation de plusieurs compétiteurs
sémantiques est une augmentation du temps de sélection du bon candidat, entendre le nom
correspondant à l’objet. Par exemple, quand le mot n’est pas lié («maison») au mot
désignant l’image, il n’y a pas de conflit d’activation et la sélection lexicale du mot prend
moins de temps. L’effet inhibiteur des compétiteurs sémantiques disparaît pour un SOA de
234ms, prédiction que fait le modèle «Weaver ++». Si le laps de temps est suffisant entre
l’apparition du mot et de l’image, alors le traitement lexical sur le mot a eu le temps de se
terminer ou de ne plus être assez activé, laissant le traitement de l’image se dérouler sans
compétiteur sémantique. Ce processus de compétition semble survenir uniquement lorsque
l’amorce et la cible entretiennent un lien sémantique. L’effet facilitateur du lien associatif
semble dépendant du SOA, cet effet d’amorçage s’observe uniquement pour le SOA le plus
long (234ms). Il diffère de l’effet d’inhibition sémantique dont nous venons de discuter,
d’une part car il apparaît à un SOA différent (114ms versus 234ms), et d’autre part car il est
de nature différente (facilitation vs inhibition). Contrairement à l’effet inhibiteur le modèle de
83
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
production de la parole développé par Levelt et al. (1999) ne permet pas de prendre en compte
ce résultat. Les auteurs proposent d’expliquer leur résultat par un processus de propagation de
l’activation (Collins & Loftus, 1975). Le mot active sa représentation qui à son tour génère de
l’activation qui se propage aux unités associées voisines. Cette activation créée un avantage
pour traiter un mot correspondant à une unité qui est déjà activée. Quand une image associée
au mot précédemment lu apparaît, l’avantage de l’activation permet une sélection plus rapide
par rapport à une image dont l’unité n’a pas été activée comme c’est le cas pour les paires non
reliées.
Si la distinction entre un niveau phonologique et un niveau conceptuel/sémantique ne
pose pas de problème, il reste un certain nombre de questions au sein du niveau sémantique.
Les résultats d’Alario et al. (2000) ne peuvent pas s’interpréter dans leur intégralité grâce aux
modèles proposés en dénomination d’objets. L’influence différentielle des liens associatifs et
sémantiques sur les temps de dénomination interroge sur la nature des relations et
l’organisation des représentations conceptuelles. Cette problématique questionne directement
la nature des représentations conceptuelles activée en fonction de l’entrée sensorielle. Quelle
relation un objet entretient avec le mot qui lui correspond? L’activation de la représentation
lexicale correspondant à un objet est-elle une étape obligatoire? Les représentations
conceptuelles peuvent-elles être activées indépendamment de leur représentation lexicale? Le
modèle CSM ajusté, qui se base sur les modèles d’accès au lexique (Levelt et al., 1999;
Roelofs, 1992; Starreveld & La Heij, 1996), permet de répondre à la plupart de ces questions.
Le point suivant présente les données qui ont conduit aux modifications des modèles d’accès
au lexique et les simulations effectuées à partir du nouveau modèle.
84
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
3.2 Activation lexicale et objets présentés visuellement
3.2.1 Les images activent-elles automatiquement leur représentation lexicale?
Eléments de réponse avec les traductions langagières
Le modèle d’accès lexical de Starreveld et La Heij (1996)
Bloem et ses collaborateurs (Bloem & La Heij, 2003; Bloem et al., sous presse)
proposent un modèle qui appréhende à la fois les effets de facilitation et d’inhibition
sémantique pour la dénomination d’objets. Le premier modèle qui rend compte des effets
d’inhibition sémantique est formulé en termes de propagation de l’activation entre les
différents concepts en mémoire (Collins & Loftus, 1975) par Glaser et Glaser (1989).
Figure 2.5: Parties importantes des modèles d’accès lexicaux de Roelofs (1992) et Starreveld et LaHeij
(1996), figure adaptée de Bloem et La Heij (2003). Voir texte pour les explications.
85
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Une version sous forme de réseau de neurones (Figure 2.5) est proposée quelques
années plus tard par Reolofs (1992), puis Starreveld et La Heij (1996). Dans ce réseau, Ct et
Cc correspondent aux représentations conceptuelles et Lt et Lc aux représentations lexicales où
«t» («target») est la cible et «c» («context») le contexte. Le traitement opéré lors de la
présentation d’un mot et d’une image est simulé par l’activation de Ct et Lc. L’influence de la
tâche de dénomination d’objet correspond à une activation supplémentaire («task input») au
niveau de Ct. Si la cible et le contexte sont reliés, la diffusion d’activation entre Ct et Cc
conduira à une augmentation de l’activation pour ces deux représentations conceptuelles, qui
à leur tour enverront de l’activation vers leur représentation lexicale. Dans ce modèle,
l’activation d’une représentation conceptuelle conduit à l’activation de la représentation
lexicale lui correspondant. Le point central du modèle est l’asymétrie au sein du réseau où la
représentation conceptuelle de la cible est plus activée que celle du contexte. Deux raisons
expliquent cette asymétrie, Cc est activé par sa représentation lexicale Lc, alors que Ct est
activé directement et reçoit une activation supplémentaire due à la tâche («task input», entrée
«Tâche»). Comme Ct est plus activé que Cc, plus d’activation est envoyée de Ct à Cc, ce qui
entraîne une continuité d’activation pour Lc. Lt et Lc sont en compétition pour la sélection
lexicale, qui se fera quand l’activation de Lt excèdera celle de Lc. La compétition entre Lc et Lt
entraîne un temps de sélection plus long qui permet de rendre en compte des résultats
expérimentaux d’interférence sémantique. Cet effet d’interférence sémantique en termes de
compétition est largement accepté, à l’heure actuelle, dans les modèles de production du
langage (Levelt et al., 1999; Roelofs, 1992; Starreveld & La Heij, 1996), et repose sur de
nombreux résultats expérimentaux (par exemple, Alario et al., 2000). Le mécanisme de
propagation de l’activation est également utilisé pour appréhender les phénomènes
d’amorçage (voir ce chapitre, 2.2), cependant peu d’auteurs ont tenté de simuler les effets de
facilitation sémantique observés dans des tâches de production de la parole. Des observations
86
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
effectuées dans des expériences sur la traduction de mots permettent de comprendre les
phénomènes d’interférence et de facilitation sémantique. Ces études sont à la base des
évolutions des modèles de Roelofs (1992) et Starreveld et La Heij (1996) envisagées par
Bloem et ses collaborateurs (2003, sous presse).
Résultats incompatibles avec le modèle de Starreveld et La Heij (1996)
La Heij et al. (1990) utilisent une tâche de traduction selon une variante de la tâche de
Stroop (1935). Le participant doit traduire le mot anglais «spoon» (cuillère) en hollandais
(«lepel»). Le mot cible peut être présenté soit accompagné par un mot sémantiquement relié
«vork», (fourchette), soit par un mot non relié. Les résultats montrent, lorsque la cible est
présentée avec un mot sémantiquement relié, un effet d’interférence sémantique similaire à
celui observé dans les tâches d’interférence mot-OBJET. Ce résultat a alors été avancé
comme argument pour expliquer que l’interférence sémantique s’obtient dans toutes les tâches
où un mot doit être sélectionné sur la base d’une représentation conceptuelle. La Heij,
Hooglander, Kerling, et Van der Velden (1996) se sont alors demandés si la traduction
inversée («backward translation», traduction inversée, d’une langue étrangère vers sa langue
maternelle; «forward translation», traduction, correspondant à l’inverse) se réalisait
également sur des bases conceptuelles. Ils présentaient une image «contexte» accompagnée
du mot cible («plage»), l’image était soit liée sémantiquement («PARASOL») ou non
(«MAISON») au mot. Les résultats montrent un effet du lien sémantique allant dans le sens
d’une facilitation, suggérant que la traduction inversée se base sur les représentations
conceptuelles du mot cible. Ces deux études mettent en évidence des résultats opposés,
simplement en changeant le contexte, un mot (La Heij et al., 1990) avec un effet
d’interférence sémantique, ou une image (La Heij et al., 1996) avec un effet de facilitation
sémantique. Comment les modèles de production du langage (Levelt et al., 1999; Roelofs,
87
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
1992; Starreveld & La Heij, 1996) simulent-ils ces deux résultats? L’effet d’interférence
sémantique ne pose aucun problème aux modèles si l’on considère que la traduction inversée
repose sur des bases conceptuelles. L’effet de compétition sémantique apparaît, car chacun
des mots active sa représentation conceptuelle, qui à son tour active sa représentation lexicale
créant un conflit, l’effet de compétition conduisant à l’interférence sémantique. Maintenant,
quand le mot «contexte» est remplacé par une image (La Heij et al., 1996), le modèle prédit
toujours la même chose, une interférence sémantique. Des simulations ont été effectuées avec
le modèle de Starreveld et La Heij (1996) sur la base des expériences menées par La Heij et
al. (1996). Les résultats de la simulation prédisent un effet d’interférence sémantique quelle
que soit la nature de la stimulation.
Résultats de Bloem et La Heij (2003)
Bloem et La Heij (2003) réalisent plusieurs expériences afin, d’une part de répliquer
les résultats des expériences de traduction, et d’autre part de vérifier les simulations du
modèle d’accès lexical modifié. Ils présentent un mot que le participant doit traduire
oralement le plus rapidement et le plus correctement possible, dans un contexte relié
sémantiquement ou non sous forme de mot ou d’image (Expérience 1). Lorsque le contexte
est un mot, ils obtiennent un effet d’interférence sémantique, l’inverse est observé lorsque le
contexte est une image. Ces résultats confirment les observations faites précédemment par La
Heij et al. (1990, 1996). Dans leur deuxième expérience, les auteurs veulent vérifier que la
nature des traitements effectués sur les images n’est pas à l’origine de la facilitation
sémantique. En effet, les images pourraient mettre plus de temps que les mots pour activer
leurs représentations lexicales. Dans ce cas, les images pourraient induire une facilitation au
niveau conceptuel avant que le nom qui leur correspond ait le temps d’entrer en compétition
avec celui du mot cible. La deuxième expérience diffère en deux points de la première. Tout
88
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
d’abord, les auteurs utilisent des SOA variables (-250, 0 et 150ms), l’idée étant qu’un SOA
de -250ms (l’image apparaît 250ms avant le mot) sera suffisant pour compenser la
différence entre le mot et l’image (Glaser & Düngelhoff, 1984). Ensuite, une condition neutre
est ajoutée (une rangée de «X» à la place de l’image) aux conditions sémantiquement reliée
et non reliée. Les résultats répliquent ceux de l’Expérience 1 pour les SOA de 0 et 150ms. Le
principal objectif de cette expérience était de tester l’hypothèse d’une activation retardée pour
les représentations lexicales associées aux représentations conceptuelles lors de la
présentation d’image. Lorsqu’un SOA de –250ms est utilisé l’effet de facilitation sémantique
observé pour les images est toujours présent. Ce résultat suggère que ce n’est pas une
activation différée pour les images qui est responsable de cet effet sémantique facilitateur. Par
contre, dans le cas d’un contexte sous forme de mot, au même SOA de -250ms l’effet
d’interférence sémantique disparaît, les latences des temps de réponses sont quasi-identiques
entre les conditions sémantiquement reliée et non reliée. La disparition de l’effet
d’interférence sémantique à des SOA similaires est un phénomène qui a déjà été documenté
(Glaser & Düngelhoff, 1984; La Heij et al., 1990; Starreveld & La Heij, 1996). Le résultat
central restant l’effet sémantique facilitateur qu’on observe lors de l’utilisation d’image en
contexte indépendamment de la durée du SOA. Les modèles de production orale du langage,
comme nous l’avons déjà mentionné, ne simulent pas cet effet (Levelt et al., 1999; Roelofs,
1992; Starreveld & La Heij, 1996). Ils prédisent un effet d’interférence quelle que soit la
nature de l’information présentée en contexte. Bloem et La Heij (2003) proposent pour rendre
compte des effets de facilitation sémantique en contexte imagé, que les images n’activent pas
automatiquement la représentation lexicale qui leur correspond. Le traitement d’une image
sémantiquement liée au mot cible, engendrerait une activation qui se propagerait à un niveau
conceptuel sans diminuer la sélection du mot cible au niveau lexical (pas de compétition
89
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
lexicale). Des conclusions similaires sont avancées pour appréhender les résultats
d’interférence de type Stroop (voir, MacLeod, 1991, pour une revue).
Les résultats de Bloem et al. (sous presse)
Ils présentent un ensemble d’expériences, qui nécessitent à la fois d’apporter une
modification supplémentaire au modèle CSM (Bloem & La Heij, 2003) et permettent de
vérifier le décours temporel des effets sémantiques et lexicaux en fonction du CSM ajusté
(Bloem et al., sous presse).
Ils utilisent une tâche de traduction en dénomination de mot, présenté en langue
étrangère, en employant deux SOA (-400 et 200ms), le contexte est exclusivement formé de
mots. Dans l’Expérience 1, ils répliquent l’effet d’interférence sémantique pour un SOA de
200ms, et observent une facilitation sémantique pour le SOA de -400ms. Par exemple
comparé à un mot non relié au contexte, le mot sémantiquement relié «dolfijn» (dauphin en
hollandais) diminue la traduction du mot «shark» (requin) à un SOA de +200ms, mais la
facilite à un SOA de –400ms. Ce résultat n’est pas pris en compte par le modèle CSM
(Bloem & La Heij, 2003), qui nécessite alors quelques modifications. Les autres expériences
permettent de tester le comportement du modèle CSM ajusté.
3.2.2 Modifications apportées au modèle de Starreveld et La Heij (1996)
Les auteurs proposent d’implémenter le modèle d’accès lexical de Starreveld et La
Heij (1996), en modifiant l’activation automatique des représentations lexicales par
l’activation des représentations conceptuelles correspondant quelle que soit la nature des
stimulations activatrices (mots ou images). Leur modèle a déjà été détaillé dans sa forme
première, qui correspond au modèle CSM (Figure 2.5).
90
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Prise en compte des effets de facilitation sémantique en contexte
«image»
Ils modifient le modèle en proposant un seuil d’activation au niveau des
représentations conceptuelles (Figure 2.6). Dans ces conditions, seul le concept qui est
sélectionné pour la dénomination atteindra le seuil et activera ainsi sa représentation lexicale.
La notion de seuil permet de rendre compte de la facilitation sémantique observée lorsque les
images servent de contexte. Le seuil est atteint plus vite lors d’une forte activation de la
représentation conceptuelle cible. L’activation qui est envoyée par le concept cible a peu
d’influence tant qu’elle ne permet pas aux autres concepts d’atteindre le seuil d’activation, ce
qui activerait leur représentation lexicale correspondante. Le problème d’un tel modèle serait
une inversion des effets observés, on obtiendrait des effets de facilitation sémantique quelle
que soit la nature de la stimulation. Des modifications supplémentaires sont donc nécessaires
pour rendre compte de l’ensemble des résultats expérimentaux.
Figure 2.6: Modèle CSM ajusté, basé sur des modifications du modèle d’accès lexical de Starreveld et
LaHeij (1996), figure adaptée de Bloem et al. (sous presse). Voir texte pour les explications.
91
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Prise en compte des effets d’interférence sémantique en contexte
«mot»
Bloem et al. (2003) proposent que le concept cible n’active pas seulement sa propre
représentation lexicale mais également, à un moindre degré, les mots qui lui sont
sémantiquement reliés. Dans ces conditions, le mot activerait une «cohorte» de mots qui lui
sont sémantiquement reliés. Cette proposition rejoint des conceptions plus anciennes sur
l’accès lexical (Levelt, 1989), où le niveau d’activation d’un mot correspondait au
chevauchement de ses caractéristiques sémantiques avec celles du concept à exprimer.
Simulations effectuées avec le modèle CSM (Bloem & La Heij, 2003)
Un essai de simulation a été réalisé pour vérifier le décours temporel des effets
d’interférence et de facilitation sémantique. Les résultats de la simulation sont en accord avec
ceux obtenus dans l’Expérience 2 de Bloem et La Heij (2003, voir ci-dessus). Les
modifications apportées permettent alors de simuler à la fois les effets d’interférence et de
facilitation sémantique. Le modèle réussit également à simuler la disparition de l’effet
d’interférence pour un SOA de -250ms quand le contexte est formé d’un mot.
Prise en compte des effets de facilitation sémantique en contexte
«mot», vers le modèle CSM ajusté (Bloem et al., sous presse)
Les auteurs suggèrent que l’activation au niveau des représentations lexicales diminue
plus rapidement que celles des représentations conceptuelles. Cette hypothèse suppose qu’à
un SOA de -400ms, l’activation conceptuelle soit plus importante que l’activation lexicale
lorsque la cible apparaît, activation qui serait à peu de choses près équivalente à celle induite
par une image.
92
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
Le modèle CSM ajusté prend en compte les effets de facilitation sémantique en
contexte image et mot (SOA=-400ms) et l’interférence sémantique en contexte mot
(SOA<-250ms). En résumé, trois changements majeurs, opérés par rapport à la version
antérieure de Starreveld et La Heij (1996), permettent de rendre compte de l’ensemble des
données expérimentales:
1-Introduction d’un seuil d’activation pour les représentations lexicales. La
représentation conceptuelle activée par une image n’active pas automatiquement la
représentation lexicale qui lui correspond.
2-Un concept cible sous forme de mot n’active pas seulement sa propre
représentation lexicale mais également, à un moindre degré, les mots qui lui sont
sémantiquement reliés.
3-L’activation au niveau des représentations lexicales décroît plus rapidement que
celle au niveau des représentations conceptuelles.
Les propriétés de ce modèle lui permettent de simuler les données expérimentales
d’amorçage et de type Stroop, dépassant le simple cadre des tâches d’interférence mot-OBJET
en dénomination (Bloem et al., sous presse).
Ce rapide survol des études et des modèles développés en amorçage et en
dénomination d’objets montre que l’approche générale forme un cadre adéquat pour étudier
les sons de l’environnement. Les sons de l’environnement et les images semblent présenter
des similitudes à plusieurs niveaux:
-Les deux types de stimuli ne sont pas capables de véhiculer l’ensemble des
significations proposées par le langage (mots abstraits versus mots concrets). Ils permettent en
définitive d’accéder à un ensemble plus restreint de signification.
93
Chapitre 2: Amorçage et dénomination d’objets
-Les deux formes de stimuli ne possèdent pas de grammaire, même si des séquences
peuvent exister.
-Ils sont considérés comme faisant partie de la catégorie des stimulations nonverbales.
En général, on considère que les images activent directement le système conceptuel
une fois les traitements structuraux effectués (Bowers, Vigliocco, Stadthagen-Gonzales, &
Vinson, 1999). Ces traitements restent la différence majeure entre les images et les sons de
l’environnement. Nous ne savons pas si des sons de l’environnement sont capables d’activer
directement des structures de connaissances abstraites. Nous avons déjà discuté en
introduction des relations entre la musique, le langage et les sons de l’environnement. Nous
verrons dans le chapitre suivant que des atteintes sélectives causent des troubles différents au
niveau de la musique, des sons de l’environnement, ou encore du langage. Nous avons déjà
détaillé dans ce chapitre quelques troubles liés à la perception des objets visuels. Ces atteintes
spécifiques associées aux similitudes qui existent entre les images et les sons, montrent à quel
point il est important d’étudier l’ensemble de ces stimuli pour améliorer notre compréhension
de la mémoire. De nombreuses questions subsistent à propos de cette mémoire, par exemple
sur son organisation interne en termes d’un système unique ou multiple. Les recherches se
sont focalisées sur une dichotomie verbale/non-verbale en restreignant l’aspect non-verbal
aux images. L’étude des sons de l’environnement permettra sûrement d’éclairer sous un autre
angle l’ensemble de ces recherches pour peut-être apporter des réponses aux questions qui
restent en suspens. Le chapitre suivant tâchera de dresser un l’état actuel des recherches
effectuées sur la perception des sons de l’environnement. Cette revue de littérature nous
permettra de mieux situer les sons de l’environnement en fonction des objets visuels et des
stimulations langagières.
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