pour exemplifier leur propos, et s’entendent sur des termes repris du français, qu’ils reportent en CH
suivant leurs exigences pédagogiques.
Dans les manuels du troisième cycle dit « fondamental » haïtien, en effet, on déplore une terminologie
flottante, y compris en créole. Par exemple pour les déterminants, tantôt nous avons
detéminan
, tantôt
mo
detay
; pour les pronoms, tantôt
pwonon
, tantôt
mo ranplasan
, avec des phrases démonstratives qui sont
soustraites à toute forme de contextualisation. Le fait notamment que les adjectifs, de leur côté, soient
presque tous rangés sous l’appellatif de
mo kalifyan
pose une difficulté de deux ordres : d’une part, tous
les adjectifs admis dans cette catégorie ne sont pas forcément caractérisants, et, d’autre part, certains
d’entre eux sont facilement nominalisables, là où d’autres font office de déterminants antéposés ou
postposés, à compter que l’effectivité même de la présence d’adjectifs de la classe nominale en CH est un
fait discutable (Véronique 2000). Pour pallier cette dispersion, le recours à certains phénomènes
translinguistiques, comme l’intensification et la réduplication, ouvre tous les possibles. Effectivement, on
note en CH une intensité nulle, notamment à l’appui de certains adverbes (
pas – menm, pa – ditou
), une
intensité faible, avec des formules du type
yon tigout, yon ti jan
devant l’adjectif (
manje a ti gout sale
), et
une intensité forte, notamment avec la réduplication, laquelle se combine quelquefois avec des expressions
verbales locutionnelles comme
ou kwè se
(
ou kwè se insolan li insolan
) (4). Prenons par exemple le terme
tifi
(la fillette) : ce nom peut être visiblement adjectivé et modifié en tant que tel par un adverbe d’intensité,
et ainsi en CH, dans certains contextes, on dira
tifi a tifi anpil
pour signifier que le second emploi de
tifi
reporte à l’adjectivation du premier (
tifi a
, déterminé par
a
), l’ensemble signifiant alors une fillette qui est
vraiment
fillette, autrement dit qui n’a pas encore les atours d’une femme.
Dans les ouvrages pédagogiques du secondaire et sur un plan épilinguistique en revanche, il est
couramment question du
nwayo (yon gwoup nominal)
, soit le noyau prédicateur, ou nexus, comme on
voudra, ce qui représente un bon point d’appui. Dans cette vue, et afin de ne pas provoquer de rupture dans
les intitulations des cours, les enseignants du supérieur emploient eux aussi tantôt
nwayo
, tantôt
pilye
, ce
qui revient au même. Au moment d’aborder les syntagmes verbal et nominal, par exemple avec un noyau
nominal dans
li prezidan depi ane pase
, verbal dans
li mouri yè
, nomino-adjectival dans
syel la blè
(tournure attributive averbale), ceux-ci conviennent du
wòl
(rôle argumental) que l’on pourrait résumer de
modificateur des circonstants, et parlent volontiers de transitivité partout où c’est effectivement le cas
(verbe, adverbe, préposition, notamment). Il en est de même pour la prédicativité, qu’ils illustrent à travers
la périphrase de ce qui supporte le
wòl prensipal
dans le syntagme, et autour duquel, surtout, les
modificateurs rentrent dans le cadre d’une périphérie cotextuelle donnée (5).
C’est donc en conformité avec les démarches déjà menées dans le primaire et le secondaire, que les
enseignants du supérieur, de leur côté, tranchent en faveur d’un ou de deux formalismes linguistiques
parmi ceux qui leur paraissent les plus appropriés, et c’est ce point qui sera plus particulièrement traité ici.
Pour que les enseignants des autres degrés puissent conduire favorablement l’exemplification, en créole
haïtien, de faits grammaticaux dont la désignation est dans presque tous les cas reprise du français, c’est
donc au niveau de l’enseignement supérieur qu’il convient d’agir en premier temps. À ce titre,
l’établissement qui accueille un programme de recherche organisé à Port-au-Prince est la Faculté de
linguistique appliquée. Administré par Pierre Vernet et parrainée en partie par l’AUF, il s’agit d’un
établissement d’enseignement supérieur public de l’Université d’État d’Haïti. À l’occasion d’une
réorganisation des cursus, un groupe de sessions 2005-2009 a été mis en place en vue, d’une part, de
consolider la formation académique et pédagogique des personnels déjà en responsabilité, ainsi que de
préparer, d’autre part, les recrutements à venir d’enseignants permanents et non permanents. En outre, une
unité de recherche nommée Pradel Pompilus (URPP), en hommage au linguiste haïtien renommé, a été
créée en avril 2005, avec en prévision une répartition en plusieurs laboratoires à partir de 2009. Des
domaines de recherche comme la créolistique (et donc la linguistique créole), la sociolinguistique, la
didactique du FLE/S et la phonologie sont autant de champs disciplinaires dans le cadre desquels il est
envisageable de projeter ces unités (
cf
. Torterat 2002).