De gauche à droite : Rostropovitch, Oïstrakh, Britten et Chostakovitch.
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DEUXIÈME SAISON LONDONIENNE.
La Révolution de 1789 ayant perturbé la vie
musicale parisienne, Londres devient la plus
importante métropole musicale d’Europe.
Dans la capitale anglaise prospèrent les
éditeurs de musique et les ateliers de facture
instrumentale ; la musique connaît une activité
très développée et variée. Les concerts sont
publics, accessibles à tous, gouvernés par
les lois du marché. Le public afflue dans de
grandes salles de concert où se produisent
des orchestres de plus grande taille que
ceux que l’on rencontre sur le continent. À
62 ans, libéré de son employeur le Prince
Esterházy, Joseph Haydn (1732-1809) n’hésite
pas longtemps à répondre favorablement à
une seconde invitation de l’organisateur de
concerts Johann Peter Salomon. Entre février
1794 et août 1795, il présente à Londres
six nouvelles symphonies (nos 99-104) qui,
par leur instrumentation et leur envergure,
surpassent le premier groupe des Symphonies
« londoniennes ». Surtout, il excelle à concevoir
une musique qui s’adresse pareillement aux
connaisseurs et aux amateurs, populaire
sans renoncer pour autant à un haut niveau
d’exigence artistique.
L’HORLOGE. La Symphonie n° 101 « L’Horloge »
doit son surnom au « tic-tac » qui berce tout
son deuxième mouvement. Tandis que les trois
derniers mouvements furent composés en
1793 en Autriche, le premier mouvement ne fut
achevé qu’en 1794, à Londres. Plus avancée que
la 100e, la 101e Symphonie fut jouée la première.
Une inversion de numérotation serait donc
plus fidèle à l’histoire… Le premier mouvement
débute, de manière mystérieuse, par une
introduction Adagio en ré mineur. Cordes et
bois semblent se mouvoir avec étrangeté, dans
un climat énigmatique. Le Presto à 6/8 qui
suit en prend d’autant plus de relief. Preste et
alerte, son thème principal bondit aux oreilles
et rafraîchit instantanément l’atmosphère par
sa fière tonalité de ré majeur. Dans l’Andante en
sol majeur à 2/4, c’est évidemment le « tic-tac »
des bassons, seconds violons, violoncelles et
contrebasses qui attire aussitôt l’attention.
Le fameux surnom « L’Horloge » circula très
vite à son sujet, car une réduction pour piano
de ce mouvement, intitulée Rondo… Die Uhr
(« Rondo… L’Horloge ») parut dès 1798 à chez
un éditeur viennois. Peut-être Haydn fut-il
inspiré par son travail de composition de
32 pièces pour les horloges musicales de son
ami Primitivus Niemecz (1750-1806) ?
Le thème principal, tout à la fois, calme, altier
et élégant, y comporte nombre de rythmes
pointés qui lui confèrent un caractère quelque
peu français. Quoi qu’il en soit, le mouvement
entier frappe par « sa construction subtile, sa
puissance et ses merveilles d’orchestration »
(Marc Vignal). De dimensions étonnantes
pour l’époque (le scherzo de la Symphonie n° 3
« Héroïque » de Beethoven sera le premier à le
surpasser en longueur), le Menuet (Allegretto)
présente en son centre, une « plaisanterie »
passagère : le solo de flûte est d’abord
sciemment dissonant, puis l’accompagnement
« corrigé » à sa répétition. La fin renoue avec la
nuance piano (Haydn supprima deux accords
conclusifs forte, prévus à l’origine). Le Menuet
sera adapté, la même année (1793), sous
forme de pièce pour horloge musicale.
Quant au Finale (Vivace), il s’agit d’un mélange
de forme rondeau (couplets/refrain) et de
forme sonate (opposition de deux thèmes).
Savant mélange d’humour et de science,
il présente, à la fin, un fugato des cordes
marqué pianissimo. La coda consacre le retour
des vents pour l’apothéose finale.
ÉRIC MAIRLOT
LONDRES. Le 21 septembre 1960, Britten
assiste, au Royal Festival Hall de Londres, à la
création anglaise du 1er Concerto pour violoncelle
de Chostakovitch. Placés dans la même loge,
les deux compositeurs sympathisent aussitôt.
Britten est subjugué par le jeu de Mstislav
Rostropovitch, dédicataire et interprète
de l’œuvre : « C’est le violoncelliste le plus
extraordinaire que j’ai jamais entendu. » Une
deuxième amitié se noue immédiatement, et
Rostropovitch réclame des œuvres nouvelles
au compositeur. En 1961, Britten dédie à
Rostropovitch sa Sonate pour violoncelle op. 65.
L’année suivante, après une brève maladie,
Rostropovitch supplie : « Si vous voulez que je
me rétablisse complètement, je vous demande
de voir le médecin dont l’adresse est : The
Red House, Aldeburgh, Suffolk [le domicile
de Britten]. Lui seul peut me ramener à la
vie en composant un brillant concerto pour
violoncelle. » Britten lui répond le 14 mars
1962 pour lui exprimer son regret d’avoir
été totalement absorbé par d’autres travaux
(principalement son War Requiem), mais
ajoute cependant : « Je suis déterminé à en
écrire un pour vous, et nous pouvons au moins
discuter de ce à quoi il va ressembler. » Le 6
juin, Rostropovitch le rassure : « Écrivez pour le
violoncelle tout ce que votre cœur vous dictera,
peu importe la difficulté ; mon amour pour vous
m’aidera à maîtriser chaque note, même les
plus impossibles. »
MOSCOU. Entamée à l’automne 1962, la Cello
Symphony est achevée en avril 1963 et créée le
12 mars de l’année suivante, au Conservatoire
de Moscou, par Rostropovitch et l’Orchestre
Philarmonique de Moscou dirigé par Britten.
L’œuvre est rejouée quatre jours plus tard à
Leningrad. À Moscou, le finale est bissé en
réponse à l’enthousiasme des étudiants. Après
une reprise en juin au Festival d’Aldeburgh,
puis en juillet aux Pays-Bas, la Cello Symphony
est enregistrée par Decca. Mais en 1965,
après avoir joué l’œuvre de nombreuses fois
et entendu l’enregistrement au New York
Cellists’Club, Rostropovitch écrit à Britten :
« J’ai presque pleuré : je la joue tellement
mieux maintenant et je suis si triste que nous
ne pouvons pas l’enregistrer de nouveau ! ».
CONCERTANTE. À la différence des
concertos habituels, qui opposent avec vigueur
soliste et orchestre, la Cello Symphony se
présente davantage comme une « symphonie
concertante » où l’instrument soliste se fond
dans l’orchestre. S’ouvrant par une introduction
déclamatoire du violoncelle, l’Allegro maestoso
initial répond au plan de la forme sonate
opposant deux thèmes, selon la succession
habituelle : exposition, développement,
réexposition. Agité et brillant, le Presto
inquieto est un scherzo qui bourdonne de traits
rapides et fugaces. Insaisissable et virtuose,
il distille un sentiment d’inquiétude. Tout à
l’opposé, l’Adagio offre un moment d’intensité
remarquable, un discours tour à tour noble
et grandiloquent, ponctué d’interventions
remarquées des timbales et des cuivres. Une
cadence du soliste conduit sans interruption au
finale en forme de passacaille, danse lente à
trois temps reposant sur la répétition d’un motif
obstiné, ici une série d’accords énoncés par le
soliste sous un solo de trompette. De caractère
éminemment variable, cette Passacaglia
(Andante allegro) égrène six variations et une
coda. Par la suite, Britten composera encore
trois Suites pour violoncelle à l’attention de
Rostropovitch, et dédiera son cycle de mélodies
The Poet’s Echo op. 76 (1965), à l’épouse de son
ami, la soprano Galina Vichnevskaïa (décédée le
11 décembre dernier).
britten CELLO
SYMPHONY (1962-1963)
haydn
SYMPHONIE N° 101 L’HORLOGE (1793-1794)