Prise en charge d’une hypertonie oculaire isolée
Rédigé avec l’aide de Florent Aptel, Antoine Bastelica, Hélène Bresson-Dumont, Nathalie
Collignon, Philippe Denis, Jean-Philippe Nordmann
1. CONTEXTE
La découverte d’une pression intra-oculaire (PIO) supérieure à 21 mmHg chez un patient présentant
un angle irido-cornéen ouvert et en l’absence d’altération glaucomateuse de la tête du nerf optique
et d’atteinte caractéristique du champ visuel, définit l’hypertonie oculaire isolée.
L’élévation pathologique de la PIO est le principal facteur de risque de conversion vers le glaucome
primitif à angle ouvert (GPAO) ainsi qu’un facteur essentiel d’évolution du glaucome. Ce risque de
conversion est globalement estimé à environ 10% à cinq ans. La majorité des sujets présentant une
hypertonie oculaire (HTO) n’est pas à risque de glaucome et 30 à 40% des patients non traités ont
un risque inférieur à 1% de développer un glaucome chaque année.
Il est donc important d’identifier les patients qui nécessitent un traitement car la réduction de la
PIO diminue le risque global de développer un glaucome. Ce risque augmente de façon
exponentielle en fonction du niveau de la PIO. La forte HTO (> 28-30 mmHg) pourrait être associée
au risque d’oblitération veineuse rétinienne.
2. DEFINITION - EPIDEMIOLOGIE
Le seuil de l’hypertonie est arbitrairement fixé à 21 mmHg et son diagnostic se fait à partir de
mesures répétées de la PIO. Du fait de ses variations nycthémérales, la découverte d'une PIO
supérieure à 21 mmHg doit être confirmée à plusieurs reprises avant d’affirmer le diagnostic. La PIO
augmente physiologiquement avec l’âge, expliquant une augmentation de la prévalence de l’HTO
avec l’âge. Environ 2% de la population de plus de 40 ans et près de 10% de la population de plus
de 70 ans présentent une HTO
1
. Elle est également plus élevée chez les sujets mélanodermes, les
patients myopes, diabétiques, hypertendus
3. MESURE DE LA PRESSION INTRA-OCULAIRE
La mesure de la PIO par tonométrie à aplanation de Goldmann demeure la technique de
référence. Si un tonomètre à air pulsé tonométrie non-contact ») est utilisé, il est nécessaire
de calibrer l’appareil par des mesures comparatives et de vérifier au tonomètre de Goldmann toute
1
Leske MC. The epidemiology of open-angle glaucoma: a review. Am J Epidemiol 1983 ; 118 : 183-91.
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mesure anormale, en excès ou en défaut. Les tonomètres fonctionnant selon un principe différent
de l’aplanation (Pascal, ORA, tonométrie à rebond,…) pourraient donner des résultats plus proches
de la réalité, mais ne sont pas actuellement une alternative à la tonométrie de Goldmann.
La mesure de la PIO doit être alisée avant la gonioscopie ou toute dilatation pupillaire. Du
fait des variations nycthémérales, l’heure de la mesure doit être mentionnée. Des courbes
nycthérales de la PIO (ou des "mini-courbes" faites durant dans la journée pour des raisons de
commodité, avec de 3 à 5 mesures) peuvent apporter des renseignements utiles sur l'existence des
pics pressionnels. En cas d’impossibilid’établir des mesures de PIO le même jour, il est possible de
convoquer le patient à des heures différentes pour les consultations ultérieures, ce qui permet
d’appréhender grossièrement la stabilité de la PIO.
La qualité de la mesure de la PIO au tonomètre de Goldmann est liée à la prise en compte des
facteurs intrinsèques (liés au patient) et extrinsèques qui peuvent modifier la tonométrie.
CAUSES DE SURESTIMATION DE LA
PIO :
CAUSES DE SOUS-ESTIMATION DE LA
PIO :
cornée épaisse
cornée fine
excès de fluorescéine
insuffisance de fluorescéine
larmoiement
œil sec
apnée prolongée
accommodation prolongée
col de chemise serré
illumination insuffisante du cône
cône mal centré
contact cône-paupière
contact cône-paupières ou cils
clignement
blépharospasme
astigmatisme conforme (surtout si > 3 dioptries)
astigmatisme inverse (surtout si > 3 dioptries)
mesures répétées de la PIO
4. MESURE DE l’EPAISSEUR CORNEENNE CENTRALE
La pachymétrie cornéenne est un examen indispensable devant toute HTO isolée car l’épaisseur
cornéenne centrale (ECC, valeur moyenne de 540 + 30 µm) modifie la mesure de PIO par
tonométrie. Ainsi, les cornées minces donnent lieu à une sous-estimation de mesure alors que les
cornées épaisses, de plus de 600 microns, surestiment généralement la PIO. Inversement, les
patients présentant une hypertonie oculaire isolée ont fréquemment une cornée épaisse
2
.
La technique de référence est la pachymétrie ultrasonique, mais les autres techniques « non-
contact » (Orbscan, microscope spéculaire) apportent également des mesures fiables et
reproductibles. Il n’existe pas d’abaques permettant de corriger les valeurs de PIO en fonction de la
pachymétrie cornéenne et les nomogrammes proposés sont tous approximatifs, en particulier
après chirurgie réfractive. En pratique quotidienne, on peut cependant retenir qu’un
épaississement de 100 µm par rapport à l’ECC normale aboutit à une surestimation de la PIO
2
Argus WA. Ocular hypertension and central corneal thickness. Ophthalmology 1995 ; 102 : 1810-2.
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d’environ 5 mmHg
3
. Il n’est pas nécessaire de répéter la pachymétrie à chaque consultation car
l’ECC est relativement stable dans le temps.
5. CONDUITE DE L’EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE.
INTERROGATOIRE
L’interrogatoire recherche les antécédents oculaires, personnels et familiaux du patient, ainsi que
les traitements suivis (corticoïdes ayant un risque iatrogène d’hypertonie, ou médicaments ayant
un effet mydriatique, notion d’intolérance médicamenteuse), ainsi que les facteurs de risque du
GPAO. Certains de ces facteurs de risque peuvent être connus dès l’interrogatoire : âge,
antécédents familiaux de glaucome, origine ethnique (mélanoderme). D’autres facteurs sont
également impliqués, tels que les fluctuations journalières de la PIO, le diabète (rôle discuté), la
myopie, l’hypotension artérielle et l’hypertension artérielle.
EXAMEN CLINIQUE
L’examen clinique comprend la mesure de l’acuité visuelle, de loin et de près, avant et après
correction optique, à la recherche d’une amétropie (myopie, hypermétropie), l’analyse
biomicroscopique à la lampe à fente du segment antérieur, de l’angle irido-cornéen (gonioscopie
avant dilatation pupillaire), la mesure de la PIO et de l’ECC, l’analyse de la tête du nerf optique et de
la couche des fibres visuelles péripapillaires ainsi que le relevé du champ visuel. L’examen est
bilatéral et comparatif.
Segment antérieur : recherche de signes évoquant une cause secondaire d’HTO :
pseudo-exfoliation capsulaire, dispersion pigmentaire, néovascularisation irienne
et angulaire, tumeur irienne ou angulaire, inflammation oculaire, déformation
pupillaire (réactivité du jeu pupillaire). La profondeur de la chambre antérieure
doit être estimée au centre et en périphérie.
Mesure de la PIO : tonométrie avant dilatation pupillaire et avant la pose d’un
verre focalisateur sur l’œil. L’heure de la mesure doit être notée dans le dossier.
Mesure de l’ECC : le dossier doit comprendre une mesure pachymétrique de l’ECC.
Gonioscopie : la gonioscopie recherche des signes évocateurs de fermeture de
l’angle irido-cornéen (degré d’ouverture angulaire par identification précise des
structures angulaires dans les 4 quadrants, zones d’apposition irienne, synéchies
irido-cornéennes) ou d’une cause d’HTO secondaire (récession angulaire,
dispersion pigmentaire, synéchies irido-cornéennes, néovascularisation angulaire,
précipités trabéculaires inflammatoires).
Examen de la tête du nerf optique et de la couche des fibres visuelles
3
Doughty MZ, Zaman ML. Human corneal thickness and its impact on intraocular pressure measures: a review and meta-analysis approach. Surv
Ophthalmol 2000 ; 44 : 367-408.
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péripapillaires : la technique la plus adaptée est un examen stéréoscopique en
biomicroscopie, généralement au travers d’une pupille dilatée. L’examen de la
tête du nerf optique est toujours nécessaire, même en cas de contre-indication à
la dilatation pupillaire. Un examen en ophtalmoscopie directe peut être employé,
car il permet une augmentation de la taille de l’image et donc une bonne
visualisation des détails de la papille. Un éclairage anérythre avec un filtre bleu
(490 nm) est recommandé pour l’examen de la couche des fibres visuelles
péripapillaires. Des clichés (au mieux, stéréophotographiques) des papilles et de
la couche des fibres visuelles péripapillaires sont utiles, afin de détecter
précocément l’apparition des premiers signes et de disposer d’un examen de
référence. L’analyse biomicroscopique de la tête du nerf optique doit rechercher,
après la mesure de la taille du disque optique, une atteinte initiale au niveau de
l’anneau neuro-rétinien et de la couche des fibres visuelles péripapillaires (ficits
localisés ou diffus de la couche des fibres visuelles, largeur et couleur de l’anneau
neuro-rétinien, , taille et profondeur de l’excavation, rapports cup/disc vertical et
horizontal , dissociation pâleur-excavation, position du vaisseau circumlinéaire,
présence d’hémorragies du disque optique, atrophie péripapillaire)
4
.
EXAMEN AUTOMATISE DE LA TETE DU NERF OPTIQUE ET DE LA COUCHE DES FIBRES
VISUELLES
Au stade d’hypertonie, l’examen clinique peut être complété par une analyse morphométrique de
la tête du nerf optique (tomographie à cohérence optique OCT, mais aussi microscopie confocale
HRT2) ou de la couche des fibres visuelles (HRT2, OCT-3, GdX)
5
,
6
,
7
,
8
. Les imageurs de la papille
fournissent des valeurs morphométriques (surfaces et volumes des structures papillaires, épaisseur
de la couche des fibres optiques) permettant un suivi précis. L’image caractéristique en «double
bosse» de la couche des fibres optique chez le sujet normal est due à la plus grande densité des
fibres optiques en supérieur et en inférieur et en bas. En cas de glaucome, les reliefs des bosses
sont moins accentués et peuvent même disparaître dans les cas évolués. Le complexe ganglionnaire
maculaire peut également étudié grâce à des programmes spécifiques en OCT, et son atteinte serait
un marqueur précoce de la neuropathie optique glaucomateuse. La précision des imageurs de la
papille est moins bonne en cas de myopie forte, d’anomalies congénitales de la papille. Pour chacun
de ces analyseurs automatisés, la frontière entre le normal (HTO isolée) et le pathologique (glaucome
débutant) n'est pas toujours définie de façon univoque. La comparaison avec les autres paramètres
(PIO, papille optique, champ visuel, contexte) reste indispensable.
EXAMENS DE PERIMETRIE
4
Renard JP, et coll. Bilan en pratique. L’hypertonie oculaire isolée. J Fr Ophtalmol 2005 ; S13-S6.
5
Tjon-Fo-Sang MJ, de Vries J, Lemij HG. Measurement by nerve fiber analyzer of retinal nerve fiber layer thickness in normal subjects and patients
with ocular hypertension. Am J Ophthalmol 1996 ; 122 : 220-7.
6
Kothy P, Vargha P, Hollo G. Glaucoma-screening with the Heidelberg Retina Tomograph II. Klin Monatsbl Augenheilkd 2003 ; 220 :540-4.
7
Reus NJ, Colen TP, Lemij HG. Visualization of localized retinal nerve fiber layer defects with the GDx with individualized and with fixed
compensation of anterior segment birefringence. Ophthalmology 2003 ; 110 : 1512-6.
8
Ford BA, et coll. Comparison of data analysis tools for detection of glaucoma with the Heidelberg Retina Tomograph. Ophthalmology 2003 ; 110 :
1145-50.
Page 4
L’analyse du champ visuel central en stratégie liminaire par périmétrie automatisée standard
blanc-blanc ») est recommandée afin de détecter les premiers signes d’atteinte fonctionnelle
précoce. Le choix du programme est à l’appréciation du médecin, mais comporte généralement
l’exploration des 24° ou 30° centraux. Certains algorithmes (Fastpac™, SITA, Stratégie TOP)
permettant une analyse reproductible et rapide du champ visuel peuvent être également utilisés.
En cas d’impossibilité de réaliser une périmétrie automatisée, la périmétrie cinétique de Goldmann
est une alternative acceptable mais moins fiable. Une attention particulière doit être portée aux
indices de fiabilité obtenus en périmétrie. Il est préférable que les patients soient suivis avec le
même test, et un rythme de surveillance de 12 à 24 mois peut être proposé si le champ visuel initial
est normal.
Souvent, mais pas systématiquement, les altérations anatomiques du nerf optique prédent
les perturbations glaucomateuses du champ visuel au stade débutant
9
. Il existe une période
charnière le champ visuel est normal bien que l'excavation papillaire présente déjà les signes
caractéristiques d'une atteinte glaucomateuse. Dans ces cas, la périmétrie à courtes longueurs
d’ondes bleu-jaune ») ou la périmétrie FDT Frequency Doubling Technique ») peuvent détecter
des anomalies du champ visuel avant la péritrie standard
10
. La combinaison de ces examens
pourrait permettre d’augmenter la sensibilidu diagnostic de glaucome.
6. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
SELON L’ASPECT DE L’ANGLE IRIDO-CORNEEN
Lorsque l’angle irido-cornéen est ouvert, le principal diagnostic différentiel est le glaucome
primitif à angle ouvert au stade débutant. Le diagnostic doit se baser sur un examen soigneux de la
tête du nerf optique, et sur l’analyse du relevé du champ visuel. Le seul facteur pressionnel est donc
insuffisant pour définir un glaucome. En effet, plusieurs études ont démontré qu’un patient
glaucomateux sur deux a en permanence des PIO < 22 mmHg
11
.
Lorsque l’angle irido-cornéen est étroit, il faut envisager une fermeture de l’angle, partielle ou
permanente (fermeture primitive de l’angle ou configuration d’iris plateau). Les causes de
fermeture secondaire de l’angle (uvéite chronique, traumatisme angulaire, rubéose irienne,…)
doivent également être évoquées.
SELON L’ETIOLOGIE
Les causes d’HTO secondaires doivent être discutées : recherche d’une imprégnation
cortisonique, d’une pseudo-exfoliation capsulaire, d’un syndrome de dispersion pigmentaire, d’une
néovascularisation angulaire, d’une inflammation trabéculaire, d’une récession angulaire ou d’une
cyclodialyse.
7. SUIVI CLINIQUE.
9
Harwerth RS, et coll. Ganglion cell losses underlying visual field defects from experimental glaucoma. Invest Ophthalmol Vis Sci 1999 ; 40 : 2242-50.
10
Landers JA, Goldberg I, Graham SL. Detection of early visual field loss in glaucoma using frequency-doubling perimetry and short-wavelength
automated perimetry. Arch Ophthalmol 2003 ; 121 : 1705-10.
11
Leske MC, Heilj A, Hussein M. Factors for glaucoma progression and the effect of treatment: the Early Manifest Glaucoma Trial. Arch Ophthalmol
2003 ; 121 : 48-56.
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