Chaque année, 6000 citoyens étaient tirés au sort parmi environ 30000 citoyens pour
composer le vivier des juges de l’Héliée. Lorsqu’une affaire devait passer devant l’Héliée, on
tirait au sort le nombre de juges, jamais moins de 51, pour juger l’affaire dans la journée. La
justice de l’Héliée était donc populaire mais collective. Chaque juge votait en son âme et
conscience, après avoir entendu les plaidoiries de l’accusateur et de l’accusé, présents devant
les juges, et déposait dans une urne un jeton plein ou creux pour donner son avis.
Le procès de Socrate est une illustration de la justice populaire dans la démocratie
athénienne, mais il est aussi marqué par un contexte dramatique. En 405, six années avant le
procès, Athènes est sortie vaincue et humiliée par Sparte après les 27 années de la guerre du
Péloponnèse. Deux tentatives de révolutions oligarchiques ont menacé la démocratie en 411 et
en 405. Les violences entre Athéniens ont alors pris la forme d’une véritable guerre civile.
Après la défaite, la population des Athéniens aspirait donc à une démocratie plus stable,
modérée et à l’apaisement des tensions.
En 399, Socrate est un homme âgé de près de 70 ans, mais il représente toujours une
gêne pour ses concitoyens. Il est accusé par trois d’entre eux « ne pas reconnaître les mêmes
dieux que la cité, d’introduire des divinités nouvelles et de corrompre la jeunesse »
(Xénophon, Apologie de Socrate, 10). On lui reproche d’être un excentrique, guidé dans ses
actes par un démon intérieur, tout autant que d’exercer une mauvaise influence par ses leçons
philosophiques sur la jeunesse aristocratique de la cité. Il est vrai qu’avaient compté parmi ses
suivants Critias et Alcibiade, deux des oligarques les plus controversés. Le procès est bref et
Socrate se défend rapidement des accusations qui sont proférées. Le bel aristocrate Alcibiade
a relevé la laideur de l’homme. « Je dis donc qu’il ressemble tout à fait à ces Silènes, qu’on
voit exposés dans les ateliers des statuaires, et que l’artiste a représentés avec des syringes et
des flûtes à la main […]. Je soutiens aussi qu’il ressemble au satyre Marsyas. ». La laideur
d’un homme est une circonstance aggravante, signe d’une éducation imparfaite ! Un citoyen
honorable doit corriger ses défauts par une pratique assidue du gymnase. Aussi, Socrate ne
peut-il pas compter sur son apparence pour attendrir ses juges. Nos tribunaux laissent encore
de nos jours une place à l’apparence physique du prévenu, premier élément de la prise de
contact.
Socrate est condamné et le tribunal populaire, dans sa grande sagesse, le laisse
proposer lui-même sa peine. Aux yeux des Grecs, le condamné doit montrer alors sa
repentance et trouver une sanction adaptée à la faute, en citoyen redevenu sage. Par un dernier
retournement de situation, auquel Socrate avait habitué ses disciples dans ses enseignements,
Socrate propose à ses juges d’être nourri à vie au Prytanée, le bâtiment officiel de la cité,
privilège réservé aux citoyens les plus en vue. Le peuple, irrité, se laisse alors guider par la
passion et abandonne la raison : il condamne Socrate à mort. C’est la dernière leçon
socratique : l’homme mené par la passion est un mauvais juge. Cette idée prévaut encore dans
nos tribunaux contemporains.