MARQUE ET REFERENCEMENT PAYANT – GOOGLE ADWORDS : LIBRE A CHACUN D’UTILISER LA MARQUE OU DENOMINATION SOCIALE D’UN CONCURRENT ? Paris, le 22 mars 2013 Par Nicolas DEMILLY Conseil en Propriété Industrielle, REGIMBEAU La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 29 janvier 2013, a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 mai 2011 qui avait reconnu la responsabilité de Google et de l’annonceur pour concurrence déloyale et publicité mensongère. La Cour de cassation a tout d’abord estimé que la Cour d’appel n’avait pas répondu aux conclusions de la société Google Inc. qui revendiquait le régime de responsabilité limitée des hébergeurs de contenus. Elle a ensuite considéré que la Cour d’appel n’avait pas relevé de circonstances caractérisant un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises et que le démarchage de la clientèle d’autrui est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal. En l’espèce, la société Cobrason avait constaté que la requête « Cobrason » effectuée sur le moteur de recherche www.google.fr déclenchait, par la mise en œuvre du service de référencement Google Adwords, l’affichage d’un lien commercial vers le site exploité par l’un de ses concurrents, la société Solutions, accompagné d’un message publicitaire. Elle avait donc assigné la société Solutions ainsi que la société Google Inc. en concurrence déloyale et publicité trompeuse. La Cour de cassation a donc jugé que l’utilisation de la dénomination sociale d’un concurrent à titre de mot-clé dans un système de référencement publicitaire sur Internet ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale. 1 Pour rappel, la Cour de Justice de l’Union européenne avait considéré dans un arrêt du 23 mars 2010, que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire de la publicité, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. La Cour de cassation, dans son arrêt du 29 janvier 2013, est même allée plus loin en exigeant que le titulaire de la marque prouve qu’il existe un risque de confusion entre les sites internet des deux sociétés. Les positions de la Cour de cassation et de la CJUE nous semblent toutefois incompréhensibles. En effet, quel est l’intérêt pour une société d’utiliser à titre de mot-clé dans un système de référencement publicitaire un élément de distinction (marque, dénomination sociale, nom de domaine) d’un concurrent si ce n’est pour détourner la clientèle de ce dernier à son profit ? La société qui utilise la marque de son concurrent à titre de mot-clé ne tire-t-elle pas indûment profit du caractère distinctif de cette marque ? Ne profite-t-elle pas des efforts déployés par son titulaire pour la développer et la faire connaître ? A l’heure où il devient de plus en plus difficile de trouver une marque disponible, il serait plus efficace de protéger les titulaires de marques et d’accorder une importance plus grande aux efforts qu’ils déploient pour trouver une marque, la faire connaître et la faire reconnaître. Lorsqu’un internaute tape une marque dans un moteur de recherche, il le fait parce qu’il connait déjà la marque, ou parce qu’on lui en a parlé ou bien encore parce qu’il en a entendu parler, bref parce que le titulaire de cette marque a déployé des moyens pour la faire connaître. L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose clairement que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", 2 ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement. On voit bien ici que le législateur a voulu sanctionner l’usage d’une marque identique sans l’autorisation de son titulaire mais également l’usage d’une marque identique accompagné de termes permettant de préciser qu’il ne s’agit pas des produits authentiques mais de produits provenant de tiers et donc de concurrents. Par ailleurs, selon les règles classiques de la contrefaçon, aucun risque de confusion n’est à prouver dans le cas de signes identiques. Les juges français avaient d’ailleurs suivi ce raisonnement avant l’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010, en estimant que constituait une contrefaçon le fait d’utiliser une marque sans l’accord de son titulaire à titre de mot-clé permettant de renvoyer, via des liens commerciaux, l’internaute vers des sites présentant des produits contrefaisants ou des produits ou services concurrents (Cour d’appel de Paris, 28 juin 2006, Cour d’appel de Versailles 10 mars 2005 et 2 novembre 2006). La CJUE est donc venue remettre en cause l’interprétation des juges français concernant l’utilisation d’une marque ou d’un autre signe distinctif à titre de mot-clé et a exigé que le titulaire prouve que la publicité utilisant ce mot-clé ne permette pas ou permette seulement difficilement à l’internaute de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. Toutefois, ne pourrait-on pas considérer que la simple utilisation d’une marque ou d’un autre signe distinctif d’un concurrent à titre de mot-clé suffise pour créer la confusion dans l’esprit de l’internaute, condition fixée par la CJUE ? En effet, lorsqu’un internaute effectue une recherche sur Internet sur un produit déterminé, qu’il tape dans le moteur de recherche uniquement la marque ou le nom d’une société, il s’attend à ce que lui soient présentés des sites proposant la vente de produits portant cette marque ou provenant de cette société et non des produits concurrents. Le simple fait qu’un lien commercial apparaisse et redirige l’internaute vers un site proposant des produits concurrents est selon nous suffisant pour créer une confusion dans l’esprit de l’internaute moyen et ne lui permet pas de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’un tiers. 3 Exiger que le titulaire de la marque prouve qu’il existe un risque de confusion entre les deux sites Internet est selon nous aller au-delà des exigences fixées par la CJUE. Il convient en effet de faire une distinction entre l’annonce publicitaire apparue grâce au mot-clé et le site Internet vers lequel renvoie ce lien commercial. Les juridictions du fond semblent toutefois opposer une certaine résistance. En effet, outre la décision de la Cour d’appel de Paris sanctionné par l’arrêt de la Cour de cassation commenté ci-dessus, le Tribunal de Grande Instance, dans un jugement du 22 novembre 2012, a condamné pour contrefaçon un annonceur qui avait acheté le mot-clé identique à la marque de son concurrent. Le tribunal a considéré que l’annonce sur la page de résultat ne permettait pas à l’internaute de savoir qui pouvait être l’éditeur du site ni de savoir si les services couverts par la marque utilisée étaient proposés ou non sur le site incriminé. Le tribunal a même considéré que l’utilisation de ce signe à titre de mot-clé constituait également une atteinte au nom commercial et aux noms de domaine du titulaire de la marque, et a donc reconnu des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société incriminée. Ainsi la jurisprudence actuelle en matière d’utilisation de signe distinctif à titre de mot-clé dans un système de référencement publicitaire sur internet n’est pas favorable aux titulaires de droits et il leur appartient de justifier le risque de confusion pour voir reconnaître l’atteinte à leurs droits. Toute liberté n’est pas laissée aux utilisateurs de référencement payant, mais le vent souffle en leur faveur, tant qu’il ne se sera pas retourné ! Nicolas DEMILLY ([email protected]) Conseil en Propriété Industrielle A propos de REGIMBEAU : REGIMBEAU, Conseil en Propriété Industrielle, accompagne depuis plus de 80 ans les entreprises et les porteurs de projets des secteurs privés et publics, pour la protection, la valorisation et la défense de leurs innovations (brevets, marques, dessins et modèles). Huit associés animent une équipe de 200 personnes, dont les compétences s'exercent dans tous les aspects stratégiques de la propriété industrielle: veille technologique, contrats de licence, audit de portefeuilles de PI, négociations dans le cadre de partenariat, acquisition des droits, contentieux. L’expertise de REGIMBEAU (présent à Paris, Rennes, Lyon, Grenoble, Montpellier, Toulouse, Caen et Munich) permet de répondre à des logiques stratégiques internationales, tout en préservant des relations personnalisées de très haute qualité avec ses clients. 4