Dossier thématique Le phénomène de Raynaud I. Épidémiologie du phénomène de Raynaud (P. H. Carpentier) II. Phénomène de Raynaud d’origine professionnelle et iatrogène (P. Y. Hatron) III. Stratégie diagnostique devant un phénomène de Raynaud (B. Planchon, M.A. Pistorius) IV. Traitement du phénomène de Raynaud (H. Lévesque) Coordonné par Nicole Cailleux (Hôpital Boisguillaume, CHU de Rouen, Rouen) Anérysme de l’artère cubitale (artériographie). I Dossier thématique I. Épidémiologie du phénomène de Raynaud Patrick H. Carpentier* Description du phénomène de Raynaud dans la population générale Le phénomène de Raynaud se définit comme un accès d’ischémie des doigts et parfois des orteils, déclenché par le froid, complètement réversible en quelques minutes, et qui se traduit essentiellement par des changements de cou- D écrit il y a près de 150 ans, le phénomène de Raynaud continue à exercer une sorte de fascination sur le monde médical. Cette attraction est liée au défi qu’une sémiologie, pourtant très riche et explicite, continue à opposer à notre volonté de comprendre et de savoir faire. La pathogénie du phénomène de Raynaud reste, en effet, mystérieuse. Sur le plan pratique, sa prise en charge est souvent redoutée du fait de la complexité apparente de l’étape diagnostique et des difficultés thérapeutiques. L’épidémiologie a cependant fait progresser nos connaissances, et surtout nos pratiques. Elle apporte au phénomène de Raynaud, comme à toute autre maladie, une description utile en santé publique de sa fréquence, de ses répercussions et des groupes de sujets à risque. Sous l’angle explicatif de la recherche des causes, elle fournit aussi des indications particulièrement précieuses du fait de l’état rudimentaire de nos connaissances pathogéniques. Mais la contribution la plus intéressante de l’épidémiologie en matière de phénomène de Raynaud est la restitution de son profil clinique réel dans la population générale, débarrassé des déformations liées aux importants et inévitables biais de recrutement des séries hospitalières classiques. C’est ainsi, par exemple, que les données épidémiologiques ont fait justice du préjugé américain qui prédisait à tout phénomène de Raynaud une évolution vers les connectivites ; il en est d’ailleurs de même pour l’image répandue en Europe d’un phénomène de Raynaud presque toujours primaire et bénin, apanage de la femme et reflet certain d’une personnalité anxieuse. II leur typiquement tricolores : blanc, puis bleu, et enfin rouge. En pratique, ces formes complètes sont rares ; ainsi dans une série de 265 cas issus de la population générale, la phase blanche est décrite par plus de 97 % des sujets, alors que les phases bleue et rouge sont mentionnées, l’une comme l’autre, dans moins de 20 % des cas. Parmi les signes subjectifs, la sensation d’engourdissement des doigts ou, comme disent les patients, de doigts “morts” est rapportée dans 94 % des cas, et l’association “doigts blancs et gourds au froid” a une sensibilité diagnostique de 93 %. Ce travail montre aussi l’intérêt de l’utilisation complémentaire de clichés photographiques de Raynaud en crise, qui facilitent l’interrogatoire et améliorent notablement la spécificité diagnostique. Prévalence et variations géographiques : rôle du climat Le phénomène de Raynaud est retrouvé dans tous les pays, avec une prévalence dans la population générale qui varie de 3 à 25 %. En France, on peut l’estimer en moyenne à 15 % chez la femme et 10 % chez l’homme, mais seuls 35 % des sujets atteints ont consulté un médecin, 25 % se disent gênés dans la vie courante, et 5 % ont au moins une fois dû interrompre leur travail. Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 Les données précises sur le coût social de la maladie manquent encore. Les variations géographiques de prévalence observées dans les différentes études sont importantes, même quand leur méthode est strictement identique. Elles sont principalement expliquées par l’influence du climat, et peut-être par des différences ethniques. Elles portent principalement sur le phénomène de Raynaud primaire. Ainsi, la prévalence du phénomène de Raynaud chez les femmes qui habitent dans la vallée alpine de la Tarentaise est trois fois plus élevée qu’à Nyons (Provence), alors que la sévérité moyenne des crises et leur fréquence chez les sujets atteints restent comparables (tableau I). L’exposition climatique au froid n’est donc pas seulement un facteur déclenchant des attaques, mais aussi un véritable facteur étiologique. D’autres éléments comme l’incidence accrue en milieu rural et l’existence d’une liaison statistique négative avec la corpulence plaident pour l’existence de facteurs pathogéniques liés à la thermorégulation. * Unité de médecine vasculaire, département pluridisciplinaire de médecine, centre hospitalier universitaire de Grenoble. Dossier thématique Étiologies, facteurs de risque et pathologies associées Après le climat, le sexe féminin est l’autre grand facteur en cause dans le phénomène de Raynaud qui atteint trois femmes pour deux hommes. Cette différence liée au sexe apparaît plus faible dans la population générale que dans les séries hospitalières, du fait de biais de comportement, les hommes consultant moins souvent. Dans la population générale, le phénomène de Raynaud est primaire dans 85 % des cas chez la femme et 45 % chez l’homme. Chez l’homme, syndrome des vibrations et syndrome du marteau hypothénar, chez la femme, sclérodermies systémiques et connectivites frustes apparentées sont indiscutablement liées au phénomène de Raynaud. Il est même possible d’en estimer la prévalence dans la population générale par le biais de l’acrosyndrome (tableau II). En revanche, la consommation de tabac ou d’alcool, et la prise d’estroprogestatifs n’apparaissent pas comme des facteurs significatifs. En matière de prévalence, il n’y a pas non plus de lien entre le phénomène de Raynaud et les pièges neurovasculaires de la traversée thoraco-brachiale ou du canal carpien. Cependant, ce dernier semble jouer le rôle de facteur aggravant, capable d’aug- menter la sévérité et d’influencer la topographie du phénomène de Raynaud (tableau III). Quant à l’influence de l’âge et l’évolution de l’acrosyndrome, les données disponibles sont imparfaites, puisqu’en l’absence d’étude longitudinale, elles reposent sur l’anamnèse. L’âge de début apparaît plus faible chez la femme que chez l’homme, ce qui correspond à la relative précocité du phénomène de Raynaud primaire. Ce caractère n’est toutefois pas constant, puisque plus de 20 % des phénomènes de Raynaud primaires surviennent après 40 ans. Globalement, la prévalence du phénomène de Raynaud augmente donc avec l’âge, mais il est fréquent, dans les formes primaires, que l’acrosyndrome devienne progressivement moins gênant, jusqu’à disparaître complètement chez environ 10 % des sujets. Un autre point intéressant est la liaison épidémiologique forte qui unit le phénomène de Raynaud et les autres acrosyndromes vasculaires, en particulier l’acrorighose et l’acrocyanose ; il est moins franc en ce qui concerne les engelures. Ces éléments sont en faveur d’un “terrain” commun, lié au climat ou constitutionnel, comme le suggère la prévalence plus élevée d’antécédents familiaux chez les sujets atteints. Les données de la littérature sont plus discutables pour l’associa- Tableau I. Prévalence du phénomène de Raynaud dans la population générale. Auteurs Année Pays/région Lepert Weinrich 1987 1990 Harada Inaba Riera Valter Maricq 1991 1993 1993 1997 1997 Voulgari 2000 Suède Charleston (Caroline du Sud) Japon Japon Espagne Estonie Tarentaise (F) Grenoble (F) Nyons (F) Toulon (F) Charleston (Caroline du Sud) Grèce Prévalence (%) femme homme 15,6 4,3 NM 2,7 2,5 3,4 4,7 8,3 20,2 15,7 10,5 16,5 3,3 3,0 3,2 7,9 12,7 7,8 10,7 7,2 5,8 6,4 4,1 0,9 NM : non mesuré tion avec les migraines : il n’est pas possible de tenir compte pour cette analyse des séries de consultants du fait de biais de recrutement évidents pour les deux maladies, et les études en population générale donnent des résultats d’autant moins nets que les critères de migraine sont plus précis. Tableau II. Phénomène de Raynaud : causes retrouvées dans un échantillon représentatif de la population générale française. Cause Primaire Sclérodermies et connectivites frustes Syndrome des vibrations Syndrome du marteau hypothénar Autres/indéterminés Prévalence (%) dans le phénomène de Raynaud (et la population générale) femme homme 84 (12,5) 43 (4,1) 2,4 (0,35) 0,8 25 (2,4) 13,6 18 (1,7) 14 III Dossier thématique II. Phénomène de Raynaud d’origine professionnelle et iatrogène Pierre Yves Hatron* Conclusion Ainsi, bien qu’encore insuffisantes, les données épidémiologiques actuellement disponibles permettent de clarifier le problème des pathologies associées et des éventuelles relations de cause à effet, aboutissant à une simplification de l’enquête étiologique. Sur le plan pathogénique, et surtout pour ce qui concerne le phénomène de Raynaud primaire, de nombreux arguments font évoquer la responsabilité de troubles de la thermorégulation ; il s’agit non seulement d’une voie intéressante pour la recherche pathogénique, mais aussi d’une justification des mesures préventives simples d’hygiène de vie dans le traitement. E Les phénomènes de Raynaud professionnels L’interrogatoire est ici de première importance et doit faire décrire avec précision la profession du patient, les gestes et les machines ou outils qu’il utilise dans son travail. Il ne faut cependant pas s’arrêter à la seule profession du patient, certains travaux de bricolage ou certaines activités sportives peuvent également être responsables d’un phénomène de Raynaud ou de nécrose digitale. Trois types d’affection sont actuellement reconnues par la législation des maladies professionnelles : la maladie des vibrations, le syndrome du marteau hypothénar, et les affections consécutives aux opérations de polymérisation du chlorure de vinyl. À celles-ci doit s’ajouter le phénomène de Raynaud secondaire à une sclérodermie liée à une inhalation de poussières minérales contenant de la silice (syndrome n présence d’un phénomène de Raynaud, la première étape de l’enquête étiologique est l’interrogatoire qui permet très vite d’orienter ce diagnostic vers deux grands cadres étiologiques du phénomène de Raynaud : les causes iatrogènes et les causes professionnelles et occupationnelles. Cette enquête se soldera, dans le premier cas, à stopper le médicament incriminé, si cela est bien sûr possible, dans le second cas, à réduire l’exposition aux risques et à améliorer les mesures de protection. IV d’Erasmus). Les hommes sont bien sûr plus souvent exposés que les femmes, mais un certain nombre de professions féminimes peuvent être responsables de tels Raynaud professionnels. Maladie des vibrations La relation entre phénomène de Raynaud et machines vibrantes a été remarquée pour la première fois en 1911 par Loriga chez des tailleurs de pierre utilisant des marteaux piqueurs. C’est lors du congrès international de Londres en 1983 que le syndrome des vibrations a été défini comme : “l’ensemble des manifestations périphériques associant perturbations circulatoires (syndrome des doigts blancs), sensitives ou motrices (engourdissement ou perte de la dextérité digitale), et musculo-squelettiques (manifestations musculaires ou osseuses ou articulaires) associées à la manipulation de machines vibrantes”. Épidémiologie En France au moins 300 000 sujets sont exposés à de tels risques, en utilisant des machines vibrantes dans différents secteurs d’activité : industrie forestière, bâtiment et travaux publics, métallurgie, construction mécanique, mines, agriculture... Ce sont les bûcherons avec leur tronçonneuse qui payent le plus lourd tribu à cette pathologie professionnelle. On peut aussi la rencontrer dans les activités Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 plus inhabituelles : par exemple le sciage des boîtes crâniennes par les assistants lors des autopsies dans les laboratoires d’anatomie... Cet exemple montre l’importance de l’interrogatoire rigoureux. Dans certaines activités professionnelles, la prévalence de la maladie peut atteindre jusqu’à 50 % des sujets. Les machines rotatives, d’énergie vibratoire à fréquence élevée, au-dessus de 50 Hertz, exposent surtout aux troubles vasculaires alors que les machines percutantes de fréquence basse en dessous de 50 Hertz induisent plus volontiers des troubles ostéo-articulaires. Ces manifestations cliniques sont d’autant plus sévères que la dose de vibrations reçues a été intense et prolongée. Il existe toutefois une sensibilité individuelle aux effets vasculaires des vibrations : les troubles vasomoteurs sont plus importants chez les sujets atteints de phénomène de Raynaud idiopathique. Les mécanismes de cette hyper-réactivité au froid des artères digitales induite par les vibrations restent imprécis : des facteurs humoraux avec un déséquilibre de la libération d’agents vaso-actifs locaux et nerveux avec modification du système vaso-régulateur sympathique pourraient intervenir. * Service de médecine interne, CHU de Lille. Dossier thématique Clinique Le phénomène de Raynaud apparaît après une durée d’exposition variable : mois ou année en fonction de facteurs individuels et de la dose de vibrations reçues. Il est localisé aux membres supérieurs, unilatéral ou bilatéral mais asymétrique, prédominant du côté portant la machine vibrante. Le pouce n’est concerné que dans les formes évoluées. Les crises sont déclenchées par le froid et l’humidité, mais également par d’autres facteurs : le stress et notamment sonore, la posture et en particulier le travail en hauteur, le poids de la machine et la force d’étreinte nécessaire à la préhension. La sévérité de la maladie est corrélée à la dose totale de vibrations reçues, mais toutefois les troubles trophiques constituant le stade IV de l’échelle de sévérité (tableau I) sont tout à fait exceptionnels. Dans la maladie des vibrations, le phénomène de Raynaud peut être associé à d’autres manifestations : neuropathie périphérique avec paresthésies et troubles sensitifs, ostéonécrose de certains os du carpe. Le diagnostic est essentiellement clinique. La capillaroscopie est de peu d’utilité, souvent techniquement difficile chez ces travailleurs manuels, et ne montre que des signes de micro-angiopathie non spécifique. Réparation, traitement et prévention La réparation médicolégale de la maladie des vibrations est prévue dans les tableaux n° 69 du régime général et n° 29 du régime agricole (tableau II). Il reprend les “troubles angioneurotiques” de la main sans distinction entre phénomène de Raynaud et neuropathie. Aucune durée minimale d’exposition n’est fixée. La prévention repose sur la réduction de la dose de vibrations reçues par les sujets exposés : conception d’outils plus légers dotés de dispositifs antivibratoires, protection du froid par le port de gants, limitation et fractionnement de la durée d’exposition par des pauses. La norme iso 53 49 précise le temps quotidien d’exposition au-delà duquel un risque apparaît. L’information aux utilisateurs de machines vibrantes est une règle obligatoire imposée aux fabricants d’outils vibrants. Comme dans tout phénomène de Raynaud, la prescription de vasodilatateur peut améliorer les troubles vasomoteurs. Syndrome du marteau hypothénar Décrit pour la première fois en 1913, le syndrome du marteau hypothénar est la conséquence du développement d’un anévrisme traumatique qui se situe au Tableau I. Classification des signes fonctionnels observés dans le syndrome des vibrations. Atelier de Stockholm 1987. Type d’atteinte Vasculaire 0 1 Gravité légère Description • Aucun signe ou symptôme • Raynaud occasionnel touchant uniquement le bout d’un ou plusieurs doigts 2 modérée 3 sévère 4 très sévère • Raynaud occasionnel touchant les 2 dernières phalanges (plus rarement la première) d’un ou plusieurs doigts • Raynaud fréquent touchant toutes les phalanges de plusieurs doigts • Identique à 3 mais avec troubles trophiques touchant les extrémités digitales Symptômes Sensitive 0 1 • Exposition aux vibrations mais pas de symptômes • Engourdissements intermittents 2 • Engourdissements intermittents ou permanents 3 • Engourdissements intermittents ou permanents, avec ou sans picotements avec diminution de la sensibilité réduction de la sensibilité tactile et (ou) troubles de dextérité • Chaque main doit être étudiée séparément V Dossier thématique Anévrisme de l’artère cubitale (artériographie). niveau de la partie distale de l’artère cubitale en aval du canal de Guyon, après son passage sous le crochet de l’os crochu, juste avant l’arcade palmaire superficielle. À cet endroit l’artère cubitale est superficielle, et donc vulnérable. Des traumatismes répétés vont altérer sa paroi pour créer une dysplasie pariétale et constituer un anévrisme. Celui-ci peut se thromboser plus ou moins complètement, source de petits embols qui vont migrer dans les artères digitales dépendant de l’arcade palmaire superficielle, et singulièrement des trois ou quatre derniers doigts de la main. Les professions les plus exposées concernent le bâtiment (maçons, couvreurs), la métallurgie, la menuiserie, l’ébénisterie et autres mécaniciens, ouvriers agricoles, camionneurs, etc. Ce syndrome a également été décrit au cours de certaines activités sportives dans lesquelles les mains sont exposées aux traumatismes répétés : karaté, tennis, hand-ball, hockey, baseball, golf, vélo tout terrain... En fait, il peut être la conséquence de toute activité utilisant la paume de la main comme outil percutant direct ou exposant aux chocs transmis à l’éminence hypothénar par un outil percutant (marteau) ou percuté. Clinique Le plus souvent, les manifestations vasculaires sont unilatérales, touchant la main exposée aux traumatismes VI mais parfois l’atteinte peut être bilatérale. Il s’agit souvent d’un phénomène de Raynaud atypique par sa sévérité avec persistance entre les crises asphyxiques d’une cyanose douloureuse, et par sa topographie, touchant préférentiellement les trois ou quatre derniers doigts de la main. On retrouve parfois des hémorragies sous-unguéales, signe d’ischémie digitale. L’évolution vers les troubles trophiques est en règle générale rapide, ceux-ci étant parfois présents dès le début des symptômes : gangrène pulpaire ou périunguéale, hyperalgique. Beaucoup plus rarement, l’affection se limite à un simple phénomène de Raynaud non compliqué, et le diagnostic n’est alors évoqué que par la topographie particulière des signes d’ischémie et l’anamnèse. La manœuvre d’Allen montre un retard de recoloration des derniers doigts de la main lors de la levée de la compression de l’artère cubitale. L’artériographie est l’examen clé du diagnostic, en montrant dans les formes typiques un aspect dysplasique ou un véritable anévrisme de la partie terminale de l’artère cubitale, souvent partiellement thrombosée, et associé à de multiples embols au niveau des artères des trois ou quatre derniers doigts de la main. Parfois, le diagnostic est plus difficile lorsque l’artère est complètement thrombosée, ne permettant pas de visualiser l’anévrisme. C’est dans ces circonstances que l’écho- Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 doppler est particulièrement utile s’il peut montrer la dilatation anévrismale de l’artère thrombosée. La stratégie thérapeutique est controversée : certaines équipes proposent d’emblée le recours à la chirurgie, d’autres se limitent à un traitement médical. Le traitement chirurgical a l’avantage de permettre l’exérèse de l’anévrisme parfois douloureux et de supprimer ainsi la source d’embols. Il réalise dans le même temps une sympathectomie péri-artérielle et dans certains cas une reconstruction par pontage veineux entre artère cubitale et arcade palmaire. Les résultats chirurgicaux sont en règle générale bons, permettant la cicatrisation des troubles trophiques et ne laissant comme séquelle qu’un phénomène de Raynaud d’intensité modérée. Ce bon pronostic est également le cas des patients traités médicalement, l’amputation est en effet exceptionnelle. Ce traitement médical fait appel aux vasodilatateurs associés aux anticoagulants ou aux antiagrégants ou encore aux analogues de la prostacycline. Les fibrinolytiques par voie intra-artérielle ont également été utilisés avec succès. Le choix entre ces deux options thérapeutiques est difficile : la logique est cependant de proposer au chirurgien des patients porteurs d’un anévrisme d’être conservateur en cas de thrombose complète de l’artère cubitale. Le reclassement profession- Dossier thématique Tableau II. Syndrome des vibrations et syndrome du marteau hypothénar. Tableau n° 69 en régime général. Affections provoquées par les vibrations et chocs transmis par certaines machines-outils, outils et objets et par les chocs itératifs du talon de la main sur des éléments fixes Date de création : 18 juillet 1980 Désignation des maladies A - Affections ostéo-articulaires confirmées par des examens radiologiques : – arthrose du coude comportant des signes radiologiques d’ostérophytoses ; Dernière mise à jour : 3 septembre 1991 Délai de prise en charge 5 ans 1 an – ostéronécrose du semi-lunaire (maladie de Kienböck) ; – ostéronécrose du scaphoïde carpien (maladie de Köhler). 1 an Troubles angioneurotiques de la main prédominant à l’index et au médius, pouvant s’accompagner de crampes de la main et de troubles prolongées de la sensibilité et confirmés par des épreuves fonctionnelles et des examens radiologiques. 1 an B - Affections ostéo-articulaires confirmées par des examens radiologiques : – arthrose du coude comportant des signes radiologiques d’ostéophytose ; Liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies 5 ans – ostéonécrose du semi-lunaire (maladie de Kienböck) ; 1 an - ostéonécrose du scaphoïde carpien (maladie de Köhler) C - Atteinte vasculaire cubitopalmaire en règle générale unilatérale (syndrome du marteau hypothénar) entraînant un phénomène de Raynaud ou des manifestations ischémiques des doigts, confirmée par l’artériographie objectivant un anévrisme ou une thrombose de l’artère cubitale ou de l’arcade palmaire superficielle. 1 an 1 an (sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans) Travaux exposant habituellement aux vibrations transmises par : a) Les machines-outils tenues à la main, notamment : – les machines percutantes, telles que les marteaux piqueurs, les burineuses, les bouchardeuses et les fouloirs ; – les machines rotopercutantes, telles que les marteaux perforateurs, les perceuses à percussion et les clés à choc ; – les machines rotatives, telles que les polisseuses, les meuleuses, les scies à chaîne, les tronçonneuses et les débroussailleuses ; – les machines alternatives, telles que les ponceuses et les scies sauteuses. b) Les outils tenus à la main associés à certaines machines précitées, notamment dans des travaux de burinage. c) Les objets tenus à la main en cours de façonnage, notamment dans les travaux de meulage et de polissage et les travaux sur machines à rétreindre. Travaux exposant habituellement aux chocs provoqués par l’utilisation manuelle d’outils percutants : – travaux de martelage, tels que travaux de forge, tôlerie, chaudronnerie et travail du cuir ; – travaux de terrassement et de démolition ; – utilisation de pistolets de scellements ; – utilisation de clouteuses et de riveteuses. Travaux exposant habituellement à l’utilisation du talon de la main en percussion directe itérative sur un plan fixe ou aux chocs transmis à l’éminence hypothénar par un outil percuté ou percutant. VII Dossier thématique nel ou l’adaptation du poste de travail est bien entendu recommandé chaque fois qu’il est possible. Législation Le syndrome du marteau hypothénar fait maintenant partie du tableau n° 69 en régime général des maladies professionnelles : le délai de prise en charge est d’une année, sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans (tableau II). Autres phénomènes de Raynaud professionnels Exposition au chlorure de vinyl Grâce aux mesures de protection imposées par le décret du 12 mars 1980, le phénomène de Raynaud induit par l’exposition au chlorure de vinyl est devenu historique. Sa première description date de 1963 : le chlorure de vinyl est un produit de synthèse dont la polymérisation est à l’origine d’une famille de matières plastiques. Les ouvriers les plus touchés par la maladie étaient ceux qui travaillaient à cette polymérisation, et singulièrement ceux qui étaient chargés de décoller manuellement les croûtes adhérant aux parois des autoclaves servant à cette polymérisation. Près d’un tiers des ouvriers exposés à ce produit présentaient un phénomène de Raynaud touchant parfois les quatre extrémités, évoluant volontiers vers une véritable sclérodactylie avec infiltration cutanée, troubles trophiques, acro-ostéolyse. Exposition à la silice C’est Erasmus qui montra pour la première fois, en 1957, dans une population de mineurs de Pretoria (Afrique du Sud) que la prévalence de la sclérodermie était plus élevée chez les sujets exposés à la silice. La seule exposition suffit, la sclérodermie pouvant apparaître sans silicose ou pneumoconiose décelable. Elle débute généralement par un phénomène de Raynaud, suivi de l’apparition, dans un délai variable, d’une sclérodermie systémique sans caractère particulier. La capillaroscopie est ici particulièrement utile pour le dépistage de la maladie chez un sujet ayant été exposé à la silice et présentant un phénomène de Raynaud. L’affection se rencontre chez les mineurs, mais aussi chez les fondeurs, sableurs, travailleurs de la pierre, cimentiers, prothésistes dentaires, fabricants ou utilisateurs intensifs de poudre à récurer. Le syndrome d’Erasmus et la sclérodermie généralisée sans pneumoconiose mais associée à l’exposition à la silice sont reconnus comme affections professionnelles indemnisables depuis le décret du 23 décembre 1992 (tableau n° 25 bis du régime général). (tableau III). Associations discutables De façon plus anecdotique, d’autres phénomènes de Raynaud professionnels ont VIII Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 été décrits par la littérature sans qu’ils soient reconnus par la législation : c’est le cas du phénomène de Raynaud décrit chez des travailleurs exposés à l’arsenic inorganique, en fonderie. Certains produits chimiques ont été incriminés dans la survenue de sclérodermie, sans que la relation de cause à effet ne soit formellement démontrée : trichloréthylène, benzène, solvants organiques, résines, époxy, etc. Enfin, il n’est pas rare d’observer des acrosyndromes vasculaires sévères : Raynaud invalidant, engelures récidivantes, chez des sujets travaillant en milieu froid (chambres froides, rayons froids, fleuristes, etc.) La législation est vide sur ce point. Chez l’homme, les facteurs professionnels sont une des premières causes du phénomène de Raynaud qu’il convient donc de rechercher systématiquement par l’interrogatoire. Les phénomènes de Raynaud iatrogènes Les phénomènes de Raynaud iatrogènes sont le fait de trois classes thérapeutiques principales : les bêtabloquants, certaines chimiothérapies anticancéreuses, et enfin les dérivés de l’ergot de seigle. Les bêtabloquants Dans l’enquête épidémiologique publiée récemment par la Framingham Heart Dossier thématique Study, les bêtabloquants étaient la cause la plus fréquente de phénomène de Raynaud secondaire (34,2 %). Il semble survenir essentiellement chez les patients traités pour hypertension artérielle touchant jusqu’à 50 % d’entre eux. Il peut aussi s’agir d’une simple sensation de froid au niveau des mains. La fréquence du phénomène de Raynaud dans cette population est différente selon les molécules : le propranolol étant plus souvent incriminé que l’aténolol ou l’oxprénolol. Il s’agit généralement d’un phénomène de Raynaud non compliqué de troubles trophiques. Faut-il pour autant contreindiquer les bêtabloquants chez les personnes normotendues, mais présentant préalablement un phénomène de Raynaud idiopathique ? La réponse semble négative : une étude menée en double aveugle, versus placebo, a montré que les bêtabloquants, qu’il s’agisse du propranolol ou du métoprolol, n’aggravaient pas les troubles vasomoteurs et ne diminuaient pas la pression systolique digitale chez les patients normotendus présentant un phénomène de Raynaud. Les bêtabloquants à faible dose pourraient même améliorer les patients atteints d’un phénomène de Raynaud idiopathique : un travail jusqu’à présent resté sans suite avait montré une amélioration du phénomène de Raynaud chez les patients recevant 50 mg/ jour d’aténolol ou 20 mg/jour de propranolol ! Les chimiothérapies antinéoplasiques C’est d’abord au cours des traitements des tumeurs du testicule ou de l’ovaire qu’ont été décrits pour la première fois des phénomènes de Raynaud liés aux chimiothérapies. Ils surviennent essentiellement chez les patients recevant la bléomycine après ou en association avec la vinblastine ou le cisplatine. Le phénomène de Raynaud peut atteindre près de 40 % des patients traités. Des observations analogues ont été faites chez des patients VIH atteints de sarcome de Kaposi, et recevant cette même association. Le phénomène de Raynaud peut rester bénin et disparaître à l’arrêt du traitement ou évoluer vers la gangrène digitale. On a même rapporté la survenue de phénomène de Raynaud après une injection locale de bléomycine pour traitement de verrues résistantes aux traitements conventionnels. tique, les troubles vasomoteurs, se limitant à un phénomène de Raynaud, peuvent s’observer au cours des traitements chroniques par la bromocryptine dans le cadre d’une hyperprolactinémie ou d’une maladie de Parkinson. Conclusion Les phénomènes de Raynaud professionnels iatrogènes sont au premier rang des phénomènes de Raynaud secondaires, ils doivent donc être recherchés systématiquement par un interrogatoire attentif. Leur reconnaissance permet en effet de soustraire ces patients à l’exposition professionnelle ou iatrogène, et de proposer aux patients, atteints d’un syndrome du marteau hypothénar, un traitement médical ou chirurgical efficace permettant souvent d’éviter des amputations digitales. Les dérivés de l’ergot de seigle On connaît le tisme médicamenteux lié à l’intoxication chronique ou aiguë de dérivés de l’ergot de seigle, ou lorsque le médicament est associé à certains macrolides (TAO, érythromycine). En pra- risque d’ergoTableau III. : Affection non pneumologique due à l’inhalation de poussières minérales renfermant de la silice libre (tableau n° 25 bis du régime général). Date de création : 23 décembre 1992 Désignation des maladies Délai de prise en charge Liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies Sclérodermie systémique progressive 15 ans (sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans) Travaux visés au tableau n° 25 IX Dossier thématique III. Stratégie diagnostique devant un phénomène de Raynaud Bernard Planchon, Marc-Antoine Pistorius* L’interrogatoire est une étape essentielle du diagnostic et recherchera : • Les antécédents personnels ou familiaux d’acrosyndrome ou de migraine, étayant l’hypothèse d’un vasospasme primitif. • L’enquête professionnelle à la recherche de métiers exposant aux microtraumatismes et aux vibrations, tels que l’utilisation d’engins vibrants ou percutants (tronçonneuse, marteau piqueur, meuleuse). La recherche d’un traumatisme répété de l’éminence hypothénar (surtout lorsque le phénomène de Raynaud touche le territoire cubital) est systématique, faisant suspecter un syndrome du marteau hypothénar à caractère professionnel. • L’enquête médicamenteuse est également systématique ; on recherchera surtout la prise de bêtabloquants. Plus rare- F ace à un phénomène de Raynaud, la préoccupation essentielle du clinicien est d’organiser l’interrogatoire et l’examen clinique de façon à individualiser les éléments discriminants entre phénomène de Raynaud primitif (ou maladie de Raynaud) et phénomène de Raynaud secondaire (ou syndrome de Raynaud). Dans la première hypothèse, le patient peut être rassuré. Le recours aux examens complémentaires est inutile et se résume à un examen capillaroscopique. Dans l’hypothèse d’un syndrome de Raynaud, la stratégie diagnostique doit être logique et orientée par l’examen clinique. L’approche clinique d’un phénomène de Raynaud ne se conçoit qu’en connaissance de sa physiopathologie qui oriente soit vers une majoration du vasospasme au froid par hypertonie vasculaire constitutionnelle ou acquise (dysrégulation), soit vers un hypodébit local, qu’il s’agisse d’une artériopathie thrombosante ou embolique. X ment et dans des contextes très particuliers, il s’agira d’une exposition à la bléomycine, à la ciclosporine, ou encore aux interférons. • La recherche d’un tabagisme est essentielle à la fois sur le plan étiologique et thérapeutique. • L’analyse topographique du phénomène de Raynaud est une étape également importante puisqu’elle permettra d’écarter a priori le diagnostic de phénomène de Raynaud primitif sur une atteinte inhabituelle telle : – l’atteinte exclusive des premiers doigts qui orientera avant tout vers une dysrégulation neurovasculaire au cours d’un syndrome du canal carpien ou vers une thrombose de l’artère radiale ; – une atteinte privilégiée des derniers doigts qui orientera plus volontiers vers une atteinte cubitale (compression du nerf cubital au coude) ou une thrombose de l’artère cubitale ; – la maladie de Raynaud primitive touche plus volontiers les trois doigts médians, plus rarement les quatre derniers doigts de la main, et encore plus rarement la totalité des doigts (inférieur à 15 %). • Une aggravation récente de l’acrosyndrome en dehors de phénomènes environnementaux particuliers (changement de climat, d’activité professionnelle), est en soi un élément suspect devant inciter à rechercher un mécanisme étiologique. • Le mode de déclenche- Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 ment de l’acrosyndrome permet également d’orienter le diagnostic vers un phénomène de Raynaud secondaire si on ne retrouve pas le rôle privilégié du froid et l’amélioration franche de l’acrosyndrome l’été. L’interrogatoire ne saurait s’achever sans rechercher de symptômes associés permettant parfois d’orienter d’emblée le diagnostic devant la constatation d’un syndrome sec, d’une polyarthrite, d’une altération de l’état général, d’une dyspnée, d’une dysphagie, ou de symptômes évocateurs d’hypothyroïdie. L’examen clinique, pour être complet, comportera quatre étapes : • La recherche systématique de signes en faveur d’une maladie sclérodermique. Parmi les signes les plus précoces, citons les télangiectasies périunguéales et les infarctus pulpaires. Dans certains cas, le diagnostic sera plus évident devant des signes plus évolués, le patient se présentant avec une sclérodactylie plus ou moins franche, des raghades péribuccales, une limitation à l’ouverture buccale et à la protrusion de la langue ou encore des télangiectasies nombreuses en pleine peau. • La deuxième étape de l’examen clinique consiste à vérifier l’intégrité de la circulation distale. Le test * Service de médecine interne, CHU de Nantes. Dossier thématique d’Allen apparaît l’élément clé de cette étape diagnostique au même titre que la prise de la tension artérielle aux deux bras. C’est ainsi que devant un phénomène de Raynaud des deux derniers doigts, il sera possible de diagnostiquer une thrombose de l’artère cubitale dans le cadre d’un syndrome du marteau hypothénar. Dans d’autres cas, le test d’Allen permettra de confirmer, devant un phénomène de Raynaud localisé sur un doigt, une artérite digitale. • L’examen neurologique est indispensable. L’association à des paresthésies de la main ou du bras fera rechercher de principe, selon le territoire considéré, un syndrome du canal carpien, un syndrome du cubital au coude ou un syndrome de la traversée cervico-thoracique. • Le reste de l’examen clinique sera conditionné par les données de l’interrogatoire à la recherche notamment d’un syndrome sec, de râles fins au niveau des bases pouvant suggérer l’existence d’une fibrose pulmonaire, de signes cliniques en faveur d’une hypothyroïdie, d’un purpura ou d’une neuropathie permettant d’évoquer une cryoglobulinémie. À l’issue de ces investigations cliniques, le clinicien va s’efforcer de rechercher si l’ensemble des critères antérieurement définis par Allen et Brown permettent de retenir le diagnostic de maladie de Raynaud, à savoir : – l’apparition des premiers symptômes dans les premières décades ; – le déclenchement par le froid et la régression l’été ; – le caractère symétrique des phases syncopales ; – l’absence d’aggravation récente ; – la négativité de l’interrogatoire à la recherche d’un facteur professionnel ou médicamenteux ; – l’absence de troubles trophiques digitaux ; – l’absence de symptomatologie associée et la négativité de l’examen clinique, notamment en ce qui concerne la recherche d’une maladie sclérodermique, d’une artériopathie des membres supérieurs ou d’une dysrégulation neurovasculaire. La constatation de ces signes dispense de tout examen complémentaire si ce n’est un examen capillaroscopique pour confirmer l’absence de dystrophies capillaires pathologiques notamment ectasiantes évoquant une sclérodermie (mégacapillaires). Dans les autres cas de figure, aucune enquête biologique systématique n’a fait preuve de sa rentabilité ; certains auteurs restent encore attachés à un bilan systématique comprenant une radio du thorax, une numération formule sanguine, un dosage de la TSH et la recherche de facteurs antinucléaires ou d’une cryoglobulinémie. En fait, l’expérience montre qu’après un examen clinique minutieux, ces examens s’avèrent exceptionnellement positifs isolément. C’est dire que les investigations seront largement orientées par l’interrogatoire et l’examen clinique ; c’est ainsi que pourront être pres- crits selon les situations : • Un écho-doppler du membre supérieur devant la moindre suspicion d’artériopathie traumatique professionnelle inflammatoire ou athéromateuse. L’examen sera, le cas échéant, complété par des manœuvres dynamiques à la recherche d’un syndrome de la traversée cervico-thoracique. • La suspicion d’un syndrome neurologique canalaire pourra conduire à la pratique d’un examen électromyographique. • La suspicion d’une maladie systémique, notamment sclérodermique, conduira à la recherche des facteurs antinucléaires. Cet examen admet en plus une valeur prédictive selon qu’il s’agit d’anticorps anticentromères accompagnant le CRST syndrome ou d’anticorps SCL70, accompagnant plutôt la sclérodermie polyviscérale. • La TSH sera surtout réservée à des patients suspects d’hypothyroïdie avec : une prise de poids inexpliquée, une bradycardie, une hypothermie, un signe de la queue du sourcil et un ralentissement de l’activité. • La recherche d’une cryoglobulinémie n’a pas de sens en dehors d’une autre symptomatologie associée telle une polyarthrite, une protéinurie, une neuropathie distale ou un purpura. Rappelons qu’avant de conclure au caractère primitif d’un phénomène de Raynaud, il est impératif d’exiger deux ans d’évolution clinique. Dans le cas inverse, le patient doit être revu en consultation dans les délais nécessaires. XI Dossier thématique IV. Traitement du phénomène de Raynaud Hervé Lévesque* Mesures générales Que le phénomène de Raynaud soit primitif ou secondaire, des mesures générales simples de protection contre le froid sont indiquées et suffisent souvent à améliorer la tolérance du trouble vasomoteur. Il faut conseiller au patient de bien se couvrir, de garder les pieds et les mains au chaud et au sec, d’éviter les variations brutales de température ou encore de marcher pieds nus sur le carrelage. Certaines circonstances (prise du volant de la voiture le matin, passage au rayon surgelé…) étant des facteurs déclenchant fréquents, des chaussettes chaudes, des chaussures épaisses, des gants et mieux des moufles ou mitaines sont de mise ; certains proposent même des gants chauffants ou des pochettes de plastique chauffantes réutilisables, libérant une chaleur de 50° C par cristallisation d’acétate de sodium. Si tremper les mains dans l’eau froide est vivement déconseillé, il peut être utile U ne fois le diagnostic de phénomène de Raynaud porté, un bilan étiologique minimal permettra le diagnostic de phénomène de Raynaud primitif (la maladie de Raynaud) ou de phénomène de Raynaud secondaire ou suspect d’être secondaire. Ce trouble vasomoteur dont la gène fonctionnelle peut être importante, pourra faire l’objet, notamment durant les périodes froides de l’année, d’un traitement de confort. Cependant, seuls les phénomènes de Raynaud sévères imposent un traitement médicamenteux qui devra associer efficacité, tolérance, facilité d’emploi et faible coût. de préciser au patient de régulièrement mettre ses mains dans l’eau chaude (5 minutes toutes les 4 heures durant la journée), attitude qui, dans une étude contrôlée prospective, a induit une réduction significative de la fréquence et de la sévérité des crises chez 12 patients souffrant de sclérodermie. Enfin des techniques de biofeedback semblent intéressantes chez certains patients ; l’une des méthodes préconisées est de tremper les mains dans de l’eau à 43° C alors que le reste du corps est exposé à une température de 0° C. Après 3 semaines de séances quotidiennes, une amélioration significative a été observée pendant plusieurs mois. De plus, il paraît indispensable de recommander aux patients d’arrêter de fumer. Le tabac induit une réduction significative du débit cutané digital, mesuré par laser doppler, chez des fumeurs par rapport aux non-fumeurs suggérant que l’arrêt du tabac peut avoir un effet bénéfique. Enfin, certains médicaments, susceptibles d’aggraver l’acrosyndrome, doivent être évités tels les dérivés de l’ergot de seigle, les bêtabloqueurs, les vasoconstricteurs, etc. Seuls les phénomènes de Raynaud sévères relèvent d’un traitement médicamenteux. En cas de phénomène de Raynaud sévère, invalidant, retentissant sur les activités quotidiennes ou professionnelles ou encore compliqué de troubles trophiques, un XII Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 traitement médicamenteux doit être envisagé. Les molécules utilisables ont une action non spécifique, sont susceptibles d’induire des effets secondaires et n’induisent une amélioration significative que chez deux tiers des patients. Divers traitements ont été proposés, nombreux étant inadaptés chez la plupart des patients, notamment du fait de leur tolérance ou de leur voie d’administration. Les inhibiteurs calciques Leur efficacité a été démontrée par plusieurs études prospectives randomisées en double aveugle versus placebo. La nifédipine, dérivée des dihydropyridines (à la posologie quotidienne de 10 à 30 mg), est pour beaucoup la molécule de référence, notamment au cours de la maladie de Raynaud. Le mode d’action principal est une réduction de l’entrée du calcium dans les cellules à l’origine d’une relaxation des cellules musculaires lisses. D’autres mécanismes sont vraisemblables : effet alphabloquant, inhibition partielle du thromboxane A2, modification de la déformabilité globulaire. Le diltiazem (60 mg 3 fois par jour) ou la nicardipine (30 mg 3 fois par jour) ont également prouvé leur efficacité dans cette indication. En termes quantitatif, la * Département de médecine interne, CHU Rouen. Dossier thématique nifédipine diminue d’environ 60 à 70 % le nombre de crises par rapport au placebo, chiffre bien supérieur à celui obtenu avec les techniques dites de biofeedback qui, elles, n’induisent pas d’amélioration statistiquement significative dans les études prospectives randomisées. Ces molécules sont prescrites uniquement en période hivernale, après avoir éliminé un trouble de conduction, sous couvert d’une contraception efficace chez les femmes en âge de procréer (tératogénicité chez l’animal). Les effets secondaires bien que bénins (céphalées, flush du visage, palpitations, œdèmes susmalléolaires sensibles, prurit) en limitent l’utilisation chez de nombreux patients (5 à 25 %). Au cours de la sclérodermie, le diltiazem est souvent préféré du fait de son absence d’action au niveau de l’œsophage. Même si la méta-analyse récente, regroupant six études dont cinq avec la nifédipine, conclut à une efficacité modérée des inhibiteurs calciques pour diminuer la sévérité et la fréquence du phénomène de Raynaud au cours de la sclérodermie systémique, celle-ci est indéniable (réduction moyenne de 8,3 crises sur deux semaines avec une diminution de la sévérité évaluée à 35 %). D’autres études démontrent également une diminution du nombre d’épisodes de nécroses digitales sous inhibiteurs calciques chez des patients souffrant de sclérodermie systémique. Les dérivés nitrés par voie percutanée Les sympatholytiques ou alphabloquants Sous forme de pommade à 2 % appliquée sur la pulpe des doigts 2 à 3 fois par jour, ils induisent une amélioration chez certains patients présentant une maladie de Raynaud ou un phénomène de Raynaud secondaire à une sclérodermie, même si les effets secondaires (céphalées notamment) en réduisent l’utilisation. Le mode d’administration, contraignant, en limite la prescription. Le prazosine, antagoniste des récepteurs alpha-1-adrénergiques et, à un degré moindre, des récepteurs alpha-2-adrénergiques a fait l’objet de plusieurs études versus placebo au cours de ce trouble vasomoteur, certaines avec des résultats positifs d’autres au contraire avec des résultats négatifs. Si les résultats avec la prazosine ne sont guère convaincants notamment du fait d’un emploi difficile (posologies faibles et progressivement croissantes) et d’une tolérance médiocre (hypotension, vertiges). Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les inhibiteurs de récepteurs de l’angiotensine Ils pourraient avoir une place dans le traitement du phénomène de Raynaud si les résultats des études préliminaires se confirment. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont été proposés dans la prise en charge des troubles trophiques de patient atteint de sclérodermie. Le captopril, dans des études non contrôlées, induit une amélioration quantitative et qualitative du trouble vasomoteur. Ces résultas n’ont cependant pas été confirmé dans une étude comparative versus placebo. Dans une étude prospective, le losartan induit une diminution supplémentaire, mais non significative, du nombre de crises vasospastiques de 1,55 comparativement à la nifédipine, ce qui correspond sur une échelle semi-quantitative graduée de 1 à 10 cm à une réduction de 0,35 cm. Les inhibiteurs de la sérotonine (kétansérine) Ils agissent en bloquant les récepteurs sérotoninergiques de type 2 et ont été proposés dans cette indication. Administrée par voie veineuse, la kétansérine induit une augmentation de la température digitale. Les résultats de plusieurs essais, contrôlés ou non, sont discordants. Cependant, une étude prospective en double aveugle versus placebo réalisée chez des patients souffrant de maladie de Raynaud ou de phénomène de Raynaud secondaire à une sclérodermie a objectivé une réduction significative du nombre de crises vasospastiques (sans modification de la durée ni de la sévérité des crises). La méta-analyse (18 études dont seulement 3 avec une méthodologie satisfaisante), testant l’intérêt de la kétansérine, pondère XIII Dossier thématique fortement l’intérêt des inhibiteurs de la sérotonine, puisque la molécule comme le placebo induisent une réduction modérée du nombre de crises mais sans différence statistique. Les analogues de la prostacycline Ils semblent avoir une place dans le traitement des formes sévères du phénomène de Raynaud, notamment compliqués de troubles trophiques. Disponibles aujourd’hui en France, exclusivement par voie veineuse, les prostaglandines (iloprost), sont actuellement utilisées dans le traitement des troubles trophiques sévères des thromboangéites oblitérantes ou des ischémies critiques d’origine athéromateuse non accessibles à un geste de revascularisation. Dans la prise en charge des phénomènes de Raynaud sévères, des perfusions d’iloprost (6 heures par jour à des posologies de 0,5 à 2 ng/kg/minute, 5 jours consécutifs) ont montré leur efficacité dans une étude prospective versus placebo menée chez 131 sujets. La réduction du nombre de crises était significativement plus importante dans le groupe iloprost (39 % versus 22 % dans le groupe placebo) tout comme le score de sévérité (34,8 % versus 19,7 %). Parallèlement, les lésions ischémiques étaient significativement améliorées (par rapport au placebo) à la troisième semaine chez les patients du groupe iloprost. Ce travail confirmait des travaux préalables et insistait sur l’amélioration significative, tant quantitative que qualitative, du phénomène de Raynaud, permettant un élargissement d’autorisation de mise sur le marché en France de cette molécule dans cette indication. Cependant, son utilisation doit se cantonner aux phénomènes de Raynaud sévères, pour lesquels les autres traitements ont été inefficaces, ce d’autant qu’il s’agit d’une thérapeutique coûteuse, non dénuée d’effets secondaires et nécessitant une hospitalisation. Les formes orales ont soulevé beaucoup d’espoir, mais les études prospectives randomisées n’ont pas montré de résultats supérieurs par rapport au placebo, tant pour l’iloprost que le béraprost ou encore le cicaprost. Seule une étude française montre que le béraprost diminue le risque de survenue de nécroses digitales chez des patients présentant un phénomène de Raynaud secondaire à une sclérodermie. Autres médicaments Plusieurs médicaments sont en cours d’évaluation mais n’ont pas fait l’objet d’études versus placebo, tels les inhibiteurs de recapture de la sérotonine. De nombreuses autres molécules ont été proposées pour diminuer la fréquence ou la sévérité du phénomène de Raynaud, beaucoup étant inadaptées du fait de leur voie d’administration ou d’une tolérance XIVLe Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002 médiocre. À l’inverse, certains médicaments sont largement utilisés du fait d’une bonne tolérance et d’un tropisme vasculaire périphérique potentiel alors qu’aucune étude ne permet de supposer qu’ils sont plus efficaces qu’un placebo. Ainsi les vasoactifs type buflomédil, naftidrofuryl, nicergoline ou encore dihydroergotoxine ou ginko biloba sont souvent proposés comme traitement adjuvant du phénomène de Raynaud, avec parfois une remarquable efficacité pour certains. Traitement chirurgical En dehors d’une étiologie éventuellement accessible à un geste chirurgical (endartériectomie ou pontage sur une plaque ou une sténose axillaire d’origine athéromateuse emboligène, résection d’un anévrisme de l’artère cubitale ou d’une première côte pour un syndrome du défilé thoracobrachial), il n’y a guère de place pour la chirurgie dans le traitement du phénomène de Raynaud. La sympathectomie thoracique supérieure n’est pas efficace, son effet est toujours transitoire et n’est pas dénuée de risque : syndrome de Claude Bernard-Horner, sécheresse cutanée, hypersudation paradoxale, pneumothorax, épanchement pleural ou causalgie. Dans certaines situations, peut se discuter une sympathectomie périartérielle digitale appelée, par les Anglo-Saxons stripping adventiciel. Son principe est une déconnec- Dossier thématique tion sympathique, associée à la libération d’un adventice fibreux. L’évolution postopératoire est favorable dans tous les cas, avec un recul de plusieurs mois dans l’étude de Yee. La technique opératoire est relativement simple, même chez les sujets souffrant de sclérodermie. Là encore, son indication doit se limiter aux phénomènes de Raynaud avec troubles trophiques n’ayant pas répondu aux traitements classiques. Conclusion Le traitement du phénomène de Raynaud, affection généralement bénigne et s’intégrant le plus souvent dans le cadre d’une forme idiopathique primitive, repose avant tout sur une hygiène de vie et des mesures de protection contre le froid. Seules les formes sévères et invalidantes relèvent d’une prise en charge médicamenteuse qui, dans la grande majorité des cas, se limitera à la période hivernale. Les inhibiteurs calciques, en dépit d’une tolérance parfois médiocre, doivent être proposés en première intention. Une mauvaise tolérance ou une inefficacité peuvent dans un deuxième temps inciter à recourir aux alphabloquants. L’utilisation des analogues de la prostacycline ne doit être envisagée qu’en cas d’échec des autres thérapeutiques, après expertise auprès d’un centre référent. Elle s’adresse essentiellement aux patients souffrant d’un trouble trophique. Les vaso-actifs, bien que proposés comme traitement adjuvant de la maladie de Raynaud, n’ont fait l’objet d’aucune étude prospective comparative versus placebo et il est encore prématuré de recommander l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou des récepteurs de l’angiotensine. Pour ce trouble vasomoteur, le plus souvent bénin, il n’est pas inutile de rappeler une des bases thérapeutiques souvent oubliée primum non nocere. Références bibliographiques Revue générale avec nombreuses références – Block JA, Sequeira W. Raynaud’s phenomenon. Lancet 2001 ; 357 : 2042-8. Épidémiologie 1. Maricq HR, Carpentier PH, Weinrich MC, Keil JE, Palesch Y, Biro C, Vionnet-Fuasset M, Jiguet M, Valter I. 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