Dossier
thématique
Le phénomène de
Raynaud
Coordonné par Nicole Cailleux
(Hôpital Boisguillaume, CHU de Rouen, Rouen)
I
Anérysme de l’artère
cubitale (artériographie).
I. Épidémiologie du phénomène de Raynaud
(P. H. Carpentier)
II. Phénomène de Raynaud d’origine
professionnelle et iatrogène (P. Y.Hatron)
III. Stratégie diagnostique devant
un phénomène de Raynaud (B. Planchon, M.A. Pistorius)
IV. Traitement du phénomène de Raynaud
(H. Lévesque)
II
Description du
phénomène de
Raynaud dans la
population générale
Le phénomène de Raynaud se
définit comme un accès d’is-
chémie des doigts et parfois
des orteils, déclenché par le
froid, complètement réver-
sible en quelques minutes, et
qui se traduit essentiellement
par des changements de cou-
leur typiquement tricolores :
blanc, puis bleu, et enfin
rouge. En pratique, ces
formes complètes sont rares ;
ainsi dans une série de 265
cas issus de la population
générale, la phase blanche
est décrite par plus de 97 %
des sujets, alors que les
phases bleue et rouge sont
mentionnées, l’une comme
l’autre, dans moins de 20 %
des cas. Parmi les signes
subjectifs, la sensation d’en-
gourdissement des doigts
ou, comme disent les patients,
de doigts “morts” est rappor-
tée dans 94 % des cas, et l’as-
sociation “doigts blancs et
gourds au froid” a une sensibi-
lité diagnostique de 93 %. Ce
travail montre aussi l’intérêt
de l’utilisation complémen-
taire de clichés photogra-
phiques de Raynaud en crise,
qui facilitent l’interrogatoire
et améliorent notablement la
spécificité diagnostique.
Prévalence et varia-
tions géographiques :
le du climat
Le phénomène de Raynaud
est retrouvé dans tous les
pays, avec une prévalence
dans la population générale
qui varie de 3 à 25 %. En
France, on peut l’estimer en
moyenne à 15 % chez la
femme et 10 % chez l’hom-
me, mais seuls 35 % des
sujets atteints ont consulté
un médecin, 25 % se disent
gênés dans la vie courante,
et 5 % ont au moins une fois
dû interrompre leur travail.
Les données précises sur le
coût social de la maladie
manquent encore.
Les variations géographi-
ques de prévalence obser-
vées dans les différentes
études sont importantes,
même quand leur méthode
est strictement identique.
Elles sont principalement
expliquées par l’influence
du climat, et peut-être par
des différences ethniques.
Elles portent principalement
sur le phénomène de Ray-
naud primaire. Ainsi, la pré-
valence du phénomène de
Raynaud chez les femmes
qui habitent dans la vallée
alpine de la Tarentaise est
trois fois plus élevée qu’à
Nyons (Provence), alors que
la sévérité moyenne des
crises et leur fréquence chez
les sujets atteints restent
comparables (tableau I).
L’ e xposition climatique au
froid n’est donc pas seule-
ment un facteur déclenchant
des attaques, mais aussi un
véritable facteur étiolo-
gique. D’autres éléments
comme l’incidence accrue
en milieu rural et l’existence
d’une liaison statistique
négative avec la corpulence
plaident pour l’existence de
facteurs pathogéniques liés
à la thermorégulation.
D
écrit il y a près de 150 ans, le phénomène de Raynaud
continue à exercer une sorte de fascination sur le
monde médical. Cette attraction est liée au défi qu’une
sémiologie, pourtant très riche et explicite, continue à oppo-
ser à notre volonté de comprendre et de savoir faire. La
pathogénie du phénomène de Raynaud reste, en effet, mys-
térieuse. Sur le plan pratique, sa prise en charge est souvent
redoutée du fait de la complexité apparente de l’étape dia-
gnostique et des difficultés thérapeutiques. L’épidémiologie
a cependant fait progresser nos connaissances, et surtout
nos pratiques. Elle apporte au phénomène de Raynaud,
comme à toute autre maladie, une description utile en santé
publique de sa fréquence, de ses répercussions et des
groupes de sujets à risque. Sous l’angle explicatif de la
recherche des causes, elle fournit aussi des indications parti-
culièrement précieuses du fait de l’état rudimentaire de nos
connaissances pathogéniques. Mais la contribution la plus
intéressante de l’épidémiologie en matière de phénomène
de Raynaud est la restitution de son profil clinique réel dans
la population générale, débarrassé des déformations liées
aux importants et inévitables biais de recrutement des séries
hospitalières classiques. C’est ainsi, par exemple, que les
données épidémiologiques ont fait justice du préjugé améri-
cain qui prédisait à tout phénomène de Raynaud une évolu-
tion vers les connectivites ; il en est d’ailleurs de même pour
l’image répandue en Europe d’un phénomène de Raynaud
presque toujours primaire et bénin, apanage de la femme et
reflet certain d’une personnalité anxieuse.
I. Épidémiologie
du phénomène de Raynaud
Patrick H. Carpentier*
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002
* Unité de médecine vasculaire,
département pluridisciplinaire
de médecine, centre hospitalier
universitaire de Grenoble.
Dossier thématique
III
Étiologies, facteurs de
risque et pathologies
associées
Après le climat, le sexe
féminin est l’autre grand
facteur en cause dans le phé-
nomène de Raynaud qui
atteint trois femmes pour
deux hommes. Cette diffé-
rence liée au sexe apparaît
plus faible dans la popula-
tion générale que dans les
séries hospitalières, du fait
de biais de comportement,
les hommes consultant
moins souvent.
Dans la population générale,
le phénomène de Raynaud
est primaire dans 85 % des
cas chez la femme et 45 %
chez l’homme. Chez l’hom-
me, syndrome des vibrations
et syndrome du marteau
hypothénar, chez la femme,
sclérodermies systémiques
et connectivites frustes
apparentées sont indiscuta-
blement liées au phénomène
de Raynaud. Il est même
possible d’en estimer la pré-
valence dans la population
générale par le biais de
l’acrosyndrome (tableau II).
En revanche, la consomma-
tion de tabac ou d’alcool, et
la prise d’estroprogestatifs
n’apparaissent pas comme
des facteurs significatifs. En
matière de prévalence, il n’y
a pas non plus de lien entre
le phénomène de Raynaud et
les pièges neurovasculaires
de la traversée thoraco-bra-
chiale ou du canal carpien.
Cependant, ce dernier semble
jouer le rôle de facteur
aggravant, capable d’aug-
menter la sévérité et d’in-
fluencer la topographie du
phénomène de Raynaud
(tableau III).
Quant à l’influence de l’âge
et l’évolution de l’acrosyn-
drome, les données dispo-
nibles sont imparfaites,
puisqu’en l’absence d’étude
longitudinale, elles reposent
sur l’anamnèse. L’âge de
début apparaît plus faible
chez la femme que chez
l’homme, ce qui correspond
à la relative précocité du
phénomène de Raynaud pri-
maire. Ce caractère n’est
toutefois pas constant,
puisque plus de 20 % des
phénomènes de Raynaud
primaires surviennent après
40 ans. Globalement, la pré-
valence du phénomène de
Raynaud augmente donc
avec l’âge, mais il est fré-
quent, dans les formes pri-
maires, que l’acrosyndrome
devienne progressivement
moins gênant, jusqu’à dis-
paraître complètement chez
environ 10 % des sujets.
Un autre point intéressant
est la liaison épidémiolo-
gique forte qui unit le phé-
nomène de Raynaud et les
autres acrosyndromes vas-
culaires, en particulier l’acro-
righose et l’acrocyanose ; il
est moins franc en ce qui
concerne les engelures. Ces
éléments sont en faveur d’un
“terrain” commun, lié au
climat ou constitutionnel,
comme le suggère la préva-
lence plus élevée d’antécé-
dents familiaux chez les
sujets atteints. Les données
de la littérature sont plus
discutables pour l’associa-
tion avec les migraines : il
n’est pas possible de tenir
compte pour cette analyse
des séries de consultants du
fait de biais de recrutement
évidents pour les deux mala-
dies, et les études en popula-
tion générale donnent des
résultats d’autant moins nets
que les critères de migraine
sont plus précis.
Auteurs Année Pays/région Prévalence (%)
femme homme
Lepert 1987 Suède 15,6 NM
Weinrich 1990 Charleston 4,3 2,7
(Caroline du Sud)
Harada 1991 Japon 2,5 3,3
Inaba 1993 Japon 3,4 3,0
Riera 1993 Espagne 4,7 3,2
Valter 1997 Estonie 8,3 7,9
Maricq 1997 Tarentaise (F) 20,2 12,7
Grenoble (F) 15,7 7,8
Nyons (F) 10,5 10,7
Toulon (F) 16,5 7,2
Charleston
(Caroline du Sud) 5,8 4,1
Voulgari 2000 Grèce 6,4 0,9
NM : non mesuré
Tableau I. Prévalence du phénomène de Raynaud dans la population
générale.
Cause Prévalence (%)
dans le phénomène de Raynaud
(et la population générale)
femme homme
Primaire 84 (12,5) 43 (4,1)
Sclérodermies et
connectivites frustes 2,4 (0,35) -
Syndrome des vibrations 0,8 25 (2,4)
Syndrome du marteau
hypothénar - 18 (1,7)
Autres/indéterminés 13,6 14
Tableau II. Phénomène de Raynaud : causes retrouvées dans un
échantillon représentatif de la population générale française.
Dossier thématique
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 1, janvier/février/mars 2002
IV
Les phénomènes
de Raynaud
professionnels
L’interrogatoire est ici de
première importance et doit
faire décrire avec précision
la profession du patient, les
gestes et les machines ou
outils qu’il utilise dans son
travail. Il ne faut cependant
pas s’arrêter à la seule pro-
fession du patient, certains
travaux de bricolage ou cer-
taines activités sportives
peuvent également être res-
ponsables d’un phénomène
de Raynaud ou de nécrose
digitale.
Trois types d’affection sont
actuellement reconnues par
la législation des maladies
professionnelles : la maladie
des vibrations, le syndrome
du marteau hypothénar, et
les affections consécutives
aux opérations de polyméri-
sation du chlorure de vinyl.
À celles-ci doit s’ajouter le
phénomène de Raynaud
secondaire à une scléroder-
mie liée à une inhalation de
poussières minérales conte-
nant de la silice (syndrome
d’Erasmus). Les hommes
sont bien sûr plus souvent
exposés que les femmes,
mais un certain nombre de
professions féminimes peu-
vent être responsables de
tels Raynaud professionnels.
Maladie des vibrations
La relation entre phénomène
de Raynaud et machines
vibrantes a été remarquée
pour la première fois en
1911 par Loriga chez des
tailleurs de pierre utilisant
des marteaux piqueurs.
C’est lors du congrès inter-
national de Londres en 1983
que le syndrome des vibra-
tions a été défini comme :
“l’ensemble des manifesta-
tions périphériques asso-
ciant perturbations circula-
toires (syndrome des doigts
blancs), sensitives ou motri-
ces (engourdissement ou
perte de la dextérité digitale),
et musculo-squelettiques (ma-
nifestations musculaires ou
osseuses ou articulaires)
associées à la manipulation
de machines vibrantes”.
Épidémiologie
En France au moins 300 000
sujets sont exposés à de tels
risques, en utilisant des
machines vibrantes dans dif-
férents secteurs d’activité :
industrie forestière, bâti-
ment et travaux publics,
métallurgie, construction
mécanique, mines, agricul-
ture... Ce sont les bûcherons
avec leur tronçonneuse qui
payent le plus lourd tribu à
cette pathologie profession-
nelle. On peut aussi la ren-
contrer dans les activités
plus inhabituelles : par
exemple le sciage des boîtes
crâniennes par les assistants
lors des autopsies dans les
laboratoires d’anatomie...
Cet exemple montre l’im-
portance de l’interrogatoire
rigoureux. Dans certaines
activités professionnelles, la
prévalence de la maladie
peut atteindre jusqu’à 50 %
des sujets. Les machines
rotatives, d’énergie vibratoire
à fréquence élevée, au-des-
sus de 50 Hertz, exposent
surtout aux troubles vascu-
laires alors que les machines
percutantes de fréquence
basse en dessous de 50 Hertz
induisent plus volontiers des
troubles ostéo-articulaires.
Ces manifestations cliniques
sont d’autant plus sévères
que la dose de vibrations
reçues a été intense et pro-
longée. Il existe toutefois une
sensibilité individuelle aux
effets vasculaires des vibra-
tions : les troubles vasomo-
teurs sont plus importants
chez les sujets atteints de
phénomène de Raynaud
idiopathique. Les mécanismes
de cette hyper-réactivité au
froid des artères digitales
induite par les vibrations
restent imprécis : des fac-
teurs humoraux avec un
déséquilibre de la libération
d’agents vaso-actifs locaux
et nerveux avec modification
du système vaso-régulateur
sympathique pourraient in-
tervenir.
Conclusion
Ainsi, bien qu’encore insuf-
fisantes, les données épidé-
miologiques actuellement
disponibles permettent de
clarifier le problème des
pathologies associées et des
éventuelles relations de
cause à effet, aboutissant à
une simplification de l’en-
quête étiologique. Sur le
plan pathogénique, et sur-
tout pour ce qui concerne le
phénomène de Raynaud pri-
maire, de nombreux argu-
ments font évoquer la res-
ponsabilité de troubles de la
thermorégulation ; il s’agit
non seulement d’une voie
intéressante pour la recherche
pathogénique, mais aussi
d’une justification des
mesures préventives simples
d’hygiène de vie dans le
traitement.
II. Phénomène de Raynaud d’origine
professionnelle et iatrogène
Pierre Yves Hatron*
E
n présence d’un phénomène de Raynaud, la première
étape de l’enquête étiologique est l’interrogatoire qui
permet très vite d’orienter ce diagnostic vers deux grands
cadres étiologiques du phénomène de Raynaud : les causes
iatrogènes et les causes professionnelles et occupation-
nelles. Cette enquête se soldera, dans le premier cas, à
stopper le médicament incriminé, si cela est bien sûr
possible, dans le second cas, à réduire l’exposition aux
risques et à améliorer les mesures de protection.
* Service de médecine interne,
CHU de Lille.
Dossier thématique
V
Clinique
Le phénomène de Raynaud
apparaît après une durée d’ex-
position variable : mois ou
année en fonction de facteurs
individuels et de la dose de
vibrations reçues. Il est loca-
lisé aux membres supérieurs,
unilatéral ou bilatéral mais
asymétrique, prédominant du
côté portant la machine
vibrante. Le pouce n’est
concerné que dans les formes
évoluées. Les crises sont
déclenchées par le froid et
l’humidité, mais également
par d’autres facteurs : le stress
et notamment sonore, la pos-
ture et en particulier le travail
en hauteur, le poids de la
machine et la force d’étreinte
nécessaire à la préhension.
La sévérité de la maladie est
corrélée à la dose totale de
vibrations reçues, mais toute-
fois les troubles trophiques
constituant le stade IV de
l’échelle de sévérité (tableau I)
sont tout à fait exceptionnels.
Dans la maladie des vibra-
tions, le phénomène de
Raynaud peut être associé à
d’autres manifestations :
neuropathie périphérique
avec paresthésies et troubles
sensitifs, ostéonécrose de
certains os du carpe.
Le diagnostic est essentiel-
lement clinique. La capilla-
roscopie est de peu d’utilité,
souvent techniquement dif-
ficile chez ces travailleurs
manuels, et ne montre que
des signes de micro-angio-
pathie non spécifique.
Réparation, traitement
et prévention
La réparation médicolégale
de la maladie des vibrations
est prévue dans les tableaux
n° 69 du régime général et
n° 29 du régime agricole
(tableau II). Il reprend les
“troubles angioneurotiques”
de la main sans distinction
entre phénomène de Raynaud
et neuropathie. Aucune durée
minimale d’exposition n’est
fixée.
La prévention repose sur la
réduction de la dose de
vibrations reçues par les
sujets exposés : conception
d’outils plus légers dotés de
dispositifs antivibratoires,
protection du froid par le
port de gants, limitation et
fractionnement de la durée
d’exposition par des pauses.
La norme iso 53 49 précise
le temps quotidien d’exposi-
tion au-delà duquel un
risque apparaît. L’informa-
tion aux utilisateurs de
machines vibrantes est une
règle obligatoire imposée aux
fabricants d’outils vibrants.
Comme dans tout phénomène
de Raynaud, la prescription
de vasodilatateur peut amé-
liorer les troubles vasomo-
teurs.
Syndrome du marteau
hypothénar
Décrit pour la première fois
en 1913, le syndrome du
marteau hypothénar est la
conséquence du développe-
ment d’un anévrisme trau-
matique qui se situe au
Type d’atteinte Gravité Description
Vasculaire
0Aucun signe ou symptôme
1légère Raynaud occasionnel touchant uniquement
le bout d’un ou plusieurs doigts
2modérée Raynaud occasionnel touchant les
2 dernières phalanges (plus rarement
la première) d’un ou plusieurs doigts
3 sévère Raynaud fréquent touchant toutes les
phalanges de plusieurs doigts
4 très sévère Identique à 3 mais avec troubles trophiques
touchant les extrémités digitales
Symptômes
Sensitive
0Exposition aux vibrations mais pas de symptômes
1 Engourdissements intermittents
avec ou sans picotements
2 Engourdissements intermittents ou permanents
avec diminution de la sensibilité
3 Engourdissements intermittents ou permanents,
réduction de la sensibilité tactile et (ou)
troubles de dextérité
Chaque main doit être étudiée séparément
Tableau I. Classification des signes fonctionnels observés dans le syndrome des vibrations. Atelier de
Stockholm 1987.
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