SOCIOLOGIE DE L'ETAT Introduction : Constructions dominantes et approches sociologiques de l’objet étatique La sociologie est une discipline récente, elle est née concurremment en France et en Allemagne. Le père de la sociologie est Auguste Comte. Deux œuvres majeures fondent véritablement la sociologie : celle de Durkheim et celle de Weber. C’est la science qui prend le social comme objet de connaissance. C’est la science sociale des phénomènes sociaux. Dans cette définition gisent toute la force et toute la faiblesse de cette discipline. Bourdieu l’expliquait en citant Pascal : « Je comprend le monde et il me comprend » (jeu de mot avec le terme comprendre). Faire de la sociologie est difficile car il faut analyser un monde dont on est un acteur. C’est le propre de beaucoup de sciences sociales : la linguistique, l’histoire, … Il y a un caractère auto-référencé des sciences sociales. Les gens des sciences dures tendent ainsi à penser que les sciences sociales ne sont pas des sciences. Le sociologue n’a pas la chance d’être en dehors de son expérience. Le monde social s’auto-analyse en permanence, il construit des représentations de ce qu’il est. C’est toujours un tableau de ce que le monde devait être, sociologie spontanée, qui donne l’illusion de connaître le monde. Cette approche rend le travail du sociologue compliqué, devant s’éloigner de cette approche et en éloigner les autres. La tâche est donc compliquée, d’autant plus qu’il y a d’autres disciplines qui produisent une vision de la société : l’histoire, le droit, l’économie, … La sociologie n’a pas à rajouter une autre vision. Tenter une sociologie de l’Etat, c’est être en présence de constructions dominantes, avec lesquelles il faut rompre, avec un regard neuf. A Les constructions dominantes de l’objet étatique en France Quelles sont les constructions de l’objet Etat auxquelles nous sommes socialisés ? 1 L’Etat tel qu’il est construit par le sens commun Le sens commun, c’est l’ensemble des opinions communes aux membres d’un groupement humain ou d’une société : des représentations mentales, toujours en peu schématiques et sommaires, mi-vrais, mi-fausses, un ensemble de représentations partagées des objets que nous sommes amenés à appréhender dans notre vie de tous les jours. C’est un stock très important de connaissances. Cette connaissance est donc mal assurée. Ces connaissances sont entremêlées avec des réflexes conditionnés, ce stock nous permettant de fonctionner de façon performante dans le monde tel qu’il est. Tout ce savoir nous permet de fonctionner sans se poser en permanence des questions existentielles. Le sens commun « c’est la communauté des et cetera », des évidences partagées, des savoirs et des lieux communs. Le langage est du coup le support de ce savoir partagé, qui loge dans le langage de telle façon que nous n’ayons pas besoin de vérifier le sens de chaque mot. Le sens des mots est acquis par imprégnation, la mimétique, la pratique. Les mots sont indexés les uns par rapport aux autres. Ils s’insèrent dans notre esprit avec un certain sens. Il y a la dénotation et la connotation : ce que l’on ne trouve pas dans le dictionnaire (la définition de la rose, et le langage des fleurs). Tous les mots sont chargés de connotations. Il y a aussi un certain nombre de schèmes perceptifs et évaluatifs, qui sont très souvent agencés autour de couples antithétiques (grand/petit, bien/mal, légitime/illégitime). Ces couples sont fondateurs de l’architecturation de notre esprit. Cette analyse s’applique aussi à l’Etat. L’Etat vient à nous par le sens commun. Nous prenons progressivement conscience du sens du mot Etat. L’adjectif qui vient communément à l’esprit pour le mot Etat est le mot national : police nationale, éducation nationale, … Ce qui se rapporte en France à l’Etat est qualifié de national. On se rend ensuite compte que le chef de l’Etat et le Président de la République qualifient la même personne. On se rend compte que ce n’est pas une personne mais une fonction, avec des titulaires successifs, et que avant nous avions des rois, alors que dans d’autres pays il y a encore des reines et des rois. On comprend rapidement tout cela. Tout cela représente un savoir commun, très contextuel, et il faut sortir de ce sens commun, de cette tendance ethnocentrique. La notion même d’Etat n’est pas commune dans d’autres pays : au Royaume-Uni, ce n’est pas un mot qui fait partie du langage commun, on parle plutôt de la « couronne », avec comme chef « H.M » (her majesty). La conception des institutions publiques dans la société va donc être différente. Au sein même de la société française, les perceptions du sens commun de l’Etat diffèrent d’un espace social à l’autre. Si mon père est conseiller d’Etat, ma vision de l’Etat sera quelque chose de noble, majestueux, apprenant très tôt que ce sont les corporatismes qui menacent l’Etat, alors que les serviteurs de l’intérêt de l’Etat sont les conseillers d’Etat. A l’inverse, le fils du boucher charcutier de Réalmont dans le Tarn, dès son enfance, l’Etat est associé à un haussement d’épaules, un bof, un mépris des fonctionnaires et des prélèvements sociaux. C’est le problème de la socialisation. Autre curseur, être élevé dans un milieu de droite, donne à penser du mal de l’Etat providence. Dans une famille de gauche, on pensera que l’Etat doit assurer le fonctionnement des marchés, … L’Etat n’est pas seulement un objet de représentations discursives. Face à l’Etat concret, les réflexes ne seront pas les mêmes suivant la socialisation : la police et le social ne sont pas au contact de tout le monde. Suivant ce milieu, la perception de l’Etat ne sera donc pas la même. Du coup, le sens commun n’est pas univoque, il est même commun que des éléments du sens commun se contredisent. La fonction de préfet est unique en Europe : les autres pays ne peuvent concevoir une telle emprise de l’Etat ; le Royaume-Uni ne conçoit pas l’existence de cartes d’identité. De même la présence d’un crucifix dans une salle de classe en France choquerait, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Les vérités du sens commun sont différentes suivant les pays. Nous communions en France dans un corpus de représentations de l’Etat, et même les clivages dans ce domaine sont typiques. C’est le fruit d’une certaine histoire nationale. 2 L’Etat vu par la tradition historique française Les enseignements d’histoire sont le deuxième outil de perception de l’Etat. Les manuels expriment une vérité officielle de l’histoire nationale. Ces manuels sont en quelques sortes le reflet de la vision de officielle que la France donne à ses enfants. Ces manuels font ainsi la part belle à l’Etat. Il est vrai que la forme moderne de l’Etat est née en France, avec plusieurs siècles d’avance sur les autres : « La France est fille de son Etat ». La nation précède la création de l’Etat. La constitution d’une unité nationale, d’un sentiment national résulte d’une action de très long court, avec l’avènement de la dynastie capétienne, donnant lieu à de véritables guerres civiles, qui a engendré un processus d’unification nationale. La Révolution, pour les historiens, n’est pas un point de rupture, mais une accélération du phénomène : la Révolution, puis l’Empire et la Troisième République, en imposant la nation, l’organisation jacobine, l’homogénéité administrative, la langue française, a poursuivit l’action unificatrice des lois. C’est l’Etat qui est responsable de cette évolution. Pierre Rosanvallon affirme que « l’Etat est l’instituteur du social », l’Etat comme maître à penser, mais aussi comme celui qui institue, structure le social, dans le passé et dans le présent. L’Etat est perçu au-dessus du social. Cette vision nous semble évidente, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Ce n’est pas le cas par exemple de la Pologne, occupée durant des siècles, petite flamme qui a permis aux Polonais de résister à l’oppression. 3 L’Etat tel que construit par le droit public L’Etat est considéré à la fois comme une abstraction logique, un être de raison, qui constitue le support abstrait du pouvoir des gouvernants sur les gouvernés, et comme un ensemble de corps constitués, les fonctions publiques, un ensemble de rôles régis par la constitution, et des lois organiques. A la question qu’est-ce que l’Etat : quand trois éléments sont réunis, et deux caractéristiques fondamentale : Un pouvoir de contrainte s’exerçant sur une population rassemblée sur un territoire ; contrainte de droit et de fait, l’Etat fixant les droits et les devoirs impersonnels qui régissent les comportements des membres de la société, et principal créateur du droit, au point que la théorie de l’Etat de droit conçoit le droit et l’Etat comme consubstantiels ; l’Etat jouit de la possibilité de contraindre par corps avec la police et l’armée, seul l’Etat pouvant exercer une contrainte physique. Un pouvoir sur une population déterminée. Un territoire déterminé, avec la possibilité de défendre ses frontières et de les faire respecter par les autres Etats. L’Etat est aussi une personne morale : cette notion ayant été inventée pour donner une existence de droit et une capacité à agir, forgée pour l’Etat, et ensuite appliquée pour le domaine privé. C’est l’émergence de cette vision de l’Etat au fil des siècles qui a permis de concevoir la dépatrimonialisation de l’Etat : l’Etat était autrefois confondu avec le roi. Aujourd’hui, l’Etat est distinct de la personne physique de ses dirigeants. D’où le principe de continuité de l’Etat, et du pouvoir d’Etat, qui veut que ce soit l’Etat et pas les personnes physiques qui édictent les règles. L’Etat est la seule personne morale détentrice de la souveraineté, notion définie par Jean Bodin. C’est l’attribut essentiel de l’Etat. C’est la caractéristique d’un pouvoir qui n’en admet aucune autre au-dessus de lui. « L’Etat dispose de la compétence de sa compétence ». Le pouvoir de l’Etat est originaire et illimité. Elle a une dimension interne et une dimension externe : le pouvoir de l’Etat, et la souveraineté internationale. La construction des choses tend à simplifier la réalité, et à occulter des pans entier de la réalité, en érigeant l’idée de ce que devrait être la réalité. L’usage de la contrainte est de même discutable. La notion de souveraineté est aujourd’hui contestée, notamment face à l’intégration européenne, face au pouvoir des fonds de pension sur la dette de l’Etat, face à la menace terroriste, … 4 L’Etat tel que construit par les professionnels de la politique Tous les hommes politiques, quelle que soit leur prise de position sur l’Etat, croient en l’éminente valeur de la conquête et de l’exercice du pouvoir étatique au sommet de cet appareil d’Etat. Ils croient que l’occupation de ces positions de pouvoir dans l’Etat donne un pouvoir pour traiter les problèmes du moment. Même les ultra-libéraux rentrent dans ce schéma, afin de mener des politiques actives de dérégulation, qui sont de l’action publique : il font des lois pour réduire la place de l’Etat dans la société. On peut même constater que sous le règne de ces gouvernements, l’Etat est très actif. Ainsi, tous les gouvernants concourent à entretenir dans la population cette représentation collective qui nous paraît aller de soi, l’idée que l’Etat à vocation à agir sur la société. Cette idée est plus ou moins bien admise suivant les traditions nationales. On continue en France à véhiculer une conception volontariste de l’Etat. On a depuis quelques décennies la conception que l’Etat ne peut pas tout faire, mais on croit encore à cette vision de l’histoire officielle de l’Etat et du droit, vendue par les hommes politiques. B Une perspective sociologique de l'Etat: le 1er jalon Mais qu'est-ce donc faire une sociologie de l'Etat? C'est une démarche qui utilise l'histoire, l'économie, le droit, ... Il ne se définit pas par son objet. Qu'est-ce que le regard sociologique? Objectiver, expliciter les implicites, les visions d'un objet pour aller au-delà du sens commun. Se comporter en sociologue, c'est s'étonner des évidences. Lévi-Strauss a travaillé sur les sociétés primitives, et en a ainsi appris sur lui même. Le sociologue fait la même chose mais sans partir au loin, c'est l'ethnographe de sa société. Il tente une distanciation de sa société, tente de voir ce qui est familié pour la première fois, regard de l'enfant. On ne se satisfait pas du commun, on s'étonne des détails, qui ne sont pas négligeables. C'est une conversion du regard, une éducation de l'esprit, de l'oeil qui se fait par la pratique de l'observation de terrain, et la lecture des grands livres théoriques. Affirmer que l'Etat est un objet pertinent d'analyse sociologique, c'est affirmer que l'Etat est un fait social, ou plutôt un ensemble de faits sociaux, affirmer que l'Etat fait partie de la société, rupture du sens commun comme quoi l'Etat serait à côté au mieux, au-dessus de la société qu'il doit réguler. L'Etat serait en fait un acteur, effecteur de la société. Dans les journaux on a les pages politique et les pages société, mais l'Etat est acteur social. Selon Marx, « l'Etat ne plane pas dans les airs ». L'Etat est partie prenante des rapports sociologiques. Il n'y a rien d'extérieur au social dans la société. Quand on parle de sexualité, le sens commun le fait passer dans le privé, alors que pour le sociologue, les sexualités sont sociales. L'Etat fait partie de la société. La sociologie de l'Etat ne peut pas considérer la forme actuelle comme une évidence: il faut le déconstuire, le décontextualiser. La technique, c'est de mettre en lumière comment il est construit socialement. L'Etat a été construit, on peut voir sa construction. L'Etat, objectivement et subjectivement aurait pu être autre qu'il n'est. L'Etat est un construit. Il y a maintes trajectoires pour reconstituer la sociogenèse de l'Etat (Elias). Il ne faut pas se faire piéger par la constance du nominal. Ce n'est pas le même phénomène, l'Etat désigne un phénomène amené à disparaître selon la sphère que l'on considère. On désigne sous cette nomination des processus, phénomènes et institutions différentes. La sociologie consiste à ouvrir les boîtes du langage. L'approche sociologique ne consiste pas à aborder l'Etat comme une abstraction. Il existe différentes traditions de philosophie politique: l'Etat est la cité, mais aussi la respublica, l'organisation politique. A travers le prisme sociologique, on peut appréhender un univers de pratiques et de représentations. Ce n'est pas que statique, organigramme, règles définies. C'est aussi étudier le fonctionnement interne, faire la sociologie de l'Etat en action (Jobert), les politiques publiques, les programmes d'action. Elles les fabriquent en interaction (syndicats, entreprises, ONG, ...). Il existe des représentations mentales de l'Etat, conceptions partagées de ce qu'est l'Etat et de ce qu'il doit être. Elles sont fondatrices, pas faciles à travailler. La sociologie présente comment elles orientent et légitiment les acteurs. L'économie de nos pratiques peut être distincte de nos représentations, mais jamais sans liens. L'Etat existe comme un construit, comme une économie de pratique, et existe dans la tête des acteurs qui vivent dans l'Etat et qui interagissent avec lui. Les représentations sont différentes selon les les groupes. Quand on appréhende l'Etat en sociologue, on le voit comme un univers social, peuplé d'individus socialisés. Faire de la sociologie de l'Etat, c'est faire une sociologie des individus et des groupes d'individus qui peuplent les institutions d'Etat, qui leur prête vie. L'institution existe par les individus, mais il n'y a pas de dépendance individuelle, elle n'a de vie que la vie que nous lui insufflons mais qui nous dépasse. Faire la sociologie des acteurs, c'est se demander d'où ils viennent, qui ils sont, où ils vont. Ces variables influent sur la façon dont ils occupent leurs rôles institutionnels. Etudier l'Etat en sociologue, c'est penser ce machin comme un univers social animé de luttes et d'échanges. L'Etat, contrairement aux visions qu'on en a, n'est pas un mais multiple. Il se présente comme un conglomérat souvent en conflit très dur avec les visions qu'on en a, et avec les stratégies propres de ses alliés spécifiques. Il faut tenter de dénouer les fils de ces échanges et conflits inter/intra institutionnels. Selon Durk, il convient de travailler à une rupture avec les prénotions continues, avoir une vigilance critique à l'égard du sens commun. Une définition préalable permet d'expliciter pour soi même et pour les autres. CHAPITRE 1: L'Etat, objet de la sociologie Tout et son contraire ont été dis. Le « triomphe de la raison dans l'histoire » pour Hobbes, « le plus froid des monstres froids » pour Nietzsche. Selon Weber, l'Etat est un élément de la société, perspective non manichéenne. Il faut prendre en compte le contre pied du sens commun. L'Etat n'a pas toujours existé (comparaison diachronique), et n'existe pas partout (comparaison synchronique). L'Etat est partie prenante dans la société occidentale moderne. L'usage de l'Etat pour n'importe quelle forme de pouvoir est un usage abusif. L'Etat est situé. La notion d'Etat est la seule forme de pouvoir politique née et épanouie en Europe occidentale avec le parcours historique de l'ère moderne. La sociogenèse de la forme étatique a commencé au XIIe siècle et s'est poursuivie jusqu'au XXe siècle. L'Etat est le principal produit d'exportation européen. Ce n'est pas un universel abstrait. Il n'y a pas d'essence de l'Etat. C'est la forme d'organisation politique moderne (ce n'est pas un jugement de valeur mais une période à partir de la Renaissance). L'Etat prend aussi une singularité dans chaque Etat en fonction de sa trajectoire historique, de son contexte social, économique, ... Mais il existe tout de même une certaine régularité. On a une dialectique fondatrice entre singularité et régularité (Zimmler). L'esprit humain est porté à un aveuglement partiel qui nous amène à nous focaliser sur un seul phénomène. On est très manichéen, on aime incondiremment. Ce garder de ce travail sociologique, c'est tout voir à la fois. Le conflit, c'est de la communication. Mai 68 ne dérape pas car les communistes ne bougent pas du fait d'un accord entre Chirac et Marchais. Les communistes ont toujours les armes de la Résistance, la coopération ou le conflit. Le social est bien plus compliqué que la théorie du complot. Ce n'est pas parce qu'on force à l'homogénéisation qu'il n'y a pas de différences. Il y a tout le temps des changements et en même temps une permanence. Nos sociétés connaissent une évolution constante redirigée en permanence. Il existe à la fois une hiérarchie et une négociation au sein des institutions, différences entre le droit écrit et la pratique. On a une tendance à la simplification, comme le Premier ministre dans la Ve République. La domination n'est pas absolue, mais c'est un jeu interactionnel. I La définition de l'Etat par Weber Avec Weber (Economie et société), on peut dire que l'Etat est la forme caractéristique des sociétés modernes. C'est le schéma d'organisation politique qui s'ouvre à la Renaissance. La définition de Weber est classique mais efficace (ce qui est classique n'est pas périmé, ce qui est neuf n'est pas forcément mieux, il n'y a pas de progression linéaire): « nous entendons par Etat, une entreprise politique de caractère institutionnel, lorsque et tant que sa direction adminsitrative revendique avec succès, dans l'application des réglements, le monopole de la contrainte physique légitime ». A Entreprise politique: l'Etat est politique L'Etat de droit est un Etat de doctrine, officiel, qui se repose sur un certain nombre de principes, socle de droit, essence supérieure, qui s'imposerait même à la volonté des gouvernants. Ces principes seraient hors de portée de l'action du politique, idée qui fait consensus depuis 50ans, soit très récemment. Les juges en assurent le respect. Il faut rompre avec ces évidences, en rappelant que ce sont le fruit de combats politiques. Tout ce qui touche à l'Etat est donc politique: le droit de l'Etat est politique. Là où le pouvoir change, on s'empresse de changer le droit de l'Etat. En français, le mot politique est polysémique, avec 3 sens. En anglais, on a polity, policy et politics. Polity est la polis au sens grec, chose publique, l'ordre politique d'une société, système de gouvernement, achitecture institutionnelle; en français on le nomme le politique. Politics désigne en français la politique, la vie politique, l'actualité politique partisanne, l'ensemble des activités se rapportant à la compétition pour la conquête et l'exercice des positions de pouvoir politique au sein de la société, fonctions étatiques. Policy désigne les politiques publiques mises en oeuvre, les lignes d'actions des autorités en place (Etat ou entreprises). L'Etat, s'est la forme prise par l'organisation de la cité dans le monde moderne, c'est l'arène et l'enjeu, c'est le lieu où s'élabore et se mettent en oeuvre les politiques publiques. Faire la sociologie de l'Etat, c'est saisir cette triple dimension et en faire l'étude suivie, c'est sociologiser l'organisation, ne pas abandonner cela à la philosophie politique, mais faire à ce sujet de l'histoire pour reconstituer la genèse de cette forme là plutôt que de telle autre, et donc faire du comparatisme pour suivre les invariants et les variances. La compétition politique est l'objet canonique de la science politique. L'étude des politiques publiques est une des voies les plus stimulantes de l'étude de l'Etat, car on étudie l'Etat en action. Ce n'est pas une étude abstraite, pour trouver l'essence du politique, mais c'est prendre l'Etat par en-bas, le juger à ce qu'il produit, chercher à mieux cerner ce qu'est l'Etat par une compréhension approfondie de son action. L'Etat en action est un Etat en interaction, étudier l'action publique, c'est la meilleure façon de montrer que l'Etat baigne dans le social, qu'il est perméable aux mobilisations sociales, qu'il ne dicte pas sa loi, qui lui sont soufflées par des acteurs. B L'Etat a un caractère institutionnel L'Etat est une institution, c'est même l'archétype des institutions, privilège qu'il partage avec une autre institution, l'Eglise: « forment une institution avant tout l'Etat et l'Eglise ». Le mot institution renvoie à deux choses: c'est à la fois l'action d'instituer quelque chose, et le résultat de cette action. La définition du verbe instituer: « instituer une chose, c'est la former d'une manière permanente dans l'intention de la voir perdurer ». L'institution est le produit d'une série constituée d'acte d'institution, le produit d'un processus d'institutionnalisation. Ce mot insiste sur l'aspect de processus. Les réalités sociales comme l'Etat n'existe pas comme les objets physiques. Ils ont une existence processuelle, ce sont les résultantes d'un processus. On parle donc de faits sociaux, et non d'objets sociaux. Ce sont des réalités d'ordre phénomènal. Les sociologues utilisent donc la notion d'objectivation: c'est un processus qui aboutit à ce que les êtres humains perçoivent comme des réalités objectives, allant de soit, s'imposant à chacun de nous, ce qui n'est en fait que l'état stabilisé de rapports sociaux entre nous. Par exemple, la richesse et la pauvreté au sein de la société est une réalité objective; le droit de propriété est objectivé, alors que ce n'est qu'une convention qui ne va pas de soit; l'objectivation, c'est donc cela, le fait que de simples conventions s'imposent à nous. L'institutionnalisation, c'est la forme par excellence de ces phénomènes d'objectivation. L'Etat, l'armée, la région sont considérés par nous comme des objets dotés de leur force propre, sorte de magie de l'institutionnalisation qui nous dissimule que les institutions n'existent que par la vie que nous leur insufflons. Les institutions sociales sont des processus, mais ce ne sont pas des rêves. L'Etat a une dureté, ce n'est pas qu'une représentation mentale. Il n'existe pas non plus qu'à l'état d'une intersbjectivité. Les institutions existent à la fois objectivement et subjectivement: l'Etat et toutes les institutions sont à la fois des univers de pratique et des univers de sens. De ce point de vue, l'Etat n'est pas seulement des règles, mais tout un ensemble de petites choses, d'habitudes triviales qui conduisent à reproduire l'Etat. C L'Etat est une direction administrative Weber nous amène sur le terrain de l'action, car l'institution étatique, univers de pratique et de sens, est aussi un univers d'acteurs. Il n'y a d'Etat que s'il existe une direction politique, assisté d'un état-major administratif qui donne des ordres à une bureaucratie. Il faut bien voir qu'une institution n'a pas forcément de dirigeant (mariage), mais l'Etat oui. Il a une institution politique qui domine les « membres du groupement ». L'important dans cette affaire, c'est que s'établisse un rapport d'autorité stabilisé. L'Etat repose sur les fonctions politiques et les fonctions adminsitratives. Le rôle politique a pour mission la détermination des buts de l'action publique, de la collectivité. Le rôle administratif, confié à des fonctionnaires nommés, a pour mission de préparer et d'exécuter les décisions politiques « sans colère et sans parti pris », sorte de loyale moralité, l'honneur du fonctionnaire, car la définition des buts est l'apanage du politique. L'état-major administratif constitue la haute bureaucratie, proche du politique. « La bureaucratie est composée de fonctionnaires individuels, qui sont personnellement libres et n'obéissent qu'aux devoirs de leur fonction, sont établis dans une hiérarchie de fonctions auxquelle sont réparties des compétences particulières, sont recrutés sur la base d'une sélection sur leurs compétences reconnues par un diplôme, ils ont un salaire régulier et la fonction publique est leur unique profession, ils peuvent bénéficier d'une progression qui dépend de leur carrière ». Cette définition est ce que Weber appelle un idéal-type, un tableau accentué et stylisé du réel. Il pose ce constat sociologique fondamental: il n'y a pas d'Etat sans bureaucratie, exclusivement organisée par rapport au service de l'Etat. Qui sont ceux qui peuplent l'Etat? Comment s'articule cette défintion des buts politiques suprêmes, et cette optimisation des moyens? Le fonctionnement de l'Etat est une dynamique sociale complexe ayant une double nature, à la fois politique et administrative. D L'application des règlements grâce au monopole de la contrainte physique légitime L'Etat a le monopole de la contrainte physique légitime. En définissant l'Etat comme il le fait, Weber évite de le définir par ses missions. Il a raison car sinon il s'exposerait à donner une définition de l'Etat qui dépendrait du pays ou de l'époque dans laquelle il est pensé. « Il ne se laisse pas définir sociologiquement par le contenu de ce qu'il est ». « L'Etat ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen qui lui est propre c'est-à-dire la violence physique ». L'application de la violence est assurément le moyen de pouvoir de l'Etat, et elle en ai l'ultime argument. L'Etat fixe les règles de la vie en société, et a les moyens de faire respecter ces règles. L'Etat, c'est à la fois la puissance régulatrice, et le monopoleur de la contrainte physique. Définir l'Etat par ses moyens spécifiques d'action évite de tomber dans le piège de l'immédiat, il donne une solidité face aux évolutions historiques. Weber affirme dans cette définition que le moyen spécifique de l'Etat, c'est la contrainte physique légitime: ce n'est pas la force brute mais la contraine légitime, distinguant la notion de macht et de Herrschaft, puissance (contrainte par force pour faire triompher sa volonté contre celle des autres, dont les moyens sont la peur et la violence) et domination (avec l'idée de consentement, de docilité, d'obéïssance, rapport assymétrique dans lequel tel groupe d'individus parvient à obtenir l'obéïssance d'une population aux ordres qu'il lui donne). Partant de cette distinction, Weber pose que « l'Etat est un rapport de domination de l'Homme sur l'Homme qui ne peut exister qu'à la condition que les dominés se soumettent à la volonté des dominateurs », « le fondement de toute domination est une croyance ». C'est la croyance en l'autorité légitime de l'Etat. Il forge de ce point les trois types de légitimité. La légitimité rationnelle légale est le fondement de l'Etat moderne. L'Etat est une institution qui exerce dans la société une autorité légitime, c'est-à-dire avec le consentement de la population. Il ne se demande pas qu'est-ce qui est légitime est qu'est-ce qui ne l'est pas. Les gens consentent au pouvoir légitimement. La clé est de constater que les gouvernés consentent à l'autorité de l'Etat. Cette réflexion amène à une analyse des actions des gouvernants pour entretenir cette croyance, des processus de légitimation, par lesquels on conforte la légitimité du pouvoir, avec une analyse des mécanisme d'érosion de la légitimité, des crises qui rompent cette légitimité. Pourquoi des régles dans une société cessent d'être légitimes. A l'inverse, il y a des pratiques des gouvernants qui sont illégales, mais qui sont considérées comme légitimes: dans la Ve République, certaines règles qui ne sont pas marquées dans la constitution, alors qu'elles sont considérées comme légitimes. Cette dialectique entre légalité et légitimité est complexe. Cependant, il faut enrichir cette définition. E Le mot qui manque à la définition de l'Etat: monopole de la contrainte physique et symbolique légitime C'est un prolongement de la lecture de Weber par Bourdieu, ne donnant pas lui-même de définition de l'Etat. Selon Weber, l'Etat a le pouvoir d'exercer une violence physique légitime: la loi de l'Etat peut s'excepter de la loi divine, tu ne tueras point, car il peut légitimement se permettre de donner la mort à des déviants de la société, qui ont violé des lois particulièrement importantes. Il dispose de la plus grande violence, celle de donner la mort. L'Etat, appuyé sur le droit, est une formidable instance de légitimation suprême dans nos sociétés occidentales laïcisées (sans contrainte de rivalités d'investitures entre l'Eglise et l'Etat). Il reste comme la seule instance de légitimation, mais si on utilise la métaphore de la chaîne, tout se passe comme si l'Etat était l'institution qui se trouve en bout de chaîne, l'instance de légitimation en dernier ressort, ce que dit Bourdieu: « l'Etat est un trésor public de ressources matérielles et symboliques », c'est une instance de légitimation et de conservation de ce qui est le plus important dans une société donnée. L'Etat exerce des actes de violence symbolique: les actes de nomination par exemple. La nomination de l'enfant qui vient de naître doit être faîte dans les 24h après la naissance, et l'officier d'Etat a le pouvoir de refuser le nom de l'enfant: l'Etat se mêle même de notre prénom. De même pour l'octroie de la carte d'identité, afin de certifier l'identité d'une personne. Jusqu'à la fin, l'individu est étiquetté par l'Etat. Tous ces actes sont des actes unilatéraux, dans lesquels l'Etat exerce sa puissance publique sur nous, qui nous range dans des catégories, dont résulte des droits et des devoirs différents des autres. A cela s'ajoute que seules des institutions d'Etat peuvent délivrer des verdicts nous concernant, en premier lieu des verdicts juridiques, mais aussi les verdicts de l'institution scolaire: on est dans la violence symbolique, l'Etat ayant le privilège de la collation des grades. Ces verdicts ont des conséquences sur nos vies qui sont tout à fait importantes. Le fait d'être reçu ou non au concours a des conséquences sur toute notre vie. De même pour les décorations, actes de reconnaissance symbolique. Ces actes valent aussi dans les instances privées Les dirigeants ne font pas ce que bon leur semble, mais le jeu reste contraint. La dimension probabiliste de la conception weberienne induit une entreprise politique dont la direction revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime. F Une entreprise politique dont la direction revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime Le pouvoir de l'Etat évolue en permanence, et Weber sait bien que chaque Etat concret peut s'éloigner de la définition qu'il propose. Il introduit donc une dimension actioniste et probabiliste: on a affaire à un Etat quand on est en présence d'un Etat dont les dirigeants agissent volontairement dans le sens indiqué. Cela marche, mais pas toujours. C'est une définition souple, opératoire. De la même façon, Weber répugne de parler du pouvoir de façon abrupte: il parle de chance de régulation normative du social, et de coercition par la contrainte physique et symbolique légitime. Ce n'est pas une pensée clause, qui permet de faire droit aux évolutions récentes du phénomène étatique. Cette définition ouvre de nombreuses pistes de recherche. CHAPITRE 2: L'Etat comme institution sociale Forment une institution d'abord l'Etat et l'Eglise. L'Etat se donne à voir et à vivre comme l'institution par excellence. Le mot même d'institution signifie cette volonté de longue durée. L'Etat, comme toute insttitution est le produit d'un constant processus d'institutionnalisation. A Processus d'institutionnalisation et approche sociologique des institutions Les institutions existes, elles sont présentent à la vie de chacun de nous, avec une intensité qui semble comparable à celle des objets physiques. Semble, car il s'agit d'une « magie sociale »: Berger et Lukman disent que l'Etat existe, mais pas de la même manière qu'un objet, le monde social est un ensemble de conventions qui réussissent à se faire ignorer comme telles, et se donne à vivre sous le mode de la réalité, dynamique de l'objectivation. Le monde social est à la fois produit et producteur d'un ensemble de processus qui font que les être humains sociaux perçoivent comme des réalités objectives, allant de soit, donc s'imposant à chacun, ce qui n'est en fait que l'état stabilisé, et en quelques sortes réifié des relations qui relient les membres les uns aux autres. L'Etat hérite du passé dans son processus d'institutionnalisation. Berger et Lukman explicitent en quoi l'insitutionnalisation résulte d'une habitude, d'une typification réciproque et d'une réciprocité. Lorsque deux individus sont amenés à vivre ensemble, des routines comportementales vont se mettre en place. Sur ces routines vont se fonder des typifications sur le comportement de l'autre: on pose des étiquettes sur l'autre, on l'identifie par une étiquette qui rapporte les actions à des types de personnes, ce qui permet de rendre le monde prédictible, stable, et donc non-angoissant, d'où la prise d'habitude face à cette typification. On entre dans un partage du travail social, un phénomène d'institutionalisation, avec un accord intersubjectif sur une typification réciproque d'activités routinières. On passe d'un accord entre les individus à la définition de rôles, tout cela à partir de conventions entre les individus. Les habitudes de vies communes, deviennent pour les enfants, l'arrivée de tiers, des institutions historiques. Pour les enfants, il ne s'agit plus d'une convention, ils héritent d'un monde social d'institutions, comme une réalité objective audessus des individus, et ayant une réalité objective. La convention devient la généralité pour cette génération, ordre institutionnel qui atteint l'objectivité par la socialisation, auquel s'ajoute un travail de légitimation. Le caractère social est gommé par le discours de la société sur elle-même, qui justifie, naturalise les institutions sociales héritées des parents. La société est donc une production humaine, un produit d'interactions qui en vient à être vécu sur le mode d'une réalité objective, et de manière contraignante sur les membres de la société. Or la société, de l'ordre social objectivé, est peuplée d'institutions, à prendre dans un sens large. On peut dire que les sociologues appellent institutions des régularités comportementales des Hommes en société, qui souvent dans un second temps, après avoir été routinisées en pratique, font l'objet de règles officialisées qui objectivent encore d'avantage. Selon Lagroye, « toute institution peut être vue comme un système d'attentes réciproques, dont la stabilité est garantie par des règles ou par des dispositifs de repérage et de classement ». Les institutions ne sont pas extérieures à nous, elles ne sont qu'un système d'attentes réciproques entre nous. Être père ou mère est un rôle, et les enfants doivent répondre à la socialisation par le respect de ces rôles. Pour le sociologue du politique, les institutions ne sont pas uniquement le parlement, le CC, le président, qui se sont sédimentés. Ces institutions existent déjà à l'état de routines stabilisées qui deviennent des systèmes d'attentes réciproques. Anthony Giddens, dans La Constitution de la société, propose une réflexion sur l'importance des routines, qui sont l'un des éléments qui contribuent le plus à faire tenir le monde debout. Les institutions reposent sur l'acquisition de routines par l'ensemble des individus. Les routines structure la vie des individus en société. L'acquisition de ces routines se fait tout au long de notre socialisation. Giddens affirme que l'individu socialisé n'est pas un homo oeconomicus rationnel, mais se fait autour de la « conscience pratique », espèce d'entre-deux des acteurs, ni conscience rationnelle, ni inconscient, sorte de logique comportementale pratique non-interrogée. Les institutions sont dans cette sphère du non-interrogé. Quand on en vient à définir les règles qui définissent une institution, cette objectivation n'est pas le point de départ, mais au contraire la finalité de tout un processus d'institutionnalisation. Giddens dit que souvent les règles officielles sont une sorte de commentaire, de confirmation de règles sociales qui préexistaient à l'état de régularités comportementales. Il existe des degrés dans les processus d'institutionnalisation. La fonction de premier ministre en France s'est institutionnalisée très lentement. Elle commence à se définir sous l'ancien régime, notamment avec Richelieu; sous la troisième République, le poste de Président du Conseil n'a aucune existence légale, alors que c'est lui qui gouverne la France. Il faut attendre 1935 pour allouer un lieu institutionnel propre à cette fonction, Matignon, et qu'on lui alloue une ligne budgétaire. Jusque là, ce titre s'ajoute à la fonction de ministre. Il faut attendre la IVe République pour que ce rôle soit institutionnalisé, un siècle après la création effective de ce rôle. Les cas commes celui-ci sont nombreux. Cas inverse, la création ex-nihilo d'une institution nouvelle: elle doit ensuite se construire concrètement, dans et par la mise en place de pratiques stabilisées, de routines, de répertoires d'actions, de dispositifs stables, ... Vincent Dubois étudie la création d'un ministère des Affaires culturelles, dans lequel sont versés les anciens administrateurs des colonies dirigés par un intellectuel, Malraux, mais qui a marché. Progressivement se met en place un ordre routinier, qui fait exister l'institution. La génération suivante hérite de l'institution, et la perçoit objectivement: on vit de façon objectivée les objets qui nous sont totalement extérieurs. Toute institution est un ordre routinier, qui est à la fois tout un ensemble de savoirs pratiques des membres de l'institution, tout un répertoires de gestes, de rituels, de réflexes conditionnés, qui semblent survivre indépendemment des individus, avec une existence supraindividuelle. C'est alors que l'institution commence à exister au plan sociologique: ce sont des régularités d'attitudes et de comportement des individus qui prennent part à cette institution. Dire que les institutions sont des régularités attitudinelles et comportementales, c'est subsumer sous la même notion un ensemble de règles juridiques et de routines. L'institution se définie comme un ensemble objectivé de règles, de procédures, de normes formelles, définissant des rôles institutionnels, plus les prescriptions de rôles qui s'y attachent (ce que le rôle nous prescrit, l'activité attendue dans l'exercice des fonctions). Il s'agit d'un ensemble de routine qui assurent la stabilité de l'institution en pratique. Par exemple, l'Assemblée nationale existe juridiquement, ensemble objectivé de règles juridiques. Cette institution ne peut accomplir sa fonction que parce que des centaines de fonctionnaires accomplissent tous les jours des actes routinisés, sans quoi l'institution n'existe pas. Parler de régularité dans les attitudes et comportements des individus n'est pas un pléonasme: quand on parle d'attitude, on parle des croyances et des représentation du monde que les gens ont en tête. Le sens commun tend à opposer croyance et pratique, espèce d'anthropologie imaginaire du machiavélisme. Analytiquement, il y a autant de risque d'être dans cette anthropologie, que d'être naïf: il y a un résultat contre-intuitif d'aller trop au-delà du discours des individus. Cette dialectique est donc très importante. Berger et Lukman affirme que la réalité sociale existe objectivement et subjectivement. Si on prend une méga institution, comme l'Eglise, c'est à la fois un ensemble de croyances (création, trinité, mystère de l'Eucharistie), et un ensemble de pratiques, des rituels (signe de la croix, prière, culte marial, assistance à la messe), mais aussi des pratiques concrètes (quête, denier du culte, paiement du prêtre). Pour l'Etat c'est la même chose, mélange de règles et de représentations mentales. L'institution scolaire à pour pratique de coller des notes, régularité qui ne se comprend qu'en référence à un ensemble de représentations mentales, la croyance en la nécessité de cette notation. Toute institution scolaire forme, et classe. Le sociologue est amené à souligner que toute institution est un univers de pratique et un univers de sens, c'est-à-dire un univers de représentations: les représentations partagées, les schèmes cognitifs et évaluatifs, les croyances que le savoir libère, les valeurs qui sont les notres, et que nous mettons en oeuvre pour agir. Une institution est donc à la fois un univers de pratique et un univers de sens. Vivre en société, c'est accomplir des actes qui font sens, et auxquels nous donnons du sens. Toute institution relie entre eux des individus humains: elle définie un système d'attentes réciproques entre les membres de l'institution, ou ayant affaire à elle. Les institutions n'ont pas d'autre existence concrète que la multiplicité des pratiques des individus qui la peuplent et interagissent avec elle. Le sociologue doit étudier ce que les institutions font aux individus, et ce que les individus font des et aux institutions. Elles nous donnent des rôles auxquels nous avons à nous tenir. Nous faisons des usages différenciés des institutions, qui ont des effets sur l'institution, qui la façonnent, la font évoluer. On le sait pour les hommes publics: leur manière de tenir le rôle à des effets sur le rôle. Ce phénomène est aussi avéré pour le commun des mortels, et pour toutes les institutions, car nous faisons des usages différents des institutions. Il y a des tas de manière d'entrer en religion, de vivre une vie de moine, de prier, de vivre leur expérience, ... De même il y a des manières différentes de vivre la fonction de député. Ervin Goffman montre que même dans les institutions totales, très coercitives, les individus arrivent à conserver une part de liberter. On ne peut pas évacuer les individus de l'analyse, l'institution n'a pas d'existence concrète sans les individus qui l'animent. Ces règles de droit définissent les modes d'organisation des intitutions publiques: l'Etat est un espace de normativité. Mais c'est aussi un ensemble de rôles institutionnels gérés par le droit. A chacun de ces rôles s'attachent des prescriptions de rôles, qui sont souvent de nature générale, avec ensuite des tâches plus précises. Ces prescriptions sont vagues, mais claires à la fois. Mais bien souvent les contraintes habilitent à faire plutôt qu'elles en limitent, ce que souligne Anthony Giddens. Bastien François présente que le developpement de la jurisprudence constitutionnelle renforce les contraintes sur les politiques, mais habilitent certains à agir dans certains secteurs avec des armes nouvelles. L'institution étatique est aussi un ensemble de routines qui forment un ensemble routinier. Les règles et les rôles acquièrent de l'épaisseur sociale par ces routines. La routine qui fait que le premier ministre remet la démission du gouvernement au Président de la République à la suite des grandes élections nationales n'est inscrite nul part, mais il est inenvisagable de ne pas le faire. Autre routine, le fait que le Président de la République puisse convoquer les médias pour s'adresser à la nation quand il le veut. Le Président a une très petite équipe de collaborateur, et donc une moindre capacité d'analyse des dossiers, qui sont à Matignon et dans les ministères. L'Etat est aussi façonné par de toutes petites routines: un fonctionnaire ne contredit jamais un ministre en public, les informations sont au bas de la hiérarchie, qui se transforment en notes de synthèse au sommet de la hiérarchie. Outre l'univers de pratique, l'institution est un univers de sens: les acteurs s'approprient ces règles et ces rôles, mais aussi les transforment en partie. La fonction de préfet est très normée, mais il existe de multiples façon de prendre ce rôle, ce qui est vrai pour tous les rôles d'agents de l'Etat. L'institution, c'est un ensemble de représentations, de schèmes représentés par ses serviteurs. C'est un ensemble de croyances et de pratiques fortement mêlées. On peut citer le devoir d'impartialité de ses agents. Il y a le sentiment d'une raison d'être de l'Etat qui le rend légitime à nos yeux. Cette fonction privilégie une lecture exclusive, qui définit une essence de l'Etat, vision idéalisée qui tend à occulter l'utilisation sociale de l'Etat. L'Etat sert à quelque chose. Cette fonctionnalisation va de paire avec sa conception au service de l'intérêt général, transcendant les intérêts particuliers. On peut ainsi parler de culture institutionnelle: ce sont des gens, des règles, des rôles, des crédits, des actions accomplies au nom de l'Etat, mais surtout une culture institutionnelle particulière qui unit tous ces aspects. Selon Geertz, c'est une culture en action, « un système solidaire de croyances et de pratiques » selon Durkheim, c'est une praxéologie, un ensemble de logiques pratiques. Une culture d'institution, c'est l'ensemble de représentations, de croyances, de savoirs, de savoirs-faire et de pratiques qui caractérisent une institution. C'est la forme incorporée de l'institution, subjectivée (dans nos têtes) et objectivée (dans nos pratiques). Il n'y a pas de distinction entre les institutions et leur culture, ces deux aspects s'interpénètrent. Ce manifestent au quotidient par cette culture une rationalité d'Etat qui travaille l'Etat de l'intérieur. C L'Etat, institution d'institutions assurant le maintient de l'ordre politique et social 1 L'Etat, institution d'institutions L'Etat n'est pas un, il est multiple, il n'est un qu'au niveau de l'abstraction logique, mais dans la réalité concrète, on ne le rencontre qu'à travers les administrations. Ce sont plusieurs institutions; l'Etat désigne une pluralité d'institution, un conglomérat d'institutions qui ont chacune leur logique propre. Cet espace est animé par des forces, des dialectiques, compromis/conflit, hiérarchie/organisation, homogénéisation/différenciation. C'est un champ de lutte et un champ de force selon une analyse bourdieusienne. C'est le miroir éclaté des forces socio-économiques d'une société, des images d'une société, des controverses publiques. C'est logique, car ces diverses institutions baignent dans les questions sociales. Chaque institution est réceptive aux demandes des secteurs et des groupes avec qui elle est en relation régulière. Les clivages sociaux et économiques se répercutent dans l'espace social qu'est l'Etat. Ces rapports de forces sont médiatisés par la coordination de l'Etat, et sont reformulés dans le langage de l'Etat. Les clivages se retrouvent dans l'Etat, on les retrouvent par secteurs, qui sont le plus souvent pris en charge par une ou plusieurs institutions d'Etat. Mais dans le même temps, il y a des logiques de concurrence et de clivages qui sont endogènes, intrinsèques à l'Etat: on a un conflit structural entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet, entre les corps d'ingénieurs et les corps d'administrateurs dans les ministères techniques. L'Etat est donc différencié, et toutes ses institutions sont définies par leur logique et leurs valeurs institutionnelles propres. L'Etat est animé à la fois par des dynamiques de différenciation, et par des dynamiques de coordination. Ce liant lui est notamment donné par cette culture d'Etat. Ce sont les hautfonctionnaires généralistes qui sont porteurs de cette culture d'Etat. C'est la complexité de cet enchevêtrement qui permet de maintenir ce rôle. 2 L'Etat assure le maintient de l'ordre politique et sociale L'Etat assure le maintient de l'ordre, ce qui peut paraître un truisme: c'est la forme moderne d'organisation de nos sociétés. La vie sociale et politique n'est pas un espace labile, indifférencié, dans lequel les agents seraient totalement libres et autonomes. La vie politique et sociale est structurée. Les agents individuels et collectifs occupent des positions dont ils tirent certaines ressources et contraintes selon Boudieu. La vie politique n'est qu'une forme de la vie sociale. Ces interactions réglées reproduisent un certain état des rapports de force, qui sont toujours un mixte de conflit et de coopération. C'est la définition de l'ordre social: une structure d'interaction consolidée et stabilisée entre des acteurs individuels et collectifs, situés et socialisés dans certaines positions, lesquelles sont différenciées et hiérarchisées au sein de l'espace social considéré. L'ordre social est donc une interaction: le social est toujours un ordre négocié. Quant à l'ordre politique, c'est la forme particulière prise par ce même phénomène dans la sphère spécialisée du politique. Le conglomérat institutionnel que l'on nomme Etat est au centre de la maintenance de cet ordre politique et social. C'est l'Etat régalien qui arrête les délinquants, l'Etat social qui ouvre des centres d'acceuil pour les sanshabrits, c'est de la maintenance de l'ordre social. C'est aussi trancher dans les querelles institutionnelles, afin de définir légalement par exemple la profession de psychanaliste (l'Etat y met bon ordre). C'est ainsi qu'au début des années 80 la gauche a due se convertir à la culture du pouvoir. L'Etat n'est cependant pas un ordre immuable: l'ordre politique et social est soumis en permanence à des tensions, il change en permanence. On a l'impression que la volonté de tous les gouvernants est l'évolution de la société dans le maintient de l'ordre (« ordem y progresso », selon la devise brésilienne). Une des constances de démarche sociologique est de refuser les alternatives binaires. Norbert Elias affirme que l'ordre social n'est jamais immuable, mais a une forte transformabilité. Ce changement désigne trois types de phénomènes: des modifications lentes, l'accumulation de petites ruptures dans l'organisation, qui finit par introduire dans nos logiques ordinaires d'action de nouvelles façon de faire, de penser et de dire qui se sédimentent en routines, rationalisées et légitimées dans l'après-coup par la création de nouvelles visions dominantes de la sociétés, le tout entraînant des modifications lentes des interactions au sein de la société. Seconde définition possible, des moments de l'histoire où les règles et les institutions sont réformées: les rôles et les missions sont redéfinies, et se modifient les logiques ordinaires d'action. On a beaucoup d'exemples de ce changement. Il existe un troisième sens; le soudain bouleversement de l'ordre établi, que l'on appelle plus souvent des crises politiques, moment bref, seul type de changement qui met vraiment en danger l'ordre établi. Michel Dobry montre comment l'instabilité domine ces moments, avec une fusion de l'ordre établi: ils font souvent émerger des acteurs nouveaux qui dénoncent l'ordre établi et se substituent aux joueurs précedénts. Le plus souvent les autorités de l'Etat rétablissent l'ordre, en réactualisant leur monopole de la contrainte physique légitime; dans l'autre sens c'est la révolution, ou du moins de forts changement, ou le renouvellement du pouvoir, qui ne reste jamais dans la rue, et rétablissent très vite l'ordre, dont la Révolution française est le parfait paradigme. Tout change pour que rien ne change. Ce qui est maintenu, c'est la forme de domination économique et sociale. Les sociologues enseignent que l'ordre social est marqué par une inégalité des conditions, une assymétrie des positions objectives entre les dominants, qui s'y tiennent solidement, et qui veillent à ce que les dominés restent à leur place. Cet ordre a une forte capacité à demeuré et reste légitime: il change ce qu'il faut changé pour perdurer. Il prend même une forme différente pour survivre à la suite des révolutions, par le changement de profession, les alliances matrimoniales, ... Les institutions politiques sont au coeur des mécanismes qui assurent le renouvellement de cet ordre. Maurice Godelier souligne que dans les sociétés anciennes, les groupes dominants devaient constament faire la preuve de leur domination, ce qui leur coûtait cher, et les biens économiques étaient convertis en ressources symboliques d'autorité reconnue. La domination se dissimule comme telle, par des relations enchantées de solidarité et d'entraide, clientèlisme qui perdure. En revanche, la constitution des Etats a eu pour effet un dépérissement de cette domination par des biens symboliques. L'étatisation du politique a transformé les relations de domination, avec des rôles différenciés, une véritable magie d'Etat: l'Etat fait qu'on obéït plus à des individus mais à des lois de l'Etat. L'Etat transmue la domination de l'homme sur l'homme par un rapport entre l'institution et le citoyen. Ce qui est objectivement l'état des rapports de forces entre des groupes dans un temps donné, se trouve transmué comme expression de la volonté générale, prenant la force d'une règle de droit inscrite dans un registre de valeurs reconnues comme universelles. L'Etat est une machine à objectiver et sacralise les règles de domination objective de l'homme sur l'homme. Tout cela concerne des phénomène globaux qui sont concurrentiels, contradictoires, ce qui n'a rien à voir avec la théorie du complot des élites ou du grand capital. La compétition politique pour la conquête et l'exercice du pouvoir est un théâtre où se déroulent des luttes de pouvoirs et de légitimités, ou les gagnant cherchent à maintenir leur pouvoir, et les perdant tentent de modifier le jeu pour obtenir des places plus importantes. On essaye toujours de modifier le jeu en devenant insider. Bien des phénomènes contre-intuitifs s'insèrent: les stratégies sont toujours fondées sur des assomptions: les gens peuvent se tromper car les présuposition à la base de leur stratégie sont fausses. Les stratégies sont imparfaites et aléatoires. Il arrive que les stratégies qui tendaient à remettre en cause le système finissent par le renforcer (mai 68). Les stratégies de préservation de l'ordre établi sont soumises aux dynamiques de changement. Les dirigeants et les partis les plus contestaires sont tentés de reprendre des thèmes de leurs opposants (realpolitik de Bismark, welfare state des gouvernements de droite). Cela contribue à accentuer dans nos société l'idée de la nécessité de la réforme. La pratique de la réforme semble être devenu le seul mode possible de gouvernement. Il semble que la condition du maintient de l'ordre existant, ce soit de s'affirmer tous et en permanence réformateurs. Le discours de la réforme est partout et tout le temps. Le sociologue aura garde de ne pas avoir une approche cynique de tout cela: les acteurs ne sont pas toujours conscient de ce système; le paradigme de l'intérêt peut amener à des erreurs. Ce paradigme s'épuise dans son propre énoncé: une fois que l'intérêt est reconnu, on arrête de réfléchir et d'analyser. C'est une vision manichéenne, qui n'existe pas dans la réalité. D'autres groupes d'acteurs ont eux aussi des stratégies de préservation de l'ordre établi: c'est le cas de tous les dirigeants de groupes d'intérêt qui sont reconnus pas le pouvoir. L'exemple principal est la sécurité sociale, qu'on ne peut pas réformer sans éliminer FO, la CNAM étant la vache à lait du syndicat. C'est le cas aussi des juristes, des journalistes politiques: ce sont des professionnels de la politique, rappelant à l'ordre les règles du champ politique. Les journalistes ont un intérêt énorme à la préservation de l'ordre établi, de même pour les sondeurs. Le maintient de l'ordre établi est donc le fait d'une multiplicité de stratégies, avec des réformes permanentes, avec des populations dociles. CHAPITRE 3: Sociologie de l'Etat, sociologie de ses habitants Les institutions sociales sont vivantes par la vie que leur insuffle leurs habitants. Faire la sociologie de l'Etat, c'est faire la sociologie de ses habitants. Les habitants de l'Etat, ce sont les acteurs qui vivent à demeure dans la sphère des institutions étatiques, qui participent à la vie institutionnelles, qui vivent dans les institutions, les gouvernants et les agents publics. Les gouvernants, ce sont les gens qui participent ex officio au gouvernement de la société, aux activités de gouvernement de la société, aux activités de l'Etat, « les activités qui tendent à maintenir ou à modifier l'ordre social dans une société, en orientant et dirigeant méthodiquement de diverses façons les activités des membres de cette société » (Jacques Lagroye). La sociologie historique du politique montre que l'évolution des Etat contemporains est marquée par deux processus: une spécialisation des tâches de gouvernement, et une professionnalisation des acteurs. On a donc deux types d'activités bien distinctes: les élus et les fonctionnaires gouvernant. Les élus sont des professionnels de la politique, dont le légitimité se fonde sur la représentation démocratique, dont le but est de fixer les objectifs et les décisions; les fonctionnaires sont des professionnels de l'administration, le rôle idéal étant de préparer les décisions des gouvernants, et de les faires adhérer aux moyens. On a donc deux registres de rôles gouvernants, et cette distinction n'est pas coupure, contrairement à ce que dit le droit. Les habitants, ce sont eux, et aussi une masse de fonctionnaires, qui sont importants car ils font tenir les appareils debout, avec une marge de manoeuvre par rapport aux ordres des dirigeants. Ces intéressés, soit dans le back office ou dans le front office, constituent l'armature humaine, sans laquelle l'Etat ne tiendrait pas debout. Qu'est-ce donc que faire la sociologie de tels groupes sociaux? C'est étudier ce qu'ils sont et ce qu'ils deviennent socialement pour mieux expliquer ce qu'ils font. L'objectif de toute sociologie est de montrer ce qui se passe dans la société: pour ce faire, certains soutiennent que si arrive dans le social, c'est uniquement issu du jeu d'interaction entre les acteurs, idée d'un individu rationnel. La plupart des sociologues raisonnables s'accordrent à considérer que pour comprendre ce que font les acteurs, il est utile d'étudier les propriétés sociales des acteurs. L'intuition de base est simple, puisque nous ne sommes pas des fonctionnaires de nos rôles sociaux, chauque individu fait des usages sociaux différenciés d'un même rôle. Mais pourquoi ces usages sont-ils différenciés? N'est-il pas important de s'intéresser à l'endroit dans lequel nous sommes apparus dans le monde social, et dans l'endroit où nous voulons aller. Chaque individu se situe dans une certaine position au sein de l'espace social, structuré et hiérarchisé. A cette position s'attache des dispositions sociales, des tendances socialement acquise à penser et à agir d'une certaine manière. Les trajectoires sociales, ce sont les différentes positions sociales que nous assuront de notre naissance à notre mort. C'est une carrière, mais aussi une trajectoire de socialisation et de resocialisation permanente. Ce qui reste jusqu'à notre mort, c'est le fait d'être né dans un milieu particulier. Donc les positions et les trajectoires façonnent nos dispositions mentales et gouvernementales, concourent à structurer notre identité sociale. Nous tenons nos rôles avec tout ce que nous sommes. Il faut cependant se garder d'une sociologie déterministe. Les gouvernants élus et les agents de l'Etat, faire leur sociologie, c'est se pencher sur leurs origines sociales, s'attacher à retracer leur parcours scolaire de socialisation, accorder une attentiton particulière à la dynamique de sélection et de recrutement, les dynamiques de carrière des intéressés, leur intégration à certains cercles, certains réseaux sociaux d'inter-connaissances, c'est aussi s'attacher au processus de socialisation et de resocialisation continue par leur appartenance successive à des institutions différentes, dont il résulte des conséquences dans leurs façons de faire, d'agir. A Les gouvernants politiques élus 1 Les origines qui ne sont pas un miroir de la population. On constate que les origines sociales des dirigeants n'y change rien: toujours et partout les ces origines sociales ne sont jamais le calque de la population qu'ils gouvernent. On peut constater que dans tous les pays marqués par une multiplicité ethnique, il est frappant de voir les distorsions énormes de la représentation politique. La classe politique est largement composé de descendants blancs des colons en Amérique latine. Il s'agit d'une distinction. Contrairement à la logique spontanée de l'élection au suffrage universel direct, c'est un fait que les électeurs tendent à élire des personnes qui ont déjà des dispositions sociales supérieures, le suffrage universel est un mode de désignation assez aristocratique. L'élection est une opération de légitimation. Si on observe la composition de la classe politique en France, on constate ce phénomène et des évolutions sensibles. Au moment de la naissance du parlementarisme, on a une époque où la dissociation n'est pas accomplie entre élus et fonctionnaires, époques des « députés fonctionnaires », qui se cooptaient au sein de la bourgeoisie et des restes de l'aristocratie, formant les notables. En revanche, au moment de la IIIe République, s'opère cette dissociation entre les deux: la vieille aristocratie et la bourgeoisie continue à fournir les dirigeants, avec cependant une modification sociologique par l'arrivée de la petite et moyenne bourgeoisie. Cette situation se maintient aussi durant la IVe. La cinquième est pourtant marquée par une élévation sociale du personnel politique, des élus comme des fonctionnaires. 2 La profession d'origine des professionnels de la politique Ils ne sont pas le reflet des CSP de la population d'ensemble. Sous la IIIe République, alors que se constitue cette classe de professionnels de la politique, les professions des dirigeants sont avocats, médecins, pharmaciens, professeurs d'université et instituteurs. Ce sont des moyens bourgeois, qui ont des professions nobles, produits de la méritocratie, qui leur assure un bon train de vie mais pas la fortune, et qui n'est pas présent dans les affaires. Quand aux couches populaires de la société, les ouvriers ne dépassent pas les 8% (élus PC), et les paysans 10%. Cette répartition n'évolue pas avec la IVe République: il n'y a pas tellement de relations étroites entre les dirigeants politiques et les milieux d'affaires. Avec la Ve, on assiste à une sur-sélection sociale qui tend à s'accroître: la part des classes modestes passe de 27 à 14%, les catégories supérieures augmentant leur représentation. Si on isole les ministres, la distorsion est maximale, 70% sont issus des milieux d'affaire et de la haute-fonction publique. La proportion change avec la gauche au profit des enseignants, qui forment la majorité absolue à l'Assemblée. Il reste encore les hauts fonctionnaires, surtout très présents au gouvernement avec les professeurs de faculté. Ces sociologie est très présente au PS. On a donc une place centrale des haut-fonctionnaires, qui arrive au pouvoir sans conquérir des postes d'élus locaux, mais aussi poids des simples fonctionnaires, du fait d'un système qui permet d'être élu tout en étant encore en poste: on poursuit l'avancement d'échelon sans avancement de grade. Il est beaucoup plus difficile de faire cela pour un cadre du privé. C'est la différence avec le New Labour, composé de cadre du privé, qui sont beaucoup moins frileux face à l'économie de marché. Au parlement britannique, on se rend compte que les membres du secteurs privés sont de plus en plus présents au gouvernement. Au Labour, il existait un schéma qui faisait de simple ouvrier des cadres syndicaux, repérés par le Labour, et devenant ministres. Ce schéma n'est plus d'actualité. 3 La sélection des dirigeants et les filières de la carrière politiques Il y a certaines sociologies politiques qui n'empêchent pas la présence de certaines singularités nationales. Dans nos démocraties représentatives, les partis ont acquis la maîtrise de la sélection des dirigeants politiques. Il est rare d'être élu sans étiquette. Apartenir à une organisation partisane est le plus sûr moyen d'être éligible, et donc élu. Seules de grosses organisations peuvent avoir cette force de frappe. Tout concourent à cette main-mise des partis. Dès lors, comment les partis sélectionnent-ils leurs candidats? La réponse peut se faire en deux temps. La logique générale de sélection: sur-représentation d'individus des CSP les plus favorisées. Il peut aussi s'agir dans certains partis contestataires, on va favoriser des candidats issus de la couche la plus favoriser de la tranche de population que le parti entend défendre (au temps ouvrier, c'était les ouvriers typographes de la presse et de l'impression). Autre logique, les partis favorisent des individus issus de ce qui constitue le milieux social de son électorat. On assiste donc à une différenciation des élus: pour les partis de droite, on a des élus qui sont cadre supérieurs, professions libérales, commerçants, artisans, ... A gauche, on a les classes moyennes les plus cultivées, les cadres du secteur public, ... On a des deux côtés une minorité de hauts fonctionnaires qui tendent à occuper les postes les plus importants. Les partis ne sont donc pas des espaces unanimes, mais des espaces de concurrence entre équipes, qui cherchent à occuper les positions de pouvoir dans le parti, qui permettent de maîtriser les candidatures. On voit dans nos pays que deux types de candidats s'opposent: ceux issus d'une logique militante, et ceux issu d'une logique notabiliaire. Dans la logique militante,surtout à gauche, on a ceux qui sont rentrés dans le parti jeunes, salariés de la MNEF, puis sont investis dans des circonscriptions impossibles à prendre. A l'inverse on a droite une logique plus notabiliaire: ils entrent dans le parti beaucoup plus tard, ont leur vie, leur parcours, leur profil, leur notoriété, et entrent dans le parti avec leurs ressources propres. C'est le cas s'ils ont une profession qui les amène à avoir une clientèle considérable, des acteurs économiques honorablement connus. Le premier mandat généralement obtenu est celui de conseiller municipal, la variante étant conseiller général. Une fois acquise une certaine expérience, on peut s'attaquer à la circonscription, puis peut commencer une carrière de député, allant jusqu'à, pour les plus doués, un poste de ministre. Une fois ministre, on sort riche, avec un statut approprié pour être président du conseil général ou régional; on finit sénateur à partir de 70 ans. Emerge la figure du député-maire. En Allemagne, la carrière politique commence au niveau d'un Land avant de passer au niveau fédéral. Il est fréquent que des hommes politiques puissants consacrent pourtant leur carrière au Land. On retrouve ces deux dimensions en Espagne, en particulier entre Catalogne et Castille, les élus catalans ne prenant pas de poste à Madrid. A l'inverse en Angleterre, les hommes politiques qui interviennent à Londres n'ont souvent pas d'ancrage local: les MPs n'ont souvent aucun lien avec leur circonscription, ce sont pour la plupart des parachutés, ce qui n'est pas stigmatisé, ce qui ne les empêche pas de passer à une autre circonscription en fonction de sa position nationale. D'un pays à l'autre, les filières de la carrière politique ne sont pas les mêmes, et ont des conséquences dans la pratique du pouvoir: les parlementaires britanniques sont très présents en séance, alors qu'on a un fort absentéisme au palais Bourbon. Dans nos pays le statut de candidat crédible au gouvernement est conditionné par la direction d'un des grands partis nationaux. La carrière doit concilier un parcours réussi dans le cursus des élections, et en parallèle une carrière réussie au sein du parti. Chacune des dimensions correspond à une logique. Le statut de présidentiable dépend de cette attachement au parti: c'est le cas de Balladur, Barres et Rocard. La présidentielle complexifie le jeu: il faut avoir le parti avec soi pour pouvoir gagner. Il existe 4 exceptions françaises: le cumul des mandats. Les hommes politiques français ont le dont d'ubiquité, tradition française, avec la grande figure du député-maire, ou du ministre qui reste maire d'une grande ville et président du conseil général (figure de Jacques Chaban-Delmas ou de Dominique Baudis). Cette tendance est due à trois facteurs: assurer une maîtrise territoriale, se prémunir des défaites électorales, assurer une permanence de ses revenus. La loi a limité ce phénomène mais ne l'a pas arrêté, ne touchant pas les EPCI. Ce fonctionnement s'est maintenu après la IIIe République. On a ainsi un certain nombre de dynasties politiques (Baudis à Toulouse). S'ajoute aussi de simples filiations issues d'une socialisation (Martine Aubry et Jacques Delors): 60% des maires ruraux ont un parent élu local. Troisième trait original, ce que Daniel Gaxie appelle les filières d'accès au centre, le fait d'accéder à des fonctions gouvernementales sans être passé par des mandats électoraux, qui est réservé à de brillants haut-fonctionnaires. C'est De Gaulle qui a inauguré cette pratique, qui s'est raréfiée avec VGE, en dépit du choix de Barres: la légitimité de ces gouvernants est leur capital de compétence et la confiance du prince, ce qui prouve qu'on est dans une monarchie républicaine. François Mitterrand prend de jeunes énarques inscrits au PS dans des cabinets ministériels, dans son entourage, puis les pousse jusqu'à des fonctions ministérielles. C'est le profil de Fabius, Aubry, Royal, Guigou, Moscovici, et Chirac fait la même chose, notamment avec Baroin ou Villepin. De plus les hommes politiques ne racrochent jamais. Il y a donc une fécondité dans le fait de faire la sociologie des acteurs politiques dans la sociologie de l'Etat. B Eléments de sociologie comparée des fonctionnaires gouvernants Il faut s'intéresser aux carrirères de ces fonctionnaires, à leurs cercles de socialisation, à leur carrière. Les données quatitatives montrent des oringines sociales suivant les pays. En Irelande ou en Grèce, ce sont des fils de paysans pauvres qui sont les premiers à avoir été au lycée: il n'y a pas de bourgeois dans l'administration car ils sont mal payés. En Italie, il y a une dichotomie entre le Nord et le Sud: dès les années 20, les fils de la bourgeoisie du nord reprennent les affaires, et les fils du mesoggiorno passent par la méritocratie et deviennent fonctionnaires, ce qui n'est pas sans conséquences sur la vie politique italienne. En Autriche, Finlande, Suède, Belgique, c'est la middle class qui est dans l'administration, sans profil particulier. En revanche, en Allemagne, au Royaume-Uni et en France, les hautsfonctionnaires sont issus des couches sociales les plus favorisées: c'est en Allemagne qu'on a l'héréditée la plus forte (44%). Au Royaume-Uni, c'est plus le fait d'une élite globale. En France, c'est encore plus caricatural avec les grandes écoles de la République. En conséquence, les origines sociales ont sans doute à voir avec le prestige des postes au sein de l'Etat. Dans les autres pays, les fonctionnaires sont des gens normaux. Mais en France et au Royaume-Uni, il y a une élite qui monopolise les postes de hauts-fonctionnaires. Nos hauts-fonctionnaires ont une compétence très généraliste, alors que dans les autres pays, ils sont produits de carrières universitaires spécialisées. Cette compétence généraliste explique leur plébiscite par les hommes politiques, car ils ont une même vision transversale des dossiers, et les préparent jusqu'au bout, les faisant ensuite « bénir » par le ministre. Effets de l'organisation diversifiée des recrutements et des carrières. Il existe une distinction majeure entre les administrations qui ont un système de l'emploi, et celle qui ont un système de la carrière. Dans les premières, on a un recrutement ouvert, dans le privé, avec des annonces et une grande liberté des chefs de bureau; la notion de carrière n'a pas de sens au sens juridique, système concurrentiel, sans concours mais avec des entretients d'embauche. D'autres mettent en place le système de concours, très répandu en France. Mais dans tous les pays, ce qui est clair, c'est que toute procédure de recrutement est une procédure de cooptation dans laquelle on se prononce sur la personnalité, afin de savoir si la personne est fiable, procédure forcément donc mimétique. C'est ce qui nourrit inconsciemment la cooptation sociale. Il s'agit en quelques sortes d'un « spoil system » à la française, mais en moins dur. On a ainsi une garde montante, les postes dirigeants, et une garde descendante, les postes d'attentes. Les agents du service public représentent l'Etat au concret, appareil bureaucratique, avec un front office (guichet), et un back office (buerau). Leipsky parle de « bureaucrates au niveau de la rue »: ce n'est pas une masse inerte, et beaucoup mettent en avant l'importance de l'action au concret. Les gardes lois, les programmes d'action, ... ne deviennent réalité ou ne capotent que dans et par l'activité de ce « street level ». Il faut s'émanciper de l'image que ce ne sont qu'une masse d'exécutants, les études montrent une marge de manoeuvre considérable. Par exemple, en France, on ne fait pas la déclaration et le paiement de l'impôt au même endroit; une tentative de fusion a provoqué des grèves, l'un étant bastion CFDT, l'autre un bastion FO; ils ont fait tout capoter, travail considérable à la base. Il s'agit d'un « implementation gap », gouffre entre projet politique et concrétisation. On a aussi une véritable coupure sociologique entre les agents privés et publics en France, avec une intensité importante plus qu'ailleurs, avec des mondes sociaux différents. En même temps, dans les couches populaires, on désire que ses enfants deviennent fonctionnaires, d'où une forte hérédité des fonctionnaires en France et en Allemagne. Dans d'autres pays, on a plus de brassage. En Europe du Sud, le positionnement de la fonction publique est différent: il permet de faire échapper une famille de la pauvreté. On a une pratique clientèlaire: la culture politique n'est pas dépourvue de rationnalité, avec une pratique du double emploi quasi institutionnelle.On peut donner l'exemple d'un fonctionnaire européen travaillant à Maastricht, qui avait deux vestes: l'une qu'il laissait dans son bureau sur une chaise pour faire croire qu'il était dans les parages; la seconde sur le dos lui servait pour travailler l'après-midi dans un cabinet d'expertise. En France, les concours sont nationaux, et la masse de fonctionnaires B, C et D venaient du sud-ouest (car il n'y avait rien d'autre). Dans n'importe quel bureau de la fonction publique française, on avait un accent du sud à couper au couteau (antillais, premier poste, Lille). On a donc un déracinement structurel source de malêtre, dont l'origine est aussi une rigidité de la règle de l'ancienneté, et une absence totale de relations humaines à long-terme. Une féminisation de la fonction publique a commencé après la Première Guerre mondiale. On a aujourd'hui 80% de femmes dans l'enseignement primaire et parmi les travailleurs sociaux. Mais la hiérarchie reste toujours très masculine, phénomène observable dans la plupart des pays, sauf en Suède. Nous avons en France un sur-diplômage des fonctionnaires dû à mai 68, qui avait entraîné une universification de masse. D'où une classe d'âge éduquée et diplômée beaucoup plus importante que chez nos voisins. En raison de ce système de sur-diplômés, il résulte un dérapage collectif, avec des concours niveau maîtrise où les candidats sont passés par de grandes écoles, les B ont des DESS et les C des DEUG (pour des concours de niveau bac). Ainsi, 70% des recrutés ont un diplôme supérieur à leur niveau. Or cela ne peut pas marcher, il s'agit d'un moyen de créer de la récrimination, de l'insatisfaction. Il existe des concours internes qui doivent faciliter la promotion sociale, mais cela ne marche pas du fait d'un effet d'éviction à cause du sur-diplômage. L'activité de l'Etat prend corps dans les gens qui l'habite. La sociologie de l'Etat en action étudie donc l'action politique et sa production. Elle étudie l'Etat comme partie prenante du social, un ensemble en interaction, une configuration d'acteurs et d'interactions de gouvernants. C'est toujours co-gouverner. La sociologie de l'action contribue ainsi à un regard renouvellé. L'Etat n'est pas un être de papier. On a une évolution actuelle du phénomène étatique, va-t-on vers la mort de l'Etat?