la mésopotamie dans la construction de l`état irakien : réflexions sur

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J.-C. DAVID, S. MÜLLER CELKA, Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et
enjeux identitaires. 2ème atelier (27 novembre 2008) : Identités nationales et recherche archéologique : les aléas du
processus de patrimonialisation (Levant, pays du Golfe, Iran). Rencontres scientifiques en ligne de la Maison de
l’Orient et de la Méditerranée, Lyon, 2008. http://www.mom.fr/2eme-atelier.html.
LA MÉSOPOTAMIE DANS LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT IRAKIEN :
RÉFLEXIONS SUR QUELQUES CAUSES PATRIMONIALES
DE SADDAM HUSSEIN
Christine Kepinski*
RESUME
Vif défenseur d’un nationalisme arabe puisant ses racines dans un passé lointain et bien avant l’avènement de
l’islam, Saddam Hussein propose aux Irakiens une lecture épique de l’histoire. En valorisant le rôle joué par la
Mésopotamie, il participe à la construction d’un Irak éternel se libérant des identités confessionnelles meurtrières. Il
aime à paraître comme le successeur de Nabuchodonosor de Babylone et de Sargon d’Akkad, illustres personnages
dont la mémoire participe au culte de sa personnalité. Depuis les vastes programmes de fouilles de sauvetage faisant
appel à l’aide internationale jusqu’au festival annuel de Babylone, Saddam Hussein a beaucoup valorisé dans les
années 1980, cet héritage. De même, il situe sa lutte contre l’Iran chiite dans le sillage des rivalités contre
l’envahisseur perse qui mit un terme à la civilisation mésopotamienne. Exerçant à ses débuts une autorité
farouchement laïque, il se concilie par la suite quelques adversaires en finançant la restauration de mosquées ou de
monuments d’époque islamique. Il n’a pas pu éviter que l’ignorance, la misère et le fonctionnement tribal de certains
territoires aient largement favorisé le pillage des sites archéologiques du Sud mésopotamien, dès la période de
l’embargo économique total imposé à partir de 1990 et principalement après la chute de son régime en 2003.
*Archéologue DR CNRS, Maison René-Ginouvès, UMR 7041 ArScAn, 21, allée de l’Université, 92023 Nanterre Cedex, France.
christine.kepinski@mae.u-paris10.fr.
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Fig. 2 - Babylone, porte d’Ishtar,
Pergamon museum, Berlin (B.
André-Salvini 2008 catalogue
exposition Babylone, Paris Museé
du Louvre, p. 144).
PRÉAMBULE
L’Irak recouvre des territoires au passé illustre (fig. 1). Il est pour beaucoup d’Irakiens cultivés à la
fois une source de nostalgie voire de frustration mais aussi un formidable moteur d’évolution ; il n’est pas
rare actuellement de les voir pleurer d’émotion lorsqu’ils se trouvent face à la porte de Babylone
découverte par une mission archéologique allemande au début du XXe siècle et remontée dans le musée
Pergamon de Berlin (fig. 2). Symbole d’espoir pour les uns, négligé par les autres, l’héritage oriental de
notre civilisation est indéniable, pourtant ces dernières années, en Occident, la place consacrée à
l’enseignement de la Mésopotamie n’a fait que s’appauvrir.
« Il va de soi que les irakiens ne voient pas les choses comme
nous les voyons…Alors que nous autres, voyageurs de l’Occident,
nous tentons par l’archéologie de reconstituer, plutôt mal que bien,
l’existence de ces Mésopotamiens d’autrefois, les Irakiens plus
simplement se souviennent d’eux en parfaits et respectueux héritiers….
Ne jamais considérer l’Irakien comme un homme naïf, un homme prêt
à s’agenouiller devant les miracles de votre science. Il n’est pas encore
né celui qui épatera l’Irakien. Il revient de trop loin, du Déluge…. »
Pierre Rossi 1980. Irak, le pays du nouveau fleuve. Ed. Jeune Afrique.
Quand Ibn Djubayr (1145-1217) visita Bagdad, le califat était
sous domination des Turcs Seldjoukides mais les vestiges du passé
Fig. 1 - Carte Irak (avec Hélène David et Sylvie Eliès)
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Fig. 3 - Ur, restitution de la ziggurat.
glorieux abbasside y sont encore très présents. Il demeure impressionné par l’ampleur de la ville et de
son architecture mais dresse également un portrait de l’arrogance de ses habitants : « Peu nombreux sont
ses habitants dont l’humilité n’est pas hypocrite et qui ne sont pas vaniteux et infatués de leur personne….
Tous pensent, en leur âme et conscience, que tout l’univers est bien peu de chose par rapport à leur
ville ».
Javier Teixidor 2007. Hommage à Bagdad. Traducteurs et lettrés de l’époque abbasside. Paris :
CNRS Editions.
« Alors que le Malet-Isaac d’une classe de 6e consacrait, en 1938, douze pages à la Mésopotamie,
avec des citations du Code D’Hammurabi et des Annales des rois d’Assyrie, et des reproductions des bas-
reliefs du palais de Ninive, un manuel d’histoire récent n’y consacre qu’une rapide double page, où
figure, pour illustrer le terme « ziggurat », une photographie du minaret de la mosquée de Samarra….
Dont il serait illusoire de chercher une quelconque parenté fonctionnelle ou architecturale avec les
anciens monuments mésopotamiens ».
Francis Joannès 2001. Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne. Paris : Robert Laffont
« Bagdad ! Bagdad ravagée ! Bagdad déchirée ! Bagdad dévastée ! Qui se souvient que nous
devons à cette Cité reine de l’Orient la transmission de la Grèce à l’Occident ? …. L’introduction massive
à l’époque abbasside de textes de la littérature grecque traduits en syriaque et en arabe fut un phénomène
culturel qui encore aujourd’hui provoque l’étonnement des historiens des idées….La splendeur de la
Bagdad abbasside atteignit Cordoue…. En Orient, ce sont les chrétiens qui traduisirent la philosophie et la
science grecques en arabe, en Andalus, ce sont les Musulmans qui transmirent ce savoir à des lecteurs
déjà arabisés… cette évocation d’un passé glorieux et d’une aventure intellectuelle exceptionnelle n’est
pas sans rapport avec les pires menaces qui pèsent sur notre monde contemporain. A commencer par
l’oubli de la culture ». Javier Texidor. Hommage à Bagdad. Paris : CNRS Editions.
INTRODUCTION
Ni le christianisme, ni l’islam ne brisèrent la mémoire de deux périodes particulièrement
glorieuses, celle de la Mésopotamie puis celle du califat abbasside. Elles s’illustrent par des villes
célèbres, Ur (fig. 3), Uruk (fig. 4,5), Babylone, Assur (fig.
6), Ninive, Nimrud (fig. 7, 8), Mossoul, Samarra (fig. 9,
10), Bagdad…. auxquelles il faut ajouter bien sûr Hatra
(fig. 11), centre d’une principauté arabe indépendante
intégrée au royaume parthe, ville religieuse construite sur
une route caravanière. Hatra est un des rares sites d’Irak
taillé dans le calcaire et le marbre, ce qui lui valut d’être le
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Fig. 6 – Assur, ziggurat (photo mission archéologique du Sinjar 2002) Fig. 7, 8 – Nimrud (photo mission archéologique du Sinjar 2002)
Fig. 9 – Samarra, vue générale (photo mission archéologique
du Sinjar 2002)
Fig. 4 – Uruk, Steingebaüde (début IVe mill.) (photo
mission archéologique du Sinjar 2002) Fig. 5 – Uruk, temple de Gareus, période séleuco-
parthe (photo mission archéologique du Sinjar 2002)
Fig. 10 – Minaret de Samarra,
période abbasside (photo
mission archéologique du
Sinjar 2002)
Fig. 11 – Hatra (photo mission archéologique
du Sinjar 2002)
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premier site archéologique de ce pays classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’évocation de ce
passé illustre est incontestablement fédérateur et exaltant et Saddam Hussein va largement tenter d’asseoir
son autorité en valorisant ce patrimoine.
LE PATRIMOINE AU SERVICE DU CULTE DE LA PERSONNALITÉ
ET DE LA CONSTRUCTION D’UNE GRANDE PUISSANCE
La nation irakienne doit beaucoup au principe unificateur de cet héritage. Pourtant l’Irak est un
pays jeune dont les frontières ont été déterminées au lendemain de la première guerre mondiale, en 1921
(fig. 1). Alors qu’il est placé sous protectorat britannique, Gertrude Bell qui travaille pour les services
secrets, va y organiser le premier département des antiquités irakiennes. Les trouvailles sont réunies dès
1923 dans un musée logé dans le bâtiment du Sérail. Le nombre croissant des objets archéologiques
collectés nécessite la construction du musée archéologique de Bagdad qui sera inauguré le 9 novembre
1966. Il sera fermé à partir de la guerre du Golfe et pendant les premières années des sanctions
internationales imposées à l’Irak puis rouvert en 2000 jusqu’à l’intervention des Américains et de leurs
alliés en avril 2003.
Quand Saddam Hussein arrive au pouvoir en 1979, il trouve un service des Antiquités structuré
avec des cadres souvent formés en Europe ou aux Etats-Unis ainsi que des départements d’archéologie et
d’assyriologie représentés essentiellement dans les universités de Bagdad et Mossoul.
Saddam Hussein a un sens aigu de l’Histoire et il va d’emblée privilégier la mémoire de la
Mésopotamie, mais il veut aussi moderniser son pays et surtout en faire une grande puissance. Ce faisant
il adopte de nombreuses valeurs occidentales tout en construisant une culture irakienne. Il tente
d’éradiquer l’analphabétisme, donne en 1980 le droit de vote aux femmes mais aussi inaugure un musée
d’art moderne et un musée de la mode où seront recréés des habits des époques sumériennes,
akkadiennes, assyriennes, hatréennes et abbassides.
Il lance de nombreux programmes de rénovation dont la construction de barrages destinés à
constituer de grandes réserves d’eau pour l’irrigation. Elle va être l’occasion de développer de
nombreuses fouilles de sauvetage assorties d’un appel à l’aide international. Les étrangers y répondent
massivement et le nombre des missions archéologiques va très vite décupler. Elles vont permettre de
découvrir tout d’abord une portion de la vallée de la Diyala, puis celle du moyen Euphrate, en amont de
Haditha, et enfin du haut Tigre, au nord de Mossoul (fig. 1). Le premier programme est sans doute celui
qui aura sollicité la participation du plus grand nombre d’équipes. Il faut souligner que l’Irak offre alors
un soutien logistique conséquent pouvant représenter parfois 80% du budget des missions.
Dans le même temps, Saddam Hussein développe le réseau des musées locaux qui vont s’enrichir
de toutes les nouvelles découvertes. Il en inaugure plusieurs nouveaux, à Ramadi par exemple, et dans
d’autres cas, rénove et fait construire des bâtiments ; le musée de Mossoul avec sa muséographie très
moderne en est le plus beau témoin.
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