LES CONES CONVEXES FAIBLEMENT
COMPLETS DANS L'ANALYSE
Par GUSTAVE CHOQUET
Les sous-ensembles convexes des espaces vectoriels topologiques localement
convexes séparés (en abrégé
e.l.c.)
jouent un rôle de plus en plus important
dans l'Analyse; je n'ai pas l'intention d'en étudier ici tous les aspects; je
me bornerai à l'étude des cônes convexes localement compacts (ou, ce qui
revient au même, des ensembles convexes compacts), et à l'étude des cônes
convexes faiblement complets, qui constituent une généralisation fort utile
des premiers.
Je m'attacherai plus particulièrement à l'étude des frontières de ces
cônes et à la représentation de leurs points comme résultante de mesures
portées par ces frontières. J'indiquerai également les relations entre cette
théorie et celle des frontières associées à un espace vectoriel ou à une
algèbre de fonctions continues sur un espace compact ou localement
com-
pact.
I. Ensembles convexes compacts
Désignons par X un sous-ensemble convexe compact d'un e.l.c. E, et par
£ l'ensemble des points extrémaux de X. Le théorème de Krein et
Milman
nous montre que tout point de X est limite de barycentres de mesures
positives discrètes portées par £. Lorsque X est métrisable, j'ai montré [9]
que tout point de X est exactement le barycentre d'une mesure de Radon
positive portée par £, et j'ai caractérisé les cas où cette mesure est unique.
Ces résultats ont reçu ces dernières années des améliorations successives :
E. Bishop et K. de Leeuw [6] ont abordé le théorème d'existence dans
le cas
non-métrisable
et montré l'intérêt d'introduire un ordre sur l'ensemble
des mesures positives sur X.
H. Bauer [2 et 3] a étudié la frontière associée à une famille de fonctions et
introduit l'idée de caractériser les cas d'unicité par des propriétés fonction-
nelles.
M. Hervé [19], puis F. F. Bonsall [8] ont donné des démonstrations
d'existence très simples dans le cas métrisable.
G. Mokobodzki [25] a caractérisé les mesures maximales dans le cas
général.
P.
A. Meyer [22] et G. Choquet [12] ont donné de nouvelles caractérisa-
tions du cas d'unicité, et un exposé d'ensemble de ces questions [16] d'où est
tirée la partie I du présent travail.
On va voir que, grâce au théorème de
Hahn-Banach
et à la notion de
mesure maximale, le théorème d'existence a maintenant une démonstration
fort simple; on remarquera aussi que la notion de point
extremal
fait son
apparition très tard dans la théorie; cette remarque ne prendra d'ailleurs
toute sa valeur que dans l'étude des cônes faiblement complets, lorsque
nous aurons rencontré des exemples de tels cônes dépourvus de génératrices
extrémales.
318 G.
CHOQFET
LI.
Définitions
et notations
8 désigne le sous-cône convexe de C(X) constitué par les fonctions con-
vexes;
il est total dans C(X).
A=8Ç](—8)
est l'ensemble des fonctions affines continues sur X.
7M+
(resp. TM1) est le cône convexe des mesures de Radon
>0
sur X
(resp.
>0
et de norme 1),
muni
de la topologie faible.
Pour toute
fiETfl+
on désigne par
r(fi)
sa résultante
$xdfi(x).
Pour toute
fEC(X),
on désigne par / la fonction concave s. c. s. sur X
définie par.
f=inî.g
(oxigE-S,g>f).
L'application
/-»/
est évidemment croissante et sous-linéaire
(f+g<f+g
et
Xf
=Xf
si
X
>0);
et pour toute
fE
S, on a
/
==/.
On montre que, pour tout
xEX, on a:
f(x)
=
sup.
fi(f)
(où
fi
E
Tfl1
et
r(fi)
=
x).
On a la même relation pour les
fi
discrètes.
Pour toute
fiE7fl+,
on note fi la fonction définie sur C(X) par fi(f)
=p(f);
elle est croissante et sous-linéaire.
On appelle
ensemble bordant
X toute partie de X de la forme {x : f(x)
=f(x)},
ohfES.
Chacun de ces ensembles est un
GQ
dont le complémentaire (dans X)
est convexe. Ces ensembles vont jouer un rôle important. Leur intersection
est l'ensemble £ des points extrémaux de X.
1.2.
Mesures maximales et théorème
d'existence
Nous définissons dans
7M+
un ordre,
noté-<,
en posant:
(fi<v)
si l'on a
fi(f)
<*>(/)
pour toute
fES.
Une mesure maximale pour cet ordre sera simplement dite maximale.
La relation
fi<v
entraîne
fi(f)=v(f)
pour toute
fEA=8(](—
8);
donc
fi
et v ont même résultante et même norme.
Par exemple, pour toute
fiElfl1,
de résultante x, on a
sx</i;
cet exemple
suffit à suggérer que
fi<v
signifie, en gros, que v est plus dispersée, plus
proche du bord de X, que
fi;
d'où l'intérêt des mesures maximales, qu'on
espère portées par £, ou du moins par chacun des ensembles bordant X.
THéOBèME
1. Toute
fiE7H+
est majorée, au sens de Vordre <, par une
mesure maximale.
En vertu du théorème de Zorn, c'est une conséquence du fait, facile à
établir, que
Ttl+
est inductif pour l'ordre <.
LEMME 2. Soit
/i
G7M+,
et soit
v une
forme
linéaire sur
C(x)\
(v^fi
sur
C(X))o(vE7n+
et
fi<v).
La vérification est immédiate.
THéOBèME
3. Soit
fiETfl+;
les
énoncés
suivants sont équivalents.
1.
fi
est maximale
2.
fi est linéaire sur C(X)
3.
fi=fisurC(X)
4.
fi
=fi
sur S
LES CÔNES CONVEXES FAIBLEMENT COMPLETS 319
Démonstration. On va montrer que
lo2,
et que 2
=>3 =>4
=>2.
La clef de la démonstration est la partie ci-dessous du théorème de Hahn-
Banach :
Si p désigne une fonction numérique sous-linéaire sur un espace vectoriel
V, dire qu'il existe une seule forme linéaire
l
sur V telle que
l <p
équivaut à
dire que p est linéaire (et alors évidemment l=p).
lo2.
D'après le lemme 2, on a :
(fi maximale) o (il
existe une seule forme linéaire v sur C(x) telle que
v<fi).
D'après l'énoncé de Hahn-Banach, ceci équivaut aussi à dire que fi est
linéaire.
2
=>
3
=>
4.
Si
fi
est linéaire, comme
fi
est aussi linéaire et que
fi
<fi,
on a
fi
= fi.
4
=>
2.
On a
toujours/,«
=fi sur
(
S);
donc si
/i
=fi sur 8, fi est linéaire sur
chaque droite de 8
U (
S);
comme de plus elle est sous-linéaire sur (S
S),
elle est linéaire sur (S
—S),
donc aussi sur C(X).
COBOLLAIBE 4. Les énoncés suivants sont équivalents:
(fi maximale) o(/i
portée par chacun des ensembles bordant X).
COBOLLAIBE 5. Tout xEX est résultante d'une
fiElfl1
portée
par chacun des
ensembles bordant X.
COBOLLAIBE
6.
L'ensemble
M des mesures maximales est un sous-cône
convexe
de
7tl+,
stable
par intégration,
et héréditaire
à
gauche.
Ce cône convexe
M
est réticulé pour son ordre propre.
Ce sont des conséquences immédiates du théorème 3.
1.3.
Mesures maximales et points extrémaux
Les démonstrations et résultats qui précèdent ne
font
pas intervenir
l'ensemble £ des points extrémaux. Nous nous proposons maintenant
d'étudier jusqu'à quel point on peut dire que les mesures maximales sont
portées par £.
La situation n'est tout à fait simple que lorsque X est métrisable :
LEMME 7. Lorsque X est métrisable, £ est le plus petit
ensemble
bordant X.
Cela résulte de ce qu'alors il existe une
fE
S qui est strictement convexe, ce
qui entraîne que
£=
l'ensemble
bordant {x:f(x)=f(x)}.
PBOPOSITION 8.
Lorsque
X
est
métrisable,
£
est
un
Gs;
les mesures
maximales
sont
celles
portées par £, et tout
x
EX est résultante d'une
jiETH1
portée par £.
Les résultats du paragraphe précédent permettent aussi d'énoncer im-
médiatement la proposition suivante :
PBOPOSITION 9. Supposons à nouveau X
quelconque,
et soit
fiE7H+;
alors,
(fi
portée par tout ouvert de X contenant £)
=> (fi
maximale).
La réciproque de cette proposition est en général inexacte. On a toutefois
l'énoncé suivant :
24-622036 Proceedings
320 G.
CHOQUET
PBOPOSITION 10.
(fi
maximale)
=> (fi
portée par tout
ensemble
K-souslinien
contenant
£).
Dans cet énoncé on appelle
jK^-souslinienne
toute partie de X obtenue à
partir des fermés de X par
l'opération-A
(par exemple les ensembles K-
boréliens, tels que les
Ka,
Kaô,
KOôO,
etc.)
Notons ici qu'en particulier toute mesure maximale est portée par tout
ouvert de Baire contenant £ ; mais la réciproque est fausse : Plus précisé-
ment, il peut arriver qu'une
fi E
Tfl+
soit portée par tout
ensemble iT-souslinien
contenant £, sans pour cela être maximale. D'où la valeur du critère de
maximalité fourni par le corollaire 4.
1.4.
Théorème
d9unicité
Il est commode, dans ce qui suit, de considérer X comme la base d'un
cône convexe
G,
c'est-à-dire
que X est l'intersection de
G
avec un hyperplan
affine fermé ne contenant pas
O
et rencontrant toutes les génératrices de
G;
ceci est réalisable quel que soit X : Il suffit d'identifier E à l'hyperplan
affine E x {1} de E x R et de prendre pour C le cône engendré par X.
Il est immédiat que tous ces cônes G sont linéairement isomorphes; en
particulier
si l'un d'eux est réticulé pour son ordre propre, tous le sont; on
dit dans ce dernier cas que X est un simplexe (parce que lorsque X est de
dimension finie, cette condition entraîne l'isomorphie de X avec les sim-
plexes de la géométrie élémentaire : triangles, tétraèdres, etc.).
THéOBèME
11
(d'unicité). Pour tout convexe
compact
X, les propriétés
suivantes sont équivalentes :
1.
X est un simplexe
2.
Pour toute
fE8,
l'application
x->f(x)
est affine dans X.
3.
Pour
toute fi
maximale
E
Tfl1
et pour
toute f E
S,
on
a f(x)
=fi(f),
oùx=r(fi).
4.
L'application
/->/
est linéaire sur 8.
5.
Tout
x
EX est résultante d'une mesure maximale unique de Tfl1,
notée
fix.
La démonstration se fait dans l'ordre naturel
:l=>2=>3=>4=>5=>l;ony
utilise le fait que, pour toute fonction / affine s. c. s. sur X et toute
fiETfl1,
on a
fi(f)
=f(x), où x est la résultante de
/i.
Notons que l'application
x->/ix
de X dans Tfl1 est de
lère
classe, donc
universellement mesurable.
C'est évidemment l'équivalence des énoncés 1 et 5 qui est la plus utilisée
dans les applications; plus précisément on utilise souvent l'énoncé suivant :
COBOLLAIBE 12. Si X est base d'un cône convexe réticulé C, et si £ est un
ensemble K-souslinien (par exemple si X est métrisable), tout
x EG
est résul-
tante d'une
fi
unique de
Tfl+
portée
par £.
Il est parfois très facile de montrer qu'un cône G est réticulé; voici quelques
exemples de tels cas :
Le cône des fonctions harmoniques
>0
sur un espace de Green.
Le cône des mesures positives sur un espace compact, qui sont invariantes
par une famille de diffusions continues et conservatives.
Le cône des mesures
fi>0
sur un groupe abélien localement compact,
satisfaisant à une relation
oc^fi
<fi,
ou a est une mesure
> 0
donnée.
LES CÔNES CONVEXES FAIBLEMENT COMPLETS 321
Le fait qu'un cône
G
est réticulé est parfois plus caché; on peut alors tenter
d'utiliser les critères 2, 3, 4, ou les critères 6, 7, 8 qui suivent :
6.
L'ensemble
des
dilatés
positifs
(kX+a)deX
(où
kEB+
etaEE) contenant
O
est stable par intersection finie.
L'équivalence de 1 et 6 est de nature purement algébrique.
7.
Le cône convexe des fonctions numériques affines s. c. s. sur X, ordonné
par
(ft<f2
si fi(x)<f2(x)
pour tout
xEX)
est semi-réticulé supérieurement.
Le critère suivant est directement équivalent au critère 2; on y désigne
par L(£) l'ensemble de traces sur £ des fonctions affines continues sur E.
8. Pour toute famille finie
(ft)
d'éléments de L(£), l'ensemble des fEL(£) qui
sont
>sup (fi)
est filtrante décroissante et a pour limite inférieure sup
(ft).
On utilise souvent ce critère sous la
forme
affaiblie suivante :
Soit H un ensemble quelconque, K un espace topologique compact, et
soit / une application de H x
JT
dans
R,
telle que pour tout xEH
l'applica-
tion
fx:y~*f(x>y)
soit continue dans K, et telle que l'ensemble des
fx
sépare
K.
Soit
X
l'ensemble, muni de la topologie de la convergence simple, des
fonctions numériques g
sur
H de la forme
:
g(x) = J
f(x,y)dfi(y),
oùfiE
Tfl^K).
Alors X est convexe compact; désignons par
K'
le sous-ensemble de X
homéomorphe à K, constitué par les fonctions g de la forme g(x)=f(x,a).
On a alors l'équivalence très commode :
(X est un simplexe et
K'=£(X))o
(l'ensemble
des
fx
est total dans
C(K))
IL
Les cônes convexes faiblement complets
IL
1. Malgré leur grand intérêt, les cônes convexes saillants localement
compacts (dont l'étude se ramène à celle de leurs bases affines, qui sont des
convexes compacts) ne constituent qu'une petite partie d'une classe plus
vaste, celle des cônes convexes faiblement complets; et les exemples qui
suivent montrent que la plupart des cônes faiblement complets que l'on
rencontre en analyse ne sont pas localement compacts.
Exemples. 1. Le cône des fonctions convexes positives sur un ouvert-
convexe de
Rn.
2.
Le cône des fonctions
>0
ainsi que toutes leurs dérivées sur un
intervalle ouvert de E.
3.
Le cône des mesures de Radon
>0
sur un espace localement compact,
et ses sous-cônes convexes fermés : Par exemple le cône des mesures
fi>0
satisfaisant à la relation
a*/e</j
sur un groupe localement compact
(a est une mesure >0 donnée).
4.
Le cône des capacités alternées d'ordre infini sur l'ensemble
OC
(X) des
compacts d'un espace localement compact X.
5.
Le cône des fonctions à valeurs complexes, de type positif sur le
carré
E2
d'un ensemble quelconque E.
6. Plus généralement, soit A une partie d'un espace vectoriel E, qui
engendre E. Le cône des formes linéaires sur V qui sont positives sur A est
saillant et faiblement complet dans le dual de V.
Nous n'avons pas précisé dans ces exemples la topologie à mettre sur les
cônes étudiés; elle est en général évidente.
L'intérêt
de la classe des cônes convexes faiblement complets tient à
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