CINQUIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête no 51987/07 présentée par Arlette ATALLAH et autres contre la France La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 30 août 2011 en une chambre composée de : Dean Spielmann, président, Jean-Paul Costa, Boštjan M. Zupančič, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre, Ann Power, Angelika Nußberger, juges, et de Claudia Westerdiek, greffière de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 9 novembre 2007, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur, celles présentées en réponse par les requérants et celles présentées par la tierce partie, l’Organisation des Nations Unies, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT Les requérants, Mmes Arlette et Lynn Atallah ainsi que M. Géo Atallah, sont des ressortissants français, nés respectivement en 1938, 1970 et 1967 et résidant à Paris et à Lugano pour ce qui est de la deuxième requérante. Ils sont représentés devant la Cour par Me B. Favreau, avocat à Bordeaux. Le 2 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères A. Les circonstances de l’espèce Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. 1. Le contexte de l’affaire Au début des années 1970, la tension le long de la frontière israélolibanaise s’est accentuée, en particulier après le repositionnement d’éléments armés palestiniens de Jordanie au Liban. Les opérationscommando palestiniennes contre Israël et les représailles israéliennes contre des bases palestiniennes au Liban se sont intensifiées. Le 11 mars 1978, une attaque-commando en Israël fit de nombreux morts et blessés parmi la population israélienne. L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) revendiqua cet attentat. En riposte, les forces israéliennes envahirent le Liban dans la nuit du 14 au 15 mars et, en l’espace de quelques jours, occupèrent entièrement la partie sud du pays à l’exception de la ville de Tyr et de ses environs. Le 15 mars 1978, le Gouvernement libanais adressa une protestation au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) contre l’invasion israélienne affirmant qu’il n’avait aucun lien avec l’opération commando palestinienne. Le 19 mars, le Conseil de sécurité adopta les résolutions, 425 (1978) et 426 (1978), dans lesquelles il demandait à Israël de cesser immédiatement son action militaire et de retirer ses forces de tout le territoire libanais. Le Conseil a également décidé la constitution immédiate de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Les premières troupes de la FINUL sont arrivées dans la région le 23 mars 1978. Continuant à siéger pendant les mois de juin, juillet et août 1982, le Conseil exigea qu’Israël lève son blocus de Beyrouth de façon à pouvoir ravitailler les civils en ville. Il autorisa le déploiement d’observateurs militaires de l’ONU, connus sous le nom de « Groupe d’observateurs de Beyrouth » pour contrôler la situation à Beyrouth et aux alentours. En août, pendant le siège de l’ouest de Beyrouth par les forces israéliennes, les États-Unis, la France et l’Italie, sur la demande du Gouvernement libanais, envoyèrent dans cette ville une force multinationale de sécurité (FMS) pour faciliter le départ du personnel armé palestinien en bon ordre et dans des conditions de sécurité. L’évacuation des forces palestiniennes de la région de Beyrouth s’acheva le 1er septembre 1982, et la force multinationale fut retirée au cours des deux semaines suivantes. Toutefois, suite aux massacres de Sabra et Chatila le 17 septembre 1982, une nouvelle force multinationale de sécurité fut mise en place à Beyrouth DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 3 de septembre 1982 à fin mars 1984. Elle comprenait notamment des détachements de l’armée française. Le mandat de la FINUL a été prolongé depuis lors sans interruption. 2. Les données de l’affaire M. Pierre Atallah, le mari et père des requérants, de nationalité libanaise, était avocat à Beyrouth. Le 24 avril 1983, des soldats français détachés au profit de la FMS reçurent l’ordre de mettre en place un poste de contrôle dans une rue de Beyrouth, en face du poste de commandement de la compagnie d’éclairage et d’appui. Un barrage routier fut installé. Vers 18 h 15, un lieutenant reçut par radio l’ordre d’arrêter un véhicule de marque mini Austin bleue. Il était précisé : « arrêter avec précaution, personnel armé.» Le même jour, M. Atallah se rendait au volant de son véhicule Austin mini de couleur orange de son bureau vers son domicile. Les requérants précisent qu’il n’était porteur d’aucune arme ou objet dangereux et qu’il n’était impliqué d’aucune manière dans le conflit. Vers 19 h 45, à la nuit tombante, il arriva aux abords du barrage, rue de Damas, à proximité du carrefour du musée national et, selon l’enquête de la brigade prévôtale de Beyrouth, ne ralentit pas et n’obtempéra pas aux gestes d’arrêt du militaire placé au milieu de la chaussée. Lorsque la voiture arriva à environ 4 à 5 mètres de lui, le soldat S. ouvrit le feu. M. Atallah décéda des suites de ses blessures. L’enquête fut menée par la brigade prévôtale de Beyrouth de la gendarmerie française. Le commandant de la brigade se transporta sur les lieux peu après les faits. Des plans et des photographies furent faits, ainsi qu’une description précise des différents éléments sur place. Le soir même, cinq militaires, dont le soldat qui avait tiré, et qui étaient tous présents sur les lieux furent entendus. Dans son procès-verbal de synthèse rédigé le 25 avril 1983, le commandant de la brigade prévôtale de Beyrouth conclut que le véhicule intercepté était dépourvu de plaque minéralogique avant, que son conducteur n’avait ni ralenti ni obtempéré aux gestes d’arrêt du militaire français placé au milieu de la chaussée et que ce militaire avait accompli sa mission en appliquant strictement les consignes reçues de ses supérieurs. La police militaire libanaise fit également des investigations techniques et matérielles. L’autopsie fut effectuée par un médecin libanais qui conclut son rapport comme suit : (traduction) « Ces blessures résultent d’une rafale de plusieurs cartouches de deux armes à feu différentes, ce qui souligne que : 1. Les grands trous résultent des fracas de l’explosion des balles ou des projectiles de grand calibre qui ont été tirés de droite vers la gauche et inversement. 4 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 2. Il y a des blessures susmentionnées ayant entre 5 et 8 mm de long dont le nombre n’est pas moindre que cinq et qui sont causées par les coups d’une arme à feu, tirés de l’avant vers l’arrière probablement. 3. Les projectiles ont été tirés d’une distance excédant 50 cm, vu qu’il n’existe pas de trace évidente autour des blessures. 4. Les petites blessures sont dues à de petits éclats. 5. Le décès a été causé par une forte hémorragie fatale. » Le soir même, entendue par la police militaire libanaise, la première requérante déclara se constituer partie civile à l’encontre de l’auteur des coups de feu. A une date non précisée en 1983, compte tenu de la situation des requérants, le ministère de la Défense décida de leur attribuer exceptionnellement une allocation de 120 000 FF et de participer au coût des études des trois enfants au moyen d’allocations annuelles de 40 0000 FF, ce qui fut fait de 1984 à 1990. Une nouvelle allocation de 22 000 FF leur fut versée à titre exceptionnel en 1991. Les requérants obtinrent également la nationalité française. Le 21 juin 1995, le bureau des dommages de l’armée de terre française répondit à une demande d’indemnisation de la première requérante. Il indiqua que, d’après les renseignements obtenus auprès du ministère des Affaires étrangères et « s’agissant d’un contingent français de la FINUL », la responsabilité juridique de l’État français n’était pas engagée, « seule la responsabilité de l’État libanais aurait pu être mise en cause à cette époque. ». Par courrier du 16 avril 1998, l’avocat des requérants adressa une demande d’indemnisation au Secrétaire général de l’ONU. Il indiquait que le mari et père des requérants était décédé suite à des blessures mortelles qui lui avaient infligées par un soldat de nationalité française, détaché par l’État français auprès de la FINUL. Il ajoutait que « cet acte illégal d’un soldat dépendant des Nations Unies [était] la cause de la disparition de Monsieur Pierre Georges Atallah et, par voie de conséquence, du préjudice énorme subi par sa veuve, sa fille et son fils. » Il demandait en conséquence réparation de ce préjudice aux Nations-Unies. Plus loin, il mentionnait que la compagnie à laquelle appartenait ce soldat était détachée au profit de la FMS de Beyrouth depuis le 2 décembre 1982. Aucun document figurant au dossier ne permet de déterminer si cette demande a reçu une réponse et l’Organisation des Nations Unies indique qu’elle n’a pas trace d’une réponse apportée à ce courrier. Les 15 et 16 mars 2001, les requérants firent citer devant le tribunal de grande instance de Paris le ministre de la Défense, le soldat S. et un autre soldat présent sur les lieux à l’époque des faits. Ils mentionnaient que le soldat S., qui avait tiré, était « détaché au profit de la FMS de Beyrouth depuis le mois de janvier 1983 ». Ils ajoutaient plus loin que la FMS était DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 5 « en détachement auprès de la FINUL. » Ils demandaient qu’il soit jugé que la mort de leur mari et père était un meurtre qui n’était justifié ni par le commandement de l’autorité légitime, ni par la légitime défense et que ce meurtre constituait une voie de fait. Ils contestaient les résultats de l’enquête menée par la gendarmerie française, notamment au vu du rapport médicolégal établi par un médecin libanais après l’autopsie. Ils concluaient que les constatations du médecin-légiste montraient que plusieurs armes avaient été utilisées et estimaient notamment que le rapport de l’armée française n’expliquait en aucune manière l’existence d’impacts de tailles différentes correspondant à des tirs de différents diamètres et de provenances distinctes. Ils demandaient également que le ministre de la Défense ès-qualité et les deux soldats soient condamnés solidairement à les indemniser. Le tribunal se prononça par jugement du 31 juillet 2003. Il considéra que, compte tenu, d’une part, du contexte particulièrement dangereux au moment des faits et, d’autre part, du comportement du conducteur de l’Austin, le militaire français avait légitimement fait usage de son arme pour préserver sa vie. En tout état de cause, il avait agi dans le cadre de l’exécution d’un service commandé, ce qui ne saurait être constitutif d’une voie de fait. Le tribunal conclut qu’il n’appartenait pas aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître de l’action des requérants et se déclara incompétent, renvoyant les requérants à mieux se pourvoir. Les requérants firent appel de cette décision en reprenant les arguments développés devant le tribunal de première instance. La cour d’appel de Paris statua par arrêt du 16 décembre 2005. Elle estima que, à supposer même une mauvaise exécution de l’ordre reçu, en raison d’une appréciation inexacte du comportement du conducteur du véhicule, et de l’assimilation erronée de ce véhicule à celui recherché, ces circonstances auraient été à l’évidence encore susceptibles d’être rattachées aux pouvoirs appartenant à l’administration et donc exclusives de la voie de fait. En effet, l’ordre d’interception donné incluait, au vu des conditions générales d’intervention de la FINUL, la possibilité de tirer en cas de mise en danger de la vie des soldats chargés de son exécution. La cour d’appel considéra que cette condition était réalisée dès lors que, selon l’enquête, le soldat S. risquait d’être renversé par le véhicule en cause, qui était démuni de sa plaque d’immatriculation avant, qui n’avait pas obéi aux signes clairs d’avoir à ralentir et s’arrêter et qui continuait à venir vers lui à la même vitesse. La cour d’appel confirma donc le jugement de première instance. Les requérants se pourvurent en cassation contre cette décision. Ils soutenaient que les pouvoirs se rattachant à l’administration dans le cadre d’une opération spéciale visant à intercepter un véhicule avec un signalement précis ne lui permettaient pas d’interpeller et d’ouvrir le feu sur un véhicule ne correspondant visiblement pas à ce signalement ; que les militaires français avaient reçu l’ordre d’intercepter avec précaution un véhicule de couleur bleue transportant des personnes armées ; que cet ordre 6 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE ne leur permettait pas d’ouvrir le feu sur un véhicule de couleur distinctement différente ne comptant qu’un seul occupant n’ayant pas tiré sur eux ; qu’en retenant néanmoins qu’une telle action se rattachait aux pouvoirs dévolus à l’administration et n’était pas constitutive d’une voie de fait administrative, la cour d’appel avait violé la loi. Ils arguaient encore de ce que l’usage de la force par les militaires agissant dans le cadre de la force intérimaire des Nations-Unies au Liban supposait une réponse absolument nécessaire et proportionnée à une menace actuelle ou imminente ; qu’à défaut d’avoir recherché, comme elle y était tenue et invitée, si le fait pour plusieurs soldats de tirer plusieurs rafales sur le conducteur du véhicule était absolument nécessaire pour éviter à l’un d’eux d’être renversé, la cour d’appel qui n’avait pas caractérisé une situation de légitime défense autorisant l’usage de la force et excluant ainsi la voie de fait, avait privé sa décision de toute base légale au regard des articles 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 221-4 du code pénal et de la résolution 426 /1978 de l’ONU. Dans son arrêt du 10 mai 2007, la Cour de cassation estima que la cour d’appel avait conclu à bon droit que le soldat S. avait agi dans le cadre de l’exécution de l’ordre reçu et que les circonstances de cette intervention, à supposer même une mauvaise exécution de cet ordre, seraient à l’évidence encore susceptibles de se rattacher aux pouvoirs de l’administration et donc exclusives d’une voie de fait. Elle rejeta le pourvoi en estimant que le moyen n’était pas fondé. B. Les textes internationaux L’essentiel des textes concernant l’Organisation des Nations Unies et le droit des traités (Convention de Vienne) est cité dans les affaires Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France (déc. G.C.), no 71412/01 et 78166/01, 2 mai 2007. La résolution 521 a été adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 1982 : « Le Conseil de sécurité, Frappé d’horreur par le massacre de civils palestiniens à Beyrouth, Ayant entendu le rapport du Secrétaire général à sa 2396e séance Notant que le Gouvernement libanais a accepté que des observateurs des Nations Unies soient envoyés aux endroits où les souffrances et les pertes en vies humaines sont les plus grandes à Beyrouth et aux alentours, (...) 5. Prie le secrétaire général d’engager d’urgence des consultations appropriées, en particulier avec le Gouvernement libanais, sur les mesures supplémentaires que le Conseil de sécurité pourrait prendre, y compris le déploiement éventuel de forces des Nations Unies, pour aider ce gouvernement à assurer l’entière protection des populations civiles à Beyrouth et aux alentours et le prie de faire rapport au Conseil dans les quarante-huit heures ; DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 7 6. Souligne que tous les intéressés doivent permettre aux observateurs et aux forces des Nations Unies établis par le Conseil de sécurité au Liban de se déployer et de s’acquitter de leurs mandats et, à cet égard, appelle solennellement l’attention sur l’obligation qui incombe à tous les États membres, en vertu de l’Article 25 de la Charte des Nations Unies, d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil conformément à la Charte ; 7. Prie le secrétaire général de tenir le Conseil de sécurité informé de manière urgente et constante. » GRIEFS 1. Invoquant l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que les autorités ont manqué à leur devoir de protéger la vie de leur mari et père. Ils exposent que les circonstances du décès de celui-ci démontrent que, non seulement sa vie a été mise en danger sans vigilance, mais encore qu’elle a été supprimée par un acte délibéré que rien n’excuse. Ils ajoutent que, tant le statut de la FINUL que celui d’un militaire du contingent français excluaient l’usage de la force ; qu’en l’occurrence le recours à la force n’était pas absolument nécessaire ; qu’en aucun cas le soldat n’a fait usage de son arme pour préserver sa vie ; que la légitime défense implique une menace et ne peut être invoquée que si la riposte est proportionnée à la menace. 2. Sous l’angle de cette même disposition, les requérants se plaignent également du manque d’enquête effective. Ils contestent l’indépendance des enquêteurs par rapport aux personnes impliquées, l’effectivité de l’enquête menée et soulignent que les éléments fournis par l’enquête de la police militaire de la République libanaise contredisent les conclusions de cette enquête. 3. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable dans la mesure où les juridictions internes ont motivé leurs décisions exclusivement sur les résultats de l’enquête de la brigade prévôtale de Beyrouth. EN DROIT 1. Les requérants se plaignent principalement du fait que les autorités ont manqué à leur devoir de protéger la vie de leur mari et père et n’ont pas mené une enquête effective au sens de l’article 2 de la Convention qui dispose notamment : « 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, (...) 8 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; (...) » Le Gouvernement argue principalement du non épuisement des voies de recours internes : il soutient que les requérants n’ont pas soulevé ce moyen, même en substance, devant les juridictions internes. Il ajoute que les requérants n’ont pas diligenté une procédure pénale ou une procédure administrative contre l’État, mais seulement une procédure indemnitaire devant les juridictions civiles, incompétentes pour en connaître. Les requérants s’opposent à cette thèse. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si les requérants ont épuisé les voies de recours internes étant donné que la requête est de toute façon irrecevable. En effet, bien que le Gouvernement n’ait pas soulevé d’exception sur ce point, la Cour examinera proprio motu le respect du délai de six mois (voir Palić c. Bosnie-Herzégovine, no 4704/04, § 48, 15 février 2011, et Gadi c. France, (déc.), no 45533/05, 13 janvier 2009). La Cour rappelle que cette règle des six mois, prescrite à l’article 35 § 1 de la Convention, a pour objet d’assurer la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires litigieuses au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable, ainsi que de protéger les autorités et autres personnes concernées de l’incertitude dans laquelle elles seraient laissées, du fait de l’écoulement prolongé du temps (voir Bulut et Yavuz c. Turquie (déc.), no 73065/01, 28 mai 2002, Bayram et Yıldırım c. Turquie (déc.), no 38587/97, CEDH 2002-III, et Masson c. France, (déc.), no 35801/03, 12 février 2008). La Cour rappelle aussi que, s’il n’existe pas de recours, ou si les recours disponibles ne sont pas effectifs, le délai de six mois mentionné à l’article 35 § 1 de la Convention prend normalement naissance à la date des actes incriminés (voir Hazar et autres c. Turquie (déc.), nos 62566/00-62577/00 et 62579-62581/00, 10 janvier 2002). Enfin, des considérations particulières peuvent s’appliquer dans des cas exceptionnels, lorsqu’un requérant, qui a fait usage d’un recours interne accessible et disponible, s’est rendu compte ou aurait dû se rendre compte à un stade ultérieur que certaines circonstances rendaient ce recours ineffectif. En pareil cas, la période de six mois peut être calculée à partir de cette date (voir, entre autres, Kraczkiewicz et autres c. Russie (déc.), nos 15120/10, 17883/10 et 13626/11, 5 juillet 2011 ; Bayram et Yıldırım et Bulut et Yavuz, précités, Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni (déc.), no 46477/99, 7 juin 2001, et Gadi , précitée). Dès lors, en cas de décès, les proches requérants sont censés prendre des mesures pour se tenir au courant de l’état d’avancement de l’enquête, ou de sa stagnation, et introduire leurs requêtes avec la célérité voulue dès lors qu’ils savent, ou devraient savoir, qu’aucune enquête pénale effective n’est menée (Bayram et Yıldırım et Bulut et Yavuz précités et Varnava et autres c. DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 9 Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 161 à 166, CEDH 2009-...). La Cour a notamment jugé que, tant qu’il existe un contact véritable entre les familles et les autorités au sujet des plaintes et des demandes d’information, ou un indice ou une possibilité réaliste que les mesures d’enquête progressent, la question d’un éventuel délai excessif ne se posait généralement pas. En revanche, après un laps de temps considérable, lorsque l’activité d’investigation est marquée par d’importantes lenteurs et interruptions, vient un moment où les requérants doivent se rendre compte qu’il n’est et ne sera pas mené une enquête effective. Le point de savoir quand ce stade est atteint tient forcément aux circonstances de l’affaire (Frandes c. Roumanie (déc.), no 35802/05, 17 mai 2011). La Cour note que, lors de son audition par la police militaire libanaise le 24 avril 1983, la première requérante a déclaré se constituer partie civile contre l’auteur des coups de feu ayant tué son mari. Elle relève qu’il ne ressort pas du dossier que celle-ci se soit jamais enquise des suites données à sa déclaration. De l’avis de la Cour, c’est à partir de ce jour que la première requérante aurait dû effectuer les démarches nécessaires au plan interne en France ou, si elle les estimait ineffectives, aurait dû saisir la Cour. A tout le moins, elle aurait dû le faire suite à la réponse qui lui fut donnée le 21 juin 1995 par le bureau des dommages de l’armée de terre française qui lui indiqua que la responsabilité juridique de l’État français n’était pas engagée. En effet, la requérante ne pouvait raisonnablement attendre de la procédure qu’elle avait engagée en France qu’elle apporte des éléments donnant un nouvel éclairage à l’affaire (voir Hackett c. Royaume-Uni (no. 34698/04, (déc.), 10 mai 2005, Brecknell c. Royaume-Uni, no. 32457/04, §§ 66-67, 27 novembre 2007, et Williams c. Royaume-Uni, no 32567/06, (déc.), 17 février 2009). Dès lors, l’écoulement de la période avant la saisine de la Cour le 9 novembre 2007 doit être analysé comme une négligence de la première requérante, puisque celle-ci n’a en rien démontré l’existence de circonstances spécifiques qui expliqueraient une telle attente (voir, entre autres, Aydin et autres c. Turquie (déc.), no 46231/99, 26 mai 2005), et en conséquence, la procédure civile entamée en mars 2001 ne pouvait interrompre le cours du délai de six mois. Dans ces circonstances, la condition de recevabilité relative au respect du délai de six mois n’est donc pas remplie, la présente requête ayant été introduite le 9 novembre 2007 (voir, mutatis mutandis, Masson et Gadi, précitées). La Cour constate en définitive que cette partie de la requête, soumise hors délai, est irrecevable de ce chef au titre de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. 2. Les requérants allèguent ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Ils exposent que les juridictions 10 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE internes ont motivé leurs décisions exclusivement sur les résultats de l’enquête de la brigade prévôtale de Beyrouth. Ils contestent les résultats de cette enquête et la motivation des décisions rendues. La Cour rappelle que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, §§ 28-29, CEDH 1999-I et E.S c. France (déc.), no 49714/06, 10 février 2009). Pour autant que les requérants se bornent à remettre en cause l’interprétation des preuves et des résultats de l’enquête faite par les juridictions nationales et que la Cour ne décèle pas d’indice d’arbitraire dans l’appréciation faite par les tribunaux ou dans la motivation des décisions, il convient de déclarer ce grief manifestement mal fondé et de le rejeter en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, Déclare la requête irrecevable. Claudia Westerdiek Greffière Dean Spielmann Président