CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 51987/07
présentée par Arlette ATALLAH et autres
contre la France
La Cour européenne des droits de lhomme (cinquième section), siégeant
le 30 août 2011 en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Jean-Paul Costa,
Boštjan M. Zupančič,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ann Power,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 9 novembre 2007,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur, celles
présentées en réponse par les requérants et celles présentées par la tierce
partie, lOrganisation des Nations Unies,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Mmes Arlette et Lynn Atallah ainsi que M. Géo Atallah,
sont des ressortissants français, nés respectivement en 1938, 1970 et 1967 et
résidant à Paris et à Lugano pour ce qui est de la deuxième requérante. Ils
sont représentés devant la Cour par Me B. Favreau, avocat à Bordeaux. Le
2 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE
gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent,
Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires
étrangères
A. Les circonstances de lespèce
Les faits de la cause, tels quils ont été exposés par les parties, peuvent se
résumer comme suit.
1. Le contexte de laffaire
Au début des années 1970, la tension le long de la frontière israélo-
libanaise sest accentuée, en particulier après le repositionnement
déléments armés palestiniens de Jordanie au Liban. Les opérations-
commando palestiniennes contre Israël et les représailles israéliennes contre
des bases palestiniennes au Liban se sont intensifiées.
Le 11 mars 1978, une attaque-commando en Israël fit de nombreux morts
et blessés parmi la population israélienne. LOrganisation de Libération de
la Palestine (OLP) revendiqua cet attentat. En riposte, les forces israéliennes
envahirent le Liban dans la nuit du 14 au 15 mars et, en lespace de
quelques jours, occupèrent entièrement la partie sud du pays à lexception
de la ville de Tyr et de ses environs.
Le 15 mars 1978, le Gouvernement libanais adressa une protestation au
Conseil de sécurité de lOrganisation des Nations Unies (ONU) contre
linvasion israélienne affirmant quil navait aucun lien avec lopération
commando palestinienne. Le 19 mars, le Conseil de sécurité adopta les
résolutions, 425 (1978) et 426 (1978), dans lesquelles il demandait à Israël
de cesser immédiatement son action militaire et de retirer ses forces de tout
le territoire libanais. Le Conseil a également décidé la constitution
immédiate de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Les
premières troupes de la FINUL sont arrivées dans la région le 23 mars 1978.
Continuant à siéger pendant les mois de juin, juillet et août 1982, le
Conseil exigea quIsraël lève son blocus de Beyrouth de façon à pouvoir
ravitailler les civils en ville. Il autorisa le déploiement dobservateurs
militaires de lONU, connus sous le nom de « Groupe dobservateurs de
Beyrouth » pour contrôler la situation à Beyrouth et aux alentours.
En août, pendant le siège de louest de Beyrouth par les forces
israéliennes, les États-Unis, la France et lItalie, sur la demande du
Gouvernement libanais, envoyèrent dans cette ville une force multinationale
de sécurité (FMS) pour faciliter le départ du personnel armé palestinien en
bon ordre et dans des conditions de sécurité. Lévacuation des forces
palestiniennes de la région de Beyrouth sacheva le 1er septembre 1982, et la
force multinationale fut retirée au cours des deux semaines suivantes.
Toutefois, suite aux massacres de Sabra et Chatila le 17 septembre 1982,
une nouvelle force multinationale de sécurité fut mise en place à Beyrouth
DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 3
de septembre 1982 à fin mars 1984. Elle comprenait notamment des
détachements de larmée française.
Le mandat de la FINUL a été prolongé depuis lors sans interruption.
2. Les données de laffaire
M. Pierre Atallah, le mari et père des requérants, de nationalité libanaise,
était avocat à Beyrouth.
Le 24 avril 1983, des soldats français détachés au profit de la FMS
reçurent lordre de mettre en place un poste de contrôle dans une rue de
Beyrouth, en face du poste de commandement de la compagnie déclairage
et dappui. Un barrage routier fut installé. Vers 18 h 15, un lieutenant reçut
par radio lordre darrêter un véhicule de marque mini Austin bleue. Il était
précisé : « arrêter avec précaution, personnel armé.»
Le même jour, M. Atallah se rendait au volant de son véhicule Austin
mini de couleur orange de son bureau vers son domicile. Les requérants
précisent quil nétait porteur daucune arme ou objet dangereux et quil
nétait impliqué daucune manière dans le conflit. Vers 19 h 45, à la nuit
tombante, il arriva aux abords du barrage, rue de Damas, à proximité du
carrefour du musée national et, selon lenquête de la brigade prévôtale de
Beyrouth, ne ralentit pas et nobtempéra pas aux gestes darrêt du militaire
placé au milieu de la chaussée. Lorsque la voiture arriva à environ 4 à 5
mètres de lui, le soldat S. ouvrit le feu. M. Atallah décéda des suites de ses
blessures.
Lenquête fut menée par la brigade prévôtale de Beyrouth de la
gendarmerie française. Le commandant de la brigade se transporta sur les
lieux peu après les faits. Des plans et des photographies furent faits, ainsi
quune description précise des différents éléments sur place. Le soir même,
cinq militaires, dont le soldat qui avait tiré, et qui étaient tous présents sur
les lieux furent entendus. Dans son procès-verbal de synthèse rédigé le 25
avril 1983, le commandant de la brigade prévôtale de Beyrouth conclut que
le véhicule intercepté était dépourvu de plaque minéralogique avant, que
son conducteur navait ni ralenti ni obtempéré aux gestes darrêt du militaire
français plaau milieu de la chaussée et que ce militaire avait accompli sa
mission en appliquant strictement les consignes reçues de ses supérieurs.
La police militaire libanaise fit également des investigations techniques
et matérielles. Lautopsie fut effectuée par un médecin libanais qui conclut
son rapport comme suit :
(traduction)
« Ces blessures résultent dune rafale de plusieurs cartouches de deux armes à feu
différentes, ce qui souligne que :
1. Les grands trous résultent des fracas de lexplosion des balles ou des projectiles
de grand calibre qui ont été tirés de droite vers la gauche et inversement.
4 DÉCISION ATALLAH c. FRANCE
2. Il y a des blessures susmentionnées ayant entre 5 et 8 mm de long dont le nombre
nest pas moindre que cinq et qui sont causées par les coups dune arme à feu, tirés de
lavant vers larrière probablement.
3. Les projectiles ont été tirés dune distance excédant 50 cm, vu quil nexiste pas
de trace évidente autour des blessures.
4. Les petites blessures sont dues à de petits éclats.
5. Le décès a été causé par une forte hémorragie fatale. »
Le soir même, entendue par la police militaire libanaise, la première
requérante clara se constituer partie civile à lencontre de lauteur des
coups de feu.
A une date non précisée en 1983, compte tenu de la situation des
requérants, le ministère de la Défense décida de leur attribuer
exceptionnellement une allocation de 120 000 FF et de participer au coût
des études des trois enfants au moyen dallocations annuelles de
40 0000 FF, ce qui fut fait de 1984 à 1990. Une nouvelle allocation de
22 000 FF leur fut versée à titre exceptionnel en 1991. Les requérants
obtinrent également la nationalité française.
Le 21 juin 1995, le bureau des dommages de larmée de terre française
répondit à une demande dindemnisation de la première requérante. Il
indiqua que, daprès les renseignements obtenus auprès du ministère des
Affaires étrangères et « sagissant dun contingent français de la FINUL »,
la responsabilité juridique de lÉtat français nétait pas engagée, « seule la
responsabilité de lÉtat libanais aurait pu être mise en cause à cette
époque. ».
Par courrier du 16 avril 1998, lavocat des requérants adressa une
demande dindemnisation au Secrétaire général de lONU. Il indiquait que
le mari et père des requérants était décédé suite à des blessures mortelles qui
lui avaient infligées par un soldat de nationalité française, détaché par lÉtat
français auprès de la FINUL. Il ajoutait que « cet acte illégal dun soldat
dépendant des Nations Unies [était] la cause de la disparition de Monsieur
Pierre Georges Atallah et, par voie de conséquence, du préjudice énorme
subi par sa veuve, sa fille et son fils. » Il demandait en conséquence
réparation de ce préjudice aux Nations-Unies. Plus loin, il mentionnait que
la compagnie à laquelle appartenait ce soldat était détachée au profit de la
FMS de Beyrouth depuis le 2 décembre 1982.
Aucun document figurant au dossier ne permet de déterminer si cette
demande a reçu une ponse et lOrganisation des Nations Unies indique
quelle na pas trace dune réponse apportée à ce courrier.
Les 15 et 16 mars 2001, les requérants firent citer devant le tribunal de
grande instance de Paris le ministre de la Défense, le soldat S. et un autre
soldat présent sur les lieux à lépoque des faits. Ils mentionnaient que le
soldat S., qui avait tiré, était « détaché au profit de la FMS de Beyrouth
depuis le mois de janvier 1983 ». Ils ajoutaient plus loin que la FMS était
DÉCISION ATALLAH c. FRANCE 5
« en détachement auprès de la FINUL. » Ils demandaient quil soit jugé que
la mort de leur mari et père était un meurtre qui nétait justifié ni par le
commandement de lautorité légitime, ni par la légitime défense et que ce
meurtre constituait une voie de fait. Ils contestaient les résultats de lenquête
menée par la gendarmerie française, notamment au vu du rapport médico-
légal établi par un médecin libanais après lautopsie. Ils concluaient que les
constatations du decin-légiste montraient que plusieurs armes avaient été
utilisées et estimaient notamment que le rapport de larmée française
nexpliquait en aucune manière lexistence dimpacts de tailles différentes
correspondant à des tirs de différents diamètres et de provenances distinctes.
Ils demandaient également que le ministre de la Défense ès-qualité et les
deux soldats soient condamnés solidairement à les indemniser.
Le tribunal se prononça par jugement du 31 juillet 2003. Il considéra que,
compte tenu, dune part, du contexte particulièrement dangereux au moment
des faits et, dautre part, du comportement du conducteur de lAustin, le
militaire français avait légitimement fait usage de son arme pour préserver
sa vie. En tout état de cause, il avait agi dans le cadre de lexécution dun
service commandé, ce qui ne saurait être constitutif dune voie de fait. Le
tribunal conclut quil nappartenait pas aux juridictions de lordre judiciaire
de connaître de laction des requérants et se déclara incompétent, renvoyant
les requérants à mieux se pourvoir.
Les requérants firent appel de cette décision en reprenant les arguments
développés devant le tribunal de première instance.
La cour dappel de Paris statua par arrêt du 16 décembre 2005. Elle
estima que, à supposer même une mauvaise exécution de lordre reçu, en
raison dune appréciation inexacte du comportement du conducteur du
véhicule, et de lassimilation erronée de ce véhicule à celui recherché, ces
circonstances auraient été à lévidence encore susceptibles dêtre rattachées
aux pouvoirs appartenant à ladministration et donc exclusives de la voie de
fait. En effet, lordre dinterception donné incluait, au vu des conditions
générales dintervention de la FINUL, la possibilité de tirer en cas de mise
en danger de la vie des soldats chargés de son exécution. La cour dappel
considéra que cette condition était réalisée dès lors que, selon lenquête, le
soldat S. risquait dêtre renversé par le véhicule en cause, qui était démuni
de sa plaque dimmatriculation avant, qui navait pas obéi aux signes clairs
davoir à ralentir et sarrêter et qui continuait à venir vers lui à la même
vitesse. La cour dappel confirma donc le jugement de première instance.
Les requérants se pourvurent en cassation contre cette décision. Ils
soutenaient que les pouvoirs se rattachant à ladministration dans le cadre
dune opération spéciale visant à intercepter un véhicule avec un
signalement précis ne lui permettaient pas dinterpeller et douvrir le feu sur
un véhicule ne correspondant visiblement pas à ce signalement ; que les
militaires français avaient reçu lordre dintercepter avec précaution un
véhicule de couleur bleue transportant des personnes armées ; que cet ordre
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