Phobie scolaire et autres causes de déscolarisations Refus simple

PSYCHIATRIE
42 ADOLESCENCE & Médecine
Dr Jean-Pierre Benoît
Psychiatre, Maison des
Adolescents-Maison de
Solenn, CHU Cochin, Paris
PHOBIE SCOLAIRE ET AUTRES
CAUSES DE DÉSCOLARISATIONS
Refus simple ou refus anxieux ?
Comment se repérer ?
L’absentéisme ou la déscolarisation sont des motifs fréquents de consultation. Dis-
tincte de l’école buissonnière, la phobie scolaire serait en augmentation, mais ne
tend elle pas parfois à devenir un concept refuge, derrière lequel se rangent en
excès toutes conduites de déscolarisation. A l’adolescence, son diagnostic est plus
dicile et son évolution plus péjorative. Elle relève pourtant d’un traitement spécifique et mérite d’être distinguée.
Quel praticien, pédopsychiatre,
pédiatre, ou généraliste ne
s’est pas senti embarrassé face
à un adolescent refusant de se rendre
en classe ? Hésitant entre sollici-
tude et fermeté, le praticien se trouve
confronté à une décision de parti pris :
parti pris de l’adolescent s’il pose un
diagnostic qui justifie médicalement
la déscolarisation, ou parti pris des
parents qui attachent à la scolarité
une garantie d’intégration sociale et
de réussite professionnelle. Pourtant,
lorsque la déscolarisation a une cause
psychique, l’insistance ou la contrainte
sont vouées à l’échec. Il est donc im-
portant de pouvoir repérer les troubles
psychiques sous-jacents pour définir
la conduite à tenir.
Sur le plan terminologique, l’Educa-
tion Nationale parle de “déscolarisa-
tion” pour qualifier la situation d’un
élève complètement absent, et d’ab-
sentéisme scolaire au-delà de 4 demi-
journées d’absence non justifiées par
les parents ou par un médecin. Le “dé-
crochage scolaire qualifie les élèves
qui quittent le système scolaire sans
diplôme (Bac, Bac pro, BTS, CAP...). On
parle alors d’adolescent décrocheur”.
CLINIQUE DE LA PHOBIE
SCOLAIRE
C’est Broadwin en 1932 qui isole de
l’école buissonnière cette forme cli-
nique responsable de déscolarisation
que Johnson nommera en 1941 school
phobia.
bDéfinition classique
Classiquement, il s’agit d’enfants qui
pour des raisons irrationnelles refu-
sent d’aller à l’école et résistent avec
des réactions d’anxiété très vives ou
de panique quand on essaie de les y
forcer. L’angoisse est insurmontable
et survient la veille d’une rentrée ou le
dimanche soir, parfois le matin avant
de partir, sur le chemin du collège ou
au sein même de l’établissement. Elle
empêche l’élève d’être scolarisé. Vo-
lontiers pris pour un capricieux, qua-
lifié de paresseux ou de manipulateur,
les parents insistent et risquent de
déclencher une panique avec compor-
tements d’enfermement, de fugue, ou
de tentative de suicide. Au contraire,
lorsque l’entourage cède, l’adolescent
se calme et promet de retourner en
classe le lendemain. Ce refus scolaire
est involontaire, sous-tendu par une
inadaptation du fonctionnement psy-
chique au cadre et au fonctionnement
scolaire.
bSymptomatologie
Comme pour toute angoisse, des
symptômes somatiques peuvent
être au premier plan : classique mal
au ventre, nausées, vomissements,
céphalées. Ils disparaîtront à l’éviction
scolaire.
L’intérêt pour les apprentissages est
conservé et permet l’inscription à des
formes de scolarisation alternative
ou par correspondance. La déscolari-
sation est douloureuse, l’adolescent
s’inquiète et souffre d’isolement et
d’ennui. Honteux et culpabilisé, il fuit
parfois ses pairs pour ne pas avoir à se
justifier.
© Anne-Louise Quarfoth - Istockphoto
« Lorsque la déscolarisation a une
cause psychique, l’insistance ou la
contrainte sont vouées à l’échec. »
Phobie scolaire et autres causes de déscolarisations
ADOLESCENCE & Médecine 43
bFacteurs d’installation
L’installation de la phobie scolaire peut
être précipitée par des facteurs envi-
ronnementaux qui servent secondai-
rement de rationalisations : agression
par ses pairs, moqueries, remarque
d’un enseignant... Très souvent les ex-
périences de séparation précoce dans
la petite enfance (crèche, école ma-
ternelle) ou les séjours en dehors de la
famille (colonies de vacances, voyage
scolaire) ont été difficiles ou impos-
sibles. Le décès mal vécu d’un proche,
une maladie grave, une crise paren-
tale, un déménagement, un change-
ment d’école, sont également autant
de situations susceptibles d’accroître
le sentiment d’insécurité en augmen-
tant le seuil d’angoisse. Les troubles
du sommeil du nourrisson ne sont pas
rares, témoins d’une anxiété précoce.
Enfin, les troubles des apprentissages
(dyslexie, dysorthographie…) peuvent
favoriser le déclenchement phobique
et doivent toujours être recherchés.
bEpidémiologie
Estimée à un peu moins de 2 % des
jeunes en âge scolaire, elle représente
environ 5 % des consultations en pé-
dopsychiatrie et touche autant les
garçons que les filles. Sans étude épi-
démiologique précise, les cliniciens
estiment sa fréquence en augmenta-
tion. L’accroissement des exigences
scolaires, des phénomènes de compé-
tition sociale, et de l’agressivité dans
les établissements, en augmentant le
sentiment d’insécurité qui précipite-
rait l’angoisse, expliqueraient cette re-
crudescence.
bAntécédents familiaux
L’étude de la famille permet sou-
vent de constater des antécédents de
troubles anxieux, phobiques ou dé-
pressifs chez les parents. Les auteurs
observent un lien d’hyperdépen-
dance mère-enfant. Dans cette dyade,
les pères sont absents (séparation,
divorce, éloignement pour raisons
professionnelles) ou trouvent diffici-
lement leur place (disqualification,
conflit conjugal) (1).
bUne installation parfois
insidieuse
A l’adolescence, l’installation de la
phobie scolaire peut être plus insi-
dieuse et les signes anxieux peuvent
être noyés dans un ensemble clinique
plus polymorphe : les éléments dé-
pressifs peuvent apparaître au pre-
mier plan, l’adolescent s’isolant à
son domicile ; dans certains cas les
conduites agies dominent avec op-
position, fugues, conduites addic-
tives, réunion en bandes. L’évolution
de la phobie scolaire est réputée de
moins bon pronostic à cet âge car la
dépendance au figures parentales
complique la trajectoire d’autonomi-
sation (2).
Face à ce flou symptomatique à l’ado-
lescence, pour retenir le diagnostic de
phobie scolaire, il convient de cher-
cher minutieusement les deux élé-
ments caractéristiques qui fondent
son diagnostic positif, et qui ont pu
être présents au début des troubles,
aux premiers temps de la déscolarisa-
tion, ou dans le plus jeune âge :
syndrome anxieux face aux situations
de scolarisation,
intérêt et performances scolaires
conservés.
UNE PLACE
NOSOLOGIQUE
DISCUTÉE
Dans la littérature anglo-saxonne la
phobie scolaire tend à être remplacée
par le refus scolaire anxieux” (school
anxious refusal). Les classifications in-
ternationales ne lui reconnaissent pas
d’entité syndromique propre, la clas-
sant soit dans les troubles « angoisse
de séparation », soit dans les « troubles
névrotiques à dominante phobique »
(symptôme d’une agoraphobie, d’une
phobie sociale, d’un trouble panique,
ou d’une phobie spécifique). En
France, l’appellation phobie scolaire
est couramment utilisée par les clini-
ciens, et a tant séduit patients, parents,
et enseignants qu’ils l’utilisent parfois à
l’exs devant n’importe quelle déscola-
risation en quête de caution médicale.
LE REFUS SCOLAIRE
SIMPLE
Il s’agit d’un adolescent qui refuse de
poursuivre sa scolarité de son plein
gré, si l’on peut dire, sans raisons psy-
chologiques objectivables. C’est ce
que nomme l’appellation romantique
d’école buissonnière. Il s’agit d’un
diagnostic d’élimination, cette posi-
tion d’apparence recevable peut ca-
cher une crainte phobique minime, un
trouble des apprentissages.
AUTRES ÉTIOLOGIES
PSYCHIQUES DE
DÉSCOLARISATION
bSecondaire à des
somatisations
La déscolarisation peut être secon-
daire à des somatisations. Dans ces
cas, l’angoisse paroxystique manque,
et l’expression somatique est au de-
vant du tableau, alibi de l’absence.
Tous les appareils peuvent être at-
teints : neurologiques avec céphalées
migraineuses, vertiges ou troubles de
la marche ; douleurs diverses de l’ap-
pareil locomoteur allant jusqu’aux
tableaux fibromyalgiques ; douleurs
des organes génitaux ou pollakiurie
d’instabilité vésicale. L’asthénie peut
faire évoquer le syndrome de fatigue
chronique, dont la validité clinique
reste discutée. L’encoprésie, source de
honte narcissique empêche souvent
l’enfant d’être scolarisé, par crainte
des moqueries.
bTroubles de la structuration
de la personnalité
Les troubles sévères de la structu-
ration de la personnalité (dyshar-
monies, états limites, troubles psy-
chotiques) s’accompagnent souvent
d’une absence d’intérêt scolaire pou-
vant entraîner un absentéisme ou une
déscolarisation. Les troubles schi-
zophréniques qui débutent parfois
à l’adolescence se compliquent d’un
“échissement scolaire” progressif
(diminution des performances sco-
laires), ou d’un “apragmatisme” (in-
capacité à initier une action).
PSYCHIATRIE
44 ADOLESCENCE & Médecine
bTroubles dépressifs
Les troubles dépressifs, par le désinté-
rêt, le ralentissement psychomoteur et
les troubles de l’attention qu’ils entraî-
nent peuvent conduire à une déscola-
risation.
Cette présentation reste schématique
et le diagnostic clinique d’une désco-
larisation parfois difficile à établir. Le
déterminisme est souvent multiple. Le
rôle de l’environnement est important
en conditionnant le désir d’apprendre,
de s’intégrer, et de poursuivre une sco-
larité. Les origines sociales, la dyna-
mique familiale, les événements de vie
interviennent pleinement.
LE RÔLE AGGRAVANT
DES ADDICTIONS
Les addictions aggravent les désco-
larisations en favorisant le repli. Le
cannabis mais aussi Internet peuvent
envahir la vie de l’adolescent et renfor-
cer l’isolement. Au maximum, les ado-
lescents ne quittent plus leur domicile.
Les auteurs français parlent alors de
“syndrome de claustration” nommé
au Japon où il serait très fréquent “syn-
drome d’Hikikomori”.
PSYCHOPATHOLOGIE
DE LA PHOBIE SCOLAIRE
Broadwin dès 1932 remarquait : « ce
n’est pas l’école que l’enfant fuit, mais
la situation de séparation qu’elle im-
pose ». L’enfant craint de s’éloigner de
ses proches, parfois par crainte qu’il
ne leur arrive quelque chose. L’impor-
tance de l’angoisse de séparation a très
vite été mise en cause dans les tableaux
de phobie scolaire. Physiologique dans
le jeune âge, ces angoisses sont appe-
lées à disparaître, l’appareil psychique
permettant de remplacer l’absence
des proches par des substitutions psy-
chiques rassurantes. Si le terme pho-
bie sous-entend un schéma névro-
tique freudien, la gravité du tableau
anxieux fait souvent pencher le dia-
gnostic du côté des états limites dont
le fonctionnement associe méca-
nismes névrotiques et psychotiques.
Pour contenir ces angoisses, l’inhibi-
tion intervient. Aux questions sur leur
peur, les adolescents répondent sou-
vent invariablement “je ne sais pas.
Cette absence de mise en sens fait par-
ler de pauvreté” ou de manque d’éla-
boration psychique, rendant difficile
la mise en place de psychothérapies
individuelles. Comme a dit A. Birraux,
« les conditions du pouvoir apprendre
sont les conditions du pouvoir pen-
ser » ; ces troubles psychiques compli-
quent l’apprentissage et peuvent don-
ner à l’enfant l’envie de fuir (3).
A l’adolescence, la dépendance ex-
trême aux figures parentales permet
d’éviter l’angoisse, mais empêche le
conflit d’autonomie. Les difficultés
narcissiques prédominent avec évi-
tement timide des relations avec l’ex-
térieur, et tyrannie envers les figures
familières. L’adolescent est sensible
à tout, susceptible, inconsciemment
menacé par le monde extérieur.
LE TRAITEMENT DOIT
ASSOCIER TRAITEMENT
PSYCHOLOGIQUE ET
RÉHABILITATION SCOLAIRE
L’éviction scolaire est toujours né-
cessaire dans un premier temps. Des
mesures conservatoires de la scolarité
doivent être prises pour maintenir les
apprentissages : scolarité à domicile
ou enseignement à distance (CNED).
Une réintégration scolaire progressive
peut être proposée après un certain
temps de traitement en partenariat
avec les services de santé scolaire.
Le traitement vise à diminuer le seuil
d’angoisse. En fonction des cas, le
choix peut se porter vers une thérapie
individuelle ou familiale. En cas d’in-
hibition, on choisira un traitement par
médiation (psychodrame, groupe de
parole, ateliers artistiques). Les trai-
tements psychotropes se limitent aux
antidépresseurs sérotoninergiques
en cas de complication dépressive ou
aux neuroleptiques atypiques en cas
d’états limites graves. Les troubles
des apprentissages (dyslexie, dysor-
thographie) doivent bénéficier d’une
rééducation spécifique. Les hospita-
lisations à temps plein sont réservées
aux formes graves.
La prise en charge s’envisage au
long cours. Il est rarement possible
d’envisager une rescolarisation avant
plusieurs mois de traitement. Le pro-
nostic reste sévère car environ 45 %
des adolescents de plus de 16 ans ne
reprendront pas leur scolarité (4).
Parfois, la solution reposera sur une
institutionnalisation au long cours en
internat soins études. La gravité de ce
trouble justifie l’adresse vers des ser-
vices spécialisés pour adolescents. n
MOTS-CLÉS :
Phobie scolaire, Refus scolaire,
Clinique, Etiologies, Psychopathologie
1. Lamotte F, Doncker E, Goeb JL. Les phobies
scolaires à l’adolescence. Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence 2010 ; 58,
256-62.
2. Lida-Pulik H, Colin B, Basquin M. La phobie
scolaire à l’adolescence. Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence ; 1996 ; 44 :
211-4.
3. Birraux A. Refus scolaire et dicultés
d’apprentissage à l’adolescence. Encycl Med
Chir, Psychiatrie. Paris : Elsevier, 37-216-D-10,
1999.
4. Wanda P, Fremont MP. School refusal in
children and adolescents. Am Fam Physician
2003 ; 68 : 1555-60 ; 1563-4.
Catheline N. Psychopathologie de la
scolarité. 2e édition. Paris : Masson, 2007 ;
99-103.
Laget J. Absentéisme, troubles
somatoformes et phobie scolaire à
l’adolescence. Méd Hyg 1998 ; 56 : 2408-11.
Michaud PA, Cauderay M. Le praticien face
à l’absence scolaire : signer ou ne pas signer.
Méd Hyg 1998 ; 56 : 2412-6.
BIBLIOGRAPHIE
POUR EN SAVOIR PLUS :
1 / 3 100%

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