Psychiatrie Phobie scolaire et autres causes de déscolarisations Refus simple ou refus anxieux ? Comment se repérer ? L’absentéisme ou la déscolarisation sont des motifs fréquents de consultation. Distincte de l’école buissonnière, la phobie scolaire serait en augmentation, mais ne tend elle pas parfois à devenir un concept refuge, derrière lequel se rangent en Dr Jean-Pierre Benoît Psychiatre, Maison des Adolescents-Maison de Solenn, CHU Cochin, Paris excès toutes conduites de déscolarisation. A l’adolescence, son diagnostic est plus difficile et son évolution plus péjorative. Elle relève pourtant d’un traitement spécifique et mérite d’être distinguée. Sur le plan terminologique, l’Education Nationale parle de “déscolarisation” pour qualifier la situation d’un élève complètement absent, et d’absentéisme scolaire au-delà de 4 demijournées d’absence non justifiées par les parents ou par un médecin. Le “décrochage scolaire” qualifie les élèves qui quittent le système scolaire sans diplôme (Bac, Bac pro, BTS, CAP...). On parle alors d’adolescent “décrocheur”. l’école buissonnière cette forme clinique responsable de déscolarisation que Johnson nommera en 1941 school phobia. bbDéfinition classique Classiquement, il s’agit d’enfants qui pour des raisons irrationnelles refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions d’anxiété très vives ou de panique quand on essaie de les y forcer. L’angoisse est insurmontable et survient la veille d’une rentrée ou le dimanche soir, parfois le matin avant de partir, sur le chemin du collège ou au sein même de l’établissement. Elle empêche l’élève d’être scolarisé. Volontiers pris pour un capricieux, qualifié de paresseux ou de manipulateur, les parents insistent et risquent de déclencher une panique avec comportements d’enfermement, de fugue, ou de tentative de suicide. Au contraire, lorsque l’entourage cède, l’adolescent se calme et promet de retourner en classe le lendemain. Ce refus scolaire est involontaire, sous-tendu par une inadaptation du fonctionnement psychique au cadre et au fonctionnement scolaire. bbSymptomatologie Clinique de la phobie scolaire symptômes C’est Broadwin en 1932 qui isole de être au premier plan : classique “mal 42 Comme pour toute angoisse, des somatiques peuvent © Anne-Louise Quarfoth - Istockphoto Q uel praticien, pédopsychiatre, pédiatre, ou généraliste ne s’est pas senti embarrassé face à un adolescent refusant de se rendre en classe ? Hésitant entre sollicitude et fermeté, le praticien se trouve confronté à une décision de parti pris : parti pris de l’adolescent s’il pose un diagnostic qui justifie médicalement la déscolarisation, ou parti pris des parents qui attachent à la scolarité une garantie d’intégration sociale et de réussite professionnelle. Pourtant, lorsque la déscolarisation a une cause psychique, l’insistance ou la contrainte sont vouées à l’échec. Il est donc important de pouvoir repérer les troubles psychiques sous-jacents pour définir la conduite à tenir. « Lorsque la déscolarisation a une cause psychique, l’insistance ou la contrainte sont vouées à l’échec. » au ventre”, nausées, vomissements, céphalées. Ils disparaîtront à l’éviction scolaire. L’intérêt pour les apprentissages est conservé et permet l’inscription à des formes de scolarisation alternative ou par correspondance. La déscolarisation est douloureuse, l’adolescent s’inquiète et souffre d’isolement et d’ennui. Honteux et culpabilisé, il fuit parfois ses pairs pour ne pas avoir à se justifier. Adolescence & Médecine Phobie scolaire et autres causes de déscolarisations bbFacteurs d’installation L’installation de la phobie scolaire peut être précipitée par des facteurs environnementaux qui servent secondairement de rationalisations : agression par ses pairs, moqueries, remarque d’un enseignant... Très souvent les expériences de séparation précoce dans la petite enfance (crèche, école maternelle) ou les séjours en dehors de la famille (colonies de vacances, voyage scolaire) ont été difficiles ou impossibles. Le décès mal vécu d’un proche, une maladie grave, une crise parentale, un déménagement, un changement d’école, sont également autant de situations susceptibles d’accroître le sentiment d’insécurité en augmentant le seuil d’angoisse. Les troubles du sommeil du nourrisson ne sont pas rares, témoins d’une anxiété précoce. Enfin, les troubles des apprentissages (dyslexie, dysorthographie…) peuvent favoriser le déclenchement phobique et doivent toujours être recherchés. bbEpidémiologie Estimée à un peu moins de 2 % des jeunes en âge scolaire, elle représente environ 5 % des consultations en pédopsychiatrie et touche autant les garçons que les filles. Sans étude épidémiologique précise, les cliniciens estiment sa fréquence en augmentation. L’accroissement des exigences scolaires, des phénomènes de compétition sociale, et de l’agressivité dans les établissements, en augmentant le sentiment d’insécurité qui précipiterait l’angoisse, expliqueraient cette recrudescence. bbAntécédents familiaux L’étude de la famille permet souvent de constater des antécédents de troubles anxieux, phobiques ou dépressifs chez les parents. Les auteurs observent un lien d’hyperdépendance mère-enfant. Dans cette dyade, les pères sont absents (séparation, divorce, éloignement pour raisons professionnelles) ou trouvent difficilement leur place (disqualification, conflit conjugal) (1). Adolescence & Médecine bbUne installation parfois insidieuse Le refus scolaire simple A l’adolescence, l’installation de la phobie scolaire peut être plus insidieuse et les signes anxieux peuvent être noyés dans un ensemble clinique plus polymorphe : les éléments dépressifs peuvent apparaître au premier plan, l’adolescent s’isolant à son domicile ; dans certains cas les conduites agies dominent avec opposition, fugues, conduites addictives, réunion en bandes. L’évolution de la phobie scolaire est réputée de moins bon pronostic à cet âge car la dépendance au figures parentales complique la trajectoire d’autonomisation (2). Il s’agit d’un adolescent qui refuse de poursuivre sa scolarité de son plein gré, si l’on peut dire, sans raisons psychologiques objectivables. C’est ce que nomme l’appellation romantique d’école buissonnière. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination, cette position d’apparence recevable peut cacher une crainte phobique minime, un trouble des apprentissages. Face à ce flou symptomatique à l’adolescence, pour retenir le diagnostic de phobie scolaire, il convient de cher- La déscolarisation peut être secondaire à des somatisations. Dans ces cas, l’angoisse paroxystique manque, et l’expression somatique est au devant du tableau, alibi de l’absence. Tous les appareils peuvent être atteints : neurologiques avec céphalées migraineuses, vertiges ou troubles de la marche ; douleurs diverses de l’appareil locomoteur allant jusqu’aux tableaux fibromyalgiques ; douleurs des organes génitaux ou pollakiurie d’instabilité vésicale. L’asthénie peut faire évoquer le syndrome de fatigue chronique, dont la validité clinique reste discutée. L’encoprésie, source de honte narcissique empêche souvent l’enfant d’être scolarisé, par crainte des moqueries. cher minutieusement les deux éléments caractéristiques qui fondent son diagnostic positif, et qui ont pu être présents au début des troubles, aux premiers temps de la déscolarisation, ou dans le plus jeune âge : • syndrome anxieux face aux situations de scolarisation, • intérêt et performances scolaires conservés. Une place nosologique discutée Dans la littérature anglo-saxonne la phobie scolaire tend à être remplacée par le “refus scolaire anxieux” (school anxious refusal). Les classifications internationales ne lui reconnaissent pas d’entité syndromique propre, la classant soit dans les troubles « angoisse de séparation », soit dans les « troubles névrotiques à dominante phobique » (symptôme d’une agoraphobie, d’une phobie sociale, d’un trouble panique, ou d’une phobie spécifique). En France, l’appellation “phobie scolaire” est couramment utilisée par les cliniciens, et a tant séduit patients, parents, et enseignants qu’ils l’utilisent parfois à l’excès devant n’importe quelle déscolarisation en quête de caution médicale. Autres étiologies psychiques de déscolarisation bbSecondaire à des somatisations bbTroubles de la structuration de la personnalité Les troubles sévères de la structuration de la personnalité (dysharmonies, états limites, troubles psychotiques) s’accompagnent souvent d’une absence d’intérêt scolaire pouvant entraîner un absentéisme ou une déscolarisation. Les troubles schizophréniques qui débutent parfois à l’adolescence se compliquent d’un “fléchissement scolaire” progressif (diminution des performances scolaires), ou d’un “apragmatisme” (incapacité à initier une action). 43 Psychiatrie bbTroubles dépressifs Les troubles dépressifs, par le désintérêt, le ralentissement psychomoteur et les troubles de l’attention qu’ils entraînent peuvent conduire à une déscolarisation. Cette présentation reste schématique et le diagnostic clinique d’une déscolarisation parfois difficile à établir. Le déterminisme est souvent multiple. Le rôle de l’environnement est important en conditionnant le désir d’apprendre, de s’intégrer, et de poursuivre une scolarité. Les origines sociales, la dynamique familiale, les événements de vie interviennent pleinement. Le rôle aggravant des addictions Les addictions aggravent les déscolarisations en favorisant le repli. Le cannabis mais aussi Internet peuvent envahir la vie de l’adolescent et renforcer l’isolement. Au maximum, les adolescents ne quittent plus leur domicile. Les auteurs français parlent alors de “syndrome de claustration” nommé au Japon où il serait très fréquent “syndrome d’Hikikomori”. Psychopathologie de la phobie scolaire Broadwin dès 1932 remarquait : « ce n’est pas l’école que l’enfant fuit, mais la situation de séparation qu’elle impose ». L’enfant craint de s’éloigner de ses proches, parfois par crainte qu’il ne leur arrive quelque chose. L’importance de l’angoisse de séparation a très vite été mise en cause dans les tableaux de phobie scolaire. Physiologique dans le jeune âge, ces angoisses sont appelées à disparaître, l’appareil psychique permettant de remplacer l’absence des proches par des substitutions psychiques rassurantes. Si le terme “phobie” sous-entend un schéma névrotique freudien, la gravité du tableau anxieux fait souvent pencher le diagnostic du côté des états limites dont le fonctionnement associe mécanismes névrotiques et psychotiques. Pour contenir ces angoisses, l’inhibi44 tion intervient. Aux questions sur leur peur, les adolescents répondent souvent invariablement “je ne sais pas”. Cette absence de mise en sens fait parler de “pauvreté” ou de “manque d’élaboration psychique”, rendant difficile la mise en place de psychothérapies individuelles. Comme a dit A. Birraux, « les conditions du pouvoir apprendre sont les conditions du pouvoir penser » ; ces troubles psychiques compliquent l’apprentissage et peuvent donner à l’enfant l’envie de fuir (3). A l’adolescence, la dépendance extrême aux figures parentales permet d’éviter l’angoisse, mais empêche le conflit d’autonomie. Les difficultés narcissiques prédominent avec évitement timide des relations avec l’extérieur, et tyrannie envers les figures familières. L’adolescent est sensible à tout, susceptible, inconsciemment menacé par le monde extérieur. Le traitement doit associer traitement psychologique et réhabilitation scolaire L’éviction scolaire est toujours nécessaire dans un premier temps. Des mesures conservatoires de la scolarité doivent être prises pour maintenir les apprentissages : scolarité à domicile ou enseignement à distance (CNED). Une réintégration scolaire progressive peut être proposée après un certain temps de traitement en partenariat avec les services de santé scolaire. Le traitement vise à diminuer le seuil d’angoisse. En fonction des cas, le choix peut se porter vers une thérapie individuelle ou familiale. En cas d’inhibition, on choisira un traitement par médiation (psychodrame, groupe de parole, ateliers artistiques). Les traitements psychotropes se limitent aux antidépresseurs sérotoninergiques en cas de complication dépressive ou aux neuroleptiques atypiques en cas d’états limites graves. Les troubles des apprentissages (dyslexie, dysorthographie) doivent bénéficier d’une rééducation spécifique. Les hospitalisations à temps plein sont réservées aux formes graves. La prise en charge s’envisage au long cours. Il est rarement possible d’envisager une rescolarisation avant plusieurs mois de traitement. Le pronostic reste sévère car environ 45 % des adolescents de plus de 16 ans ne reprendront pas leur scolarité (4). Parfois, la solution reposera sur une institutionnalisation au long cours en internat soins études. La gravité de ce trouble justifie l’adresse vers des services spécialisés pour adolescents. n Mots-clés : Phobie scolaire, Refus scolaire, Clinique, Etiologies, Psychopathologie Bibliographie 1. Lamotte F, Doncker E, Goeb JL. Les phobies scolaires à l’adolescence. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 2010 ; 58, 256-62. 2. Lida-Pulik H, Colin B, Basquin M. La phobie scolaire à l’adolescence. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence ; 1996 ; 44 : 211-4. 3. Birraux A. Refus scolaire et difficultés d’apprentissage à l’adolescence. Encycl Med Chir, Psychiatrie. Paris : Elsevier, 37-216-D-10, 1999. 4. Wanda P, Fremont MP. School refusal in children and adolescents. Am Fam Physician 2003 ; 68 : 1555-60 ; 1563-4. Pour en savoir plus : • Catheline N. Psychopathologie de la scolarité. 2e édition. Paris : Masson, 2007 ; 99-103. • Laget J. Absentéisme, troubles somatoformes et phobie scolaire à l’adolescence. Méd Hyg 1998 ; 56 : 2408-11. • Michaud PA, Cauderay M. Le praticien face à l’absence scolaire : signer ou ne pas signer. Méd Hyg 1998 ; 56 : 2412-6. Adolescence & Médecine