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Introduction
Les Mamelles de Tirésias est une œuvre du compositeur français Francis Poulenc
qui s’inspire de la pièce de théâtre du même nom de Guillaume Apollinaire.
En 1958, le compositeur britannique Benjamin Britten fait un arrangement pour
deux pianos et 14 chanteurs de cette œuvre, arrangement qui est depuis tombé
dans l’oubli.
C’est cet arrangement inédit que la production présentée en 2013 au Festival
d’Aix-en-Provence des Mamelles de Tirésias fera revivre.
Ecrite en 1916, la pièce Les Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire est en
quelque sorte un précurseur du surréalisme, qui émergera sous la conduite
d’André Breton quelques années plus tard, vers 1920. S’inspirant de thématiques
empruntées à la mythologie grecque telle que la légende de Tirésias, devin
aveugle, et de Térésa, qui se déguise afin de rétablir la justice entre les hommes
et les femmes, cette pièce défend des idées féministes et antimilitaristes.
Préfaçant Les Mamelles de Tirésias, Guillaume Apollinaire écrit:
« Pour tenter une rénovation du théâtre, du moins un effort personnel, j’ai
pensé qu’il fallait revenir à la nature même, mais sans l’imiter à la manière des
photographes. Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui
ne ressemble pas à une jambe. Il a ainsi fait du surréalisme sans le savoir. (…)
j’aurais pu faire sur ce sujet qui n’a jamais été traité une pièce selon le ton
sarcastico-mélodramatique qu’ont mis à la mode les faiseurs de « pièces à
thèse ». J’ai préféré un ton moins sombre, car je ne pense pas que le théâtre
doive désespérer qui que ce soit. J’aurais pu aussi écrire un drame d’idées et
flatter le goût du public actuel qui aime à se donner l’illusion de penser. J’ai
mieux aimé donner libre cours à cette fantaisie qui est ma façon d’interpréter
la nature, fantaisie qui se manifeste avec plus ou moins de mélancolie, de
satire et de lyrisme… »
Sous couvert du comique, nous voyons surgir ici les débuts de l’absurde, avec
l’utilisation d’un mythe antique dans le monde contemporain.
Mais en 1917, le travail trop subversif d’Apollinaire a scandalisé l’opinion
publique. Pourtant en 1939, Francis Poulenc, à la recherche d’un livret d’opéra
depuis déjà quelques années, sera persuadé qu’il tient avec Les Mamelles de
Tirésias « le seul livret d’opéra viable ». Avec l’accord et les conseils de la veuve
d’Apollinaire, il aménage donc la pièce en livret.
Le groupe des Six, la vie parisienne, le music-hall, le cabaret, la foire et le cirque,
l'opérette, Nogent sur Marne, la valse-musette ainsi qu'une prise de conscience
religieuse liée au décès d'un proche, sont autant d'influences sur l'écriture des
Mamelles de Tirésias, auxquelles s'ajoutent le texte surréaliste, la fantaisie et le
lyrisme d'Apollinaire dont Poulenc parle ainsi:
« Le poème de Guillaume Apollinaire pour Les Mamelles de Tirésias [plus
proche en cela de Verlaine], plein d’arrière-plans poétiques, ne tombe jamais
dans un humour à fleur de peau.
C’est ce dont je me suis persuadé, encore hier, en relisant les épreuves de ma
partition. *J’ai d’ailleurs composé cette œuvre avec l’instinct et le cœur bien
plus qu’avec l’intellect. Musiques gaies [et] musiques bouffes ne sont pas
forcément humoristiques.] Il faudra donc chanter, d’un bout à l’autre, les
Mamelles comme du Verdi. Cela ne sera peut-être pas très facile à faire
comprendre aux interprètes, qui s’en tiennent généralement à l’apparence des
choses ».
Francis Poulenc, Journal de mes mélodies, éditions Renaud Machart.