entendaient la première musique, des enfants entre 3 et 16
ans arrivaient en bandes pour nous regarder. De jour en jour,
ils amenaient d’autres copains. A la fin, ils connaissaient le
spectacle par cœur. Ils avaient leurs moments préférés, comme
l’arrivée de Bottom en âne. Le spectacle est devenu plus que
ce qu’il était. Cette expérience m’a bouleversée par rapport à
la question de l’universalité. C’était quand même incroyable
que des gamins du Burkina Faso réagissent comme ça à un
texte écrit en Angleterre à la fin du XVIesiècle. J’ai eu un senti-
ment d’adéquation: cet imaginaire était à sa place. C’est de
l’ordre du mystère, je ne suis pas sûre qu’on puisse le décorti-
quer. Shakespeare n’a quasiment pas
voyagé, mais il y a quelque chose chez
lui qui est de l’ordre de l’infini, qui ne
s’arrête jamais, qui se glisse complète-
ment d’un contexte à l’autre, d’un es-
pace à l’autre, et vient y résonner.»
Bien plus que la tournée mondiale
d’Hamlet, un autre événement organisé
par le Shakespeare’s Globe prouvait, en
2012, l’universalité du grand William:
pendant un mois et demi, le festival
Globe to Globe réunissait 37 pièces ve-
nues des quatre coins du monde et
jouées en 37 langues. Des acteurs maoris
de Nouvelle-Zélande y présentaient un
Toïlus et Cressida nourri de danses guer-
rières haka, le Théâtre national de Chine
venait pour la première fois en Grande-
Bretagne avec un Richard III en man-
darin, le Dhaka Theater jouait sa version
de La Tempête créée au Bangladesh...
«Le monde entier joue la comédie.» Ces mots de Pétrone
étaient inscrits sur le fronton du Théâtre du Globe, celui où
Shakespeare donna ses plus grandes tragédies. A l’heure des
interactions planétaires du XXIesiècle, on peut aujourd’hui
affirmer: «Le monde entier joue Shakespeare.» ◆
Il n’y a pratiquement pas de livres au Burkina Faso. C’est
un pays très poussiéreux, les livres s’y abîment vite. Et Internet
ne résout rien: les connexions ne sont pas suffisantes pour
télécharger des e-books.» Cette méconnaissance n’a pas em-
pêché le succès de son projet: monter Le Songe d’une nuit d’été
avec des acteurs burkinabés et le présenter à Bruxelles puis à
Ouagadougou. «Au départ, les acteurs ont trouvé la lecture
du texte très difficile alors que ce n’est pas la pièce la plus
ardue de Shakespeare, se souvient la metteuse en scène. Ils
la trouvaient obscure. Mais très vite, on s’est rendu compte
qu’il n’y avait pas beaucoup de différence entre leur vécu et
les situations décrites dans la pièce sur le thème de l’amour.
La question de la jalousie, de la propriété, de faire mousser
l’autre... tout ça leur était familier. On a aussi parlé des traditions
liées à la forêt. Au Burkina, la forêt est un lieu d’interdits: on
ne peut pas y chanter, y faire l’amour ou s’y raconter des his-
toires – soit précisément ce qui se passe dans la pièce. Outre
la question de l’amour, Le Songe traite du lien
entre le réel et l’imaginaire. Une thématique
très puissante et ouverte que l’on retrouve dans
la culture locale. Shakespeare est arrivé à fu-
sionner le plus moderne de la rationalité de
son époque avec les récits les plus anciens, les
moins explicables. Il dit des choses extra -
ordinaires sur le passage entre un monde de
la rationalité et un monde de l’irrationalité.»
A la suite d’un travail sur la traduction fran-
çaise, avec des coupes et l’intégration de pro-
positions des acteurs, ce Songe a été monté en
2012 dans le cadre du festival Les Récréâtrales,
sur une scène en plein air dans un quartier po-
pulaire de Ouagadougou. «On a répété pendant
quinze jours sur ce plateau sans protection.
Les palissades ont seulement été montées
le jour de la répétition générale. Dès qu’ils
46 LE VIF • NUMÉRO 18 • 06.05.2016
en couverture
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Isabelle Pousseur, metteuse en scène bruxelloise, et des acteurs
burkinabés répètent Le Songe d’une nuit d’été.
Lors du festival Globe to Globe, en 2012, le Dhaka Theater jouait sa version
de La Tempête créée au Bangladesh.
CICI OLSSON
SIMON KANE
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