Alain Herreman
signifiants (phonologie) et les signifiés (sémantique) que les signes linguistiques mettent en
relation ont chacun été considérés comme des codes fixes et décrits comme tels. En linguistique
générale, Hjelmslev a repris plus systématiquement le point de vue de Saussure et s'est attaché a
expliciter complètement le calcul de la structure d'un langage (Hjelmslev 1975). Le code fixe se
retrouve dans la 'structure profonde' de la grammaire générative qui en fait une composante du
cerveau humain4. Pour Noam Chomsky et ses adeptes c'est même là la seule manière de rendre
compte de notre capacité à produire dès notre plus jeune âge des énoncés linguistiques à la fois
nouveaux, donc en nombre illimité, et grammaticalement corrects.
Ces théories, aussi diverses soient-elles, adoptent ainsi toutes l'hypothèse d'un code fixe. Le fait
est d'autant plus remarquable qu'elles s'opposent sur à peu près tout le reste : la nature de ce code,
ses caractéristiques, les conditions de son étude, la manière dont il est connu, la nécessité et la
manière d'en donner une description. Les descriptions qui en sont effectivement données sont
toutes à peu près aussi partielles et provisoires que le code est supposé fixe.
L'hypothèse d'un code fixe va bien au delà des théories linguistiques et se retrouve notamment
dans les diverses approches structurales adoptées au cours du 20ème siècle aussi bien en sciences
humaines (anthropologie, psychologie, sociologie, histoire, philosophie, etc.), qu'en physique et
en mathématiques (école de Göttingen, Bourbaki, théorie des catégories, etc.), avec là aussi des
réalisations et des statuts très variés.
L'assimilation du langage à un code fixe va souvent de pair avec l'idée que ses constituants sont
des re-présentations ou des substituts d'autres entités5, par exemple que le mot 'chien' représente
l'idée de chien ou encore qu'il y a des marques déterminées du masculin et du féminin, du pluriel
et du singulier qui correspondent à des signifiants eux aussi déterminés dans des associations
elles-mêmes déterminées6. Les signes linguistiques sont alors conçus comme une association fixe
d'une forme et d'un sens, d'un signifiant et d'un signifié, l'un et l'autre aussi fixés7. C'est le cas de
la définition du signe de Saussure8, mais aussi de la conception du langage à l'œuvre chez
Platon9, Aristote10, dans la Genèse, chez Saint Augustin11, Quintilien12, Bacon13, Arnauld14,
Locke15, ou encore Frege16, Wittgenstein17, Katz18, etc. Tous ces auteurs s'opposent sur la nature
des signifiants, des signifiés et sur le fondement de leur association avec là aussi des différences
majeures, mais tous s'accordent sur le fait que les premiers re-présentent les seconds dans un
rapport déterminé, uniforme et préexistant. La fixité du code implique des unités aussi fixées, qui
doivent être associées à une signification elle-même fixée. Cela apparaît nécessaire pour avoir un
langage commun qui permette la communication entre personnes et qui se rapporte directement
ou indirectement au monde. Ce modèle re-présentationnaliste du langage conduit à une
conception uniforme des signifiants et de leurs signifiés : êtres, concepts, idées, sons, images
acoustiques, images graphiques, contenus de jugements, valeurs de vérité, ensembles etc. Cette
double homogénéité doit ensuite être ressaisie et les problèmes qu'elle pose résolus. Ainsi faut-il
avec des signifiants homogènes, par exemple phoniques, rendre compte de leur forme écrite et
expliquer la réduction de l'une à l'autre. De même pour les signifiés. Car s'ils sont dans tous les
cas homogènes, la diversité des théories proposées montre la variété des formes reconnues et il
faut rendre compte de la possibilité de les ramener toutes à celle retenue. Ces choix ont aussi des
conséquences sur les distinctions opérées, par exemple dans les classifications proposées des
systèmes d'écriture. Ainsi Saussure qui opte pour les images acoustiques et les concepts
distingue-t-il les systèmes d'écriture phonétiques et idéographiques19. La conception re-
présentationnaliste présuppose des unités préétablies qui posent de nombreux problèmes. C'est
bien sûr le cas des unités de contenu (concepts, idées, etc.), largement débattues, mais aussi des
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