Jeudi 20 janvier CONFERENCE 41 ART DE L`EXISTENCE 1

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Jeudi 20 janvier
CONFERENCE 41
ART DE L'EXISTENCE
1. SOUCI
Dans Être et temps de Heidegger (1927), le souci est le nom de l’être du Dasein . Le Dasein est la
particularité existentielle, ontologique de l’humain. Seul l’étant humain est là ( da ), existe dans
L'OUVERTURE de l’être. C’est pourquoi l’étant propre au Dasein à l’encontre de l’étant étranger au
Dasein – qui différencie le simplement à portée de main (Zuhandene ) ou le disponible (Vorhandene)
comme la pierre ou la chaise par exemple), le vivant ou le non-vivant (plante ou animaux), l’objet
mathématico-abstrait (Bestand) – par une certaine révélation, par une acception de l’être. Le Dasein est
l’étant, qui pose la question de l’être, la question fondamentale du sens de l’être en général. Il peut faire
ceci parce qu’il est dans-le-monde – au lieu d’être COGITO (res cogitans) ou SUJET. Le monde ne lui fait
pas face tel un objet. C’est originairement dans le monde, cela s’est déjà dépassé dans le monde. (Ce
DEPASSEMENT ORIGINAIRE est condition de possibilité d’objectivation et d’objectivité).
Les trois moments structuraux de l’être-dans-le-monde sont l’existentialité (le projet, Entwurf), la
facticité (le l' être-jeté, Geworfenheit) et la déchéance (l’être-près, Sein-bei). En eux se révèle le sens de
l’être du Dasein, le sens du SOUCI en tant que temporalité (Zeitlichkeit ). Dans le projet se projette le
Dasein dans des possibilités d’être. Le projet est l’extase du FUTUR. Dans l’être jeté, il s’expérimente
comme factuel (nécessairement) donné. L’être jeté est l’extase du PASSE. L’être-prés signifie l’être
“réel” près de “l’étant qu’il rencontre au sein du monde”. C’est l’extase du PRESENT. La structure
unifiante de ces trois moments est le souci.
Le souci est une catégorie structurelle, ontologique c’est-à-dire elle est ontologiquement “plus
tôt” que le souci-de-soi ontique-existentiel : “le souci repose en tant que tout structurel “avant”, de
manière existentielle et a priori, tout, ce qui veut dire toujours déjà dans toutes les “attitudes” et “états”
factuels du Dasein ”. Le Dasein agit sur le mode existentiel du souci d’autrui ( Fürsorge) envers l’autre
Dasein sur le mode de la sollicitude envers l’étant qui n’est pas un Dasein. Le souci d’autrui et la
sollicitude sont existentiels, c’est-à-dire ils sont les structures transcendantales de l’être du Dasein, qui
rendent ainsi possible l’“intersubjectivité” concrète, empirique ou l’interexistentialité ou la coexistentialité
et le “lien des choses”. Heidegger insiste comme toujours sur la différence de l’existentiel-ontologique de
la dimension ontique-existentielle. C’est la DIFFERENCE ONTOLOGIQUE (de L'ETRE et de L'ETANT).
Le paragraphe 42 d’Être et temps cite le 220ème paragraphe des Fabulae d'un
certain Hyginus , ainsi que le dit Heidegger, comme “preuve préontologique de
l’interprétation ontique-existentielle du Dasein en tant que souci ”:
“Lorsqu’une fois, le “souci” traversa un fleuve, il vit de la terre argileuse ; pensif, il en
prit un morceau et commença à lui donner une forme. Tandis qu’il réfléchit
intérieurement à ce qu’il fait, Jupiter apparaît. Le “souci” lui demande de donner un
esprit au morceau d’argile sculpté. Jupiter le lui accorde volontiers. Mais lorsqu’il désire
donner un nom à sa figure, Jupiter le lui interdit et exige que son propre nom lui soit
donné. Tandis que le “souci” etJupiter se disputent sur le nom, la terre (Tellus) s’élève
à son tour et désire que la figure porte son nom puisqu’elle lui a offert un morceau de
son propre corps. Saturne fut nommé juge. Saturne leur dispense la décision
apparemment juste suivante: “Toi, Jupiter, parce que tu as donné l’esprit, tu recevras
son esprit à sa mort. Toi, terre,comme tu as offert le corps, tu recevras son corps. Mais
comme le “souci” a formé en premier cet être, c’est le “souci” qui le possèdera aussi
longtemps qu’il vivra. Mais étant donné que la dispute porte sur son nom, il s’appellera
“homo” qui vient d’humus (terre)” ”
L’homme est un mélange D'ESPRIT et de TERRE, produit et propriété (aussi longtemps qu’il vit)
du souci. Être-humain signifie apparemment, au sens de la fable de cura, posséder quelque chose de
plus que soi-même. L’être de l’humain, pour autant que nous le comprenons comme souci, est ce qui
conduit l’être humain, le tient en haleine, le calme et ainsi le possède. L’être de l’humain est ce qui ôte à
l’humain la possession de soi. En raison de cet être, il paraît que l’humain ne se possède pas lui-même. Il
est l’avoir de son être, en lui il devient étranger à lui-même. Quelle est la distinction ontique du Dasein
dans Être et temps ? La “distinction ontique du Dasein repose dans le fait qu’il est ontologique.” dit
Heidegger.
Le “Dasein est un étant qui n’apparaît pas seulement parmi d’autres étants. Il se distingue
ontiquement beaucoup plus par le fait qu’il ne s’agit pour cet étant dans son être uniquement de son être
même” Le Dasein se différencie des étants n’ayant pas la qualité de Dasein par cette auto-référence
explicite. Le Dasein est ce qui se souci de soi-même comme SUJET ONTOLOGIQUE DU SOUCI, dans
cette mesure, le souci est le nom de l’être du Dasein, de la structure unifiante du projet, du jet et de l’être-
près. En tant que “sujet” de ce souci du souci, le Dasein agit par rapport à lui-même. Le souci de soi (le
souci de soi du Dasein pour son être en tant que souci) est souci pour le souci, et est à la fois – ce qui est
essentiel selon Heidegger – souci pour le sens de l’être en général, la vérité de l’être dans son entier.
Comme nous le savons, ce double souci domine le plan d’ensemble d’Être et temps.
Les deux premières sections de la première partie (et les seuls parus: 1. L’analyse préparatoire
fondamentale du Dasein; 2. Dasein et temporalité) posent la question du SENS DE L'ETRE DU DASEIN,
sur le SENS DU SOUCI : la temporalité. La troisième section (qui n’est pas parue) (3. Temps et être)
aurait demandé le souci pour le souci et à son sens généralement pour le souci du sens de l’être (la
question de l’être même). Cela ne s’est pas produit. Cependant, il est évident que le souci de soi
analytique fondamentale est au service du souci, dirons-nous, ontologique radical du sens de l’être en
général. C’est pourquoi la QUESTION DE L'HUMAIN ou de l’étant humain n’est qu’une question
préparatoire dans la mesure où le souci est l’être des êtres humains qui comprennent l’être, en général
l’endroit-clairière de l’être.
2. METONTOLOGIE
Au cours du cycle Leibniz de conférence, donné au semestre d’été 1928, intitulé Les fondements
métaphysiques de la logique, Heidegger vient à parler de la “question de l’éthique”. L’ontologie
fondamentale, comme elle se développe dans Être et temps n’est pas le tout de la métaphysique. On doit
y adjoindre une METONTOLOGIE. Seule l’unité de l’ontologie fondamentale (qui comprend l’analytique de
l’existence et l’analytique de la temporalité de l’être, la question même de l’être) et la métontologie (que
Heidegger relie également avec la question de “l’étant en tant que tout (des Seienden im Ganzen)”
comme avec la répercussion de l’ontologie sur l’existence – qu’est la métontologie”, aussi avec la région
de la métaphysique de l’existence) livre le concept plein de toute métaphysique possible. L’être a besoin
(braucht) de l’humain, du Dasein, comme de son endroit de son point de chute. Le Dasein est le lieu
auquel advient l’être: “il y a être, quand le Dasein comprend l’être” La compréhension de l’être du Dasein
est condition absolue de possibilité de l’être.
La question du sens de l’être doit privilégier le questionnement sur le sens de l’être du Dasein.
Elle prend son départ au Dasein et doit revenir à lui. Heidegger appelle cela “nécessité intérieure” qui
ramène l’ontologie là d’où elle est partie. C’est la définition qu’Être et temps donne de la philosophie en
tant que tel: “la philosophie est une ontologie universellement phénoménologique, qui part de
l’herméneutique du Dasein, qui, en tant qu’analytique de l’existence, a décidé de la fin de toutes questions
philosophiques d’où elle vient et où elle retombe.” Ce que Foucault nomme les “effets rétroactifs” de la
vérité sur le sujet appartient au même dispositif : la philosophie en tant que souci de soi n’est pas une
forme de connaissance. Elle est une praxis, une “praxisde soi”. Elle est souci de l’être du sujet. Elle est
essentiellement transformative.
Sans se laisser réduire à une anthropologie ou à une ontique prise dans une certaine vision de
monde, l’ontologie fondamentale avec la métontologie doit revenir à L'EXISTENCE CONCRETE.
L’existence, expliquera Heidegger dans la Lettre sur l’humanisme, n’est ni la “réalité de l’ego cogito”, ni
la réalité des sujets agissant avec et pour autrui, et ainsi revenant à elle-même” Elle est la “demeure
extatique dans le voisinage de l’être.”
De ce voisinage, on peut déduire un certain devoir ou une nécessité d’action dans la singularité
possible: “Seulement celui qui comprend l’art de l’existence, qui traite le saisi particulier comme simple
unique dans ses actions et ce faisant est clair sur la finitude de ce faire, lui seulement comprend
l’existence finie et peut espérer accomplir quelque chose. Cet art réel n’est pas la réflexion de soi, n’est
pas une chasse, à laquelle personne ne prend part, pour dénicher les motifs et les complexes avec
lesquels on se procure un calmant et une dispense d’action, mais elle est la seule clarté de l’action même,
la chasse des vraies possibilités.”
Le thème de la métontologie paraît impliquer un certain art de l’existence, comme dit Heidegger,
une théorie de l’action, une sorte d’éthique, qui n’est pas à séparer du problème d’une ontologie générale.
Le Dasein se différencie de manière éthique des autres étants par le fait, qu’il comprend toujours déjà
l’être et crée la possibilité à partir de cette compréhension de l’être, il le reprend explicitement, en un acte,
fonde un fait, concrétise . L’éthicité du Dasein qui comprend l’être, est qualifiée explicitement par
Heidegger de surveillance (Waechterschaft): la “surveillance”,“ ce qui veut dire le souci de l’être.”
Le souci de soi – le Dasein, rappelons-nous, est cet étant, pour lequel il s’agit de cet être dans son être “–
est inséparable du souci ontologique de la vérité de l’être dans son entier: “l’homme, en tant qu’ex-istant,
s’élève en Da-sein, en prenant le Da comme clairière de l’être.”
3. L’EPIMELEIA HEAUTOU
Le souci emmène le sujet aux frontières de ce que la pensée moderne nomme la subjectivité du
sujet. Pour être sujet du souci, le sujet doit mettre en question son statut récent en tant sujet
transcendantal du milieu. Il doit, au contact avec une extériorité radicale, se mettre entre parenthèses
comme signifiant du milieu et signifié d’un ordre transcendantal. Il le fait en conscience du pouvoir de
l’extériorité, qui ébranle le calme du sujet, son équilibre intérieur, “car la force de l’extérieur”, comme dit
Deleuze avec Blanchot, “fait valser et renverse le diagramme ”, et, de cette manière, déstabilise le sujet
comme pouvoir-sujet. Il est appelé par la perte de sa position médiane à l’affirmation de son intranquillité
absolue des “nœuds de totalisation” sans identité, qui dissimule son soi sans visage. Il doit se quitter afin
d’être en lui. Le sujet du souci a véritablement quitté l’espace de la phénoménologie transcendantale et
de la philosophie transcendantale en général, il reste tellement sujet de cette mise entre parenthèses
spécifique, de cet Epoché de la fonction de sens d’une égoÏté transcendantale.
Comme sujet d’une abstention de soi ou de la subjectivité, le sujet du souci accélère vers son
avenir sans identité. Il se sert de la technique (phénoménologique ou non) de l’abstention ou de la mise
entre parenthèse, c’est-à-dire de la neutralisation de sa fonction transcendantale ou cogitale de sens ou
de sujet afin de s’ouvrir à une “culture du soi”, qui est à son tour liée à une technique de la vie (techne
tou biou), de la formation de l’existence et de la TRANSFORMATION DE SOI, dont Foucault découvre
l’origine philosophique explicite dans l’Alcibiade de Platon: “nous avons ici la première, et nous pouvons
dire même, de tous les textes de Platon nous avons ici la seule théorie complète de soi. Nous pouvons le
considérer comme la première grande apparition théorique de l’epimeleia heautou [souci de soi]. On ne
doit vraiment pas perdre des yeux que l’exigence du souci de soi, la praxis – plus exactement : l’ensemble
des pratiques, dans lesquelles le souci même va s’exprimer – que cet ensemble prend racine dans des
pratiques anciennes, des préceptes d’action et des types et des modalités d’expériences, qui – longtemps
avant Platon, longtemps avant Socrate – compose un socle bâti historiquement.”
Au cours des deux premiers siècles après Jésus-Christ de l’histoire de la pensée occidentale, la
culture de soi va atteindre son point d’orgue. Il est caractéristique de cette période“le fait qu’ici L'ART DE
L'EXISTENCEl [...] est dominé par le principe selon lequel on doit “se soucier de soi-même”; ce principe
du souci de soi fonde sa nécessité, guide son développement et organise sa praxis.” La liste des voix
antiques, convoquées par Foucault dans ce contexte, comprend des noms comme celui d’Apuleius,
Epicure, Sénèque, Marc Aurèle, Epictète et Plutarque, entre autres . Foucault a réussi à, “isoler trois
moments, qui me semblent intéressants: le moment socrato-platonique, l’apparition de l’epimeleia
heautou dans la réflexion philosophique; deuxièmement, la période de l’âge d’or de la culture de soi, le
souci de soi-même, qui se serait installé dans les deux premiers siècles chrétiens; et troisièmement, le
passage du 4
ème
au 5ème siècle, c’est-à-dire en gros, le passage de l’ascèse philosophique païenne à
l’ascèse chrétienne.”
Dans l’ombre de l’epimeleia heautou, on peut voir divers motifs et formes de comportement
comme l’ascèse, le respect de soi, se tourner vers soi à des fins thérapeutiques, l’auto-critique et l’autorééducation, l’auto-délivrance de mauvais penchants et habitudes, le soin par la gymnastique et la
purification du corps et de l’âme, la mutation, la conversion du soi, l’auto-formation et la stylisation
formelle de l’existence concrète, l’examen moral et spirituel, l’inspection etc., sans qu’il soit justifié de
reconnaître le souci de soi comme “une exercice dans la solitude” au lieu de l’ouverture en elle de la
sphère de l’autre, la dimension de la langue partagée en des règles sociales, des habitudes politiques et
familiales. Il s’agit effectivement d’“une véritable praxis sociale”. Le SUJET DU SOUCI DE SOI, présenté
comme figure de conseiller, en tant que mentor ou philosophe familier, dont la pensée de soi profite à un
cercle plus grand ou plus intime d’amis, de connaissances ou de seigneurs aristocratiques. C’est un “jeu
entre le souci de soi et l’aide d’autrui” qui permet à la culture de soi d’apparaître en tant
qu’“intensification des relations sociales ”: “le souci de soi apparaît donc lié à un “service des âmes”,
lequel est fondé par la possibilité d’échanges ludiques avec autrui et un système d’engagement
réciproque.”
Le SUJET DU SOUCI est lié avec une praxis thérapeutique. Il évoque la figure hiératique du
PHILOSOPHE MEDECIN, auquel Nietzsche (entre autres) s’identifie : “la philosophie était toujours
comprise comme étant dans une certaine relation avec la médecine [...].Cela est univoque déjà chez
Platon. Cela devient encore plus clair dans la tradition néo-platonicienne [...] et chez les Stoïciens en
particulier depuis Poséidon, cette relation entre la médecine et la philosophie et très évidente – plus
précisément : la praxis philosophique est comprise comme une sorte de praxis médicale Praxis.”
Le souci de soi philosophique et la médecine travaillent à l’amélioration de l’état d’un sujet auquel
on ôte son équilibre en tant que sujet d’une certaine souffrance, d’une passion, d’une folie ou d’un
dérapage physique. Il s’agit de provoquer un dérangement, d’ouvrir le sujet à son être, afin qu’il parvienne
au contrôle, à la LIBERTE, à la RESPONSABILITE, par rapport à lui-même.
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