Le soignant en maison de retraite - Université Nice Sophia Antipolis

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UNIVERSITE NICE SOPHIA-ANTIPOLIS
UFR Lettres,Arts et Sciences Humaines
Pôle Universitaire St Jean d’Angely
Département de Psychologie
Le soignant en maison de retraite :
Une personne globale en situation concrète
D’une unité fonctionnelle à une activité de relation au sein de la continuité
élaborative de la trajectoire Identitaire de la personne
mémoire présenté par :
Aurélien Furlan
en vue de la validation du Master 1 Sciences de l’Homme et de la Société,
mention Psychologie, spécialité Clinique
sous la direction de
Mr Michel Cariou
année universitaire 2007-2008
SOMMAIRE
Introduction ………………….………….……………...……...….………… page 01
Première partie : cadre théorique
I. Panorama du soignant en gérontologie …..………….… page 04
•
a/ Les apports sur la question du soignant en gérontologie (p.04)
-a1/ Le soignant et l’environnement gérontologique
-a2/ La souffrance du soignant
-a3/ Les dysfonctionnements du soignant
•
b/ Critiques de ces apports (p.06)
-b1/ Les aspects positifs de ces apports
-b2/ Les insuffisances de ces apports
II. L’erreur de perspective …..………..………...............……… page 07
•
a/ De l’étude de la personne soignante à la ritournelle des débats
en psychologie (p.08)
•
b/ D’une alternative théorique à l’étude de la personne soignante
dans sa globalité (p.09)
III. La théorie du détour…..……….…..……..………………...… page 10
•
a/ L’enjeu adaptatif (p.11)
•
b/ L’intégration de l’organisme au milieu : de l’élaboration d’un rapport
à l’édification d’une Identité (p.12)
-b1/ Les niveaux d’intégration co-dépendants
-b1.1 : Les points de convergences de ces niveaux d’intégration
-b1.2 : Les points spécifiques de ces niveaux d’intégration
-b2/ Les deux versants de l adaptation de l’organisme au milieu
-b2.1 : L’adaptation sur le versant du développement de l’Identité
- b2.2 : L’adaptation sur le versant de l’activité de relation
IV. Le soignant : une personne globale
en situation concrète ………………………….........…………... page 18
•
a /Le troisième détour de la continuité élaborative de l’Identité de la personne (p.18)
•
b/ Soignant en gérontologie : De l’élaboration d’une activité en tant que soignant, à la
gestion de sa position de Sujet (p.20)
•
c) Soignant en gérontologie : Une activité à la croisée des deux axes de l’évolution de
la trajectoire Identitaire de la personne (p.22)
Problématique et hypothèse.……………………....………..……....… page 24
Deuxième partie : Opérationnalisation, méthodologie & Illustrations cliniques
I. Opérationnalisation…….………..……………….…...…...…… page 25
•
a/ L’activité d’une personne soignante : un mode de participation au milieu
gérontologique (p.25)
•
b/ Hypothèses de travail (p.26)
II. méthodologie …….…..………………………..…...…………… page 27
•
a/ Le contexte & la démarche de notre recherche (p.27)
•
b/ Le cadre et le guide de nos entretiens (p.28)
Troisième partie : Illustrations cliniques
I. Betty « l’on n’est pas des savonnettes » …………………………… page 29
•
a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant »
•
c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante
•
d/ Conclusion
II. Diana « la maltraitance c’est dans les deux sens » ………..……… page 33
•
a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant »
•
c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante
•
d/ Conclusion
III. Sally « Je ne vois pas ce que les autres vous diront de plus» ..… page 36
•
a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant »
•
c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante
•
d/ Conclusion
IV. Propos synthétique sur ces illustrations cliniques……. page 39
Quatrième partie : Discussion & critiques
I. Discussion & ouvertures …………………..….……………… page 40
•
a/ Un regard d’analyse et de synthèse de notre travail (p.40)
•
b/ Ouvertures sur des pistes de recherches (p.41)
•
c/ Suggestions pour une pratique du psychologue en institution auprès des
personnes soignantes en gérontologie (p.41)
II. Critiques..……………………………………………………..…… page 43
Conclusion ..…………..………………………..…..….………………..…… page 44
Compléments
Bibliographie…….…………………………………….....……………..…… page 46
Annexes…………….….…………………..…………………..……………… page I
Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement et en premier lieu « Miss
Printemps » pour son soutien, sa patience et ses précieuses critiques dans le
cadre de ce travail, dont la réalisation quelque part lui en revient. Je remercie
aussi le plus provençial des artistes parisiens pour son soutien à répétition
malgré la distance qui nous sépare.
********
Je remercie Mr. Cariou pour l’intérêt qu’il a porté à ce travail, son suivi de
mémoire plus que régulier et ses éclairages (théoriques et cliniques) un peu
déboussolants sur l’instant, mais qui se sont toujours révélés nécessaires et
enrichissants dans l’après-coup.
********
Je tiens aussi à remercier ma seconde garante de stage Florence qui par son
expérience et son regard de professionnel fut pour moi une source d’inspiration
et une écoute enrichissante dans l’élaboration de ce travail et de ma pratique.
********
Je remercie aussi les personnes qui m’entourent ou que j’ai pu rencontrer, qui
au gré d’une conversation, d’un échange, commentaire ou encouragement
m’ont permis quelque part d’élaborer et d’aboutir à la dernière page de ce
travail aux multiples difficultés et enjeux.
********
Enfin et surtout je remercie toutes les personnes soignantes qui ont accepté de
me consacrer un peu de leur temps pour me permettre d’élaborer ma réflexion
théoriquement et cliniquement. Cela, tout en me renforçant dans l’envie de
travail auprès d’elles, qui sont à coup sûr bien plus que de simple « laveuses de
culs ».
Introduction
Introduction
C’est en grande partie dans l’immersion de nos stages que s’est construite l’idée d’entreprendre un
travail de recherche sur les personnes soignantes en gérontologie. Au détour d’un couloir, il nous
arrivait de les entendre crier, soupirer ou rire aux éclats « ça fait du bien, c’est pas toujours
drôle », ou bien encore, d’être présent lors de réunions de transmissions où chacune y allait de
son commentaire entre deux informations de soin « Moi j’y vais plus je supporte plus de la voir
comme ça, elle souffre cette pauvre femme, elle souffre merde ! », « Faut qu’elle arrête Mme G.,
si c’est comme ça, moi je fais juste mon boulot et rien d’autre », « trois décès depuis que je suis
arrivée, qu’est-ce qu’elles vont penser de moi les familles après ».
Si les personnes âgées sont l’épicentre de l’activité des institutions gérontologiques « le résident
avant tout »•, cette prise en charge prend forme et est réalisée par les personnes soignantes qui
sont d’une certaine manière, toutes autant impliquées dans l’acte de soin que les personnes âgées
qui en bénéficient. Comme nous l’évoquait une soignante en référence à sa pratique « la
maltraitance c’est parfois dans les deux sens ». Parallèlement, nos lectures sur le soignant et le
travail en gérontologie, nous ont permis d’enrichir ce que nous avions observé. Au regard de tout
cela et de bien d’autres choses, il nous est apparu progressivement absurde d’envisager une
pratique en tant que psychologue en gérontologie sans tendre l’oreille, s’attarder ou s’intéresser
aux personnes qui travaillent et appliquent les soins aux personnes âgées : « on ne peut pas œuvrer
au bien-être des personnes âgées sans se préoccuper du bien-être des soignants »1. Aussi le
mémoire nous est apparu comme un moment opportun pour développer une réflexion sur la
personne soignante en gérontologie, qui par la suite serait susceptible d’être un support utile dans
l’élaboration et la réflexion de notre future pratique.
********
« De toute façon le soignant c’est pas compliqué, on nous l’apprend comme ça à l’école. Le
soignant c’est trois savoirs : le savoir théorique, le savoir faire et le savoir être ». Alors que le
savoir théorique et le savoir faire renvoient respectivement à la dimension fonctionnelle de leur
activité, le troisième savoir pose la question de : qu’est-ce que le savoir être du soignant ?
Comment les apports et les outils conceptuels en psychologie peuvent nous permettre de saisir,
d’entendre quelque chose de l’être soignant en gérontologie?
Ce savoir être soignant n’est pas invariable. Dans le cadre de la maison de retraite, il peut revêtir
un sens différent selon la place qu’occupe celui qui le pense et le vit. Ainsi qu’il s’agisse de
l’institution gérontologique, d’une personne âgée, d’un membre de famille d’un résident ou d’un
soignant lui-même ; l’idée du savoir être soignant est différente. Pour l’institution, le soignant se
propos tenu par diverses personnes soignantes en gérontologie
•
propos tenu par la direction d’un établissement gérontologique
1
BADEY-ROUDRIGUEZ C (2004), la personne âgée en institution , vie
ou survie,pour une dynamique de changement, édition Seli Arslan, p 143
1
Introduction
résume essentiellement à une fonction•, un rôle à tenir au sein d’une équipe engagée dans une
démarche de prise en charge de la personne âgée. Aux yeux des familles, le soignant apparaît
comme le médiateur, l’intermédiaire du bien-être du parent résident où l’action du soignant est
perçue comme partenaire ou étayage déculpabilisant. Aux yeux d’une personne âgée, la perception
du savoir être soignant s’accorde avec la manière dont le résident investit la maison de retraite.
Cela peut s’échelonner d’une perception purement instrumentale :« ils sont là pour nous servir, je
paie tout de même »2, à un rapport plus affectif :« c’est comme une seconde famille»3.
Ces trois circonstances, rencontrées au gré de nos stages, nous illustrent que la représentation du
savoir être soignant dépend des attentes que chacun attribue à cet être en blouse blanche. C’est
une chose d’ailleurs, à laquelle nous n’avons pas échappée nous-même au début, en nourrissant et
baignant nos avis sur le soignant et sa pratique d’a priori et jugements dénonciateurs. L’évocation
de ces variations au vu du soignant montre aussi que celui-ci « est un acteur agressé pour ce qu’il
représente, et pris au piège en fonction de ce qu’il est »4. Car, au-delà d’un rôle prédéfini, d’un
coupable désigné ou d’un substitut relationnel, l’activité du soignant est une réalisation partielle et
spécifique d’une personne inscrite dans l’évolution de sa trajectoire Identitaire.
Ainsi, préalablement à l’étude des problèmes et formes de pratiques ou réactions que peut générer
ou rencontrer le soignant au sein de sa pratique, faut-il encore se demander quel sens prend cette
activité pour lui-même. Comment celle-ci se construit, s’inscrit et participe à l’intégrité de sa
continuité Identitaire.
C’est autour de ce point, dans cette perspective que nous élaborerons ce présent travail de
recherche au sujet de la personne soignante en gérontologie. Nous partirons des apports existants
sur la question du soignant pour ensuite, dessiner les contours d’une « ligne de mire »
épistémologique autour de laquelle avec les outils conceptuels de la dialectique du détour, nous
construirons théoriquement et chercherons à illustrer cliniquement l’idée que le soignant en
gérontologie est avant tout une personne globale en situation concrète.
********
La quarantaine de pages qui suivent cette introduction et qui nous font entrer dans le vif du sujet,
se découpe en trois parties:le cadrage théorique; les illustrations cliniques; la discussion et critique.
Notre cadrage théorique se décompose en quatre temps. Dans le premier « le panorama du
soignant en gérontologie », nous explorerons les divers apports sur le soignant, en mettant en
évidence les traits sous lesquels, différents auteurs ont appuyé, pour selon nous aboutir à une
représentation caricaturale et incomplète de la personne soignante en gérontologie.
Dans le second temps intitulé « l’erreur de perspective », nous tenterons de montrer en quoi,
l’épistémologie actuelle de la connaissance en psychologie participe à ce morcellement, cette
•
voir annexe : fiche de poste d’un soignant
propos de résidentes lors d’entretiens
PLOTON.L , (2003) ; la personne âgée et son accompagnement et la question de la démence sénile, édition chroniques sociales , collection comprendre, p 24
2,25
4
2
Introduction
caricature de l’étude de la personne soignante. Où, en cherchant à explorer le cadre et représenter
tous ses aspects sur le premier plan, l’ambition d’une connaissance globale de la personne
soignante s’apparente plus à une peinture du cubisme dont la cohérence de l’objet observé est
destituée au bénéfice de la visibilité de tous les angles et dimensions de l’objet sur un même plan.
Dans le troisième temps théorique, nous développerons l’alternative conceptuelle répondant à une
perspective d’étude globale et cohérente « la théorie du détour ». Nous exposerons son principe et
ses fondements dynamiques sur l’élaboration et l’évolution du psychisme humain au sein du
milieu social, où entre les lignes des paragraphes nous espérerons véhiculer l’idée qu’exprime une
des gravures d’Escher selon laquelle: c’est en dessinant que l’on se dessine.
Enfin, c’est dans le quatrième temps « le soignant : une personne globale en situation concrète »
que nous donnerons sens à nos trois précédentes étapes théoriques. Nous y proposerons une
conceptualisation de la personne soignante en gérontologie selon la dialectique de l’évolution du
psychisme énoncée par la théorie du détour. Cela nous permettra d’aboutir théoriquement à l’idée
que la personne soignante et à fortiori l’activité de soin qu’elle élabore et exerce (ses pratiques, ses
difficultés), est relative à l’intégration particulière de cette activité au sein de sa trajectoire et
continuité Identitaire. C’est une approche de la personne soignante que nous nous plaisons avec
fantaisie à comparer à l’art de la photographie. C’est-à-dire la captation d’une personne à un temps
et un espace donnés de sa dynamique évolutive, de sa trajectoire de vie.
Si nos quatre temps, nous aurons permis d’énoncer théoriquement que toute personne n’intègre pas
la fonction de soignant de façon identique et, à fortiori, n’exerce pas son activité de la même
manière, il appartient à la clinique de donner consistance et validation à notre construction
hypothético-déductive. Ainsi, nous exposerons trois situations issues de nos entretiens, qui
viendront illustrer nos hypothèses sur l’activité de la personne soignante en gérontologie.
Illustrations cliniques à la suite desquelles, nous nous attarderons pour discuter et poser un regard
critique.
Toutefois, avant d’entamer ce que nous annonçons en amont, nous invitons en guise de prélude, le
lecteur novice sur la profession de soignant en gérontologie à faire un détour par l’annexe 2 & 3,
de manière à situer le contexte et entendre en quoi l’activité de soignant en gérontologie se
caractérise vis-à-vis des autres secteurs où s’exerce la profession de soignant.
, annexes : 2 caractéristique de la profession de soignant en gérontologie ; 3 l’autre « âgé »
3
Cadrage théorique
« La tendance la plus profond e de toute
activité humaine est la marche v ers
l'éq uilibre.»
Jean Piaget
Cadrage théorique
I. Panorama du soignant en
gérontologie
5
La quantité d’écrits sur la question du soignant en gérontologie est modeste. A l’exception, des
livres pédagogiques destinés aux apprentis soignants (sur les aspects techniques, législatifs et
relationnels de leur profession), il n’existe pas à proprement dit, d’ouvrages en psychologie
consacrés à ce sujet. Nous aurions pu étendre le champ de notre revue littéraire. Toutefois,
l’ambition de ces quelques paragraphes n’est pas d’être exhaustif sur tout ce qu’implique la
profession d’aidant, mais de donner un aperçu des quelques approches de celles et ceux qui ont
posé un regard et une pensée sur le soignant en gérontologie. Ainsi, nous pourrons tirer les ficelles
qui introduiront notre perspective et amorceront notre réflexion. Donc, dans un premier temps,
nous aborderons successivement les différents aspects du soignant soulignés par divers auteurs et
professionnels qui ont chacun avec leur pratique et leurs propres outils conceptuels, au gré d’un
article ou d’un chapitre, questionné le soignant en gérontologie. Ensuite, nous soulèverons
synthétiquement les éléments consensuels de ces divers apports, pour enfin, dans un second temps,
procéder à leurs critiques qui suggèreront les prémices de notre réflexion.
A la question « qu’est ce qu’un soignant? » , Y.Gineste et J.Pellission proposent la réponse : « Un
soignant est un professionnel qui prend soin d’une personne (ou d’un groupe de personnes) ayant
des préoccupations ou des problèmes de santé, pour l’aider à l’améliorer, à le maintenir, ou pour
accompagner cette personne jusqu’à la mort. Un professionnel qui ne doit, en aucun cas, détruire
la santé de cette personne »6. Cette définition a le mérite d’insuffler l’éthique et de cadrer le
champ d’investigation du soignant. Autrement dit, cette description délimite le rôle du soignant.
Cependant ,au-delà des tâches de soin et du respect de l’autre dépendant, qui est de rigueur dans le
secteur (charte de la personne âgée), qu’en est-t-il de la personne qui incarne ce soignant?
A) Les apports sur la question du soignant en gérontologie
La personne qui exerce ce rôle de soignant laisse entrevoir le bout de son nez au travers des
souffrances qu’elle éprouve et des dysfonctionnements qu’elle génère vis-à-vis d’elle-même ou
envers l’autre dépendant, dans un milieu gérontologique généralement considéré comme
pénible et ingrat. C’est au travers des ces trois aspects, exposés ci-dessous, que nous avons pu
remarquer que gravitent les différents travaux parcourus, qui se sont intéressés à la condition de
la personne soignante en gérontologie.
a1) Le soignant et l’environnement gérontologique :
L’environnement gérontologique est décrié comme un milieu hostile et propice à toutes les
difficultés pour le soignant. L’exercice de sa profession l’expose à une atmosphère
quotidienne pesante, qui est alimentée par : « l’impact émotionnel du soin »7 ; l’organisation
5
6
7
Caricature du soignant en gérontologie réalisée par N.Alberti (2008)
GINESTE Y, PELLISSIER J ; (2007) , l’humanitude, comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux, édition Armand Colin , coll. sociétales , p 194
MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition , p 278
4
Cadrage théorique
institutionnelle dont « l’objectif est centré davantage sur les actes et les résultats immédiats
»8 ; et la piètre reconnaissance sociale que véhicule ce métier qui « est moins gratifiant et
suscite moins de prestige que dans des secteurs d’activité spécialisée comme la chirurgie ou
la réanimation »9. En ce sens, l’environnement gérontologique s’apparente davantage à un
étau qui malmène la personne soignante, qu’à un espace favorable à l’expression et la
valorisation de celle-ci. Dans la continuité de ce propos, nous pouvons relever l’emploi à
répétition du terme de confrontation par L.Ploton, renforçant ainsi cette idée que ce
contexte constitue une épreuve, un générateur de conflits et de souffrances pour le soignant.
a2) La souffrance du soignant :
Dans le premier chapitre de son ouvrage la personne âgée•, L.Ploton s’attelle à énumérer et
développer les différents registres de la souffrance du soignant. Selon lui, elle émerge de
« la discordance entre son idéal et les obligations de sa pratique »10, dans un contexte où on
lui donne paradoxalement à soigner des incurables. Cette souffrance trouve aussi sa source
dans le rapport à l’autre dépendant, où se développe selon l’auteur « l’équivalent d’une
relation parent-enfant »11, opérant ainsi un renversement qui met le soignant en position
angoissante de satisfaire le réceptacle de ses pulsions archaïques. Globalement, L.Ploton
localise les germes de cette souffrance dans la tension émotionnelle et l’omniprésence de
l’idée de mort, « une relation à trois »12 où chaque soignant doit entreprendre avec ses
propres moyens de cohabiter de la manière « la moins inconfortable possible avec les images
de mort qui interfèrent dans la particularité de sa pratique »13.
a3) Les dysfonctionnements du soignant :
Lorsque l’inconfort, la souffrance atteint un seuil critique propre à chaque soignant, cela
peut prendre des proportions plus importantes et plus contraignantes (pour la personne et
l’institution). Des comportements inadaptés pouvant aller jusqu’à de la maltraitance, ou bien
encore, prendre la forme d’un ensemble de signes laissant entrevoir un syndrome
d’épuisement professionnel chez le soignant. La première éventualité reste ambiguë (pas de
définition unanime) et discrète, elle est parfois passée sous silence et plus communément
suggérée que dénoncée. Le terme de maltraitance est souvent évoqué hâtivement sans réel
fondement « ça fait plusieurs fois qu’elle oublie, c’est de la maltraitance, elle en a rien à
foutre »14, et peine à basculer du statut de phénomène observé à celui de notion
conceptualisée. La seconde éventualité est la reconnaissance d’un mal-être singulier au
travail, par le biais de la détection de signes systématiques et standardisés. Cette pathologie
du travail concerne tout type de soignant et se caractérise par l’envahissement du mal-être
sur la vie, en dehors du travail : « J’en venais à pleurer dans le parking avant d’aller au
8
BADEY-RODRIGUEZ C ; (1997) , les personnes âgées en institution, vie ou survie, pour une dynamique de changement , édition Seli Arlan, p 143
ibid p142
titre complet de l’ouvrage de L.Ploton la personne âgée : son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence
10
PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p 12
11
ibid p 13
12
ibid p 14
13
ibid p 15
14 11
, propos d’une soignante sur notre lieu de stage
9
•
5
Cadrage théorique
boulot. (…) J’en rêvais la nuit, ça me bouffait, c’était impossible j’en pouvais plus »15.
L’étude de ces dysfonctionnements s’articule globalement autour, de l’exaspération du poids
institutionnel et de l’instabilité émotionnelle de la personne soignante.
La plupart des écrits sur le soignant explorent plus ou moins l’un de ces aspects pour entre
apercevoir la personne au delà de la tâche qu’elle réalise. Toutefois, ils semblent s’accorder sur
l’observation du « supposé blindage de l’habitude»16, et des mécanismes de défense où « le
soignant veille à garder la maîtrise de l’interaction »17, autrement dit, la réactivité plus ou
moins appropriée du soignant dans le contexte gérontologique. Fort de ce constat, ces écrits
tendent vers une même réponse, celle de la nécessité de faire évoluer les pratiques du soignant
en gérontologie. Cela est entrepris au travers de l’accroissement de ses aptitudes (formations),
d’aménagements institutionnels (organisation temps, protocole, matériel) et la prise en compte
de sa difficulté émotionnelle face à l’autre âgé dépendant (espace de parole).
B) Critiques sur ces apports
Notre critique avec un « s », n’est pas annonciatrice d’un amas de points négatifs localisés par
notre regard, mais suggère deux temps distincts. En premier lieu, nous tenons à mettre en
évidence les aspects positifs de ces apports, pour ensuite mettre en lumière leurs insuffisances.
b1) Les aspects positifs de ces apports :
Le premier trait positif de ces écrits tient tout simplement à leur existence. En effet, aux
antipodes d’un élément négligeable, le soignant est l’acteur le plus présent qui partage la plus
grande proximité avec les personnes âgées au sein de l’institution. Ainsi, il apparaît
impensable de faire l’économie d’une considération du soignant lorsque l’on s’intéresse à
ce secteur. Le second point positif est en faveur de leurs observations et constructions
théoriques au sujet du soignant, qui mettent en évidence l’aspect difficile et conflictuel que,
peut revêtir l’activité de soin au sein du contexte gérontologique. Enfin, ces auteurs, qui ont
pensé le soignant, relèvent et explorent les différents champs (la représentation sociale,
l’organisation, la relation d’aide) et dimensions (tension émotionnelle, l’idée de mort,
l’idéologie de soin) qui caractérisent ce contexte et à fortiori accable la personne soignante.
Unanimement, chacun de ces écrits a le mérite de suggérer l’idée qu’« on ne peut œuvrer au
bien-être des personnes âgées sans se préoccuper du bien-être des soignants »18.
b2) les insuffisances de ces apports :
Cependant, nous émettons plusieurs réserves à l’égard de ces mêmes apports, qui malgré
leurs richesses, montrent une certaine insuffisance, un point aveugle dans leur approche de la
personne soignante en gérontologie. Globalement, nous avons le sentiment que la personne
soignante est majoritairement abordée sur le versant de la difficulté. « L’on ne parle jamais
16
17
18
PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p11
MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition , p 214
BADEY-RODRIGUEZ C ; (1997) , les personnes âgées en institution, vie ou survie, pour une dynamique de changement , édition Seli Arlan, p 146
6
Cadrage théorique
des trains qui arrivent à l’heure… »19. En ce sens, qu’aucun texte (que nous avons consulté)
ne développe un apport, une connaissance du soignant sur le versant d’une activité positive
et adaptée. N’y aurait-il que des soignants en difficulté en gérontologie ?
Il nous apparaît aussi que ces différents écrits étudient davantage les conditions et
conséquences des pratiques gérontologiques sous l’effigie du soignant. Paradoxalement,
nous avons l’impression d’en apprendre plus sur ce contexte que sur la personne soignante
elle-même. Cela laisserait-il entendre que la personne soignante n’aurait de consistance que
par le biais de ce milieu que l’on décrit et décortique? C’est juste en un sens mais incomplet,
dans la mesure où le milieu gérontologique n’a de consistance qu’au travers du soignant qui
le vit et le perçoit. Certains apports prennent la mesure de ces processus individuels de la
personne soignante, mais nous trouvons qu’ils n’abordent qu’un quartier du soignant.
En définitive, ces différents apports s’accordent plus ou moins, à l’idée que « l’absence de
ressources et le désarroi des soignants expliquent ces attitudes »20 car « travailler en gériatrie
équivaut souvent à un véritable parachutage psycho-affectif (…) une opération survie »21. Mais
pouvons-nous aspirer à une connaissance du soignant en n’explorant que le versant des difficultés?
Parlons-nous de celui-ci, lorsque nous ne relevons que les conditions du contexte gérontologique?
S’agit-il de la personne soignante, lorsque nous ne considérons que sa perception, son éprouvé, son
comportement de soignant? Où n’y a-t-il pas tout simplement dans l’étude de la personne
soignante en gérontologie, une erreur de perspective22.
II. L’erreur de perspective
23
Nous introduirons notre propos avec une énigme géométrique24, où il vous faut relier neuf points
avec seulement quatre traits sans lever votre crayon :
L’énigme La solution Communément les gens, auxquels nous avons pu soumettre ce petit jeu, limitent leur recherche du
tracé au champ formé par les neuf points. En se cantonnant au carré pour trouver la solution, il
subsiste toujours un point non relié. L’énigme reste complète. Pourtant, lorsque nous donnons la
réponse, celle-ci apparaît comme une évidence : « putain, c’est tout con en fait »25, « ben ouais,
évidemment »26. La résolution de cette devinette réside dans la nécessité de sortir du cadre
apparent pour prendre en compte le hors champ, et ainsi, résoudre l’énigme sans isolé un point ou
déroger à la consigne.
19
propos émit par une psychologue lors d’un échange autour d’un article sur la maltraitance en maison de retraite.
PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition, p 22
ibide p 22
22
CARIOU M (1998) , La démence comme expression de la singularité de l’être humain, Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale N °20
23
tableau de Pablo Picasso
24
Source extraite du site internet : http://vulgum.org/spip.php?article756
25 3
, Propos tenu par des personnes interrogées et en échec sur cette énigme
20
21
7
Cadrage théorique
Recadré dans notre réflexion clinique, ce casse-tête géométrique nous enseigne que lorsque nous
questionnons une situation concrète, il nous faut être vigilant dans notre choix de perspective.
Cette énigme nous démontre, à sa manière, que « la dynamique des processus devait être déduite
non d’éléments isolés de la perception, mais de sa structure totale »27. Autrement dit, nous devons
considérer la situation dans une perspective globale où « l’effort de connaissance ne doit pas se
faire à partir des cloisonnements apparents du réel […], mais doit s’effectuer dans la prise en
compte de la situation globale avec ses modalités diverses, ses transformations et l’ensemble des
rapports dynamiques qui s’établissent entre ses parties »28. Or, les différents apports sur le
soignant nous apparaissent comme autant de tentatives d’aborder la question d’un point de
perspective erroné, reflet de la stagnation des bases épistémologiques en psychologie. C’est ce que
nous développerons succinctement ci-dessous, pour ensuite introduire une alternative conceptuelle
qui permette d’aborder la personne soignante dans sa globalité.
A) De l’étude de la personne soignante à la ritournelle des débats en
psychologie
Jusqu’à présent, l’étude de la personne soignante s’est construite à partir des différentes
modalités sous lesquelles celle-ci pouvait être saisie. Des compétences d’apprentissage, aux
implications affectives, en passant par les rapports conflictuels du soignant face au contexte
gérontologique, « chacun assigne finalement un certain contenu à la notion de facteur humain
»29 sur cette question du soignant en gérontologie. Qu’il s’agisse du sujet de l’inconscient, de
l’homme comme système autonome de traitement de l’information, ou bien encore de l’individu
social, la finalité reste la même. L’étude de la personne soignante en gérontologie n’est qu’un
exemple parmi d’autres (l’autiste, l’addicte…) où s’étayent des conceptions syncrétiques du
fonctionnement psychologique, qui ne font que «flatter la tendance artificialiste par laquelle
l’homme projette dans la nature l’image qu’il se fait de sa propre activité constructive»30.
Or, sous son comportement apparent, le soignant est bien plus qu’un professionnel dont les
compétences et la sensibilité interagissent dans un contexte donné. La personne soignante
demeure avant tout « une vie humaine [qui] s’inscrit dans la durée, [et] se présente comme une
histoire personnelle »31 où celle-ci « ne peut être étudiée indépendamment de l’ensemble de ses
conditions d’existences »32.
C’est sur ce point que réside l’erreur de perspective dans l’étude du soignant. Cela change
l’équation et étend le champ que nous devons considérer. A contre-courant, des conceptions
réductionnistes dont « l’idée occulte la réalité qu’elle a mission de traduire et se prend pour
seul réel »33, l’enjeu d’une perspective globale consiste à ne pas masquer la complexité de la
situation qui se présente à nos yeux. Nous ne cherchons pas à en déduire que les différentes
27
28
29
30
31
32
33
LEWIN K (1964) , psychologie dynamique,les relations humaines, édition PUF, 2 ème édition , p 61-62
CARIOU M (1992) ,la vieillesse :un temps d’élaboration pour un ultime détour, revue clinique méditerranéennes n°35-36, édition érès , p 134
DEJOURS C (2005) , le facteur humains, édition PUF, coll. Que sais-je ?, 4 ème édition , p 5
WALLON H (1963) ,l’organique et le social chez l’homme, revue enfance n° spé Henri Wallon : buts et méthodes de la psychologie, p 60
CARIOU M (1982) ,psychologie et viellissement , cahiers de la méditerrannée n°24-25, p 155
CARIOU M (1992) ,la vieillesse :un temps d’élaboration pour un ultime détour, revue clinique méditerranéennes n°35-36, édition érès , p 134
MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 23
8
Cadrage théorique
contributions, au sujet du soignant en gérontologie, soient caduques. Mais dans une certaine
mesure, nous pensons qu’elles sont tronquées, car leur « cause profonde d’erreur n’est pas dans
l’erreur de fait (fausse perception) ou l’erreur logique (incohérence), mais dans le mode
d’organisation de notre savoir en système d’idée (théorie, idéologie) »34.
En définitif, cela nous renvoie irrémédiablement à la ritournelle des débats sur l’objet d’étude
en psychologie (voir même de propriété, au vu du climat actuel). L’état du paysage en
psychologie, nous confronte à l’équation impossible et paradoxale d’adopter une perspective
globale avec des outils conceptuels qui expriment « l’atomisation de l’homme »35. Soit, il nous
faut faire le choix d’un aspect (cognitif, affectif ou social) arbitrairement considéré comme
essentiel ; soit, nous pouvons donner l’illusion d’une globalité considérée, en
regroupant les apports explorant les différentes modalités de la situation. Mais
cela reste encore une forme fragmentée de l’objet d’étude, car comme peut
l’évoquer l’image36 « la totalité est différente de la somme de ses unités »37.
B) D’une alternative théorique à une étude de la personne soignante
dans sa globalité
Dans l’ambition d’une perspective globale de la situation, il nous faut faire le choix d’un
modèle autre que ceux classiquement proposés. Une théorie permettant de considérer la
personne dans sa globalité (des modalités, situations et temps qui la composent), tout en
préservant et mettant en évidence sa spécificité, sa relativité. C’est ce que propose la théorie du
détour. Elle s’attelle au travers de lois générales de développement et de fonctionnement, à
l’étude du « système de correspondances, d’inter-relation, entre un organisme vivant, disposant
d’un certain nombre de compétences lui permettant de se
maintenir en vie, et un milieu, contenant incontournable de cette
vie, et qui a des propriétés plus ou moins stables »38. En d’autre
terme, elle s’intéresse au rapport de réciprocité où « le social capte
le physiologique pour en faire du psychique »39.
Là où la théorie du détour relève le défi de la complexité, d’autres modèles oeuvrent à une
complexification ou simplification de la situation. Ce modèle conceptuel ne plébiscite pas l’un
des aspects (cognitif, affectif ou social) du rapport entre l’organisme et le milieu. Mais, il
cherche à mettre en évidence sous l’angle de l’individuation, les principes et lois fondamentales
qui régissent la construction évolutive et spécifique de la dimension psychologique de chaque
organisme humain. Nous pouvons imager cette
pensée par l’une des gravures sous le thème de
« la métamorphose »40 de M.C. Escher41 :
34
MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 16
CHABRIER L (2001) ,à propos de la révolution épistémologique dans les disciplines à vocation scientifique , support de cours de licence 3 de psychologie, p 7
Source extraite du site internet : http://www.friends.org.uk/events/illusions/illusions.htm
37
CARIOU M (2005) , extrait du cours de licence 3 de psychologie intitulé « épistémologie et cycle de vie »
38
CARIOU M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III , p 248
39
ZAZZO R (1979) ,psychologie et marxisme , la vie et l’œuvre d’Henri Wallon, édition Denoël/Gonthier, coll. médiations , p 38
40
Source extraite du site internet : http://britton.disted.camosun.bc.ca/metamorphose.html
35
36
9
Cadrage théorique
Où malgré la complexité apparente de l’extrémité droite de la gravure, celle-ci n’est l’œuvre
que d’une continuité élaborative d’une trajectoire, autour de la variation et l’évolution d’un
nombre restreint de traits. Dans cette perspective, « toute problématique psychologique
authentique doit pouvoir définir ses articulations avec les processus de personnalisation par
lesquels s’élabore, se maintient et se transforme l’identité de chacun de nous »42.
Nous conclurons ce paragraphe de l’erreur de perspective comme nous l’avons commencé, autour
d’une métaphore, qui là, ne s’appuie pas sur la géométrie mais sur la musique. La musique ne
s’explique pas au travers des instruments ou styles de partitions qui peuvent l’exprimer. Mais elle
se définit, s’étudie à partir d’éléments premiers (les notes, la portée …) qui s’articulent
réciproquement autour des règles du solfège. En ce sens que les partitions ne sont qu’une
déclinaison de styles qui se subdivisent en diverses catégories (la musique classique) ou souscatégories (le baroque, le romantisme…) de la musique. Et les instruments ne sont que la mise en
forme d’une tonalité particulière de la musique. Ainsi, partitions et instruments n’expriment qu’en
partie ce qu’elle est. Aussi, il semble donc incongru d’envisager l’explication de la musique à
partir de ces derniers.
En écho, la connaissance en psychologie, et à fortiori toutes les situations qu’elle explore (par
exemple le soignant en gérontologie), doit cesser de consister à former des partitions
(psychologie : cognitive, développementale, sociale, clinique) ou à explorer particulièrement l’une
des tonalités du psychisme humain (processus affectif, processus d’apprentissage …). Bien au
contraire, comme la musique, la psychologie doit s’efforcer de construire son solfège. Cela passe
par la définition de son objet d’étude (l’individu global en situation) et de ce qui le constitue et/ou
permet de l’appréhender (les lois générales). Ainsi ,de notre point de vue et de notre choix de
perspective, il nous apparaît que la théorie du détour peut être à la psychologie, ce que le solfège
est à la musique. Un modèle théorique qui permet aux différents apports sur le psychisme de
s’accorder autour d’une même composition.
III. La théorie du détour
43
C’est la plupart du temps, tout simplement dans les faits divers de notre époque que nous trouvons
matière à illustrer ce que nous cherchons assidûment à exprimer. Dernièrement, l’actualité nous
faisait part d’une mésaventure dans le domaine des bio-technologies. En 2001, aux Etats-Unis
furent plantées des semences de coton dont on avait modifié le gène, afin de le rendre résistant aux
attaques intempestives d’un petit insecte. Or, sept ans après, les « savants agricoles » furent surpris
de découvrir que l’insecte en question fit sa réapparition dans les cultures. Celui-ci, plus résistant
aux contre-attaques chimiques, recommençait à proliférer et à ravager les champs de coton
transgéniques. Cet événement laisse à penser que les scientifiques ont tout simplement sous41
Maurits Cornelis Escher (17 juin 1898 - 27 mars 1972)artiste néerlandais, connu pour ses gravures sur bois, lithographies et mezzotintos, qui représentent des constructions impossibles, l'exploration de l'infini, et des combinaisons de
motifs qui se transforment graduellement en des formes totalement différentes
CARIOU M (1982) ,psychologie et viellissement , cahiers de la méditerrannée n°24-25, p 155
Lithographie de 1948 par M.C Escher
42
43
10
Cadrage théorique
estimé, pour ne pas dire occulté, la formidable capacité imputable à toutes espèces de s’adapter au
milieu. Publié dans l’édition du quotidien le Monde datant du neuf février 2008, ce fait nous
évoque que l’adaptation n’est pas un état, mais un processus actif qui s’opère par l’intégration du
milieu par l’organisme qui y sélectionne, intègre et intériorise les éléments nécessaires à sa survie.
La théorie du détour conçoit le fonctionnement psychologique comme l’une des dimensions de
l’organisme qui participe à sa survie. Cela suggère que « toute conduite humaine est donc
finalisée, au-delà des motifs qu’elle se donne consciemment, par ce mouvement général de la
vie »44 qu’est l’adaptation. Commun à toute entité vivante, suivant son environnement et ses
possibilités de l’appréhender, cet enjeu vital signe sa particularité chez l’espèce humaine.
L’homme de par sa progressive maturation biologique post-natale, ses potentialités physiologiques
et ses capacités fonctionnelles qui s’inscrivent et évoluent dans un environnement d’une telle
complexité (milieu social, son langage, ses équivoques); font que son « hominisation ressemble
moins à l’évolution vitale qu’à une production propre […] il s’agit d’un processus
d’autohominisation »45. Un processus, où l’intégrité de l’organisme va de pair avec l’intégrité de
l’idée qu’il se fait de lui : son Identité.
Ainsi, contrairement aux autres espèces, un ensemble d’éléments font que nous relevons
majoritairement d’une élaboration où « nous nous construisons nous-même »46, à l’échelle de
notre trajectoire individuelle (Identité). La théorie du détour, que nous présenterons ci-dessous, est
une conceptualisation de l’adaptation de l’organisme humain à son milieu au niveau de son
fonctionnement psychologique. Un fonctionnement qui résulte d’un processus d’intégration
progressif et perpétuel à partir duquel chacun cristallise et organise son autonomie.
Après un éclaircissement sur ce que recouvre l’enjeu adaptatif dans le cadre du fonctionnement
psychologique (A), notre exposé sur la théorie du détour s’attardera sur les fondements de la
dynamique élaboration et de maintien de l’Identité par l’activité (B). Nous souhaitons ainsi que
chacun de nos propos, évoque comme l’article publié dans le Monde, l’idée que « la vie est, non
pas une substance, mais un phénomène d’auto-éco-organisation extraordinairement complexe qui
produit de l’autonomie »47.
A) L’enjeu adaptatif :
Au regard de notre petite réminiscence journalistique, Il nous apparaît plus juste de parler
d’enjeu adaptatif que d’adaptation à proprement dit. Le milieu où nous évoluons n’étant ni
homogène ni statique, en ce sens que « nous ne pouvons pas ne pas communiquer »48. En
d’autres termes, nous ne pouvons prétendre qu’à un rapport adaptatif qui découle d’un
processus d’élaboration, où chez l’humain « le résultat de l’évolution de l’espèce laisse à
chaque individu, le soin de réaliser, dans l’interaction avec son milieu spécifique, les derniers
44
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 120
SERRES M (2003) , hominescence, édition livre de poche , p 60
SERRES M (2003) , hominescence, édition livre de poche , p 60
voir annexe : l’article paru dans l’édition du monde le 9 février 2008
47
MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 22
48
WATZLAWICK P, BEAVIN J.H, JACKSON D.D (1967) Une logique de la communication, Éd. du Seuil, p 26
45
46
11
Cadrage théorique
détours par lesquels se structure « l’exemplaire de l’espèce » (…) »49. Ce processus qui soustend la réalisation de l’exemplaire de l’espèce admet tacitement trois points dynamiques de ce
rapport, localisés et conceptualisés par la théorie du détour.
Tout d’abord, l’idée que l’adaptation résulte des « réactions commandées par les variations
conjuguées du milieu et de l’être vivant »50. C’est-à-dire que le rapport adaptatif du sujet est le
fruit de la réciprocité spécifique entre son organisme et le milieu : « l’organisme et le milieu ne
sont donc pas dissociables »51. Ensuite, ce processus suggère que tout au long du cycle de vie
l’évolution du rapport adaptatif soit sous-tendu par le degré d’élaboration tant au niveau
structurel qu’au niveau fonctionnel de la personne en activité. Enfin, il évoque aussi
qu’essentiellement « ce qui dirige l’adaptation, ce sont les effets de l’activité sur l’activité ellemême »52. Cela signifiant que le rapport adaptatif de la personne est potentiellement en
perpétuelle remise en question (actualisé).
Par conséquent, l’adaptation nous apparaît comme une notion bien plus active et complexe, que
cette simple idée d’adéquation avec l’environnement ; où la personne tend vers l’adaptation par
la construction et le maintien d’une stabilité (sécurité de base). L’enjeu adaptatif s’apparente
donc à l’élaboration et le maintien d’un rapport de réciprocité spécifique et évolutif entre le
sujet et son milieu. Une correspondance que la personne élabore et cultive en permanence au
gré de ses activités au sein du milieu, où il n’y aurait de désir que celui de s’adapter.
B) L’intégration de l’organisme au milieu : de l’élaboration d’un rapport
à l’édification d’une Identité
figure 1
figure 2
Pour gérer ce rapport adaptatif et édifier une sécurité de base, le sujet va tout au long de son
développement, construire son interface psychologique (son Identité). Au commencement,
celle-ci s’apparente à une « nébuleuse où se diffuserait sans délimitation propre des actions
sensitivo-motrice d’origine endogène et exogène »53. Par la suite, l’élaboration des
automatismes viscéraux ouvrant à l’édification des premiers vecteurs communicationnels par
l’émotion, entre le nourrisson et le milieu humain, permettent dans sa masse de « dessiner un
noyau de condensation, le Moi, mais aussi un satellite, le sous-Moi ou l’Autre »54.
49
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 125
ibid, p 112 (citant H.Wallon)
CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III , p 203
52
WALLON.H, (2003) , l’évolution psychologique de l’enfant , édition Armand Colin, coll. Cursus , 11ème édition , p 69
53 2
, WALLON H (1976) , le rôle de l’autre dans la conscience du moi , revue Enfance N° spécial Wallon , p ….
50
51
12
Cadrage théorique
Ce couple Moi/Autre est le fruit progressif de la relation constante entre l’organisme et le
milieu. Celui-ci s’élabore, se diversifie et s’articule par l’activité que réalise le sujet dans le
milieu, et se façonne selon une dialectique d’intégration – différentiation - restructuration du
rapport adaptatif qu’intériorise la personne (voir figure 1) .
Ci-dessous, nous tenterons de décomposer cette dialectique tant au niveau des composantes
dynamiques que des versants du rapport adaptatif qu’elle implique lors de l’activité du sujet
dans le milieu. Ainsi notre argumentation s’acheminera : des niveaux d’intégration codépendants au deux versants du rapport adaptatif. Car, c’est par l’activité qu’il réalise et les
effets qu’il intègre que le sujet construit et différencie son Identité, assurant ainsi son rapport
adaptatif. Au travers de cette activité, nous pouvons distinguer des niveaux d’intégration codépendants qui permettent d’assurer la continuité et l’intégrité de l’Identité sur un accord
adaptatif à deux échelles.
b1) Les niveaux d’intégration co-dépendants
Nous discernons trois niveaux d’intégration de l’organisme au milieu qui composent la
dynamique d’élaboration et le maintien de l’Identité. Ces trois niveaux sont : l’intégration au
niveau du structurel ; l’intégration au niveau fonctionnel ; l’intégration au niveau émotionnel.
Ces derniers convergent en certains points et signent leurs spécificités sur d’autres.
-b1.1 : Les points de convergences de ces niveaux d’intégration Ces différents niveaux d’intégration obéissent au même mouvement de réciprocité de
l’organisme au milieu (voir figure 2, boucle A). Chacun d’entre eux, à des échelons
différents, s’inscrit dans cette dialectique de différentiation/restructuration de l’organisation
Identitaire, qui entretient ses liens avec le milieu et ses modalités.
Ces niveaux d’intégration partagent aussi la propriété d’être co-dépendants (voir figure 2,
boucle B). En ce sens, que toute activité de l’organisme au sein du milieu implique
simultanément chacun de ces niveaux autour des mêmes invariants de développement et de
fonctionnement que sont la loi d’alternance fonctionnelle, la loi d’intégration fonctionnelle
et la loi de l’effet.
- b1.2 : Les points spécifiques de ces niveaux d’intégration Lors de l’activité, chacun de ces niveaux d’intégration n’implique pas le même champ
spatio-temporel entre l’organisme et le milieu. L’intégration au niveau structurel se
rapporte à l’étape actuelle du cycle de vie de la personne. Elle implique son organisation
Identitaire intériorisée jusqu’à présent au fil des paliers élaboratifs qui se sont succédés.
L’intégration au niveau fonctionnel se rapporte à la situation interactive (l’activité
concrète ; le domaine d’activité). Elle implique les compétences et unités fonctionnelles
élaborées et acquises par la personne au gré de ses relations avec le milieu. L’intégration au
13
Cadrage théorique
niveau émotionnel se rapporte à l’instant vécu. Elle implique l’éprouvé et sa résonance
émotionnelle chez la personne qui le vit.
Ces niveaux d’intégration diffèrent sur un autre point. Si le processus d’intégration au
niveau structurel et fonctionnel s’automatise progressivement dans le temps, l’intégration
au niveau émotionnel s’encre dans l’éprouvé et la perturbation du moment présent.
L’intégration au niveau émotionnel, dont la propriété essentielle réside dans son caractère
contagieux, est antagoniste de l’automatisme.
Notre découpage sous forme de convergences et spécificités ne signifie pas pour autant que
ces niveaux d’intégration soient à terme indépendants les uns des autres. Ces propriétés
communes et particulières, nous révèlent que ces niveaux d’intégrations forment deux
systèmes de participation de l’organisme au milieu, différents mais complémentaires, où
« l’automatisme (structurel et/ou fonctionnel) organisant la vie de relation, son
fonctionnement ne peut qu’être perturbé par l’activation du système antagoniste de
l’émotion »55. Ainsi, cela nous suggère que nous pouvons appréhender la personne en activité
dans un contexte donné, comme un sujet mettant en forme et assurant la continuité de son
intégrité Identitaire de manière concomitante sur deux versants de son rapport adaptatif.
b2) Les deux versants de l’adaptation de l’organisme à son milieu
La considération de la personne comme une entité active de son rapport adaptatif sur
l’ensemble de son cycle de vie, nécessite de garder en tête que les trois niveaux d’intégration
co-dépendants s’inscrivent dans un mouvement adaptatif à deux versants: l’adaptation sur le
versant du développement de l’Identité ; l’adaptation sur le versant de l’activité de relation.
L’activité est à la charnière de ces deux plans du rapport adaptatif. Autrement dit, lorsque le
sujet interagit dans l’environnement, son activité s’inscrit dans un double objectif de son
adaptation. Celui de préserver l’intégrité de la continuité évolutive de son Identité jusque-là
intériorisée, et celui d’assurer l’intégrité de sa personne dans le milieu présent. Ci-dessous,
nous exposerons la dynamique de ces deux versants du rapport adaptatif qui s’articulent
autour d’une activité intégrée et intégrante selon les choix et objectifs de la personne.
-b2.1 : L’adaptation sur le versant du développement de l’Identité A l’échelle du cycle de vie, l’interface psychologique s’élabore progressivement au rythme
de paliers successifs nommés « détour ». Un détour est une période introduite par la
maturation biologique. Cette maturation permet l’émergence d’une nouvelle fonction autour
de laquelle l’organisme doit restructurer son rapport au milieu. Cette réorganisation s’opère
par l’intégration et la hiérarchisation de la fonction émergeante au rapport adaptatif
précédemment entretenu par le sujet. A cette phase centripète s’en suit une phase centrifuge
55
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques, p 133
, voir annexe : schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble du cycle de vie ; schéma du principe de détour
14
Cadrage théorique
où le sujet va au gré de ses choix et de ses interactions dans le milieu social (qui s’ouvre
progressivement à lui dans sa complexité : sa diversité, son abstraction) diversifier et affiner
son rapport adaptatif, jusqu’au prochain détour qui nécessitera de nouveau une
réorganisation de ce rapport.
Il est à préciser que la dynamique de développement ne s’arrête pas. La personne ne peut pas
se retrouver dans un état de fixation à l’un des détours. Cependant, il peut élaborer l’un ou
plusieurs d’entre eux de manière carencés, ce qui se répercute en terme de problématique
d’interiorité/extériorité, autrement dit, l’élaboration d’une activité et d’une stabilité
adaptative de l’individu plus ou moins souple dans le milieu. C’est dans cette dynamique de
continuité élaborative que tout au long de son cycle de vie, la personne dans sa conduite de
détour doit produire, planifier son activité lui permettant de conforter l’intégrité de son
Identité tout en assurant sa position de sujet au sein de ses activités de relation présentes.
- b2.2 : L’adaptation sur le versant de l’activité de relation A l’échelle du quotidien, « l’activité d’un organisme est le moyen par lequel celui-ci
préserve, maintient et améliore l’accord vital qu’il réalise avec son milieu »56. Autrement
dit, la personne doit opérer de manière appropriée et pertinente la mise en forme (plus ou
moins adéquate) de son énergie vitale (généré par le moment vécu) dans le milieu, pour y
assurer sa cohérence et son intégrité Identitaire.
L’énergie vitale gérée par le système nerveux provient de l’activité d’homéostasie du corps
(anabolisme/catabolisme). Cette énergie peut être qualifiée d’énergie psychique dans la
mesure où elle peut être mise en forme par le sujet. Ainsi, le potentiel énergétique, la
structure psychologique et les conditions du milieu constituent la base à partir de laquelle le
sujet génère une activité de relation au sein de l’environnement. Cette activité de relation se
compose de deux modalités de mise en forme de l’énergie vitale : une modalité
émotionnelle et une modalité fonctionnelle.
• La modalité émotionnelle de l’activité de relation :
L’émergence de l’émotion permet l’édification des premiers vecteurs communicationnels
entre le nourrisson et le milieu humain, dont « les émotions sont le lien par lequel nous
nous séparons les uns des autres »57, où « il n’y a pas de sujet indépendant, d’individu
autonome avant le processus affectif qui nous relie »58. Ce « langage avant le langage »59
se développe jusqu’à ce que la maturation et l’évolution de l’activité fonctionnelle,
viennent barrer la progression de cette communication émotionnelle. Paradoxalement cela
signifie que l’émotion permet donc l’émergence de ce qui tendra par la suite à la
camoufler. Toutefois, tout au long du cycle de vie, la propriété essentielle de l’émotion
réside dans son caractère contagieux où « l’émotion a besoin de susciter des réactions
voir annexe : schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de relation
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 121
DUMOUCHEL.P (1999) émotions essai sur le corps et le social, édition institue synthélabo p 100
58
ibid p 100
59
ZAZZO R, (1975) , psychologie et marxisme , la vie et l’œuvre d’Henri Wallon, édition Denoël/Gonthier, coll. Médiations , p 97
56
57
15
Cadrage théorique
similaires ou réciproques chez autrui et, inversement, elle a sur autrui une grande force
de contagion »60. La personne dans son rapport au milieu doit ainsi gérer la résonance
émotionnelle pouvant émaner de ses relations avec les autres. La gestion de cette
contagion, le sujet la réalise en mettant en forme son émotion à partir de ses palettes de
compétences fonctionnelles élaborées et intériorisées tout au long de son développement
et de son rapport avec le milieu en question.
Si l’émotion permet « d’accéder à une certaine conscience impliquant dans l’individu
l’existence des autres »61, ce sont ses unités fonctionnelles qui assurent la mise en forme
de sa participation au milieu et à ses conjonctures. Autrement dit, « l’émotion permet de
d’éprouver son rapport au milieu alors que l’activité fonctionnelle permet de faire son
rapport au milieu »62.
• La modalité fonctionnelle de l’activité de relation :
La nature de la modalité fonctionnelle de l’activité de relation évolue au rythme de la
maturation de l’organisme. L’évolution de cette modalité s’opère tant sur la nature que sur
l’objet auquel elle s’adresse : « Si dans les deux premières années de cette activité est
essentiellement motrice et tournée vers l’appropriation du geste à l’objet externe, avec
l’apparition de la fonction symbolique elle change de nature et s’exerce en direction des
objets internalisée dans le champ de la représentation»63. Ainsi, si au commencement le
sujet s’adapte à l’objet externe, suite au développement de son organisme, celui-ci exerce
une activité dans un champ progressivement plus vaste et plus abstrait (plus complexe)
où il s’adapte à l’objet internalisé, à l’idée qu’il se fait de cet objet externe.
Conjointement à son développement physiologique, c’est au gré de ses activités au sein
du milieu que la modalité fonctionnelle de l’activité de relation s’agence et s’automatise
progressivement sous la forme d’unités fonctionnelles. Ces unités fonctionnelles sont le
fruit des relations qu’élabore et entretient la personne par le biais d’une activité intégrée et
intégrante au sein du milieu concerné. Si dans l’enfance au cours du second détour
élaboratif du cycle de vie, ces unités fonctionnelles prennent la forme de conduite, cellesci avec l’accès à la pensée abstraite et la temporalité lors du troisième détour s’inscrivent
dans le champ de l’idéologie sociale et prennent la forme d’identificateurs sociaux. Cela
ne signifie pas pour autant que ces conduites disparaissent, mais elles sont subordonnées
ou réorganisées selon le nouveau mode de rapport entre l’organisme et son milieu.
Ces unités fonctionnelles peuvent jouer un rôle variable dans l’enjeu de l’intégrité de
l’organisation Identitaire de l’individu. Suivant son degré de développement et ses
potentielles carences élaboratives, ses unités fonctionnelles peuvent renvoyer à une
validation de la personne au travers de compétences spécifiques dans un milieu donné
60
WALLON H (2002) , l’origine du caractère chez l’enfant , ed. PUF , p 105
CARIOU M , (1995) , personnalité et vieillissement , introduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 138
CARIOU M (2007) note de cours en psychologie du développement en master 1 de psychologie à l’université de Nice Sophia-Antipolise
voir annexe : schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité fonctionnelle de l’activité
63
CARIOU M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III p 158
61
62
16
Cadrage théorique
(conduite), ou bien correspondre à une réalisation partielle et temporalisée de son
Identité (identificateur sociale), ou bien encore demeurer à un niveau purement
fonctionnel de l’activité au sein du milieu. Ainsi, au sein de son activité et de la mise en
forme de son énergie vitale dans le milieu, c’est selon ses choix et son évolution que la
personne élabore, exerce et hiérarchise ses unités fonctionnelles plus ou moins garantes de
son intégrité Identitaire.
Au sein de l’activité de relation, la modalité fonctionnelle de l’activité peut
progressivement s’automatiser et orienter davantage l’activité sur le versant relationnel.
C’est un peu comme quand on apprend à faire du vélo. Dans un premier temps d’apprenti,
on est attentif à nos gestes, à la recherche d’un équilibre sur la selle. Puis progressivement
cycliste, la gestuelle s’automatise, l’équilibre s’intériorise et permet ainsi la possibilité de
ne plus en premier lieu prêter attention à nos gestes mais à ce qui nous entoure.
La gestion de ces deux modalités antagonistes et indissociables de l’activité de relation
reflète l’élaboration (en devenir constant) et la dynamique évolutive de la structure
psychologique du sujet au sein du milieu. Sachant que, « ce qui dirige l’adaptation, ce sont
les effets de l’activité sur l’activité elle-même »64, toute activité qui s’exerce dans le milieu
apparaît potentiellement, selon le choix de la personne, comme une gestion et une remise
en question permanente de « la continuité de la chaîne symbolique par laquelle l’activité
vitale – et donc l’émotion – trouve les formes appropriées pour se déployer dans les termes
d’une activité de relation »65. Une activité d’où la personne exerce et entretient plus ou
moins de manière spécifique sa position de sujet.
L’adaptation sur l’axe du développement et sur l’axe de l’activité de relation constitue donc
les deux versants complémentaires de l’élaboration et la continuité de ce que nous pouvons
nommé la trajectoire Identitaire de la personne. Une trajectoire où, entre l’organisme et le
milieu, « le rapport peut varier et, avec les progrès de l’organisme, le centre de gravité se
déplace du milieu vers l’organisme ».66
En résumé de cette partie, nous pouvons dire que l’Identité résulte d’une élaboration progressive et
constante de l’organisme qui, par le biais de l’activité qu’il élabore et produit, s’apparente à un
système d’intégration ouvert sur le milieu. Un système décomposable artificiellement en plusieurs
niveaux d’intégration co-dépendants qui correspondent aux strates dynamiques, d’une même
entité, qui contribuent à l’organisation et la cristallisation évolutive d’une Identité intègre sur les
deux versants de sa trajectoire adaptative. Ainsi, la théorie du détour nous permet d’appréhender la
personne comme une « innovation psychologique »67 sur l’ensemble de son cycle de vie, qui se
construit au fil de paliers phylogénétiquement programmés et selon une dynamique d’intégration
– différenciation – intériorisation du milieu, dont l’objectif pour la personne est d’assurer
64
65
66
67
WALLON.H, (2003) , l’évolution psychologique de l’enfant , édition Armand Colin, coll. Cursus , 11ème édition , p 69
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 159
WALLON H (2002) , l’origine du caractère chez l’enfant , ed. PUF , p 57
MALRIEU,P (1979) , personne et personnalisation chez Henri Wallon , revue enfance n° 5 spécial « centenaire de Henri Wallon » , p 383
17
Cadrage théorique
l’évolution et l’intégrité de son Identité où son « autonomie ne se développe que par son exercice
effectif »68. Recadré dans notre démarche, nous pouvons nous demander : qu’en est-il alors de
l’évolution de l’autonomie d’une personne qui exerce l’activité de soignant en gérontologie ?
IV. Le soignant : une personne
globale en situation concrète
69
Dans cette partie qui clot notre cadrage théorique, nous proposons d’aborder le soignant sous un
autre angle que celui de la difficulté manifeste (burn-out, souffrance) ou latente (environnement
ingrat, omniprésence de la mort). En accord avec ce que l’énigme géométrique nous évoquait et
en s’appuyant sur les outils conceptuels et la dialectique de la théorie du détour précédemment
exposés, ci-dessous nous aborderons le soignant comme une personne globale dont la trajectoire
évolutive s’inscrit et s’exerce de manière particulière et spécifique dans la situation
gérontologique.
En écho à notre présentation de la théorie du détour, notre argumentation s’échelonnera donc
autour des niveaux d’intégration co-dépendants qui opèrent lors de l’activité du soignant
(paragraphe A,B) , pour à terme énoncer synthétiquement (paragraphe C) que le soignant avant
d’être un professionnel en difficulté, celui-ci est une personne globale en situation concrète dont
l’objectif est d’affermir et d’assurer l’intégrité de sa position de sujet.
A) Le troisième détour de l’élaboration de l’Identité de la personne
Bien que la personne soit le fruit de l’ensemble de son cycle de vie déjà parcouru, nous
n’énumèrerons pas toutes les étapes que traverse la personne lors de son développement.
Cependant, gardons en tête que tout le travail de réélaboration Identitaire de la personne
s’effectue sur la base de ce qui a été antérieurement plus ou moins bien intériorisée. Nous
limiterons et développerons donc ainsi la dernière période de réorganisation structurelle
entamée par la personne qui exerce une activité de soignant : le 3ème détour. Celui-ci institue
l’organisation Identitaire et la gestion du rapport adaptatif autour de la pensée abstraite,
l’idéologie sociale et la temporalité en terme d’Identité/Altérité.
Ce 3ème détour (comme les précédents) est composé de deux périodes. L’adolescence
correspond à la phase centripète, et la vie adulte correspond à la phase centrifuge de ce même
détour. A l’adolescence, l’individu est confronté à de nombreux changements. La puberté
métamorphose son corps, la maturité de la fonction sexuelle génère un potentiel énergétique
qu’il lui faut canaliser, la pensée abstraite lui donne accès à la temporalité et à un mode
représentationnel plus vaste de soi et du monde. Parallèlement et progressivement son champ
d’interaction qui jusqu’à présent se limitait pour l’essentiel au cocon familial, va s’étendre sur
l’ensemble du champ social, selon ses choix.
68
69
CAUMIERES.P (2007) , Castauriadis le projet d’autonomie , édition Michalon coll. Le bien commun p 111
Photographie d’une personne soignante lors de sa pratique quotidienne
18
Cadrage théorique
Tous ces changements nécessitent la réorganisation du rapport adaptatif qu’entretient le sujet
avec son milieu. Cette restructuration vise à réélaborer une sécurité de base, non plus seulement
en s’appropriant de manière personnelle des conduites dans des situations différentes, mais
aussi en édifiant la synthèse de son Identité. L’enjeu adaptatif au niveau structurel consiste donc
à cristalliser un dénominateur commun qui permet une continuité et une permanence du sujet
au travers de l’hétérogénéité de ses conduites, du temps (avant/pendant/après) et de la diversité
des situations qu’il rencontre et rencontrera. Autrement dit, il s’agit de « l’organisation et
l’intériorisation d’un modèle abstrait qui organise l’unité (…) , le référent intériorisé de toute
une classe de conduites 70». Ce modèle en devenir constant, spécifique à la personne, se
construit et se synthétise généralement en terme de genre (masculin ou féminin) , parce qu’« il
permet aussi bien de connoter la diversité des activités de l’individu que de l’inscrire dans une
continuité depuis sa naissance, et répond à l’injonction faite à l’adolescent de devenir un
homme (ou une femme) »71.
Ce cheminement de la réélaboration du Moi, en terme d’Identité de genre , se structure
suivant une double direction. D’une part, la définition de concepts fonctionnels de classes de
conduites. Et d’autre part, l’inscription de la permanence de l’Identité au-delà du moment vécu.
La difficulté de ce travail réside dans la synchronisation de ces deux axes élaboratifs. Où la
hiérarchisation des identificateurs et l’inscription de l’Identité dans une trajectoire évolutive,
permettent aux acquis intériorisés et à l’objectif adaptatif (en lien avec l’idéologie sociale) de
s’accorder dans la planification et la réalisation d’objectifs intermédiaires.
Parallèlement à cette réélaboration de l’Identité, le sujet compose (recompose) sa capacité à
rencontrer l’Autre sous le versant de l’Altérité « déterminant d’une part par rapport au statut
de l’Identité, d’autre part du point de vue de la capacité à s’inscrire dans une relation
intersubjective, autant il
[le statut de l’Altérité] l’est également vis-à-vis de la
négativité/positivité du rapport à la différence (intolérance/tolérance).72 »
L’ensemble de cette restructuration aboutit donc à l’édification « d’une nouvelle valeur de la
catégorie Moi/Autre »73 plus ou moins carencé, qui s’énonce en terme d’Identité/Altérité. A ce
niveau du cycle de vie, dans cette dynamique d’individuation, les carences se traduisent par
des étayages plus ou moins rigides et abstraits de la personne au sien du milieu où son Identité
globale se différencie plus ou moins des rapports partiels qu’elle entretient avec des secteurs du
milieu (son travail , sa vie de couple, sa sexualité…). L’appui sur le milieu qui s’exprimait dans
l’enfance sous une problématique de l’être et de l’avoir se manifeste à l’âge adulte sous une
problématique de l’intériorité/extériorité.
Cet épisode de réorganisation du rapport au milieu ne clôt pas l’évolution Identitaire de la
personne car « c’est à l’exercice de celle-ci que revient de définir et de différencier une
70
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 157
ibid , p 158
CHABRIER.L, (2001), étude des réponses au Rorschach comme expression particulière de la différenciation sujet/milieu : construction et validation d’une grille d’analyse , thèse de doctorat de psychologie , université de Nice-Sophia
Antipolis , p 80
73
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques, p 144
71
72
19
Cadrage théorique
structure Identitaire stable »74. Cet exercice relève de la vie d’adulte (phase centrifuge du 3ème
détour). Durant cette période, le sujet assure la continuité élaborative de son Identité selon un
double mouvement de sa trajectoire identitaire. A cette phase du développement, la personne
exerce son unité Identitaire intériorisée en l’inscrivant dans une dialectique d’Identité/Altérité
au sein du champ social. De cette manière elle étaye, diversifie , affine, différencie et
hiérarchise les identificateurs sociaux (les facettes) de son Identité .
Globalement lors de cette période de son évolution, il s’agit pour la personne, au travers de ses
choix et objectifs temporalisés dans le milieu, de maintenir la continuité de sa chaîne
symbolique, vecteur de sa permanence et stabilité adaptative (spécifique). Autrement dit, c’est
par l’élaboration et l’exercice d’activités au sein du champ social, en lien avec l’idéologie
sociale, que le sujet assure la continuité évolutive de son intégrité Identitaire, où les activités de
relation sont autant de « traits d’union entre la personne et son milieu, dans lesquels la
personne se reconnaît et par lesquels elle est reconnue »75.
A présent, nous allons considérer comment
l’activité de soignant
en gérontologie peut
participer à ce mouvement de continuité du développement du sujet. Comment celle-ci
s’élabore, s’inscrit et se gère diversement, selon la trajectoire Identitaire de la personne
soignante qui l’entreprend et l’exerce.
B) Soignant en gérontologie : de l’élaboration d’une activité en tant que
soignant, à la gestion de sa position de sujet.
L’activité de soignant en gérontologie n’est pas la simple acquisition et accumulation de savoirs
ou de compétences qu’il suffit d’apprendre et d’appliquer pour faire face à toutes situations du
milieu gérontologique. Elle est le fruit d’une élaboration qui s’initie à partir de l’organisation
Identitaire de la personne (son unité et ses facettes) engagée dans le troisième détour du cycle
évolutif de son Identité. Autrement dit, c’est à partir d’une activité intégrée et intégrante que
chaque personne entreprend la construction de son unité fonctionnelle de soignant en
gérontologie où « tout processus d’intégration s’effectue forcément sur la base des résultats du
travail de différentiation, ce dernier construisant les contenus sur lesquels le processus
d’intégration peut s’exercer. »76.
Comme nous avons pu l’exposer (voir partie sur la théorie du détour), la dynamique
d’édification et d’évolution d’une unité fonctionnelle est régie par des lois générales, les
invariants de la dynamique évolutive du sujet. Ainsi, l’élaboration d’une unité fonctionnelle en
tant que soignant pour la personne qui l’entreprend, comporte une phase centripète et une
centrifuge. C’est une construction progressive avec un temps tourné vers soi (phase centripète),
puis un temps tourné vers le milieu gérontologique (phase centrifuge). Lors de la phase
centripète de son activité de soignant en gérontologie, la personne fait l’apprentissage de sa
74
ibid p 160
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques p 143
CHABRIER.L, (2001), étude des réponses au Rorschach comme expression particulière de la différenciation sujet/milieu : construction et validation d’une grille d’analyse , thèse de doctorat de psychologie , université de Nice-Sophia
Antipolis , p 80
75
76
20
Cadrage théorique
pratique. Elle découvre l’environnement institutionnel (les personnes et le fonctionnement, ses
valeurs), ses savoirs faire et connaissances nécessaires à l’exercice de sa profession de soignant.
C’est à partir de la mise en forme d’une activité intégrée et intégrante que la personne, de façon
journalière, internalise et vit, des situations et éléments du milieu gérontologique. Peu à peu, le
sujet sélectionne les éléments pertinents et met « en place des moyens internes de contrôler
certaines variations du milieu»77 gérontologique. Au gré de son activité d’apprenti et selon la
loi de l’effet et la loi d’intégration fonctionnelle, la personne va progressivement intérioriser,
organiser, édifier et automatiser, tant dans l’acte que son effet, son unité fonctionnelle de
soignant en gérontologie.
Lors de la phase centrifuge de son activité , l’élaboration de son unité fonctionnelle de soignant
continue. La personne exerce, diversifie, affine et ajuste sa pratique : « la compétence se forge
en marchant »78. Ce travail, la personne soignante l’effectue au gré de ses expériences et ses
rencontres dans sa pratique quotidienne, par un va-et-vient constant d’intégration –
différenciation - restructuration de son activité de soignant selon les feed-back émis et en
fonction de ses objectifs adaptatifs au sein du milieu gérontlogique.
Conjointement à l’élaboration de son unité fonctionnelle, la personne édifie progressivement
son interface en tant que soignant. C’est par l’intermédiaire de cette interface que la personne
va appréhender les situations, mettre en forme son activité et gérer ses émotions et son rapport
aux autres au sien du milieu gérontologique. Dans sa pratique quotidienne, « toutes les facettes
de la vie du soignant peuvent être touchées par l’impact émotionnel de l’interaction »79. C’est
au travers de son interface, de son degré d’élaboration que la personne soignante entreprend et
assure l’intégrité de sa position de sujet selon l’objectif Identitaire qu’incarne son activité en
tant que soignant.
En ce sens que l’activité de soignant peut revêtir un objectif différent selon la personne. Soit
cette activité peut être entrepris et exercée comme un médiateur de l’Identité du sujet et de sa
continuité, où celui-ci va « s’approprier successivement un certain nombre d’objectifs pour
pouvoir continuer à maintenir une activité mettant en œuvre les manières d’être qu’il a
intériorisées comme bonnes (conduites)»80 et ainsi constituer un identificateur social (plus ou
moins central) de son Identité. Soit, cette activité peut demeurer à un degré d’élaboration dit
instrumentale, où l’activité ne vise en fait rien d’autres qu’elle-même et a « plutôt pour fonction
d’assurer une certaine visibilité à la façon dont la personne est au monde »81 au travers des
compétences de soignant en gérontologie.
Globalement, l’élaboration de l’activité de la personne soignante correspond à un cycle
élaboratif dans un milieu donné. Une élaboration dont la structure Identitaire de l’individu
oriente et soutient l’édification de son activité, et s’inscrit plus ou moins dans la continuité
77
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 120
BADEY-RODRIGUEZ, (1997),les personnes âgées en institution , vie ou survie, édition Seli Arslan , p 167
MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition p 213
80
CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III , p 244
81
ibid p282
78
79
21
Cadrage théorique
évolutive de son Identité. Cela nous suggère que l’activité de soignant en gérontologie n’est pas
uniforme, que celle-ci est variable d’une personne à une autre et d’un temps à un autre pour un
même sujet. C’est-à-dire que le degré d’élaboration de l’unité fonctionnelle de la personne en
tant que soignant, et à fortiori son interface, varie selon : la qualité (et ses carences) de sa
structure Identitaire, la phase élaboration de son activité et l’objectif qu’incarne (ou incarnera)
celle-ci au sein de la continuité évolutive de sa trajectoire Identitaire.
Ainsi dans une pratique quotidienne où « Les soignants en gérontologie sont appelés à
travailler au moins autant sur la dimension relationnelle (…) que sur les aspects techniques des
soins »82, au niveau du fonctionnement psychologique l’activité de la personne soignante
s’apparente à une dynamique d’adaptation partielle. Où par l’élaboration de son unité
fonctionnelle au sein du milieu gérontologique, la personne édifie son interface en tant que
soignant. Au travers de laquelle, elle entreprend ou pas de manière plus ou moins souple et
différenciée, l’exercice et l’étayage de son Identité : l’intégrité et l’évolution de sa position de
sujet autonome.
C) Soignant en gérontologie : une activité à la croisée des deux axes
de l’évolution de la trajectoire Identitaire de la personne
Au fil de son développement, l’organisation Identitaire de la personne renvoie à l’articulation
évolutive d’une correspondance, structurelle et fonctionnelle, qu’entretient l’organisme avec le
milieu. Dynamiquement et en situation, cette correspondance reflète un mode de participation,
d’où la personne exerce et entreprend plus ou moins la continuité de son Identité par le biais
d’une activité au sein du milieu.
Pour la personne soignante en gérontologie, la continuité de sa trajectoire Identitaire s’inscrit
dans la dialectique amorcée par le 3ème détour de son cycle de vie. A cette étape, la continuité
élaborative de l’Identité se perpétue selon un double mouvement de la personne dans le milieu :
-La personne assure et exerce la permanence de son support Identitaire
Intériorisé (plus ou moins carencé) en l’inscrivant dans une dialectique
d’Identité/Altérité au sein du champ social (le Moi dans un Nous).
-La personne par le biais de ses activités diversifie, différencie, affine et
hiérarchise ses identificateurs sociaux (ses identités partielles) qui renvoient à
une validation, une reconnaissance plus ou moins partielle de son Identité.
Ainsi, c’est dans ce contexte de la continuité de son développement Identitaire que par la mise
en forme d’une activité, la personne intègre le milieu gérontologique. Selon le cycle élaboratif
(loi d’alternance fonctionnelle) et le va et vient (loi de l’effet) de son activité, la personne va
progressivement édifier une interface en tant que soignant. Par l’intermédiaire de laquelle
suivant son niveau d’élaboration et l’objectif qu’incarne son activité de soignant, la personne
y exerce une activité adaptative qui contribue plus ou moins à l’évolution et l’assurance de
82
BADEY-RODRIGUEZ, (1997),les personnes âgées en institution , vie ou survie, édition Seli Arslan , p 142
22
Cadrage théorique
l’intégrité de sa position de sujet (loi d’intégration fonctionnelle) au sein du milieu. Autrement
dit, l’activité de la personne soignante apparaît comme l’élaboration d’une activité relative à
l’intégration de son organisation Identitaire au sein d’un milieu gérontologique.
Nous considérons donc le soignant en gérontologie comme une personne globale dont
l’activité résulte de la jonction spécifique entre son organisation Identitaire et le milieu
concret gérontologique. Une activité qui selon la personne soignante s’inscrit et participe
diversement à la continuité de son processus d’individuation au milieu. Cela nous évoque les
deux axes essentiels de l’évolution de l’Identité selon la théorie du détour :
-L’axe vertical: le processus évolutif de l’unité Identitaire de l’appareil
psychique à l’étape considérée
-L’axe Horizontal : le mode de participation de cette unité Identitaire dans le
milieu au moment considéré
Où l’activité de la personne en tant que soignante en gérontologie représente le produit, un
point de jonction (un trait d’union) de ces deux axes fondamentaux du processus adaptatif et
continuel de la personne dans le champ social.
********
Lorsque L.Ploton écrit que l’intégrité des soignants en gérontologie dépend «du bagage
psychologique de chacun »83, nous ne pouvons infirmer cela. Cependant, au regard de notre
présent exposé théorique nous pouvons toutefois tendre vers la supposition que ce bagage propre à
chacun, ne résulte pas seulement de l’étude des reviviscences affectives et conduites du soignant
qui s’aborderait seulement dans le cloisonnement du champ gérontologique. Le champ qu’il nous
faut considérer lorsque nous questionnons le soignant en gérontologie est le champ de son cycle
de vie. Ainsi notre démarche n’est pas une approche du soignant, mais de la personne soignant, où
théoriquement et cliniquement « il y a à mettre en place des concepts susceptibles de rendre
compte du fonctionnement mental, non pas à partir de catégories descriptives contingentes qui
fractionnent artificiellement l’unité fonctionnelle du psychisme, mais à partir de processus précis
que la personne met en œuvre dans chaque situation concrète »84.
La vie est un mouvement constant de différenciation et restructuration du rapport qu’entretient le
sujet avec son milieu où l’enjeu permanent est d’assurer son intégrité adaptative. Ainsi, en
considérant ce mouvement de la vie de la dimension psychique de l’organisme humain, et au vu de
la dialectique qu’en énonce la théorie du détour, il nous apparaît évident qu’Il n’y a pas UN mais
DES savoirs être soignant en gérontologie. Chaque soignant étant une composition partielle et
originale de son organisation Identitaire en activité au sein du milieu gérontologique où « tous
les soignants ne combinent pas de la même façon leur rôle de soignant et leur identité »85.
83
84
85
PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6ème édition ,p 20
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques p 38
MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition p 265
23
Problématique et hypothèse générale
Problématique et hypothèse générale
L’an dernier, lors de nos expériences de stage, nous avons eu l’opportunité entre autre de nous
entretenir avec des infirmiers et aides-soignants au sujet de leur parcours et perception de la
profession. Nous avons pu aussi les observer dans leur travail et participer avec eux à des
formations. De tout cela, notre interrogation exploratrice sur le soignant en maison de retraite s’en
est trouvée accru de plusieurs observations et pistes de recherche: Qu’est-ce qui distingue un bon
d’un mauvais soignant? qu’est ce qu’un bon soignant ?; Pourquoi pour une même tâche ou
enseignement, chaque soignant a sa façon particulière de l’envisager, la concevoir, l’investir, s’y
inscrire etc….Loin de nous, est l’idée de fabriquer, de tirer le portrait du parfait soignant. Nous ne
pensons pas que la psychologie puisse (et en définitive ne doit) répondre à ce type d’investigation.
Cependant, elle peut nous permettre d’aborder la situation du soignant en maison de retraite sous le
versant d’une dynamique psychologique individuelle qui s’inscrit dans une situation de manière
plus ou moins positive et/ou conflictuelle pour elle et le milieu.
Nous avons introduit notre démarche hypothético-déductive avec une revue littéraire. Nous
faisons le constat que la question du soignant en gérontologie, fut toujours entreprise de manière
incomplète. Tous ces travaux sont porteurs d’informations précieuses. Cependant, nous pouvons
leurs reprocher deux choses: de fragmenter le soignant en l’abordant avec des référents qui
privilégient une dimension de la relation au milieu ; de limiter la dynamique de la personne
soignante au contexte professionnel. Tout cela aboutissant à arborer une globalité artificielle et
incomplète du soignant. Par la suite, nous avons vu que la théorie du détour apparaît comme une
alternative qui répondrait aux carences de ces approches, sans pour autant les supplanter. Elle
nous permet d’aborder non plus le soignant, mais la personne soignante. Autrement dit, le sujet
global en situation concrète, où l’activité correspond à une expression fonctionnelle et partielle
d’une structure opératoire, fruit et potentiel d’un développement qui s’échelonne sur l’ensemble du
cycle de vie. Ainsi, nous envisageons la personne dans une dynamique d’individuation qui
dépasse le cadre professionnel, qui permet d’entendre l’activité de soignant sous différentes formes
suivant son rôle dans la continuité de la trajectoire Identitaire de la personne qui l’exerce.
Tous ces éléments recueillis en définitive nous font converger vers les interrogations suivantes: audelà de l’apprentissage et l’application de soins, l’activité de soignant n’aurait-elle pas une
fonction, n’incarnerait-elle pas un objectif implicite pour la personne qui l’exerce ? La valence de
difficulté de certains éléments du milieu gérontologique et la manière d’entretenir une relation
avec les personnes âgées ne seraient-elles pas subordonnées à la dynamique psychologique de la
personne soignante qui y évolue ? Nous faisons donc l’hypothèse que l’activité de soin
qu’exerce la personne en maison de retraite est relative à sa dynamique adaptative. C’est-àdire que son activité, en tant que soignant, relève essentiellement de l’exercice de sa structure
psychique et de l’objectif qu’incarne son activité de soin dans la continuité élaborative de sa
trajectoire Identitaire. Ainsi avant d’être le reflet d’un savoir faire, l’activité de la personne
soignante est le reflet d’un savoir être de la personne dans le milieu concret gérontologique.
24
Opérationnalisation
&
Méthodologie
« L’on étudie l’arbre à partir de ses fruits. »
Michel CARIOU
Opérationnalisation & méthodologie
I.Opérationnalisation
La théorie reste de l’ordre de l’abstraction, il nous faut à présent faire glisser notre hypothèse
générale vers des hypothèses plus concrètes. Des hypothèses nous permettant d’opérationnaliser
l’idée que les personnes soignantes n’exercent pas leur activité de la même manière suivant le
degré d’élaboration et d’intégration de celle-ci au sein de leur continuité et intégrité Identitaire.
********
L’activité en tant que soignant correspond à une forme concrète, opérationnelle et dynamique
du rapport entre l’organisme et le milieu. Elle est la part émergente de la correspondance
adaptative de la personne au sein du milieu gérontologique. Cette activité reflète un mode de
participation que la personne soignante élabore et met en forme dans sa pratique quotidienne
dans le milieu gérontologique. Cette participation résulte, au moyen d’une activité intégrée et
intégrante, de la jonction progressivement établie entre les compétences et objectifs de la
personne avec les conditions du milieu gérontologique.
Sachant que nous nous référons à l’outil conceptuel du détour, « ce n’est pas l’activité en ellemême qui informe sur le mode de participation qu’elle (la personne) réalise, mais le contexte
dans lequel elle s’inscrit (…) » 86. Nous étudierons donc l’activité de la personne soignante au
travers de dimensions qui nous permettrons de mettre en évidence son mode de participation
au sein du milieu. Un mode de participation permettant de nous informer sur l’intégration,
l’élaboration et l’exercice de cette activité en tant que soignant pour la personne. Ces
dimensions de l’activité nous permettant de mettre en évidence le mode de participation de la
personne soignante sont : la référence de l’activité et la nature de l’activité.
Le référent de l’activité de soignant concerne les motifs, modèles et éléments sur lesquels
s’appuie le soignant pour définir et exercer son activité. Autrement dit, ce référent de l’activité
reflète la qualité de l’intégration (référent non-syncrétique vs référent syncrétique) et le degré
de différenciation de la personne au sein de son activité de soignant (personne différenciée vs
indifférenciée).
L’autre dimension est la nature de l’activité de soignant. Elle concerne l’orientation des intérêts
et le type de feed-backs que la personne sollicite au travers de cette activité. Cette dimension
interroge dans quelle visée, l’activité de soignant participe à la continuité de la trajectoire et le
maintien de l’intégrité de la personne qui l’exerce. La nature de cette activité peut être de deux
versants : soit l’activité s’inscrit comme le projet d’une réalisation temporalisée de soi dans le
champ social où la personne exerce un pan de son Identité (Identificateur social), soit elle
s’inscrit comme une validation de son être au monde dans un contexte particulier (conduite) au
travers des compétences de soignant en gérontologie.
********
86
CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III , p 278
25
Opérationnalisation & méthodologie
Ces dimensions de l’activité nous permettront donc de sonder plusieurs choses. Tout d’abord,
de savoir si la personne en tant que soignante exerce une activité plus ou moins désirée. Une
activité qu’elle intègre et élabore à partir d’éléments de son intériorité et où elle y entreprend ou
pas la continuité élaborative de son Identité. Ensuite, ces dimensions nous permettront aussi de
mettre en évidence si l’élaboration de cette activité est plus ou moins assumée par la personne
soignante. C’est-à-dire si celle-ci a tendance à se référer et justifier de sa pratique de soignant
sur le versant de l’intériorité ou de l’extériorité.
Par conséquent, selon la personne interrogée, ces dimensions de l’activité nous permettront
d’observer que suivant le degré d’élaboration de sa pratique et l’enjeu Identitaire qu’elle revêt,
la personne soignante exerce, gère et entreprend sa position de sujet intègre, par le biais d’une
activité (une pratique) de soignant qui s’institue plus ou moins sur le versant relationnel ou
fonctionnel auprès des personnes âgées de l’établissement. Une pratique où la personne est plus
ou moins en capacité d’établir et d’entretenir une relation intersubjective avec ces personnes au
travers de son activité de soignant en gérontologie.
II.Hypothèses de travail
Hypothèse 1:
Hypothèse intermédiaire
Si la profession de soignant constitue un identificateur social de la personne, et si celle-ci expose
et entreprend son activité sur un référentiel non-syncrétique, alors nous pourrons observer que la
personne en question entreprend une pratique de soignant sur le versant de la relation à l’autre en
tant que sujet.
Hypothèse opérationnelle
Si la profession de soignant se présente comme une activité désirée. Où, la personne a fait le choix
de pratiquer et exercer des éléments de son Identité, et, qu’elle évoque un discours où elle assume
pleinement son activité en reconnaissant sa responsabilité et en s’appuyant sur sa personne pour
décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la personne entreprend une
activité de soignant sur le versant d’une relation à l’autre où celui-ci est reconnu dans sa différence
et la spécificité de sa subjectivité.
Hypothèse 2:
Hypothèse intermédiaire
Si la profession de soignant constitue un identificateur social de la personne, et si celle-ci expose
et entreprend son activité sur un référentiel syncrétique, alors nous pourrons observer que la
personne en question entreprend une pratique de soignant sur le versant de la relation à l’autre en
tant que sujet idéalisé ou stéréotypé.
26
Opérationnalisation & méthodologie
Hypothèse opérationnelle
Si la profession de soignant se présente comme une activité désirée. Où, la personne a fait le choix
de pratiquer et exercer des éléments de son Identité, et, qu’elle évoque un discours où elle
n’assume pas son activité en ne distinguant pas sa responsabilité et en s’appuyant sur des
éléments externes pour décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la
personne entreprend une activité de soignant sur le versant d’une relation à l’autre où celui-ci est
reconnu partiellement dans sa différence et la spécificité de sa subjectivité.
Hypothèse 3:
Hypothèse intermédiaire
Si l’activité en tant que soignant constitue une conduite pour la personne au travers de
compétences particulières, celle-ci expose et entreprend son activité selon un référentiel
syncrétique. Dans ces circonstances nous pourrons observer que la personne entreprend une
pratique de soignant sur le versant d’une relation qui reste sur le versant fonctionnel et
instrumental auprès de personnes âgées non reconnues dans leur différence et la spécificité de
leur subjectivité.
Hypothèse opérationnelle
Si l’activité en tant que soignant apparaît comme un non-choix pour la personne. Où la personne
n’entreprend pas l’exercice d’éléments de son Identité, et, que celle-ci évoque un discours où elle
n’assume pas son activité en ne distinguant pas sa responsabilité et en s’appuyant sur des
éléments externes pour décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la
personne entreprend une activité de soignant qui demeure sur le versant d’une relation
fonctionnelle où l’autre âgé n’est pas reconnu dans sa différence et la spécificité de sa subjectivité.
27
Opérationnalisation & méthodologie
III.Méthodologie
A) Le contexte & la démarche de notre recherche
Notre démarche d’investigation pour ce travail de recherche s’est appuyée sur les
enseignements que nous avons pu tirer de nos premiers contacts avec des personnes soignantes
en gérontologie. Au cours de nos stages, lorsque nous cherchions à nous rapprocher, à entrer en
relation avec les personnes soignantes, nous nous sommes retrouvés souvent confronter à des
réactions plus ou moins explicites de résistance et de défense vis-à-vis de notre intérêt. Parfois
sous forme de réticence et d’excuse « j’ai rien à dire », « je sais pas si je peux le dire ça »,
« moi, je veux bien, mais là je dois… », «oh ! je t’ai oublié ». Il nous est même arrivé d’être
interloqué sous forme de reproche autour d’un malentendu, par une soignante lorsque nous
interrogions une de ses collègues sur sa conception du travail de soignant : « mais vous croyez
quoi vous, que l’on voit pas leur souffrance, l’on est pas des monstres, on leur parle aussi ».
Mais plus souvent, c’est par des murmures de couloirs, des échanges de regards autour d’une
table et de petites apostrophes sous couvert de l’humour qui ne manquaient pas d’avoir le
pouvoir de sous-entendre et signifier plus qu’une simple plaisanterie : « oh! les filles attention y
a le psychologue qui est là, y va tout répéter »;« arrête, qu’est-ce qu’il va penser de nous
après(rire) ». Globalement, il nous est apparu par la suite difficile d’entreprendre notre travail
de recherche auprès des soignants sur un lieu de stage, où notre présence d’apprenti
psychologue comportant déjà ses difficultés spécifiques en situation de stage, s’en trouvait en
plus accrédité par les soignants d’une méfiance vis-à-vis d’une représentation du psychologue
en institution trop souvent amalgamé à la perception de la direction soit son assise
décisionnelle.
En écho à ces moments, nous avons donc fait le choix d’entreprendre nos entretiens non plus
en nous inscrivant comme stagiaire au sein d’un établissement gérontologique, mais comme
intervenant externe en demande ponctuelle dans le cadre de notre recherche universitaire. Cela
nous permettait ainsi de simplifier et limiter notre intégration au sein de la dynamique de
groupe de l’institution, et de ne pas donner prétexte à être amalgamé à la direction lors de nos
échanges avec les personnes soignantes. De cette manière, nous cherchions à nous instituer
comme un intermédiaire, un espace, un temps de parole qui aussitôt créé, disparaissait sans
avoir d’incidence sur la dynamique de groupe au sein de l’établissement. Autrement dit,
paradoxalement, il nous est apparu que la non-inscription sur une longue période dans un
établissement pouvait être davantage propice à l’élaboration d’un échange authentique avec les
personnes soignantes.
Fort de ce constat, notre démarche s’est donc construite autour de trois temps. Le premier
consistait à solliciter les établissements gérontologiques du département (qui ne manquent pas)
en explicitant notre demande par le biais de courriers électroniques et lettres postales ou appels
voir annexe : lettre type adressé aux établissements gérontologiques sollicités
28
Opérationnalisation & méthodologie
téléphoniques adressées à la direction et au psychologue de l’établissement en question. Dans
un deuxième temps, nous rencontrions préalablement le psychologue ou la personne
responsable du personnel, pour ensuite nous adresser directement aux soignants afin de
présenter nous-même notre recherche, et sollicitée ces derniers pour d’hypothétiques entretiens.
Enfin, dans un troisième temps, suivant le rendez-vous convenu avec la personne soignante
nous procédions à l’entretien.
B) Le cadre et le guide de nos entretiens
Le cadre est un segment de notre investigation qu’il ne faut pas négliger et qui n’est pas
invariant : « Il (le cadre) va dépendre de la situation professionnelle du psychologue. La façon
de poser le cadre sera également liée à l’origine de la demande (….), au type d’entretien que
l’on pratique » 87. En écho à ce propos, il nous faut donc énoncer que l’entretien participe à une
recherche, et que c’est nous-même qui sommes en demande auprès du personnel soignant. La
manière la plus appropriée pour signifier ce cadre à la personne interrogée, c’est de nous
présenter en tant qu’étudiant de psychologie effectuant une recherche dans le cadre de notre
cursus, et de remercier la personne d’avoir accepter de répondre à notre sollicitation. De cette
façon, les places sont distribuées et signifiées, et le cadre en grande partie posé. Dans un second
temps, nous informerons la personne des grandes lignes qui composeront notre entretien. Nous
lui rappellerons l’objet de notre étude « vous-même et votre pratique professionnelle » et que
par conséquent nous lui poserons « une série de questions qui concernent soit votre profession
soit vous et vos opinions en général ».
Notre cadre consiste aussi à la mise en place d’un dispositif. C’est-à-dire un espace à l’abri des
regards et oreilles extérieurs, afin d’éviter à la personne toute impression d’être épiée ou jugée
par une quelconque présence. Toujours dans l’intention de favoriser la mise en place d’un cadre
propice à l’échange, nous signifierons à la personne l’assurance de la confidentialité du contenu
de notre entretien vis-à-vis de l’établissement (personnel et direction) et l’anonymat de ses
propos au sein de nos écrits. Globalement, nous chercherons à poser tout au long de nos
échanges, un cadre respectueux de la personne qui favorise l’atténuation de ses mécanismes de
défense et ainsi accroître la confiance de celle-ci. Le seul bémol du cadre, nous semble être
l’acceptation de l’enregistrement, non sans ignorer que préalablement ces réticences sont le fruit
de notre imagination. Nous pensons tout de même qu’il sera préférable d’exposer à la personne
en quoi l’usage de cet appareillage est propice à notre recherche (qualité de retranscription) et à
nos échanges (l’attention sur l’écoute et non sur la prise de notes).
Le cadre en partie institué, nous pourrons procéder à l’entretien en nous appuyant sur notre
guide d’entretien composé de questions qui amorcent les thématiques en lien avec nos
hypothèses, sur lesquelles la personne soignante s’exprimera. Le guide n’étant qu’un support,
le déroulement de l’entretien pourra s’aventurer au gré du discours de la personne.
87
POUSSIN.G, (2005),la pratique de l’entretien clinique , 3
voir annexe : guide d’entretien
ème
edition dunod , collection psycho sup , p 22-23
29
Illustrations cliniques
Illustrations
Cliniques
Illustrations cliniques
Ci-dessous, nous vous exposerons trois de nos rencontres avec des personnes soignantes qui
viennent illustrer nos hypothèses et propos théoriques sous-jacents. Vous pourrez aussi vous
référez aux annexes pour consulter la retranscription complète des entretiens de Betty et Sally.
I. Betty « l’on n’est pas des savonnettes »
J’ai rencontré Betty dans un entre deux temps d’une journée de travail des soignants. J’y présentais
ma démarche de recherche et sollicitais elle, et ces collègues pour d’hypothétiques entretiens. Lors
de ce temps, Betty était attentive et exprimait un certain intérêt à ma démarche « c’est
intéressant », « c’est vrai que y a de quoi dire ». Elle fut la première à se proposer spontanément,
sans jeter un regard autour d’elle, pour participer. A la fin de ma présentation, je voulais saluer la
psychologue de l’établissement, et c’est Betty qui se proposa de me mener à elle. Durant ce court
chemin, elle m’évoqua déjà sa pratique « vous savez, moi je pratique pas qu’ici, j’espère que cela
ne posera pas de problème à votre travail » , « et puis je fais plein de choses, j’aime pas ne rien
faire, sinon l’on se lasse ». Je dus freiner son élan « nous parlerons de tout cela lors de notre
entretien…gardez en un peu ». Notre entretien eut lieu quelques jours plus tard dans le cadre d’un
bureau. Celui-ci dura cinquante minutes, temps au cours duquel Betty se prêta volontiers aux
questions et échanges. Elle semblait ravie de pouvoir verbaliser et donner son opinion sur son
parcours et sa pratique professionnelle.
a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant »
Betty est âgée de 45 ans, elle est titulaire d’un diplôme d’aide-soignante depuis six ans. Un
diplôme dont elle revendique l’importance parce qu’« on sait ce que l’on fait, l’on n’est pas des
savonnettes (…) c’est un plus ». Conjointement à sa présentation, elle ajoute et revendique
« mais moi, j’ai un parcours différent ». En effet, la formation initiale de Betty est un BEP
carrière sanitaire et sociale mais option sociale car « il fallait faire un choix ». Un choix motivé
par sa volonté de « travailler avec les enfants handicapés » où « pour cela à l’époque y fallait
être éducateur ». Elle justifie sa volonté en évoquant que « toute petite, j’étais toujours avec les
enfants handicapés (…) à l’âge de douze treize ans j’allais pique-niquer et y avait toujours un
groupe d’handicapés et je devais les attirer ou l’on s’attirait mutuellement parce qu’ils
venaient autour de moi » et « je pense que j’ai une facilité au niveau du contact ». Au terme de
sa formation, faute d’être assez âgé pour se présenter au concour, Betty postula et fut
embauchée dans un centre de phoniatrie et surdité infantile comme monitrice éducatrice.Par la
suite, elle fit une « coupure parce que j’ai fait mes enfants (…) c’est un choix (…) je voulais les
voir grandir». « Après j’ai pas voulu reprendre avec les enfants, j’ai voulu reprendre avec les
adultes ». C’est donc à la suite d’un break de huit ans que Betty débuta sa carrière dans le
secteur gérontologique. Une réorientation de son activité professionnelle motivée selon elle par
le décès de sa grand-mère « on était très proche, chez nous la famille c’est sacré (…) et donc la
personne âgée nous manquait ». Cet événement de sa vie semble l’avoir sensibilisé à une
29
Illustrations cliniques
certaine réalité des personnes âgées « ma grand-mère est tombée malade la pauvre. Et je me
suis rendu compte qu’elle et d’autres avaient besoin d’aide. Parce que de là où j’étais je ne
pouvais pas l’imaginer ». Betty a débuté son activité de soignante au sein de la maison de
retraite en tant que ASH « mais j’avais un BEP carrière sanitaire et sociale, j’ai très vite
travaillé avec les infirmières et dés qu’ils ont pu, ils m’ont envoyée à l’école pour que je puisse
avoir le statut officiel de soignant ». Actuellement, Betty envisage encore de progresser dans
son activité professionnelle « si la loi change, je retournerai à l’école pour faire l’école des
sous-infirmières, ça existe déjà en Angleterre ».
********
Au sein de l’établissement, Betty dans sa pratique professionnelle fait preuve d’une certaine
polyvalence « j’ai de la chance de faire plein de fonctions ». Elle s’occupe de temps
d’animation « comme je fais de l’animation, ce que j’ai appris, je peux le mettre en
application », et il lui arrive aussi d’effectuer des tâches qui dépassent son niveau de
compétence « ici je remplace l’infirmière quand elle n’est pas là, je distribue les médicaments
(…), je connais mes limites, y’ a des choses que je ne fais pas ». Betty se complet dans la
diversité de son activité de soignante « ça me permet d’être au courant de tout en plus. Parce
que je suis curieuse ». Betty ne conçoit pas sa fonction de soignante seulement au travers de sa
tâche de nursing auprès des résidents car « que l’on nous demande de faire du travail à la
chaîne, ça ne m’intéresse pas, parce que quinze toilettes dans la même matinée, c’est pas la
peine, ça tout le monde peut le faire, ça vaut rien». Selon Betty, la maison de retraite est « un
lieu de vie » où son travail « tourne autour de l’accueil, des occupations qu’ils (les résidents)
vont avoir dans la journée et bien sûr les soins, la propreté, les pansements et tout, mais après
l’on ne les soignera jamais, c’est fini ». Ainsi, pour Betty son travail ne se limite pas au nursing
et à ces aspects rebutants « je connaissais pas la partie quand ils (les personnes âgées) se
souillent, mais bon ça s’est passé sans problème, parce que y’avait cette envie de travailler
avec eux, (….) l’on est plus sur les mauvais côtés, c’est secondaire ». Pour Betty, le travail du
soignant auprès des résidents est « tout basé sur la communication » et c’est « une question
d’approche » où le soignant s’adapte à la personne car « eux y sont comme y sont, ils ont un
certain âge, et de pathologie. L’on pourra pas leur demander certaines choses, ils ne pourront
pas s’adapter vraiment. Alors que nous soignant l’on est pas malade, c’est à nous de nous
adapter aux résidents ». Dans sa pratique, Betty revendique l’importance du contact « l’on
entend plein de choses, à nous de les entendre et de savoir les écouter », « il faut les connaître
les gens, il ne faut pas s’imposer ». Elle accorde aussi de l’importance à la qualité de la relation
qu’elle peut instaurer et gérer avec les personnes âgées « l’erreur c’est quand on est fatiguée,
vous êtes pas ouvert (…) ils le captent de suite (…) ça vient d’eux, mais de nous aussi, ça vient
des rapports que l’on a (…) moi je considère ça comme une erreur ».
********
En dehors de la maison de retraite, Betty se plait à parler de sa pratique à son entourage « ben y
paraît que je fais que ça (…) parce que c’est quelque chose que j’aime et que je cherche à faire
30
Illustrations cliniques
partager ». Sa profession de soignante lui apporte satisfaction « de se sentir utile » et « d’
apprendre plein de choses avec eux (personnes âgées), je pouvais leur apporter des choses et
eux m’apporter plein de choses par rapport à leur vécu ». Elle dit « être à fond » et n’envisage
pas de changer de profession car « moi j’aime mon travail ».
b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne
Quand Betty nous évoque son parcours professionnel, nous remarquons que l’orientation de son
activité s’appuie sur des motifs relevant de son intériorité, de son histoire. Qu’il s’agisse en
premier lieu de sa carrière dans le social « toute petite, j’étais toujours avec les enfants
handicapés (…)», ou par la suite dans le secteur gérontologique « j’ai perdu ma grand-mère
(…) Elle est tombée malade. Et je me suis rendue compte que elle et d’autres avaient besoin
d’aide ». L’activité professionnelle s’est présentée pour Betty comme un choix, un projet au
sein duquel elle médiatise des éléments de son Identité « je suis pas facile à suivre parce que
moi il faut que ça bouge (….) J’aime mon travail et le changement, j’ai la chance de faire plein
de choses», « j’ai une facilité au niveau du contact (…)Je suis à fond parce que y’a le contact ».
La profession de soignante n’étant la vocation première de Betty, nous pouvons ajouter aussi
sur l’évolution de son activité professionnelle, qu’il n’y a pas rupture dans son parcours, mais
une continuité :« après lorsque j’ai repris le travail, j’ai pas voulu reprendre avec les enfants,
mais avec les adultes ». Les référents et modèles antérieurement élaborés et intériorisés
lorsqu’elle était éducatrice, ont leur place et participent à l’exercice de son activité de soignante
en maison de retraite : « comme j’avais un BEP carrière sanitaire et sociale, j’ai très vite
travaillé avec les infirmières », « j’ai les deux formations, le social et le sanitaire, ça c’est
important parce que le social c’est le contact et le sanitaire c’est le soin ».
********
Tout comme peut nous le suggérer l’évocation de son évolution professionnelle « moi j’ai un
parcours différent », plusieurs éléments du discours de Betty sur sa pratique nous illustrent que
celle-ci, exerce son activité de soignante en maison de retraite sur un référentiel nonsyncrétique :«c’est mon opinion tout ça ». S’appuyant sur des éléments de sa personne « ça me
permet d’être au courant de tout en plus parce que je suis curieuse » et ses référents intériorisés
« ce que j’ai appris je peux le mettre en application », elle s’approprie de manière personnelle
les éléments du milieu « le diplôme c’est important. On sait ce que l’on fait. C’est-à-dire que
l’on est pas des savonnettes. (….) c’est un plus » ; « à nous de prendre le meilleur, et c’est le
caractère de chacun ». Betty assume son activité « c’est aussi une question de caractère, c’est
pas tout le monde qui est comme ça », qui dans sa pratique quotidienne prend la forme d’une
approche responsable de l’aide qu’elle apporte aux personnes résidentes « c’est à nous de nous
adapter » ; « je connais mes limites » ; « on entend plein de choses à nous de savoir les
entendre », et cela malgré les conjonctures pouvant émaner du milieu « y’a un décalage, parce
que l’on est tenu par le temps, mais l’on fait avec, on arrive à pallier ».
31
Illustrations cliniques
********
L’inscription de l’activité de soignant au sein de sa trajectoire comme médiateur de son
Identité, ainsi que l’intégration et l’exercice de cette activité sur le versant de l’intériorité, ont
pour conséquence dans la pratique quotidienne de Betty, une certaine approche dans
l’élaboration et la gestion de son rapport aux personnes âgées. Betty entreprend son activité
auprès des résidents sur le versant de la relation « je pouvais leur apporter des choses et eux
m’en apporter plein par rapport à leur vécu » et du contact « si vous commencez à
communiquer, y a plein de choses qu’ils font », malgré les aspects contraignants rebutants
« tous les mauvais côtés passaient outre ». Des relations au sein desquelles Betty considère les
personnes âgées dans leurs différences « c’est des gens pas comme nous qui avaient
l’habitude » et leurs spécificités « y sont comme y sont ». Pour Betty sa relation aux personnes
âgées « c’est une question d’approche » où elle laisse toute sa place au résident au sein de
l’espace relationnel « y faut les connaître les gens, ne pas s’imposer » pour permettre
l’édification d’une relation intersubjective « même si je souris, ils me disent : t’es pas comme
d’habitude, t’as un problème ? Ils le captent de suite », où Betty distingue ce qui relève de sa
responsabilité de celle de l’autre « alors ça vient d’eux, mais de nous aussi, ça vient des
rapports que l’on a ».
c) Conclusion
Dans le cas de Betty, l’activité de soignant en gérontologie est une activité désirée qui participe
à la continuité élaborative de son Identité. Son activité de soignant s’intègre à son histoire et
constitue un identificateur social lui permettant de médiatiser son Identité au sein d’une
pratique où elle ne se limite pas à l’aspect fonctionnel de sa profession :« j’étais pas qu’une
soignante » ; « si l’on est pas reconnus ça ne m’intéresse pas » ; « faire quinze toilettes dans la
matinée ça tout le monde peut le faire, ça ne m’intéresse pas ». Nous pouvons ensuite ajouter
que dans cette perspective d’exercer son Identité, Betty a élaboré son interface de soignant sur
le versant de l’intériorité. L’exercice de son Identité, au travers de son activité professionnelle,
et l’édification de son interface de soignant sur le versant de l’intériorité, ont pour conséquence
dans les rapports qu’elle entretient avec les personnes âgée d’ouvrir le champs à la possibilité
d’établir une relation intersubjective avec les résidents de l’établissement.
En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant et une activité désiré qui
constitue un objectif idéologique pour Betty, lui permettant de se reconnaître et d’être reconnu
au travers d’une activité de soignant qu’elle assume et où elle se projette dans le temps « si la
loi change je tenterais peut-être la formation des sous-infirmière ».
32
Illustrations cliniques
II. Diana « La maltraitance c’est dans les deux sens »
Préalablement, nous tenons à préciser que Diana n’ayant pas souhaité l’enregistrement audio,
l’exposé et l’analyse de l’entretien que nous avons mené avec elle se base, sur les éléments que
nous avons pu entendre et mémoriser.
Au cours de notre chemin, pour trouver un lieu calme afin de mener notre entretien, Diana au gré
des personnes que nous avons croisé dans les couloirs, nous montra déjà des éléments de sa
pratique. D’une parole « ça va ma chérie »qu’elle lance à quelques résidentes installées au gré des
différentes pièces, à un commentaire à l’égard d’une collègue qui venait d’habiller un résident dont
Diana s’occupe d’habitude « qu’est-ce que c’est que cette horreur, qu’est-ce que tu lui a mis
comme pantalon, il est moche faut lui enlever ».
Lors de notre entretien, en dehors de nos échanges verbaux autour de son activité professionnelle,
Diana nous interpelle par sa présentation. En effet, celle-ci arbore un maquillage minutieux et une
coiffure impeccable sous fond d’une blouse blanche et d’un réfectoire déserté. Son attitude et le
ton qu’elle emploie lors de notre entretien, laisse planer autour de ses propos la suggestion
analogiquement émise : « vous voyez ce que je veux dire ». Diana se prête volontiers à nos
questions, souvent avec un air revendicatif où au gré de son discours, elle ne manquait pas de
rappeler notre présence par un « n’est ce pas jeune homme » , « hein jeune homme ? » qui, à
répétition finissait par nous agacer.
a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant »
Diana est âgée de 37 ans. Elle est native de l’Algérie qu’elle a quitté vers l’âge de vingt ans
« j’avais envie d’autre chose » pour travailler dans le restaurant de son cousin dans la région
parisienne. Durant un certain temps, elle multiplie les petits boulots « j’ai fait un peu de tout
jeune homme » . Quelques années après, elle emménage chez un autre membre de sa famille sur
la Côte d’Azur « y fait plus chaud ». C’est dans le cadre d’un stage d’insertion professionnelle
en tant qu’auxiliaire de vie que Diana côtoie pour la première fois le milieu d’une maison de
retraite pour entre-temps y saisir une opportunité d’emploi « j’ai tenté ma chance » dans une
autre fonction au sein de l’établissement : « j’ai commencé par un stage et une place s’est
libérée, j’ai donc commencé à une place de ménage ». Par la suite Diana a progressivement
intégré l’équipe de soin « y ont agrandi la structure, y fallait plus de personnel , alors ils ont
proposé au personne de la maison avant (….) ça me tentait et puis je connaissais déjà le
boulot ». Cela fait maintenant neuf ans que Diana travaille dans cette maison de retraite
« jamais j’aurais pensé faire ce travail, mais ça me plait », entre temps elle a passé la formation
d’Aide soignante « c’est l’établissement qui m’a proposé, c’est eux qui payaient en plus, moi
qui voulait la faire, j’ai pas dit non» dont elle est titulaire du diplôme depuis deux ans « on y
apprend toute la théorie qui manque dans la pratique ». Lorsque nous questionnons Diana sur
ce qui motive sa pratique en tant que soignant, celle-ci nous évoque que selon elle « c’est une
33
Illustrations cliniques
vocation, en Algérie, je m’occupais d’une vieille dame, j’adorais ça, c’était comme ma grandmère » puis elle ajoute un peu plus tard lorsqu’elle évoque le choix de sa profession « ça c’est
moi, j’aime m’occuper des gens, ça a toujours été mon truc ».
********
Pour Diana, « le travail du soignant, c’est un travail de soin à la personne, où le soignant
assiste la personne dans les gestes du quotidien, de la toilette au repas ». Autour de ce propos
qui relate sa conception de la profession de soignant, Diana nous énonce les contraintes qui
selon elle limitent sa pratique telle qu’elle l’entend « on peut pas passer plus de temps avec les
résidents, sinon l’on prend du retard, c’est juste possible si y a moins de toilette » dans ces
circonstance Diana dit avoir le temps d’« écouter les histoires de pépé et mémé, c’est riche ».
Diana nous évoque aussi sa pratique au travers de ce qu’elle dénonce et rencontre comme
contraintes et difficultés. Autant au niveau hiérarchique « l’on n’est pas valorisé » , « en
réunion on dit toujours le négatif jamais le positif » ; qu’auprès des familles « elles disent oui
par devant et se plaignent par derrière, ça m’énerve parce qu’après ça nous retombe dessus ».
Au sujet de sa relation avec les résidents, Diana ne change pas de ton « y ‘en a même pas je leur
parle, y sont méchants, faut pas croire y ils ont toute leur tête ». Elle évoque aussi, que suivant
la personne, elle ne réagit pas de la même manière « par exemple si c’est mr C. je réponds,
alors que si c’est Mme. D ça glisse, ça passe au dessus de ma tête parce que c’est la maladie »
et que globalement mutuellement « il faut du respect » , « moi je respecte toujours le résident,
quand je le lève je ne lui tire pas le bras, je lui explique pourquoi je le fais ». A plus forte
raison, toujours au sujet de ses rapports avec les résidents, Diana nous assure que « la
maltraitance c’est des deux côtés » et que la plupart du temps dans la difficulté « lorsqu’une
personne est agressive, je prends sur moi, toujours sur moi ». A la suite de cela, Diana nous
évoque (le visage avec les yeux humides) une situation qui l’avait particulièrement touchée. Un
jour, une personne dont elle s’occupait régulièrement prononça à son égard des paroles racistes
« ça m’a fait mal (…) parce qu’en plus c’est un résident qui avait toute sa tête ». Face à cet
événement, Diana nous évoque qu’à compter de ce jour elle a cessé de s’occuper de cette
personne. Deux mois après, à la demande du monsieur, Diana reprend la prise en charge de ce
derniers car selon elle « il a réalisé la qualité de mes soins par rapport au collègue qui m’avait
relayée ».
********
En dehors de la maison de retraite Diana ne parle pas souvent de son travail « ça dépend avec
qui (…..) puis on est tenu par le secret professionnel ». Elle se dit aussi déconnectée de
l’établissement au dehors de ses heures de travail « dés que je passe le portail, je me soucie
plus du boulot».Toutefois, cela n’exclut pas chez Diana des moments de doute au sujet de son
avenir professionnel « c’est lourd, parfois je suis limite je craque, je fais un bilan et je me
demande si je continue, si je change de branche, malgré que j’aime ce métier » .
34
Illustrations cliniques
b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne
L’exercice de la profession de soignant en gérontologie n’apparaît pas comme un choix premier
pour Diana « jamais j’aurais pensé faire ce travail, mais ça me plait». Cependant, le fait qu’elle
ait choisi d’évoluer au sein de la profession « ça me tentait », « je voulais la faire » et le fait
qu’elle appuie celle-ci en se référant à des éléments de son histoire « en Algérie, je m’occupais
d’une vieille dame, j’adorais ça, c’était comme ma grand-mère » , nous montre que l’activité
de soignant pour Diana est une activité désirée qui lui permet d’exercer son Identité « ça c’est
moi, j’aime m’occuper des gens ».
********
De nombreux éléments du discours de Diana nous illustrent que celle-ci exerce son activité de
soignante sur un référentiel syncrétique. Quand elle nous expose ce en quoi consiste la
profession de soignant pour elle, nous avons l’impression que ses propos revêtent un aspect trop
académique, plus de l’ordre d’une leçon récitée, que qu’une connaissance appropriée et
intégrée : « le travail de soignant, c’est un travail de soin à la personne ». Ensuite lorsque que
Diana nous évoque sa pratique, celle-ci le fait toujours sous la forme d’une plainte « on n’est
pas valorisé » , « en réunion on dit toujours le négatif, jamais le positif » où le milieu ne joue
pas son rôle de valorisation de sa pratique. Une pratique où elle semble ne pas assumer sa
responsabilité qu’elle alloue finalement aux éléments du milieu « on peut pas passer plus de
temps avec les résidents, sinon l’on prend du retard » « les familles se plaignent (….) après ça
me retombe dessus ».
********
L’inscription de l’activité de soignant au sein de sa trajectoire comme médiateur de son Identité,
ainsi que l’intégration et l’exercice de cette activité sur le versant de l’extériorité, ont pour
conséquence dans la pratique quotidienne de Diana, une certaine approche dans l’élaboration et
la gestion de son rapport aux personnes âgées de l’établissement. Diana parle davantage de
« résident » que de personne à proprement dit. Cet élément n’est que l’extrémité d’une bobine
que Diana déroule au fil de son discours, où elle évoque et appréhende ses rapports aux
personnes âgées sur le versant de l’extériorité, sur un mode stéréotypé. Pour Diana, il ne s’agit
pas de personne à part entière, mais de « pépés » et « mémés » qu’elle distingue entre « ceux qui
ont toute leur tête » et « ceux chez qui c’est la maladie ».
Dans la relation qu’elle peut établir avec les personnes de l’établissement, cela se répercute en
terme de difficulté à entretenir une relation intersubjective :« lorsqu’une personne est agressive,
je prends sur moi » ; « quand mme.B m’appelle toutes les deux minutes, c’est rien que pour
m’embêter». Cela se répercute aussi en terme de difficulté à différencier la responsabilité qui lui
incombe de celle de l’autre : « la maltraitance c’est dans les deux sens » . Globalement, nous
pouvons dire que les relations qu’entretient Diana, contiennent toujours une part d’extériorité,
de syncrétisme « il faut le respect (…) moi je respecte toujours le résident » où la personne
âgée n’est pas reconnu en tant que telle « il est moche comme ça, faut lui enlever » ; « il a
35
Illustrations cliniques
réalisé la qualité de mes soins ». Une part d’extériorité et d’approche stéréotypée de la relation
à laquelle nous-même avons pu faire l’objet « n’est-ce pas jeune homme ? » .
c) Conclusion
Dans le Cas de Diana, l’activité de soignant en gérontologie est une activité désirée qui
participe à la continuité élaborative de son Identité . Cependant, le discours de Diana peut nous
laisser entendre que celle-ci présente des carences au niveau de la synthèse de son Identité.
Ainsi il subsiste une part d’extériorité de son Identité lorsqu’elle élabore et intégrer l’activité
de soignant en gérontologie. Nous pouvons ensuite ajouter que dans cette perspective
d’exercice de son Identité, Diana a élaboré son interface de soignant davantage sur un versant
syncrétique, d’extériorité. L’exercice de son Identité, au travers de son activité professionnelle,
et l’édification de son interface de soignant sur le versant de l’extériorité, ont pour conséquence
dans les rapports qu’elle entretient avec les personnes âgées de limiter la possibilité d’établir
une relation intersubjective avec les résidents de l’établissement, et au contraire favoriser
l’élaboration de relations stéréotypés.
En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant est une activité désirée qui
constitue un objectif idéologique pour Diana, où elle rencontre des difficultés à se reconnaître
et être reconnu au travers d’une activité de soignant qu’elle n’assume pas et autour de laquelle
elle évoque même une possibilité de reconversion « c’est lourd, parfois je suis limite je craque,
je fais un bilan et je me demande si je continue, si je change de branche, malgré que j’aime ce
métier ».
III. Sally « Je ne vois pas ce que les autres vous diront de plus»
Lors de notre entretien, nous avons été gêné par la brièveté de certaines réponses de Sally par
rapport à d’autres entretiens que nous avions pu mener. A tel point, que lors de la réécoute de cet
entretien nous nous sommes étonnés à nous entendre insister sur certains éléments dans l’attente
d’une réponse là, où semble t-il, il n’y avait pas d’élaboration pour Sally. Cet entretien fut assez
court 25 minutes , où il nous a fallu relancer Sally à plusieurs reprises qui se contentait de répondre
à la question. Au terme de cet entretien nous avons eu une sensation de vide, de rien, de non
élaboré.
a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant »
Sally est âgée de 40 ans. Elle exerce depuis trois ans, au sein de l’établissement, la fonction
d’ASH qu’elle qualifie de « rien, ça veut rien dire ». Auparavant, Sally exerçait une activité
professionnelle dans d’autres secteurs comme la restauration et la vente. Diverses professions
qu’elle associe autour de l’idée que c’était « toujours avec du public (…) avec des gens, ça s’est
36
Illustrations cliniques
présenté comme ça, et ça s’est toujours bien passé, et c’est plus agréable que derrière un
bureau tout seul ». Par la suite, Sally a déménagé et s’est mise à la recherche d’un travail « je
cherchais dans n’importe quel domaine (…) je cherchais là où y a des places». L’établissement
gérontologique « étant le plus gros employeur du secteur » , c’est « par hasard » que Sally a
débuté sa carrière, son parcours de soignante en gérontologie qu’elle résume ainsi : « je suis
arrivée ici, je cherchais du travail et c’est dans cet établissement que je suis arrivée, ça m’a
plue, donc je suis restée (…) le métier me plait, y a du contact avec le public, on travaille quoi».
********
Pour Sally, la profession de soignant « c’est l’accompagnement, c’est des gens désorientés qui
n’ont plus de repères et donc à chaque moment de la journée, il faut les accompagner » où « on
les aide à manger, faire leur toilette et c’est le plus gentilement possible ». C’est « se sentir
utile » en aidant des personnes qui « ne sont plus capable de faire certains gestes de la vie
quotidienne ». Lorsque qu’elle est en difficulté dans sa pratique, Sally revendique « le soutien
de l’équipe », une pratique qui selon elle évolue « par rapport à ses collègues et aux gens, c’est
jamais les mêmes ».
Selon Sally, les personnes âgées qui résident dans l’établissement, « c’est nos bébés ». La seule
différence étant que ces derniers sont « plus âgés » et « plus lourds ». Pour Sally « l’on
s’occupe d’eux (les personnes âgées) comme si c’était nos bébé », « quand ils sont seuls, on
essaie de les rassurer, de mieux les entourer » , ce qui compte « c’est vraiment l’aide qu’on
leur apporte » car « c’est des papys et des mamies qui ont besoin, alors on est là pour les
aider ».
********
Sally envisage de faire la formation d’aide-soignante « la vraie formation » car « c’est par
rapport à l’établissement, il nous envoie à l’école ». Lorsque nous demandons à Sally pourquoi
contrairement à d’autres professions elle ne change pas aujourd’hui, celle-ci nous répond « je ne
sais pas, parce que ça s’est présenté comme ça sur le cours de ma vie et voilà ».
b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne
L’activité en tant que soignant de Sally est orientée par la nécessité d’exercer une profession. Elle
attribue le choix de cette profession « au hasard » et justifie le fait de continuer celle-ci au cour
des choses. L’activité de Sally n’apparaît pas comme un choix propre, il s’assimile plus à un
concours de circonstance « première employeur du coin ». Et même si cela était
vraisemblablement le cas, en deux années de d’exercice, Sally ne semble pas avoir plus intégré et
élaboré son activité de soignant au sein de la dynamique évolutive de son Identité. Les propos
qu’elle élabore, sont pauvres et témoignent d’une maigre élaboration de son activité et interface en
tant que soignante. Lorsque nous demandons à Sally : « l’aide que vous leur apportez, qu’est-ce
37
Illustrations cliniques
qu’elle vous apporte ? » , celle-ci nous répond « je sais que c’est bien fait ». Cela nous évoque le
mode de participation d’une personne qui reste ancré dans l’instant présent et la validation de sa
personne, de son être au travers des compétences de soignant où elle se sent « utile ».
********
Ce n’est d’ailleurs qu’autour de ses compétences que Sally nous évoque sa relation aux personnes
âgées : « c’est l’accompagnement, c’est des gens désorientés qui n’ont plus de repères et donc à
chaque moment de la journée, il faut les accompagner » ; on les aide à manger, faire leur toilette
et c’est le plus gentiment possible » . Pas un de ces propos ne témoigne de la relation à l’autre par
le bais d’un échange. La relation reste évoqué sous la forme d’un soin appliqué , une attention
donné à la personne âgée ignoré dans sa différence et sa spécificité : « c’est nos bébés »
********
Au terme de notre entretien, Sally nous lança un dernier propos qui nous évoque bien cette idée
que l’élaboration de son activité et interface en tant que soignante sont restées sur le degré de la
fonctionnalité de la profession : « vos entretiens avec mes collègues, les réponses ça risque d’être
pas mal les mêmes . ça risque juste d’être un peu plus technique ».
c) Conclusion
Dans le Cas de Sally, l’activité de soignant en gérontologie est une activité non désirée qui ne
participe pas à la continuité élaborative de son Identité. Le discours de Sally nous laisse
entendre qu’avant d’assumer ou pas son activité, Sally avant tout l’exécute. Ainsi Il nous
apparaît que l’activité de Sally au sein du milieu relève de la conduite. Nous pouvons ajouter
que dans cette perspective d’exercice de son activité, Sally n’a pas vraiment élaboré son
interface de soignant. Cela ayant pour conséquence dans les rapports qu’elle entretient avec les
personnes âgées de limiter la possibilité d’établir une relation intersubjective avec les résidents
de l’établissement, et au contraire favoriser l’élaboration de relations qui restent sur la
dimension fonctionnelle, par le biais de l’instrumentalisation du soin.
En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant est une activité non désirée qui
s’apparente davantage à une conduite. Une activité où Sally n’élabore que très peu son interface
de soignant qui puisse permettre à des éléments de sa personne de s’étayer. Que celle-ci exerce
une activité de soignant qui demeure sur le versant fonctionnel et où la personne âgée est
réduite au même titre qu’un bébé, c’est-à-dire un objet de soin.
38
Illustrations cliniques
IV.propos synthétique sur ces illustrations cliniques
Nous pouvons dire que pour Betty et Diana leur profession de soignant en gérontologie est une
activité de relation qui contribue à l’exercice et la continuité élaborative de leur Identité au sein
du champ social (une facette). Cela malgré le fait que toutes deux n’y parviennent pas dans la
même proportion et qualité d’intégration. A l’inverse, pour Sally son activité de soignante
semble dénuée d’enjeu Identitaire , et reste à un degré d’élaboration de l’ordre de l’unité
fonctionnelle (une conduite) qui permet à Sally d’exercer une profession sans pour autant y
élaborer ou chercher l’élaboration d’un projet d’une réalisation de soi.
Nous pouvons ajouter aussi que selon le degré d’élaboration plus ou moins élevé de l’activité et
de son interface en tant que soignant, la personne sera plus ou moins à même de gérer son
activité et à fortiori son rapport aux autres de manière plus ou moins fluide et stable, afin
d’assurer sa position de sujet intègre au sein du milieu gérontologique.
39
Discussion
&
Critique
Discussion & critique
I Discussion et ouvertures
L’exposé de la discussion et des ouvertures émanant de notre travail se décomposera en trois
paragraphes. Tout d’abord, nous poserons un regard d’analyse et de synthèse de ce qu’illustre et
évoque notre présent travail. Ensuite, nous énoncerons quelques affluents que ce travail peut
inspirer et faire couler pour d’hypothétiques pistes de recherches. Et enfin, nous esquisserons ce
que ce présent travail peut évoquer d’une pratique du psychologue en institution auprès des
personnes soignantes.
a) Un regard d’analyse et de synthèse sur notre travail
Ce que mettent en avant nos illustrations cliniques n’est pas à comprendre comme la constante
ou l’état de l’activité de la personne soignante en gérontologie. Il faut considérer cela tout
autrement, en gardant en tête que l’adaptation est un processus actif. Il faut appréhender ce que
mettent en évidence ces illustrations, comme la tendance à un moment T du processus adaptatif
de la personne soignant, qui s’opère à un temps de son cycle de vie au sein d’un milieu concret.
Ainsi, il ne faut pas donner valeur d’absolu ou de systématique au mode de participation
observé de la personne soignante. Mais plutôt de considérer cette tendance comme le potentiel,
à partir duquel actuellement, la personne
mit en forme
son activité au sein du milieu
gérontologique.
Nous employons ci-dessus le terme « actuellement », car la théorie du détour étant une
approche du sujet dans sa globalité et sur l’ensemble de son cycle de vie, nous pouvons être
amené à questionner le mode participation de la personne soignante à un autre moment de sa
vie professionnelle (proche de la retraite, temps de crise …..), ou bien encore dans d’autres
circonstances (une autre institution, une personne âgée auprès de qui il y a une certaine
résonance affective …..) car :
« La part du monde extérieur qui entre dans la réaction est à la fois celle qui peut
répondre à certaines dispositions du sujet et les susciter. Inversement, les dispositions
du sujet qui viennent à se révéler sont celles qui ont rencontré leur objet, parce
qu’elles ont su le susciter. Couper ce circuit, le décomposer en objet, sujet, but et
moyens, c’est supprimer l’essentiel »88.
88
wallon l’origine du caractère chez l’enfant p 57
40
Discussion & critique
b)Ouverture sur des pistes de recherche
Notre sujet est vaste et s’apparente plus à une tentative de proposer une grille conceptuelle
alternative pour aborder une population dans un espace donnée. Une base dialectique nous
permettant d’ouvrir à de nombreuse piste de recherche.
Partant de cette grille de lecture du détour pour étudier les différentes situations et
problématiques susceptibles d’émerger chez les personnes soignantes en gérontologie, nous
pourrions envisager de re questionner entre autre, le sentiment de culpabilité des soignants ou le
syndrome de burn-out.
Le sentiment de culpabilité pourrait être exploré du côté de l’éprouvé d’un décalage entre la
personne soignante et l’environnement où elle exerce son activité. Un décalage qui s’articulerait
et émanerait différemment, selon si la personne entreprend son activité de manière plus ou
moins syncrétique, ou bien encore lorsque les conditions du milieu ne permettent pas à la
personne d’exercer ses compétences intériorisés. Quelque qu’en soit les circonstances du
sentiment de culpabilité, celui-ci pourrait se penser , au vu de notre recherche, comme un
décalage entre l’interface élaborée par la personne soignante pour réaliser ses objectifs et les
circonstances du milieu gérontologique.
Le syndrome de burn-out pourrait être envisagé comme une situation où l’interface en tant que
soignant est fortement instable, et ouvrirait sur une réflexion de la difficulté pour la personne
soignante de différencier sa facette de soignant de son Identité globale.
Nous pouvons aussi entreprendre, tout comme nous avons pu l’esquisser lors d’un stage dans le
secteur de la protection de l’enfance, d’exercer cette réflexion d’une approche globale d’un
professionnel dans d’autre domaine du monde du travail. Toute profession où, la personne serait
abordée dans le champ de sa trajectoire d’individuation qui intègre, élabore et met en forme
une activité adaptative spécifique dans un milieu donné.
c)Suggestions pour une pratique du psychologue en institution
auprès des personnes soignantes
Dans la pratique institutionnelle du psychologue, notre recherche suggère une certaine approche
des soignants et inspire ou accrédite quelques initiatives auprès de ces derniers.
Notre travail nous montre qu’il faut accepter que chaque soignant ait ses propres objectifs au
sein du milieu, qu’ils ne soient pas forcément, à l’image d’un idéal de soin qu’il lui faudrait
exercer et assumer. A partir de cette perspective, le psychologue peut envisager de travailler
autour de l’élaboration, l’appropriation et la gestion des objectifs de la personne soignante au
sein du milieu gérontologique. C’est une démarche qui peut s’envisager par des interventions
auprès des soignants sur différents plans du milieu gérontologique :
41
Discussion & critique
-Par la mise en place d’un espace de paroles, où les soignants autour de l’évocation de
leur pratique et leur éprouvé, pourraient perpétuer l’élaboration de leur activité et de leur
interface en tant que soignant autour de temps, d’analyse des pratiques ou de mise en
situation (jeu de rôle).
-Par la mise en place d’un dispositif d’accompagnement de jeunes professionnels dans
leur dynamique d’appropriation et de planification de leur objectifs au sein du milieu
gérontologique.
-Par l’implication et la responsabilisation des soignants dans l’élaboration et le suivi du
projet individualisé d’une personne âgée. Ainsi, cela donnerait la possibilité pour le
soignant d’étendre son champ d’investigation et les potentiels feed-back positifs de son
activité en dehors des temps de nursing.
Bien entendu, cela ne reste que des suggestions en écho à notre travail. Toutes ces propositions
restent subordonnées, bien entendu, aux possibilités qu’offre l’établissement gérontologique.
Car nous ne pouvons composer qu’à partir de ce qui est en présence dans le milieu.
42
Discussion & critique
II Critique
Notre travail peut faire l’objet de critiques aux yeux de ceux qui le liront. Pour notre part, cidessous nous souhaitons apporter notre lot d’autocritique au préalable d’hypothétiques
contributions sur la question.
Tout d’abord, en y regardant de plus près, notre démarche qui solutionnait l’obstacle de notre
investigation sur un lieu de stage, nous apparaît après coup avoir aussi son revers. Notre
méthodologie, qui consistait à s’adressé aux personnes soignantes sous forme de volontariat,
porte son lot de biais qu’il ne faut pas négliger. C’est-à-dire que nous pouvons supposer que
cette méthode d’investigation était inappropriée pour rencontrer des soignants dont l’activité est
peu élaborée et dépourvue d’enjeu Identitaire. En ce sens que l’on échange et énonce rarement
un discours sur un sujet dans lequel on ne se reconnaît et ne cherche pas à y être reconnu.
Ensuite, comme ont pu nous l’évoquer les propos d’une soignante « moi, y a des maisons de
retraites, jamais j’y bosserai, c’est pas la peine », nous pouvons reprocher aussi à notre
recherche de ne pas pouvoir mettre en évidence l’importance qu’est susceptible de jouer
l’institution gérontologique (son fonctionnement, sa démarche qualité et sa politique du
personnel) dans l’élaboration de l’activité et la stabilité de la personne en tant que soignant.
Enfin, notre démarche ne peut pas garantir de rendre compte à proprement dit de la manière
dont la personne soignante gère les instants plus ou moins conflictuels de sa pratique
quotidienne. Notre approche peut seulement prétendre, selon les indicateurs qui se dégagent du
discours de la personne, à distinguer sous quel versant la personne a élaboré, intériorisé et à
fortiori entrepris son activité de soignant car, finalement « il est moins important de savoir
qu’il a posé tel ou tel acte concret que de pouvoir inscrire cet acte dans une perspective
symbolique qui lui donne un sens »89.
D’autres critiques pourraient trouver place dans ce paragraphe. Mais ces trois réserves que nous
venons d’émettre, illustrent selon nous les difficultés d’une recherche en psychologie : le choix
forcément réducteur de la méthodologie ; la complexité d’appréhender une réalité psychique
dans sa globalité et sa dynamique permanente.
89
CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry
Montpellier-III p270
43
Conclusion
Conclusion
Qu’il est frustrant et réjouissant à la fois de mettre un terme à ce travail. Frustrant dans la mesure
où nous figeons les choses en les écrivant avec un point final, alors qu’elles nous apparaissent
perpétuellement dynamiques et riches en réflexion. Mais aussi réjouissant, car nous nous
consolons (si nous pouvons le dire ainsi) de ce mouvement de la pratique du psychologue, où
celui-ci, opère des va et vient entre ses rencontres cliniques et la théorie. C’est un mouvement qui
trouve écho à nos yeux dans un propos de C.Castoriadis lorsque celui-ci écrit « fait et à faire »90.
Notre recherche s’est étendue sur deux années. Un travail passionnant et parfois pénible autour
duquel, en complément d’un effort de réflexion et d’écriture de ce mémoire s’est greffée une
dimension plus personnelle pour « m’émoir » et élaborer ce qui entoure, représente et cristallise
ce travail de recherche : une ambivalence, un cap. Il est dur, dans ces quelques lignes, de tracer la
frontière de ce qui transparaît de nous au sein de ce travail, entre ce qui peut se partager et ce qui
doit demeurer dans la sphère de l’intime, tant dans le choix de notre sujet que de notre manière de
le construire. Nous n’en sommes pas dupe et en tirons à coup sûr quelques indices à élaborer et
certaines conclusions personnelles autour de l’idée des rapports entre l’évolution de soi et l’activité
dans le champ social, ou bien encore de l’idée de relativité de la dynamique interactive de tout à
chacun.
Globalement, conjointement à une pratique orientée auprès des personnes âgées en maison de
retraite, notre travail et nos rencontres avec les personnes soignantes en gérontologie nous ont
renforcé dans l’idée et l’envie de travailler auprès des soignants. Pour nous, l’un ne va pas sans
l’autre, car l’institution gérontologique nous apparaît susceptible d’être un espace d’élaboration
autant pour le public qu’elle accueille que pour le personnel qu’elle emploie. Dans ce contexte,
le psychologue, spécialiste de l’institution, n’adopte pas les« conceptions myopes du travail en tant
qu’exercice musculaire, ou même en temps que production d’objets »91, il est au contraire garant
d’une certaine perspective des rapports spécifiques qu’entretient chaque individu avec le milieu
gérontologique.
********
Nous souhaitons conclure notre travail de recherche sur le ton que nous avons choisi d’employer,
tout au long de ce mémoire, pour rendre quelque peu plus vivante et agréable sa lecture : autour
d’un exemple imagé….
Aussi absurde que cela puisse paraître, le soignant en gérontologie est comparable à un
personnage dans une pièce de théâtre. L’un comme l’autre porte un costume et joue un rôle, où
pour l’un il s’agit d’appliquer des soins et pour l’autre d’énoncer un texte. Chez l’un comme chez
l’autre les modalités de ce rôle s’intègrent, s’intériorisent et s’automatisent progressivement pour
permettre, suivant la personne soignante/l’acteur personnage d’orienter son activité/sa prestation
90
91
CASTORIADIS.C (2008) fait et à faire les carrefours du labyrinthe 5, edition point coll essai page 7
LE GUILLANT.L (2007) citant Tosquelles dans son ouvrage : le drame humain du travail , edition érès p 63
44
Conclusion
sur le versant de sa relation avec les résidents/les spectateurs. Une relation où émergent
contagions et émotions mises en forme au travers du soin exercé/texte énoncé.
Ainsi, c’est à partir d’un milieu l’institution gérontologique/la pièce de théâtre, et l’intégration de
sa fonctionnalité l’activité de soin/le texte , que la personne élabore et exerce une activité de
relation lui permettant potentiellement de se reconnaître et d’être reconnu au travers de son rôle de
soignant/rôle théâtral, où finalement ce dernier n’a de consistance et de sens que par la personne
qui l’incarne.
Tout comme au théâtre où ce n’est pas la justesse du texte qui fait le personnage mais l’acteur qui
l’incarne, en gérontologie ce n’est pas la justesse du soin qui fait le soignant mais la personne qui
l’exerce. Le texte énoncé et le soin appliqué peuvent être les médiateurs d’une activité de relation
au travers de laquelle la personne qui l’incarne/l’exerce peut se reconnaître et être reconnu.
********
Pour résumer notre démarche, nous dirons que nous avons tenté de poser un regard clinique sur
une réalité concrète du milieu que nous avons pu vivre et rencontrer , « un regard sur l’humanité
autre que celui qui nous vient spontanément et qui (…) nous amène à penser quantité d’évidence
qui ne présentent en fait aucune réalité psychologique ».92
92
CHABRIER.L ; CARIOU.M (2006) , psychologie clinique , édition hachette supérieur , coll. HU PSYCHO , p 282
45
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LEWIN.K , psychologie dynamique : les relations
sociales , ed. PUF, 2ème édition
POUSSIN.G, (2005) , la pratique de l’entretien
clinique , édition dunod , coll. clinique
PLOTON L ,(2003),La personne âgée , son
accompagnement médical et psychologique et la
CARIOU.M ,(1998),La démence comme expression
de la singularité de l’être humain,article paru dans La
Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale N °20
CHABRIER.L
,(1998),analyse
des
rapports
idéologiques et psychologiques entre démence et
humanité : conséquences sur les modalités
psychothérapeutiques ,article paru dans La Revue Française de
Psychiatrie et de Psychologie Médicale N°20
MALRIEU P,(1979) , personne et personnalisation
chez Henri Wallon , revue enfance n° 5 spécial « centenaire de
Henri Wallon »
MORIN.H ,(2008), Un insecte parvient à résister au
coton OGM censé l'éradiquer,édition du quotidien Le
Monde du 9 février 2008
WALLON.H,(1976) , le rôle de l’autre dans la
conscience du moi , revue Enfance N° spécial Wallon
WALLON.H (1959) , science de la nature et science
de l’homme : la psychologie , revue enfance n°3-4
WALLON.H ,(1953),l’organique et le social chez
l’homme ,Revue enfance n° spécial Wallon « buts et méthodes de
la psychologie
Supports ense ignements universitaires
CARIOU.M
,(2003-2006)
,enseignements
de
psychologie : initiation à la théorie de Wallon (DEUG
2); épistémologie et cycle de vie (LICENCE);
psychologie du cycle de vie (MASTER 1); clinique du
détour (MASTER 1) , université de Nice , UFR LASH
CHABRIER.L ,(2001),à propos de la révolution
épistémologique dans les disciplines à vocation
scientifiques,article non publié, support d’enseignement en
licence 3 de psychologie à l’université de Nice Sophia-Antipolis
Annexes
Sommaire des annexes
• Annexe 01 : Exemple d’une fiche de poste de soignant en maison de retraite …….………II
• Annexe 02 : La profession de soignant en gérontologie …………..……….………………III
• Annexe 03 : L’autre « âgé »………………………..…...…………………………………V
I. Annexes : cadrage théorique
• Annexe 04 : Article paru dans l’édition du Monde le 09.02.2008 ………….…….………..VII
• Annexe 05 : Schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble du cycle de vie..........VIII
• Annexe 06 : Schéma récapitulatif de la notion détour appliquée au psychisme humain......VIII
• Annexe 07 : Schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de relation.….….… VIX
• Annexe 08 : Schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité fonctionnelle de l’activité..IX
II. Annexes : méth odologie & illust ration s clin iques
• Annexe 09 : Lettre à l’attention de la direction et personnel de maisons de retraite……….X
• Annexe 10 : Guide d’entretien………………………………………………………….…..XI
I
Annexes
Annexe 01 : Exemple d’une fiche de poste de soignant en maison de
retraite
Voici ci-dessous, une fiche de poste vouée à informer la personne soignante de la répartition et
chronicité des tâches qu’elle doit accomplir au file de sa journée de travail. Les autres fiches de
poste dont disposait l’établissement pour les soignants (hormis infirmière) ne différait qu’au sujet
de la répartition des horaires et non du type de tâche qui leur étaient allouées.
II
Annexes
Annexe 02 : caractéristique de la profession de soignant en
gérontologie
C’est une profession qui n’est pas frontalement différente de celle de soignant dans d’autres
secteurs. Cependant, elle se distingue sur certains points qu’il ne faut pas omettre lorsque nous
entreprenons une réflexion sur la personne soignante en gérontologie.
Tout d’abord, c’est une profession qui n’est pas systématiquement une vocation ou un choix de
carrière, pour la personne qui l’exerce : «jamais j’aurais pensé faire ça, mais maintenant je me
vois pas faire autre chose ». Soignant en gérontologie s’apparente plus souvent à « une voie de
garage », tant en terme d’activité professionnelle « j’avais pas de diplôme et j’avais besoin d’un
boulot, faut bien manger », qu’en terme de continuité de carrière « ici, c’est pas comme l’hôpital
et y me reste pas beaucoup avant la retraite, alors». Ces propos nous évoquent que l’activité de
soignant en gérontologie n’est pas au même titre que d’autres secteurs, un domaine à proprement
dit attrayant dans lequel les personnes font systématiquement le projet et le choix de s’engager
pour se reconnaître et être reconnus.
Ensuite, la profession de soignant en gérontologie est une activité qui ne requiert pas forcément de
qualification particulière pour être exercé : « moi je suis arrivée ici, je ne connaissais rien au
boulot ». Cette souplesse au niveau du recrutement (à l’exception du poste d’infirmière) tient
principalement à deux choses. Premièrement, qu’il est difficile de trouver du personnel qualifié
(voir même du personnel tout court) car ces derniers privilégie d’autres institutions et populations
plus valorisantes socialement : « vous savez quand vous dites que vous travaillez avec les vieux, les
gens vous regard d’un air de dire… Alors que si c’était des enfants ou l’hôpital ce ne serait pas
pareil ». Cette souplesse tient aussi au fait, qu’en maison de retraite, la fonction de soignant
correspond plus justement à une fonction d’aidant où en gérontologie la notion de soin est «un
paradoxe, on nous donne à soigner des êtres dont on nous dit qu’ils sont incurables, dont on nous
dit qu’ils vont mourir, ce qui réduit la tâche à : -donner du confort –gérer la relation –prendre
soin de ceux qui sont marqués du sceau de la mort »93.
Cette difficulté de trouver du personnel qualifié et cette fonction à plus juste titre d’aidant, ont
pour conséquence en gérontologie d’indifférencier les soignants dans leur rôle et statut auprès des
résidents « moi, je suis ASH, mais en fait je fais comme une aide-soignante, j’ai juste pas le même
salaire » , « j’ai un diplôme d’AMP, mais y’a tellement de boulot que je fais pas le tiers de ce que
j’ai appris, le nursing c’est une toute petite part de ma formation et ici je fais que ça ». Autrement
dit, tous les soignants n’ont pas les mêmes outils et référents, mais sont exposés à une même
situation et exerce une fonction identique.
Enfin, la profession de soignant en gérontologie se distingue tout simplement par la population
auprès de laquelle celle-ci s’exerce. Elle s’adresse à des personnes dont le vécu pour « la majorité
propos tenu par des personnes soignante en maison de retraite
93
PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p 12
propos tenu par des personnes soignante en maison de retraite
III
Annexes
d’entre nous ne vivons pas encore, nous ne pouvons pas nous appuyer sur notre expérience »94.
Les personnes âgées sont porteuses d’un vécu inconnu auprès duquel les personnes soignantes
doivent instaurer et gérer une relation autour de soins apportés.
Globalement, la profession de soignant en gérontologie s’apparente à une fonction d’aidant auprès
d’une population dont le vécu est particulièrement inaccessible et propice à une relation
adultocentrique :« allez, c’est trois fois rien, vous n’allez pas faire votre fainéante ce matin». Une
profession où à tous les soignants (hormis l’infirmière) sont allouées les mêmes tâches, la même
fonction d’aidant malgré les différences de compétences et d’aptitudes de chacun pour interagir au
sein du milieu gérontologique.
94
GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p72
IV
Annexes
Annexe 03 : L’autre « âgé »
Cela peut paraître surprenant d’user de cet intitulé, voir même de le penser car en quelque sorte
« nous sommes toujours le vieux de quelqu’un d’autre »95. Cependant, il n’est pas dépourvu
d’intérêt pour notre recherche de se pencher brièvement sur ce point pour exposer le cadre de
l’activité dans une maison de retraite. Au sein du milieu gérontologique, l’activité du soignant
s’adresse à des autres particuliers : les personnes âgées. Sans exclure que chaque autre est unique,
les personnes âgées tiennent à une particularité. Dans nos sociétés actuelles, qui favorisent « une
logique de l’avoir plutôt que de l’être »96, les autres âgés s’assimilent moins à leur singularité
humaine qu’à un stigmate de notre temps:« un individu qui aurait pu aisément se faire admettre
dans le cercle des rapports sociaux ordinaires possède une caractéristique telle qu’elle peut
s’imposer à l’attention de ceux d’entre nous qui le rencontrent et nous détourner de lui, détruisant
ainsi les droits qu’il a vis à vis de nous du fait de ses autres attributs »97. Cette stigmatisation des
personnes âgées recouvre et solutionne la crainte, l’ignorance que véhiculent ces êtres au regard
des autres plus jeunes.
La crainte car « rares sont les patients qui correspondent au vieillard idéal tel qu’on se plaît à le
concevoir (…), ou que l’on désirerait être plus tard»98. Plus communément, les personnes âgées
constituent un autre difficilement acceptable dans son statut de semblable singulier. Accepter cet
autre en tant que semblable c’est se reconnaître, se projeter en cet individu qui représente en
quelque sorte « l’incarnation de l’irréductible du corps »99et la déchéance sociale .
L’ignorance tient au fait que les personnes âgées éprouvent un vécu qui est particulièrement
inaccessible. Si avec l’adolescence « chacun d’entre nous possède son propre jugement sur cette
période de la vie »100, dans le cas du grand âge plus qu’avec d’autres « nous sommes (…) obligé de
nous fier aux discours des spécialistes et à notre imagination »101. La reconnaissance de l’autre
âgé comme semblable et singulier, suggère donc l’acceptation d’une part d’inconnu.
Cette difficulté d’appréciation, de tolérance à l’égard des autres âgés n’est pas imputable à chaque
individu. Elle est variable suivant le degré de carence (Identité/Altérité) du sujet face à aux
personnes âgées, et peut s’accroître (ou apparaître) lorsque les personnes âgées atteignent un
niveau supérieur de la déchéance avec la démence. Cette difficulté d’appréciation apparaît comme
la révélation ou l’affirmation d’un référent (une pensée) syncrétique où : « Notre imagination ne
nous ferait-elle pas croire qu’un homme vieux est un homme jeune qui souffre d’être vieux ? »102 .
95
messy j (2002) la personne âgée n’existe pas , édition petite bibliothèque payot
CHABRIER L , (1998), Analyse des rapports idéologiques et psychologiques entre démence et humanité : conséquences sur les modalités psychothérapeutiques,
revue La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N °20 , p 24
97
ème
LE BRETON.D ,(2005), anthropologie du corps et modernité , édition PUF , collection quadrige , 4 tirage , p 145 (citant GOFFMAN.E)
98
PLOTON.L , (2003) ; la personne âgée et son accompagnement et la question de la démence sénile, édition chroniques sociales , collection comprendre ,p12.
99
LE BRETON.D ,(2005), anthropologie du corps et modernité , édition PUF , collection quadrige , 4 ème tirage , p 146
100
GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p71
101
ibid p 72
102
GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p73
96
V
Annexes
Cette conduite adultocentriste face aux personnes âgées « montre que l’âge est surtout le
révélateur des limites de notre façon spontanée de percevoir l’homme au travers son corps , son
rapport social , ou son fonctionnement psychologique »103.
Espace de vie et de prise en charge des personnes âgées dépendantes, la maison de retraite apparaît
comme un catalyseur de cette erreur d’appréciaition, où la reconnaissance d’une personne
semblable et différente particulièrement inaccessible doit en plus s’instaurer autour d’un rapport
(d’interactions) de dépendance.
Ainsi, la rencontre et la gestion de la relation avec les personnes âgées peut constituer une épreuve
pour l’individu adulte (ou jeune adulte) soignant en quête de revendication et reconnaissance de
son intégrité Identitaire au travers de son rapport à cette Altérité (l’autre âgé) particulièrement
stigmatiser dans notre temps.
103
CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition
Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 169
VI
Annexes
Annexe 04 : Article paru dans l’édition du Monde le 09.02.2008
http://www.lemonde.fr/ - Article paru dans l'édition du 09.02.08
ENVIRONNEMENT PLANTES TRANSGÉNIQUES
Un insecte parvient à résister au coton OGM
censé l'éradiquer
Pour la première fois, un insecte est parvenu dans la nature à développer une résistance à une
toxine produite par une plante génétiquement modifiée pour l'éradiquer. Helicoverpa zea, une
noctuelle ravageuse du coton, vient d'administrer aux Etats-Unis une démonstration brillante de la
théorie de l'évolution : quand une population est soumise à une pression de sélection, la survenue
de mutations peut favoriser sa perpétuation.Un tel phénomène de résistance aux toxines sécrétées
par des OGM avait déjà été induit en laboratoire. Mais il n'avait encore jamais été détecté dans les
conditions d'agriculture réelle, rapporte un article mis en ligne le 7 février par la revue Nature
Biotechnology.Bruce Tabashnik et ses collègues de l'université de l'Arizona y présentent leur
compilation d'une décennie d'études conduites sur six espèces d'insectes visés par des toxines
produites par des cotons et des maïs transgéniques cultivés en Australie, en Chine, en Espagne et
aux Etats-Unis. A ce jour, notent-ils, seule Helicoverpa zea est parvenue à résister à une toxine,
Cry1Ac, produite à partir d'un gène tiré de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt).Les premières
chenilles de papillon résistantes ont été détectées à partir de 2003, dans des champs de l'Arkansas
et du Mississippi. Certaines étaient capables de survivre à des doses de toxine 500 fois plus élevées
que celles tuant ces insectes, dans les mêmes parcelles, avant l'introduction de ce coton dit Bt.
MAINTIEN DE ZONES « REFUGES »
Pour faire face à ce phénomène de résistance, les promoteurs des OGM préconisent le maintien de
zones « refuges », semées en plantes conventionnelles, où sont conservées des populations
d'insectes sensibles à la toxine ayant pour avantage de « diluer » par croisement le caractère
résistant des individus mutants.Cette stratégie semble fonctionnelle, mais à condition que les
refuges soient « abondants », prévient M. Tabashnik : en Arkansas, où 39 % de la population d'
Helicoverpa pouvaient trouver pitance dans des champs non OGM, la résistance a pu apparaître et
pourrait, au rythme actuel, être totale d'ici neuf ans.Au contraire, en Caroline du Nord, où ce
pourcentage de refuge était de 82 %, la fréquence de la résistance sera encore presque nulle dans
dix ans, prédit-il.
Hervé Morin
VII
Annexes
Annexe 05 : Schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble
du cycle de vie
Voici ci-dessous, une présentation imagée du cycle de vie dans sa dynamique évolutive autour
des principaux concepts de la théorie du détour.
Annexe 06 : Schéma récapitulatif de la notion détour appliqué au
psychisme humain
La théorie articule la dynamique adaptative autour du paradigme du détour. C’est-à-dire la
nécessité de passer par des objectifs intermédiaires (B) pour atteindre plus sûrement son objectif
premier (A) (schéma 1). Ainsi pour l’humain, l’objectif final serait l’adaptation (sous le terme de
sécurité de base) qui au fil du développement, et selon la structure du sujet, s’inscrirait dans un
champ social plus ou moins élargi, une activité de relation plus ou moins étendue et souple.
(schéma 2 & 3)
schéma 1
schéma 2
schéma 3
VIII
Annexes
Annexe 07 : Schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de
relation
L’activité de relation de la personne correspond à la mise en forme de son énergie vitale au sein du
milieu. Cette mise en forme de son activité se compose de deux modalités de l’activité de relation :
la modalité émotionnelle et la modalité fonctionnelle. Ci-dessous voici un schéma récapitulatif.
Annexe 08 : Schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité
fonctionnelle de l’activité
La modalité fonctionnelle de l’activité de relation entre l’organisme et le milieu évolue au fil du
développement de la personne. Ainsi cette modalité fonctionnelle de l’activité de relation
progresse : du concret à l’abstrait ; de l’objet externe à l’objet projeté (internalisé); de la
diversification à la hiérarchisation ; du geste à l’unité fonctionnelle ; de la conduite à
l’identificateur social. La progression ne signifie pas pour autant la suppression du mode antérieur
de la modalité fonctionnelle. Cette progression signifie simplement que le mode antérieur est
subordonné au nouveau mode de participation.
IX
Annexes
Annexe 09 : Lettre à l’attention de la direction et personnel de
maisons de retraite
Monsieur,
Je m’appelle Aurélien Furlan et je suis actuellement étudiant en master 1 de psychologie (4ème
année de psychologie). Je me permets de faire appel à vous dans le cadre de mon travail de
recherche. Ma démarche ne correspond pas à une demande de stage, mais à une possibilité de
solliciter (lors d’une réunion institutionnelle ou autre) les personnes soignantes de votre
établissement (infirmier ; AS ; AMS ; auxiliaire de vie) pour des entretiens individuels. Ces
entretiens constituent l’étape d’opérationnalisation de mon travail de recherche , les informations
qui viendraient affirmer ou infirmer mes hypothèses. Mon travail de recherche s’intéresse au
soignant en gérontologie et cherche à mettre en évidence au travers d’indicateurs du discours de la
personne (établis à partir de concepts théoriques), la relativité et la spécificité du rapport que le
soignant(e) entretient avec sa profession. Ce travail a pour but de mettre à l’épreuve des concepts
dans leur capacité à aborder et rendre compte d’une réalité concrète. Cette recherche n’a pas pour
vocation de mettre en relief ou à dénoncer un dysfonctionnement ou autre pathologie du travail.
Concrètement, dans la mise en forme, l’entretien respecterait l’anonymat de la personne et de
l’établissement auquel elle appartient. Il se tiendrait suivant la disponibilité et choix du soignant(e)
dans l’enceinte de l’établissement (salle de pause, réfectoire, etc...)ou à l’extérieur de
l’établissement. Il n’excéderait pas les 45 minutes, temps au cours duquel nous nous entretiendrons
avec le soignant(e) sur des aspects de sa personne et de son rapport à sa profession.
Ma démarche cherche à mener à bien un travail qui entre dans le cadre de ma formation
universitaire, mais aussi à faire évoluer ma réflexion sur un aspect de la gérontologie qui me
questionne depuis un certain temps au travers de mes stages et lectures et que j’espère pouvoir
développer plus tard dans mon activité professionnelle.
Monsieur, dans l’attente d’une réponse de votre part , et me tenant à votre disposition pour toute
demande de précision concernant ma démarche, veuillez agréer mes sincères salutations.
X
Annexes
Annexe 10 : Guide d’entretien
00.Pourriez-vous vous présenter ?
01.Comment en êtes-vous venu à exercer la profession de soignant en maison de retraite?
02.Qu’est-ce qui vous plait dans le fait d’exercer cette profession de soignant ?
03.Comment définiriez-vous la profession de soignant en maison de retraite?
04.Qu’est-ce que vous apporte votre profession de soignant ?
05.Pensez-vous apporter quelque chose qui vous soit propre à votre profession ?
06.Vous est-il arrivé de faire des erreurs dans votre pratique professionnelle ?
07.Depuis vos débuts, qu’est-ce qui a changé dans votre pratique professionnelle ?
08.Y a-t-il des situation auxquelles vous êtes particulièrement sensible et
attentif dans votre profession ?
09.Avez-vous déjà envisagé d’arrêter la profession de soignant ? Pourquoi ?
10.Est-ce que votre profession de soignant correspond à l’idée que vous vous en faisiez ?
11.Vous arrive-t-il de parler, de votre profession à votre entourage ? Quel opinion en a-t-il ?
12.Avez-vous déjà envisagé d’arrêter cette profession ? Comment envisagez- vous votre
avenir professionnel ?
13.Conseilleriez vous à un jeune de faire cette profession ? Pourquoi ?
14.En dehors de votre travail avez-vous du temps pour vous ? Des loisirs et autres passetemps?
15.Y a-t-il une question, que vous auriez voulu que je vous pose?
16.Avez-vous, quelque chose à ajouter?
XI
Annexes
12
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