UNIVERSITE NICE SOPHIA-ANTIPOLIS UFR Lettres,Arts et Sciences Humaines Pôle Universitaire St Jean d’Angely Département de Psychologie Le soignant en maison de retraite : Une personne globale en situation concrète D’une unité fonctionnelle à une activité de relation au sein de la continuité élaborative de la trajectoire Identitaire de la personne mémoire présenté par : Aurélien Furlan en vue de la validation du Master 1 Sciences de l’Homme et de la Société, mention Psychologie, spécialité Clinique sous la direction de Mr Michel Cariou année universitaire 2007-2008 SOMMAIRE Introduction ………………….………….……………...……...….………… page 01 Première partie : cadre théorique I. Panorama du soignant en gérontologie …..………….… page 04 • a/ Les apports sur la question du soignant en gérontologie (p.04) -a1/ Le soignant et l’environnement gérontologique -a2/ La souffrance du soignant -a3/ Les dysfonctionnements du soignant • b/ Critiques de ces apports (p.06) -b1/ Les aspects positifs de ces apports -b2/ Les insuffisances de ces apports II. L’erreur de perspective …..………..………...............……… page 07 • a/ De l’étude de la personne soignante à la ritournelle des débats en psychologie (p.08) • b/ D’une alternative théorique à l’étude de la personne soignante dans sa globalité (p.09) III. La théorie du détour…..……….…..……..………………...… page 10 • a/ L’enjeu adaptatif (p.11) • b/ L’intégration de l’organisme au milieu : de l’élaboration d’un rapport à l’édification d’une Identité (p.12) -b1/ Les niveaux d’intégration co-dépendants -b1.1 : Les points de convergences de ces niveaux d’intégration -b1.2 : Les points spécifiques de ces niveaux d’intégration -b2/ Les deux versants de l adaptation de l’organisme au milieu -b2.1 : L’adaptation sur le versant du développement de l’Identité - b2.2 : L’adaptation sur le versant de l’activité de relation IV. Le soignant : une personne globale en situation concrète ………………………….........…………... page 18 • a /Le troisième détour de la continuité élaborative de l’Identité de la personne (p.18) • b/ Soignant en gérontologie : De l’élaboration d’une activité en tant que soignant, à la gestion de sa position de Sujet (p.20) • c) Soignant en gérontologie : Une activité à la croisée des deux axes de l’évolution de la trajectoire Identitaire de la personne (p.22) Problématique et hypothèse.……………………....………..……....… page 24 Deuxième partie : Opérationnalisation, méthodologie & Illustrations cliniques I. Opérationnalisation…….………..……………….…...…...…… page 25 • a/ L’activité d’une personne soignante : un mode de participation au milieu gérontologique (p.25) • b/ Hypothèses de travail (p.26) II. méthodologie …….…..………………………..…...…………… page 27 • a/ Le contexte & la démarche de notre recherche (p.27) • b/ Le cadre et le guide de nos entretiens (p.28) Troisième partie : Illustrations cliniques I. Betty « l’on n’est pas des savonnettes » …………………………… page 29 • a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant » • c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante • d/ Conclusion II. Diana « la maltraitance c’est dans les deux sens » ………..……… page 33 • a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant » • c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante • d/ Conclusion III. Sally « Je ne vois pas ce que les autres vous diront de plus» ..… page 36 • a/ Anamnèse et éléments de l’activité de relation « soignant » • c/ Analyse de l’activité de relation de la personne soignante • d/ Conclusion IV. Propos synthétique sur ces illustrations cliniques……. page 39 Quatrième partie : Discussion & critiques I. Discussion & ouvertures …………………..….……………… page 40 • a/ Un regard d’analyse et de synthèse de notre travail (p.40) • b/ Ouvertures sur des pistes de recherches (p.41) • c/ Suggestions pour une pratique du psychologue en institution auprès des personnes soignantes en gérontologie (p.41) II. Critiques..……………………………………………………..…… page 43 Conclusion ..…………..………………………..…..….………………..…… page 44 Compléments Bibliographie…….…………………………………….....……………..…… page 46 Annexes…………….….…………………..…………………..……………… page I Remerciements Je tiens à remercier tout particulièrement et en premier lieu « Miss Printemps » pour son soutien, sa patience et ses précieuses critiques dans le cadre de ce travail, dont la réalisation quelque part lui en revient. Je remercie aussi le plus provençial des artistes parisiens pour son soutien à répétition malgré la distance qui nous sépare. ******** Je remercie Mr. Cariou pour l’intérêt qu’il a porté à ce travail, son suivi de mémoire plus que régulier et ses éclairages (théoriques et cliniques) un peu déboussolants sur l’instant, mais qui se sont toujours révélés nécessaires et enrichissants dans l’après-coup. ******** Je tiens aussi à remercier ma seconde garante de stage Florence qui par son expérience et son regard de professionnel fut pour moi une source d’inspiration et une écoute enrichissante dans l’élaboration de ce travail et de ma pratique. ******** Je remercie aussi les personnes qui m’entourent ou que j’ai pu rencontrer, qui au gré d’une conversation, d’un échange, commentaire ou encouragement m’ont permis quelque part d’élaborer et d’aboutir à la dernière page de ce travail aux multiples difficultés et enjeux. ******** Enfin et surtout je remercie toutes les personnes soignantes qui ont accepté de me consacrer un peu de leur temps pour me permettre d’élaborer ma réflexion théoriquement et cliniquement. Cela, tout en me renforçant dans l’envie de travail auprès d’elles, qui sont à coup sûr bien plus que de simple « laveuses de culs ». Introduction Introduction C’est en grande partie dans l’immersion de nos stages que s’est construite l’idée d’entreprendre un travail de recherche sur les personnes soignantes en gérontologie. Au détour d’un couloir, il nous arrivait de les entendre crier, soupirer ou rire aux éclats « ça fait du bien, c’est pas toujours drôle », ou bien encore, d’être présent lors de réunions de transmissions où chacune y allait de son commentaire entre deux informations de soin « Moi j’y vais plus je supporte plus de la voir comme ça, elle souffre cette pauvre femme, elle souffre merde ! », « Faut qu’elle arrête Mme G., si c’est comme ça, moi je fais juste mon boulot et rien d’autre », « trois décès depuis que je suis arrivée, qu’est-ce qu’elles vont penser de moi les familles après ». Si les personnes âgées sont l’épicentre de l’activité des institutions gérontologiques « le résident avant tout »•, cette prise en charge prend forme et est réalisée par les personnes soignantes qui sont d’une certaine manière, toutes autant impliquées dans l’acte de soin que les personnes âgées qui en bénéficient. Comme nous l’évoquait une soignante en référence à sa pratique « la maltraitance c’est parfois dans les deux sens ». Parallèlement, nos lectures sur le soignant et le travail en gérontologie, nous ont permis d’enrichir ce que nous avions observé. Au regard de tout cela et de bien d’autres choses, il nous est apparu progressivement absurde d’envisager une pratique en tant que psychologue en gérontologie sans tendre l’oreille, s’attarder ou s’intéresser aux personnes qui travaillent et appliquent les soins aux personnes âgées : « on ne peut pas œuvrer au bien-être des personnes âgées sans se préoccuper du bien-être des soignants »1. Aussi le mémoire nous est apparu comme un moment opportun pour développer une réflexion sur la personne soignante en gérontologie, qui par la suite serait susceptible d’être un support utile dans l’élaboration et la réflexion de notre future pratique. ******** « De toute façon le soignant c’est pas compliqué, on nous l’apprend comme ça à l’école. Le soignant c’est trois savoirs : le savoir théorique, le savoir faire et le savoir être ». Alors que le savoir théorique et le savoir faire renvoient respectivement à la dimension fonctionnelle de leur activité, le troisième savoir pose la question de : qu’est-ce que le savoir être du soignant ? Comment les apports et les outils conceptuels en psychologie peuvent nous permettre de saisir, d’entendre quelque chose de l’être soignant en gérontologie? Ce savoir être soignant n’est pas invariable. Dans le cadre de la maison de retraite, il peut revêtir un sens différent selon la place qu’occupe celui qui le pense et le vit. Ainsi qu’il s’agisse de l’institution gérontologique, d’une personne âgée, d’un membre de famille d’un résident ou d’un soignant lui-même ; l’idée du savoir être soignant est différente. Pour l’institution, le soignant se propos tenu par diverses personnes soignantes en gérontologie • propos tenu par la direction d’un établissement gérontologique 1 BADEY-ROUDRIGUEZ C (2004), la personne âgée en institution , vie ou survie,pour une dynamique de changement, édition Seli Arslan, p 143 1 Introduction résume essentiellement à une fonction•, un rôle à tenir au sein d’une équipe engagée dans une démarche de prise en charge de la personne âgée. Aux yeux des familles, le soignant apparaît comme le médiateur, l’intermédiaire du bien-être du parent résident où l’action du soignant est perçue comme partenaire ou étayage déculpabilisant. Aux yeux d’une personne âgée, la perception du savoir être soignant s’accorde avec la manière dont le résident investit la maison de retraite. Cela peut s’échelonner d’une perception purement instrumentale :« ils sont là pour nous servir, je paie tout de même »2, à un rapport plus affectif :« c’est comme une seconde famille»3. Ces trois circonstances, rencontrées au gré de nos stages, nous illustrent que la représentation du savoir être soignant dépend des attentes que chacun attribue à cet être en blouse blanche. C’est une chose d’ailleurs, à laquelle nous n’avons pas échappée nous-même au début, en nourrissant et baignant nos avis sur le soignant et sa pratique d’a priori et jugements dénonciateurs. L’évocation de ces variations au vu du soignant montre aussi que celui-ci « est un acteur agressé pour ce qu’il représente, et pris au piège en fonction de ce qu’il est »4. Car, au-delà d’un rôle prédéfini, d’un coupable désigné ou d’un substitut relationnel, l’activité du soignant est une réalisation partielle et spécifique d’une personne inscrite dans l’évolution de sa trajectoire Identitaire. Ainsi, préalablement à l’étude des problèmes et formes de pratiques ou réactions que peut générer ou rencontrer le soignant au sein de sa pratique, faut-il encore se demander quel sens prend cette activité pour lui-même. Comment celle-ci se construit, s’inscrit et participe à l’intégrité de sa continuité Identitaire. C’est autour de ce point, dans cette perspective que nous élaborerons ce présent travail de recherche au sujet de la personne soignante en gérontologie. Nous partirons des apports existants sur la question du soignant pour ensuite, dessiner les contours d’une « ligne de mire » épistémologique autour de laquelle avec les outils conceptuels de la dialectique du détour, nous construirons théoriquement et chercherons à illustrer cliniquement l’idée que le soignant en gérontologie est avant tout une personne globale en situation concrète. ******** La quarantaine de pages qui suivent cette introduction et qui nous font entrer dans le vif du sujet, se découpe en trois parties:le cadrage théorique; les illustrations cliniques; la discussion et critique. Notre cadrage théorique se décompose en quatre temps. Dans le premier « le panorama du soignant en gérontologie », nous explorerons les divers apports sur le soignant, en mettant en évidence les traits sous lesquels, différents auteurs ont appuyé, pour selon nous aboutir à une représentation caricaturale et incomplète de la personne soignante en gérontologie. Dans le second temps intitulé « l’erreur de perspective », nous tenterons de montrer en quoi, l’épistémologie actuelle de la connaissance en psychologie participe à ce morcellement, cette • voir annexe : fiche de poste d’un soignant propos de résidentes lors d’entretiens PLOTON.L , (2003) ; la personne âgée et son accompagnement et la question de la démence sénile, édition chroniques sociales , collection comprendre, p 24 2,25 4 2 Introduction caricature de l’étude de la personne soignante. Où, en cherchant à explorer le cadre et représenter tous ses aspects sur le premier plan, l’ambition d’une connaissance globale de la personne soignante s’apparente plus à une peinture du cubisme dont la cohérence de l’objet observé est destituée au bénéfice de la visibilité de tous les angles et dimensions de l’objet sur un même plan. Dans le troisième temps théorique, nous développerons l’alternative conceptuelle répondant à une perspective d’étude globale et cohérente « la théorie du détour ». Nous exposerons son principe et ses fondements dynamiques sur l’élaboration et l’évolution du psychisme humain au sein du milieu social, où entre les lignes des paragraphes nous espérerons véhiculer l’idée qu’exprime une des gravures d’Escher selon laquelle: c’est en dessinant que l’on se dessine. Enfin, c’est dans le quatrième temps « le soignant : une personne globale en situation concrète » que nous donnerons sens à nos trois précédentes étapes théoriques. Nous y proposerons une conceptualisation de la personne soignante en gérontologie selon la dialectique de l’évolution du psychisme énoncée par la théorie du détour. Cela nous permettra d’aboutir théoriquement à l’idée que la personne soignante et à fortiori l’activité de soin qu’elle élabore et exerce (ses pratiques, ses difficultés), est relative à l’intégration particulière de cette activité au sein de sa trajectoire et continuité Identitaire. C’est une approche de la personne soignante que nous nous plaisons avec fantaisie à comparer à l’art de la photographie. C’est-à-dire la captation d’une personne à un temps et un espace donnés de sa dynamique évolutive, de sa trajectoire de vie. Si nos quatre temps, nous aurons permis d’énoncer théoriquement que toute personne n’intègre pas la fonction de soignant de façon identique et, à fortiori, n’exerce pas son activité de la même manière, il appartient à la clinique de donner consistance et validation à notre construction hypothético-déductive. Ainsi, nous exposerons trois situations issues de nos entretiens, qui viendront illustrer nos hypothèses sur l’activité de la personne soignante en gérontologie. Illustrations cliniques à la suite desquelles, nous nous attarderons pour discuter et poser un regard critique. Toutefois, avant d’entamer ce que nous annonçons en amont, nous invitons en guise de prélude, le lecteur novice sur la profession de soignant en gérontologie à faire un détour par l’annexe 2 & 3, de manière à situer le contexte et entendre en quoi l’activité de soignant en gérontologie se caractérise vis-à-vis des autres secteurs où s’exerce la profession de soignant. , annexes : 2 caractéristique de la profession de soignant en gérontologie ; 3 l’autre « âgé » 3 Cadrage théorique « La tendance la plus profond e de toute activité humaine est la marche v ers l'éq uilibre.» Jean Piaget Cadrage théorique I. Panorama du soignant en gérontologie 5 La quantité d’écrits sur la question du soignant en gérontologie est modeste. A l’exception, des livres pédagogiques destinés aux apprentis soignants (sur les aspects techniques, législatifs et relationnels de leur profession), il n’existe pas à proprement dit, d’ouvrages en psychologie consacrés à ce sujet. Nous aurions pu étendre le champ de notre revue littéraire. Toutefois, l’ambition de ces quelques paragraphes n’est pas d’être exhaustif sur tout ce qu’implique la profession d’aidant, mais de donner un aperçu des quelques approches de celles et ceux qui ont posé un regard et une pensée sur le soignant en gérontologie. Ainsi, nous pourrons tirer les ficelles qui introduiront notre perspective et amorceront notre réflexion. Donc, dans un premier temps, nous aborderons successivement les différents aspects du soignant soulignés par divers auteurs et professionnels qui ont chacun avec leur pratique et leurs propres outils conceptuels, au gré d’un article ou d’un chapitre, questionné le soignant en gérontologie. Ensuite, nous soulèverons synthétiquement les éléments consensuels de ces divers apports, pour enfin, dans un second temps, procéder à leurs critiques qui suggèreront les prémices de notre réflexion. A la question « qu’est ce qu’un soignant? » , Y.Gineste et J.Pellission proposent la réponse : « Un soignant est un professionnel qui prend soin d’une personne (ou d’un groupe de personnes) ayant des préoccupations ou des problèmes de santé, pour l’aider à l’améliorer, à le maintenir, ou pour accompagner cette personne jusqu’à la mort. Un professionnel qui ne doit, en aucun cas, détruire la santé de cette personne »6. Cette définition a le mérite d’insuffler l’éthique et de cadrer le champ d’investigation du soignant. Autrement dit, cette description délimite le rôle du soignant. Cependant ,au-delà des tâches de soin et du respect de l’autre dépendant, qui est de rigueur dans le secteur (charte de la personne âgée), qu’en est-t-il de la personne qui incarne ce soignant? A) Les apports sur la question du soignant en gérontologie La personne qui exerce ce rôle de soignant laisse entrevoir le bout de son nez au travers des souffrances qu’elle éprouve et des dysfonctionnements qu’elle génère vis-à-vis d’elle-même ou envers l’autre dépendant, dans un milieu gérontologique généralement considéré comme pénible et ingrat. C’est au travers des ces trois aspects, exposés ci-dessous, que nous avons pu remarquer que gravitent les différents travaux parcourus, qui se sont intéressés à la condition de la personne soignante en gérontologie. a1) Le soignant et l’environnement gérontologique : L’environnement gérontologique est décrié comme un milieu hostile et propice à toutes les difficultés pour le soignant. L’exercice de sa profession l’expose à une atmosphère quotidienne pesante, qui est alimentée par : « l’impact émotionnel du soin »7 ; l’organisation 5 6 7 Caricature du soignant en gérontologie réalisée par N.Alberti (2008) GINESTE Y, PELLISSIER J ; (2007) , l’humanitude, comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux, édition Armand Colin , coll. sociétales , p 194 MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition , p 278 4 Cadrage théorique institutionnelle dont « l’objectif est centré davantage sur les actes et les résultats immédiats »8 ; et la piètre reconnaissance sociale que véhicule ce métier qui « est moins gratifiant et suscite moins de prestige que dans des secteurs d’activité spécialisée comme la chirurgie ou la réanimation »9. En ce sens, l’environnement gérontologique s’apparente davantage à un étau qui malmène la personne soignante, qu’à un espace favorable à l’expression et la valorisation de celle-ci. Dans la continuité de ce propos, nous pouvons relever l’emploi à répétition du terme de confrontation par L.Ploton, renforçant ainsi cette idée que ce contexte constitue une épreuve, un générateur de conflits et de souffrances pour le soignant. a2) La souffrance du soignant : Dans le premier chapitre de son ouvrage la personne âgée•, L.Ploton s’attelle à énumérer et développer les différents registres de la souffrance du soignant. Selon lui, elle émerge de « la discordance entre son idéal et les obligations de sa pratique »10, dans un contexte où on lui donne paradoxalement à soigner des incurables. Cette souffrance trouve aussi sa source dans le rapport à l’autre dépendant, où se développe selon l’auteur « l’équivalent d’une relation parent-enfant »11, opérant ainsi un renversement qui met le soignant en position angoissante de satisfaire le réceptacle de ses pulsions archaïques. Globalement, L.Ploton localise les germes de cette souffrance dans la tension émotionnelle et l’omniprésence de l’idée de mort, « une relation à trois »12 où chaque soignant doit entreprendre avec ses propres moyens de cohabiter de la manière « la moins inconfortable possible avec les images de mort qui interfèrent dans la particularité de sa pratique »13. a3) Les dysfonctionnements du soignant : Lorsque l’inconfort, la souffrance atteint un seuil critique propre à chaque soignant, cela peut prendre des proportions plus importantes et plus contraignantes (pour la personne et l’institution). Des comportements inadaptés pouvant aller jusqu’à de la maltraitance, ou bien encore, prendre la forme d’un ensemble de signes laissant entrevoir un syndrome d’épuisement professionnel chez le soignant. La première éventualité reste ambiguë (pas de définition unanime) et discrète, elle est parfois passée sous silence et plus communément suggérée que dénoncée. Le terme de maltraitance est souvent évoqué hâtivement sans réel fondement « ça fait plusieurs fois qu’elle oublie, c’est de la maltraitance, elle en a rien à foutre »14, et peine à basculer du statut de phénomène observé à celui de notion conceptualisée. La seconde éventualité est la reconnaissance d’un mal-être singulier au travail, par le biais de la détection de signes systématiques et standardisés. Cette pathologie du travail concerne tout type de soignant et se caractérise par l’envahissement du mal-être sur la vie, en dehors du travail : « J’en venais à pleurer dans le parking avant d’aller au 8 BADEY-RODRIGUEZ C ; (1997) , les personnes âgées en institution, vie ou survie, pour une dynamique de changement , édition Seli Arlan, p 143 ibid p142 titre complet de l’ouvrage de L.Ploton la personne âgée : son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence 10 PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p 12 11 ibid p 13 12 ibid p 14 13 ibid p 15 14 11 , propos d’une soignante sur notre lieu de stage 9 • 5 Cadrage théorique boulot. (…) J’en rêvais la nuit, ça me bouffait, c’était impossible j’en pouvais plus »15. L’étude de ces dysfonctionnements s’articule globalement autour, de l’exaspération du poids institutionnel et de l’instabilité émotionnelle de la personne soignante. La plupart des écrits sur le soignant explorent plus ou moins l’un de ces aspects pour entre apercevoir la personne au delà de la tâche qu’elle réalise. Toutefois, ils semblent s’accorder sur l’observation du « supposé blindage de l’habitude»16, et des mécanismes de défense où « le soignant veille à garder la maîtrise de l’interaction »17, autrement dit, la réactivité plus ou moins appropriée du soignant dans le contexte gérontologique. Fort de ce constat, ces écrits tendent vers une même réponse, celle de la nécessité de faire évoluer les pratiques du soignant en gérontologie. Cela est entrepris au travers de l’accroissement de ses aptitudes (formations), d’aménagements institutionnels (organisation temps, protocole, matériel) et la prise en compte de sa difficulté émotionnelle face à l’autre âgé dépendant (espace de parole). B) Critiques sur ces apports Notre critique avec un « s », n’est pas annonciatrice d’un amas de points négatifs localisés par notre regard, mais suggère deux temps distincts. En premier lieu, nous tenons à mettre en évidence les aspects positifs de ces apports, pour ensuite mettre en lumière leurs insuffisances. b1) Les aspects positifs de ces apports : Le premier trait positif de ces écrits tient tout simplement à leur existence. En effet, aux antipodes d’un élément négligeable, le soignant est l’acteur le plus présent qui partage la plus grande proximité avec les personnes âgées au sein de l’institution. Ainsi, il apparaît impensable de faire l’économie d’une considération du soignant lorsque l’on s’intéresse à ce secteur. Le second point positif est en faveur de leurs observations et constructions théoriques au sujet du soignant, qui mettent en évidence l’aspect difficile et conflictuel que, peut revêtir l’activité de soin au sein du contexte gérontologique. Enfin, ces auteurs, qui ont pensé le soignant, relèvent et explorent les différents champs (la représentation sociale, l’organisation, la relation d’aide) et dimensions (tension émotionnelle, l’idée de mort, l’idéologie de soin) qui caractérisent ce contexte et à fortiori accable la personne soignante. Unanimement, chacun de ces écrits a le mérite de suggérer l’idée qu’« on ne peut œuvrer au bien-être des personnes âgées sans se préoccuper du bien-être des soignants »18. b2) les insuffisances de ces apports : Cependant, nous émettons plusieurs réserves à l’égard de ces mêmes apports, qui malgré leurs richesses, montrent une certaine insuffisance, un point aveugle dans leur approche de la personne soignante en gérontologie. Globalement, nous avons le sentiment que la personne soignante est majoritairement abordée sur le versant de la difficulté. « L’on ne parle jamais 16 17 18 PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p11 MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition , p 214 BADEY-RODRIGUEZ C ; (1997) , les personnes âgées en institution, vie ou survie, pour une dynamique de changement , édition Seli Arlan, p 146 6 Cadrage théorique des trains qui arrivent à l’heure… »19. En ce sens, qu’aucun texte (que nous avons consulté) ne développe un apport, une connaissance du soignant sur le versant d’une activité positive et adaptée. N’y aurait-il que des soignants en difficulté en gérontologie ? Il nous apparaît aussi que ces différents écrits étudient davantage les conditions et conséquences des pratiques gérontologiques sous l’effigie du soignant. Paradoxalement, nous avons l’impression d’en apprendre plus sur ce contexte que sur la personne soignante elle-même. Cela laisserait-il entendre que la personne soignante n’aurait de consistance que par le biais de ce milieu que l’on décrit et décortique? C’est juste en un sens mais incomplet, dans la mesure où le milieu gérontologique n’a de consistance qu’au travers du soignant qui le vit et le perçoit. Certains apports prennent la mesure de ces processus individuels de la personne soignante, mais nous trouvons qu’ils n’abordent qu’un quartier du soignant. En définitive, ces différents apports s’accordent plus ou moins, à l’idée que « l’absence de ressources et le désarroi des soignants expliquent ces attitudes »20 car « travailler en gériatrie équivaut souvent à un véritable parachutage psycho-affectif (…) une opération survie »21. Mais pouvons-nous aspirer à une connaissance du soignant en n’explorant que le versant des difficultés? Parlons-nous de celui-ci, lorsque nous ne relevons que les conditions du contexte gérontologique? S’agit-il de la personne soignante, lorsque nous ne considérons que sa perception, son éprouvé, son comportement de soignant? Où n’y a-t-il pas tout simplement dans l’étude de la personne soignante en gérontologie, une erreur de perspective22. II. L’erreur de perspective 23 Nous introduirons notre propos avec une énigme géométrique24, où il vous faut relier neuf points avec seulement quatre traits sans lever votre crayon : L’énigme La solution Communément les gens, auxquels nous avons pu soumettre ce petit jeu, limitent leur recherche du tracé au champ formé par les neuf points. En se cantonnant au carré pour trouver la solution, il subsiste toujours un point non relié. L’énigme reste complète. Pourtant, lorsque nous donnons la réponse, celle-ci apparaît comme une évidence : « putain, c’est tout con en fait »25, « ben ouais, évidemment »26. La résolution de cette devinette réside dans la nécessité de sortir du cadre apparent pour prendre en compte le hors champ, et ainsi, résoudre l’énigme sans isolé un point ou déroger à la consigne. 19 propos émit par une psychologue lors d’un échange autour d’un article sur la maltraitance en maison de retraite. PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition, p 22 ibide p 22 22 CARIOU M (1998) , La démence comme expression de la singularité de l’être humain, Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale N °20 23 tableau de Pablo Picasso 24 Source extraite du site internet : http://vulgum.org/spip.php?article756 25 3 , Propos tenu par des personnes interrogées et en échec sur cette énigme 20 21 7 Cadrage théorique Recadré dans notre réflexion clinique, ce casse-tête géométrique nous enseigne que lorsque nous questionnons une situation concrète, il nous faut être vigilant dans notre choix de perspective. Cette énigme nous démontre, à sa manière, que « la dynamique des processus devait être déduite non d’éléments isolés de la perception, mais de sa structure totale »27. Autrement dit, nous devons considérer la situation dans une perspective globale où « l’effort de connaissance ne doit pas se faire à partir des cloisonnements apparents du réel […], mais doit s’effectuer dans la prise en compte de la situation globale avec ses modalités diverses, ses transformations et l’ensemble des rapports dynamiques qui s’établissent entre ses parties »28. Or, les différents apports sur le soignant nous apparaissent comme autant de tentatives d’aborder la question d’un point de perspective erroné, reflet de la stagnation des bases épistémologiques en psychologie. C’est ce que nous développerons succinctement ci-dessous, pour ensuite introduire une alternative conceptuelle qui permette d’aborder la personne soignante dans sa globalité. A) De l’étude de la personne soignante à la ritournelle des débats en psychologie Jusqu’à présent, l’étude de la personne soignante s’est construite à partir des différentes modalités sous lesquelles celle-ci pouvait être saisie. Des compétences d’apprentissage, aux implications affectives, en passant par les rapports conflictuels du soignant face au contexte gérontologique, « chacun assigne finalement un certain contenu à la notion de facteur humain »29 sur cette question du soignant en gérontologie. Qu’il s’agisse du sujet de l’inconscient, de l’homme comme système autonome de traitement de l’information, ou bien encore de l’individu social, la finalité reste la même. L’étude de la personne soignante en gérontologie n’est qu’un exemple parmi d’autres (l’autiste, l’addicte…) où s’étayent des conceptions syncrétiques du fonctionnement psychologique, qui ne font que «flatter la tendance artificialiste par laquelle l’homme projette dans la nature l’image qu’il se fait de sa propre activité constructive»30. Or, sous son comportement apparent, le soignant est bien plus qu’un professionnel dont les compétences et la sensibilité interagissent dans un contexte donné. La personne soignante demeure avant tout « une vie humaine [qui] s’inscrit dans la durée, [et] se présente comme une histoire personnelle »31 où celle-ci « ne peut être étudiée indépendamment de l’ensemble de ses conditions d’existences »32. C’est sur ce point que réside l’erreur de perspective dans l’étude du soignant. Cela change l’équation et étend le champ que nous devons considérer. A contre-courant, des conceptions réductionnistes dont « l’idée occulte la réalité qu’elle a mission de traduire et se prend pour seul réel »33, l’enjeu d’une perspective globale consiste à ne pas masquer la complexité de la situation qui se présente à nos yeux. Nous ne cherchons pas à en déduire que les différentes 27 28 29 30 31 32 33 LEWIN K (1964) , psychologie dynamique,les relations humaines, édition PUF, 2 ème édition , p 61-62 CARIOU M (1992) ,la vieillesse :un temps d’élaboration pour un ultime détour, revue clinique méditerranéennes n°35-36, édition érès , p 134 DEJOURS C (2005) , le facteur humains, édition PUF, coll. Que sais-je ?, 4 ème édition , p 5 WALLON H (1963) ,l’organique et le social chez l’homme, revue enfance n° spé Henri Wallon : buts et méthodes de la psychologie, p 60 CARIOU M (1982) ,psychologie et viellissement , cahiers de la méditerrannée n°24-25, p 155 CARIOU M (1992) ,la vieillesse :un temps d’élaboration pour un ultime détour, revue clinique méditerranéennes n°35-36, édition érès , p 134 MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 23 8 Cadrage théorique contributions, au sujet du soignant en gérontologie, soient caduques. Mais dans une certaine mesure, nous pensons qu’elles sont tronquées, car leur « cause profonde d’erreur n’est pas dans l’erreur de fait (fausse perception) ou l’erreur logique (incohérence), mais dans le mode d’organisation de notre savoir en système d’idée (théorie, idéologie) »34. En définitif, cela nous renvoie irrémédiablement à la ritournelle des débats sur l’objet d’étude en psychologie (voir même de propriété, au vu du climat actuel). L’état du paysage en psychologie, nous confronte à l’équation impossible et paradoxale d’adopter une perspective globale avec des outils conceptuels qui expriment « l’atomisation de l’homme »35. Soit, il nous faut faire le choix d’un aspect (cognitif, affectif ou social) arbitrairement considéré comme essentiel ; soit, nous pouvons donner l’illusion d’une globalité considérée, en regroupant les apports explorant les différentes modalités de la situation. Mais cela reste encore une forme fragmentée de l’objet d’étude, car comme peut l’évoquer l’image36 « la totalité est différente de la somme de ses unités »37. B) D’une alternative théorique à une étude de la personne soignante dans sa globalité Dans l’ambition d’une perspective globale de la situation, il nous faut faire le choix d’un modèle autre que ceux classiquement proposés. Une théorie permettant de considérer la personne dans sa globalité (des modalités, situations et temps qui la composent), tout en préservant et mettant en évidence sa spécificité, sa relativité. C’est ce que propose la théorie du détour. Elle s’attelle au travers de lois générales de développement et de fonctionnement, à l’étude du « système de correspondances, d’inter-relation, entre un organisme vivant, disposant d’un certain nombre de compétences lui permettant de se maintenir en vie, et un milieu, contenant incontournable de cette vie, et qui a des propriétés plus ou moins stables »38. En d’autre terme, elle s’intéresse au rapport de réciprocité où « le social capte le physiologique pour en faire du psychique »39. Là où la théorie du détour relève le défi de la complexité, d’autres modèles oeuvrent à une complexification ou simplification de la situation. Ce modèle conceptuel ne plébiscite pas l’un des aspects (cognitif, affectif ou social) du rapport entre l’organisme et le milieu. Mais, il cherche à mettre en évidence sous l’angle de l’individuation, les principes et lois fondamentales qui régissent la construction évolutive et spécifique de la dimension psychologique de chaque organisme humain. Nous pouvons imager cette pensée par l’une des gravures sous le thème de « la métamorphose »40 de M.C. Escher41 : 34 MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 16 CHABRIER L (2001) ,à propos de la révolution épistémologique dans les disciplines à vocation scientifique , support de cours de licence 3 de psychologie, p 7 Source extraite du site internet : http://www.friends.org.uk/events/illusions/illusions.htm 37 CARIOU M (2005) , extrait du cours de licence 3 de psychologie intitulé « épistémologie et cycle de vie » 38 CARIOU M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III , p 248 39 ZAZZO R (1979) ,psychologie et marxisme , la vie et l’œuvre d’Henri Wallon, édition Denoël/Gonthier, coll. médiations , p 38 40 Source extraite du site internet : http://britton.disted.camosun.bc.ca/metamorphose.html 35 36 9 Cadrage théorique Où malgré la complexité apparente de l’extrémité droite de la gravure, celle-ci n’est l’œuvre que d’une continuité élaborative d’une trajectoire, autour de la variation et l’évolution d’un nombre restreint de traits. Dans cette perspective, « toute problématique psychologique authentique doit pouvoir définir ses articulations avec les processus de personnalisation par lesquels s’élabore, se maintient et se transforme l’identité de chacun de nous »42. Nous conclurons ce paragraphe de l’erreur de perspective comme nous l’avons commencé, autour d’une métaphore, qui là, ne s’appuie pas sur la géométrie mais sur la musique. La musique ne s’explique pas au travers des instruments ou styles de partitions qui peuvent l’exprimer. Mais elle se définit, s’étudie à partir d’éléments premiers (les notes, la portée …) qui s’articulent réciproquement autour des règles du solfège. En ce sens que les partitions ne sont qu’une déclinaison de styles qui se subdivisent en diverses catégories (la musique classique) ou souscatégories (le baroque, le romantisme…) de la musique. Et les instruments ne sont que la mise en forme d’une tonalité particulière de la musique. Ainsi, partitions et instruments n’expriment qu’en partie ce qu’elle est. Aussi, il semble donc incongru d’envisager l’explication de la musique à partir de ces derniers. En écho, la connaissance en psychologie, et à fortiori toutes les situations qu’elle explore (par exemple le soignant en gérontologie), doit cesser de consister à former des partitions (psychologie : cognitive, développementale, sociale, clinique) ou à explorer particulièrement l’une des tonalités du psychisme humain (processus affectif, processus d’apprentissage …). Bien au contraire, comme la musique, la psychologie doit s’efforcer de construire son solfège. Cela passe par la définition de son objet d’étude (l’individu global en situation) et de ce qui le constitue et/ou permet de l’appréhender (les lois générales). Ainsi ,de notre point de vue et de notre choix de perspective, il nous apparaît que la théorie du détour peut être à la psychologie, ce que le solfège est à la musique. Un modèle théorique qui permet aux différents apports sur le psychisme de s’accorder autour d’une même composition. III. La théorie du détour 43 C’est la plupart du temps, tout simplement dans les faits divers de notre époque que nous trouvons matière à illustrer ce que nous cherchons assidûment à exprimer. Dernièrement, l’actualité nous faisait part d’une mésaventure dans le domaine des bio-technologies. En 2001, aux Etats-Unis furent plantées des semences de coton dont on avait modifié le gène, afin de le rendre résistant aux attaques intempestives d’un petit insecte. Or, sept ans après, les « savants agricoles » furent surpris de découvrir que l’insecte en question fit sa réapparition dans les cultures. Celui-ci, plus résistant aux contre-attaques chimiques, recommençait à proliférer et à ravager les champs de coton transgéniques. Cet événement laisse à penser que les scientifiques ont tout simplement sous41 Maurits Cornelis Escher (17 juin 1898 - 27 mars 1972)artiste néerlandais, connu pour ses gravures sur bois, lithographies et mezzotintos, qui représentent des constructions impossibles, l'exploration de l'infini, et des combinaisons de motifs qui se transforment graduellement en des formes totalement différentes CARIOU M (1982) ,psychologie et viellissement , cahiers de la méditerrannée n°24-25, p 155 Lithographie de 1948 par M.C Escher 42 43 10 Cadrage théorique estimé, pour ne pas dire occulté, la formidable capacité imputable à toutes espèces de s’adapter au milieu. Publié dans l’édition du quotidien le Monde datant du neuf février 2008, ce fait nous évoque que l’adaptation n’est pas un état, mais un processus actif qui s’opère par l’intégration du milieu par l’organisme qui y sélectionne, intègre et intériorise les éléments nécessaires à sa survie. La théorie du détour conçoit le fonctionnement psychologique comme l’une des dimensions de l’organisme qui participe à sa survie. Cela suggère que « toute conduite humaine est donc finalisée, au-delà des motifs qu’elle se donne consciemment, par ce mouvement général de la vie »44 qu’est l’adaptation. Commun à toute entité vivante, suivant son environnement et ses possibilités de l’appréhender, cet enjeu vital signe sa particularité chez l’espèce humaine. L’homme de par sa progressive maturation biologique post-natale, ses potentialités physiologiques et ses capacités fonctionnelles qui s’inscrivent et évoluent dans un environnement d’une telle complexité (milieu social, son langage, ses équivoques); font que son « hominisation ressemble moins à l’évolution vitale qu’à une production propre […] il s’agit d’un processus d’autohominisation »45. Un processus, où l’intégrité de l’organisme va de pair avec l’intégrité de l’idée qu’il se fait de lui : son Identité. Ainsi, contrairement aux autres espèces, un ensemble d’éléments font que nous relevons majoritairement d’une élaboration où « nous nous construisons nous-même »46, à l’échelle de notre trajectoire individuelle (Identité). La théorie du détour, que nous présenterons ci-dessous, est une conceptualisation de l’adaptation de l’organisme humain à son milieu au niveau de son fonctionnement psychologique. Un fonctionnement qui résulte d’un processus d’intégration progressif et perpétuel à partir duquel chacun cristallise et organise son autonomie. Après un éclaircissement sur ce que recouvre l’enjeu adaptatif dans le cadre du fonctionnement psychologique (A), notre exposé sur la théorie du détour s’attardera sur les fondements de la dynamique élaboration et de maintien de l’Identité par l’activité (B). Nous souhaitons ainsi que chacun de nos propos, évoque comme l’article publié dans le Monde, l’idée que « la vie est, non pas une substance, mais un phénomène d’auto-éco-organisation extraordinairement complexe qui produit de l’autonomie »47. A) L’enjeu adaptatif : Au regard de notre petite réminiscence journalistique, Il nous apparaît plus juste de parler d’enjeu adaptatif que d’adaptation à proprement dit. Le milieu où nous évoluons n’étant ni homogène ni statique, en ce sens que « nous ne pouvons pas ne pas communiquer »48. En d’autres termes, nous ne pouvons prétendre qu’à un rapport adaptatif qui découle d’un processus d’élaboration, où chez l’humain « le résultat de l’évolution de l’espèce laisse à chaque individu, le soin de réaliser, dans l’interaction avec son milieu spécifique, les derniers 44 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 120 SERRES M (2003) , hominescence, édition livre de poche , p 60 SERRES M (2003) , hominescence, édition livre de poche , p 60 voir annexe : l’article paru dans l’édition du monde le 9 février 2008 47 MORIN E (2005) ,introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais, p 22 48 WATZLAWICK P, BEAVIN J.H, JACKSON D.D (1967) Une logique de la communication, Éd. du Seuil, p 26 45 46 11 Cadrage théorique détours par lesquels se structure « l’exemplaire de l’espèce » (…) »49. Ce processus qui soustend la réalisation de l’exemplaire de l’espèce admet tacitement trois points dynamiques de ce rapport, localisés et conceptualisés par la théorie du détour. Tout d’abord, l’idée que l’adaptation résulte des « réactions commandées par les variations conjuguées du milieu et de l’être vivant »50. C’est-à-dire que le rapport adaptatif du sujet est le fruit de la réciprocité spécifique entre son organisme et le milieu : « l’organisme et le milieu ne sont donc pas dissociables »51. Ensuite, ce processus suggère que tout au long du cycle de vie l’évolution du rapport adaptatif soit sous-tendu par le degré d’élaboration tant au niveau structurel qu’au niveau fonctionnel de la personne en activité. Enfin, il évoque aussi qu’essentiellement « ce qui dirige l’adaptation, ce sont les effets de l’activité sur l’activité ellemême »52. Cela signifiant que le rapport adaptatif de la personne est potentiellement en perpétuelle remise en question (actualisé). Par conséquent, l’adaptation nous apparaît comme une notion bien plus active et complexe, que cette simple idée d’adéquation avec l’environnement ; où la personne tend vers l’adaptation par la construction et le maintien d’une stabilité (sécurité de base). L’enjeu adaptatif s’apparente donc à l’élaboration et le maintien d’un rapport de réciprocité spécifique et évolutif entre le sujet et son milieu. Une correspondance que la personne élabore et cultive en permanence au gré de ses activités au sein du milieu, où il n’y aurait de désir que celui de s’adapter. B) L’intégration de l’organisme au milieu : de l’élaboration d’un rapport à l’édification d’une Identité figure 1 figure 2 Pour gérer ce rapport adaptatif et édifier une sécurité de base, le sujet va tout au long de son développement, construire son interface psychologique (son Identité). Au commencement, celle-ci s’apparente à une « nébuleuse où se diffuserait sans délimitation propre des actions sensitivo-motrice d’origine endogène et exogène »53. Par la suite, l’élaboration des automatismes viscéraux ouvrant à l’édification des premiers vecteurs communicationnels par l’émotion, entre le nourrisson et le milieu humain, permettent dans sa masse de « dessiner un noyau de condensation, le Moi, mais aussi un satellite, le sous-Moi ou l’Autre »54. 49 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 125 ibid, p 112 (citant H.Wallon) CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III , p 203 52 WALLON.H, (2003) , l’évolution psychologique de l’enfant , édition Armand Colin, coll. Cursus , 11ème édition , p 69 53 2 , WALLON H (1976) , le rôle de l’autre dans la conscience du moi , revue Enfance N° spécial Wallon , p …. 50 51 12 Cadrage théorique Ce couple Moi/Autre est le fruit progressif de la relation constante entre l’organisme et le milieu. Celui-ci s’élabore, se diversifie et s’articule par l’activité que réalise le sujet dans le milieu, et se façonne selon une dialectique d’intégration – différentiation - restructuration du rapport adaptatif qu’intériorise la personne (voir figure 1) . Ci-dessous, nous tenterons de décomposer cette dialectique tant au niveau des composantes dynamiques que des versants du rapport adaptatif qu’elle implique lors de l’activité du sujet dans le milieu. Ainsi notre argumentation s’acheminera : des niveaux d’intégration codépendants au deux versants du rapport adaptatif. Car, c’est par l’activité qu’il réalise et les effets qu’il intègre que le sujet construit et différencie son Identité, assurant ainsi son rapport adaptatif. Au travers de cette activité, nous pouvons distinguer des niveaux d’intégration codépendants qui permettent d’assurer la continuité et l’intégrité de l’Identité sur un accord adaptatif à deux échelles. b1) Les niveaux d’intégration co-dépendants Nous discernons trois niveaux d’intégration de l’organisme au milieu qui composent la dynamique d’élaboration et le maintien de l’Identité. Ces trois niveaux sont : l’intégration au niveau du structurel ; l’intégration au niveau fonctionnel ; l’intégration au niveau émotionnel. Ces derniers convergent en certains points et signent leurs spécificités sur d’autres. -b1.1 : Les points de convergences de ces niveaux d’intégration Ces différents niveaux d’intégration obéissent au même mouvement de réciprocité de l’organisme au milieu (voir figure 2, boucle A). Chacun d’entre eux, à des échelons différents, s’inscrit dans cette dialectique de différentiation/restructuration de l’organisation Identitaire, qui entretient ses liens avec le milieu et ses modalités. Ces niveaux d’intégration partagent aussi la propriété d’être co-dépendants (voir figure 2, boucle B). En ce sens, que toute activité de l’organisme au sein du milieu implique simultanément chacun de ces niveaux autour des mêmes invariants de développement et de fonctionnement que sont la loi d’alternance fonctionnelle, la loi d’intégration fonctionnelle et la loi de l’effet. - b1.2 : Les points spécifiques de ces niveaux d’intégration Lors de l’activité, chacun de ces niveaux d’intégration n’implique pas le même champ spatio-temporel entre l’organisme et le milieu. L’intégration au niveau structurel se rapporte à l’étape actuelle du cycle de vie de la personne. Elle implique son organisation Identitaire intériorisée jusqu’à présent au fil des paliers élaboratifs qui se sont succédés. L’intégration au niveau fonctionnel se rapporte à la situation interactive (l’activité concrète ; le domaine d’activité). Elle implique les compétences et unités fonctionnelles élaborées et acquises par la personne au gré de ses relations avec le milieu. L’intégration au 13 Cadrage théorique niveau émotionnel se rapporte à l’instant vécu. Elle implique l’éprouvé et sa résonance émotionnelle chez la personne qui le vit. Ces niveaux d’intégration diffèrent sur un autre point. Si le processus d’intégration au niveau structurel et fonctionnel s’automatise progressivement dans le temps, l’intégration au niveau émotionnel s’encre dans l’éprouvé et la perturbation du moment présent. L’intégration au niveau émotionnel, dont la propriété essentielle réside dans son caractère contagieux, est antagoniste de l’automatisme. Notre découpage sous forme de convergences et spécificités ne signifie pas pour autant que ces niveaux d’intégration soient à terme indépendants les uns des autres. Ces propriétés communes et particulières, nous révèlent que ces niveaux d’intégrations forment deux systèmes de participation de l’organisme au milieu, différents mais complémentaires, où « l’automatisme (structurel et/ou fonctionnel) organisant la vie de relation, son fonctionnement ne peut qu’être perturbé par l’activation du système antagoniste de l’émotion »55. Ainsi, cela nous suggère que nous pouvons appréhender la personne en activité dans un contexte donné, comme un sujet mettant en forme et assurant la continuité de son intégrité Identitaire de manière concomitante sur deux versants de son rapport adaptatif. b2) Les deux versants de l’adaptation de l’organisme à son milieu La considération de la personne comme une entité active de son rapport adaptatif sur l’ensemble de son cycle de vie, nécessite de garder en tête que les trois niveaux d’intégration co-dépendants s’inscrivent dans un mouvement adaptatif à deux versants: l’adaptation sur le versant du développement de l’Identité ; l’adaptation sur le versant de l’activité de relation. L’activité est à la charnière de ces deux plans du rapport adaptatif. Autrement dit, lorsque le sujet interagit dans l’environnement, son activité s’inscrit dans un double objectif de son adaptation. Celui de préserver l’intégrité de la continuité évolutive de son Identité jusque-là intériorisée, et celui d’assurer l’intégrité de sa personne dans le milieu présent. Ci-dessous, nous exposerons la dynamique de ces deux versants du rapport adaptatif qui s’articulent autour d’une activité intégrée et intégrante selon les choix et objectifs de la personne. -b2.1 : L’adaptation sur le versant du développement de l’Identité A l’échelle du cycle de vie, l’interface psychologique s’élabore progressivement au rythme de paliers successifs nommés « détour ». Un détour est une période introduite par la maturation biologique. Cette maturation permet l’émergence d’une nouvelle fonction autour de laquelle l’organisme doit restructurer son rapport au milieu. Cette réorganisation s’opère par l’intégration et la hiérarchisation de la fonction émergeante au rapport adaptatif précédemment entretenu par le sujet. A cette phase centripète s’en suit une phase centrifuge 55 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques, p 133 , voir annexe : schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble du cycle de vie ; schéma du principe de détour 14 Cadrage théorique où le sujet va au gré de ses choix et de ses interactions dans le milieu social (qui s’ouvre progressivement à lui dans sa complexité : sa diversité, son abstraction) diversifier et affiner son rapport adaptatif, jusqu’au prochain détour qui nécessitera de nouveau une réorganisation de ce rapport. Il est à préciser que la dynamique de développement ne s’arrête pas. La personne ne peut pas se retrouver dans un état de fixation à l’un des détours. Cependant, il peut élaborer l’un ou plusieurs d’entre eux de manière carencés, ce qui se répercute en terme de problématique d’interiorité/extériorité, autrement dit, l’élaboration d’une activité et d’une stabilité adaptative de l’individu plus ou moins souple dans le milieu. C’est dans cette dynamique de continuité élaborative que tout au long de son cycle de vie, la personne dans sa conduite de détour doit produire, planifier son activité lui permettant de conforter l’intégrité de son Identité tout en assurant sa position de sujet au sein de ses activités de relation présentes. - b2.2 : L’adaptation sur le versant de l’activité de relation A l’échelle du quotidien, « l’activité d’un organisme est le moyen par lequel celui-ci préserve, maintient et améliore l’accord vital qu’il réalise avec son milieu »56. Autrement dit, la personne doit opérer de manière appropriée et pertinente la mise en forme (plus ou moins adéquate) de son énergie vitale (généré par le moment vécu) dans le milieu, pour y assurer sa cohérence et son intégrité Identitaire. L’énergie vitale gérée par le système nerveux provient de l’activité d’homéostasie du corps (anabolisme/catabolisme). Cette énergie peut être qualifiée d’énergie psychique dans la mesure où elle peut être mise en forme par le sujet. Ainsi, le potentiel énergétique, la structure psychologique et les conditions du milieu constituent la base à partir de laquelle le sujet génère une activité de relation au sein de l’environnement. Cette activité de relation se compose de deux modalités de mise en forme de l’énergie vitale : une modalité émotionnelle et une modalité fonctionnelle. • La modalité émotionnelle de l’activité de relation : L’émergence de l’émotion permet l’édification des premiers vecteurs communicationnels entre le nourrisson et le milieu humain, dont « les émotions sont le lien par lequel nous nous séparons les uns des autres »57, où « il n’y a pas de sujet indépendant, d’individu autonome avant le processus affectif qui nous relie »58. Ce « langage avant le langage »59 se développe jusqu’à ce que la maturation et l’évolution de l’activité fonctionnelle, viennent barrer la progression de cette communication émotionnelle. Paradoxalement cela signifie que l’émotion permet donc l’émergence de ce qui tendra par la suite à la camoufler. Toutefois, tout au long du cycle de vie, la propriété essentielle de l’émotion réside dans son caractère contagieux où « l’émotion a besoin de susciter des réactions voir annexe : schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de relation CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 121 DUMOUCHEL.P (1999) émotions essai sur le corps et le social, édition institue synthélabo p 100 58 ibid p 100 59 ZAZZO R, (1975) , psychologie et marxisme , la vie et l’œuvre d’Henri Wallon, édition Denoël/Gonthier, coll. Médiations , p 97 56 57 15 Cadrage théorique similaires ou réciproques chez autrui et, inversement, elle a sur autrui une grande force de contagion »60. La personne dans son rapport au milieu doit ainsi gérer la résonance émotionnelle pouvant émaner de ses relations avec les autres. La gestion de cette contagion, le sujet la réalise en mettant en forme son émotion à partir de ses palettes de compétences fonctionnelles élaborées et intériorisées tout au long de son développement et de son rapport avec le milieu en question. Si l’émotion permet « d’accéder à une certaine conscience impliquant dans l’individu l’existence des autres »61, ce sont ses unités fonctionnelles qui assurent la mise en forme de sa participation au milieu et à ses conjonctures. Autrement dit, « l’émotion permet de d’éprouver son rapport au milieu alors que l’activité fonctionnelle permet de faire son rapport au milieu »62. • La modalité fonctionnelle de l’activité de relation : La nature de la modalité fonctionnelle de l’activité de relation évolue au rythme de la maturation de l’organisme. L’évolution de cette modalité s’opère tant sur la nature que sur l’objet auquel elle s’adresse : « Si dans les deux premières années de cette activité est essentiellement motrice et tournée vers l’appropriation du geste à l’objet externe, avec l’apparition de la fonction symbolique elle change de nature et s’exerce en direction des objets internalisée dans le champ de la représentation»63. Ainsi, si au commencement le sujet s’adapte à l’objet externe, suite au développement de son organisme, celui-ci exerce une activité dans un champ progressivement plus vaste et plus abstrait (plus complexe) où il s’adapte à l’objet internalisé, à l’idée qu’il se fait de cet objet externe. Conjointement à son développement physiologique, c’est au gré de ses activités au sein du milieu que la modalité fonctionnelle de l’activité de relation s’agence et s’automatise progressivement sous la forme d’unités fonctionnelles. Ces unités fonctionnelles sont le fruit des relations qu’élabore et entretient la personne par le biais d’une activité intégrée et intégrante au sein du milieu concerné. Si dans l’enfance au cours du second détour élaboratif du cycle de vie, ces unités fonctionnelles prennent la forme de conduite, cellesci avec l’accès à la pensée abstraite et la temporalité lors du troisième détour s’inscrivent dans le champ de l’idéologie sociale et prennent la forme d’identificateurs sociaux. Cela ne signifie pas pour autant que ces conduites disparaissent, mais elles sont subordonnées ou réorganisées selon le nouveau mode de rapport entre l’organisme et son milieu. Ces unités fonctionnelles peuvent jouer un rôle variable dans l’enjeu de l’intégrité de l’organisation Identitaire de l’individu. Suivant son degré de développement et ses potentielles carences élaboratives, ses unités fonctionnelles peuvent renvoyer à une validation de la personne au travers de compétences spécifiques dans un milieu donné 60 WALLON H (2002) , l’origine du caractère chez l’enfant , ed. PUF , p 105 CARIOU M , (1995) , personnalité et vieillissement , introduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 138 CARIOU M (2007) note de cours en psychologie du développement en master 1 de psychologie à l’université de Nice Sophia-Antipolise voir annexe : schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité fonctionnelle de l’activité 63 CARIOU M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III p 158 61 62 16 Cadrage théorique (conduite), ou bien correspondre à une réalisation partielle et temporalisée de son Identité (identificateur sociale), ou bien encore demeurer à un niveau purement fonctionnel de l’activité au sein du milieu. Ainsi, au sein de son activité et de la mise en forme de son énergie vitale dans le milieu, c’est selon ses choix et son évolution que la personne élabore, exerce et hiérarchise ses unités fonctionnelles plus ou moins garantes de son intégrité Identitaire. Au sein de l’activité de relation, la modalité fonctionnelle de l’activité peut progressivement s’automatiser et orienter davantage l’activité sur le versant relationnel. C’est un peu comme quand on apprend à faire du vélo. Dans un premier temps d’apprenti, on est attentif à nos gestes, à la recherche d’un équilibre sur la selle. Puis progressivement cycliste, la gestuelle s’automatise, l’équilibre s’intériorise et permet ainsi la possibilité de ne plus en premier lieu prêter attention à nos gestes mais à ce qui nous entoure. La gestion de ces deux modalités antagonistes et indissociables de l’activité de relation reflète l’élaboration (en devenir constant) et la dynamique évolutive de la structure psychologique du sujet au sein du milieu. Sachant que, « ce qui dirige l’adaptation, ce sont les effets de l’activité sur l’activité elle-même »64, toute activité qui s’exerce dans le milieu apparaît potentiellement, selon le choix de la personne, comme une gestion et une remise en question permanente de « la continuité de la chaîne symbolique par laquelle l’activité vitale – et donc l’émotion – trouve les formes appropriées pour se déployer dans les termes d’une activité de relation »65. Une activité d’où la personne exerce et entretient plus ou moins de manière spécifique sa position de sujet. L’adaptation sur l’axe du développement et sur l’axe de l’activité de relation constitue donc les deux versants complémentaires de l’élaboration et la continuité de ce que nous pouvons nommé la trajectoire Identitaire de la personne. Une trajectoire où, entre l’organisme et le milieu, « le rapport peut varier et, avec les progrès de l’organisme, le centre de gravité se déplace du milieu vers l’organisme ».66 En résumé de cette partie, nous pouvons dire que l’Identité résulte d’une élaboration progressive et constante de l’organisme qui, par le biais de l’activité qu’il élabore et produit, s’apparente à un système d’intégration ouvert sur le milieu. Un système décomposable artificiellement en plusieurs niveaux d’intégration co-dépendants qui correspondent aux strates dynamiques, d’une même entité, qui contribuent à l’organisation et la cristallisation évolutive d’une Identité intègre sur les deux versants de sa trajectoire adaptative. Ainsi, la théorie du détour nous permet d’appréhender la personne comme une « innovation psychologique »67 sur l’ensemble de son cycle de vie, qui se construit au fil de paliers phylogénétiquement programmés et selon une dynamique d’intégration – différenciation – intériorisation du milieu, dont l’objectif pour la personne est d’assurer 64 65 66 67 WALLON.H, (2003) , l’évolution psychologique de l’enfant , édition Armand Colin, coll. Cursus , 11ème édition , p 69 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 159 WALLON H (2002) , l’origine du caractère chez l’enfant , ed. PUF , p 57 MALRIEU,P (1979) , personne et personnalisation chez Henri Wallon , revue enfance n° 5 spécial « centenaire de Henri Wallon » , p 383 17 Cadrage théorique l’évolution et l’intégrité de son Identité où son « autonomie ne se développe que par son exercice effectif »68. Recadré dans notre démarche, nous pouvons nous demander : qu’en est-il alors de l’évolution de l’autonomie d’une personne qui exerce l’activité de soignant en gérontologie ? IV. Le soignant : une personne globale en situation concrète 69 Dans cette partie qui clot notre cadrage théorique, nous proposons d’aborder le soignant sous un autre angle que celui de la difficulté manifeste (burn-out, souffrance) ou latente (environnement ingrat, omniprésence de la mort). En accord avec ce que l’énigme géométrique nous évoquait et en s’appuyant sur les outils conceptuels et la dialectique de la théorie du détour précédemment exposés, ci-dessous nous aborderons le soignant comme une personne globale dont la trajectoire évolutive s’inscrit et s’exerce de manière particulière et spécifique dans la situation gérontologique. En écho à notre présentation de la théorie du détour, notre argumentation s’échelonnera donc autour des niveaux d’intégration co-dépendants qui opèrent lors de l’activité du soignant (paragraphe A,B) , pour à terme énoncer synthétiquement (paragraphe C) que le soignant avant d’être un professionnel en difficulté, celui-ci est une personne globale en situation concrète dont l’objectif est d’affermir et d’assurer l’intégrité de sa position de sujet. A) Le troisième détour de l’élaboration de l’Identité de la personne Bien que la personne soit le fruit de l’ensemble de son cycle de vie déjà parcouru, nous n’énumèrerons pas toutes les étapes que traverse la personne lors de son développement. Cependant, gardons en tête que tout le travail de réélaboration Identitaire de la personne s’effectue sur la base de ce qui a été antérieurement plus ou moins bien intériorisée. Nous limiterons et développerons donc ainsi la dernière période de réorganisation structurelle entamée par la personne qui exerce une activité de soignant : le 3ème détour. Celui-ci institue l’organisation Identitaire et la gestion du rapport adaptatif autour de la pensée abstraite, l’idéologie sociale et la temporalité en terme d’Identité/Altérité. Ce 3ème détour (comme les précédents) est composé de deux périodes. L’adolescence correspond à la phase centripète, et la vie adulte correspond à la phase centrifuge de ce même détour. A l’adolescence, l’individu est confronté à de nombreux changements. La puberté métamorphose son corps, la maturité de la fonction sexuelle génère un potentiel énergétique qu’il lui faut canaliser, la pensée abstraite lui donne accès à la temporalité et à un mode représentationnel plus vaste de soi et du monde. Parallèlement et progressivement son champ d’interaction qui jusqu’à présent se limitait pour l’essentiel au cocon familial, va s’étendre sur l’ensemble du champ social, selon ses choix. 68 69 CAUMIERES.P (2007) , Castauriadis le projet d’autonomie , édition Michalon coll. Le bien commun p 111 Photographie d’une personne soignante lors de sa pratique quotidienne 18 Cadrage théorique Tous ces changements nécessitent la réorganisation du rapport adaptatif qu’entretient le sujet avec son milieu. Cette restructuration vise à réélaborer une sécurité de base, non plus seulement en s’appropriant de manière personnelle des conduites dans des situations différentes, mais aussi en édifiant la synthèse de son Identité. L’enjeu adaptatif au niveau structurel consiste donc à cristalliser un dénominateur commun qui permet une continuité et une permanence du sujet au travers de l’hétérogénéité de ses conduites, du temps (avant/pendant/après) et de la diversité des situations qu’il rencontre et rencontrera. Autrement dit, il s’agit de « l’organisation et l’intériorisation d’un modèle abstrait qui organise l’unité (…) , le référent intériorisé de toute une classe de conduites 70». Ce modèle en devenir constant, spécifique à la personne, se construit et se synthétise généralement en terme de genre (masculin ou féminin) , parce qu’« il permet aussi bien de connoter la diversité des activités de l’individu que de l’inscrire dans une continuité depuis sa naissance, et répond à l’injonction faite à l’adolescent de devenir un homme (ou une femme) »71. Ce cheminement de la réélaboration du Moi, en terme d’Identité de genre , se structure suivant une double direction. D’une part, la définition de concepts fonctionnels de classes de conduites. Et d’autre part, l’inscription de la permanence de l’Identité au-delà du moment vécu. La difficulté de ce travail réside dans la synchronisation de ces deux axes élaboratifs. Où la hiérarchisation des identificateurs et l’inscription de l’Identité dans une trajectoire évolutive, permettent aux acquis intériorisés et à l’objectif adaptatif (en lien avec l’idéologie sociale) de s’accorder dans la planification et la réalisation d’objectifs intermédiaires. Parallèlement à cette réélaboration de l’Identité, le sujet compose (recompose) sa capacité à rencontrer l’Autre sous le versant de l’Altérité « déterminant d’une part par rapport au statut de l’Identité, d’autre part du point de vue de la capacité à s’inscrire dans une relation intersubjective, autant il [le statut de l’Altérité] l’est également vis-à-vis de la négativité/positivité du rapport à la différence (intolérance/tolérance).72 » L’ensemble de cette restructuration aboutit donc à l’édification « d’une nouvelle valeur de la catégorie Moi/Autre »73 plus ou moins carencé, qui s’énonce en terme d’Identité/Altérité. A ce niveau du cycle de vie, dans cette dynamique d’individuation, les carences se traduisent par des étayages plus ou moins rigides et abstraits de la personne au sien du milieu où son Identité globale se différencie plus ou moins des rapports partiels qu’elle entretient avec des secteurs du milieu (son travail , sa vie de couple, sa sexualité…). L’appui sur le milieu qui s’exprimait dans l’enfance sous une problématique de l’être et de l’avoir se manifeste à l’âge adulte sous une problématique de l’intériorité/extériorité. Cet épisode de réorganisation du rapport au milieu ne clôt pas l’évolution Identitaire de la personne car « c’est à l’exercice de celle-ci que revient de définir et de différencier une 70 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 157 ibid , p 158 CHABRIER.L, (2001), étude des réponses au Rorschach comme expression particulière de la différenciation sujet/milieu : construction et validation d’une grille d’analyse , thèse de doctorat de psychologie , université de Nice-Sophia Antipolis , p 80 73 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques, p 144 71 72 19 Cadrage théorique structure Identitaire stable »74. Cet exercice relève de la vie d’adulte (phase centrifuge du 3ème détour). Durant cette période, le sujet assure la continuité élaborative de son Identité selon un double mouvement de sa trajectoire identitaire. A cette phase du développement, la personne exerce son unité Identitaire intériorisée en l’inscrivant dans une dialectique d’Identité/Altérité au sein du champ social. De cette manière elle étaye, diversifie , affine, différencie et hiérarchise les identificateurs sociaux (les facettes) de son Identité . Globalement lors de cette période de son évolution, il s’agit pour la personne, au travers de ses choix et objectifs temporalisés dans le milieu, de maintenir la continuité de sa chaîne symbolique, vecteur de sa permanence et stabilité adaptative (spécifique). Autrement dit, c’est par l’élaboration et l’exercice d’activités au sein du champ social, en lien avec l’idéologie sociale, que le sujet assure la continuité évolutive de son intégrité Identitaire, où les activités de relation sont autant de « traits d’union entre la personne et son milieu, dans lesquels la personne se reconnaît et par lesquels elle est reconnue »75. A présent, nous allons considérer comment l’activité de soignant en gérontologie peut participer à ce mouvement de continuité du développement du sujet. Comment celle-ci s’élabore, s’inscrit et se gère diversement, selon la trajectoire Identitaire de la personne soignante qui l’entreprend et l’exerce. B) Soignant en gérontologie : de l’élaboration d’une activité en tant que soignant, à la gestion de sa position de sujet. L’activité de soignant en gérontologie n’est pas la simple acquisition et accumulation de savoirs ou de compétences qu’il suffit d’apprendre et d’appliquer pour faire face à toutes situations du milieu gérontologique. Elle est le fruit d’une élaboration qui s’initie à partir de l’organisation Identitaire de la personne (son unité et ses facettes) engagée dans le troisième détour du cycle évolutif de son Identité. Autrement dit, c’est à partir d’une activité intégrée et intégrante que chaque personne entreprend la construction de son unité fonctionnelle de soignant en gérontologie où « tout processus d’intégration s’effectue forcément sur la base des résultats du travail de différentiation, ce dernier construisant les contenus sur lesquels le processus d’intégration peut s’exercer. »76. Comme nous avons pu l’exposer (voir partie sur la théorie du détour), la dynamique d’édification et d’évolution d’une unité fonctionnelle est régie par des lois générales, les invariants de la dynamique évolutive du sujet. Ainsi, l’élaboration d’une unité fonctionnelle en tant que soignant pour la personne qui l’entreprend, comporte une phase centripète et une centrifuge. C’est une construction progressive avec un temps tourné vers soi (phase centripète), puis un temps tourné vers le milieu gérontologique (phase centrifuge). Lors de la phase centripète de son activité de soignant en gérontologie, la personne fait l’apprentissage de sa 74 ibid p 160 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques p 143 CHABRIER.L, (2001), étude des réponses au Rorschach comme expression particulière de la différenciation sujet/milieu : construction et validation d’une grille d’analyse , thèse de doctorat de psychologie , université de Nice-Sophia Antipolis , p 80 75 76 20 Cadrage théorique pratique. Elle découvre l’environnement institutionnel (les personnes et le fonctionnement, ses valeurs), ses savoirs faire et connaissances nécessaires à l’exercice de sa profession de soignant. C’est à partir de la mise en forme d’une activité intégrée et intégrante que la personne, de façon journalière, internalise et vit, des situations et éléments du milieu gérontologique. Peu à peu, le sujet sélectionne les éléments pertinents et met « en place des moyens internes de contrôler certaines variations du milieu»77 gérontologique. Au gré de son activité d’apprenti et selon la loi de l’effet et la loi d’intégration fonctionnelle, la personne va progressivement intérioriser, organiser, édifier et automatiser, tant dans l’acte que son effet, son unité fonctionnelle de soignant en gérontologie. Lors de la phase centrifuge de son activité , l’élaboration de son unité fonctionnelle de soignant continue. La personne exerce, diversifie, affine et ajuste sa pratique : « la compétence se forge en marchant »78. Ce travail, la personne soignante l’effectue au gré de ses expériences et ses rencontres dans sa pratique quotidienne, par un va-et-vient constant d’intégration – différenciation - restructuration de son activité de soignant selon les feed-back émis et en fonction de ses objectifs adaptatifs au sein du milieu gérontlogique. Conjointement à l’élaboration de son unité fonctionnelle, la personne édifie progressivement son interface en tant que soignant. C’est par l’intermédiaire de cette interface que la personne va appréhender les situations, mettre en forme son activité et gérer ses émotions et son rapport aux autres au sien du milieu gérontologique. Dans sa pratique quotidienne, « toutes les facettes de la vie du soignant peuvent être touchées par l’impact émotionnel de l’interaction »79. C’est au travers de son interface, de son degré d’élaboration que la personne soignante entreprend et assure l’intégrité de sa position de sujet selon l’objectif Identitaire qu’incarne son activité en tant que soignant. En ce sens que l’activité de soignant peut revêtir un objectif différent selon la personne. Soit cette activité peut être entrepris et exercée comme un médiateur de l’Identité du sujet et de sa continuité, où celui-ci va « s’approprier successivement un certain nombre d’objectifs pour pouvoir continuer à maintenir une activité mettant en œuvre les manières d’être qu’il a intériorisées comme bonnes (conduites)»80 et ainsi constituer un identificateur social (plus ou moins central) de son Identité. Soit, cette activité peut demeurer à un degré d’élaboration dit instrumentale, où l’activité ne vise en fait rien d’autres qu’elle-même et a « plutôt pour fonction d’assurer une certaine visibilité à la façon dont la personne est au monde »81 au travers des compétences de soignant en gérontologie. Globalement, l’élaboration de l’activité de la personne soignante correspond à un cycle élaboratif dans un milieu donné. Une élaboration dont la structure Identitaire de l’individu oriente et soutient l’édification de son activité, et s’inscrit plus ou moins dans la continuité 77 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 120 BADEY-RODRIGUEZ, (1997),les personnes âgées en institution , vie ou survie, édition Seli Arslan , p 167 MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition p 213 80 CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III , p 244 81 ibid p282 78 79 21 Cadrage théorique évolutive de son Identité. Cela nous suggère que l’activité de soignant en gérontologie n’est pas uniforme, que celle-ci est variable d’une personne à une autre et d’un temps à un autre pour un même sujet. C’est-à-dire que le degré d’élaboration de l’unité fonctionnelle de la personne en tant que soignant, et à fortiori son interface, varie selon : la qualité (et ses carences) de sa structure Identitaire, la phase élaboration de son activité et l’objectif qu’incarne (ou incarnera) celle-ci au sein de la continuité évolutive de sa trajectoire Identitaire. Ainsi dans une pratique quotidienne où « Les soignants en gérontologie sont appelés à travailler au moins autant sur la dimension relationnelle (…) que sur les aspects techniques des soins »82, au niveau du fonctionnement psychologique l’activité de la personne soignante s’apparente à une dynamique d’adaptation partielle. Où par l’élaboration de son unité fonctionnelle au sein du milieu gérontologique, la personne édifie son interface en tant que soignant. Au travers de laquelle, elle entreprend ou pas de manière plus ou moins souple et différenciée, l’exercice et l’étayage de son Identité : l’intégrité et l’évolution de sa position de sujet autonome. C) Soignant en gérontologie : une activité à la croisée des deux axes de l’évolution de la trajectoire Identitaire de la personne Au fil de son développement, l’organisation Identitaire de la personne renvoie à l’articulation évolutive d’une correspondance, structurelle et fonctionnelle, qu’entretient l’organisme avec le milieu. Dynamiquement et en situation, cette correspondance reflète un mode de participation, d’où la personne exerce et entreprend plus ou moins la continuité de son Identité par le biais d’une activité au sein du milieu. Pour la personne soignante en gérontologie, la continuité de sa trajectoire Identitaire s’inscrit dans la dialectique amorcée par le 3ème détour de son cycle de vie. A cette étape, la continuité élaborative de l’Identité se perpétue selon un double mouvement de la personne dans le milieu : -La personne assure et exerce la permanence de son support Identitaire Intériorisé (plus ou moins carencé) en l’inscrivant dans une dialectique d’Identité/Altérité au sein du champ social (le Moi dans un Nous). -La personne par le biais de ses activités diversifie, différencie, affine et hiérarchise ses identificateurs sociaux (ses identités partielles) qui renvoient à une validation, une reconnaissance plus ou moins partielle de son Identité. Ainsi, c’est dans ce contexte de la continuité de son développement Identitaire que par la mise en forme d’une activité, la personne intègre le milieu gérontologique. Selon le cycle élaboratif (loi d’alternance fonctionnelle) et le va et vient (loi de l’effet) de son activité, la personne va progressivement édifier une interface en tant que soignant. Par l’intermédiaire de laquelle suivant son niveau d’élaboration et l’objectif qu’incarne son activité de soignant, la personne y exerce une activité adaptative qui contribue plus ou moins à l’évolution et l’assurance de 82 BADEY-RODRIGUEZ, (1997),les personnes âgées en institution , vie ou survie, édition Seli Arslan , p 142 22 Cadrage théorique l’intégrité de sa position de sujet (loi d’intégration fonctionnelle) au sein du milieu. Autrement dit, l’activité de la personne soignante apparaît comme l’élaboration d’une activité relative à l’intégration de son organisation Identitaire au sein d’un milieu gérontologique. Nous considérons donc le soignant en gérontologie comme une personne globale dont l’activité résulte de la jonction spécifique entre son organisation Identitaire et le milieu concret gérontologique. Une activité qui selon la personne soignante s’inscrit et participe diversement à la continuité de son processus d’individuation au milieu. Cela nous évoque les deux axes essentiels de l’évolution de l’Identité selon la théorie du détour : -L’axe vertical: le processus évolutif de l’unité Identitaire de l’appareil psychique à l’étape considérée -L’axe Horizontal : le mode de participation de cette unité Identitaire dans le milieu au moment considéré Où l’activité de la personne en tant que soignante en gérontologie représente le produit, un point de jonction (un trait d’union) de ces deux axes fondamentaux du processus adaptatif et continuel de la personne dans le champ social. ******** Lorsque L.Ploton écrit que l’intégrité des soignants en gérontologie dépend «du bagage psychologique de chacun »83, nous ne pouvons infirmer cela. Cependant, au regard de notre présent exposé théorique nous pouvons toutefois tendre vers la supposition que ce bagage propre à chacun, ne résulte pas seulement de l’étude des reviviscences affectives et conduites du soignant qui s’aborderait seulement dans le cloisonnement du champ gérontologique. Le champ qu’il nous faut considérer lorsque nous questionnons le soignant en gérontologie est le champ de son cycle de vie. Ainsi notre démarche n’est pas une approche du soignant, mais de la personne soignant, où théoriquement et cliniquement « il y a à mettre en place des concepts susceptibles de rendre compte du fonctionnement mental, non pas à partir de catégories descriptives contingentes qui fractionnent artificiellement l’unité fonctionnelle du psychisme, mais à partir de processus précis que la personne met en œuvre dans chaque situation concrète »84. La vie est un mouvement constant de différenciation et restructuration du rapport qu’entretient le sujet avec son milieu où l’enjeu permanent est d’assurer son intégrité adaptative. Ainsi, en considérant ce mouvement de la vie de la dimension psychique de l’organisme humain, et au vu de la dialectique qu’en énonce la théorie du détour, il nous apparaît évident qu’Il n’y a pas UN mais DES savoirs être soignant en gérontologie. Chaque soignant étant une composition partielle et originale de son organisation Identitaire en activité au sein du milieu gérontologique où « tous les soignants ne combinent pas de la même façon leur rôle de soignant et leur identité »85. 83 84 85 PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6ème édition ,p 20 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques p 38 MERCADIER C ; (2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, édition Seli Arlan, coll. Perspective soignante , 4 ème édition p 265 23 Problématique et hypothèse générale Problématique et hypothèse générale L’an dernier, lors de nos expériences de stage, nous avons eu l’opportunité entre autre de nous entretenir avec des infirmiers et aides-soignants au sujet de leur parcours et perception de la profession. Nous avons pu aussi les observer dans leur travail et participer avec eux à des formations. De tout cela, notre interrogation exploratrice sur le soignant en maison de retraite s’en est trouvée accru de plusieurs observations et pistes de recherche: Qu’est-ce qui distingue un bon d’un mauvais soignant? qu’est ce qu’un bon soignant ?; Pourquoi pour une même tâche ou enseignement, chaque soignant a sa façon particulière de l’envisager, la concevoir, l’investir, s’y inscrire etc….Loin de nous, est l’idée de fabriquer, de tirer le portrait du parfait soignant. Nous ne pensons pas que la psychologie puisse (et en définitive ne doit) répondre à ce type d’investigation. Cependant, elle peut nous permettre d’aborder la situation du soignant en maison de retraite sous le versant d’une dynamique psychologique individuelle qui s’inscrit dans une situation de manière plus ou moins positive et/ou conflictuelle pour elle et le milieu. Nous avons introduit notre démarche hypothético-déductive avec une revue littéraire. Nous faisons le constat que la question du soignant en gérontologie, fut toujours entreprise de manière incomplète. Tous ces travaux sont porteurs d’informations précieuses. Cependant, nous pouvons leurs reprocher deux choses: de fragmenter le soignant en l’abordant avec des référents qui privilégient une dimension de la relation au milieu ; de limiter la dynamique de la personne soignante au contexte professionnel. Tout cela aboutissant à arborer une globalité artificielle et incomplète du soignant. Par la suite, nous avons vu que la théorie du détour apparaît comme une alternative qui répondrait aux carences de ces approches, sans pour autant les supplanter. Elle nous permet d’aborder non plus le soignant, mais la personne soignante. Autrement dit, le sujet global en situation concrète, où l’activité correspond à une expression fonctionnelle et partielle d’une structure opératoire, fruit et potentiel d’un développement qui s’échelonne sur l’ensemble du cycle de vie. Ainsi, nous envisageons la personne dans une dynamique d’individuation qui dépasse le cadre professionnel, qui permet d’entendre l’activité de soignant sous différentes formes suivant son rôle dans la continuité de la trajectoire Identitaire de la personne qui l’exerce. Tous ces éléments recueillis en définitive nous font converger vers les interrogations suivantes: audelà de l’apprentissage et l’application de soins, l’activité de soignant n’aurait-elle pas une fonction, n’incarnerait-elle pas un objectif implicite pour la personne qui l’exerce ? La valence de difficulté de certains éléments du milieu gérontologique et la manière d’entretenir une relation avec les personnes âgées ne seraient-elles pas subordonnées à la dynamique psychologique de la personne soignante qui y évolue ? Nous faisons donc l’hypothèse que l’activité de soin qu’exerce la personne en maison de retraite est relative à sa dynamique adaptative. C’est-àdire que son activité, en tant que soignant, relève essentiellement de l’exercice de sa structure psychique et de l’objectif qu’incarne son activité de soin dans la continuité élaborative de sa trajectoire Identitaire. Ainsi avant d’être le reflet d’un savoir faire, l’activité de la personne soignante est le reflet d’un savoir être de la personne dans le milieu concret gérontologique. 24 Opérationnalisation & Méthodologie « L’on étudie l’arbre à partir de ses fruits. » Michel CARIOU Opérationnalisation & méthodologie I.Opérationnalisation La théorie reste de l’ordre de l’abstraction, il nous faut à présent faire glisser notre hypothèse générale vers des hypothèses plus concrètes. Des hypothèses nous permettant d’opérationnaliser l’idée que les personnes soignantes n’exercent pas leur activité de la même manière suivant le degré d’élaboration et d’intégration de celle-ci au sein de leur continuité et intégrité Identitaire. ******** L’activité en tant que soignant correspond à une forme concrète, opérationnelle et dynamique du rapport entre l’organisme et le milieu. Elle est la part émergente de la correspondance adaptative de la personne au sein du milieu gérontologique. Cette activité reflète un mode de participation que la personne soignante élabore et met en forme dans sa pratique quotidienne dans le milieu gérontologique. Cette participation résulte, au moyen d’une activité intégrée et intégrante, de la jonction progressivement établie entre les compétences et objectifs de la personne avec les conditions du milieu gérontologique. Sachant que nous nous référons à l’outil conceptuel du détour, « ce n’est pas l’activité en ellemême qui informe sur le mode de participation qu’elle (la personne) réalise, mais le contexte dans lequel elle s’inscrit (…) » 86. Nous étudierons donc l’activité de la personne soignante au travers de dimensions qui nous permettrons de mettre en évidence son mode de participation au sein du milieu. Un mode de participation permettant de nous informer sur l’intégration, l’élaboration et l’exercice de cette activité en tant que soignant pour la personne. Ces dimensions de l’activité nous permettant de mettre en évidence le mode de participation de la personne soignante sont : la référence de l’activité et la nature de l’activité. Le référent de l’activité de soignant concerne les motifs, modèles et éléments sur lesquels s’appuie le soignant pour définir et exercer son activité. Autrement dit, ce référent de l’activité reflète la qualité de l’intégration (référent non-syncrétique vs référent syncrétique) et le degré de différenciation de la personne au sein de son activité de soignant (personne différenciée vs indifférenciée). L’autre dimension est la nature de l’activité de soignant. Elle concerne l’orientation des intérêts et le type de feed-backs que la personne sollicite au travers de cette activité. Cette dimension interroge dans quelle visée, l’activité de soignant participe à la continuité de la trajectoire et le maintien de l’intégrité de la personne qui l’exerce. La nature de cette activité peut être de deux versants : soit l’activité s’inscrit comme le projet d’une réalisation temporalisée de soi dans le champ social où la personne exerce un pan de son Identité (Identificateur social), soit elle s’inscrit comme une validation de son être au monde dans un contexte particulier (conduite) au travers des compétences de soignant en gérontologie. ******** 86 CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III , p 278 25 Opérationnalisation & méthodologie Ces dimensions de l’activité nous permettront donc de sonder plusieurs choses. Tout d’abord, de savoir si la personne en tant que soignante exerce une activité plus ou moins désirée. Une activité qu’elle intègre et élabore à partir d’éléments de son intériorité et où elle y entreprend ou pas la continuité élaborative de son Identité. Ensuite, ces dimensions nous permettront aussi de mettre en évidence si l’élaboration de cette activité est plus ou moins assumée par la personne soignante. C’est-à-dire si celle-ci a tendance à se référer et justifier de sa pratique de soignant sur le versant de l’intériorité ou de l’extériorité. Par conséquent, selon la personne interrogée, ces dimensions de l’activité nous permettront d’observer que suivant le degré d’élaboration de sa pratique et l’enjeu Identitaire qu’elle revêt, la personne soignante exerce, gère et entreprend sa position de sujet intègre, par le biais d’une activité (une pratique) de soignant qui s’institue plus ou moins sur le versant relationnel ou fonctionnel auprès des personnes âgées de l’établissement. Une pratique où la personne est plus ou moins en capacité d’établir et d’entretenir une relation intersubjective avec ces personnes au travers de son activité de soignant en gérontologie. II.Hypothèses de travail Hypothèse 1: Hypothèse intermédiaire Si la profession de soignant constitue un identificateur social de la personne, et si celle-ci expose et entreprend son activité sur un référentiel non-syncrétique, alors nous pourrons observer que la personne en question entreprend une pratique de soignant sur le versant de la relation à l’autre en tant que sujet. Hypothèse opérationnelle Si la profession de soignant se présente comme une activité désirée. Où, la personne a fait le choix de pratiquer et exercer des éléments de son Identité, et, qu’elle évoque un discours où elle assume pleinement son activité en reconnaissant sa responsabilité et en s’appuyant sur sa personne pour décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la personne entreprend une activité de soignant sur le versant d’une relation à l’autre où celui-ci est reconnu dans sa différence et la spécificité de sa subjectivité. Hypothèse 2: Hypothèse intermédiaire Si la profession de soignant constitue un identificateur social de la personne, et si celle-ci expose et entreprend son activité sur un référentiel syncrétique, alors nous pourrons observer que la personne en question entreprend une pratique de soignant sur le versant de la relation à l’autre en tant que sujet idéalisé ou stéréotypé. 26 Opérationnalisation & méthodologie Hypothèse opérationnelle Si la profession de soignant se présente comme une activité désirée. Où, la personne a fait le choix de pratiquer et exercer des éléments de son Identité, et, qu’elle évoque un discours où elle n’assume pas son activité en ne distinguant pas sa responsabilité et en s’appuyant sur des éléments externes pour décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la personne entreprend une activité de soignant sur le versant d’une relation à l’autre où celui-ci est reconnu partiellement dans sa différence et la spécificité de sa subjectivité. Hypothèse 3: Hypothèse intermédiaire Si l’activité en tant que soignant constitue une conduite pour la personne au travers de compétences particulières, celle-ci expose et entreprend son activité selon un référentiel syncrétique. Dans ces circonstances nous pourrons observer que la personne entreprend une pratique de soignant sur le versant d’une relation qui reste sur le versant fonctionnel et instrumental auprès de personnes âgées non reconnues dans leur différence et la spécificité de leur subjectivité. Hypothèse opérationnelle Si l’activité en tant que soignant apparaît comme un non-choix pour la personne. Où la personne n’entreprend pas l’exercice d’éléments de son Identité, et, que celle-ci évoque un discours où elle n’assume pas son activité en ne distinguant pas sa responsabilité et en s’appuyant sur des éléments externes pour décrire et justifier de sa pratique ; alors nous pourrons observer que la personne entreprend une activité de soignant qui demeure sur le versant d’une relation fonctionnelle où l’autre âgé n’est pas reconnu dans sa différence et la spécificité de sa subjectivité. 27 Opérationnalisation & méthodologie III.Méthodologie A) Le contexte & la démarche de notre recherche Notre démarche d’investigation pour ce travail de recherche s’est appuyée sur les enseignements que nous avons pu tirer de nos premiers contacts avec des personnes soignantes en gérontologie. Au cours de nos stages, lorsque nous cherchions à nous rapprocher, à entrer en relation avec les personnes soignantes, nous nous sommes retrouvés souvent confronter à des réactions plus ou moins explicites de résistance et de défense vis-à-vis de notre intérêt. Parfois sous forme de réticence et d’excuse « j’ai rien à dire », « je sais pas si je peux le dire ça », « moi, je veux bien, mais là je dois… », «oh ! je t’ai oublié ». Il nous est même arrivé d’être interloqué sous forme de reproche autour d’un malentendu, par une soignante lorsque nous interrogions une de ses collègues sur sa conception du travail de soignant : « mais vous croyez quoi vous, que l’on voit pas leur souffrance, l’on est pas des monstres, on leur parle aussi ». Mais plus souvent, c’est par des murmures de couloirs, des échanges de regards autour d’une table et de petites apostrophes sous couvert de l’humour qui ne manquaient pas d’avoir le pouvoir de sous-entendre et signifier plus qu’une simple plaisanterie : « oh! les filles attention y a le psychologue qui est là, y va tout répéter »;« arrête, qu’est-ce qu’il va penser de nous après(rire) ». Globalement, il nous est apparu par la suite difficile d’entreprendre notre travail de recherche auprès des soignants sur un lieu de stage, où notre présence d’apprenti psychologue comportant déjà ses difficultés spécifiques en situation de stage, s’en trouvait en plus accrédité par les soignants d’une méfiance vis-à-vis d’une représentation du psychologue en institution trop souvent amalgamé à la perception de la direction soit son assise décisionnelle. En écho à ces moments, nous avons donc fait le choix d’entreprendre nos entretiens non plus en nous inscrivant comme stagiaire au sein d’un établissement gérontologique, mais comme intervenant externe en demande ponctuelle dans le cadre de notre recherche universitaire. Cela nous permettait ainsi de simplifier et limiter notre intégration au sein de la dynamique de groupe de l’institution, et de ne pas donner prétexte à être amalgamé à la direction lors de nos échanges avec les personnes soignantes. De cette manière, nous cherchions à nous instituer comme un intermédiaire, un espace, un temps de parole qui aussitôt créé, disparaissait sans avoir d’incidence sur la dynamique de groupe au sein de l’établissement. Autrement dit, paradoxalement, il nous est apparu que la non-inscription sur une longue période dans un établissement pouvait être davantage propice à l’élaboration d’un échange authentique avec les personnes soignantes. Fort de ce constat, notre démarche s’est donc construite autour de trois temps. Le premier consistait à solliciter les établissements gérontologiques du département (qui ne manquent pas) en explicitant notre demande par le biais de courriers électroniques et lettres postales ou appels voir annexe : lettre type adressé aux établissements gérontologiques sollicités 28 Opérationnalisation & méthodologie téléphoniques adressées à la direction et au psychologue de l’établissement en question. Dans un deuxième temps, nous rencontrions préalablement le psychologue ou la personne responsable du personnel, pour ensuite nous adresser directement aux soignants afin de présenter nous-même notre recherche, et sollicitée ces derniers pour d’hypothétiques entretiens. Enfin, dans un troisième temps, suivant le rendez-vous convenu avec la personne soignante nous procédions à l’entretien. B) Le cadre et le guide de nos entretiens Le cadre est un segment de notre investigation qu’il ne faut pas négliger et qui n’est pas invariant : « Il (le cadre) va dépendre de la situation professionnelle du psychologue. La façon de poser le cadre sera également liée à l’origine de la demande (….), au type d’entretien que l’on pratique » 87. En écho à ce propos, il nous faut donc énoncer que l’entretien participe à une recherche, et que c’est nous-même qui sommes en demande auprès du personnel soignant. La manière la plus appropriée pour signifier ce cadre à la personne interrogée, c’est de nous présenter en tant qu’étudiant de psychologie effectuant une recherche dans le cadre de notre cursus, et de remercier la personne d’avoir accepter de répondre à notre sollicitation. De cette façon, les places sont distribuées et signifiées, et le cadre en grande partie posé. Dans un second temps, nous informerons la personne des grandes lignes qui composeront notre entretien. Nous lui rappellerons l’objet de notre étude « vous-même et votre pratique professionnelle » et que par conséquent nous lui poserons « une série de questions qui concernent soit votre profession soit vous et vos opinions en général ». Notre cadre consiste aussi à la mise en place d’un dispositif. C’est-à-dire un espace à l’abri des regards et oreilles extérieurs, afin d’éviter à la personne toute impression d’être épiée ou jugée par une quelconque présence. Toujours dans l’intention de favoriser la mise en place d’un cadre propice à l’échange, nous signifierons à la personne l’assurance de la confidentialité du contenu de notre entretien vis-à-vis de l’établissement (personnel et direction) et l’anonymat de ses propos au sein de nos écrits. Globalement, nous chercherons à poser tout au long de nos échanges, un cadre respectueux de la personne qui favorise l’atténuation de ses mécanismes de défense et ainsi accroître la confiance de celle-ci. Le seul bémol du cadre, nous semble être l’acceptation de l’enregistrement, non sans ignorer que préalablement ces réticences sont le fruit de notre imagination. Nous pensons tout de même qu’il sera préférable d’exposer à la personne en quoi l’usage de cet appareillage est propice à notre recherche (qualité de retranscription) et à nos échanges (l’attention sur l’écoute et non sur la prise de notes). Le cadre en partie institué, nous pourrons procéder à l’entretien en nous appuyant sur notre guide d’entretien composé de questions qui amorcent les thématiques en lien avec nos hypothèses, sur lesquelles la personne soignante s’exprimera. Le guide n’étant qu’un support, le déroulement de l’entretien pourra s’aventurer au gré du discours de la personne. 87 POUSSIN.G, (2005),la pratique de l’entretien clinique , 3 voir annexe : guide d’entretien ème edition dunod , collection psycho sup , p 22-23 29 Illustrations cliniques Illustrations Cliniques Illustrations cliniques Ci-dessous, nous vous exposerons trois de nos rencontres avec des personnes soignantes qui viennent illustrer nos hypothèses et propos théoriques sous-jacents. Vous pourrez aussi vous référez aux annexes pour consulter la retranscription complète des entretiens de Betty et Sally. I. Betty « l’on n’est pas des savonnettes » J’ai rencontré Betty dans un entre deux temps d’une journée de travail des soignants. J’y présentais ma démarche de recherche et sollicitais elle, et ces collègues pour d’hypothétiques entretiens. Lors de ce temps, Betty était attentive et exprimait un certain intérêt à ma démarche « c’est intéressant », « c’est vrai que y a de quoi dire ». Elle fut la première à se proposer spontanément, sans jeter un regard autour d’elle, pour participer. A la fin de ma présentation, je voulais saluer la psychologue de l’établissement, et c’est Betty qui se proposa de me mener à elle. Durant ce court chemin, elle m’évoqua déjà sa pratique « vous savez, moi je pratique pas qu’ici, j’espère que cela ne posera pas de problème à votre travail » , « et puis je fais plein de choses, j’aime pas ne rien faire, sinon l’on se lasse ». Je dus freiner son élan « nous parlerons de tout cela lors de notre entretien…gardez en un peu ». Notre entretien eut lieu quelques jours plus tard dans le cadre d’un bureau. Celui-ci dura cinquante minutes, temps au cours duquel Betty se prêta volontiers aux questions et échanges. Elle semblait ravie de pouvoir verbaliser et donner son opinion sur son parcours et sa pratique professionnelle. a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant » Betty est âgée de 45 ans, elle est titulaire d’un diplôme d’aide-soignante depuis six ans. Un diplôme dont elle revendique l’importance parce qu’« on sait ce que l’on fait, l’on n’est pas des savonnettes (…) c’est un plus ». Conjointement à sa présentation, elle ajoute et revendique « mais moi, j’ai un parcours différent ». En effet, la formation initiale de Betty est un BEP carrière sanitaire et sociale mais option sociale car « il fallait faire un choix ». Un choix motivé par sa volonté de « travailler avec les enfants handicapés » où « pour cela à l’époque y fallait être éducateur ». Elle justifie sa volonté en évoquant que « toute petite, j’étais toujours avec les enfants handicapés (…) à l’âge de douze treize ans j’allais pique-niquer et y avait toujours un groupe d’handicapés et je devais les attirer ou l’on s’attirait mutuellement parce qu’ils venaient autour de moi » et « je pense que j’ai une facilité au niveau du contact ». Au terme de sa formation, faute d’être assez âgé pour se présenter au concour, Betty postula et fut embauchée dans un centre de phoniatrie et surdité infantile comme monitrice éducatrice.Par la suite, elle fit une « coupure parce que j’ai fait mes enfants (…) c’est un choix (…) je voulais les voir grandir». « Après j’ai pas voulu reprendre avec les enfants, j’ai voulu reprendre avec les adultes ». C’est donc à la suite d’un break de huit ans que Betty débuta sa carrière dans le secteur gérontologique. Une réorientation de son activité professionnelle motivée selon elle par le décès de sa grand-mère « on était très proche, chez nous la famille c’est sacré (…) et donc la personne âgée nous manquait ». Cet événement de sa vie semble l’avoir sensibilisé à une 29 Illustrations cliniques certaine réalité des personnes âgées « ma grand-mère est tombée malade la pauvre. Et je me suis rendu compte qu’elle et d’autres avaient besoin d’aide. Parce que de là où j’étais je ne pouvais pas l’imaginer ». Betty a débuté son activité de soignante au sein de la maison de retraite en tant que ASH « mais j’avais un BEP carrière sanitaire et sociale, j’ai très vite travaillé avec les infirmières et dés qu’ils ont pu, ils m’ont envoyée à l’école pour que je puisse avoir le statut officiel de soignant ». Actuellement, Betty envisage encore de progresser dans son activité professionnelle « si la loi change, je retournerai à l’école pour faire l’école des sous-infirmières, ça existe déjà en Angleterre ». ******** Au sein de l’établissement, Betty dans sa pratique professionnelle fait preuve d’une certaine polyvalence « j’ai de la chance de faire plein de fonctions ». Elle s’occupe de temps d’animation « comme je fais de l’animation, ce que j’ai appris, je peux le mettre en application », et il lui arrive aussi d’effectuer des tâches qui dépassent son niveau de compétence « ici je remplace l’infirmière quand elle n’est pas là, je distribue les médicaments (…), je connais mes limites, y’ a des choses que je ne fais pas ». Betty se complet dans la diversité de son activité de soignante « ça me permet d’être au courant de tout en plus. Parce que je suis curieuse ». Betty ne conçoit pas sa fonction de soignante seulement au travers de sa tâche de nursing auprès des résidents car « que l’on nous demande de faire du travail à la chaîne, ça ne m’intéresse pas, parce que quinze toilettes dans la même matinée, c’est pas la peine, ça tout le monde peut le faire, ça vaut rien». Selon Betty, la maison de retraite est « un lieu de vie » où son travail « tourne autour de l’accueil, des occupations qu’ils (les résidents) vont avoir dans la journée et bien sûr les soins, la propreté, les pansements et tout, mais après l’on ne les soignera jamais, c’est fini ». Ainsi, pour Betty son travail ne se limite pas au nursing et à ces aspects rebutants « je connaissais pas la partie quand ils (les personnes âgées) se souillent, mais bon ça s’est passé sans problème, parce que y’avait cette envie de travailler avec eux, (….) l’on est plus sur les mauvais côtés, c’est secondaire ». Pour Betty, le travail du soignant auprès des résidents est « tout basé sur la communication » et c’est « une question d’approche » où le soignant s’adapte à la personne car « eux y sont comme y sont, ils ont un certain âge, et de pathologie. L’on pourra pas leur demander certaines choses, ils ne pourront pas s’adapter vraiment. Alors que nous soignant l’on est pas malade, c’est à nous de nous adapter aux résidents ». Dans sa pratique, Betty revendique l’importance du contact « l’on entend plein de choses, à nous de les entendre et de savoir les écouter », « il faut les connaître les gens, il ne faut pas s’imposer ». Elle accorde aussi de l’importance à la qualité de la relation qu’elle peut instaurer et gérer avec les personnes âgées « l’erreur c’est quand on est fatiguée, vous êtes pas ouvert (…) ils le captent de suite (…) ça vient d’eux, mais de nous aussi, ça vient des rapports que l’on a (…) moi je considère ça comme une erreur ». ******** En dehors de la maison de retraite, Betty se plait à parler de sa pratique à son entourage « ben y paraît que je fais que ça (…) parce que c’est quelque chose que j’aime et que je cherche à faire 30 Illustrations cliniques partager ». Sa profession de soignante lui apporte satisfaction « de se sentir utile » et « d’ apprendre plein de choses avec eux (personnes âgées), je pouvais leur apporter des choses et eux m’apporter plein de choses par rapport à leur vécu ». Elle dit « être à fond » et n’envisage pas de changer de profession car « moi j’aime mon travail ». b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne Quand Betty nous évoque son parcours professionnel, nous remarquons que l’orientation de son activité s’appuie sur des motifs relevant de son intériorité, de son histoire. Qu’il s’agisse en premier lieu de sa carrière dans le social « toute petite, j’étais toujours avec les enfants handicapés (…)», ou par la suite dans le secteur gérontologique « j’ai perdu ma grand-mère (…) Elle est tombée malade. Et je me suis rendue compte que elle et d’autres avaient besoin d’aide ». L’activité professionnelle s’est présentée pour Betty comme un choix, un projet au sein duquel elle médiatise des éléments de son Identité « je suis pas facile à suivre parce que moi il faut que ça bouge (….) J’aime mon travail et le changement, j’ai la chance de faire plein de choses», « j’ai une facilité au niveau du contact (…)Je suis à fond parce que y’a le contact ». La profession de soignante n’étant la vocation première de Betty, nous pouvons ajouter aussi sur l’évolution de son activité professionnelle, qu’il n’y a pas rupture dans son parcours, mais une continuité :« après lorsque j’ai repris le travail, j’ai pas voulu reprendre avec les enfants, mais avec les adultes ». Les référents et modèles antérieurement élaborés et intériorisés lorsqu’elle était éducatrice, ont leur place et participent à l’exercice de son activité de soignante en maison de retraite : « comme j’avais un BEP carrière sanitaire et sociale, j’ai très vite travaillé avec les infirmières », « j’ai les deux formations, le social et le sanitaire, ça c’est important parce que le social c’est le contact et le sanitaire c’est le soin ». ******** Tout comme peut nous le suggérer l’évocation de son évolution professionnelle « moi j’ai un parcours différent », plusieurs éléments du discours de Betty sur sa pratique nous illustrent que celle-ci, exerce son activité de soignante en maison de retraite sur un référentiel nonsyncrétique :«c’est mon opinion tout ça ». S’appuyant sur des éléments de sa personne « ça me permet d’être au courant de tout en plus parce que je suis curieuse » et ses référents intériorisés « ce que j’ai appris je peux le mettre en application », elle s’approprie de manière personnelle les éléments du milieu « le diplôme c’est important. On sait ce que l’on fait. C’est-à-dire que l’on est pas des savonnettes. (….) c’est un plus » ; « à nous de prendre le meilleur, et c’est le caractère de chacun ». Betty assume son activité « c’est aussi une question de caractère, c’est pas tout le monde qui est comme ça », qui dans sa pratique quotidienne prend la forme d’une approche responsable de l’aide qu’elle apporte aux personnes résidentes « c’est à nous de nous adapter » ; « je connais mes limites » ; « on entend plein de choses à nous de savoir les entendre », et cela malgré les conjonctures pouvant émaner du milieu « y’a un décalage, parce que l’on est tenu par le temps, mais l’on fait avec, on arrive à pallier ». 31 Illustrations cliniques ******** L’inscription de l’activité de soignant au sein de sa trajectoire comme médiateur de son Identité, ainsi que l’intégration et l’exercice de cette activité sur le versant de l’intériorité, ont pour conséquence dans la pratique quotidienne de Betty, une certaine approche dans l’élaboration et la gestion de son rapport aux personnes âgées. Betty entreprend son activité auprès des résidents sur le versant de la relation « je pouvais leur apporter des choses et eux m’en apporter plein par rapport à leur vécu » et du contact « si vous commencez à communiquer, y a plein de choses qu’ils font », malgré les aspects contraignants rebutants « tous les mauvais côtés passaient outre ». Des relations au sein desquelles Betty considère les personnes âgées dans leurs différences « c’est des gens pas comme nous qui avaient l’habitude » et leurs spécificités « y sont comme y sont ». Pour Betty sa relation aux personnes âgées « c’est une question d’approche » où elle laisse toute sa place au résident au sein de l’espace relationnel « y faut les connaître les gens, ne pas s’imposer » pour permettre l’édification d’une relation intersubjective « même si je souris, ils me disent : t’es pas comme d’habitude, t’as un problème ? Ils le captent de suite », où Betty distingue ce qui relève de sa responsabilité de celle de l’autre « alors ça vient d’eux, mais de nous aussi, ça vient des rapports que l’on a ». c) Conclusion Dans le cas de Betty, l’activité de soignant en gérontologie est une activité désirée qui participe à la continuité élaborative de son Identité. Son activité de soignant s’intègre à son histoire et constitue un identificateur social lui permettant de médiatiser son Identité au sein d’une pratique où elle ne se limite pas à l’aspect fonctionnel de sa profession :« j’étais pas qu’une soignante » ; « si l’on est pas reconnus ça ne m’intéresse pas » ; « faire quinze toilettes dans la matinée ça tout le monde peut le faire, ça ne m’intéresse pas ». Nous pouvons ensuite ajouter que dans cette perspective d’exercer son Identité, Betty a élaboré son interface de soignant sur le versant de l’intériorité. L’exercice de son Identité, au travers de son activité professionnelle, et l’édification de son interface de soignant sur le versant de l’intériorité, ont pour conséquence dans les rapports qu’elle entretient avec les personnes âgée d’ouvrir le champs à la possibilité d’établir une relation intersubjective avec les résidents de l’établissement. En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant et une activité désiré qui constitue un objectif idéologique pour Betty, lui permettant de se reconnaître et d’être reconnu au travers d’une activité de soignant qu’elle assume et où elle se projette dans le temps « si la loi change je tenterais peut-être la formation des sous-infirmière ». 32 Illustrations cliniques II. Diana « La maltraitance c’est dans les deux sens » Préalablement, nous tenons à préciser que Diana n’ayant pas souhaité l’enregistrement audio, l’exposé et l’analyse de l’entretien que nous avons mené avec elle se base, sur les éléments que nous avons pu entendre et mémoriser. Au cours de notre chemin, pour trouver un lieu calme afin de mener notre entretien, Diana au gré des personnes que nous avons croisé dans les couloirs, nous montra déjà des éléments de sa pratique. D’une parole « ça va ma chérie »qu’elle lance à quelques résidentes installées au gré des différentes pièces, à un commentaire à l’égard d’une collègue qui venait d’habiller un résident dont Diana s’occupe d’habitude « qu’est-ce que c’est que cette horreur, qu’est-ce que tu lui a mis comme pantalon, il est moche faut lui enlever ». Lors de notre entretien, en dehors de nos échanges verbaux autour de son activité professionnelle, Diana nous interpelle par sa présentation. En effet, celle-ci arbore un maquillage minutieux et une coiffure impeccable sous fond d’une blouse blanche et d’un réfectoire déserté. Son attitude et le ton qu’elle emploie lors de notre entretien, laisse planer autour de ses propos la suggestion analogiquement émise : « vous voyez ce que je veux dire ». Diana se prête volontiers à nos questions, souvent avec un air revendicatif où au gré de son discours, elle ne manquait pas de rappeler notre présence par un « n’est ce pas jeune homme » , « hein jeune homme ? » qui, à répétition finissait par nous agacer. a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant » Diana est âgée de 37 ans. Elle est native de l’Algérie qu’elle a quitté vers l’âge de vingt ans « j’avais envie d’autre chose » pour travailler dans le restaurant de son cousin dans la région parisienne. Durant un certain temps, elle multiplie les petits boulots « j’ai fait un peu de tout jeune homme » . Quelques années après, elle emménage chez un autre membre de sa famille sur la Côte d’Azur « y fait plus chaud ». C’est dans le cadre d’un stage d’insertion professionnelle en tant qu’auxiliaire de vie que Diana côtoie pour la première fois le milieu d’une maison de retraite pour entre-temps y saisir une opportunité d’emploi « j’ai tenté ma chance » dans une autre fonction au sein de l’établissement : « j’ai commencé par un stage et une place s’est libérée, j’ai donc commencé à une place de ménage ». Par la suite Diana a progressivement intégré l’équipe de soin « y ont agrandi la structure, y fallait plus de personnel , alors ils ont proposé au personne de la maison avant (….) ça me tentait et puis je connaissais déjà le boulot ». Cela fait maintenant neuf ans que Diana travaille dans cette maison de retraite « jamais j’aurais pensé faire ce travail, mais ça me plait », entre temps elle a passé la formation d’Aide soignante « c’est l’établissement qui m’a proposé, c’est eux qui payaient en plus, moi qui voulait la faire, j’ai pas dit non» dont elle est titulaire du diplôme depuis deux ans « on y apprend toute la théorie qui manque dans la pratique ». Lorsque nous questionnons Diana sur ce qui motive sa pratique en tant que soignant, celle-ci nous évoque que selon elle « c’est une 33 Illustrations cliniques vocation, en Algérie, je m’occupais d’une vieille dame, j’adorais ça, c’était comme ma grandmère » puis elle ajoute un peu plus tard lorsqu’elle évoque le choix de sa profession « ça c’est moi, j’aime m’occuper des gens, ça a toujours été mon truc ». ******** Pour Diana, « le travail du soignant, c’est un travail de soin à la personne, où le soignant assiste la personne dans les gestes du quotidien, de la toilette au repas ». Autour de ce propos qui relate sa conception de la profession de soignant, Diana nous énonce les contraintes qui selon elle limitent sa pratique telle qu’elle l’entend « on peut pas passer plus de temps avec les résidents, sinon l’on prend du retard, c’est juste possible si y a moins de toilette » dans ces circonstance Diana dit avoir le temps d’« écouter les histoires de pépé et mémé, c’est riche ». Diana nous évoque aussi sa pratique au travers de ce qu’elle dénonce et rencontre comme contraintes et difficultés. Autant au niveau hiérarchique « l’on n’est pas valorisé » , « en réunion on dit toujours le négatif jamais le positif » ; qu’auprès des familles « elles disent oui par devant et se plaignent par derrière, ça m’énerve parce qu’après ça nous retombe dessus ». Au sujet de sa relation avec les résidents, Diana ne change pas de ton « y ‘en a même pas je leur parle, y sont méchants, faut pas croire y ils ont toute leur tête ». Elle évoque aussi, que suivant la personne, elle ne réagit pas de la même manière « par exemple si c’est mr C. je réponds, alors que si c’est Mme. D ça glisse, ça passe au dessus de ma tête parce que c’est la maladie » et que globalement mutuellement « il faut du respect » , « moi je respecte toujours le résident, quand je le lève je ne lui tire pas le bras, je lui explique pourquoi je le fais ». A plus forte raison, toujours au sujet de ses rapports avec les résidents, Diana nous assure que « la maltraitance c’est des deux côtés » et que la plupart du temps dans la difficulté « lorsqu’une personne est agressive, je prends sur moi, toujours sur moi ». A la suite de cela, Diana nous évoque (le visage avec les yeux humides) une situation qui l’avait particulièrement touchée. Un jour, une personne dont elle s’occupait régulièrement prononça à son égard des paroles racistes « ça m’a fait mal (…) parce qu’en plus c’est un résident qui avait toute sa tête ». Face à cet événement, Diana nous évoque qu’à compter de ce jour elle a cessé de s’occuper de cette personne. Deux mois après, à la demande du monsieur, Diana reprend la prise en charge de ce derniers car selon elle « il a réalisé la qualité de mes soins par rapport au collègue qui m’avait relayée ». ******** En dehors de la maison de retraite Diana ne parle pas souvent de son travail « ça dépend avec qui (…..) puis on est tenu par le secret professionnel ». Elle se dit aussi déconnectée de l’établissement au dehors de ses heures de travail « dés que je passe le portail, je me soucie plus du boulot».Toutefois, cela n’exclut pas chez Diana des moments de doute au sujet de son avenir professionnel « c’est lourd, parfois je suis limite je craque, je fais un bilan et je me demande si je continue, si je change de branche, malgré que j’aime ce métier » . 34 Illustrations cliniques b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne L’exercice de la profession de soignant en gérontologie n’apparaît pas comme un choix premier pour Diana « jamais j’aurais pensé faire ce travail, mais ça me plait». Cependant, le fait qu’elle ait choisi d’évoluer au sein de la profession « ça me tentait », « je voulais la faire » et le fait qu’elle appuie celle-ci en se référant à des éléments de son histoire « en Algérie, je m’occupais d’une vieille dame, j’adorais ça, c’était comme ma grand-mère » , nous montre que l’activité de soignant pour Diana est une activité désirée qui lui permet d’exercer son Identité « ça c’est moi, j’aime m’occuper des gens ». ******** De nombreux éléments du discours de Diana nous illustrent que celle-ci exerce son activité de soignante sur un référentiel syncrétique. Quand elle nous expose ce en quoi consiste la profession de soignant pour elle, nous avons l’impression que ses propos revêtent un aspect trop académique, plus de l’ordre d’une leçon récitée, que qu’une connaissance appropriée et intégrée : « le travail de soignant, c’est un travail de soin à la personne ». Ensuite lorsque que Diana nous évoque sa pratique, celle-ci le fait toujours sous la forme d’une plainte « on n’est pas valorisé » , « en réunion on dit toujours le négatif, jamais le positif » où le milieu ne joue pas son rôle de valorisation de sa pratique. Une pratique où elle semble ne pas assumer sa responsabilité qu’elle alloue finalement aux éléments du milieu « on peut pas passer plus de temps avec les résidents, sinon l’on prend du retard » « les familles se plaignent (….) après ça me retombe dessus ». ******** L’inscription de l’activité de soignant au sein de sa trajectoire comme médiateur de son Identité, ainsi que l’intégration et l’exercice de cette activité sur le versant de l’extériorité, ont pour conséquence dans la pratique quotidienne de Diana, une certaine approche dans l’élaboration et la gestion de son rapport aux personnes âgées de l’établissement. Diana parle davantage de « résident » que de personne à proprement dit. Cet élément n’est que l’extrémité d’une bobine que Diana déroule au fil de son discours, où elle évoque et appréhende ses rapports aux personnes âgées sur le versant de l’extériorité, sur un mode stéréotypé. Pour Diana, il ne s’agit pas de personne à part entière, mais de « pépés » et « mémés » qu’elle distingue entre « ceux qui ont toute leur tête » et « ceux chez qui c’est la maladie ». Dans la relation qu’elle peut établir avec les personnes de l’établissement, cela se répercute en terme de difficulté à entretenir une relation intersubjective :« lorsqu’une personne est agressive, je prends sur moi » ; « quand mme.B m’appelle toutes les deux minutes, c’est rien que pour m’embêter». Cela se répercute aussi en terme de difficulté à différencier la responsabilité qui lui incombe de celle de l’autre : « la maltraitance c’est dans les deux sens » . Globalement, nous pouvons dire que les relations qu’entretient Diana, contiennent toujours une part d’extériorité, de syncrétisme « il faut le respect (…) moi je respecte toujours le résident » où la personne âgée n’est pas reconnu en tant que telle « il est moche comme ça, faut lui enlever » ; « il a 35 Illustrations cliniques réalisé la qualité de mes soins ». Une part d’extériorité et d’approche stéréotypée de la relation à laquelle nous-même avons pu faire l’objet « n’est-ce pas jeune homme ? » . c) Conclusion Dans le Cas de Diana, l’activité de soignant en gérontologie est une activité désirée qui participe à la continuité élaborative de son Identité . Cependant, le discours de Diana peut nous laisser entendre que celle-ci présente des carences au niveau de la synthèse de son Identité. Ainsi il subsiste une part d’extériorité de son Identité lorsqu’elle élabore et intégrer l’activité de soignant en gérontologie. Nous pouvons ensuite ajouter que dans cette perspective d’exercice de son Identité, Diana a élaboré son interface de soignant davantage sur un versant syncrétique, d’extériorité. L’exercice de son Identité, au travers de son activité professionnelle, et l’édification de son interface de soignant sur le versant de l’extériorité, ont pour conséquence dans les rapports qu’elle entretient avec les personnes âgées de limiter la possibilité d’établir une relation intersubjective avec les résidents de l’établissement, et au contraire favoriser l’élaboration de relations stéréotypés. En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant est une activité désirée qui constitue un objectif idéologique pour Diana, où elle rencontre des difficultés à se reconnaître et être reconnu au travers d’une activité de soignant qu’elle n’assume pas et autour de laquelle elle évoque même une possibilité de reconversion « c’est lourd, parfois je suis limite je craque, je fais un bilan et je me demande si je continue, si je change de branche, malgré que j’aime ce métier ». III. Sally « Je ne vois pas ce que les autres vous diront de plus» Lors de notre entretien, nous avons été gêné par la brièveté de certaines réponses de Sally par rapport à d’autres entretiens que nous avions pu mener. A tel point, que lors de la réécoute de cet entretien nous nous sommes étonnés à nous entendre insister sur certains éléments dans l’attente d’une réponse là, où semble t-il, il n’y avait pas d’élaboration pour Sally. Cet entretien fut assez court 25 minutes , où il nous a fallu relancer Sally à plusieurs reprises qui se contentait de répondre à la question. Au terme de cet entretien nous avons eu une sensation de vide, de rien, de non élaboré. a) Anamnèse et éléments de l’activité de « soignant » Sally est âgée de 40 ans. Elle exerce depuis trois ans, au sein de l’établissement, la fonction d’ASH qu’elle qualifie de « rien, ça veut rien dire ». Auparavant, Sally exerçait une activité professionnelle dans d’autres secteurs comme la restauration et la vente. Diverses professions qu’elle associe autour de l’idée que c’était « toujours avec du public (…) avec des gens, ça s’est 36 Illustrations cliniques présenté comme ça, et ça s’est toujours bien passé, et c’est plus agréable que derrière un bureau tout seul ». Par la suite, Sally a déménagé et s’est mise à la recherche d’un travail « je cherchais dans n’importe quel domaine (…) je cherchais là où y a des places». L’établissement gérontologique « étant le plus gros employeur du secteur » , c’est « par hasard » que Sally a débuté sa carrière, son parcours de soignante en gérontologie qu’elle résume ainsi : « je suis arrivée ici, je cherchais du travail et c’est dans cet établissement que je suis arrivée, ça m’a plue, donc je suis restée (…) le métier me plait, y a du contact avec le public, on travaille quoi». ******** Pour Sally, la profession de soignant « c’est l’accompagnement, c’est des gens désorientés qui n’ont plus de repères et donc à chaque moment de la journée, il faut les accompagner » où « on les aide à manger, faire leur toilette et c’est le plus gentilement possible ». C’est « se sentir utile » en aidant des personnes qui « ne sont plus capable de faire certains gestes de la vie quotidienne ». Lorsque qu’elle est en difficulté dans sa pratique, Sally revendique « le soutien de l’équipe », une pratique qui selon elle évolue « par rapport à ses collègues et aux gens, c’est jamais les mêmes ». Selon Sally, les personnes âgées qui résident dans l’établissement, « c’est nos bébés ». La seule différence étant que ces derniers sont « plus âgés » et « plus lourds ». Pour Sally « l’on s’occupe d’eux (les personnes âgées) comme si c’était nos bébé », « quand ils sont seuls, on essaie de les rassurer, de mieux les entourer » , ce qui compte « c’est vraiment l’aide qu’on leur apporte » car « c’est des papys et des mamies qui ont besoin, alors on est là pour les aider ». ******** Sally envisage de faire la formation d’aide-soignante « la vraie formation » car « c’est par rapport à l’établissement, il nous envoie à l’école ». Lorsque nous demandons à Sally pourquoi contrairement à d’autres professions elle ne change pas aujourd’hui, celle-ci nous répond « je ne sais pas, parce que ça s’est présenté comme ça sur le cours de ma vie et voilà ». b) Analyse de l’activité de « soignant » de la personne L’activité en tant que soignant de Sally est orientée par la nécessité d’exercer une profession. Elle attribue le choix de cette profession « au hasard » et justifie le fait de continuer celle-ci au cour des choses. L’activité de Sally n’apparaît pas comme un choix propre, il s’assimile plus à un concours de circonstance « première employeur du coin ». Et même si cela était vraisemblablement le cas, en deux années de d’exercice, Sally ne semble pas avoir plus intégré et élaboré son activité de soignant au sein de la dynamique évolutive de son Identité. Les propos qu’elle élabore, sont pauvres et témoignent d’une maigre élaboration de son activité et interface en tant que soignante. Lorsque nous demandons à Sally : « l’aide que vous leur apportez, qu’est-ce 37 Illustrations cliniques qu’elle vous apporte ? » , celle-ci nous répond « je sais que c’est bien fait ». Cela nous évoque le mode de participation d’une personne qui reste ancré dans l’instant présent et la validation de sa personne, de son être au travers des compétences de soignant où elle se sent « utile ». ******** Ce n’est d’ailleurs qu’autour de ses compétences que Sally nous évoque sa relation aux personnes âgées : « c’est l’accompagnement, c’est des gens désorientés qui n’ont plus de repères et donc à chaque moment de la journée, il faut les accompagner » ; on les aide à manger, faire leur toilette et c’est le plus gentiment possible » . Pas un de ces propos ne témoigne de la relation à l’autre par le bais d’un échange. La relation reste évoqué sous la forme d’un soin appliqué , une attention donné à la personne âgée ignoré dans sa différence et sa spécificité : « c’est nos bébés » ******** Au terme de notre entretien, Sally nous lança un dernier propos qui nous évoque bien cette idée que l’élaboration de son activité et interface en tant que soignante sont restées sur le degré de la fonctionnalité de la profession : « vos entretiens avec mes collègues, les réponses ça risque d’être pas mal les mêmes . ça risque juste d’être un peu plus technique ». c) Conclusion Dans le Cas de Sally, l’activité de soignant en gérontologie est une activité non désirée qui ne participe pas à la continuité élaborative de son Identité. Le discours de Sally nous laisse entendre qu’avant d’assumer ou pas son activité, Sally avant tout l’exécute. Ainsi Il nous apparaît que l’activité de Sally au sein du milieu relève de la conduite. Nous pouvons ajouter que dans cette perspective d’exercice de son activité, Sally n’a pas vraiment élaboré son interface de soignant. Cela ayant pour conséquence dans les rapports qu’elle entretient avec les personnes âgées de limiter la possibilité d’établir une relation intersubjective avec les résidents de l’établissement, et au contraire favoriser l’élaboration de relations qui restent sur la dimension fonctionnelle, par le biais de l’instrumentalisation du soin. En résumé, nous pouvons dire que l’activité en tant que soignant est une activité non désirée qui s’apparente davantage à une conduite. Une activité où Sally n’élabore que très peu son interface de soignant qui puisse permettre à des éléments de sa personne de s’étayer. Que celle-ci exerce une activité de soignant qui demeure sur le versant fonctionnel et où la personne âgée est réduite au même titre qu’un bébé, c’est-à-dire un objet de soin. 38 Illustrations cliniques IV.propos synthétique sur ces illustrations cliniques Nous pouvons dire que pour Betty et Diana leur profession de soignant en gérontologie est une activité de relation qui contribue à l’exercice et la continuité élaborative de leur Identité au sein du champ social (une facette). Cela malgré le fait que toutes deux n’y parviennent pas dans la même proportion et qualité d’intégration. A l’inverse, pour Sally son activité de soignante semble dénuée d’enjeu Identitaire , et reste à un degré d’élaboration de l’ordre de l’unité fonctionnelle (une conduite) qui permet à Sally d’exercer une profession sans pour autant y élaborer ou chercher l’élaboration d’un projet d’une réalisation de soi. Nous pouvons ajouter aussi que selon le degré d’élaboration plus ou moins élevé de l’activité et de son interface en tant que soignant, la personne sera plus ou moins à même de gérer son activité et à fortiori son rapport aux autres de manière plus ou moins fluide et stable, afin d’assurer sa position de sujet intègre au sein du milieu gérontologique. 39 Discussion & Critique Discussion & critique I Discussion et ouvertures L’exposé de la discussion et des ouvertures émanant de notre travail se décomposera en trois paragraphes. Tout d’abord, nous poserons un regard d’analyse et de synthèse de ce qu’illustre et évoque notre présent travail. Ensuite, nous énoncerons quelques affluents que ce travail peut inspirer et faire couler pour d’hypothétiques pistes de recherches. Et enfin, nous esquisserons ce que ce présent travail peut évoquer d’une pratique du psychologue en institution auprès des personnes soignantes. a) Un regard d’analyse et de synthèse sur notre travail Ce que mettent en avant nos illustrations cliniques n’est pas à comprendre comme la constante ou l’état de l’activité de la personne soignante en gérontologie. Il faut considérer cela tout autrement, en gardant en tête que l’adaptation est un processus actif. Il faut appréhender ce que mettent en évidence ces illustrations, comme la tendance à un moment T du processus adaptatif de la personne soignant, qui s’opère à un temps de son cycle de vie au sein d’un milieu concret. Ainsi, il ne faut pas donner valeur d’absolu ou de systématique au mode de participation observé de la personne soignante. Mais plutôt de considérer cette tendance comme le potentiel, à partir duquel actuellement, la personne mit en forme son activité au sein du milieu gérontologique. Nous employons ci-dessus le terme « actuellement », car la théorie du détour étant une approche du sujet dans sa globalité et sur l’ensemble de son cycle de vie, nous pouvons être amené à questionner le mode participation de la personne soignante à un autre moment de sa vie professionnelle (proche de la retraite, temps de crise …..), ou bien encore dans d’autres circonstances (une autre institution, une personne âgée auprès de qui il y a une certaine résonance affective …..) car : « La part du monde extérieur qui entre dans la réaction est à la fois celle qui peut répondre à certaines dispositions du sujet et les susciter. Inversement, les dispositions du sujet qui viennent à se révéler sont celles qui ont rencontré leur objet, parce qu’elles ont su le susciter. Couper ce circuit, le décomposer en objet, sujet, but et moyens, c’est supprimer l’essentiel »88. 88 wallon l’origine du caractère chez l’enfant p 57 40 Discussion & critique b)Ouverture sur des pistes de recherche Notre sujet est vaste et s’apparente plus à une tentative de proposer une grille conceptuelle alternative pour aborder une population dans un espace donnée. Une base dialectique nous permettant d’ouvrir à de nombreuse piste de recherche. Partant de cette grille de lecture du détour pour étudier les différentes situations et problématiques susceptibles d’émerger chez les personnes soignantes en gérontologie, nous pourrions envisager de re questionner entre autre, le sentiment de culpabilité des soignants ou le syndrome de burn-out. Le sentiment de culpabilité pourrait être exploré du côté de l’éprouvé d’un décalage entre la personne soignante et l’environnement où elle exerce son activité. Un décalage qui s’articulerait et émanerait différemment, selon si la personne entreprend son activité de manière plus ou moins syncrétique, ou bien encore lorsque les conditions du milieu ne permettent pas à la personne d’exercer ses compétences intériorisés. Quelque qu’en soit les circonstances du sentiment de culpabilité, celui-ci pourrait se penser , au vu de notre recherche, comme un décalage entre l’interface élaborée par la personne soignante pour réaliser ses objectifs et les circonstances du milieu gérontologique. Le syndrome de burn-out pourrait être envisagé comme une situation où l’interface en tant que soignant est fortement instable, et ouvrirait sur une réflexion de la difficulté pour la personne soignante de différencier sa facette de soignant de son Identité globale. Nous pouvons aussi entreprendre, tout comme nous avons pu l’esquisser lors d’un stage dans le secteur de la protection de l’enfance, d’exercer cette réflexion d’une approche globale d’un professionnel dans d’autre domaine du monde du travail. Toute profession où, la personne serait abordée dans le champ de sa trajectoire d’individuation qui intègre, élabore et met en forme une activité adaptative spécifique dans un milieu donné. c)Suggestions pour une pratique du psychologue en institution auprès des personnes soignantes Dans la pratique institutionnelle du psychologue, notre recherche suggère une certaine approche des soignants et inspire ou accrédite quelques initiatives auprès de ces derniers. Notre travail nous montre qu’il faut accepter que chaque soignant ait ses propres objectifs au sein du milieu, qu’ils ne soient pas forcément, à l’image d’un idéal de soin qu’il lui faudrait exercer et assumer. A partir de cette perspective, le psychologue peut envisager de travailler autour de l’élaboration, l’appropriation et la gestion des objectifs de la personne soignante au sein du milieu gérontologique. C’est une démarche qui peut s’envisager par des interventions auprès des soignants sur différents plans du milieu gérontologique : 41 Discussion & critique -Par la mise en place d’un espace de paroles, où les soignants autour de l’évocation de leur pratique et leur éprouvé, pourraient perpétuer l’élaboration de leur activité et de leur interface en tant que soignant autour de temps, d’analyse des pratiques ou de mise en situation (jeu de rôle). -Par la mise en place d’un dispositif d’accompagnement de jeunes professionnels dans leur dynamique d’appropriation et de planification de leur objectifs au sein du milieu gérontologique. -Par l’implication et la responsabilisation des soignants dans l’élaboration et le suivi du projet individualisé d’une personne âgée. Ainsi, cela donnerait la possibilité pour le soignant d’étendre son champ d’investigation et les potentiels feed-back positifs de son activité en dehors des temps de nursing. Bien entendu, cela ne reste que des suggestions en écho à notre travail. Toutes ces propositions restent subordonnées, bien entendu, aux possibilités qu’offre l’établissement gérontologique. Car nous ne pouvons composer qu’à partir de ce qui est en présence dans le milieu. 42 Discussion & critique II Critique Notre travail peut faire l’objet de critiques aux yeux de ceux qui le liront. Pour notre part, cidessous nous souhaitons apporter notre lot d’autocritique au préalable d’hypothétiques contributions sur la question. Tout d’abord, en y regardant de plus près, notre démarche qui solutionnait l’obstacle de notre investigation sur un lieu de stage, nous apparaît après coup avoir aussi son revers. Notre méthodologie, qui consistait à s’adressé aux personnes soignantes sous forme de volontariat, porte son lot de biais qu’il ne faut pas négliger. C’est-à-dire que nous pouvons supposer que cette méthode d’investigation était inappropriée pour rencontrer des soignants dont l’activité est peu élaborée et dépourvue d’enjeu Identitaire. En ce sens que l’on échange et énonce rarement un discours sur un sujet dans lequel on ne se reconnaît et ne cherche pas à y être reconnu. Ensuite, comme ont pu nous l’évoquer les propos d’une soignante « moi, y a des maisons de retraites, jamais j’y bosserai, c’est pas la peine », nous pouvons reprocher aussi à notre recherche de ne pas pouvoir mettre en évidence l’importance qu’est susceptible de jouer l’institution gérontologique (son fonctionnement, sa démarche qualité et sa politique du personnel) dans l’élaboration de l’activité et la stabilité de la personne en tant que soignant. Enfin, notre démarche ne peut pas garantir de rendre compte à proprement dit de la manière dont la personne soignante gère les instants plus ou moins conflictuels de sa pratique quotidienne. Notre approche peut seulement prétendre, selon les indicateurs qui se dégagent du discours de la personne, à distinguer sous quel versant la personne a élaboré, intériorisé et à fortiori entrepris son activité de soignant car, finalement « il est moins important de savoir qu’il a posé tel ou tel acte concret que de pouvoir inscrire cet acte dans une perspective symbolique qui lui donne un sens »89. D’autres critiques pourraient trouver place dans ce paragraphe. Mais ces trois réserves que nous venons d’émettre, illustrent selon nous les difficultés d’une recherche en psychologie : le choix forcément réducteur de la méthodologie ; la complexité d’appréhender une réalité psychique dans sa globalité et sa dynamique permanente. 89 CARIOU.M, (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III p270 43 Conclusion Conclusion Qu’il est frustrant et réjouissant à la fois de mettre un terme à ce travail. Frustrant dans la mesure où nous figeons les choses en les écrivant avec un point final, alors qu’elles nous apparaissent perpétuellement dynamiques et riches en réflexion. Mais aussi réjouissant, car nous nous consolons (si nous pouvons le dire ainsi) de ce mouvement de la pratique du psychologue, où celui-ci, opère des va et vient entre ses rencontres cliniques et la théorie. C’est un mouvement qui trouve écho à nos yeux dans un propos de C.Castoriadis lorsque celui-ci écrit « fait et à faire »90. Notre recherche s’est étendue sur deux années. Un travail passionnant et parfois pénible autour duquel, en complément d’un effort de réflexion et d’écriture de ce mémoire s’est greffée une dimension plus personnelle pour « m’émoir » et élaborer ce qui entoure, représente et cristallise ce travail de recherche : une ambivalence, un cap. Il est dur, dans ces quelques lignes, de tracer la frontière de ce qui transparaît de nous au sein de ce travail, entre ce qui peut se partager et ce qui doit demeurer dans la sphère de l’intime, tant dans le choix de notre sujet que de notre manière de le construire. Nous n’en sommes pas dupe et en tirons à coup sûr quelques indices à élaborer et certaines conclusions personnelles autour de l’idée des rapports entre l’évolution de soi et l’activité dans le champ social, ou bien encore de l’idée de relativité de la dynamique interactive de tout à chacun. Globalement, conjointement à une pratique orientée auprès des personnes âgées en maison de retraite, notre travail et nos rencontres avec les personnes soignantes en gérontologie nous ont renforcé dans l’idée et l’envie de travailler auprès des soignants. Pour nous, l’un ne va pas sans l’autre, car l’institution gérontologique nous apparaît susceptible d’être un espace d’élaboration autant pour le public qu’elle accueille que pour le personnel qu’elle emploie. Dans ce contexte, le psychologue, spécialiste de l’institution, n’adopte pas les« conceptions myopes du travail en tant qu’exercice musculaire, ou même en temps que production d’objets »91, il est au contraire garant d’une certaine perspective des rapports spécifiques qu’entretient chaque individu avec le milieu gérontologique. ******** Nous souhaitons conclure notre travail de recherche sur le ton que nous avons choisi d’employer, tout au long de ce mémoire, pour rendre quelque peu plus vivante et agréable sa lecture : autour d’un exemple imagé…. Aussi absurde que cela puisse paraître, le soignant en gérontologie est comparable à un personnage dans une pièce de théâtre. L’un comme l’autre porte un costume et joue un rôle, où pour l’un il s’agit d’appliquer des soins et pour l’autre d’énoncer un texte. Chez l’un comme chez l’autre les modalités de ce rôle s’intègrent, s’intériorisent et s’automatisent progressivement pour permettre, suivant la personne soignante/l’acteur personnage d’orienter son activité/sa prestation 90 91 CASTORIADIS.C (2008) fait et à faire les carrefours du labyrinthe 5, edition point coll essai page 7 LE GUILLANT.L (2007) citant Tosquelles dans son ouvrage : le drame humain du travail , edition érès p 63 44 Conclusion sur le versant de sa relation avec les résidents/les spectateurs. Une relation où émergent contagions et émotions mises en forme au travers du soin exercé/texte énoncé. Ainsi, c’est à partir d’un milieu l’institution gérontologique/la pièce de théâtre, et l’intégration de sa fonctionnalité l’activité de soin/le texte , que la personne élabore et exerce une activité de relation lui permettant potentiellement de se reconnaître et d’être reconnu au travers de son rôle de soignant/rôle théâtral, où finalement ce dernier n’a de consistance et de sens que par la personne qui l’incarne. Tout comme au théâtre où ce n’est pas la justesse du texte qui fait le personnage mais l’acteur qui l’incarne, en gérontologie ce n’est pas la justesse du soin qui fait le soignant mais la personne qui l’exerce. Le texte énoncé et le soin appliqué peuvent être les médiateurs d’une activité de relation au travers de laquelle la personne qui l’incarne/l’exerce peut se reconnaître et être reconnu. ******** Pour résumer notre démarche, nous dirons que nous avons tenté de poser un regard clinique sur une réalité concrète du milieu que nous avons pu vivre et rencontrer , « un regard sur l’humanité autre que celui qui nous vient spontanément et qui (…) nous amène à penser quantité d’évidence qui ne présentent en fait aucune réalité psychologique ».92 92 CHABRIER.L ; CARIOU.M (2006) , psychologie clinique , édition hachette supérieur , coll. HU PSYCHO , p 282 45 Bibliographie Ouvrages question de la démence, chronique sociale , coll « comprendre BADEY-ROUDRIGUEZ.C , (1997) ; la personne âgée en institution , vie ou survie , édition Seli Arslan SERRES.M, (2003) , hominescence , édition livre de CARIOU.M , (1992),personnalité et vieillissement ou permanence adaptative de l’enfance au grand âge : une théorie du détour , thèse de doctorat d’état ès lettres et WALLON.H , l’origine du caractère chez l’enfant , les personnes » sciences humaines (spé :psychologie) , Université Paul-Valéry Montpellier-III CARIOU.M ,(1995), personnalité et vieillissement introduction à la psycho-gérontologie,édition Delachaux et Niestlé , coll « actualités pédagogiques et psychologiques » CASTORIADIS.C ,(2008), fait et à faire – les carrefours du labyrinthe 5 , editition points , coll. essais poche ed. PUF WALLON.H , L’évolution psychologique de l’enfant , édition Armand Colin, 11ème tirage WATZLAWICK.P, BEAVIN.J.H, JACKSON.D.D, (1967) , une logique de la communication , édition du seuil ZAZZO.R, (1975) , psychologie et marxisme , la vie et l’œuvre d’Henri Wallon, édition Denoël/Gonthier, coll. Médiations CAUMIERES.P ,(2007), Castoriadis, le projet d’autonomie , editition Michalon , coll. Le bien commun Articles CHABRIER.L , (2001), étude des réponses au Rorschach comme expression particulière de la différenciation sujet/milieu : construction et validation d’une grille d’analyse , thèse de doctorat de psychologie , CARIOU.M ,(1982), psychologie et vieillissement ,cahiers de la méditerrannée n°24-25 université de Nice-Sophia Antipolis méditerranéennes n°35-36, édition érès CHABRIER.L ; CARIOU.M ,(2006), Psychologie clinique , édition Hachette supérieur , collection HU psycho DEJOURS .C , (2005) ,le facteur humain , édition PUF, coll. Que sais-je ? , 4ème édition DUMOUCHEL.P , (19..) ,l’émotion : essai sur le corps et le social , édition Les Empêcheurs de penser en rond FELDMAN-DESROUSSEAUX.E,(2007), soin de l’autre , édition Seli Arslan CARIOU.M ,(1992),la vieillesse : un temps d’élaboration pour un ultime détour,revue clinique prendre GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales GOFFMAN.E (1975), stigmate : les usages sociaux des handicaps , les éditions de minuit , collection le sens commun LE BRETON.D ,(2005), anthropologie du corps et modernité , édition PUF , collection quadrige , 4ème tirage LE GUILLANT.L (2007) le drame humain du travail , edition érès p MERCADIER.C ,(2006) , le travail émotionnel des soignants à l’hôspital, édition Seli Arslan , 4ème tirage MESSY.J ,(2002) ,la personne âgée n’existe pas, edition petite bibliothèque payot MORIN E,(2005) , introduction à la pensée complexe, édition points, coll. essais LEWIN.K , psychologie dynamique : les relations sociales , ed. 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Annexes : cadrage théorique • Annexe 04 : Article paru dans l’édition du Monde le 09.02.2008 ………….…….………..VII • Annexe 05 : Schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble du cycle de vie..........VIII • Annexe 06 : Schéma récapitulatif de la notion détour appliquée au psychisme humain......VIII • Annexe 07 : Schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de relation.….….… VIX • Annexe 08 : Schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité fonctionnelle de l’activité..IX II. Annexes : méth odologie & illust ration s clin iques • Annexe 09 : Lettre à l’attention de la direction et personnel de maisons de retraite……….X • Annexe 10 : Guide d’entretien………………………………………………………….…..XI I Annexes Annexe 01 : Exemple d’une fiche de poste de soignant en maison de retraite Voici ci-dessous, une fiche de poste vouée à informer la personne soignante de la répartition et chronicité des tâches qu’elle doit accomplir au file de sa journée de travail. Les autres fiches de poste dont disposait l’établissement pour les soignants (hormis infirmière) ne différait qu’au sujet de la répartition des horaires et non du type de tâche qui leur étaient allouées. II Annexes Annexe 02 : caractéristique de la profession de soignant en gérontologie C’est une profession qui n’est pas frontalement différente de celle de soignant dans d’autres secteurs. Cependant, elle se distingue sur certains points qu’il ne faut pas omettre lorsque nous entreprenons une réflexion sur la personne soignante en gérontologie. Tout d’abord, c’est une profession qui n’est pas systématiquement une vocation ou un choix de carrière, pour la personne qui l’exerce : «jamais j’aurais pensé faire ça, mais maintenant je me vois pas faire autre chose ». Soignant en gérontologie s’apparente plus souvent à « une voie de garage », tant en terme d’activité professionnelle « j’avais pas de diplôme et j’avais besoin d’un boulot, faut bien manger », qu’en terme de continuité de carrière « ici, c’est pas comme l’hôpital et y me reste pas beaucoup avant la retraite, alors». Ces propos nous évoquent que l’activité de soignant en gérontologie n’est pas au même titre que d’autres secteurs, un domaine à proprement dit attrayant dans lequel les personnes font systématiquement le projet et le choix de s’engager pour se reconnaître et être reconnus. Ensuite, la profession de soignant en gérontologie est une activité qui ne requiert pas forcément de qualification particulière pour être exercé : « moi je suis arrivée ici, je ne connaissais rien au boulot ». Cette souplesse au niveau du recrutement (à l’exception du poste d’infirmière) tient principalement à deux choses. Premièrement, qu’il est difficile de trouver du personnel qualifié (voir même du personnel tout court) car ces derniers privilégie d’autres institutions et populations plus valorisantes socialement : « vous savez quand vous dites que vous travaillez avec les vieux, les gens vous regard d’un air de dire… Alors que si c’était des enfants ou l’hôpital ce ne serait pas pareil ». Cette souplesse tient aussi au fait, qu’en maison de retraite, la fonction de soignant correspond plus justement à une fonction d’aidant où en gérontologie la notion de soin est «un paradoxe, on nous donne à soigner des êtres dont on nous dit qu’ils sont incurables, dont on nous dit qu’ils vont mourir, ce qui réduit la tâche à : -donner du confort –gérer la relation –prendre soin de ceux qui sont marqués du sceau de la mort »93. Cette difficulté de trouver du personnel qualifié et cette fonction à plus juste titre d’aidant, ont pour conséquence en gérontologie d’indifférencier les soignants dans leur rôle et statut auprès des résidents « moi, je suis ASH, mais en fait je fais comme une aide-soignante, j’ai juste pas le même salaire » , « j’ai un diplôme d’AMP, mais y’a tellement de boulot que je fais pas le tiers de ce que j’ai appris, le nursing c’est une toute petite part de ma formation et ici je fais que ça ». Autrement dit, tous les soignants n’ont pas les mêmes outils et référents, mais sont exposés à une même situation et exerce une fonction identique. Enfin, la profession de soignant en gérontologie se distingue tout simplement par la population auprès de laquelle celle-ci s’exerce. Elle s’adresse à des personnes dont le vécu pour « la majorité propos tenu par des personnes soignante en maison de retraite 93 PLOTON L (2003) , la personne âgée, son accompagnement médical et psychologique et la question de la démence, édition chronique sociale, coll. Comprendre les personnes , 6 ème édition , p 12 propos tenu par des personnes soignante en maison de retraite III Annexes d’entre nous ne vivons pas encore, nous ne pouvons pas nous appuyer sur notre expérience »94. Les personnes âgées sont porteuses d’un vécu inconnu auprès duquel les personnes soignantes doivent instaurer et gérer une relation autour de soins apportés. Globalement, la profession de soignant en gérontologie s’apparente à une fonction d’aidant auprès d’une population dont le vécu est particulièrement inaccessible et propice à une relation adultocentrique :« allez, c’est trois fois rien, vous n’allez pas faire votre fainéante ce matin». Une profession où à tous les soignants (hormis l’infirmière) sont allouées les mêmes tâches, la même fonction d’aidant malgré les différences de compétences et d’aptitudes de chacun pour interagir au sein du milieu gérontologique. 94 GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p72 IV Annexes Annexe 03 : L’autre « âgé » Cela peut paraître surprenant d’user de cet intitulé, voir même de le penser car en quelque sorte « nous sommes toujours le vieux de quelqu’un d’autre »95. Cependant, il n’est pas dépourvu d’intérêt pour notre recherche de se pencher brièvement sur ce point pour exposer le cadre de l’activité dans une maison de retraite. Au sein du milieu gérontologique, l’activité du soignant s’adresse à des autres particuliers : les personnes âgées. Sans exclure que chaque autre est unique, les personnes âgées tiennent à une particularité. Dans nos sociétés actuelles, qui favorisent « une logique de l’avoir plutôt que de l’être »96, les autres âgés s’assimilent moins à leur singularité humaine qu’à un stigmate de notre temps:« un individu qui aurait pu aisément se faire admettre dans le cercle des rapports sociaux ordinaires possède une caractéristique telle qu’elle peut s’imposer à l’attention de ceux d’entre nous qui le rencontrent et nous détourner de lui, détruisant ainsi les droits qu’il a vis à vis de nous du fait de ses autres attributs »97. Cette stigmatisation des personnes âgées recouvre et solutionne la crainte, l’ignorance que véhiculent ces êtres au regard des autres plus jeunes. La crainte car « rares sont les patients qui correspondent au vieillard idéal tel qu’on se plaît à le concevoir (…), ou que l’on désirerait être plus tard»98. Plus communément, les personnes âgées constituent un autre difficilement acceptable dans son statut de semblable singulier. Accepter cet autre en tant que semblable c’est se reconnaître, se projeter en cet individu qui représente en quelque sorte « l’incarnation de l’irréductible du corps »99et la déchéance sociale . L’ignorance tient au fait que les personnes âgées éprouvent un vécu qui est particulièrement inaccessible. Si avec l’adolescence « chacun d’entre nous possède son propre jugement sur cette période de la vie »100, dans le cas du grand âge plus qu’avec d’autres « nous sommes (…) obligé de nous fier aux discours des spécialistes et à notre imagination »101. La reconnaissance de l’autre âgé comme semblable et singulier, suggère donc l’acceptation d’une part d’inconnu. Cette difficulté d’appréciation, de tolérance à l’égard des autres âgés n’est pas imputable à chaque individu. Elle est variable suivant le degré de carence (Identité/Altérité) du sujet face à aux personnes âgées, et peut s’accroître (ou apparaître) lorsque les personnes âgées atteignent un niveau supérieur de la déchéance avec la démence. Cette difficulté d’appréciation apparaît comme la révélation ou l’affirmation d’un référent (une pensée) syncrétique où : « Notre imagination ne nous ferait-elle pas croire qu’un homme vieux est un homme jeune qui souffre d’être vieux ? »102 . 95 messy j (2002) la personne âgée n’existe pas , édition petite bibliothèque payot CHABRIER L , (1998), Analyse des rapports idéologiques et psychologiques entre démence et humanité : conséquences sur les modalités psychothérapeutiques, revue La Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale - N °20 , p 24 97 ème LE BRETON.D ,(2005), anthropologie du corps et modernité , édition PUF , collection quadrige , 4 tirage , p 145 (citant GOFFMAN.E) 98 PLOTON.L , (2003) ; la personne âgée et son accompagnement et la question de la démence sénile, édition chroniques sociales , collection comprendre ,p12. 99 LE BRETON.D ,(2005), anthropologie du corps et modernité , édition PUF , collection quadrige , 4 ème tirage , p 146 100 GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p71 101 ibid p 72 102 GINESTE.Y ; PELLISSIER.J ,(2007),L’humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux , édition Armand Colin , collection Sociétales, p73 96 V Annexes Cette conduite adultocentriste face aux personnes âgées « montre que l’âge est surtout le révélateur des limites de notre façon spontanée de percevoir l’homme au travers son corps , son rapport social , ou son fonctionnement psychologique »103. Espace de vie et de prise en charge des personnes âgées dépendantes, la maison de retraite apparaît comme un catalyseur de cette erreur d’appréciaition, où la reconnaissance d’une personne semblable et différente particulièrement inaccessible doit en plus s’instaurer autour d’un rapport (d’interactions) de dépendance. Ainsi, la rencontre et la gestion de la relation avec les personnes âgées peut constituer une épreuve pour l’individu adulte (ou jeune adulte) soignant en quête de revendication et reconnaissance de son intégrité Identitaire au travers de son rapport à cette Altérité (l’autre âgé) particulièrement stigmatiser dans notre temps. 103 CARIOU.M , (1995) , personnalité et vieillissement , intriduction à la psycho-gérontologie , edition Delachaux et Niestlé , collection actualités pédagogiques et psychologiques , p 169 VI Annexes Annexe 04 : Article paru dans l’édition du Monde le 09.02.2008 http://www.lemonde.fr/ - Article paru dans l'édition du 09.02.08 ENVIRONNEMENT PLANTES TRANSGÉNIQUES Un insecte parvient à résister au coton OGM censé l'éradiquer Pour la première fois, un insecte est parvenu dans la nature à développer une résistance à une toxine produite par une plante génétiquement modifiée pour l'éradiquer. Helicoverpa zea, une noctuelle ravageuse du coton, vient d'administrer aux Etats-Unis une démonstration brillante de la théorie de l'évolution : quand une population est soumise à une pression de sélection, la survenue de mutations peut favoriser sa perpétuation.Un tel phénomène de résistance aux toxines sécrétées par des OGM avait déjà été induit en laboratoire. Mais il n'avait encore jamais été détecté dans les conditions d'agriculture réelle, rapporte un article mis en ligne le 7 février par la revue Nature Biotechnology.Bruce Tabashnik et ses collègues de l'université de l'Arizona y présentent leur compilation d'une décennie d'études conduites sur six espèces d'insectes visés par des toxines produites par des cotons et des maïs transgéniques cultivés en Australie, en Chine, en Espagne et aux Etats-Unis. A ce jour, notent-ils, seule Helicoverpa zea est parvenue à résister à une toxine, Cry1Ac, produite à partir d'un gène tiré de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt).Les premières chenilles de papillon résistantes ont été détectées à partir de 2003, dans des champs de l'Arkansas et du Mississippi. Certaines étaient capables de survivre à des doses de toxine 500 fois plus élevées que celles tuant ces insectes, dans les mêmes parcelles, avant l'introduction de ce coton dit Bt. MAINTIEN DE ZONES « REFUGES » Pour faire face à ce phénomène de résistance, les promoteurs des OGM préconisent le maintien de zones « refuges », semées en plantes conventionnelles, où sont conservées des populations d'insectes sensibles à la toxine ayant pour avantage de « diluer » par croisement le caractère résistant des individus mutants.Cette stratégie semble fonctionnelle, mais à condition que les refuges soient « abondants », prévient M. Tabashnik : en Arkansas, où 39 % de la population d' Helicoverpa pouvaient trouver pitance dans des champs non OGM, la résistance a pu apparaître et pourrait, au rythme actuel, être totale d'ici neuf ans.Au contraire, en Caroline du Nord, où ce pourcentage de refuge était de 82 %, la fréquence de la résistance sera encore presque nulle dans dix ans, prédit-il. Hervé Morin VII Annexes Annexe 05 : Schéma récapitulatif du développement sur l’ensemble du cycle de vie Voici ci-dessous, une présentation imagée du cycle de vie dans sa dynamique évolutive autour des principaux concepts de la théorie du détour. Annexe 06 : Schéma récapitulatif de la notion détour appliqué au psychisme humain La théorie articule la dynamique adaptative autour du paradigme du détour. C’est-à-dire la nécessité de passer par des objectifs intermédiaires (B) pour atteindre plus sûrement son objectif premier (A) (schéma 1). Ainsi pour l’humain, l’objectif final serait l’adaptation (sous le terme de sécurité de base) qui au fil du développement, et selon la structure du sujet, s’inscrirait dans un champ social plus ou moins élargi, une activité de relation plus ou moins étendue et souple. (schéma 2 & 3) schéma 1 schéma 2 schéma 3 VIII Annexes Annexe 07 : Schéma récapitulatif de la mise en forme de l’activité de relation L’activité de relation de la personne correspond à la mise en forme de son énergie vitale au sein du milieu. Cette mise en forme de son activité se compose de deux modalités de l’activité de relation : la modalité émotionnelle et la modalité fonctionnelle. Ci-dessous voici un schéma récapitulatif. Annexe 08 : Schéma récapitulatif de l’évolution de la modalité fonctionnelle de l’activité La modalité fonctionnelle de l’activité de relation entre l’organisme et le milieu évolue au fil du développement de la personne. Ainsi cette modalité fonctionnelle de l’activité de relation progresse : du concret à l’abstrait ; de l’objet externe à l’objet projeté (internalisé); de la diversification à la hiérarchisation ; du geste à l’unité fonctionnelle ; de la conduite à l’identificateur social. La progression ne signifie pas pour autant la suppression du mode antérieur de la modalité fonctionnelle. Cette progression signifie simplement que le mode antérieur est subordonné au nouveau mode de participation. IX Annexes Annexe 09 : Lettre à l’attention de la direction et personnel de maisons de retraite Monsieur, Je m’appelle Aurélien Furlan et je suis actuellement étudiant en master 1 de psychologie (4ème année de psychologie). Je me permets de faire appel à vous dans le cadre de mon travail de recherche. Ma démarche ne correspond pas à une demande de stage, mais à une possibilité de solliciter (lors d’une réunion institutionnelle ou autre) les personnes soignantes de votre établissement (infirmier ; AS ; AMS ; auxiliaire de vie) pour des entretiens individuels. Ces entretiens constituent l’étape d’opérationnalisation de mon travail de recherche , les informations qui viendraient affirmer ou infirmer mes hypothèses. Mon travail de recherche s’intéresse au soignant en gérontologie et cherche à mettre en évidence au travers d’indicateurs du discours de la personne (établis à partir de concepts théoriques), la relativité et la spécificité du rapport que le soignant(e) entretient avec sa profession. Ce travail a pour but de mettre à l’épreuve des concepts dans leur capacité à aborder et rendre compte d’une réalité concrète. Cette recherche n’a pas pour vocation de mettre en relief ou à dénoncer un dysfonctionnement ou autre pathologie du travail. Concrètement, dans la mise en forme, l’entretien respecterait l’anonymat de la personne et de l’établissement auquel elle appartient. Il se tiendrait suivant la disponibilité et choix du soignant(e) dans l’enceinte de l’établissement (salle de pause, réfectoire, etc...)ou à l’extérieur de l’établissement. Il n’excéderait pas les 45 minutes, temps au cours duquel nous nous entretiendrons avec le soignant(e) sur des aspects de sa personne et de son rapport à sa profession. Ma démarche cherche à mener à bien un travail qui entre dans le cadre de ma formation universitaire, mais aussi à faire évoluer ma réflexion sur un aspect de la gérontologie qui me questionne depuis un certain temps au travers de mes stages et lectures et que j’espère pouvoir développer plus tard dans mon activité professionnelle. Monsieur, dans l’attente d’une réponse de votre part , et me tenant à votre disposition pour toute demande de précision concernant ma démarche, veuillez agréer mes sincères salutations. X Annexes Annexe 10 : Guide d’entretien 00.Pourriez-vous vous présenter ? 01.Comment en êtes-vous venu à exercer la profession de soignant en maison de retraite? 02.Qu’est-ce qui vous plait dans le fait d’exercer cette profession de soignant ? 03.Comment définiriez-vous la profession de soignant en maison de retraite? 04.Qu’est-ce que vous apporte votre profession de soignant ? 05.Pensez-vous apporter quelque chose qui vous soit propre à votre profession ? 06.Vous est-il arrivé de faire des erreurs dans votre pratique professionnelle ? 07.Depuis vos débuts, qu’est-ce qui a changé dans votre pratique professionnelle ? 08.Y a-t-il des situation auxquelles vous êtes particulièrement sensible et attentif dans votre profession ? 09.Avez-vous déjà envisagé d’arrêter la profession de soignant ? Pourquoi ? 10.Est-ce que votre profession de soignant correspond à l’idée que vous vous en faisiez ? 11.Vous arrive-t-il de parler, de votre profession à votre entourage ? Quel opinion en a-t-il ? 12.Avez-vous déjà envisagé d’arrêter cette profession ? Comment envisagez- vous votre avenir professionnel ? 13.Conseilleriez vous à un jeune de faire cette profession ? Pourquoi ? 14.En dehors de votre travail avez-vous du temps pour vous ? Des loisirs et autres passetemps? 15.Y a-t-il une question, que vous auriez voulu que je vous pose? 16.Avez-vous, quelque chose à ajouter? XI Annexes 12