Écarts de croissance et de productivité États

publicité
DP
Analyses
Économiques
N° 37 – Avril 2004
Écarts de croissance et de productivité États-Unis/Zone euro :
un usage prudent de ces écarts s’impose1
Trois indicateurs généraux sont d'usage courant pour apprécier les différents aspects de la performance des économies et
les comparer entre elle, le PIB pour mesurer la «puissance» économique, le PIB par habitant pour approcher le niveau de vie,
la productivité pour apprécier l'efficacité. Quand on utilise ces trois indicateurs pour comparer les performances respectives
de la zone euro et des États-Unis selon ces trois approches, les résultats sont les suivants pour la période la plus récente :
1) Le niveau du PIB/habitant de la zone euro est en 2002 inférieur de 28,5 % au PIB/habitant des États-Unis quand on le
mesure en parité de pouvoir d'achat.
2) Le niveau de la productivité horaire dans la zone euro est inférieur de 6,5% à celui des États-Unis en 2002.
3) La croissance du PIB a été supérieure de 1 point environ aux États-Unis de 1993 à 2003 : +3,2% par an aux États-Unis
contre + 2,1% par an en zone euro.
4) La croissance du PIB par habitant a été légèrement supérieure aux États-Unis à ce qu’elle a été en zone euro sur les
mêmes dix dernières années : +2,1% par an contre +1,8%.
5) La croissance de la productivité horaire a été légèrement supérieure aux États-Unis sur la même période, avec +1,9% par
an, contre 1,5% par an en zone euro. Par rapport à la décennie précédente, les gains de productivité horaire ont accéléré aux
États-Unis (+1,4% entre 1983 et 1993) et décéléré en zone euro (+2,2% entre 1983 et 1993).
Ces différents écarts sont souvent commentés et plus encore invoqués à l'appui de préconisations de politique économique.
Toutefois quelques précautions paraissent nécessaires dans l'usage de ces chiffres.
Ces précautions résultent d'abord des conditions d'élaboration des statistiques. Des différences de méthodes subsistent en
effet entre statisticiens européens et américains pour mesurer la croissance économique. Ces différences ont été récemment
recensées par l'OCDE. L'examen auquel a procédé le département statistique de l'OCDE suggère qu'il existe dans ces comparaisons un biais en faveur des États-Unis, à la fois sur les niveaux et les évolutions. Le biais est mineur mais il est suffisant
pour jeter un doute sur la robustesse des écarts sur les gains de productivité ou la croissance du PIB par habitant.
Par ailleurs, le rôle des différents déterminants du volume de travail par habitant dans l'interprétation des écarts en niveau de
ces grandeurs macroéconomiques est clairement établi. On a simultanément un écart important sur le PIB par tête mais
beaucoup plus faible sur la productivité horaire parce que les Européens au travail apparaissent aussi efficaces que leurs
homologues américains, mais qu'ils travaillent moins longtemps dans l'année et moins longtemps dans la vie. En revanche le
rôle de la qualité du travail est plus ambigu. La faiblesse persistante du taux d'emploi européen est souvent présentée comme
le résultat de la mise à l'écart des moins qualifiés et cette mise à l'écart doperait d’ailleurs la productivité horaire. Les données
disponibles sur l'activité selon les qualifications suggèrent cependant que, si cet effet existe encore aujourd'hui, il ne semble
plus de nature en 2002 à changer fondamentalement le diagnostic sur la productivité pour la zone euro.
Enfin, les évolutions démographiques et les politiques de l'emploi au sens large ont contribué à faire diverger les évolutions
de croissance des deux zones sur la dernière décennie. Le dynamisme démographique aux États-Unis explique ainsi presque
1 point par an d’écart vis-à-vis de la zone euro dans les évolutions des grands agrégats macroéconomiques. Les politiques de
l'emploi en zone euro ont rencontré un succès certain, grâce notamment à une plus grande attention portée à l’évolution du
coût minimal du travail, comme en témoigne en France la politique continue d’allègement des charges sur les bas salaires.
Ces politiques de l’emploi ont permis de baisser le chômage des moins qualifiés et de freiner la dégradation de leur taux de
participation. Au même moment aux États-Unis, le taux de participation des moins qualifiés s'est plus nettement affaibli et
leur taux de chômage a stagné. Ces orientations des marchés du travail ont contribué à ralentir les gains de productivité en
zone euro et à les accélérer aux États-Unis. Elles seraient à l'origine de la moitié de l'écart observé en faveur des États-Unis
sur les gains de productivité ces dix dernières années.
1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction de la Prévision et de l’analyse économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
1. Les écarts de croissance et de productivité entre les États-Unis et l'Europe sont
un peu majorés par des différences de
mesure
a) Des caractérisations économiques différentes
de certaines opérations en Europe et aux ÉtatsUnis perturbent les comparaisons des niveaux et
parfois des évolutions
Tableau 1 : écarts de croissance et de
productivité États-Unis/Zone euro
Les comptables nationaux américains traitent comme
un investissement l'acquisition de matériels militaires
par les armées et incluent un amortissement de ces
matériels dans le PIB, alors que les comptables
européens traitent l'opération comme une
consommation intermédiaire et ne l'amortissent pas.
Le niveau du PIB américain serait inférieur d'un ½ à
1 point selon les années si ces dépenses étaient
enregistrées comme en Europe. L'effet est plus
ambigu sur les évolutions, qui ne sont en tout état de
cause que très marginalement affectées (l'OCDE
pointe un effet négatif de – 0,06 point sur le taux de
croissance annuel du PIB dans les années 90, qui se
serait inversé ensuite).
États-Unis Zone euro
Écart
Niveaux 2002a (parité de pouvoir d'achat)
PIB en Md$
10 383
7 863
– 24%
PIB par tête en $
35 977
25 824
– 28%
Productivité horaire en $
41,5
39,1
– 6%
Évolution annuelle moyenneb (1993-2003)
PIB
+3,2%
+2,1%
– 1,1 pt
PIB par tête
+2,1%
+1,8%
– 0,3 pt
Productivité horaire
+1,9%
+1,5%
– 0,4 pt
a. données OCDE.
b. données des comptes nationaux en volume.
Source : OCDE.
Le tableau 1 présente les écarts de croissance et de
productivité entre les États-Unis et la zone euro tels
qu'ils ressortent des dernières statistiques disponibles
dans la base de données de l'OCDE. En 2002, le PIB
de la zone euro est d'un quart inférieur à celui des
États-Unis, le PIB par européen est inférieur de 28%
au PIB par américain et la productivité par heure de
travail en Europe est inférieure de 6% à la productivité
par heure de travail aux États-Unis. De 1993 à 2003,
la croissance annuelle en zone euro a été inférieure de
plus de 1 point à la croissance de l'économie américaine, l'évolution du PIB par habitant moins rapide de
trois dixièmes de point par an et celle de la productivité horaire de 4 dixièmes de point par an.
Selon l'OCDE2, ces comparaisons sont affectées par
des principes de comptabilité nationale différents aux
États-Unis et en Europe (enregistrement différent de
certaines opérations et méthodes distinctes de partage
prix-volume).
2. «Comparing growth in GDP and labour productivity: measurement
issues», Nadim Ahmad, François Lequiller, Pascal Marianna, Dirk
Pilat, Paul Schreyer, Anita Wölfl, Statistics Brief, OECD Décembre 2003 N°7. Une version plus complète de l'étude est disponible
sous la forme d'un document de travail, «Comparing labour productivity growth in the OECD area: the role of measurement»
OECD Statistics Working Paper 2003/5.
Beaucoup de services bancaires ne sont pas facturés,
et Américains comme Européens utilisent, pour estimer la production de services par les banques, la différence entre les intérêts reçus et les intérêts versés. Il
faut ensuite décider de la répartition de ces services
bancaires entre les consommations intermédiaires des
entreprises et la consommation finale des ménages,
qui seule entre dans le PIB. Jusqu'à présent, les comptables européens affectent ces services en totalité aux
consommations intermédiaires des entreprises alors
que les comptables américains en attribuent une partie
aux ménages. L'impact en niveau est assez important
puisque cela ajoute 2,3 points au PIB américain.
L'impact sur la croissance annuelle est plus modeste,
l'évolution de ces services n'étant pas beaucoup plus
rapide que celle de l'ensemble de l'économie. Il est
estimé à moins de 0,1 point par l'OCDE.
Enfin on décèle une différence non de méthode, mais
de pratique dans la façon dont sont comptabilisées les
acquisitions de logiciels dans les comptes nationaux
en Europe et aux États-Unis. Ces acquisitions de logiciels peuvent être traitées comme des dépenses courantes ou immobilisées comme investissements, et les
règles laissent dans ce domaine une certaine latitude
aux entreprises. Les comptes nationaux européens
suivent en la matière les choix des entreprises. Les
comptables nationaux américains ont préféré retraiter
les données d'entreprise et opérer eux-mêmes la
répartition. L'expérience montre que cela aboutit à
peu immobiliser les logiciels en Europe et à les immobiliser davantage aux États-Unis. L'impact de cette
différence de pratique sur le niveau du PIB américain
serait supérieur à 1 point, et de l'ordre de ¼ de point
sur la croissance annuelle de la fin des années 90, qui
ont connu une très forte progression des acquisitions
de logiciels.
2
b) Des méthodes différentes pour mesurer les
variations de prix affectent les comparaisons des
évolutions aux États-Unis et en Europe
L'évolution des prix de vente des produits ou des services modifiés par le progrès technique intègre deux
dimensions : une pure variation de prix, le prix à payer
pour une même qualité de produit ou de service
variant d'une période à la suivante, mais aussi une
variation de la qualité du produit ou du service d'une
période à l'autre. Une mesure exacte de la croissance
implique de dissocier ces deux dimensions et d'ajuster
les mouvements de prix observés pour tenir compte
de l'amélioration de la qualité. Ces ajustements sont
délicats, et ils ne sont pas standardisés dans les comptes nationaux. Cela aboutit à des indices de prix pour
les nouvelles technologies fortement divergents d'un
pays à l'autre, qui reflètent plus des différences de
méthode que des mouvements de prix réels. Les
États-Unis se caractérisent par des ajustements pour la
qualité plutôt plus importants qu'en Europe par des
méthodes dites «hédoniques». L'impact de cette différence sur les comparaisons de croissance en volume
est assez délicat à établir, parce que ces produits sont
fréquemment importés. La fourchette de l'impact est
donc assez large, comprise entre 0,1 et ¼ de point sur
la croissance américaine de la fin des années 90.
D'une façon générale, le partage volume-prix est problématique dans des services qui prennent une importance croissante dans le PIB : services bancaires,
commerce de détail, services de santé. Les conventions adoptées pour isoler les mouvements de prix
dans ces secteurs sont différentes d'un pays à l'autre,
et aboutissent parfois à des évolutions négatives de la
productivité. L'OCDE a mené des simulations en
calant à zéro la productivité dans ces secteurs en
France et aux États-Unis. Cela aboutit à relever la
croissance de 0,2 point par an en France, et seulement
de 0,1 point aux USA.
Enfin Américains et Européens utilisent des formules
de pondération différentes pour agréger les évolutions
individuelles et dégager une croissance d'ensemble de
l'économie. Les Américains ont recours à des indices
dits de Fischer, les Européens à des indices dits de
Laspeyres. L'utilisation des indices de Fischer diminue
la croissance américaine d'un peu plus de 0,1 point par
an.
Les biais ainsi identifiés dans la mesure favorisent les
États-Unis, de 4 points sur le niveau du PIB et de 0,3 à
0,4 point sur la croissance annuelle quand on en fait
masse. Ainsi les faibles écarts observés avec les statistiques actuelles sur le niveau de la productivité horaire
(6,5 points) et les évolutions du PIB par habitant
(0,3 point par an) ou de la productivité horaire
(0,4 point par an) sont à la limite de la robustesse statistique.
Tableau 2 : effets des différences de méthode sur
le niveau du PIB américain et de sa croissance
Impact sur le
niveau du PIB
Amortissement du matériel
militaire
½ à 1 point
– 0,06 point
2,3 points
< 0,1 point
1 à 1 ½ point
¼ point
Imputation des services
bancaires non facturés
Immobilisation des logiciels
Impact sur la
croissance
Ajustement qualité pour les
prix des nouvelles technologies
–
0,1 à ¼ point
Indices des prix dans certains
services
–
0,1 point
Technique d'agrégation
–
–0,15 point
Total
4 points
0,3 à 0,4 point
Source : OCDE, calculs DP.
Les conclusions des calculs d'évolution sur le PIB par
habitant ou la productivité horaire sont par ailleurs
assez sensibles au choix de l'année de départ, en raison
du déphasage des cycles au début des années 90 entre
l'Europe et les États-Unis ou au choix du champ
(l'union européenne plutôt que la zone euro).
En d'autres termes, une fois passés au crible, seuls les
éléments suivants paraissent robustes dans les écarts
de performance économique entre l'Europe et les
États-Unis : un niveau de PIB par habitant supérieur, un niveau de productivité horaire comparable, une croissance plus rapide aux États-Unis,
des gains de productivité qui accélèrent aux
États-Unis alors qu'ils décélèrent en Europe.
2. Les écarts sur le taux d'emploi et la durée
du travail paraissent expliquer l'essentiel
de l'écart de niveau de vie, mais ils pourraient masquer une productivité intrinsèquement plus faible en Europe
a) Les écarts sur la quantité de travail expliquent
que le niveau de vie soit plus faible en zone euro
alors que la productivité observée est à peu près
la même
Tableau 3 : quantité de travail aux États-Unis
et en zone euro
2002
États-Unis
Zone euro
Zone euro/
États-Unis
Population totale
(en millions)
289
305
+5%
Population en âge de travailler
(15-64 ans, en millions)
192
203
+5%
Population participant au
marché du travail
(en millions)
146
142
–3%
Emploi total (en millions)
138
130
– 6%
1815
1548
–15%
250
201
–20%
Durée moyenne par employé
(en heures par an)
Heures travaillées
(en milliards)
Source : OCDE.
3
En 2002, la population de la zone euro est légèrement
supérieure à la population des États-Unis, et la part de
la population en âge de travailler dans la population
totale est exactement la même dans les deux économies, à 67%. Ainsi les caractéristiques démographiques ne sont pas un facteur d'explication du retard de
production ou de niveau de vie de la zone euro en
2002. Elle dispose même à cette date d'un peu plus de
personnes en âge de travailler.
En revanche les caractéristiques du marché du travail
et la durée du travail sont à l'origine d'un écart très
important sur le nombre moyen d'heures travaillées
par personne en âge de travailler, 1300 par an aux
États-Unis et 990 en zone euro, soit 24% d’écart.
Trois facteurs, aujourd'hui bien documentés3, mènent
à ce résultat. Le taux de participation est plus beaucoup plus faible en zone euro chez les 15-24 ans et les
55-64 ans. Par ailleurs le taux de chômage est plus
élevé d'environ 2 points. Au total, parmi les 15-64
ans, 64% ont un emploi en zone euro contre 72% aux
États-Unis. Enfin la durée annuelle du travail des
employés est inférieure de 15 % en zone euro à ce
qu'elle est aux États-Unis.
Ces éléments expliquent pourquoi la zone euro accuse
un tel retard sur le niveau du PIB par habitant alors
que sa productivité horaire n'est que légèrement inférieure à celle des États-Unis.
3. «D'où viennent les écarts de richesse par habitant entre les ÉtatsUnis, la zone euro, la France et le Japon ?» DP Analyses Économiques n°9 septembre 2003.
b) Le niveau honorable de la productivité en zone
euro tiendrait peu désormais à la mise à l'écart
des moins qualifiés
La faiblesse du taux d'emploi en zone euro a pu jeter
un doute sur la signification de la productivité observée. Une interprétation serait que cette dernière est au
niveau de celle des États-Unis, mais au prix de la mise
à l'écart des moins productifs. Elle ne serait pas le
reflet d'une efficacité comparable de la combinaison
productive, mais le résultat d'une sélection plus sévère
sur le marché du travail. Les moins productifs seraient
en Europe voués au chômage ou à l'inactivité. Si l'on
réintégrait ces gens dans l'emploi à hauteur de ce qui
se passe aux États-Unis, la productivité chuterait et
l'efficacité de l'économie de la zone euro apparaîtrait
plus nettement inférieure à celle de la zone euro.
Cette interprétation suppose un taux de participation
plus faible ou un taux de chômage plus fort des moins
productifs. Les données disponibles, qui croisent
niveau de formation initiale, taux de participation et
taux de chômage, ne permettent qu'une approche
indirecte de la question. La formation initiale est une
approximation de la productivité supposée d'une personne, approximation de plus en plus grossière avec
l'âge. Cette précaution posée, ces données tendent
plutôt à nuancer l’effet sur l’écart de productivité en
Europe de l'inactivité des moins qualifiés. Le taux de
participation des gens qui ont reçu seulement une formation primaire est certes plus faible en Europe
qu'aux États-Unis (44% contre 50%, cf. graphique 2),
alors que le taux de participation des plus instruits est
le même. Mais le taux de chômage des moins formés
est le même aux États-Unis et en zone euro et c'est
seulement chez les mieux formés que le taux de chômage est plus élevé. Ces données indiquent en outre
que la zone euro mobilise mieux dans l'emploi les gens
qui ont suivi une formation secondaire de base que les
États-Unis.
Graphiques 1 et 2 : taux de participation et taux de chômage
selon le niveau d'éducation en 2002
Taux de participation
Taux de chômage
90%
18%
80%
16%
70%
14%
60%
12%
50%
10%
40%
8%
30%
6%
20%
4%
10%
2%
0%
0%
Primaire
Secondaire
États-Unis
Secondaire supérieur
Zone euro
Tertiaire
Primaire
Secondaire
États-Unis
Secondaire supérieur
Tertiaire
Zone euro
Source : OECD Labor Force Statistics.
4
On peut, à partir de ces éléments, tenter un chiffrage
de ce qui se passerait sur la productivité en zone euro
si l'on y faisait travailler les moins qualifiés dans des
proportions comparables aux États-Unis. On considère, sur la base des taux de participation, des taux de
chômage des moins qualifiés et des effectifs concernés
de part et d'autre, que le quart de la faiblesse relative
de l'emploi en zone euro tient à l'exclusion des moins
productifs. On retient pour le calcul une productivité
horaire de 10 $ pour les moins qualifiés en zone euro.
Cela correspond à un salaire brut à mi-chemin des
salaires horaires minimum en France (7,19 €) et aux
États-Unis (5,15 $)4 compte tenu des parités de pouvoir d'achat, et à une part des salaires dans la valeur
ajoutée analogue à ce qui est observée dans les secteurs à forte intensité de main d'œuvre. Dans ces conditions, si l'on remettait ces personnes au travail, la
productivité horaire en zone euro perdrait 2 points et
serait désormais inférieure de 8,5% à celle des ÉtatsUnis, un peu au delà du doute statistique indiqué plus
haut. Avec les hypothèses retenues, l'effet existe, mais
il n'est pas massif.
Graphiques 3 et 4 : consommation et
consommation par tête
aux États-Unis et en zone euro
Évolution annuelle de la consommation privée
5,0%
4,5%
4,0%
3,5%
3,0%
2,5%
2,0%
1,5%
1,0%
0,5%
0,0%
1994
1995
1996
1997
1998
États-Unis
1999
2000
2001
2002
2003
2001
2002
2003
Zone euro
Évolution annuelle de la consommation par tête
5,0%
4,5%
4,0%
3,5%
3,0%
2,5%
3. Les évolutions démographiques et les
politiques de l'emploi ont fait diverger les
évolutions récentes des deux économies
2,0%
1,5%
1,0%
0,5%
0,0%
1994
a) Le dynamisme démographique alimente la
croissance d'ensemble aux États-Unis
Entre 1993 et 2003, la population totale a connu une
progression de +1,1% par an aux États-Unis contre
+0,3% par an dans la zone euro. Ce dynamisme
démographique associé à une fécondité et une immigration plus forte alimente une croissance moyenne
plus élevée. Indépendamment des gains d'efficacité,
l'économie américaine dispose année après année de
ressources en main d'œuvre supplémentaires. Elles lui
permettent d'accroître sa production sans se heurter à
des pénuries de main d'œuvre susceptibles de la ralentir. Cette croissance de la force de travail et de la production alimente, au delà des accidents conjoncturels,
une croissance analogue de la demande intérieure.
Ainsi les évolutions des grands agrégats macroéconomiques incorporent à moyen terme ce dynamisme
d'origine démographique et progressent de ce fait plus
vite aux États-Unis qu'en zone euro. L'écart qui en
résulte est loin d'être négligeable. Il atteint presque
1 point par an sur des évolutions de 2 à 4%. Les
graphiques 3 et 4 ci-dessous montrent ce que cela
peut donner sur l'évolution de la consommation des
ménages.
1995
1996
1997
1998
États-Unis
1999
2000
Zone euro
Source : OCDE.
b) Les évolutions sur le marché du travail ont sans
doute freiné les gains de productivité en zone
euro
Il subsiste assurément aujourd'hui un écart important
en faveur des États-Unis sur le taux de participation et
le taux de chômage comme on l'a vu plus haut. Mais
les évolutions de ces dix dernières années sur ces deux
indicateurs du marché du travail ont été plus favorables en zone euro qu'aux États-Unis. Le taux de participation a augmenté de 5 points en zone euro quand il
baissait de 2 aux États-Unis. Le taux de chômage a
perdu 2 points en Europe pour moins de 1 aux ÉtatsUnis.
Il est malheureusement impossible de croiser cette
bonne performance d'ensemble de la zone euro sur les
évolutions de la décennie avec les données sur la qualification. Ces dernières en effet ne sont disponibles
que depuis 1997 ou 1998 selon les pays. Ce que l'on
peut voir sur cette courte période est cependant digne
d'intérêt.
4. http://www.dol.gov/dol/topic/wages/minimumwage.htm.
5
Graphiques 5 et 6 : taux de participation et taux de chômage 1993-2003
Taux de participation 1993-2003
Taux de chômage 1993-2003
80%
12%
10%
75%
8%
70%
6%
4%
65%
2%
60%
1993
1994
1995
1996
1997
1998
États-Unis
1999
2000
2001
2002
2003
0%
1993
1994
Zone euro
1995
1996
1997
1998
États-Unis
1999
2000
2001
2002
2003
Zone euro
Source : OCDE.
Graphiques 7 et 8 : variation de la participation et du chômage entre 1997 et 2002
Variation du taux de participation
Variation du taux de chômage
2%
2,0%
1,5%
1%
1,0%
0%
0,5%
0,0%
-1%
-0,5%
-2%
-1,0%
-3%
-1,5%
-4%
-2,0%
-2,5%
-5%
Primaire
Secondaire
États-Unis
Secondaire supérieur
Tertiaire
Zone euro
Primaire
Secondaire
États-Unis
Secondaire supérieur
Tertiaire
Zone euro
Source : OECD Labor Force Statistics.
Ces données par qualification montrent certes que la
zone euro n'a pas amélioré la participation au marché
du travail des personnes n'ayant reçu qu'une éducation
primaire. C'est le seul poste sur lequel sa performance
en évolution n'est pas meilleure que les États-Unis.
Mais elle a un peu amélioré la participation des gens
munis d'une éducation secondaire de base. Surtout,
elle a très nettement abaissé le taux de chômage des
moins qualifiés, alors qu'il stagnait aux États-Unis.
Ce faisceau d'indices suggère que l'amélioration globale du taux d'emploi dans la zone euro à la fin de la
décennie résulte pour partie de l'intégration dans
l'emploi de moins qualifiés auparavant au chômage.
Ce phénomène est sans doute à relier aux politiques de
l'emploi qui ont rencontré un succès certain, grâce
notamment à une plus grande attention portée à l’évolution du coût minimal du travail, comme en témoigne
en France la politique continue d’allègement des charges sur les bas salaires. Ces politiques de l’emploi ont
permis de réemployer des travailleurs peu qualifiés et
peut-être aussi de réduire le travail au noir.
Cela a pu contribuer au ralentissement des gains de
productivité. On peut là aussi risquer un chiffrage. Le
taux d'emploi s'est globalement amélioré de 4,5 points
en zone euro sur la décennie. Cela représente
9 millions d'emplois de plus en 2003. Dans le même
temps, il a baissé de 1,7 point aux États-Unis, soit
3,2 millions d'emplois en moins. En imaginant qu'un
tiers de ces emplois en plus ou en moins aient une productivité égale au quart de la productivité moyenne,
cela a contribué à ralentir les gains de productivité en
zone euro de deux dixièmes de point par an, et à les
accélérer de nettement moins d'un dixième de point
par an aux États-Unis. C'est peu, mais c'est plus de la
moitié de l'écart global observé sur les gains de productivité entre la zone euro et les États-Unis entre
1993 et 2003 (i.e de l’écart apparent avant toute prise
en compte des corrections statistiques évoquées au
point 1).
Laurent MENARD
Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER
Rédacteur en chef : Philippe MILLS
Mise en page : Maryse DOS SANTOS
(01.53.18.56.69)
6
Téléchargement