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Après avoir atteint des sommets au cours des années
quatre-vingt, les taux longs se sont inscrits depuis
lors sur une pente décroissante quasi-ininterrom-
pue et ils ont atteint ces deux dernières années
des niveaux historiquement bas. La reprise de
l’activité aux États-Unis et le rebond des anticipations
d’inflation depuis un an n’ont eu pour l’instant qu’un
impact très limité sur le marché obligataire et les ren-
dements restent à des niveaux exceptionnellement
bas. Dans ce contexte, il est légitime de se deman-
der si le marché obligataire est aujourd’hui sur-
évalué (c’est à dire si les taux longs sont sous-évalués).
On tente ici de répondre à cette question en exami-
nant la relation entre les taux obligataires et ses princi-
paux déterminants macro-économiques.
Le taux d'intérêt nominal de long terme est la rémuné-
ration d'un prêt monétaire sur une longue période,
cette dernière étant d'autant plus élevée que le risque
de non-remboursement est important. Aussi, pour
chaque qualité de crédit, il existe un taux d'intérêt dif-
férent, reflet de l'équilibre entre l'offre et la demande
d'épargne. Le taux d'intérêt le plus faible proposé par
le marché est associé à un risque de remboursement
minimal, et il constitue un taux de référence. Il sera
assimilé par la suite au rendement d'une obligation
souveraine des États-Unis et de la zone euro : ces
titres bénéficient d'un marché profond et liquide, d'un
risque de crédit très faible, et sont cotées sur une durée
suffisante pour estimer des relations économétriques
de long terme2.
D'un point de vue macro-économique, le taux d'inté-
rêt de référence peut se scinder en deux composantes:
un taux d'intérêt réel moyen, qui permettrait d'assurer
l'équilibre de l'offre et de la demande de titres, et
l'inflation moyenne anticipée sur la durée du prêt.
D'un point de vue plus financier, le taux de long terme
peut refléter les arbitrages réalisés à partir des taux
courts nominaux présents et anticipés, ajusté d'une
prime reflétant la préférence des agents pour la liqui-
dité3.
1. Déterminants théoriques des taux longs
Les taux longs équilibrent la demande et l'offre de
titres obligataires, ils sont inversement proportionnels
au prix des obligations. Ce prix tient compte de diffé-
rents facteurs :
• les évolutions macro-économiques anticipées par
les épargnants et les emprunteurs entre
aujourd’hui et la date de remboursement de
l’emprunt,
• les incertitudes sur ces anticipations,
• les évolutions structurelles affectant la demande et
l'offre sur le marché des titres.
1.1 Position dans le cycle et niveau des taux
longs
Une accélération anticipée de la croissance devrait
s'accompagner d'un renforcement des tensions infla-
tionnistes et conduire à un relèvement des taux d’inté-
rêt directeurs de la banque centrale et donc, des taux
monétaires de court-terme. Le marché de l'épargne ne
devant en théorie pas présenter d'opportunité d'arbi-
trage4, les taux longs s'ajusteraient immédiatement de
manière à refléter cette hausse. Le niveau des taux
longs serait donc d'autant plus élevé que le resserre-
ment monétaire anticipé est de grande ampleur ou de
longue durée.
1.2 Incertitudes et prime de risque
Toute surprise qui viendrait modifier l'équilibre décrit
précédemment est susceptible d'affecter le taux d'inté-
rêt de long terme via un ajustement des anticipations
des agents.
Pour se prémunir contre ce risque potentiel, les épar-
gnants exigeraient un rendement plus élevé que celui
résultant des simples arbitrages sur la pente des taux
(cf. infra). En particulier, le rendement attendu issu de
la détention d'une obligation longue pendant un an
dépasserait celui d'une obligation à rendement certain
sur un an. Cet écart peut s'interpréter comme une
prime de risque variable reflétant entre autre la préfé-
rence pour la liquidité5.
Cette prime serait par exemple influencée par un ren-
forcement de la perception du risque de dépréciation
d'une monnaie, qui devrait conduire à un redresse-
ment des taux longs dans cette devise : les investis-
seurs internationaux exigent une prime de risque
supérieure pour ces placements. De même, le degré
d’iincertitude sur les prévisions d’inflation, de crois-
sance ou de politique monétaire de la banque centrale
devrait affecter directement les taux longs via la prime
de risque.
Les variations de la situation conjoncturelle ne
devraient en théorie avoir qu’un impact modéré sur les
taux longs, reflets des anticipation de long-terme.
Pourtant, selon Gürnayak et alii6, la partie longue de la
pente des taux serait particulièrement sensible à cer-
taines nouvelles macroéconomiques non attendues
relatives à l'inflation et au PIB. L'impact de ces surpri-
ses conjoncturelles sur les taux longs passerait par une
modification des anticipations inflationnistes de long
terme des agents, et/ou de la prime de risque qui leur
2. Ce qui n'est pas le cas des taux swaps pour lesquels on dispose au
mieux de cotations depuis 1987 pour les États-Unis.
3. A. Benassy-Quéré, L. Boone & V. Coudert, 2003, Les taux d'inté-
rêt, collection Repères.
4. Entre un endettement à court terme renouvelé sur plusieurs pério-
des et un endettement à long terme.
5. Campbell, 1995, Some lessons from the yield curve, NBER n°5031.
6. Gürnayak, Sack & Swanson, 2003, The excess sensitivity of long
term interest rates : evidence and implications for macroeconomic
models, Fed.