Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques N° 65 - Mars 2005 Les déterminants des taux longs nominaux aux États-Unis et dans la zone euro ?1 Après avoir atteint des sommets au cours des années quatre-vingt, les taux longs se sont inscrits depuis lors sur une pente décroissante et ils ont atteint des niveaux historiquement bas ces deux dernières années. La reprise de l’activité aux États-Unis et le rebond des anticipations d’inflation depuis un an n’ont eu pour l’instant qu’un impact très limité sur le marché obligataire et les rendements restent à des niveaux exceptionnellement bas. Dans ce contexte, il est légitime de se demander si le marché obligataire est aujourd’hui sur-évalué au regard de ses déerminants traditionnels. Un taux d'intérêt nominal de long terme peut se décomposer en un taux d'intérêt réel moyen, assurant l'équilibre entre l'offre et la demande de titres, une estimation de l'inflation moyenne anticipée sur la durée correspondant à la maturité du titre, et une prime de risque liée à la préférence des agents pour la liquidité, à leur incertitude sur les anticipations d'inflation et au risque de dépréciation de la monnaie. Une estimation du taux d'intérêt réel d'équilibre de long terme est délicate, notamment parce que les primes de risque et les anticipations d'inflation ne sont pas observables. On cherche alors à identifier directement les déterminants macro économiques des rendements des obligations souveraines aux États-Unis et dans la zone euro. Ce marché a l'avantage d'être très liquide et de présenter des risques de crédit faibles et peu variables dans le temps. Aux États-Unis, les taux obligataires semblent déterminés par les taux d’intérêt de court terme, le PIB, l'inflation sous-jacente et le déficit public. En zone euro, outre le niveau des taux courts et celui du déficit public, les taux obligataires américains auraient une influence significative sur les taux longs. Cette modélisation retrace bien la baisse des taux longs au cours des années 90. En revanche, elle ne permet pas d'expliquer le très bas niveau des taux observé actuellement : à partir de la fin 2001, les rendement obligataires se seraient sensiblement écartés de leurs valeurs d’équilibre : • Aux États-Unis, les taux longs observés sont restés bas, autour de 4%, alors qu’il aurait été légitime qu’ils se redressent sous les effets conjugués de l'accroissement des déficits publics, du resserrement monétaire et de l'accélération du PIB. L'écart entre la valeur estimée et la valeur observée s'élevait fin 2004 à 170 pdb. • Le résultat est le même pour la zone euro mais reflète directement le niveau «anormalement bas» des taux longs aux États-Unis. Divers facteurs conjoncturels ont pu alimenter une demande soutenue sur l'obligataire souverain au cours de cette période et conduire à un niveau de taux longs inférieur à ce que suggèrent leurs déterminants macro-économiques traditionnels : réaménagement des portefeuilles des investisseurs institutionnels vers les placements obligataires suite au krack boursier, abondance de liquidité, recherche de rendement sur les maturités longues dans un contexte de taux bas, interventions de change des banques centrales asiatiques. 1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Sommaire des derniers numéros parus Mars 2005 Fév. 2005 Janv. 2005 n°64 • L'activité aux États-Unis est désormais aussi stable que dans la Zone Euro, CharlesAntoine Giuliani n°63 • Les taux marginaux d'imposition : quelles évolutions depuis 1998 ? Ludivine Barnaud, Layla Ricroch n°62 • Effets macro-économiques à long terme d’un changement d’assiette de la taxe professionnelle, Emmanuel Bretin n°61 • Les particularités de la reprise de 2003 en zone euro, Alexandre Espinoza, Jean-Marie Fournier n°60 • La conjoncture belge : révélatrice de la conjoncture de la zone euro ? Marceline Bodier, Éric Dubois, Emmanuel Michaux n°59 • Formation des prix dans les secteurs de la viande et des fruits et légumes, Anna Lipchitz Déc. 2004 n°58 • Affirmative action et discrimination positive, une synthèse des expériences américaines et européennes, Denis Maguain n°57 • L’existence d’un biais dans les anticipations de marché sur la politique monétaire en zone euro, Sébastien Hissler n°56 • Comment expliquer l’évolution récente du compte courant de la France, Élie Girard Nov. 2004 n°55 • Les délocalisations d’activités tertiaires dans le monde et en France, Jérôme Letournel n°54 • Les effets économiques du prix du pétrole sur les pays de l’OCDE, Nicolas Carnot, Caterine Hagège n°53 • Le marché pétrolier, Nicolas Carnot, Caterine Hagège n°52 • Quelques données internationales sur le temps de travail, Jacques Delorme Oct. 2004 Sept. 2004 Juil. 2004 n°51 • Retour sur les gains de productivité aux États-Unis, Vladimir Borgy, Nicolas Carnot, Émilie Quéma n°50 • Comment contenir les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports ? Jean-Jacques Becker, Cédric Audenis • La résistance de l’économie britannique à l’appréciation de la livre enregistrée depuis n°49 1996, Éric Dubois, Karine Hervé, Sylvie Lefranc n°48 • La croissance potentielle de l’économie française de moyen-long terme, Emmanuel Bretin n°47 • Les canaux de transmission de la politique monétaire en France, Fédéric Cherbonnier, Xavier Payet n°46 • Pourquoi l’inflation n’a-t-elle pas plus baissé en zone euro qu’aux États-Unis au cours des deux dernières années ? Nila Ceci n°45 • Convergence nominale et convergence réelle des nouveaux États membres (NEM), Vanessa Jacquelain n°44 • Les impôts locaux dus par les entreprises : éléments de comparaison internationale, Daniel Turquety 2 Après avoir atteint des sommets au cours des années quatre-vingt, les taux longs se sont inscrits depuis lors sur une pente décroissante quasi-ininterrompue et ils ont atteint ces deux dernières années des niveaux historiquement bas. La reprise de l’activité aux États-Unis et le rebond des anticipations d’inflation depuis un an n’ont eu pour l’instant qu’un impact très limité sur le marché obligataire et les rendements restent à des niveaux exceptionnellement bas. Dans ce contexte, il est légitime de se demander si le marché obligataire est aujourd’hui surévalué (c’est à dire si les taux longs sont sous-évalués). On tente ici de répondre à cette question en examinant la relation entre les taux obligataires et ses principaux déterminants macro-économiques. Le taux d'intérêt nominal de long terme est la rémunération d'un prêt monétaire sur une longue période, cette dernière étant d'autant plus élevée que le risque de non-remboursement est important. Aussi, pour chaque qualité de crédit, il existe un taux d'intérêt différent, reflet de l'équilibre entre l'offre et la demande d'épargne. Le taux d'intérêt le plus faible proposé par le marché est associé à un risque de remboursement minimal, et il constitue un taux de référence. Il sera assimilé par la suite au rendement d'une obligation souveraine des États-Unis et de la zone euro : ces titres bénéficient d'un marché profond et liquide, d'un risque de crédit très faible, et sont cotées sur une durée suffisante pour estimer des relations économétriques de long terme2. D'un point de vue macro-économique, le taux d'intérêt de référence peut se scinder en deux composantes: un taux d'intérêt réel moyen, qui permettrait d'assurer l'équilibre de l'offre et de la demande de titres, et l'inflation moyenne anticipée sur la durée du prêt. D'un point de vue plus financier, le taux de long terme peut refléter les arbitrages réalisés à partir des taux courts nominaux présents et anticipés, ajusté d'une prime reflétant la préférence des agents pour la liquidité3. 1. Déterminants théoriques des taux longs Les taux longs équilibrent la demande et l'offre de titres obligataires, ils sont inversement proportionnels au prix des obligations. Ce prix tient compte de différents facteurs : • les évolutions macro-économiques anticipées par les épargnants et les emprunteurs entre aujourd’hui et la date de remboursement de l’emprunt, • les incertitudes sur ces anticipations, 2. Ce qui n'est pas le cas des taux swaps pour lesquels on dispose au mieux de cotations depuis 1987 pour les États-Unis. 3. A. Benassy-Quéré, L. Boone & V. Coudert, 2003, Les taux d'intérêt, collection Repères. • les évolutions structurelles affectant la demande et l'offre sur le marché des titres. 1.1 Position dans le cycle et niveau des taux longs Une accélération anticipée de la croissance devrait s'accompagner d'un renforcement des tensions inflationnistes et conduire à un relèvement des taux d’intérêt directeurs de la banque centrale et donc, des taux monétaires de court-terme. Le marché de l'épargne ne devant en théorie pas présenter d'opportunité d'arbitrage4, les taux longs s'ajusteraient immédiatement de manière à refléter cette hausse. Le niveau des taux longs serait donc d'autant plus élevé que le resserrement monétaire anticipé est de grande ampleur ou de longue durée. 1.2 Incertitudes et prime de risque Toute surprise qui viendrait modifier l'équilibre décrit précédemment est susceptible d'affecter le taux d'intérêt de long terme via un ajustement des anticipations des agents. Pour se prémunir contre ce risque potentiel, les épargnants exigeraient un rendement plus élevé que celui résultant des simples arbitrages sur la pente des taux (cf. infra). En particulier, le rendement attendu issu de la détention d'une obligation longue pendant un an dépasserait celui d'une obligation à rendement certain sur un an. Cet écart peut s'interpréter comme une prime de risque variable reflétant entre autre la préférence pour la liquidité5. Cette prime serait par exemple influencée par un renforcement de la perception du risque de dépréciation d'une monnaie, qui devrait conduire à un redressement des taux longs dans cette devise : les investisseurs internationaux exigent une prime de risque supérieure pour ces placements. De même, le degré d’iincertitude sur les prévisions d’inflation, de croissance ou de politique monétaire de la banque centrale devrait affecter directement les taux longs via la prime de risque. Les variations de la situation conjoncturelle ne devraient en théorie avoir qu’un impact modéré sur les taux longs, reflets des anticipation de long-terme. Pourtant, selon Gürnayak et alii6, la partie longue de la pente des taux serait particulièrement sensible à certaines nouvelles macroéconomiques non attendues relatives à l'inflation et au PIB. L'impact de ces surprises conjoncturelles sur les taux longs passerait par une modification des anticipations inflationnistes de long terme des agents, et/ou de la prime de risque qui leur 4. Entre un endettement à court terme renouvelé sur plusieurs périodes et un endettement à long terme. 5. Campbell, 1995, Some lessons from the yield curve, NBER n°5031. 6. Gürnayak, Sack & Swanson, 2003, The excess sensitivity of long term interest rates : evidence and implications for macroeconomic models, Fed. 3 est associée, mais il est difficile de dissocier ces deux effets. Ce phénomène justifie notamment les efforts importants de communication des banques centrales visant à ancrer les anticipations d'inflation dans le moyen terme. 1.3 Facteurs structurels Des évolutions plus structurelles peuvent également affecter la demande et l'offre de titres à long terme. C'est notamment le cas de l'accroissement des déficits publics, qui est susceptible d'augmenter l'offre de titres de long terme s'il est financé par des emprunts obligataires émis à long terme. Il devrait donc s'accompagner d'une hausse des taux d'intérêt. Il en est de même du vieillissement de la population, qui s'accélère en raison du passage à la retraite des baby-boomers. Ce phénomène peut avoir un effet ambigu sur les taux longs car plusieurs facteurs jouent en sens contraires : – Dans la phase d'accumulation d'épargne, cette dernière est abondante et pousse les taux à la baisse. – Dans la phase d'utilisation de l'épargne, deux mécanismes opposés affectent les taux. D'un côté les retraités auront tendance à vendre leurs actifs afin de financer leur consommation, ce qui pousserait le prix de l’ensemble des actifs à la baisse. À l’inverse, l'horizon d'investissement réduit des retraités devrait inciter à une réallocation de leur portefeuille en faveur d'obligations sans risque au détriment d'autres actifs plus risqués, ce qui pousserait à la baisse les taux des obligations souveraines par rapport au rendement des autres actifs. D'une façon complémentaire, les nouvelles réglementations prudentielles des fonds de pensions pourraient agir sur la demande d'obligations sans risque. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni par exemple, la valeur du marché de l'actif doit désormais couvrir la valeur de marché du passif, cette couverture étant susceptible de résister à une forte baisse simulée des cours boursiers (de 40% sur 2 ans aux Pays-Bas). Il en résulterait un ajustement des portefeuilles des fonds de pension et d'assurance à la faveur des obligations. 2. Un modèle pour expliquer les taux longs et principaux résultats À partir des déterminants traditionnels des taux longs, des modèles à correction d'erreur présentant des spécifications propres aux États-Unis et à la zone euro permettent d'estimer des niveaux d'équilibre pour les taux longs (taux d'intérêt souverains à 10 ans) dans chacune des zones monétaires (cf annexe). 2.1 Résultats des estimations Tableau 1 : équation de long-terme EtatsUnis Période d'estimation : de 1983 à… Constante Taux à 3 mois Inflation sous-jacente (ga) PIB réel (ga) Déficit des adm. publiques (% du PIB) Démographie Taux long américain Taux long européen R² centré Zone euro Q4 2001 Retenu Q1 2004 Alternatif Q4 2001 ns 0.31** 0.80** 0.56* 0.42** - 1.48** 0.25** 0.64** 0.66** –0.22** –0.30** 0.32** –0.54** ns ns 0.94 ns 0.45** 0.97 ns 0.95 Lecture : ns = variable non significative ; * = significative au seuil de 5% ; ** = significative au seuil de 1% ; - = variable non utilisée. Calculs : estimation par les MCO corrigées par la méthode de NeweyWest, sur données trimestrielles. Les spécifications sont légèrement différentes dans les deux zones. Pour les États-Unis les taux courts, le PIB, l'inflation sous-jacente et le déficit public expliqueraient le niveau des taux longs. En zone euro les taux longs américains auraient une forte influence sur les taux longs européens, aux côtés des taux courts et du déficit public. Les estimations montrent que : – Une hausse de 100 pdb des taux courts devrait impliquer une hausse de 31 pdb des taux longs aux Etats-Unis et de 42 pdb dans la zone euro (cf. tableau). – Le déficit public aurait un impact significatif mais limité sur les taux longs quelle que soit la zone considérée, de 20 et 30 pdb respectivement pour une hausse du déficit de 1 point de PIB. – Il existerait une causalité contemporaine des taux longs américains vers les taux longs européens, une hausse de 100 pdb des taux longs aux États-Unis induisant toutes choses égales par ailleurs une hausse de 45 pdb des taux longs dans la zone euro. – Les taux longs américains seraient très sensibles au PIB et à l'inflation, une accélération de 100 pdb de chacune de ces deux variables induisant respectivement un redressement de 66 pdb et 80 pdb des taux longs américains. – Les effets du vieillissement sur les taux d'intérêt, ici défini par le ratio des plus de 60 ans relativement aux 40/59 ans, sont difficiles à mettre en évidence, et restent non significatifs. Les phénomènes sous-jacents sont sans doute d'une varia- 4 bilité nettement inférieure à ce que l'équation réussit à capter. Des estimations plus fragiles suggèrent qu'une hausse de 1% du ratio induirait une hausse de la pente de taux à 10 ans de 5 points de base à la fois aux États-Unis et dans la zone euro. 2.2 Les taux sont exceptionnellement bas aux États-Unis… La relation de long terme rend compte de manière satisfaisante de la baisse des taux longs nominaux entre 1990 et 1994 consécutive au ralentissement de l'inflation. Elle explique aussi convenablement la remontée des taux longs en 1994, suite au resserrement monétaire de la Fed. Graphique 1 : États-Unis, taux longs d’équilibre 12 % Baisse du taux long observé mais hausse du taux d'équilibre 11 10 Maintien des taux longs observés 9 Niveau très bas des taux longs observés 8 7 Taux longs observé 400 Taux long d'équilibre estimé uniquement grâce à la relation de long terme 4 3 1985 1987 1989 1991 1993 1995 Mds de $ 1997 1999 2001 2003 2005 sources : datastream, DGTPE Graphique 2 : taux longs simulés7 et contributions des variables explicatives 4 2 0 Taux courts à trois mois PIB réel Inflation sous-jacente Deficit public Taux longs observés 2000 100 0 -100 Instruments de crédit Titres publics Obligations corporate Actions -200 2000 2001 2002 2003 2004 Compagnies d'assurance-vie, autre compagnies d'assurance, fonds de pension privés et publics ; Source : Fed. % 6 -4 300 200 Elle a en revanche plus de mal à expliquer le niveau des taux longs à partir de fin 2000. Il y aurait donc depuis une évolution atypique des marchés obligataires souverains au regard des déterminants traditionnels des taux longs. -2 Des facteurs exceptionnels auraient également contribué à éloigner durablement les taux estimés des taux observés à partir de fin 2001. Les taux longs estimés se redressent à partir de fin 2001 et jusqu'au 3ème trimestre de 2002, essentiellement à cause de la progression du PIB réel, tandis que les taux longs observés diminuent sur la même période. Alors que la situation macro économique s'améliorait, la structure des portefeuille des investisseurs et des gestionnaires s'est sensiblement réorientée vers des produits de taux et notamment ceux présentant peu de risque comme l'obligataire souverain (phénomène de flight to quality). Graphique 3 : États-Unis - achats nets des fonds de pension et des compagnies d'assurance 6 5 Le taux long estimé a tout d'abord considérablement diminué au cours de 2001, avec un plus bas de 3% en fin d'année, suite à une forte baisse des taux courts et une contraction du PIB. Les taux longs observés sont restés largement supérieurs sur cette période, autour de 5%, peut-être parce que les marchés faisaient l'hypothèse d'une reprise rapide de l'activité économique et anticipaient un assouplissement monétaire d'une ampleur et d'une durée moindre. Un meilleur ancrage des anticipations inflationnistes dans le long terme a aussi pu aboutir à un moindre ajustement à la baisse des taux longs. 2001 Simulation dynamique des taux longs 2002 2003 2004 2005 Sources : Datastream, DGTPE ; Lecture : la valeur du taux long produite par une simulation dynamique est égale à la somme des contributions de chaque variable explicative. Le résidu correspond à l'écart entre la simulation dynamique et le taux long observé. 7. Une simulation dynamique permet d'estimer le niveau des taux longs en chaque période à partir de l'estimation de la période précédente donnée par l'équation. Ce mouvement peut en partie s'expliquer par un sentiment accru du risque macro économique liés à la succession de chocs ayant frappé l'économie mondiale (chute des cours boursiers, incertitudes géopolitiques après le 11 septembre, pratiques comptables douteuses). À cette demande obligataire accrue doivent certainement s'ajouter des effets de rareté sur les bons du Trésor à maturité longue (fin des émissions obligataires à 30 ans en octobre 2001, et politique de rachat). Depuis le troisième trimestre 2002, les taux longs estimés sont supérieurs aux taux longs effectivement observés sur les marchés. Cette différence s'est accentuée dès le troisième trimestre 2003, la reprise économique américaine étant alors le principal facteur pouvant justifier la hausse des taux longs estimés tandis que les taux longs observés demeuraient à des niveaux exceptionnellement bas. Au dernier trimestre 5 2004, le taux long observé était inférieure de 170 pdb à la valeur d’équilibre estimée par notre modèle. En plus de la poursuite de l'aversion au risque sur les marchés d'actions, divers facteurs conjoncturels ont pu alimenter une demande soutenue sur l'obligataire souverain au cours de cette période (abondance de liquidité, recherche de rendement sur les maturités longues, interventions de change et notamment des banques centrales asiatiques). Les risques de déflation, relayés par les messages répétés de la Fed jusqu'à l'été 2003, ont également alimenté la crainte d'une durée très longue de taux bas, poussant les rendements à la baisse alors même que l'activité montrait des signes de redémarrage. Bernanke et alii estiment que le financement du déficit américain par les interventions de change des banques centrales asiatiques aurait diminué de 50 à 100 pdb le taux long américain par rapport à un taux d'équilibre8. creusement des déficits publics aurait accentué la hausse des taux longs simulés, alors que les contributions des taux courts se seraient tassées. Le modèle tend toutefois à sur-estimer légèrement le niveau actuel des taux longs européens depuis fin 2004, date à laquelle la corrélation entre taux longs américains et européens s'est relâchée. Les taux longs américains observés sont désormais supérieurs de 50 pdb aux taux longs européens, probablement du fait d'anticipations inflationnistes de long terme plus élevées aux États-Unis, mais aussi car les investisseurs exigeraient une prime de risque supplémentaire sur leurs placements aux États-Unis au regard du risque de dépréciation du dollar. Le différentiel de taux d'intérêt pourrait ne pas se résorber à court terme, notamment si les perspectives de croissance aux États-Unis demeurent mieux orientées qu'en zone euro. Graphique 5 : taux longs simulés et contributions des variables explicatives 2.3 …Comme en zone euro L'équation de long terme permet de reproduire de manière satisfaisante les évolutions du taux long observé en zone euro depuis 1985. Il sous-estime toutefois la baisse du taux long nominal entre 1996 et 1999 ainsi que sa hausse entre 1999 et 2000. Graphique 4 : taux longs d'équilibre en zone euro % 6 4 2 12 % 0 11 2000 10 -2 9 8 3 1985 2003 2004 Taux longs américains Déficit public Inflation sous-jacente Taux longs observés en zone euro Simulation dynamique 2005 Sources : Datastream, DGTPE ; Lecture : la valeur du taux long produite par une simulation dynamique est égale à la somme des contributions de chaque variable explicative. Le résidu correspond à l'écart entre la simulation dynamique et le taux long observé. 6 4 2002 -4 7 5 2001 Taux courts à trois mois Taux long observé Taux long d'équilibre estimé uniquement grâce à la relation de long terme 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 Sources : Datastream, DGTPE Contrairement au modèle sur les taux américains, le modèle européen ne suggère pas d’anomalie sur le marché obligataire européen depuis 2000, à taux longs américains donnés. Néanmoins, l'inclusion des taux longs américains comme variable explicative permet vraisemblablement de tenir compte de certains facteurs conjoncturels qui affectent parallèlement les marchés obligataires des deux zones (aversion au risque et réallocation de portefeuilles, abondance de liquidité), ce qui explique sans doute en partie ce résultat. Depuis 2000, le niveau des taux longs américains expliquerait principalement les évolutions dynamiques de taux longs européens. A partir de 2002, le 8. Bernanke, Reinhart & Sack, 2004, Monetary policy alternatives at the zero bound : an empirical assessment, Fed. 3. Le marché obligataire est plutôt surévalué Le modèle présenté permet d'inférer un niveau de référence des taux longs. Comparé à leur valeur observée, il donne un ordre de grandeur de l'effet des facteurs conjoncturels exceptionnels (c'est-à-dire non pris en compte dans le modèle). Selon ces estimations, le marché obligataire américain serait clairement sur-évalué depuis le milieu de l’année 2003, la valeur d’équilibre des taux à 10 ans se situant aujourd’hui proche de 6%. Toutefois la relation d'équilibre pourrait surestimer le niveau des taux longs dans la mesure où elle ne reflète qu’imparfaitement la meilleure crédibilité des banques centrales depuis le milieu des années 90. Par ailleurs, l'utilisation de l'inflation et du PIB observé comme variable explicative n'autorise pas de distinguer l'impact de pressions inflationnistes sur les 6 taux longs via une modification de la trajectoire de politique monétaire future ou via une modification des anticipations d'inflation de long terme. Pour essayer de tenir compte de cette limitation, Bernanke et alii (cf. supra) utilisent une modélisation de la structure des taux d'intérêt par terme en intégrant des variables macroéconomiques comme facteurs explicatifs de la pente des taux. Si l'erreur d'estimation demeure en moyenne assez proche d'un modèle à correction d'erreur, ce type de modèle permet d'inférer directement une pente des taux d'équilibre, tout en autorisant l'existence d'une prime de risque variable sur les taux longs. Le résultat de cette étude aboutit aux même conclusions : les taux longs seraient aujourd’hui très en dessous de leur niveau d’équilibre compte tenu du niveau des taux courts. Sébastien HISSLER Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.53.18.56.69) 7 Annexe : estimation d'une équation pour les taux longs aux États-Unis et dans la zone euro On estime un modèle à correction d'erreur à partir des déterminants macroéconomiques des taux longs selon la méthode de Engle et Granger. Les régressions sont réalisées depuis 1983 et les taux longs correspondent aux taux d'intérêt nominaux souverains à 10 ans en zone euro et aux États-Unis. Pour la zone euro, les séries de taux longs utilisées sont fournies par l'OCDE avant 1994 (pondération des taux des principaux pays), puis par la BCE à partir de cette date. Choix de la relation de long terme Les taux longs américains s'expliqueraient dans le long terme par le niveau des taux courts courants, le taux d'inflation, le taux de croissance du PIB et le niveau du déficit public. Le modèle de long terme retenu pour la zone euro prend en compte le niveau du taux court courant de la zone euro, le niveau du déficit public et les taux longs observés aux États-Unis, mais ne fait intervenir ni le taux de croissance de l'activité ni le rythme de l'inflation. D'une part, il met donc en évidence une causalité à sens unique des taux longs américains vers les taux longs européens ; d'autre part, le pouvoir explicatif des taux longs américains apparaît supérieur à celui du PIB et de l'inflation de la zone euro, alors que le modèle serait surdéterminé lorsque le PIB et l'inflation sont inclus dans l'équation aux côtés des taux longs américains. Afin de ne pas perturber les estimations par les facteurs exceptionnels qui affectent les taux longs depuis 2002 (cf. infra), la régression pour les États-Unis n'est réalisée que jusqu'en fin 2001. Ce n'est pas le cas pour la zone euro, l'équation capturant une partie de ces facteurs grâce à la présence des taux longs américains comme variable explicative. Les relations de long terme choisies sont associées à des R² élevés (cf. tableau dans le corps du texte). La déviation moyenne du taux long d'équilibre par rapport à sa valeur estimée est de l'ordre de 80 pdb aux États-Unis et de 44 pdb en zone euro. La dynamique de court terme L'estimation de la relation de court terme suggère qu'il existe bien une spécification de long terme entre les variables sélectionnéesa. La structure des retards est construite afin d'extraire le maximum d'information possible sur la relation de court terme en utilisant le minimum de variables. L'équation de court terme aux Etats-Unis prend en compte les taux longs (RLT) et les taux courts nominaux (RCT), le solde des finances publiques (cafi) et le PIB réel : ZE ZE ZE US US ∆R LT ( t ) = – 0, 24Residu t – 1 + 0, 40∆R LTt – 1 – 0, 23∆R LTt – 5 US US + 0, 45∆R CTt – 0, 44∆R CTt – 1 + 0, 14∆R CTt – 2 + 0, 20∆R CTt – 5 – 0, 10∆cafi t + 0, 16∆PIB t En zone euro, l'équation de court terme inclus les taux longs et les taux courts nominaux, ainsi que l'inflation de la zone euro (IPCH) : ZE ZE ZE ZE ∆R L ( t ) = – 0, 19Residu t – 1 + 0, 29∆R CTt – 0, 19∆R CTt – 1 – 0, 21∆R CTt – 4 ZE + 0, 45∆R LTt – 1 + 0, 34∆IPCH t + 0, 2∆IPCH t – 4 Tous les coefficients sont au moins significatifs au seuil de 5%. Lorsque la composante de court terme est rajoutée à la relation de long terme, les erreurs d'estimation sont très faibles, mais semblent être autocorrélées d'ordre 1. a.Le coefficient du résidu de cointégration est significativement inférieur à 1. 8