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La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no6 - vol. III - novembre-décembre 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
die. Ces affections au déterminisme complexe ne se transmet-
tent pas selon les lois classiques de Mendel, et de par leur fré-
quence dans la population générale, elles ont des conséquences
sociales et économiques très lourdes (hypertension artérielle,
cardiopathies ischémiques, obésité, maladie d’Alzheimer, dia-
bète de type II, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive,
maladies auto-immunes, etc.). Afin de mieux cerner les gènes
impliqués dans ces maladies multifactorielles, des études
d’association sont actuellement entreprises sur des individus
porteurs du trait pathologique mais non apparentés. De nou-
veaux marqueurs “SNP” (Single Nucleotide Polymorphism)
sont utilisés. Ils correspondent à des mutations d’une seule paire
de bases situées dans des régions codantes ou non. Ces mar-
queurs extrêmement abondants (10 millions par génome) pour-
raient être responsables de différences phénotypiques entre indi-
vidus. En circonscrivant des régions d’intérêt, ces études
devraient permettre d’isoler les différents gènes de prédisposi-
tion impliqués, mais aussi de définir comment les produits poly-
morphes de ces gènes interagissent entre eux pour déclencher,
dans certaines conditions d’environnement, les processus phy-
siopathologiques. En effet, les facteurs environnementaux pour-
raient faciliter l’expression phénotypique de ces allèles de pré-
disposition, soit parce que le polymorphisme génétique affecte
des voies métaboliques dépendant de la présence de substrats
apportés par l’environnement, soit parce que la modification de
l’expression d’un gène induite par un facteur environnemental
est affectée par le polymorphisme. Ainsi, la caractérisation des
interactions entre facteurs environnementaux et génétiques
constitue une clé de la compréhension de la pathogenèse des
maladies multifactorielles. En revanche, il apparaît clairement
que chacun de ces allèles prédisposants, pris isolément, a peu
d’effet, et on les retrouve chez beaucoup de personnes qui ne
développeront pas la maladie. Le risque relatif associé à l’allèle
de susceptibilité est le plus souvent faible. Même lorsqu’il est
élevé, la valeur prédictive positive (risque de faire la maladie
quand on possède l’allèle de susceptibilité) est faible. Il en
résulte que les tests prédictifs sont peu utiles car peu détermi-
nants dans le domaine de la prévention (3). L’influence de cha-
cun des gènes impliqués est limitée, il est donc difficile de pré-
ciser les mécanismes moléculaires établissant le lien entre gène
et trait pathologique. L’isoforme ε4 de l’Apo E est statistique-
ment associée à la maladie d’Alzheimer (uniquement dans cer-
taines ethnies), mais aucun mécanisme cohérent ne permet
encore d’expliquer cette observation. Dans le contexte des mala-
dies multifactorielles, ce n’est que lorsque une série de facteurs
sont simultanément présents que l’augmentation du risque appa-
raît. Ainsi ces pathologies exigent une évaluation multigénique
du risque. En d’autres termes, pour identifier les individus à
haut risque génétique, il sera nécessaire de typer simultanément
plusieurs polymorphismes délétères. Le nombre de variants
génétiques est encore inconnu, mais il est de plus en plus évi-
dent qu’ils influencent fortement la prédisposition à ces mala-
dies. On peut prévoir un développement important des tests
génétiques au cours des années à venir. L’évolution des tech-
niques diminuera leur coût et les rendra plus accessibles et
performants.
DE L’INTÉRÊT DES TESTS GÉNÉTIQUES EN MÉDECINE
PRÉDICTIVE
Le besoin constant de connaître l’avenir pour soi-même et ses
enfants doit être pondéré par les possibilités réelles de prise en
charge médico-sociale. Dans le contexte d’une maladie mono-
génique, la réalisation d’un test présymptomatique permettra de
préciser le conseil génétique (risque pour la descendance), et de
connaître le statut d’une personne exposée à développer la mala-
die. L’intérêt de ces tests est manisfeste lorsqu’une thérapeutique
efficace peut être offerte au sujet prédisposé. C’est le cas, par
exemple, d’une personne appartenant à une famille dans laquelle
ségrège la polypose adénomateuse familiale (maladie dominante),
ou lors d’une maladie récessive si un germain est atteint (hémo-
chromatose héréditaire). En l’absence de thérapeutique (chorée
de Huntington ), le diagnostic présymptomatique ne se conçoit
que chez l’adulte qui souhaite connaître réellement son statut.
L’absence de bénéfice médical à la réalisation du test engendre
d’importants problèmes d’ordre éthique. Ce type de test pré-
symptomatique ne peut être effectué que dans le cadre d’une
équipe multidisciplinaire associant généticien, spécialiste
d’organe, psychologue, psychiatre et assistante sociale. Cette
approche multidisciplinaire permettra de mieux appréhender les
motivations du demandeur et surtout d’anticiper ses réactions à
l’annonce du résultat (positif ou négatif) pour assurer un suivi et
accompagnement optimal.
S’agissant des prédispositions héréditaires au cancer, pour les-
quelles la pénétrance est incomplète (cancer du sein, certains can-
cers coliques), le principe du test prédictif répond à une meilleure
politique de prévention et de dépistage. La possibilité d’évaluer
précisement les risques tumoraux des membres de familles dans
lesquelles ségrège une prédisposition, offre l’avantage de foca-
liser le dépistage sur les seuls sujets porteurs et d’éviter des exa-
mens spécifiques (répétés et coûteux) de dépistage à ceux pour
lesquels il a pu être démontré qu’ils n’étaient pas porteurs. Cela
étant, il doit être gardé à l’esprit, que l’absence du gène respon-
sable de la prédisposition familiale chez un individu de la famille
laissera un risque tout à fait significatif, celui de toute femme de
développer un cancer du sein (10 %). Dans tous les cas, la réali-
sation de tels tests prédictifs ne peut se concevoir qu’après
l’obtention d’un consensus de la communauté médicale sur les
stratégies possibles de prévention, à la recherche d’un réel béné-
fice direct, et cela à l’aide de techniques d’évaluation rigoureuse
préalables.
Pour les maladies multifactorielles, beaucoup plus fréquentes,
l’interaction des facteurs génétiques et de l’environnement est
encore mal connue. Chaque anomalie d’un gène n’est pas suffisante
pour entraîner un processus pathologique dans un contexte donné
environnemental. Être porteur d’un allèle de susceptibilité augmente
seulement un peu la probabilité de développer la maladie mais ne
signifie nullement que la personne soit exposée réellement à la deve-
lopper. Il s’agit donc ici pour le moment d’une médecine probabi-
liste dont les applications actuelles dans le domaine de la préven-
tion sont encore en attente. La validation d’un ensemble de
marqueurs moléculaires devrait permettre de mieux définir les
risques individuels de développer une maladie. Ces informations
déboucheront sur la définition de populations pour lesquelles des