MUSIQUE ET SOINS INFIRMIERS

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MARYSE FRANC
SURVEILLANTE
DE
RÉANIMATION*
EN GUISE D’OUVERTURE
Infirmière, j’ai été amenée à travailler dans différents services d’une clinique, privée ; exemples,
médecine, bloc, soins intensifs... A partir d’un
goût prononcé pour la musique et d’une formation
musicale, il m’est apparu qu’tn *an* qz48 so&an* n0lls
avions me opportunité à exploiter, Cm* I’enrichissement der minr infirmiers nu *IZVWS de l’environnement sonorf?.
Interpelée par les réclamations ponctuelles de personnes hospitalisées, mon intérêt porté au soigné
d’une part, à la musique d’autre part, sont autant
de facteurs qui m’ont conduit wrs un désir de
rechercher quelle pouvait être la fusion possible
du soin infirmier avec la musique, quelle pouvait
être la corrélation entre ces deux domaines.
Promouvoir la musique, 6-f pouvait être, 2 *a façott,
mtribucr à N promouuoir In vie Y (1).
Mais a” mbment même de traiter la question (question qui fit mon sujet de mémoire en école de cadre
infirmier), on problème me tournienrait, celui de
savoir si mon souhait de proposer un envitonnement sonore en milieu de soin, correspondait à un
réel besoin chez la personne hospitalisée.
LA DÉMARCHE UTILIS&E
Mon présupposé était bien qu’ily avait me aggrcssion dom t’cnvironncment sonore instit~timml horpi*&r.
Afin de ne pas décider de ce qui serait « bon »pour
le malade, de ne pas raisonner SU~ des impressions
contestables, j’ai essayé, méthodologiquement, de
mesurerau traversd’entretiensdirectifs, les habitudes, les appréciations, les souhaits des personnes
dans les domaines conjugués des soins et de la
musique.
Parce que I’Hammc est cn interaction avec mn environnement, cet environnement en institution o des répercwss&ts J#r le conrportmecnt humain ; quelles pouvaient
ètre ces répercussions ?
J’ai choisi deux populations (pour les étudier) :
Une population de personnes hospitalisées dans un
service de chirurgie cardio-vasculaire (afin de faire
MUSIQUE ET SOINS
INFIRMIERS
la différence entre l’environnement sonore’familial
et l’environnment sonore institutionnel) ; une
autre population de personnes, à leur domicile,
et porteuses de prothèses valvulaires cardiaques
ipour différencier la perception des sons intérieurs
au corps-bruit de la valve cardiaque par exemple
-de la perception des sons extérieurs au corps).
Les résultats du premier ensemble d’entretiens
directifs, au chevet des personnes hospitalisées
(30 au total) tendaient à vérifier l’hypothèse selon
laquelle la musique contribue à l’amélioration
de I’environncmcnt
des pcrronnes hospitalisées, et peut
Jmriser la détente, le sommeil, le mieux être,
dans la mesure 6ù le milieu institutionnel peut être
à priori vécu comme <i aggressif ».
Mon objectif était de mesurer l’intérêt de ces personnes par rapport à la musique et en conséquence
d’évaluers’il y aun besoinàcomblereninstitution.
Le
deuxième
questionnaire
auprès de
30 personnes, trouvées dans leur environnement
habituel, porteuses de prothèses valvulaires, s’articulait autour de l’hypothèse suivante : l’institution
de soin est un espace dans lequel il y a beaucoup
de bruits aggressifs ; l’individu est à l’écoute de
son corps, d’autant plus qu’il est atteint par la
maladie ; /a mmiqm n’mt pas un traitemmt mair
peu*« couvrir a ca bruits. Mo” but était de découvrir
l’intérêt de certains malades face aux bruits
ambiants d’une par?, face aux bruits du corps d’autre part.
A partir de mon recueil d?informations, j’ai été
plus particulièrement séduite par les problèmes
d’ambiance sonore et musicale dans le milieu de
roi”, orientant de ce fait mes réflexions sur le
besoin d’environnement musical exprimé par les
patients.
Dès ce moment donc, j’ai à nouveau posé une
hypothèse : I’hospitaLisatim
entraîm une régression
rhq Ier personnes soignées ; ce mécanisme dc dej%se du
mipcut re ré&er ~II trmws dn besoin d’environnment
amical, cc besoin étant compris cn *art que pbÉnomène
fmmi*ionnc/. En effet selon WINNICOTT, l’espace
mnsitionnel c’est l’« aire de développement et
.‘expérience de l’individu.... les phénomènes tran;ition”els se répandent dans le domaine culturel...
:ette aire potentielle fait suite à l’aire de jeu de
,‘enfant ».
Cettedernière hypothèseaétéstatistiquementvéritïée et validée au moyen du test de Khi deux.
Si d’une part j’ai réalisé un travail sur le terrain,
d’autre part, mes recherches ont été complétées
dans un domaine plus théorique par la consultation
d’une bibliographie, par des discussions avec des
conseillers, des experts.
MUSIQUE ET SOINS INFIRMIERS
-ou- UNE NOTE DE PLUS DANS LA GAMME DES SOINS
BESOIN D’ENVIRONNEMENT
DES PERSONNES SOIGNÉES
SONORE
L’identification des personnes consultées montre
que la différence entre les deux populations est
infime. Les hommes ont été plus nombreux en
général. Ces personnes interrogées se situaient
essentiellement dans les classes d’âge supérieur ou
égal à 31 ans: Cela paraît « normal », problème
cardio-vasculaire oblige ! Les retraités et les inactifs étaient nombreux.
Dans leur environnement habituel cuhrel, nour ~emmqf4om que Pécoute radiophonique ou téhiiée estgénérab-
ment trèsfréquente,
qu’au niveau des achats les chansons ont beaucoup de succès. La fréquentation de
concerts ciasriquer, lyriques est suivie (tradition du bel
canto dans la région toulousaine peut être ?) alors
que les concerts pop-rock... semblent délaissés
(mais n’oublions pas que notre population n’est
pas des plus jeunes).
La musique classique est peut-être aimée pour son
caractère connu, harmonieux, rassurant ?Les gens
consultés sont des « chanteurs »et le temps dévolu
au chant passe par la cérémonie et le repas (le repas
est comme la chanson une sorte de régression ;
c’est un temps a libéré B) ainsi que par la berceuse
(a résonance » psychanalytique).
Notons toujours ou presque la perception d’un
miZieu modifié en établissement de soin. L’échelle de
qualification des perceptions sonores tend m-s le
trop sonore et le besoin de protection contre Le bruit est
réellment ressenti. Des meswes de lutte montre le bruit
sontsouhaitées
; est souvent demandée une réorgani-
sation de notre travail de soignant dans le temps
(pourquoi par exemple la surveillance de ta température à 6 heures le matin ?)
Le souhait d’ambiance musicale en milieu de soin
est important :76,6 % voient m intérêt dansla création
d’une animation musicale dans le service, )6,6 % y
participeraient activement, 20 % donnent des
exemples : ambiance musicale dans les couloirs et
les salles d’attente, dancing, discothèque de prêt,
soirées, fêtes, bals, participation des familles, prêt
de matériel... mais la demande d’univers musical
est
essentiellement
orientée
vers-premièrement,
l’ambiance musicale particulière, en chambre, avec
choix de programme et possibilité d’interrompre
et/ou - deuxièmement, l’animation périodique,
en salle de réunion. Notons que les réserves émises
sont dues à l’état du corps. les personnes mahdes
croient gémWement
musique.
acquérir un mieux être par la
La lutte contre le bruit ne devra pas tendre vers le
silence. En effet les enquêtes nous révèlent que le
bruit est rassurant er le silence anxiogène
Musique et mins
infirmiers
en
LE BESOIN
D’ENVIRONNEMENT
MUSICAL
Cette é’tude tend à montrer que la musique va servir
de transition entre l’espace hospitalier et Pesparefamilier. II est habituel de constater dans les entretiens,
d’une part une corrélation ‘entre musique et fête et
d’autre part, maladie ou hôpital et silence.
Aussi le vécu de l’introduction de la musique à
l’hôpital apparaît dans un premier temps paradoxal.
Mais en fait l’hospitalisation entraîne une régression chez les personnes hospitalisées ; nous sa.von~
maintenant que cette régression peut se véritïer au
travers du besoin d’environnement musical ; ce
besoin étant compris en tant que phénomène transitionnel.
D’après R. KAES « toute expérience de rupture
vient, pour le sujet, mettre en cause douloureusement la continuité de soi, l’organisation de ses’
identiflcarions et de ses idéaux, l’usage de ses mécanismes de défense, la cohérence de son mode personnel de sentir, d’agir et de penser, la fiabilité de
ses liens d’appartenance à des groupes, l’efficacité
du code commun à tous ceux qui, avec lui, participent d’une même socialité et d’une même culture ».
La rrrptureprouoqmé~ar
la maladie angoisse le s@et qui
régresse et éuoh uers la dépendance. L’hospitalisation
représente alors un temps d’attente. H. ROUVIERE écrit que « ce temps mort peut précéder la
phase de créativité, mais pour cela, il faut que le
malade trouve un sujet qui puisse tenir lieu de
cadre, d’étaie, pour que legrocessus de reconstruction ait lieu et que le malade renaisse à autre
chose 1,.
Pour le patient, Ja musique peut entraîner un état de
détente dans des conditions de confiance combinées à la
fiabilité, basées sw Pe.xpérience vécw. Elle peut réuéh
me activité créativephysique
et menlale (un patient qui
présentait une rupture de projet d’existence due à
l’hopitalisation va d’abord s’écouter puis s’exprimer pour enfin se dépasw).
Aidé par le soignant, qui.accepte la communication et qui a la confiance du patient, celui-ci peut
se retrower et exister en tant qu’individu unique,
« non comme une défense contre l’angoisse, mais
comme l’expression du - je suis - je Suis en
vie - je suis moi-même - A partir d’une telle
position, tout devient créatif. L’environnement
musical est ainsi exploité en thérapie. Il est habituel
de dire que « la musique adoucit les mceurs
adoucit aussi les maux....
» ; elle
LA MUSIQUE ADOUCIT LES MAUX
A partir des localisations corticales du sens de la
musique nous pouvons découvrir les échos de
cet art chez la personne au travers de données
psychophysiologiques, d’effets biologiques ; avec
la neurophysiologie de la réceptivité à la musique
nous trouvons dans la gamme des soins, les méthodes psychomusicales ou musicothérapie.
En effet le sens de la musique a été reconnu dans
ces localisations corticales ; au niveau du cortex
des deux hémisphères, le message musical rythmique est reçu, décodé, intégré. Les sons transmis
par l’oreille au cortex se transforment en émotions
et réactions ; l’intensité et la nature de celles-ci
est individuelle. Affectivité, émotions et mémoire
sont intimement liées au niveau de l’activité musicale du cerveau.
L’étude des mécanismes de perception et d’intégration de la musique fait apparaître soit des réactions
physiologiques externes (PAVLOV) exemple :
transpiration, agitation, fuite, s&vation... soit des
réactions psychologiques internes : un changement d’humeur ou de sentiment par exemple.
Ces réactions sont expérimentées en musicothérapie. « La musicothérapie représente une voix, une
relation thérapeutique utilisant la musique, le son,
le geste, aussi bien à travers l’écoute que de façon
active, individuellement ou en groupe, par le biais
de techniques plus ou moins strictement codifiées,
dans des buts adaptés à ses champs d’application (le
principal étant le champ psychiatrique à l’intérieur
duquel, multiples peuvent être les objectifs) et
au contexte d’exercice » C. SOLVES. Adage du
musicothérapeute : guérir quelquefois, soulager
souvent, consoler toujours, la musicothérapie tend
à stimuler les énergies positives, tout ce qui est
créatif et constructif chez le patient, aide à vaincre
les attitudes de défense dans un climat de sécurité
et de paix, alors que le patient confie ses problèmes,
ses difficultés.
Le malade ne doit régksser pour fuir le réel, ne
doit pas être dépendant ; la mur@ entraîne une
régression bénigne avec un débouché sur la vie
extérieure.
La maladie et l’hospitalisation étant un moment de
crise existentielle, u le soignant doit être celui qui
accepte de recevoir activement, de contenir et de
transformer les projections du sujet en crise »
H. ROUVIERE
LA MUSIQUE,
LA PERSONNE SOIGNÉE
ET LE SOIGNANT :
QUELLE RELATION ?
Pour qu’il y ait parole, il faut qu’il y ait silence ; le
silence s’instaure quelquefois entre le soigant et le
soigné ; Je soigant doit ravoir communiqwr non verbalement et ami interpréter le silence...
« le silence du refus ou le silence’du consentement,
le silence de la perplexité ou de la discrétion,
le silence de la hargne ou de l’amitié,
le silence du mépris ou de l’admiration,
le silence du démon muet ou de l’âme en prière...
tout silence du patient devient une réticence involontaire, une dissimulation qui s’ignore, une
manière de se trahir, c’est-à-dire de se dire sans le
vouloir ni le savoir » J. RASSAM
Lorsque l’individu se trouve seul avec lui-même,
seul avec ses propres bruits, ses propes soucis, le
bruit des autres peut être WI secours, un masque. .<.
Mais le bruit des autres est subjectik Il moditïe la
relation à autrui comme en témoigne une enquête
sur les comportements d’assistance suivant le bruit
ambiant (celui-ci diminue d’autant plus que le
niveau sonore augmente).
Le bruit dans les hôpitaux au travers de notre
enquête révèle une appréciation relevant du « trop
sonore » dans 40 % des cas. Nous pourrions rapprocher ces résultats de ceux sur le comportement
d’assistance : quel comportement aura justement
le personnel des établissements de soin, quelle
assitance
peut être offerte par rapport au bruit
ambiant ?
Le langage verbal est quelquefois maladroit pour
rompre un silence. « Il y a en nous un univers de
symboles qui déborde de toutes parts le monde de
l’intellect et ne saurait s’exprimer adéquatement
par le langage parlé ». MARIE J.M.
La musique peut alors être une clef dans nos
relations ; elle peut aussi couvrir certains bruits.
Mais il convient, de tenir compte de la personne
traitée en tant qu’individu, avec sa propre culture
(extrème variabilité d’impressions selon la culture,
l’environnment et les dispositions du moment).
La musique pourrait apporter une dimension nouvelle à la relation soigné/soigant. La mmiqz4e ut
considérée comme wz outil de communication, particulièrement utilisé dans les services,de psychiatrie
où l’on peut penser qu’il y a des troubles de la
communication.
LE ROLE PROPRE INFIRMIER
C’EST AUSSI HARMONISER
L’ENVIRONNEMENT SONORE
Dans ce domaine il n’y a pas de solution générale ;
il faudra étudier le propre de chaque situation
(gérer les besoins par rapport aux contraintes). Cc
doit être un projet institutionnel (ne pas aborder
seul le changement) qui nécessite une motivation
collective au niveau du service. II faut penser à la
qualité du soin par rapport au coût : c’est un soin
dont l’incidence économique est difficilement
mesurable (la durée d’hospitalisation peut
diminuer ? la publicité peut être non négligeable
pour l’entreprise ?),
Pour déboucher sur un projet professionnel cela
nécessiterait une formation de l’animateur, une
étude de marchés, une analyse cyclique de la situation de travail et’des besoins des patients. Quelques
solutions peuvent être expérimentées.
En ce qui concerne lapréuention du bruit.,on peut
veiller à la conception des locaux (amélioration de
la résonance,,des matériaux, des sonneries...). Des
études ergonomiques seront réalisées pour évaluer
le niveau sonore par rapport à l’organisation du
rravail. L’effet de masque, c’est-à-dire la couverture d’un son par un autre, est,souvent
utilisé avec
la musique asskié à des effets psychplogiques
(arbres, buttes de terre...)
Pour ce qui est d’une animation musicale en
service on peut prendre exemple SUI les expériences
réalisées en incubateurs de nouveau-né, en salle
d’accouchement, en salle d’attente surtout chez les
chirurgiens dentistes. Des ateliers de musique, des
chorales, des auditoriums, des parcs à sons, sont
d’autres solutions parmi tant d’autres possibles.
L’utilisation de la musique est un facreur de changement qu’il convient de « manager ».
Si vous vous demandez encore pourquoi la musique... la réponse est la suivante : la musique n’est
pas qu’occupationnelle. C’est unfacteur régressif
(intervient dès avant la naissance) qui occupe un
espace potentiel, transitionnel; c’est l’aire de développement et de l’expérience de l’individu, qui
représenteunmoyendecommunication,unmédiateur amélioranr l a r&tion soignanr/soigné. En
somme la musique est un moyen d’apaisement
pour le patient qui ne vit plus en fonction du bruit
de l’hôpital mais qui s’évade.
Le soignant se trouve dans l’exigence d’une
démarche considérant l’homme et sa culrure,
l’homme dans sa globnlité.
Le soignant doit faire preuve de créativité.
BIBLIOGRAPHIE
COLLIERE M.F., promkwir fa vie, Paris, Inter
Editions, 19Sr, 391 p.
WINNICOTT D., Jeu et réu/a(iré, Paris, Editions
Gallimard, 1971, 111 p.
KAES RI, cité dans CLANET C., Vers uneprobiématique de Pintercultwel, Homo XXIV, 1984, pp.
6.32. Editions de l’université de Toulouse-Mirail.
ROUVIERE H., Cours donnés à I’écoie de cadres
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SOLVES C., Reiationsp-ycho-musica/esàproporBunc
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Toulouse, Université Paul Sabarier, rhèse no 134, 1981, 130 p.
CREPEAU M., Enquête~~~lercomportementsd’arsirtance, Oreille oubliée, Paris, Ed. du Centre Georges
Pompidou, 1982, p. 5~.
MARIE J.M., Des soinr inrensér 7, Les cahiers de
l’animation musicale, mars 1985, no 36, p. 64 et 61.
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