L`Efiet Brebis Galeuses : réactions à la déviance en contextes entre

Revue électronique de Psychologie Sociale, 2008, N°3, pp. 25-39PAGE 25
L’Eet Brebis Galeuses : réactions à la
déviance en contextes entre groupes
Tartempion est la brebis galeuse de la famille”. Nous avons tous
déjà entendu ou utilisé cette expression. Marques et collègues
(Marques, Yzerbyt et Leyens, 1988) ont utilisé le terme eet brebis
galeuses” pour rendre compte de la façon dont les individus
perçoivent et évaluent une personne-cible qui se conduit, soit de
façon conforme (normative), soit de façon contraire (déviante) à
leurs attentes normatives, que cette personne-cible appartienne au
même groupe (endogroupe) ou à un autre groupe (exogroupe).
Isabel R. Pinto est professeur auxiliaire en psychologie sociale
expérimentale à l’Université de Porto, Portugal. Ses recherches portent
notamment sur la dynamique des groupes subjective, les processus
de socialisation dans les groupes et d’identication au groupe.
José M. Marques est professeur en psychologie sociale à l’Université
de Porto, Portugal. Il travaille dans les domaines de la dynamique de
groupes et de l’identité sociale et il est à lorigine des recherches sur
l’eet brebis galeuse et sur la théorie de la dynamique des groupes
subjective.
Pour citer cet article :
Pinto I. R. et Marques J. M. (2008). L’Eet Brebis Galeuses : réactions à la
déviance en contextes entre groupes. Revue électronique de Psychologie
Sociale, n°3, pp. 25-39. Disponible à l’adresse suivante : <http://RePS.
psychologie-sociale.org>.
Le contenu de la Revue électronique de Psychologie
Sociale est sous contrat Creative Commons.
Isabel R. Pinto et José M. Marques
Université de Porto, Portugal
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Par exemple, dans les premières études réalisées sur ce sujet, Marques, Yzerbyt
et Leyens (1988, Études 1 et 2) ont observé que des étudiants belges évaluaient
d’autres étudiants belges présentés comme sympathiques ou qui participaient
dans la vie estudiantine (membres normatifs de l’endogroupe) de façon plus
positive que des étudiants nord-africains présentés de la même façon (mem-
bres normatifs de l’exogroupe). Cependant, ils évaluaient des étudiants belges
antipathiques ou qui ne participaient pas dans la vie estudiantine (membres
déviants de l’endogroupe) de façon plus négative que des étudiants nord-afri-
cains antipathiques ou qui ne participaient pas dans la vie estudiantine (mem-
bres déviants de l’exogroupe). On observe l’effet brebis galeuses lorsque que
les individus jugent un membre normatif de l’endogroupe de façon plus favo-
rable qu’un membre normatif de l’exogroupe, et qu’ils jugent, simultanément,
un membre déviant de l’endogroupe de façon plus défavorable qu’un membre
déviant de l’exogroupe (voir Figure 1).
Plus récemment, Marques et collègues (par exemple, Marques, 1993; Marques
et Páez, sous presse) ont proposé un modèle théorique qui explique et qui dé-
crit le contexte sociocognitif à la base de l’effet brebis galeuse: le modèle de
la dynamique de groupes subjective (DGS). Ce modèle s’inspire de plusieurs
théories sur les comportements groupaux et les réactions à la déviance dans
les groupes, notamment l’approche de l’identication sociale, comprenant les
théories de l’identité sociale (Tajfel, 1969, 1972, 1978) et de l’auto-catégori-
sation (Turner, Hogg, Oakes, Reicher et Wetherell, 1987), et la psychologie
sociale expérimentale des groupes de face-à-face (par exemple, Levine, 1980).
Identication sociale et comportement de groupe
L’effet brebis galeuses semble correspondre à un cas spécial de l’approche de
l’identication sociale. C’est pourquoi, pour bien comprendre le modèle de la
DGS, nous devrons passer en détail certains aspects centraux des théories de
l’identité sociale et de l’auto-catégorisation.
Comme le proposent ces théories, souvent nos comportements, même s’ils nous
semblent individuels au premier abord, sont en réalité des comportements de
groupe, c’est-à-dire des comportements guidés par notre sentiment d’apparte-
nance à une catégorie sociale donnée. Ainsi, nous nous comportons parfois en
«français» ou en «portugais», parfois en «femme» ou en «homme», parfois en
Figure 1. Leet brebis galeuses
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«étudiant» ou en «professeur», parfois en «de gauche» ou en «de droite», par-
fois en «parent» ou en «enfant», etc. Dans tous ces cas, nos comportements,
nos perceptions, nos jugements, dépendent plus fortement du fait que nous
nous dénissons nous-mêmes en tant que membres d’un groupe que de nos
caractéristiques individuelles, qui nous rendent, chacun, une personne unique
et différente de toutes les autres. Il s’agit donc de comportements de groupe,
non pas nécessairement parce qu’ils sont collectifs ou parce qu’ils ont lieu dans
des contextes sociaux objectivement dénis comme «groupaux», mais parce
qu’ils découlent de notre identication psychologique à une catégorie sociale
dans une situation donnée. Loin de traduire une simple similitude, accord ou
sympathie à l’égard de quelqu’un de désirable, et une simple différence, désac-
cord, ou antipathie à l’égard de quelqu’un d’indésirable, l’effet brebis galeuses,
correspond effectivement à un comportement de groupe. Voyons comment.
Le « moi endogroupal » : tacontraste, auto-stéréotypie, favoritisme
pro-endogroupe et interdépendance au sein de l’endogroupe
De ce que nous avons vu jusqu’à présent, il découle que la DGS conçoit la
déviance comme un phénomène fortement lié à la motivation des individus
à construire et à maintenir une identité sociale positive. En fait le modèle ne
s’adresse pas tant à la déviance en soi qu’aux réactions qu’elle suscite auprès
des individus qui s’auto-catégorisent en tant que membres d’un groupe.
Métacontraste et moi endogroupal
Selon la théorie de l’auto-catégorisation, nous nous identions à un groupe
d’abord à travers la mise en œuvre d’un métacontraste: dans une situation
donnée (par exemple, un match de football), nous commençons par percevoir
une corrélation entre des stimuli présents dans la situation (par exemple, les
couleurs des maillots de joueurs) et des catégories qui nous sont cognitivement
accessibles (par exemple, leurs clubs respectifs). Nous interprétons la situation
d’autant plus fortement en termes d’opposition entre deux catégories que les
différences que nous percevons entre les membres de ces deux catégories sont
plus fortes que leurs similitudes, et que les similitudes perçues entre les mem-
bres de chacune de deux catégories sont plus fortes que les similitudes entre
membres des deux catégories opposées. La réunion de ces conditions permet
l’émergence d’un métacontraste. Le métacontraste est le processus à travers
lequel nous réduisons encore plus fortement les différences intra-catégorie tout
en augmentant les différences inter-catégories en construisant des prototypes
catégoriels. Ces prototypes correspondent à des représentations des catégories
formées uniquement par les caractéristiques qui différencient le mieux chaque
catégorie de la catégorie opposée (Turner et al, 1987; voir Encadré 1).
Une fois en possession d’un prototype représentatif de l’endogroupe, nous nous
attribuons nous-mêmes les caractéristiques de ce prototype. Elles deviennent,
par là, les caractéristiques représentatives à la fois de l’endogroupe et du moi:
le moi endogroupal (par exemple, Hogg, 1992). On parle, alors, d’un processus
d’auto-stéréotypie: dans les moments plus ou moins longs qui suivent ce pro-
cessus, nous nous voyons comme un élément représentatif de l’endogroupe, au
même titre que tous les autres membres de cette catégorie.
« souvent nos comportements, même s’ils nous semblent individuels
au premier abord, sont en réalité des comportements de groupe »
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Moi endogroupal et auto-stéréotypie
L’auto-stéréotypie rend l’endogroupe et le moi une seule et même chose. Par
exemple, une personne peut se voir en tant que «Française», ou, en alternative,
en tant qu’»Européenne» ou en tant que «femme», ou en tant que membre
d’une autre catégorie sociale. Dans une telle situation, la personne ne tiendra
compte que des caractéristiques qu’elle partage avec cette catégorie. C’est-
à-dire, elle oubliera ce qui la distingue des autres en tant que personnes, et
mettra l’accent exclusivement sur ce qu’elle pense avoir en commun avec les
autres membres de son groupe. «Moi» et «Nous» deviennent alors totalement
équivalents. En effet, il n’est pas rare d’entendre des conversations entre deux
personnes qui parlent entre elles comme si en effet il s’agissait de deux grou-
pes: «vous avez mal joué», ou «l’arbitre était biaisée contre nous» sont des
expressions que nous pouvons écouter dans une conversation de bistro entre
deux copains à la suite d’un match transmis à la télévision. Aussi (et, peut-être,
surtout…?) lorsqu’ils ne sont pas des joueurs de ces équipes.
Auto-stéréotypie et favoritisme pro-endogroupe
Une telle auto-stéréotypie fait en sorte que l’attitude favorable que nous avons
à l’égard de nous-mêmes devient tout autant un favoritisme pro-endogroupe.
Nous serons amenés à valoriser positivement l’endogroupe, ses membres, leurs
caractéristiques prototypiques, les performances groupales au détriment de
Encadré 1 : catégorisation, métacontraste et focalisation descriptive
Comme le soulignait Tajfel (1969), nous avons tendance à percevoir des attributs continus (par
exemple, la gradation des couleurs des rectangles supérieurs) en termes de catégories discrètes (par
exemple, les rectangles inférieurs). Mais, comme le signalent Turner et collègues (1987), nous le
faisons de telle sorte que, simultanément, nous maximisons les différences entre les membres de
deux catégories (les 4 rectangles bleus, à gauche, par opposition aux 4 rectangles verts, à droite),
tout en maximisant les similitudes à l’intérieur des deux catégories (c’est pourquoi les couleurs des
rectangles inférieurs correspondent aux couleurs «moyennes» de ceux qu’ils représentent): c’est le
principe du métacontraste.
Le métacontraste nous permet ainsi de décrire ces stimuli en termes de rectangles «bleus» et rec-
tangles «verts», raison pour laquelle la DGS considère les prototypes comme étant associés à une
focalisation descriptive.
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l’exogroupe. Il va de soi que la valeur positive ou négative des autres membres
de l’endogroupe rejaillit entièrement sur nous-mêmes, par le biais de notre
appartenance commune et du partage total des caractéristiques prototypiques
de l’endogroupe. Le métacontraste et la perception du partage total des ca-
ractéristiques prototypiques de l’endogroupe par le biais de l’auto-stéréotypie
créerait une perception d’interdépendance absolue entre les membres de l’en-
dogroupe pour la valeur de l’identité sociale. C’est cette interdépendance qui
est à la base de l’effet brebis galeuses.
Favoritisme pro-endogroupe et interdépendance au sein de l’endogroupe
La DGS dénit la déviance comme l’émergence d’opinions, comportements
ou caractéristiques vues par les membres d’un groupe comme indésirables
chez d’autres individus qui peuvent appartenir ou ne pas appartenir au même
groupe (Marques, Abrams, Páez et Hogg, 2001; Marques et Páez, 1994). Si
les déviants appartiennent au groupe de l’individu qui les observe, ils auront
un impact signicativement supérieur à celui de déviants appartenant à l’exo-
groupe (cet impact différentiel des déviants de l’endogroupe et de l’exogroupe
se matérialise en termes de l’effet brebis galeuses). Mais l’impact de la déviance
dépend aussi du type de norme violée.
Focalisation descriptive et focalisation prescriptive
Depuis les travaux de Sherif (1936, 1966), les fonctions des normes sociales sont
bien connues. D’une part, les normes correspondent à des cadres de référence
qui dénissent les comportements, les opinions, les caractéristiques plus fré-
quents, plus adéquats et plus attendus chez les membres d’un groupe. D’autre
part, les normes fonctionnent comme éléments de contrôle social puisqu’el-
les établissent les récompenses ou les punitions associées aux comportements
émergeant au sein du groupe, selon ce que ces comportements sont conformes
ou se dévient des spécications normatives (Jones et Gerard, 1967).
Néanmoins, l’expression «norme sociale» est moins claire qu’elle n’apparaît
au premier abord. En effet, comme le proposent les théoriciens de la DGS,
on peut distinguer deux types de jugements normatifs - qu’ils désignent par
focalisation descriptive et focalisation prescriptive (voir Marques et Páez, sous
presse) - pour comprendre pourquoi les individus réagissent de façon aussi
négative aux déviants de l’endogroupe dans les jugements normatifs des indi-
vidus.
La focalisation descriptive sert à dénir les contextes inter-groupaux, c’est-à-
dire, elle se centre sur les caractéristiques et les comportements qui servent à
distinguer les groupes sociaux et à catégoriser des individus particuliers com-
me membres de ces groupes. Par exemple, la couleur de la peau, le sexe, la
nationalité, correspondent à des critères normatifs descriptifs, qui permettent
la différenciation entre groupes et la reconnaissance des appartenances grou-
pales des individus en fonction de ces critères. Pour donner un autre exemple,
dans un stade de football, les couleurs des écharpes des spectateurs correspon-
dent à une norme descriptive, qui permet, non seulement de rendre compte de
la situation en termes d’une différenciation entre groupes (les supporters des
«bleus» vs. les supporters des «rouges», par exemple), mais aussi de catégori-
ser un individu particulier dans l’un de ces groupes («Tartempion porte une
écharpe bleue, de quelle équipe est-il supporter?»).
Complémentairement, la focalisation prescriptive se centre sur des caracté-
ristiques ou des comportements qui ne distinguent pas les groupes, mais qui
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