le scepticisme relatif à la place de l’éthique dans la vie des affaires prend
des formes multiples et certaines sont particulièrement résistantes à la cri-
tique. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons à quatre d’entre elles.
Elles relèvent respectivement de l’idéologie, d’une certaine conception de
la nature humaine, de la place accordée à la théorie éthique pour résoudre
des problèmes pratiques et de la méta-éthique.
La première forme de scepticisme sur la place de l’éthique dans la vie des
affaires est idéologique. Elle repose sur une critique des fondements de
la vie économique marchande qui prend place au sein d’une dénoncia-
tion plus large, politique, sociale et économique, des effets nuisibles du
libéralisme et du capitalisme. Selon cette critique, le système économique
lui-même fait obstacle au progrès moral. Seul un changement du système
pourrait favoriser un tel progrès. La critique purement idéologique demeu-
re marginale au sein de l’éthique des affaires académique, mais certains
arguments peuvent y être rattachés, par exemple ceux qui s’intéressent au
concept marxiste d’aliénation (Corlett, 1988 ; Sweet, 1993) ou à la démo-
cratie dans l’entreprise (McMahon, 2010).
La deuxième forme de scepticisme dépend d’une conception égoïste de la
nature humaine. Si l’on considère que les raisons d’agir des agents sont
fondamentalement égoïstes et qu’elles ont pour contenu la recherche du
pouvoir et de la richesse, il semble difficile de ne pas douter de l’efficacité
de la morale dans la vie économique. Ce scepticisme trouve par exemple
sa source dans les Discours de Machiavel où est affirmée l’importance du
désir de dominer qu’éprouvent les gouvernants et de la volonté d’acquérir
qui motive les actions humaines. Il s’inspire aussi des auteurs qui, comme
Robert Michels (1911), se sont intéressés aux modes d’accession et de
maintien au pouvoir des classes dirigeantes. Et c’est au sein de cette forme
de scepticisme que s’inscrit le modèle classique de l’homo œconomicus –
cet être imaginaire motivé par la seule satisfaction de son intérêt personnel
–, bien que ce modèle soit remis en cause au sein des sciences sociales, y
compris dans l’économie moderne.
Cette forme de scepticisme est présente dans l’éthique des affaires. On la
trouve chez les auteurs qui se sont intéressés à l’amoralité et à l’immo-
ralité dans les affaires, par exemple Archie Carroll (1991). Elle est aussi
présente en arrière-plan de conceptualisations normatives comme celle de
Donald Robin et Eric Reidenbach (1993), qui cherchent à fonder une phi-
losophie morale du marketing (voir la deuxième partie).
La troisième forme de scepticisme sur la place de l’éthique dans la vie des
affaires peut être qualifiée d’anti-théorique. Bertrand Russell (1925), qui
ne croyait pas en l’existence d’un savoir éthique, en a donné un exemple
frappant. Pour lui, la source de tout comportement humain se trouve dans
le désir, et non dans des injonctions morales qui seraient indépendantes