autre chose et se dire que demain sera un autre jour. Remplir un vide interne avec une substance
externe qui a comme effet de soulager une angoisse profonde. Ainsi, il s'agit de remplir le quotidien,
le vide du temps qui devient insupportable: beaucoup d'hyperactivité dans la semaine et une longue
nuit pour le week-end en pyjama ou survêtement, accompagné de quelques somnifères par exemple.
Il y a d'autres personnes qui se soumettent à des pratiques sportives intenses permettant que l'activité
physique -et les endorphines qui y sont associées- occupent l'espace mental et agissent comme
anxiolytique et anesthésiant ; pendant ce temps ce qui fait mal est mis à distance pour un temps.
3. Il y a ces patients qui vont régulièrement en consultation médicale pour des problèmes somatiques
chroniques. Des auteurs ont répertorié sous le terme de« dépression essentielle» cette dépression
sans objet, sans auto-accusation, où le sentiment de dévalorisation personnelle et de blessure
narcissique s’oriente électivement vers la sphère somatique, en raison de la précarité du travail
mental. L'essentiel des processus mentaux se passe au niveau concret et factuel : manger pour
manger (sans plaisir), la personne vit essentiellement dans le concret, elle a une vie phantasmatique
et imaginaire précaire. Elle ne parvient pas à parler d'elle même. Ces troubles dépressifs prennent la
forme d'un syndrome somatique qui touche aussi bien les systèmes végétatifs que fonctionnels
(nerveux-central, vaso-végétatif, cardio-vasculaire, gastro-intestinal, génito-urinaire, musculaire,
osseux). Des troubles somatiques divers sont l'expression d'un mal- être qui ne peut pas être élaboré
par le sujet, amené à la conscience, et par conséquent, verbalisé. Quelques médecins traitants
reconnaissent qu'une partie non négligeable de leurs patients relève de ces tableaux nosographiques.
Une médecine psychosomatique s'est constituée pour approcher plus finement ces désordres
somatiques très intriqués à des problèmes psychologiques restés enfouis et non exprimés. Tel patient
dira à son psychothérapeute après des années de douleurs stomacales: «je me rendais bien compte
que c'est mon corps qui parlait alors».
4. Quand cette souffrance amassée remonte en soi, certaines personnes sont dans l'impossibilité de
la supporter: il leur faut anéantir cette douleur coûte que coûte, quitte à se détruire (ils sont plus de
10000 en France tous les ans). Ils n'ont pas appris au début de leur chemin de vie que les embûches
existent et qu'il faut les surmonter, que le bonheur n'est pas un état. Il se peut aussi que, dès leur
naissance, ils ne se soient jamais sentis portés affectivement ; depuis qu'ils sont nés, leur existence
n'est qu'un long cri de douleur. Ces personnes ne peuvent plus croire à une écoute possible, à un
regard fraternel. Cet amas de souffrances les rend aveugles à la main tendue. Il arrive bien
heureusement qu'au moment du geste, le besoin de parler naisse tout à coup, si cette personne trouve
alors une écoute, il importera de l'accompagner vers l'apprentissage de la parole de la souffrance
pour reprendre pied dans sa vie.
D'autres personnes peuvent, au lieu d'arriver au suicide, décider sur l'instant de s'enfuir, de
disparaître symboliquement et non pas dans le réel. Il y aurait ainsi quelque 5000 personnes chaque
année en France qui disparaitraient- on ne sait où sur la planète-, laissant leurs proches dans un grand
trouble pour de longues années.
Une autre forme de passage à l'acte pour éloigner un affect douloureux peut aussi se traduire par des
agressions sur l'autre, ce dernier représentant alors la cause de mal-être et devant être éliminé.
5. «Chez ces gens là, monsieur, on ne cause pas ! »(Ces gens là , de Jacques Brel, 1966). Il faut
ajouter à la population des «handicapés de la parole» ceux dont les fonctionnements familiaux ne
permettent pas à leurs membres d'apprendre à exprimer leurs émotions et de parler de leur mal- être
quand il s'installe. Dans ces familles (à tous les étages de la société), beaucoup de bavardage
quelquefois sur les tâches à accomplir, la consommation, le «faire» de toute la journée, mais on n'y
parle pas de son ressenti. L'expression des affects dans ces familles est un tabou, un interdit, un non-