Actes du VIIIème Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC) Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. L'auteur assume la responsabilité du texte et en garde les droits. Approches culturelle et interculturelle comparative: vers une intégration de paradigmes complémentaires par Bertrand TROADEC Université de Toulouse-Le Mirail (UTM) UFR de Psychologie Département de Psychologie du Développement Laboratoire Développement, Contextes, Cultures (LDCC) 5, allées Antonio Machado 31058 - Toulouse - Cedex 1 France Tél./fax: +33 (0)561.407.693 E-mail: [email protected] Résumé: Les débats traditionnels en psychologie interculturelle différencient souvent une approche dite culturelle (cultural approach) et une approche dite (inter)culturelle comparative (crosscultural approach). L'opposition des courants qui résultent de cette différenciation prend parfois la forme d'une «bataille» entre celui qui est «dans le vrai» et celui qui est «dans l'erreur». Le projet de la communication proposée est d'exposer les fondements des deux approches et, plus spécifiquement, ce qui les rassemble et les sépare. Toutefois, l'objectif est aussi de montrer la stérilité d'une telle opposition et d'envisager son dépassement. Il en résulte nécessairement le passage d'une pensée scientifique dualiste, qui sépare et oppose les approches culturelle et (inter)culturelle comparative, à une pensée scientifique de la complexité, qui conjoint et intègre les deux approches en complémentarité. 1 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Introduction Le philosophe de l’esprit John Searle, «l’un des plus influents et féroces critiques du cognitivisme et de l’intelligence artificielle» (Dupuy, 2000, p. 53), affirme que «tout état conscient est l'état conscient de quelqu'un» (Searle, 1995, p. 139). L’auteur met ici l’accent sur le fait que, même dans le cadre de la connaissance scientifique, la subjectivité ou l’intentionnalité de celui qui la produit est essentielle. «Autre conséquence de la subjectivité: toutes mes formes conscientes d'intentionnalité [celles de Searle] qui me donnent une information sur le monde indépendamment de moi se font toujours à partir d'un point de vue particulier. Le monde lui-même n'a pas de point de vue; en revanche, mon accès au monde par le biais de mes états conscients a toujours une perspective, il se fait toujours à partir de mon point de vue» (p. 140). Aussi, bien que ce soit inhabituel en psychologie du développement cognitif, mais dans la mesure où la réflexion qui suit est faite à partir du point de vue subjectif de son auteur, l’introduction et la conclusion de la communication sont à la première personne (je). J’ai passé plus de 20 ans de ma vie en Océanie, dans le Pacifique Sud. Parmi les événements les plus marquants de cette expérience personnelle, il y a eu mon adoption (ou fa’a’amu) par une famille polynésienne. J’ai donc eu la chance d’avoir une deuxième mère et un autre frère. Avec ce dernier, il a toujours été évident que je n’ai pas la même couleur de peau que lui et que je parle la langue qu’il utilise quotidiennement beaucoup moins bien. De plus, lorsqu’il est devenu diacre de l’Eglise Protestante, je suis devenu docteur en psychologie de l’Université de Paris. Autrement dit, il y a toujours eu entre nous une différence raciale, ethnique, et culturelle. Cette différence, objectivée par la comparaison constante de l’un avec l’autre, n’a jamais fait de problème. Outre qu’elle nous a souvent amusés, elle est, encore à l’heure actuelle, notre richesse. Or, depuis que je suis devenu enseignant-chercheur à l’Université de Toulouse, il m’est arrivé d’entendre que l’approche (inter)culturelle comparative qui guide, en partie, mes travaux de recherche et mes enseignements, peut être suspectée parfois, d’une part d’être raciste, et d’autre part de ne pas être vraiment de l’interculturel. Je me suis souvent demandé pourquoi des points de vue sur mon histoire personnelle là-bas et ma démarche scientifique ici pouvaient varier à ce point. Cela m’a tout naturellement amené à m’interroger sur ce qui fonde la recherche interculturelle et surtout sur la manière dont, personnellement, j’en fais. De nombreux éléments d’analyse ne sont pas nouveaux. Ils ont déjà fait l’objet de prises de conscience et de débats au sein même de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC). Ce qui est peut-être nouveau, c’est mon souci de dépasser les antagonismes idéologiques et aussi d’exposer les instruments conceptuels et méthodologiques que j’utilise dans le cadre du projet de recherche qui est le mien. Ces schèmes du chercheur apparaissent donc construits par la subjectivité de celui qui fait ce projet. Il s’agit ainsi de considérer l’observateur, c’est-à-dire moi, comme «partie intégrante de l’objet d’étude» (Laplantine, 1995, p. 168). Aussi, le premier objectif de la communication est de tenter une analyse idéologique et épistémologique des différentes approches du rapport psychisme/cultures, et ensuite d’évoquer en quoi il est stérile de les opposer. Comme l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC) l’a toujours soutenu, et comme de nombreux auteurs qui y adhèrent l’affirment encore tout récemment, elles apparaissent plutôt complémentaires (par exemple, Dasen, 2001). Il reste toutefois à préciser en quoi elles le sont, et surtout à en proposer, si cela est possible, un modèle intégré. Une proposition en ce sens est faite actuellement par Krewer (1999) et Bredendiek & Krewer (2001; sous presse). Si le 2 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. problème de la construction d’un savoir relatif à l’autre culturel est depuis fort longtemps familier aux anthropologues (Augé, 1994; Kilani, 1994/2000; Laplantine, 1995), Bredendiek & Krewer (2001) estiment qu’un modèle intégré de compréhension de l’altérité culturelle se doit de répondre à deux grandes questions «cruciales» (p. 43): • Comment et avec quelle complexité le sujet comprend et explique l’interaction entre deux acteurs interculturels? • Comment un sujet construit une intersubjectivité interculturelle, c’est-à-dire quelle est sa stratégie d’interculturalité? «L’idéal de l’interculturalité [étant] une négociation active avec l’autre afin de trouver de manière consensuelle des potentiels d’intégration de chaque perspective» (p. 45). Le deuxième objectif de la communication est de tenter de répondre à ces deux questions, dans le cadre du projet de recherche interculturelle qui est le mien, et relatif au développement cognitif de l’enfant. Ici, le sujet dont on parle, est donc moi. Dans ce cas, les deux questions précédentes deviennent: • Comment et avec quelle complexité je comprends et explique l’interaction entre deux acteurs interculturels, dont l’un des deux est moi? • Comment je construis une intersubjectivité interculturelle, c’est-à-dire quelle est ma stratégie d’interculturalité? Qu’est-ce que l’interculturel? «Cross-cultural psychology [la psychologie interculturelle] is the systematic study of relationships between the cultural context of human development and the behaviors that become established in the repertoire of individuals growing up in a particular culture. The field is diverse: • [1.] some psychologists work intensively within one culture [psychologie culturelle; cultural psychology, indigenous psychology], • [2.] some work comparatively across cultures [psychologie (inter)culturelle comparative; crosscultural psychology], • [3.] and some work with ethnic groups within culturally plural societies [psychologie interculturelle; acculturation psychology]; all are seeking to provide an understanding of these culture-behavior relationships» (Berry, 1997, p. x). Les différentes approches Sur la base de cette définition récente de Berry (1997), Troadec (1999b) et Guerraoui & Troadec (2000) ont proposé un organigramme des différentes approches du rapport psychisme/cultures (Tableau n° 1). Ces approches sont historiquement issues d’une dialectique entre une tendance universaliste ou transculturelle et une tendance relativiste ou culturaliste (Berry, 1984). Cette organisation rejoint aussi celle proposée, entre autres, par Bredendiek & Krewer (2001), sous la forme de trois grandes perspectives, estimées «divergentes» par les auteurs (p. 40), qui tentent de rendre compte de l’altérité culturelle: • Une perspective dite universaliste, focalisée sur l’unité du psychisme humain, dont la culture serait seulement une source de variation (avec le statut de variable indépendante), et qui correspond à ce que nous désignons ci-après par l’approche (inter)culturelle comparative; • Une perspective particulariste pour laquelle l’univers culturel constitue le psychisme humain, le rendant incomparable à un autre culturel, et qui correspond aux approches culturelle et indigène (indigenous psychology); • Une perspective constructiviste, où l’altérité culturelle est le produit d’une rencontre (ou processus de construction de significations) dans le cadre de situations de communication, et qui correspond à l’approche interculturelle. 3 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. LES APPROCHES DU RAPPORT «PSYCHISME/CULTURES» Psychologie (inter)culturelle ou (Cross)-Cultural Psychology Psychologie transculturelle Psychologie culturaliste (déterminisme universaliste (relativisme culturel ou absolutism) ou relativism) Ð Psychologie Psychologie Psychologie interculturelle (inter)culturelle Culturelle ou indigène (acculturation comparative (cultural ou indigenous psychology) (cross-cultural psychology) psychology) Acculturation Acculturation Ð et Enculturation Interculturation Enculturation Clanet (1990) Berry, Poortinga, Segall, Shweder (1990) Denoux (1995) & Dasen (1992) Bruner (1991) Camilleri & Vinsonneau Segall, Dasen, Berry, & Kim & Berry (1993) (1996) Poortinga (1999) Cole (1996) Tableau n° 1 – Les approches du rapport psychisme/cultures La polysémie des termes A l’usage, il apparaît que cette typologie est très problématique. On peut tout d’abord relever une polysémie, déjà ancienne, des termes utilisés pour désigner ces différentes conceptions, et donc créer des ambiguïtés sémantiques (Krewer & Dasen, 1993; Krewer & Jahoda, 1993). Par exemple, le même terme peut signifier le tout ou bien une partie de ce tout. Un spécialiste des structures lexicales ou bien des classifications scientifiques peut trouver cela surprenant. Le terme francophone interculturel, par exemple, peut dans une acception large, recouvrir l’ensemble des approches, et dans une acception particulière, l’approche qui se centre sur l’étude des situations de contacts ou de rencontres entre personnes de cultures différentes. Le terme anglophone cross-cultural quant à lui, peut aussi recouvrir l’ensemble des approches dans une acception large, et dans une acception particulière, l’étude comparative de phénomènes dans des cultures différentes. Il en est de même pour les termes francophone culturel et anglophone cultural. Ainsi, dans une acception large et internationale, interculturel équivaut à cross-cultural, mais dans une acception spécifique et francophone, interculturel est différent de culturel comparatif. De là à dire que l’approche (inter)culturelle comparative n’est pas de l’interculturel, en jouant sur les mots, le pas est facile à franchir… L’aspect psychosocial Sous un autre aspect (psychosocial et non plus seulement linguistique), Dasen (2000, 2001) rappelle récemment que l’ARIC a défini la recherche interculturelle, et cela dès sa fondation en 1984 (voir aussi, Krewer & Dasen, 1993), sur la base de deux principales approches complémentaires (par un regroupement des approches anglophones culturelle et culturelle comparative): • l’étude de la diversité culturelle avec ou sans comparaison explicite (approches culturelle comparative et culturelle tout court); • l’étude des contacts entre groupes culturels (approche interculturelle). 4 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Selon Dasen (2001), «stigmatiser cette distinction a été une erreur» (p. 69), parce qu’elle a créé un antagonisme puissant entre un nous qui est dans le vrai et un eux dans l’erreur. En effet, la psychologie sociale a depuis longtemps montré l’effet des processus de catégorisation sociale lors d’interactions, notamment conflictuelles, entre groupes (par exemple, Doise, 1979). Ces processus apparaissent aussi valides pour expliquer les relations entre groupes de chercheurs en sciences humaines et sociales. Ils consistent à valoriser et à homogénéiser son propre groupe d’appartenance (le in-group), identifié par un label ou une étiquette particuliers, et à dévaloriser et se différencier des autres groupes (les out-groups), identifiés par d’autres labels ou d’autres étiquettes, créant ainsi des zones d’exclusion. Si le phénomène est humain, appliqué à la recherche interculturelle, il peut être nocif et stérilisant. Segall (1993) fait une analyse du même type pour ce qui est de l’opposition entre la cross-cultural psychology et la cultural psychology, et montre qu’à bien y regarder, les différences entre eux et nous ne sont pas aussi marquées qu’on le croit. Les espaces linguistiques D’autres aspects problématiques qui résultent de la polysémie des termes utilisés dans la recherche interculturelle et de l’antagonisme psychosocial qu’ils autorisent, peuvent être évoqués. Le premier, analysé par Krewer & Dasen (1993) en termes d’espaces anglophone, germanophone et francophone, s’exprime aussi en termes d’univers anglophone et de champ francophone par Camilleri & Vinsonneau (1996). En effet, il est indéniable qu’il y a des traditions différentes, liées à leurs contextes linguistiques, historiques et sociopolitiques d’émergence, à l’origine des conceptions actuelles du rapport psychisme/cultures. Krewer & Dasen (1993), par exemple, en font une analyse détaillée. Selon les auteurs, l’espace anglophone est caractérisé par une dichotomie entre la cross-cultural psychology qui est une «amplification méthodologique de la psychologie générale» (p. 54) et la cultural psychology qui souligne «la capacité d’autorégulation psychique de l’individu dans le contexte culturellement préstructuré de l’action et de la communication quotidienne» (p. 55). L’espace germanophone est différencié aussi par les mêmes approches: la kulturvergleichende psychologie et la kulturpsychologie (tradition herméneutique et théorie de l’action). Enfin, dans l’espace francophone, on retrouve aussi les deux conceptions précédentes ainsi qu’une «particularité» (p. 56), qualifiée de psychologie de l’interculturel, qui est «l’étude des effets psychologiques d’une existence entre deux cultures» (p. 56) (voir Tableau n° 1). Il convient toutefois d’être très prudent quant à une utilisation parfois réductrice de ces catégories et d’affirmer que la recherche interculturelle n’a pas de frontières, notamment linguistiques. Sous peine de créer à nouveau des zones d’exclusion (nous vs. eux), les différentes traditions qui la composent ne se réduisent pas à des espaces, champs, ou univers linguistiquement clos. Les mono- et les pluri-cultures Vu sous un autre angle, la citation de Berry (1997), l’organigramme de Troadec (1999) et Guerraoui & Troadec (2000), les analyses de Dasen (2000) et Bredendiek & Krewer (2001), laissent supposer qu’il semble possible de différencier: • des études «d’un phénomène à l’intérieur d’une seule culture» (Dasen, 2000, p. 11) ou culturelles et monoculturelles; • des études «d’un phénomène dans plusieurs cultures» (idem) ou biculturelles et pluriculturelles; • des études de «processus mis en jeu par la rencontre de personnes d’origines culturelles différentes» (idem) ou multiculturelles et interculturelles. 5 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Or, les mélanges et les métissages culturels existent depuis longtemps et dans toutes les sociétés humaines (Gruzinski, 1999). Les sociologues ont montré que les sociétés contemporaines sont désormais toutes pluriculturelles. Ainsi, «au Nord ou au Sud, à l’Est ou à l’Ouest, la plupart des Etats-Nations sont ou deviennent des sociétés pluriculturelles. La banalité de ce constat ne doit cependant pas occulter la complexité des situations» (Gosselin & Ossebi, 1994, p. 5). La typologie précédente ne semble alors avoir d’intérêt que pour la clarté du discours, qu’il soit scientifique ou non. Elle renvoie d’ailleurs directement à la définition, rarement consensuelle, que l’on se donne de la notion de culture (par exemple, voir le débat de Jahoda, 1984; Rohner, 1984; Segall, 1984). Il s’avère que, sur la base d’une «disposition cognitive» relative au «domaine spécifique» qualifié de «sociologie naïve» (Sperber & Hirschfeld, 1999, p. 11), les notions de races, d’ethnies, et de cultures, notions-clé de la recherche interculturelle, apparaissent être surtout des constructions historiques et culturelles. Il n’y a pas de race en soi (Segall, 1999), pas d’ethnie en soi (Breton, 1992), et pas de culture en soi (Anselme, 2001). C’està-dire que ces notions ne sont pas des objets «plus ou moins [extérieurs] aux individus» (Dasen, 2000, p. 12), mais des concepts construits par eux, dépendants d’observateurs conscients (chercheurs ou non) pour différencier à nouveau le eux du nous. Même si cela est banal, il est important de préciser que «pour qu’une culture existe, il faut qu’il y en ait au moins deux, car la culture ne se définit jamais que relativement. Elle se construit par assimilation [au nous] des apports extérieurs et différenciation par rapport aux autres cultures [c’est-à-dire eux]» (Latouche, 1999, p. 9). Races, ethnies, et cultures, se conjuguent donc au pluriel. Il arrive souvent qu’on oublie le statut d’artefact de ces notions et qu’on finisse par les prendre pour une réalité objective et vraie. Toutes les cultures contemporaines étant donc interculturelles, ou bien métisses (Gruzinski, 1999), et toute personne étant multiculturelle (Wieviorka, 2001), il convient d’être attentif à ne pas tenir «les mots pour les choses»! (Laplantine, 1995, p. 193), mais à situer constamment le vocabulaire du chercheur, ou de tout autre individu, dans son contexte de significations. On évoque rapidement une autre opposition du même type, appliquée parfois aux deux champs évoqués plus haut et qui rend compte de ce que Camilleri & Vinsonneau (1996) appellent deux «âges» de la discipline (p. 5), correspondant à ce que Lavallée & Krewer (1997) définissent comme «une vision descriptive et statique de la culture» (p. 38) opposée à «une autre, plus dynamique» (p. 39). Dans la mesure où, même pour les sociétés les plus anciennes ou les plus isolées, il y a un changement culturel ou bien un métissage constants, au cours de leur histoire, «dimension banale et constitutive de toutes les sociétés […] si l’on admet qu’aucun ensemble culturel ne se forme indépendamment d’influences "extérieures"» (Baré, 1991, p. 2), les mono-, bi-, pluri-cultures socialement construites sont toujours des phénomènes dynamiques et évolutifs. Et la comparaison? Enfin, faut-il comparer ou non dans la recherche interculturelle? Dans la conception classique, ou objectiviste, le chercheur est conçu comme ayant une attitude de neutralité bienveillante n’influençant pas les observations qu’il réalise. Il n’en serait que le révélateur objectif. L’anthropologie, selon Laplantine (1995), a montré depuis longtemps que cette conception est erronée pour les projets qu’elle se donne. «Nous ne sommes jamais des témoins objectifs observant des objets, mais des sujets observant d’autres sujets» (p. 168). On trouve aussi un constat similaire en psychologie du développement cognitif (Lautrey & Rodriguez-Tomé, 1976). Il n’y a donc pas lieu de dissocier celui qui observe de celui qui est observé, mais il est nécessaire de les distinguer pour l’analyse. L’objectif doit ainsi être de viser à «ce qu’une situation d’interaction (toujours particulière) devienne la 6 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. plus consciente possible» (Laplantine, 1995, p. 169). Sans cela, le risque d’une projection ethnocentrée est important du fait d’une comparaison implicite, non maîtrisée, des représentations du chercheur avec les faits observés (voir Dasen, 1993). Comme Bril & Lehalle (1988) l’évoquent, dans une situation d’observation entre un chercheur et un sujet, quelle qu’elle soit (même lors d’entretiens non directifs), la signification du discours du sujet, par exemple, est toujours le produit d’une comparaison avec les significations actuelles ou les schèmes du chercheur. Il apparaît donc fondamental d’expliciter les bases de cette comparaison ou «tertium comparationis» (Krewer, 1993, p. 85) et, de ce point de vue, la recherche interculturelle apparaît toujours comparative. Dans la mesure où ils sont encore présents dans certains discours actuels, les problèmes qui viennent d’être évoqués doivent être constamment explicités et, selon nous, à dépasser. En revanche, il semble qu’une question de fond, qui anime d’autres débats de la communauté scientifique interculturelle, soit parfois sous-jacente aux aspects problématiques que l’on vient d’analyser, tels que la définition de la notion de culture et le rôle du chercheur dans l’interprétation des faits observés. Il s’agit d’un débat qui porte sur les fondements d’une connaissance scientifique de l’Homme. Fondements épistémologiques «Cross-cultural and cultural psychology have emerged as two differing approaches to the study of the relationship between psychology and culture. It is suggested that cross-cultural psychology and cultural psychology tend to follow the differing traditions of natural versus human sciences that developed within the intellectual history of Europe starting from its Age of Enlightenment. While cross-culturalists generally emphasize laws of nature that account for the universal features of human behavior, cultural psychologists tend to focus on differing cultural traditions that shape the behavior of psychologists as well as their sujects in differing molds. These theoretical differences in the two approaches are reflected in their methodologies. Cross-culturalists adopt positivistic methods such as operationally defined, quantitative variables and standardized measuring instruments. Cultural psychologists use qualitative methods which elicit extensive descriptions that are analyzed according to interpretive procedures» (IACCP, 2000, p. 121). Hormis le fait que la citation précédente rende encore compte d’un cloisonnement en deux camps opposés, et bien que l’opposition évoquée porte sur des différences théoriques et méthodologiques, il semble plutôt que ce soit d’une différence épistémologique qu’il s’agit. Krewer (1993) estime qu’elle «renvoie au rapport entre objet [de connaissance] et sujet [connaissant]» (p. 86) et en retrace le cheminement historique sous les appellations francophones de psychologie transculturelle (où cette fois-ci cross = trans) et culturelle. Cette opposition rend compte, selon nous, de deux grandes traditions épistémologiques: le positivisme et le constructivisme. Cette différence est exprimée récemment par Dasen (2000) qui propose un schéma selon lequel quatre options de recherches interculturelles semblent possibles (voir aussi Lucariello, 1995), que nous regroupons en deux options épistémologiques: • une approche (post)positiviste et quantitative; la psychologie générale ou transculturelle (mainstream psychology) et la psychologie (inter)culturelle comparative (cross-cultural psychology); • une approche interactionniste ou constructiviste, et qualitative; la psychologie interculturelle (acculturation psychology) et la psychologie culturelle, voire indigène (cultural ou indigenous psychology). Selon le schéma précédent, dans la mesure où l’approche (inter)culturelle comparative à laquelle est attaché notre projet de recherche apparaît d’inspiration positiviste et que la conception du développement cognitif dans la tradition (post)piagétienne est 7 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. constructiviste, il convient d’analyser le paradoxe selon lequel la première ne serait pas un paradigme valide pour l’étude de la deuxième. Pour commencer, et parce qu’elle suscite notre intérêt, qu’est-ce qu’une épistémologie constructiviste? Le constructivisme peut être défini comme «un discours sur les fondements de la connaissance scientifique» (Le Moigne, 1994, p. 9) ou bien comme «une théorie générale de la connaissance» (idem), parmi d'autres. En particulier, il s'oppose au discours encore dominant de la science occidentale, c’est-à-dire le positivisme (pour une présentation, voir Kremer-Marietti, 1982). Le constructivisme apparaît il y a un siècle sous la plume de mathématiciens, et est réhabilité progressivement, à partir des années 70, notamment sous l'influence de l'émergence de nouvelles sciences, dont la science des systèmes, ou systémique. «C’est sans doute parce qu’elles peuvent exposer aujourd’hui dans des termes culturellement recevables les quelques hypothèses fondatrices qu’elles retiennent pour définir le statut et la méthode de la connaissance (leur réponse au problème des fondements, gnoséologie et méthodologie), que les épistémologies constructivistes peuvent désormais afficher leur prétention à leur institutionnalisation socioculturelle» (Le Moigne, 1995b, p. 66). Les épistémologies constructivistes font l’hypothèse fondamentale que «le réel existant et connaissable peut être construit par ses observateurs qui sont dès lors ses constructeurs (on dira plus volontiers: modélisateurs). Construction cognitive, ou artificielle, familière depuis longtemps aux mathématiciens, qui font exister ces "objets réels par construction" que sont les figures géométriques, les nombres ou les opérateurs symboliques» (Le Moigne, 1995b, p. 40). Le terme construit équivaut donc ici à artificiel. De plus, la connaissance de l’expérience du sujet cogitant est connaissable s’il lui attribue une valeur propre. «Valeur dont la définition ne peut pas être tenue pour indépendante du sujet connaissant (comme le sera par exemple la valeur de "vérité objective" pour un réaliste, ou de "vérité révélée" pour un croyant religieux)» (p. 67). Cette connaissance de l’expérience du sujet cogitant doit enfin lui être accessible par la médiation de représentations construites par lui, à l’aide de systèmes de symboles. Cette hypothèse fondatrice de toute connaissance n’est peut-être pas propre au seul paradigme constructiviste. «Mais le sera le complément suivant: cette représentation [via les systèmes de symboles] construit la connaissance qu’ainsi elle constitue» (p. 69). Piaget a exprimé cette inséparabilité de l’acte de connaître un objet et de l’acte de se connaître (en train de connaître l’objet) dans une citation célèbre. «L’intelligence (et donc l’action de connaître) ne débute ainsi ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction; c’est en s’orientant simultanément vers les deux pôles de cette interaction qu’elle [l’intelligence] organise le monde en s’organisant» (Piaget, 1937/1977, p. 311). Comme l’évoque Le Moigne (1995b), on ne peut plus dès lors séparer la connaissance et l’intelligence (ou la subjectivité) qui la produit, et il faut définir la connaissance par le processus qui la forme autant que comme le résultat de ce processus. En systémique, qui est la science des systèmes, un système est paradoxalement composé de parties (par exemple, des symboles) et irréductible à la somme de ses parties. Il s'entend par ses projets ou ses fonctions (c'est-à-dire ce à quoi il sert) et non par ses organes (c'est-à-dire ce avec quoi il est fait). Il est ce que l'esprit cherche et qui pourtant n'existe pas encore (donc, c'est une invention). Il est descriptible par quelques représentations intelligibles (schémas, dessins, textes, etc.) sans pourtant témoigner de la moindre existence matérielle. Il est alors la construction ou l'artefact qui permet, par projet, de piéger la réalité. Enfin, «il y a artefact [ou système] lorsqu'il y a adaptation délibérée d'un projet dans un environnement» (Le Moigne, 1994, p. 88). Von Glaserfeld (1988) 8 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. estime, pour sa part, que la nature est piégée lorsque la modélisation construite convient pour en rendre compte. Le Moigne (1994) affirme que «la modélisation systémique des phénomènes et des organisations perçus complexes constitue sans doute un des programmes de recherche les plus importants que se proposent les sociétés contemporaines» (p. 138). Enfin, toujours selon l’auteur, il y aurait à la fois autonomie et indépendance conceptuelle des pratiques, puis des principes méthodologiques de la modélisation systémique, et du développement dans les cultures scientifiques des épistémologies constructivistes. Il faut préciser aussi que la notion de complexité utilisée en systémique et dans le cadre de cette communication «est la propriété d'un système modélisable susceptible de manifester des comportements qui ne soient pas tous prédéterminés (nécessaires) bien que potentiellement anticipables (possibles) par un observateur délibéré de ce système» (p. 177). Ces comportements sont qualifiés alors d’émergences. En complément d’une définition psychosociale évoquée plus haut, on peut considérer la culture comme un système émergeant, dans la mesure où elle «permet aux humains de transcender leurs limites physiques et cognitives grâce au développement et à l’utilisation d’aptitudes et d’artefacts acquis […] Les adaptations culturelles permettent de faire mieux que les adaptations cognitives, dans le sens où les aptitudes et artefacts culturels autorisent l’accomplissement de comportements non prédictibles par la seule architecture cognitive humaine» (Sperber & Hirschfeld, 1999, p. 6). On présente maintenant une synthèse des caractéristiques principales des épistémologies positivistes et constructivistes (Tableau n° 2), d’après l’analyse détaillée proposée par Le Moigne (1994, 1995a, 1995b). Contextes idéologiques ou corps d’hypothèses Epistémologies Positivistes Hypothèse ontologique Epistémologies constructivistes Hypothèse phénoménologique La réalité connaissable peut être définie comme étant constituée d’objets dotés d’une essence propre, indépendante du discours par lesquels ces objets sont décrits et connus. La réalité est alors «découverte» ou «positive». La réalité connaissable peut être définie par la représentation de l’expérience du réel que s’en construit un sujet prenant conscience ou connaissant. Elle admet qu’il y ait une réalité «en soi». Mais elle est alors «inventée» ou «construite». Hypothèse analytique Hypothèse dialectique La réalité qui existe, indépendamment du sujet connaissant, peut être décomposée (ou divisée) en parties, ou objets positifs. La réalité connaissable, par un sujet qui s’en construit une représentation, résulte d’une capacité à conjoindre les discours. Hypothèse déterministe Hypothèse téléologique La réalité connaissable est soumise à des lois éternelles et stables qui en sont la cause, ou la raison déterminante. Le monde est fait de nécessités causales La réalité connaissable est le produit d’un projet finalisé, fait par un sujet pour la connaître et opérant alors des choix. Le monde est fait de possibles finalisés. Epistémologies positivistes Epistémologies constructivistes La connaissance du réel est organisée par les objets positifs qui la composent. Chaque objet, ou morceau de la réalité, définit ainsi une discipline scientifique (Î monodisciplinarité). La connaissance du réel est le produit d’une invention ou d’une conception de phénomènes, artificiels ou naturels, délibérément construits par leurs observateurs (Î transdisciplinarité). 9 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Discours et options épistémologiques Connaissance-objet Connaissance-projet L’indépendance de l’objet à connaître et du sujet connaissant fonde l’objectivité. Le sujet observant n’est pas modifié par l’interaction avec le phénomène observé. La dépendance de l’objet à connaître du sujet connaissant fonde la projectivité. Le sujet observant se construit en interaction avec le phénomène observé. Vérification Invention Les énoncés positivistes sont des vérités parce qu’ils sont vérifiés par la logique déductive et l’observation empirique: Prémisses vraiesÎConclusion vraie Les énoncés constructivistes sont plausibles parce qu’ils sont créés par la logique inductive et abductive: Prémisses vraiesÎConclusion probable Principe de moindre action Toute loi qui rend compte de la réalité connaissable est une optimisation d’une adaptation ou d’une fonction de potentiel. Conséquences méthodologiques Principe d’action intelligente La complexité de la réalité connaissable ne se réduit pas à l’action intelligente du sujet qui la modélise avec sa raison. Sciences de l’analyse Sciences de la conception L’épistémologie positiviste implique des sciences de l’analyse, fondées sur la démonstration empirique et la logique déductive (Î preuve; vérité). L’épistémologie constructiviste implique des sciences de la conception, fondées sur la démonstration axiomatique et inductive (Î argumentation; faisabilité). Réductionnisme Interactionnisme L’épistémologie positiviste est définie par un réductionnisme de méthode, lié à la modélisation analytique. Celleci rend compte d’un paradigme de la nécessité causale, de la linéarité et de l’explication (énoncés vérifiés empiriquement). L’épistémologie constructiviste est définie par un interactionnisme de méthode, lié à la modélisation systémique. Celle-ci rend compte d’un paradigme de la possibilité téléologique, de la récursivité et de la compréhension. Tableau n° 2 – Fondements des épistémologies positivistes et constructivistes Il convient de préciser que le passage d’une épistémologie positiviste à une épistémologie constructiviste ne consiste pas à révolutionner la science, mais à modifier ou changer le regard porté sur la connaissance scientifique. Habituellement conçue comme la découverte ou le dévoilement d’objets positifs existant déjà, indépendants de tout observateur, la connaissance devient une invention ou une conception de phénomènes artificiels ou non, construits (c’est-à-dire modélisés) par leurs observateurs qui en font le projet. On peut alors s’interroger sur la pertinence des revendications des psychologues culturels, tels que Shweder (1990), Bruner (1991), Cole (1988, 1995, 1996), Ratner (1997), qui souhaitent participer de l’émergence d’une nouvelle discipline, résolument inscrite dans une épistémologie constructiviste, tout comme celle d’une discipline autonome (d’après Dasen, 2000, p. 11) des psychologues de l’interculturation (Camilleri, 1993; Clanet, 1990; Denoux, 1995). Segall (1993) en critique vivement l’attitude selon laquelle «leur carte serait un reflet exact de la réalité, alors que l’autre carte en fournirait une image déformée» (p. 92). Par ailleurs, l’adoption d’une épistémologie constructiviste n’est pas cohérente avec une revendication de séparation mono-disciplinaire. Ainsi, faut-il choisir un paradigme contre l’autre? Selon Le Moigne (1994), on peut retenir l'une ou l'autre des deux hypothèses évoquées ci-dessus «par un acte de foi» (p. 117). L'hypothèse ontologique, par exemple, permet une argumentation de la légitimité de connaissances dites objectives, établies en vérité (le réel en soi). L'hypothèse phénoménologique, quant à elle, permet une argumentation en conscience de connaissances dites subjectives permises par l'expérience du sujet actif (le réel par soi). Si 10 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. les constructivistes apparaissent beaucoup plus à l'aise avec l'hypothèse phénoménologique, Le Moigne (1994) estime qu'il ne s'agit pas d'être contraint par l'une ou par l'autre des deux, c'est-à-dire d'avoir à choisir, mais de veiller plutôt à l'acceptabilité par la communauté scientifique et par les populations étudiées, ou si on préfère, à l'enseignabilité des énoncés scientifiques produits. De même, conjoindre et disjoindre font partie des activités cognitives humaines courantes. L'idéologie retenue par les constructivistes est d'affirmer le primat de la conjonction (ce qui implique l'ouverture de la connaissance par la transdisciplinarité)1 sur la disjonction (ou fermeture de la connaissance en disciplines académiques) et donc, fait le choix de l'hypothèse dialectique plutôt qu'analytique, ce qui détermine d'ailleurs la méthodologie associée. Enfin, toujours selon Le Moigne (1995b), «on peut certes concevoir une hypothèse déterministe qui postulerait quelques causes invisibles, que l’on appellera "pression culturelle", "manipulation médiatique", "conditionnement neuronal ou humoral", qui méta-détermineraient à chaque instant le système de finalité auquel se réfère chaque sujet connaissant (que ce soit pour désigner celles de ses expériences auquel il sera attentif, ou pour interpréter les connaissances qu’ainsi il établit). Mais cette hypothèse du type "Big Brother veille sur vous" semble en général moins plausible, ou moins attrayante à la plupart des humains que celle de leur capacité (éventuellement limitée) à s’autofinaliser!» (p. 75). Pour terminer cette discussion, il convient de rappeler que le constructivisme n’appartient donc pas à certains (par exemple, l’approche culturelle), et pas aux autres (l’approche comparative), surtout lorsqu’on s’inscrit dans la continuité de la perspective épistémologique de Piaget. Si on admet la complémentarité des deux positions, comment faire pour les intégrer? Il semble qu’il faille tout d’abord se débarrasser de la pensée dualiste cartésienne. Celle-ci sépare les contraires et crée des oppositions et des exclusions mutuelles. Il faut alors invoquer une pensée qui conjoint, qui réunit les contraires et les oppositions apparentes, sans les exclure. Une proposition stimulante est faite en ce sens par Morin (1990), sous l’appellation de pensée complexe. Intégration des paradigmes La subjectivité Vouloir intégrer le rôle de l’observateur dans l’observation, c’est-à-dire le rôle de la subjectivité du chercheur, à l’appui d’une épistémologie constructiviste, implique une définition minimale de son activité consciente. En philosophie de l’esprit, le débat actuel est particulièrement riche (voir pour des synthèses, Dupuy, 2000; Fisette & Poirier, 2000). Sur ce sujet, Searle (1985, 1995, 1998, 1999) critique les deux traditions dominantes de l'étude de l'esprit: le dualisme et le matérialisme. On rappelle succinctement que le dualisme prône, entre autres, une différence ontologique du corps et de l'esprit (qu'il soit une âme ou bien une conscience). «Au XXème siècle, ce dualisme est devenu un obstacle» (Searle, 1995, p. 18). Il faut souligner que, bien qu’il soit en apparence rejeté par une majorité de psychologues, le dualisme (tout comme le positivisme, d’ailleurs) perdure sous de nombreuses formes déguisées. De même que «le ver dualiste s’avère s’être logé dans le fruit cognitiviste» (Dupuy, 2000, p. 23), Richelle (1997) analyse «l’opposition entre un niveau biologique et un niveau des opérations mentales construites par des processus socio-historiques» (p. 2), faite par des représentants actuels de la tradition historico1 On se réfère ici à la Charte de la Transdiciplinarité, rédigée par Lima de Freitas, Edgard Morin, et Basarab Nicolescu, Convento da Arrábida, le 6 novembre 1994. 11 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. culturelle —non-dualiste— de Vygotski (Bronckart, Clémence, Schneuwly, & Schurmans, 1996). Le dualisme déguisé, sous-jacent à cette conception, «donne aux facteurs sociohistoriques un statut considérablement différent de celui des facteurs biologiques» (idem). Dans la mesure où il est admis de nos jours que les stimuli de l’environnement ou bien aussi l’intentionnalité propre du sujet déclenchent des phénomènes mentaux qui sont causés par des processus cérébraux, le dualisme de l'esprit et du corps ne se présente plus comme une ontologie valide. Mais, selon Searle (1995), comment se fait-il que la seule approche rationnelle alternative soit le matérialisme et pourquoi celle-ci nie-t-elle l'existence d'états mentaux conscients et subjectifs? En effet, le matérialisme strict, quant à lui, réduit les phénomènes mentaux à des processus complexes neurophysiologiques. Le paradigme cognitiviste postule que «le cerveau et l’esprit sont l’un et l’autre une machine, et c’est la même machine. Le cerveau et l’esprit, donc, ne font qu’un» (Dupuy, 2000, p. 32). L'essor actuel des sciences cognitives, sous l’influence dominante de la philosophie positiviste, montre ainsi une tendance nette à la réduction des phénomènes psychologiques aux seuls processus neurobiologiques. Searle (1995) soutient au contraire que le cerveau humain est un organe comme un autre, c’est-à-dire un système biologique, qui possède la caractéristique spécifique de produire de la conscience ou de la subjectivité. Les phénomènes mentaux, étudiés notamment par les psychologues, sont donc causés par les processus neurophysiologiques du cerveau, mais en sont des propriétés émergentes —à l’heure actuelle— irréductibles à la seule activité cérébrale. Les objets mentaux, ou représentations mentales, ont ainsi cette propriété particulière que les matérialistes stricts semblent, selon l’auteur, répugner à accepter: la subjectivité. Il s’ensuit que l’ontologie du mental «est essentiellement une ontologie à la première personne» (p. 39). De ce fait, il en résulte que l’on ne peut «en aucune manière observer la conscience de quelqu’un d’autre comme telle» (p. 142). Searle (1995) propose comme alternative au dualisme cartésien et au monisme matérialiste, un naturalisme biologique pour lequel il convient de différencier des caractéristiques intrinsèques du Monde, indépendantes de tout observateur (ou positives) et des caractéristiques relatives à un observateur et qui en dépendent (ou construites). On trouve donc bien ici une conjonction étroite entre les épistémologies positiviste et constructiviste. L’auteur soutient que la conscience et l'intentionnalité (ou aussi la signification) sont des caractéristiques intrinsèques du cerveau humain, mais que le calcul (ou bien la computation de symboles) est relatif à celui qui l’observe. Si le cerveau est une machine biologique qui pense, il arrive aussi parfois qu’elle calcule. Les cerveaux sont donc des ordinateurs (biologiques), puisqu’ils calculent, tout comme les ordinateurs (artificiels). Mais «dans notre crâne, il n’y a que le cerveau, avec toute sa complexité, et la conscience, avec toute sa couleur et sa variété […] Si nous recherchons des phénomènes qui soient intrinsèquement intentionnels mais inaccessibles en principe à la conscience, rien de tel s’y trouve: pas de règle que l’on suit, aucun traitement d’information mentale, aucune inférence inconsciente, pas de modèles mentaux, pas d’esquisses primitives, pas d’images en deux dimensions et demie, pas de descriptions tridimensionnelles, aucun langage de la pensée, et aucune grammaire universelle» (p. 305). Searle rejette ainsi tout un niveau de causalité psychologique classique (une cause mentale inconsciente produirait une certain effet comportemental) et affirme qu'il n'y a rien d'autre dans le cerveau (et dans les ordinateurs artificiels) qu'un mécanisme physique brut interne qui produit un effet physique brut. La composante normative (notamment l’interprétation computationnelle) est alors externe et relative à celui qui observe. Elle est donc aussi culturelle. «Bref, les faits réels de l’intentionnalité contiennent des éléments normatifs, 12 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. mais lorsqu’il s’agit d’explications fonctionnelles, les seuls faits sont des faits physiques aveugles et bruts, et les seules normes sont en nous et n’existent que de notre point de vue» (p. 317). Ainsi, par exemple, Le Moigne (1994), affirme que «nul n’a jamais vu de système [notamment culturel et cognitif] dans la nature» (p. 74). Toutefois, les choses ne sont pas toujours aussi claires. Bruner (2000) estime que Piaget n’a jamais levé l’ambiguïté sur le fait que les structures d’opérations qu’il décrit sont «dans le répertoire d’activités de l’enfant» ou bien «dans le point de vue du théoricien de l’esprit» (p. 239). Il est à souligner que l’adoption d’une ontologie matérialiste non réductionniste, c’est-àdire un naturalisme biologique, est une possibilité ontologique parmi d’autres, offerte par la culture scientifique contemporaine. Elle résulte, tout comme l’option constructiviste, d’un acte de foi ou d’une position de principe. En philosophie de l’esprit, certains auteurs conservent encore une conception dualiste (par exemple, Eccles, 1997), d’autres défendent un matérialisme plus strict (Dennett, 1990, 1993, 1998). Le choix que nous faisons de cette option (car il est nécessaire d’en faire un…) est justifié par une impossibilité personnelle à «choisir» actuellement et parce qu’il peut permettre d’en «prouver [éventuellement] la fausseté» (Dupuy, 2000, p. 20). Ce débat philosophique sur l’esprit pourrait toutefois ne correspondre qu’à un «monologue tranquille de l’Occident avec lui-même» (Laplantine, 1995, p. 186). Or, «ne faudrait-il pas [aussi] laisser leur place à ce qu’on appelle parfois les ethno-sciences» (Barreau, 1998, p.18)? Il existe effectivement de rares expériences que l’on peut qualifier de communication interculturelle au sujet de l’ontologie de la conscience et des méthodes de son analyse. Déjà amorcé en philosophie (par exemple, Jambert, 1983), un débat plus récent entre les sciences cognitives et la philosophie bouddhiste permet d’exposer et de confronter de manière fructueuse, deux cultures différentes (S.S. Dalaï-Lama, 2000; Hayward & Varela, 1995; Ricard & Trinh Xuan Thuan, 2000; Varela, Thompson, & Rosch, 1993). Cependant, selon Barreau (1998), si la science occidentale «est devenue le modèle de la science mondiale» (p. 19), à cause de son esprit plutôt que de ses contenus, la question de sa prééminence et de la coexistence des cultures (ethno)scientifiques reste encore, selon l’auteur, très ouverte. Cette question renvoie aussi à celle, éminemment délicate, d’une compréhension de leurs qualités inégales (Diamond, 2000). On atteint là, parfois, l’incommensurabilité. Comment, en effet, comparer un dualisme où l’âme est d’essence divine, ou bien où l’esprit est soumis à un inconscient d’origine naturelle, avec un monisme strictement matérialiste ou bien émergentiste? La seule voie possible apparaît être celle d’un relativisme tempéré, dans le cadre d’un dialogue interculturel constant, qui implique à l’heure actuelle une relativisation de l’universalisme «cannibale» de l’Occident (Latouche, 1999). Selon l’auteur, même la notion affirmée transcendante des droits de l’homme apparaît inspirée par une conception particulière de l’individu. «S’il faut exclure l’existence de valeurs transcendantales, il peut y avoir des valeurs transculturelles, c’est-à-dire partagées. La question du respect de la dignité humaine ou d’un ordre social juste est susceptible de servir de base à [ce] dialogue interculturel» (p. 16). L’intersubjectivité Comme l’anthropologie l’a montré (Laplantine, 1995), la situation d’observation d’un sujet par un sujet-chercheur implique une intersubjectivité. De plus, le chercheur «perturbe une situation donnée, et même crée une situation nouvelle, due à sa présence» (p. 169) qui, en retour, peut aussi le perturber. Afin que cette situation d’interaction dynamique de deux subjectivités —au moins— se perturbant réciproquement, soit la plus consciente possible, il convient alors de tenter d’en proposer une modélisation. 13 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. D’une conception naturaliste de la conscience, on retient que les états mentaux, ou les représentations mentales internes, sont des propriétés émergentes de l’activité cérébrale, intrinsèques au cerveau et subjectives parce qu’elles relèvent d’une expérience à la première personne. Ces états mentaux pourraient résulter, mais maintenant selon le point de vue construit (c’est-à-dire particulier et parmi d’autres) d’un observateur en sciences cognitives qui fait le projet de les modéliser: • d’une boîte à croyances, ou mémoire. Selon Sperber (1996), les croyances produites par les processus cognitifs sont de deux types:2 1. d’une part, des croyances intuitives relatives à des concepts de base, qui procèdent «de processus perceptuels et inférentiels spontanés et inconscients» (p. 123); 2. d’autre part, des croyances réflexives qui «sont des interprétations de représentations, enchâssées dans le contexte validant d’une croyance intuitive» (idem). Ces dernières, telles que les mythes, les idéologies, les théories, sont essentiellement le produit de la communication humaine. • de processus inférentiels inconscients. Toutes les croyances ne sont pas représentées ou stockées dans la boîte à croyances. Certaines d’entre elles sont donc inférées hic et nunc inconsciemment à partir de celles qui sont disponibles actuellement en mémoire. A partir d’un modèle des représentations mentales en terme d’une boîte à croyances complété de processus inférentiels, Sperber & Wilson (1989) estiment que lorsque deux sujets sont en interaction à visée de communication, les états mentaux internes de l’un ne se répliquent pas à l’identique dans le cerveau de l’autre via les vecteurs externes de la communication (langage, gestes, etc.). En effet, «la communication humaine aboutit généralement à certain degré de ressemblance, et non pas à une identité […] Le degré de transformation [d’une représentation mentale] peut varier entre deux extrêmes: la duplication d’une part et la perte totale d’information d’autre part» (Sperber, 1996, p. 115). On définit alors des représentations publiques externes qui sont «des phénomènes matériels dans l’environnement des personnes et représentent quelque chose pour les personnes qui les perçoivent et les interprètent» (p. 108). Ces phénomènes matériels, produits publiquement, peuvent posséder des caractéristiques intrinsèques en qualité d’objets positifs (des tâches d’encre, par exemple), et des caractéristiques relatives au sujet qui les interprète, en qualité d’objets construits (des symboles). Dans le cadre d’une conception naturaliste, les représentations dites culturelles ou sociales peuvent être définies comme la mise en correspondance d’états mentaux particuliers (ou représentations mentales) avec certains phénomènes matériels de l’environnement (ou représentations publiques) qui ont comme fonction de les représenter. Ainsi, «les représentations publiques n’ont de signification qu’à travers leur association avec des représentations mentales» (Sperber, 1996, p. 112). Relativement aux objets publics et selon l’exemple de Searle (1995), «la composition chimique des marques d’encre [sur cette feuille] est intrinsèque, mais le fait que ce sont des mots, des phrases en français, ou d’autres sortes de symboles, est relatif à l’observateur» (p. 28). Il s’ensuit que le statut de représentation culturelle rend compte du fait que certaines représentations publiques sont associées à des représentations mentales similaires, apparemment 2 Le naturalisme biologique de Searle diffère, semble t-il, du naturalisme de Sperber qui apparaît plutôt réductionniste. En effet, pour Sperber (1999), "it is only recently that we have become capable of actually describing material mecanisms that instanciate abstract semantic relationship […] We can also begin to describe, in computational and neurological terms, the kind of material processes that realise [cognitive causal chains]" (p. 7). De plus, pour une discussion critique de la notion de croyances, voir Dupuy (2000, p. 13-23). 14 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. largement partagées par les membres d’un groupe. Le chercheur en sciences sociales en construit une modélisation dont l’objectif est de représenter, selon Sperber (1996), une version abstraite d’une «famille de représentations mentales et publiques» (p. 112). «La culture est [alors] le précipité de la communication et de la cognition dans une population humaine» (p. 135), c’est-à-dire qu’«une chose est culturelle dans la mesure où elle implique la stabilisation de représentations mentales ou de productions publiques au moyen d’une coordination entre plusieurs individus, médiatisée par la cognition» (Sperber, 1999, p. 14). Pour terminer, dans le cadre de cette conception naturaliste de la conscience, mais aussi de la culture (Sperber, 1996, 1999; Sperber & Hirschfeld, 1999), aucun sujet, dont le sujetchercheur, n’a les moyens objectifs de faire l’expérience de la conscience d’autrui. Celle-ci ne peut donc être qu’une modélisation construite à partir de ses expressions publiques et sur la base d’une activation d’états mentaux du chercheur. En revanche, la modélisation proposée peut convenir pour rendre compte de la subjectivité d’autrui, si elle correspond à des états mentaux particuliers reconnus comme tels par les sujets étudiés et si elle est validée par la communauté scientifique. Il apparaît possible de proposer maintenant une modélisation des situations de communication entre un sujet-chercheur et un sujet observé (Tableau n° 3). Sujet qui observe Objet externe Sujet observé REPRESENTATIONS PRODUCTIONS OU EXPRESSIONS PUBLIQUES REPRESENTATIONS MENTALES (intentionnalité intrinsèque au sujet et caractéristiques relatives aux sciences cognitives) Processus assimilateur Ø --------------------- Î Boîte à croyances (ou mémoire) et processus inférentiel inconscient Processus accommodate ur Ø Í Croyances descriptives ou intuitives et Croyances interprétatives ou réflexives (Enoncés, textes, comportements, attitudes, éléments naturels et artificiels, etc.) MENTALES Í Processus assimilateur Ø --------------------- Ontologie positive (propriétés intrinsèques à l’objet) et Ontologie construite (propriétés relatives à un observateur) Processus accommodate ur Î (intentionnalité intrinsèque au sujet et caractéristiques relatives aux sciences cognitives) Ø Boîte à croyances (ou mémoire) et processus inférentiel inconscient Ø Croyances descriptives ou intuitives et Croyances interprétatives ou réflexives Tableau n° 3 – Modélisation naturaliste d’une situation de communication Comme l’évoque Laplantine (1995), le projet que l’on se donne est de faire en sorte qu’une situation d’interaction sociale entre un chercheur et un sujet soit la plus consciente possible. Situation à partir de laquelle, comme le propose la psychologie culturelle, la connaissance, dont le savoir scientifique, est conçue comme le produit d’une construction de significations dans le cadre d’une activité partagée (Cole, 1995, 1996). Dans ce cas, l’analyse «se sert de la communication humaine, mettant en relation la perspective de 15 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. l’acteur (première personne) et de l’observateur participant (deuxième personne)» (Krewer, 1993, p. 85), et cela par la production de systèmes de symboles. Pour le cas qui nous occupe ici, l’interaction entre un chercheur et un sujet de culture différente de lui, est conçue comme une situation de communication interculturelle (voir pour une synthèse, Ogay, 2000). De ce fait, dans la mesure où elle est accessible à la conscience, il convient d’objectiver au mieux la subjectivité du chercheur. Celle-ci repose sur l’identification (autant que faire ce peut) de ses propres croyances, notamment réflexives. Objectiver la subjectivité Le schéma d’interaction sociale ou de communication interculturelle, proposé dans le tableau n° 3, peut permettre d’envisager un paradigme de recherche, intégrant le rôle de la subjectivité de l’observateur dans l’observation qu’il produit. La nécessaire projection des schèmes du chercheur, à visées d’interprétation, c’est-à-dire aussi d’assimilation, le contraint à l’identification précise de ceux-ci pour contrôler, au mieux, le risque constant d’ethnocentrisme (Dasen, 1993). Compte-tenu des choix faits précédemment, il convient d’assumer que l’on n’échappe pas à «l’absolu de sa culture et donc à un certain ethnocentrisme» (Latouche, 1999, p. 14). «La question n’est pas de se donner bonne conscience mais d’être simplement conscient du côté relatif de ses absolus» (idem). Trois niveaux d’analyse de ces schèmes semblent, selon nous, s’imposer: idéologique, théorique, méthodologique. Les idéologies «L'autonomie de la science se définit [...] par son aptitude à identifier les idéologies culturelles dans lesquelles elle baigne, et à s'en différencier» (Le Moigne, 1994, p. 107). Une idéologie consiste en un ensembles d’idées et de valeurs communes dans une société (ou points de vue sur le réel), qui peuvent servir à justifier un ordre social, mais aussi à définir les rapports des hommes entre eux (cf. Rigoulet,1991). Parmi les idéologies dans lesquelles baigne la recherche interculturelle, il y a celles relatives aux différences culturelles. Il s’avère que les formes contemporaines du racisme ne s’appuient plus sur une inégalité postulée de races biologiques, mais aussi sur la différence culturelle (Bitterlin, 1996). Il convient donc d’examiner cette situation de près. En sociologie, l’idéologie raciste apparaît fondée sur les deux normes relativiste et universaliste (voir pour des synthèses, Latouche, 1999; Liauzu, 1992; Taguieff, 1987, 1997; Wieviorka, 1993, 2001). Le relativisme fonde un racisme «différentialiste, fondé sur un déni d’humanité commune; il s’exprime par l’absolutisation des identités ou des différences de groupe (raciales, ethniques, culturelles, voir nationales), dans lesquelles il perçoit l’incarnation de valeurs positives» (Taguieff, 1997, p. 62). L’universalisme est à l’origine d’un racisme «fondé sur un déni d’identité; il s’exprime par un mépris plus ou moins prononcé, traduit par une échelle de valeurs, pour les formes culturelles particulières; il abaisse ou rejette la différence, la suspecte, la condamne» (p. 62). Toutefois, ces deux normes contraires sont intégrées conjointement en un tout complexe, de telle manière que «le racisme est négation absolue de la différence [norme universaliste] et affirmation absolue de la différence [norme relativiste]» (Taguieff, 1987, p. 29-31). Il en ressort deux formes principales de racismes contemporains. Il s’ensuit aussi que «l’analyse du racisme constitue un champ privilégié pour montrer l’ambiguïté de l’affirmation "pluriculturelle" [ou bien interculturelle] et du relativisme culturel, professés en France par la nouvelle droite comme par la gauche "anti-impérialiste"» (Gosselin & 16 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Ossebi, 1994, p. 131) (voir l’analyse sociopolitique de l’antiracisme dans Bitterlin, 1996; et l’analyse sociologique de la différence culturelle par Wieviorka, 2001). • Le racisme standard postule une authenticité culturelle irréductible associée à un impérialisme de valeurs meilleures que d’autres. Selon Gosselin & Ossebi (1994), la reconnaissance de l’altérité (norme relativiste) passe dans ce cas par la hiérarchie qui englobe les différences dans un ordre commun (norme universaliste). • L’(anti)racisme postule un respect absolu de la différence culturelle associé à un métissage généralisé vers une unique culture universelle. Selon Gosselin & Ossebi (1994), la réhabilitation de la différence culturelle (norme relativiste) passe ici par le conflit lié à la rencontre interculturelle, engendrant des effets intégrateurs en un ensemble commun (norme universaliste). La relation entre la recherche interculturelle et l’idéologie raciste s’établit par le fait que les deux domaines sont fondés par l’intégration des mêmes normes universaliste et relativiste (Bril & Lehalle, 1988). «Tenir les deux bouts de la chaîne» de l’unité et de la pluralité du genre humain est d’ailleurs aussi une «tension» constitutive de l’anthropologie (Laplantine, 1995, p. 185). Toutefois, dans le cas de la recherche interculturelle et ethnologique, ces normes voudraient avoir une valeur sociale positive, alors que dans le cas du racisme, elles sont estimées être d’une valeur sociale négative. De ce fait, il est aisé de suspecter de racisme, certaines approches interculturelles (notamment celles du out-group). On propose une synthèse de cette analyse idéologique des racismes et des études du rapport psychisme/cultures dans le tableau n° 4 (voir aussi, Troadec, 1999b). Etude (comparative) de Etude du contact entre Etudes du rapport la diversité des cultures cultures différentes «psychisme/culture» ----------------------------------------------- ------------------------------- -----------------------------Racismes Racisme standard analytique et formaliste ou racisme d'exclusion («soit l'un soit l'autre») Valorisation de la différence culturelle pour Norme différentialiste la construction identitaire ou relativiste -------------------------------------Refus de tout métissage Elle consiste à mettre en évidence culturel, associé à l’idée les différences culturelles au d’une pureté et d’une authenticité culturelles détriment d’une vision globale Hiérarchisation qualitative des différences Norme assimilationniste et des productions ou universaliste culturelles -------------------------------------Elle consiste à ne pas mettre en Impérialisme d'une culture, estimée évidence les différences culturelles «meilleure», au profit d’une vision homogène sur toutes les autres (uniformisation culturelle) (Anti)racisme synthétique et dialectique ou racisme d'assimilation («et l'un et l'autre») Respect des différences culturelles et de la pluralité des cultures -----------------------------------Tolérance absolue à la différence culturelle, refus de la comparaison et de l’intégration Valorisation des échanges et du métissage culturel par les rencontres interculturelles -----------------------------------Elimination des différences culturelles par un métissage généralisé (mondialisation aculturelle) Tableau n° 4 – Les idéologies sous-jacentes à la recherche interculturelle 17 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. Comme l’évoque Sperber (1996), «des croyances contradictoires peuvent […] coexister tant qu’elles ne servent jamais ensemble de prémisses dans un même processus d’inférence» (p. 121). Aussi, la gestion de la contradiction des normes relativiste et universaliste apparaît réalisée selon un traitement dualiste. • Du point de vue (anti)raciste: 1. Le respect des différences culturelles (norme relativiste positive; R+) s’oppose à l’impérialisme d’une seule culture sur toutes les autres (norme universaliste négative; U-); 2. La valorisation des rencontres interculturelles (U+) s’oppose à la pureté culturelle qui sépare et isole les cultures (R-). • Du point de vue raciste standard: 1. La valorisation de la différence culturelle propre (R+) s’oppose à la disparition des différences culturelles via le métissage (U-); 2. La hiérarchisation qualitative des cultures (U+) s’oppose à la tolérance absolue de toutes les productions culturelles (R-). Il n’est pas impossible d’affirmer que l’approche interculturelle peut prendre appui parfois sur un discours idéologique (anti)raciste. Cela se produit lorsque la tolérance absolue à la différence culturelle survalorise l’autre culturel, par exemple les Maghrebins en France, et exclut de l’analyse les productions de la culture propre suspectées d’impérialisme (ou déni de soi), éliminées au profit d’une unique culture née de la rencontre interculturelle. Comme le souligne Dasen (2001), on peut s’étonner que «la théorie des stratégies identitaires […] ait été développée presque exclusivement avec une seule population, les Maghrébins» (p. 69). Les identités culturelles américaine, française, suisses, etc., ne sont-elles pas, elles aussi, interculturelles? Inversement, lorsque l’approche (inter)culturelle survalorise l’importance de l’acquisition d’une culture propre, originale, incommensurable à d’autres (cas de l’approche culturelle, voire indigène), associée ou non à une survalorisation de certaines normes estimées universelles et meilleures (cas de l’approche comparative), elle prend le risque de s’apparenter au discours idéologique du racisme standard. Comme l’écrit Dasen (2001), la méthode comparative présente un intérêt heuristique certain, mais pas «n’importe quelle méthode comparative!» (p. 70). Influencé par le paradigme de la pensée complexe, déjà évoqué (Morin, 1990), notre position consiste à tenter de dépasser le dualisme des oppositions idéologiques, par l’intégration conjointe des diverses expressions des normes universaliste et relativiste dans un sens positif et constructif, ce que nous désignons par un «universalisme culturel» (Troadec, 2001) ou aussi un «pluriversalisme» (Latouche, 1999). On peut en trouver une autre formulation dans la «plate-forme de convictions communes» de la Fondation pour le Progrès de l’Homme, rappelée par Dasen (2000, p. 15-16). Toutefois, «entre un relativisme sans principe [refus absolu de l’autre ou bien acceptation absolue de l’autre] et un universalisme cannibale [impérialisme d’une culture ou bien culture universelle], la voie est étroite, mais [il] vaut la peine de faire le pari qu’elle existe et de la rechercher» (Latouche, 1999, p. 10). C’est en ce sens qu’un risque de dérives raciste et de partialité de la recherche interculturelle peut probablement être évité. Ainsi (et ceci concerne malgré tout la majorité des cas), celle-ci est (au moins) fondée par: • La reconnaissance que la valorisation de la différence culturelle propre est nécessaire au processus de construction identitaire, individuel et collectif (R+), mais associée à une valorisation des échanges et du métissage culturel par les rencontres interculturelles (U+); 18 ème Actes du VIII • Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. La reconnaissance du respect des différences culturelles et de la pluralité des cultures (R+), mais associée à une hiérarchisation qualitative possible de ces différences et des productions culturelles (U+). Appliqués au domaine du développement cognitif de l’enfant, qui constitue notre projet de recherche (Troadec, 1998a), les deux points précédents deviennent: • La reconnaissance que le développement cognitif d’un enfant se produit dans un certain contexte socioculturel qui en contraint les étapes et la forme, mais associée à une valorisation des rencontres interculturelles pour l’ouverture de la cognition de l’enfant sur le Monde; • La reconnaissance qu’il existe des différences culturelles du développement cognitif d’un enfant, associé à une pluralité de pratiques éducatives, mais qu’une hiérarchisation qualitative de ces différences permet de valoriser une pluralité de conditions éducatives, pour un développement cognitif optimal de l’enfant. Les modèles théoriques Il n’est pas inutile de rappeler que, dans le cadre d’une épistémologie constructiviste, «le propre de la scientificité n’est pas de refléter le réel, mais de le traduire en des théories changeantes et réfutables» (Morin, 1982/1990, p. 21). Sur la base de données vérifiées et toujours vérifiables, une théorie est donc une construction de l’esprit (via un système de symboles) qui a comme objectif de leur être le plus adéquat possible. Rendues publiques et soumises à la réfutation constante, les théories qui «résistent un temps» (p. 22) sont celles qui apparaissent le mieux adaptées à l’état actuel de la connaissance dans un domaine particulier. Mais si certaines théories deviennent malgré tout des dogmes, «inattaquable[s] par l’expérience» (idem), toute théorie est donc «bio-dégradable» (idem). La théorie opératoire de Piaget, malgré son caractère de référence obligée pour l’étude du développement cognitif, est un exemple remarquable de «bio-dégradabilité» (voir pour des exemples de synthèses actuelles, Houdé & Meljac, 2000; Lautrey & Vergnaud, 1997; Meljac, Voyazopoulos, & Hatwell, 1998; Netchine-Grinberg, 1999). Sur les bases idéologiques précédentes, il s’agit maintenant d’identifier les modèles et théories du chercheur (c’est-à-dire objectiver ses schèmes d’interprétation) dans le cadre du projet qui consiste à rendre compte du développement cognitif de l’enfant en contextes culturels. Le choix théorique qui est fait se justifie donc par le projet du chercheur, inscrit en conscience dans le contexte scientifique actuel, et non pas par quelque détermination intemporelle, liée à la recherche d’une vérité objective. Trois modèles composent un puzzle théorique complexe: • Le modèle écoculturel — Ce premier modèle, proposé par Berry, Poortinga, Segall, & Dasen (1992) et Segall, Dasen, Berry, & Poortinga (1999), permet de conceptualiser la relation entre des variables contextuelles —écosystèmes et organisations sociopolitiques— et des caractéristiques psychologiques individuelles —compétences et performances— par le biais de processus de transmission, tels que l’héritage génétique, les ressources naturelles, la culture, et le changement culturel (voir aussi, Troadec, 1998b, 1999a, 1999b, 2001); • Les niches de développement — Ce deuxième modèle, proposé par Super & Harkness (1986, 1997) est une conceptualisation plus spécifique de l’enfant-encontextes. Il rend compte d’une interaction systémique entre l’enfant et son contexte de développement. Celui-ci est constitué par les représentations culturelles de ses éducateurs ou ethnothéories, les pratiques culturelles d’éducation 19 ème Actes du VIII • Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. et de soin, et l’agencement physique et social de l’environnement (voir aussi, Bril, Dasen, Sabatier, & Krewer, 1999; Bril & Lehalle, 1988; Troadec 1999a); Les théories néoconstructivistes — Actuellement, «une bonne dizaine de théories» (Bideaud, 1999, p. 206) permet une conceptualisation du développement cognitif individuel. Celles-ci acceptent désormais, en dépassant la conception constructiviste de Piaget, certaines prédispositions spécifiques très étudiées chez le bébé (Lécuyer, 2001) et un «apprentissage guidé par les contraintes préalables» (Bideaud, 1999, p. 216), rétablissant ainsi un rôle important de l’environnement (voir pour des synthèses, Bideaud & Houdé, 1991; Dasen & de Ribeaupierre, 1987; de Ribeaupierre, 1997). Il semble, selon nous, que bien qu’elles reconnaissent le rôle important des contextes, la plupart des théories néoconstructivistes ne parviennent pas encore à intégrer vraiment dans la théorie, les multiples niveaux contextuels (écologique, socio-politique, économique, historique, culturel, etc.) et se centrent principalement sur l’analyse des tâches que l’enfant doit résoudre (ou micro-genèse). En revanche, si le modèle écoculturel et celui des niches de développement répondent bien à cette exigence, ils intègrent peu une modélisation complexe de la variabilité inter- et intra-individuelle des structures et des représentations. Notre projet actuel consiste alors à conjoindre le modèle écoculturel, les niches de développement, et les modélisations proposées par les théories néoconstructivistes. La mise en œuvre de ce puzzle théorique, à l’appui d’un local constructivism (Jahoda, 1986), fait actuellement l’objet de recherches sur le développement des processus de catégorisation (Troadec, 1998a, 1998b, 1999b) et sur la genèse de l’orientation dans l’espace (Troadec, Martinot, Cottereau-Reiss, & Mellet, 2000; Troadec & Martinot, 2001). La méthodologie Sous la norme universaliste qui postule une unité du psychisme humain, l’approche transculturelle classique (mainstream) consiste à mettre en évidence les universaux anthropologiques qui définiraient ainsi la nature humaine. Cette mise en évidence de la nature de l’homme s’appuie essentiellement sur la méthode expérimentale, issue des sciences de la nature (Mehler & Dupoux, 1990). Dans la mesure où on évoque une opposition entre traditions épistémologiques, ayant des implications sur les théories et les méthodologies utilisées, et ayant fait le choix argumenté d’une option constructiviste, certains «chercheurs attendent peut-être de connaître le nom de la nouvelle méthode qu'on leur propose de sacraliser à la place de la méthode expérimentale [...] On va les décevoir... [...] Aucune méthode (expérimentale ou pas) ne saurait par elle-même garantir la véracité d'une proposition, et donc cautionner scientifiquement le bien-fondé d'une décision» (Le Moigne, 1994, p. 232). De plus, si on connaît l’opposition, parfois virulente, entre les tenants d’une méthodologie de laboratoire, c’est-à-dire de contextes artificiels, et ceux d’une méthodologie de contextes naturels, tous les chercheurs contemporains qui s’intéressent à la relation psychisme/cultures font de la recherche en contextes d’activités quotidiennes, qualificatif qui apparaît d’ailleurs préférable à celui de naturel. S’il n’y a aucune raison de rejeter les connaissances produites par les méthodes de laboratoire, il y a lieu d’admettre aussi que la présence du chercheur sur le terrain crée une situation artificielle par rapport à la vie quotidienne des sujets observés (Laplantine, 1995). D’une certaine façon, dans tous les cas, il y a artifice. Pour en revenir à la méthode expérimentale, Poortinga (1993), à partir d’exemples de recherches interculturelles, argumente l’intérêt des paradigmes quasi expérimentaux dans 20 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. lesquels les performances de groupes de sujets de cultures différentes sont comparées (voir aussi, Hui & Triandis, 1985; Leung, 1989; Poortinga, 1989; Poortinga & Van De Vijver, 1987). Selon l’auteur, ils permettent d’éviter «les dangers d’une explication incorrecte» (Poortinga, 1993, p. 102). Toutefois, dans le cadre d’une étude correctement élaborée, les conclusions relèvent de «la probabilité d’une certaine explication plutôt qu’une autre» (p. 103) et non pas d’une explication certaine. Pour prolonger le point précédent, il apparaît important de préciser que si une différence de performances est observée (c’est-à-dire les expressions publiques des compétences cognitives), elle peut être l’indice d’une différence au niveau des compétences invoquées (c’est-à-dire des croyances du sujet observé). En revanche, une absence de différences de performances n’est jamais la certitude d’une absence de différences au niveau des compétences (Reuchlin, 1995; Troadec, 2001). Les méthodes utilisées dans la recherche interculturelle sont alors celles utilisées habituellement en sciences humaines. Le débat actuel relatif à la pertinence de certaines méthodes par rapport à d’autres, et cela en relation avec des positions épistémologiques importantes quant au statut de la culture mérite, selon nous, d’être dépassé. La culture peut-elle être considérée comme une variable indépendante dans le cadre de paradigmes quasi expérimentaux ou bien doit-elle être considérée comme un processus dynamique incompatible avec le statut de variable? (pour plus de détails, voir Greenfield, 1997; Van de Vijver & Leung, 1997). Avec le souci d’établir une convergence entre les deux approches, souhaitée par Poortinga (1993), notre point de vue consiste à concevoir que la connaissance construite par un chercheur à partir de l’interaction avec un sujet observé, est le produit d’un processus dynamique de création de significations, dans le cadre du projet qui est le sien. La situation de communication interculturelle peut alors être, dans certains cas, une interaction sociale organisée et contrôlée par le chercheur, à partir d’un paradigme quasi expérimental. Dans ce cas, la culture est à la fois un processus dynamique, impliqué dans l’interaction du chercheur et du sujet, mais aussi avec la communauté scientifique, et une variable indépendante. Pour le cas de l’étude du développement de processus cognitifs, Wassmann & Dasen (sous presse) préconisent une méthodologie complexe composée de trois étapes, dont la succession n'est pas déterminée a priori: • (1) Les informateurs privilégiés — La méthode utilisée habituellement par les ethnologues consiste à interroger quelques informateurs qualifiés de privilégiés. Il s'agit de personnes qui «de par leur statut ou leur rôle, possèdent les connaissances requises, et devraient pouvoir présenter une image cohérente du système culturel normatif» (p. X). Cependant, on s'est aperçu que le savoir de ces informateurs n'est pas toujours partagé par l'ensemble d'une population. Il faut donc aussi étendre ce type d'entretiens à beaucoup d'autres personnes. La première méthode consiste donc en l’étude des textes ethnographiques et en l’analyse du discours d’informateurs divers. • (2) L'observation de la vie quotidienne — Il s'avère aussi que «ce que les gens disent dans un entretien ne correspond pas nécessairement à ce qu'ils font» (p. X). L'observation des situations concrètes de la vie quotidienne permet alors de vérifier dans quelle mesure les descriptions verbales se retrouvent dans les activités de tous les jours. La seconde méthode est donc celle de l’observation participante, directe ou instrumentale (photographie, vidéographie, etc.). • (3) Les situations provoquées — Enfin, on sait que si on veut observer un processus particulier auprès d'un nombre important de sujets, il faut attendre très longtemps pour que survienne une situation adéquate dans la vie quotidienne. Il est 21 ème Actes du VIII Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. donc utile de provoquer des situations qui vont permettre d'observer la mise en œuvre du processus envisagé. La troisième méthode est donc celle des paradigmes quasi expérimentaux. Comme on peut le constater, la combinaison de méthodes différentes issues de l’anthropologie et de la psychologie, rend compte d’un point de vue intégrateur et constructif. Il relie à la fois une méthodologie quantitative et qualitative. Sauf à défendre encore une option dualiste, il n’y a pas lieu de séparer les méthodes de la compréhension, issues du constructivisme, et les méthodes de l’explication, issues du positivisme (voir Richelle, 1997). Il est donc stérile d’opposer d’une part une psychologie (inter)culturelle comparative, positiviste et quantitative, et d’autre part une psychologie (inter)culturelle, constructiviste et qualitative. Selon nous, outre le fait que la méthodologie proposée par Wassmann & Dasen (sous presse) ne doive pas être réservée aux seuls sujets des cultures dites non-occidentales, il manque à cette proposition la part objectivée de la subjectivité du chercheur qu’il conviendrait d’ajouter. Ainsi, quelle que soit la méthode utilisée, le choix que fait le chercheur des situations d’observation ne peut être déterminé que par le projet qu’il se donne, en prenant en compte aussi les contraintes logistiques de sa réalisation: étude de caractéristiques intrinsèques à l’objet ; étude de caractéristiques de l’objet dépendantes d’un observateur. Conclusion Comme l’évoque Krewer (1993), la psychologie culturelle «n’a pas pour but de faire abstraction de l’interpénétration de la structure psychique [les représentations mentales] et des contextes d’action et de parole [les représentations publiques]. Mais il s’agit d’utiliser les capacités humaines de créer des moyens intersubjectifs pour établir un dialogue entre différentes vues du monde et manières de vivre [cadre de la communication interculturelle]» (p. 86). Pour répondre aux questions de Bredendiek & Krewer (2001) posées en introduction, les moyens que je me donne pour établir un dialogue interculturel, dans le cadre de mon projet de recherche (et non pas de mon objet) consistent à conjoindre au mieux les approches culturelles et (inter)culturelles comparatives. De l’anthropologie et de l’approche (inter)culturelle, je retiens le rôle fondamental de la subjectivité du chercheur dans l’interaction avec le sujet observé. Une définition naturaliste de la conscience, issue de la philosophie de l’esprit, associée à une définition naturaliste de la culture, issue de l’anthropologie cognitive, me permet de modéliser la situation de communication entre le chercheur qui observe et le sujet observé. Sur cette base, les représentations mentales du sujet observé n’étant pas —à l’heure actuelle— accessibles par l’observation directe, mais seulement inférées de l’observation, la connaissance que j’en ai consiste, par l’induction et l’abduction voire la déduction, en la construction d’un système de symboles, à partir de leurs expressions publiques et de la projection des schèmes du chercheur à fin d’interprétation. De ce point de vue, la culture scientifique est bien un processus de construction de significations dans le cadre d’une activité partagée. A partir d’une épistémologie constructiviste assumée, la modélisation de l’altérité culturelle prend la forme d’une connaissance plausible, falsifiable et révisable. Elle intègre un projet de compréhension d’autrui à l’aide d’instruments ou de schèmes, issus de la culture scientifique et qui sont les médiateurs de cette compréhension. Elle s’appuie sur trois types principaux de schèmes: 22 ème Actes du VIII • • • Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001 sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric. un schème idéologique, dénommé universalisme culturel, qui résulte de l’intégration des normes relativiste et universaliste, telles qu’elles sont étudiées en anthropologie et en sociologie; un schème théorique relatif à une psychologie du développement cognitif en contextes culturels, qui résulte de l’intégration du modèle écoculturel, des niches de développement, et des théories néostructuralistes; un schème méthodologique qui résulte, quant à lui, de l’intégration de méthodes différentes issues de la tradition en sciences humaines et sociales. De l’approche (inter)culturelle comparative, je retiens donc aussi les paradigmes quasi expérimentaux, où la culture est conçue comme une variable indépendante (ou plutôt une package variable). Il en résulte une connaissance communicable à autrui. A cet ensemble complexe de schèmes, s’ajoute enfin l’expérience personnelle dans le Pacifique-Sud et aussi en Occident. Ainsi, lorsque je rends compte à mon frère polynésien des résultats de mes recherches et que celui-ci me dit «mais oui, c’est ça!», sans trop savoir comment le mettre en mots, j’atteins peut-être là un idéal d’interculturation. Et dans ce cas, la modélisation proposée pourrait simplement convenir hic et nunc pour rendre compte et comprendre le phénomène étudié (Von Glaserfeld, 1988). Par récursivité, les connaissances construites ont progressivement transformé les outils de leur production (c’est-à-dire qu’elles ont accommodé mes schèmes de chercheur) et conjointement, il n’est pas impossible qu’elles aient modifié le point de vue (intrinsèque) de mon frère polynésien sur lui-même et sa culture. Comme le souligne Martin (2000), face au projet toujours ambitieux «d’objectivation de la réalité» (p. 85), et afin d’éviter une position naïve ou dogmatique, il convient bien de se donner explicitement, c’est-à-dire publiquement, les moyens de faire, ce que Morin (1982/1990) appelle, de la science avec conscience. Bibliographie Anselme, J.-L. (2001). Branchements. Une anthropologie de l’universalité des cultures. Paris: Flammarion. Augé, M. (1994). Le sens des autres. Actualité de l’anthropologie. Paris: Fayard. Baré, J.-F. (1991). Acculturation. In P. Bonte & M. Izard (Eds.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (1-3) (2ème édition, 1992). Paris: PUF. 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