Bertrand TROADEC

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Actes du VIIIème Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC)
Université de Genève – 24-28 septembre 2001
sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric.
L'auteur assume la responsabilité du texte et en garde les droits.
Approches culturelle et interculturelle comparative:
vers une intégration de paradigmes complémentaires
par Bertrand TROADEC
Université de Toulouse-Le Mirail (UTM)
UFR de Psychologie
Département de Psychologie du Développement
Laboratoire Développement, Contextes, Cultures (LDCC)
5, allées Antonio Machado
31058 - Toulouse - Cedex 1
France
Tél./fax: +33 (0)561.407.693
E-mail: [email protected]
Résumé:
Les débats traditionnels en psychologie interculturelle différencient souvent une approche
dite culturelle (cultural approach) et une approche dite (inter)culturelle comparative (crosscultural approach). L'opposition des courants qui résultent de cette différenciation prend
parfois la forme d'une «bataille» entre celui qui est «dans le vrai» et celui qui est «dans
l'erreur». Le projet de la communication proposée est d'exposer les fondements des deux
approches et, plus spécifiquement, ce qui les rassemble et les sépare.
Toutefois, l'objectif est aussi de montrer la stérilité d'une telle opposition et d'envisager son
dépassement. Il en résulte nécessairement le passage d'une pensée scientifique dualiste,
qui sépare et oppose les approches culturelle et (inter)culturelle comparative, à une
pensée scientifique de la complexité, qui conjoint et intègre les deux approches en
complémentarité.
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Introduction
Le philosophe de l’esprit John Searle, «l’un des plus influents et féroces critiques du
cognitivisme et de l’intelligence artificielle» (Dupuy, 2000, p. 53), affirme que «tout état
conscient est l'état conscient de quelqu'un» (Searle, 1995, p. 139). L’auteur met ici
l’accent sur le fait que, même dans le cadre de la connaissance scientifique, la subjectivité
ou l’intentionnalité de celui qui la produit est essentielle. «Autre conséquence de la
subjectivité: toutes mes formes conscientes d'intentionnalité [celles de Searle] qui me
donnent une information sur le monde indépendamment de moi se font toujours à partir
d'un point de vue particulier. Le monde lui-même n'a pas de point de vue; en revanche,
mon accès au monde par le biais de mes états conscients a toujours une perspective, il se
fait toujours à partir de mon point de vue» (p. 140). Aussi, bien que ce soit inhabituel en
psychologie du développement cognitif, mais dans la mesure où la réflexion qui suit est
faite à partir du point de vue subjectif de son auteur, l’introduction et la conclusion de la
communication sont à la première personne (je).
J’ai passé plus de 20 ans de ma vie en Océanie, dans le Pacifique Sud. Parmi les
événements les plus marquants de cette expérience personnelle, il y a eu mon adoption
(ou fa’a’amu) par une famille polynésienne. J’ai donc eu la chance d’avoir une deuxième
mère et un autre frère. Avec ce dernier, il a toujours été évident que je n’ai pas la même
couleur de peau que lui et que je parle la langue qu’il utilise quotidiennement beaucoup
moins bien. De plus, lorsqu’il est devenu diacre de l’Eglise Protestante, je suis devenu
docteur en psychologie de l’Université de Paris. Autrement dit, il y a toujours eu entre nous
une différence raciale, ethnique, et culturelle. Cette différence, objectivée par la
comparaison constante de l’un avec l’autre, n’a jamais fait de problème. Outre qu’elle nous
a souvent amusés, elle est, encore à l’heure actuelle, notre richesse.
Or, depuis que je suis devenu enseignant-chercheur à l’Université de Toulouse, il m’est
arrivé d’entendre que l’approche (inter)culturelle comparative qui guide, en partie, mes
travaux de recherche et mes enseignements, peut être suspectée parfois, d’une part d’être
raciste, et d’autre part de ne pas être vraiment de l’interculturel. Je me suis souvent
demandé pourquoi des points de vue sur mon histoire personnelle là-bas et ma démarche
scientifique ici pouvaient varier à ce point. Cela m’a tout naturellement amené à
m’interroger sur ce qui fonde la recherche interculturelle et surtout sur la manière dont,
personnellement, j’en fais. De nombreux éléments d’analyse ne sont pas nouveaux. Ils ont
déjà fait l’objet de prises de conscience et de débats au sein même de l’Association pour
la Recherche InterCulturelle (ARIC). Ce qui est peut-être nouveau, c’est mon souci de
dépasser les antagonismes idéologiques et aussi d’exposer les instruments conceptuels et
méthodologiques que j’utilise dans le cadre du projet de recherche qui est le mien. Ces
schèmes du chercheur apparaissent donc construits par la subjectivité de celui qui fait ce
projet. Il s’agit ainsi de considérer l’observateur, c’est-à-dire moi, comme «partie intégrante
de l’objet d’étude» (Laplantine, 1995, p. 168).
Aussi, le premier objectif de la communication est de tenter une analyse idéologique et
épistémologique des différentes approches du rapport psychisme/cultures, et ensuite
d’évoquer en quoi il est stérile de les opposer. Comme l’Association pour la Recherche
InterCulturelle (ARIC) l’a toujours soutenu, et comme de nombreux auteurs qui y adhèrent
l’affirment encore tout récemment, elles apparaissent plutôt complémentaires (par
exemple, Dasen, 2001). Il reste toutefois à préciser en quoi elles le sont, et surtout à en
proposer, si cela est possible, un modèle intégré. Une proposition en ce sens est faite
actuellement par Krewer (1999) et Bredendiek & Krewer (2001; sous presse). Si le
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problème de la construction d’un savoir relatif à l’autre culturel est depuis fort longtemps
familier aux anthropologues (Augé, 1994; Kilani, 1994/2000; Laplantine, 1995),
Bredendiek & Krewer (2001) estiment qu’un modèle intégré de compréhension de l’altérité
culturelle se doit de répondre à deux grandes questions «cruciales» (p. 43):
• Comment et avec quelle complexité le sujet comprend et explique l’interaction entre
deux acteurs interculturels?
• Comment un sujet construit une intersubjectivité interculturelle, c’est-à-dire quelle
est sa stratégie d’interculturalité? «L’idéal de l’interculturalité [étant] une négociation
active avec l’autre afin de trouver de manière consensuelle des potentiels
d’intégration de chaque perspective» (p. 45).
Le deuxième objectif de la communication est de tenter de répondre à ces deux questions,
dans le cadre du projet de recherche interculturelle qui est le mien, et relatif au
développement cognitif de l’enfant. Ici, le sujet dont on parle, est donc moi. Dans ce cas,
les deux questions précédentes deviennent:
• Comment et avec quelle complexité je comprends et explique l’interaction entre
deux acteurs interculturels, dont l’un des deux est moi?
• Comment je construis une intersubjectivité interculturelle, c’est-à-dire quelle est ma
stratégie d’interculturalité?
Qu’est-ce que l’interculturel?
«Cross-cultural psychology [la psychologie interculturelle] is the systematic study of relationships between
the cultural context of human development and the behaviors that become established in the repertoire of
individuals growing up in a particular culture. The field is diverse:
• [1.] some psychologists work intensively within one culture [psychologie culturelle; cultural
psychology, indigenous psychology],
• [2.] some work comparatively across cultures [psychologie (inter)culturelle comparative; crosscultural psychology],
• [3.] and some work with ethnic groups within culturally plural societies [psychologie interculturelle;
acculturation psychology];
all are seeking to provide an understanding of these culture-behavior relationships» (Berry, 1997, p. x).
Les différentes approches
Sur la base de cette définition récente de Berry (1997), Troadec (1999b) et Guerraoui &
Troadec (2000) ont proposé un organigramme des différentes approches du rapport
psychisme/cultures (Tableau n° 1). Ces approches sont historiquement issues d’une
dialectique entre une tendance universaliste ou transculturelle et une tendance relativiste
ou culturaliste (Berry, 1984). Cette organisation rejoint aussi celle proposée, entre autres,
par Bredendiek & Krewer (2001), sous la forme de trois grandes perspectives, estimées
«divergentes» par les auteurs (p. 40), qui tentent de rendre compte de l’altérité culturelle:
• Une perspective dite universaliste, focalisée sur l’unité du psychisme humain, dont
la culture serait seulement une source de variation (avec le statut de variable
indépendante), et qui correspond à ce que nous désignons ci-après par l’approche
(inter)culturelle comparative;
• Une perspective particulariste pour laquelle l’univers culturel constitue le psychisme
humain, le rendant incomparable à un autre culturel, et qui correspond aux
approches culturelle et indigène (indigenous psychology);
• Une perspective constructiviste, où l’altérité culturelle est le produit d’une rencontre
(ou processus de construction de significations) dans le cadre de situations de
communication, et qui correspond à l’approche interculturelle.
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LES APPROCHES DU RAPPORT «PSYCHISME/CULTURES»
Psychologie (inter)culturelle ou (Cross)-Cultural Psychology
Psychologie transculturelle
Psychologie culturaliste
(déterminisme universaliste
(relativisme culturel
ou absolutism)
ou relativism)
Ð
Psychologie
Psychologie
Psychologie
interculturelle
(inter)culturelle
Culturelle ou indigène
(acculturation
comparative
(cultural ou indigenous
psychology)
(cross-cultural
psychology)
psychology)
Acculturation
Acculturation
Ð
et
Enculturation
Interculturation
Enculturation
Clanet (1990)
Berry, Poortinga, Segall,
Shweder (1990)
Denoux (1995)
& Dasen (1992)
Bruner (1991)
Camilleri & Vinsonneau
Segall, Dasen, Berry, &
Kim & Berry (1993)
(1996)
Poortinga (1999)
Cole (1996)
Tableau n° 1 – Les approches du rapport psychisme/cultures
La polysémie des termes
A l’usage, il apparaît que cette typologie est très problématique. On peut tout d’abord
relever une polysémie, déjà ancienne, des termes utilisés pour désigner ces différentes
conceptions, et donc créer des ambiguïtés sémantiques (Krewer & Dasen, 1993; Krewer &
Jahoda, 1993). Par exemple, le même terme peut signifier le tout ou bien une partie de ce
tout. Un spécialiste des structures lexicales ou bien des classifications scientifiques peut
trouver cela surprenant. Le terme francophone interculturel, par exemple, peut dans une
acception large, recouvrir l’ensemble des approches, et dans une acception particulière,
l’approche qui se centre sur l’étude des situations de contacts ou de rencontres entre
personnes de cultures différentes. Le terme anglophone cross-cultural quant à lui, peut
aussi recouvrir l’ensemble des approches dans une acception large, et dans une
acception particulière, l’étude comparative de phénomènes dans des cultures différentes.
Il en est de même pour les termes francophone culturel et anglophone cultural. Ainsi, dans
une acception large et internationale, interculturel équivaut à cross-cultural, mais dans une
acception spécifique et francophone, interculturel est différent de culturel comparatif. De là
à dire que l’approche (inter)culturelle comparative n’est pas de l’interculturel, en jouant sur
les mots, le pas est facile à franchir…
L’aspect psychosocial
Sous un autre aspect (psychosocial et non plus seulement linguistique), Dasen (2000,
2001) rappelle récemment que l’ARIC a défini la recherche interculturelle, et cela dès sa
fondation en 1984 (voir aussi, Krewer & Dasen, 1993), sur la base de deux principales
approches complémentaires (par un regroupement des approches anglophones culturelle
et culturelle comparative):
• l’étude de la diversité culturelle avec ou sans comparaison explicite (approches
culturelle comparative et culturelle tout court);
• l’étude des contacts entre groupes culturels (approche interculturelle).
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Selon Dasen (2001), «stigmatiser cette distinction a été une erreur» (p. 69), parce qu’elle
a créé un antagonisme puissant entre un nous qui est dans le vrai et un eux dans l’erreur.
En effet, la psychologie sociale a depuis longtemps montré l’effet des processus de
catégorisation sociale lors d’interactions, notamment conflictuelles, entre groupes (par
exemple, Doise, 1979). Ces processus apparaissent aussi valides pour expliquer les
relations entre groupes de chercheurs en sciences humaines et sociales. Ils consistent à
valoriser et à homogénéiser son propre groupe d’appartenance (le in-group), identifié par
un label ou une étiquette particuliers, et à dévaloriser et se différencier des autres groupes
(les out-groups), identifiés par d’autres labels ou d’autres étiquettes, créant ainsi des
zones d’exclusion. Si le phénomène est humain, appliqué à la recherche interculturelle, il
peut être nocif et stérilisant. Segall (1993) fait une analyse du même type pour ce qui est
de l’opposition entre la cross-cultural psychology et la cultural psychology, et montre qu’à
bien y regarder, les différences entre eux et nous ne sont pas aussi marquées qu’on le
croit.
Les espaces linguistiques
D’autres aspects problématiques qui résultent de la polysémie des termes utilisés dans la
recherche interculturelle et de l’antagonisme psychosocial qu’ils autorisent, peuvent être
évoqués. Le premier, analysé par Krewer & Dasen (1993) en termes d’espaces
anglophone, germanophone et francophone, s’exprime aussi en termes d’univers
anglophone et de champ francophone par Camilleri & Vinsonneau (1996). En effet, il est
indéniable qu’il y a des traditions différentes, liées à leurs contextes linguistiques,
historiques et sociopolitiques d’émergence, à l’origine des conceptions actuelles du
rapport psychisme/cultures. Krewer & Dasen (1993), par exemple, en font une analyse
détaillée. Selon les auteurs, l’espace anglophone est caractérisé par une dichotomie entre
la cross-cultural psychology qui est une «amplification méthodologique de la psychologie
générale» (p. 54) et la cultural psychology qui souligne «la capacité d’autorégulation
psychique de l’individu dans le contexte culturellement préstructuré de l’action et de la
communication quotidienne» (p. 55). L’espace germanophone est différencié aussi par les
mêmes approches: la kulturvergleichende psychologie et la kulturpsychologie (tradition
herméneutique et théorie de l’action). Enfin, dans l’espace francophone, on retrouve aussi
les deux conceptions précédentes ainsi qu’une «particularité» (p. 56), qualifiée de
psychologie de l’interculturel, qui est «l’étude des effets psychologiques d’une existence
entre deux cultures» (p. 56) (voir Tableau n° 1). Il convient toutefois d’être très prudent
quant à une utilisation parfois réductrice de ces catégories et d’affirmer que la recherche
interculturelle n’a pas de frontières, notamment linguistiques. Sous peine de créer à
nouveau des zones d’exclusion (nous vs. eux), les différentes traditions qui la composent
ne se réduisent pas à des espaces, champs, ou univers linguistiquement clos.
Les mono- et les pluri-cultures
Vu sous un autre angle, la citation de Berry (1997), l’organigramme de Troadec (1999) et
Guerraoui & Troadec (2000), les analyses de Dasen (2000) et Bredendiek & Krewer
(2001), laissent supposer qu’il semble possible de différencier:
• des études «d’un phénomène à l’intérieur d’une seule culture» (Dasen, 2000, p. 11)
ou culturelles et monoculturelles;
• des études «d’un phénomène dans plusieurs cultures» (idem) ou biculturelles et
pluriculturelles;
• des études de «processus mis en jeu par la rencontre de personnes d’origines
culturelles différentes» (idem) ou multiculturelles et interculturelles.
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Or, les mélanges et les métissages culturels existent depuis longtemps et dans toutes les
sociétés humaines (Gruzinski, 1999). Les sociologues ont montré que les sociétés
contemporaines sont désormais toutes pluriculturelles. Ainsi, «au Nord ou au Sud, à l’Est
ou à l’Ouest, la plupart des Etats-Nations sont ou deviennent des sociétés pluriculturelles.
La banalité de ce constat ne doit cependant pas occulter la complexité des situations»
(Gosselin & Ossebi, 1994, p. 5). La typologie précédente ne semble alors avoir d’intérêt
que pour la clarté du discours, qu’il soit scientifique ou non. Elle renvoie d’ailleurs
directement à la définition, rarement consensuelle, que l’on se donne de la notion de
culture (par exemple, voir le débat de Jahoda, 1984; Rohner, 1984; Segall, 1984). Il
s’avère que, sur la base d’une «disposition cognitive» relative au «domaine spécifique»
qualifié de «sociologie naïve» (Sperber & Hirschfeld, 1999, p. 11), les notions de races,
d’ethnies, et de cultures, notions-clé de la recherche interculturelle, apparaissent être
surtout des constructions historiques et culturelles. Il n’y a pas de race en soi (Segall,
1999), pas d’ethnie en soi (Breton, 1992), et pas de culture en soi (Anselme, 2001). C’està-dire que ces notions ne sont pas des objets «plus ou moins [extérieurs] aux individus»
(Dasen, 2000, p. 12), mais des concepts construits par eux, dépendants d’observateurs
conscients (chercheurs ou non) pour différencier à nouveau le eux du nous. Même si cela
est banal, il est important de préciser que «pour qu’une culture existe, il faut qu’il y en ait
au moins deux, car la culture ne se définit jamais que relativement. Elle se construit par
assimilation [au nous] des apports extérieurs et différenciation par rapport aux autres
cultures [c’est-à-dire eux]» (Latouche, 1999, p. 9). Races, ethnies, et cultures, se
conjuguent donc au pluriel. Il arrive souvent qu’on oublie le statut d’artefact de ces notions
et qu’on finisse par les prendre pour une réalité objective et vraie. Toutes les cultures
contemporaines étant donc interculturelles, ou bien métisses (Gruzinski, 1999), et toute
personne étant multiculturelle (Wieviorka, 2001), il convient d’être attentif à ne pas tenir
«les mots pour les choses»! (Laplantine, 1995, p. 193), mais à situer constamment le
vocabulaire du chercheur, ou de tout autre individu, dans son contexte de significations.
On évoque rapidement une autre opposition du même type, appliquée parfois aux deux
champs évoqués plus haut et qui rend compte de ce que Camilleri & Vinsonneau (1996)
appellent deux «âges» de la discipline (p. 5), correspondant à ce que Lavallée & Krewer
(1997) définissent comme «une vision descriptive et statique de la culture» (p. 38)
opposée à «une autre, plus dynamique» (p. 39). Dans la mesure où, même pour les
sociétés les plus anciennes ou les plus isolées, il y a un changement culturel ou bien un
métissage constants, au cours de leur histoire, «dimension banale et constitutive de toutes
les sociétés […] si l’on admet qu’aucun ensemble culturel ne se forme indépendamment
d’influences "extérieures"» (Baré, 1991, p. 2), les mono-, bi-, pluri-cultures socialement
construites sont toujours des phénomènes dynamiques et évolutifs.
Et la comparaison?
Enfin, faut-il comparer ou non dans la recherche interculturelle? Dans la conception
classique, ou objectiviste, le chercheur est conçu comme ayant une attitude de neutralité
bienveillante n’influençant pas les observations qu’il réalise. Il n’en serait que le révélateur
objectif. L’anthropologie, selon Laplantine (1995), a montré depuis longtemps que cette
conception est erronée pour les projets qu’elle se donne. «Nous ne sommes jamais des
témoins objectifs observant des objets, mais des sujets observant d’autres sujets» (p.
168). On trouve aussi un constat similaire en psychologie du développement cognitif
(Lautrey & Rodriguez-Tomé, 1976). Il n’y a donc pas lieu de dissocier celui qui observe de
celui qui est observé, mais il est nécessaire de les distinguer pour l’analyse. L’objectif doit
ainsi être de viser à «ce qu’une situation d’interaction (toujours particulière) devienne la
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plus consciente possible» (Laplantine, 1995, p. 169). Sans cela, le risque d’une projection
ethnocentrée est important du fait d’une comparaison implicite, non maîtrisée, des
représentations du chercheur avec les faits observés (voir Dasen, 1993). Comme Bril &
Lehalle (1988) l’évoquent, dans une situation d’observation entre un chercheur et un sujet,
quelle qu’elle soit (même lors d’entretiens non directifs), la signification du discours du
sujet, par exemple, est toujours le produit d’une comparaison avec les significations
actuelles ou les schèmes du chercheur. Il apparaît donc fondamental d’expliciter les bases
de cette comparaison ou «tertium comparationis» (Krewer, 1993, p. 85) et, de ce point de
vue, la recherche interculturelle apparaît toujours comparative.
Dans la mesure où ils sont encore présents dans certains discours actuels, les problèmes
qui viennent d’être évoqués doivent être constamment explicités et, selon nous, à
dépasser. En revanche, il semble qu’une question de fond, qui anime d’autres débats de
la communauté scientifique interculturelle, soit parfois sous-jacente aux aspects
problématiques que l’on vient d’analyser, tels que la définition de la notion de culture et le
rôle du chercheur dans l’interprétation des faits observés. Il s’agit d’un débat qui porte sur
les fondements d’une connaissance scientifique de l’Homme.
Fondements épistémologiques
«Cross-cultural and cultural psychology have emerged as two differing approaches to the study of the
relationship between psychology and culture. It is suggested that cross-cultural psychology and cultural
psychology tend to follow the differing traditions of natural versus human sciences that developed within the
intellectual history of Europe starting from its Age of Enlightenment. While cross-culturalists generally
emphasize laws of nature that account for the universal features of human behavior, cultural psychologists
tend to focus on differing cultural traditions that shape the behavior of psychologists as well as their sujects
in differing molds.
These theoretical differences in the two approaches are reflected in their methodologies. Cross-culturalists
adopt positivistic methods such as operationally defined, quantitative variables and standardized measuring
instruments. Cultural psychologists use qualitative methods which elicit extensive descriptions that are
analyzed according to interpretive procedures» (IACCP, 2000, p. 121).
Hormis le fait que la citation précédente rende encore compte d’un cloisonnement en deux
camps opposés, et bien que l’opposition évoquée porte sur des différences théoriques et
méthodologiques, il semble plutôt que ce soit d’une différence épistémologique qu’il s’agit.
Krewer (1993) estime qu’elle «renvoie au rapport entre objet [de connaissance] et sujet
[connaissant]» (p. 86) et en retrace le cheminement historique sous les appellations
francophones de psychologie transculturelle (où cette fois-ci cross = trans) et culturelle.
Cette opposition rend compte, selon nous, de deux grandes traditions épistémologiques:
le positivisme et le constructivisme. Cette différence est exprimée récemment par Dasen
(2000) qui propose un schéma selon lequel quatre options de recherches interculturelles
semblent possibles (voir aussi Lucariello, 1995), que nous regroupons en deux options
épistémologiques:
• une approche (post)positiviste et quantitative; la psychologie générale ou
transculturelle (mainstream psychology) et la psychologie (inter)culturelle
comparative (cross-cultural psychology);
• une approche interactionniste ou constructiviste, et qualitative; la psychologie
interculturelle (acculturation psychology) et la psychologie culturelle, voire indigène
(cultural ou indigenous psychology).
Selon le schéma précédent, dans la mesure où l’approche (inter)culturelle comparative à
laquelle est attaché notre projet de recherche apparaît d’inspiration positiviste et que la
conception du développement cognitif dans la tradition (post)piagétienne est
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constructiviste, il convient d’analyser le paradoxe selon lequel la première ne serait pas un
paradigme valide pour l’étude de la deuxième. Pour commencer, et parce qu’elle suscite
notre intérêt, qu’est-ce qu’une épistémologie constructiviste? Le constructivisme peut être
défini comme «un discours sur les fondements de la connaissance scientifique» (Le
Moigne, 1994, p. 9) ou bien comme «une théorie générale de la connaissance» (idem),
parmi d'autres. En particulier, il s'oppose au discours encore dominant de la science
occidentale, c’est-à-dire le positivisme (pour une présentation, voir Kremer-Marietti, 1982).
Le constructivisme apparaît il y a un siècle sous la plume de mathématiciens, et est
réhabilité progressivement, à partir des années 70, notamment sous l'influence de
l'émergence de nouvelles sciences, dont la science des systèmes, ou systémique. «C’est
sans doute parce qu’elles peuvent exposer aujourd’hui dans des termes culturellement
recevables les quelques hypothèses fondatrices qu’elles retiennent pour définir le statut et
la méthode de la connaissance (leur réponse au problème des fondements, gnoséologie
et méthodologie), que les épistémologies constructivistes peuvent désormais afficher leur
prétention à leur institutionnalisation socioculturelle» (Le Moigne, 1995b, p. 66).
Les épistémologies constructivistes font l’hypothèse fondamentale que «le réel existant et
connaissable peut être construit par ses observateurs qui sont dès lors ses constructeurs
(on dira plus volontiers: modélisateurs). Construction cognitive, ou artificielle, familière
depuis longtemps aux mathématiciens, qui font exister ces "objets réels par construction"
que sont les figures géométriques, les nombres ou les opérateurs symboliques» (Le
Moigne, 1995b, p. 40). Le terme construit équivaut donc ici à artificiel. De plus, la
connaissance de l’expérience du sujet cogitant est connaissable s’il lui attribue une valeur
propre. «Valeur dont la définition ne peut pas être tenue pour indépendante du sujet
connaissant (comme le sera par exemple la valeur de "vérité objective" pour un réaliste,
ou de "vérité révélée" pour un croyant religieux)» (p. 67). Cette connaissance de
l’expérience du sujet cogitant doit enfin lui être accessible par la médiation de
représentations construites par lui, à l’aide de systèmes de symboles.
Cette hypothèse fondatrice de toute connaissance n’est peut-être pas propre au seul
paradigme constructiviste. «Mais le sera le complément suivant: cette représentation [via
les systèmes de symboles] construit la connaissance qu’ainsi elle constitue» (p. 69).
Piaget a exprimé cette inséparabilité de l’acte de connaître un objet et de l’acte de se
connaître (en train de connaître l’objet) dans une citation célèbre. «L’intelligence (et donc
l’action de connaître) ne débute ainsi ni par la connaissance du moi, ni par celle des
choses comme telles, mais par celle de leur interaction; c’est en s’orientant simultanément
vers les deux pôles de cette interaction qu’elle [l’intelligence] organise le monde en
s’organisant» (Piaget, 1937/1977, p. 311). Comme l’évoque Le Moigne (1995b), on ne
peut plus dès lors séparer la connaissance et l’intelligence (ou la subjectivité) qui la
produit, et il faut définir la connaissance par le processus qui la forme autant que comme
le résultat de ce processus.
En systémique, qui est la science des systèmes, un système est paradoxalement
composé de parties (par exemple, des symboles) et irréductible à la somme de ses
parties. Il s'entend par ses projets ou ses fonctions (c'est-à-dire ce à quoi il sert) et non par
ses organes (c'est-à-dire ce avec quoi il est fait). Il est ce que l'esprit cherche et qui
pourtant n'existe pas encore (donc, c'est une invention). Il est descriptible par quelques
représentations intelligibles (schémas, dessins, textes, etc.) sans pourtant témoigner de la
moindre existence matérielle. Il est alors la construction ou l'artefact qui permet, par projet,
de piéger la réalité. Enfin, «il y a artefact [ou système] lorsqu'il y a adaptation délibérée
d'un projet dans un environnement» (Le Moigne, 1994, p. 88). Von Glaserfeld (1988)
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estime, pour sa part, que la nature est piégée lorsque la modélisation construite convient
pour en rendre compte. Le Moigne (1994) affirme que «la modélisation systémique des
phénomènes et des organisations perçus complexes constitue sans doute un des
programmes de recherche les plus importants que se proposent les sociétés
contemporaines» (p. 138). Enfin, toujours selon l’auteur, il y aurait à la fois autonomie et
indépendance conceptuelle des pratiques, puis des principes méthodologiques de la
modélisation systémique, et du développement dans les cultures scientifiques des
épistémologies constructivistes. Il faut préciser aussi que la notion de complexité utilisée
en systémique et dans le cadre de cette communication «est la propriété d'un système
modélisable susceptible de manifester des comportements qui ne soient pas tous prédéterminés (nécessaires) bien que potentiellement anticipables (possibles) par un
observateur délibéré de ce système» (p. 177). Ces comportements sont qualifiés alors
d’émergences. En complément d’une définition psychosociale évoquée plus haut, on peut
considérer la culture comme un système émergeant, dans la mesure où elle «permet aux
humains de transcender leurs limites physiques et cognitives grâce au développement et à
l’utilisation d’aptitudes et d’artefacts acquis […] Les adaptations culturelles permettent de
faire mieux que les adaptations cognitives, dans le sens où les aptitudes et artefacts
culturels autorisent l’accomplissement de comportements non prédictibles par la seule
architecture cognitive humaine» (Sperber & Hirschfeld, 1999, p. 6).
On présente maintenant une synthèse des caractéristiques principales des épistémologies
positivistes et constructivistes (Tableau n° 2), d’après l’analyse détaillée proposée par Le
Moigne (1994, 1995a, 1995b).
Contextes idéologiques
ou corps d’hypothèses
Epistémologies
Positivistes
Hypothèse
ontologique
Epistémologies
constructivistes
Hypothèse
phénoménologique
La réalité connaissable peut être définie
comme étant constituée d’objets dotés
d’une essence propre, indépendante du
discours par lesquels ces objets sont
décrits et connus. La réalité est alors
«découverte» ou «positive».
La réalité connaissable peut être définie
par la représentation de l’expérience du
réel que s’en construit un sujet prenant
conscience ou connaissant. Elle admet
qu’il y ait une réalité «en soi». Mais elle
est alors «inventée» ou «construite».
Hypothèse
analytique
Hypothèse
dialectique
La réalité qui existe, indépendamment
du sujet connaissant, peut être
décomposée (ou divisée) en parties,
ou objets positifs.
La réalité connaissable, par un sujet
qui s’en construit une représentation,
résulte d’une capacité à conjoindre
les discours.
Hypothèse
déterministe
Hypothèse
téléologique
La réalité connaissable est soumise à
des lois éternelles et stables qui en
sont la cause, ou la raison
déterminante.
Le monde est fait de nécessités
causales
La réalité connaissable est le produit
d’un projet finalisé, fait par un sujet
pour la connaître et opérant alors des
choix.
Le monde est fait de possibles
finalisés.
Epistémologies
positivistes
Epistémologies
constructivistes
La connaissance du réel est
organisée par les objets positifs qui la
composent. Chaque objet, ou
morceau de la réalité, définit ainsi une
discipline scientifique
(Î monodisciplinarité).
La connaissance du réel est le produit
d’une invention ou d’une conception
de phénomènes, artificiels ou
naturels, délibérément construits par
leurs observateurs (Î
transdisciplinarité).
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Discours et options
épistémologiques
Connaissance-objet
Connaissance-projet
L’indépendance de l’objet à connaître
et du sujet connaissant fonde
l’objectivité. Le sujet observant n’est
pas modifié par l’interaction avec le
phénomène observé.
La dépendance de l’objet à connaître
du sujet connaissant fonde la
projectivité.
Le sujet observant se construit en
interaction avec le phénomène
observé.
Vérification
Invention
Les énoncés positivistes sont des
vérités parce qu’ils sont vérifiés par la
logique déductive et l’observation
empirique:
Prémisses vraiesÎConclusion vraie
Les énoncés constructivistes sont
plausibles parce qu’ils sont créés par
la logique inductive et abductive:
Prémisses vraiesÎConclusion
probable
Principe
de moindre action
Toute loi qui rend compte de la réalité
connaissable est une optimisation
d’une adaptation ou d’une fonction de
potentiel.
Conséquences
méthodologiques
Principe
d’action intelligente
La complexité de la réalité
connaissable ne se réduit pas à
l’action intelligente du sujet qui la
modélise avec sa raison.
Sciences
de l’analyse
Sciences
de la conception
L’épistémologie positiviste implique
des sciences de l’analyse, fondées
sur la démonstration empirique et la
logique déductive (Î preuve; vérité).
L’épistémologie constructiviste
implique des sciences de la
conception, fondées sur la
démonstration axiomatique et
inductive (Î argumentation;
faisabilité).
Réductionnisme
Interactionnisme
L’épistémologie positiviste est définie
par un réductionnisme de méthode,
lié à la modélisation analytique. Celleci rend compte d’un paradigme de la
nécessité causale, de la linéarité et de
l’explication (énoncés vérifiés
empiriquement).
L’épistémologie constructiviste est
définie par un interactionnisme de
méthode, lié à la modélisation
systémique. Celle-ci rend compte d’un
paradigme de la possibilité
téléologique, de la récursivité et de la
compréhension.
Tableau n° 2 – Fondements des épistémologies positivistes et constructivistes
Il convient de préciser que le passage d’une épistémologie positiviste à une épistémologie
constructiviste ne consiste pas à révolutionner la science, mais à modifier ou changer le
regard porté sur la connaissance scientifique. Habituellement conçue comme la
découverte ou le dévoilement d’objets positifs existant déjà, indépendants de tout
observateur, la connaissance devient une invention ou une conception de phénomènes
artificiels ou non, construits (c’est-à-dire modélisés) par leurs observateurs qui en font le
projet. On peut alors s’interroger sur la pertinence des revendications des psychologues
culturels, tels que Shweder (1990), Bruner (1991), Cole (1988, 1995, 1996), Ratner
(1997), qui souhaitent participer de l’émergence d’une nouvelle discipline, résolument
inscrite dans une épistémologie constructiviste, tout comme celle d’une discipline
autonome (d’après Dasen, 2000, p. 11) des psychologues de l’interculturation (Camilleri,
1993; Clanet, 1990; Denoux, 1995). Segall (1993) en critique vivement l’attitude selon
laquelle «leur carte serait un reflet exact de la réalité, alors que l’autre carte en fournirait
une image déformée» (p. 92). Par ailleurs, l’adoption d’une épistémologie constructiviste
n’est pas cohérente avec une revendication de séparation mono-disciplinaire.
Ainsi, faut-il choisir un paradigme contre l’autre? Selon Le Moigne (1994), on peut retenir
l'une ou l'autre des deux hypothèses évoquées ci-dessus «par un acte de foi» (p. 117).
L'hypothèse ontologique, par exemple, permet une argumentation de la légitimité de
connaissances dites objectives, établies en vérité (le réel en soi). L'hypothèse
phénoménologique, quant à elle, permet une argumentation en conscience de
connaissances dites subjectives permises par l'expérience du sujet actif (le réel par soi). Si
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les constructivistes apparaissent beaucoup plus à l'aise avec l'hypothèse
phénoménologique, Le Moigne (1994) estime qu'il ne s'agit pas d'être contraint par l'une
ou par l'autre des deux, c'est-à-dire d'avoir à choisir, mais de veiller plutôt à l'acceptabilité
par la communauté scientifique et par les populations étudiées, ou si on préfère, à
l'enseignabilité des énoncés scientifiques produits.
De même, conjoindre et disjoindre font partie des activités cognitives humaines courantes.
L'idéologie retenue par les constructivistes est d'affirmer le primat de la conjonction (ce qui
implique l'ouverture de la connaissance par la transdisciplinarité)1 sur la disjonction (ou
fermeture de la connaissance en disciplines académiques) et donc, fait le choix de
l'hypothèse dialectique plutôt qu'analytique, ce qui détermine d'ailleurs la méthodologie
associée. Enfin, toujours selon Le Moigne (1995b), «on peut certes concevoir une
hypothèse déterministe qui postulerait quelques causes invisibles, que l’on appellera
"pression culturelle", "manipulation médiatique", "conditionnement neuronal ou humoral",
qui méta-détermineraient à chaque instant le système de finalité auquel se réfère chaque
sujet connaissant (que ce soit pour désigner celles de ses expériences auquel il sera
attentif, ou pour interpréter les connaissances qu’ainsi il établit). Mais cette hypothèse du
type "Big Brother veille sur vous" semble en général moins plausible, ou moins attrayante
à la plupart des humains que celle de leur capacité (éventuellement limitée) à
s’autofinaliser!» (p. 75).
Pour terminer cette discussion, il convient de rappeler que le constructivisme n’appartient
donc pas à certains (par exemple, l’approche culturelle), et pas aux autres (l’approche
comparative), surtout lorsqu’on s’inscrit dans la continuité de la perspective
épistémologique de Piaget. Si on admet la complémentarité des deux positions, comment
faire pour les intégrer? Il semble qu’il faille tout d’abord se débarrasser de la pensée
dualiste cartésienne. Celle-ci sépare les contraires et crée des oppositions et des
exclusions mutuelles. Il faut alors invoquer une pensée qui conjoint, qui réunit les
contraires et les oppositions apparentes, sans les exclure. Une proposition stimulante est
faite en ce sens par Morin (1990), sous l’appellation de pensée complexe.
Intégration des paradigmes
La subjectivité
Vouloir intégrer le rôle de l’observateur dans l’observation, c’est-à-dire le rôle de la
subjectivité du chercheur, à l’appui d’une épistémologie constructiviste, implique une
définition minimale de son activité consciente. En philosophie de l’esprit, le débat actuel
est particulièrement riche (voir pour des synthèses, Dupuy, 2000; Fisette & Poirier, 2000).
Sur ce sujet, Searle (1985, 1995, 1998, 1999) critique les deux traditions dominantes de
l'étude de l'esprit: le dualisme et le matérialisme. On rappelle succinctement que le
dualisme prône, entre autres, une différence ontologique du corps et de l'esprit (qu'il soit
une âme ou bien une conscience). «Au XXème siècle, ce dualisme est devenu un obstacle»
(Searle, 1995, p. 18). Il faut souligner que, bien qu’il soit en apparence rejeté par une
majorité de psychologues, le dualisme (tout comme le positivisme, d’ailleurs) perdure sous
de nombreuses formes déguisées. De même que «le ver dualiste s’avère s’être logé dans
le fruit cognitiviste» (Dupuy, 2000, p. 23), Richelle (1997) analyse «l’opposition entre un
niveau biologique et un niveau des opérations mentales construites par des processus
socio-historiques» (p. 2), faite par des représentants actuels de la tradition historico1
On se réfère ici à la Charte de la Transdiciplinarité, rédigée par Lima de Freitas, Edgard Morin, et Basarab Nicolescu,
Convento da Arrábida, le 6 novembre 1994.
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culturelle —non-dualiste— de Vygotski (Bronckart, Clémence, Schneuwly, & Schurmans,
1996). Le dualisme déguisé, sous-jacent à cette conception, «donne aux facteurs sociohistoriques un statut considérablement différent de celui des facteurs biologiques» (idem).
Dans la mesure où il est admis de nos jours que les stimuli de l’environnement ou bien
aussi l’intentionnalité propre du sujet déclenchent des phénomènes mentaux qui sont
causés par des processus cérébraux, le dualisme de l'esprit et du corps ne se présente
plus comme une ontologie valide. Mais, selon Searle (1995), comment se fait-il que la
seule approche rationnelle alternative soit le matérialisme et pourquoi celle-ci nie-t-elle
l'existence d'états mentaux conscients et subjectifs? En effet, le matérialisme strict, quant
à lui, réduit les phénomènes mentaux à des processus complexes neurophysiologiques.
Le paradigme cognitiviste postule que «le cerveau et l’esprit sont l’un et l’autre une
machine, et c’est la même machine. Le cerveau et l’esprit, donc, ne font qu’un» (Dupuy,
2000, p. 32). L'essor actuel des sciences cognitives, sous l’influence dominante de la
philosophie positiviste, montre ainsi une tendance nette à la réduction des phénomènes
psychologiques aux seuls processus neurobiologiques.
Searle (1995) soutient au contraire que le cerveau humain est un organe comme un autre,
c’est-à-dire un système biologique, qui possède la caractéristique spécifique de produire
de la conscience ou de la subjectivité. Les phénomènes mentaux, étudiés notamment par
les psychologues, sont donc causés par les processus neurophysiologiques du cerveau,
mais en sont des propriétés émergentes —à l’heure actuelle— irréductibles à la seule
activité cérébrale. Les objets mentaux, ou représentations mentales, ont ainsi cette
propriété particulière que les matérialistes stricts semblent, selon l’auteur, répugner à
accepter: la subjectivité. Il s’ensuit que l’ontologie du mental «est essentiellement une
ontologie à la première personne» (p. 39). De ce fait, il en résulte que l’on ne peut «en
aucune manière observer la conscience de quelqu’un d’autre comme telle» (p. 142).
Searle (1995) propose comme alternative au dualisme cartésien et au monisme
matérialiste, un naturalisme biologique pour lequel il convient de différencier des
caractéristiques intrinsèques du Monde, indépendantes de tout observateur (ou positives)
et des caractéristiques relatives à un observateur et qui en dépendent (ou construites). On
trouve donc bien ici une conjonction étroite entre les épistémologies positiviste et
constructiviste. L’auteur soutient que la conscience et l'intentionnalité (ou aussi la
signification) sont des caractéristiques intrinsèques du cerveau humain, mais que le calcul
(ou bien la computation de symboles) est relatif à celui qui l’observe. Si le cerveau est une
machine biologique qui pense, il arrive aussi parfois qu’elle calcule. Les cerveaux sont
donc des ordinateurs (biologiques), puisqu’ils calculent, tout comme les ordinateurs
(artificiels). Mais «dans notre crâne, il n’y a que le cerveau, avec toute sa complexité, et la
conscience, avec toute sa couleur et sa variété […] Si nous recherchons des phénomènes
qui soient intrinsèquement intentionnels mais inaccessibles en principe à la conscience,
rien de tel s’y trouve: pas de règle que l’on suit, aucun traitement d’information mentale,
aucune inférence inconsciente, pas de modèles mentaux, pas d’esquisses primitives, pas
d’images en deux dimensions et demie, pas de descriptions tridimensionnelles, aucun
langage de la pensée, et aucune grammaire universelle» (p. 305). Searle rejette ainsi tout
un niveau de causalité psychologique classique (une cause mentale inconsciente
produirait une certain effet comportemental) et affirme qu'il n'y a rien d'autre dans le
cerveau (et dans les ordinateurs artificiels) qu'un mécanisme physique brut interne qui
produit un effet physique brut. La composante normative (notamment l’interprétation
computationnelle) est alors externe et relative à celui qui observe. Elle est donc aussi
culturelle. «Bref, les faits réels de l’intentionnalité contiennent des éléments normatifs,
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mais lorsqu’il s’agit d’explications fonctionnelles, les seuls faits sont des faits physiques
aveugles et bruts, et les seules normes sont en nous et n’existent que de notre point de
vue» (p. 317). Ainsi, par exemple, Le Moigne (1994), affirme que «nul n’a jamais vu de
système [notamment culturel et cognitif] dans la nature» (p. 74). Toutefois, les choses ne
sont pas toujours aussi claires. Bruner (2000) estime que Piaget n’a jamais levé
l’ambiguïté sur le fait que les structures d’opérations qu’il décrit sont «dans le répertoire
d’activités de l’enfant» ou bien «dans le point de vue du théoricien de l’esprit» (p. 239).
Il est à souligner que l’adoption d’une ontologie matérialiste non réductionniste, c’est-àdire un naturalisme biologique, est une possibilité ontologique parmi d’autres, offerte par la
culture scientifique contemporaine. Elle résulte, tout comme l’option constructiviste, d’un
acte de foi ou d’une position de principe. En philosophie de l’esprit, certains auteurs
conservent encore une conception dualiste (par exemple, Eccles, 1997), d’autres
défendent un matérialisme plus strict (Dennett, 1990, 1993, 1998). Le choix que nous
faisons de cette option (car il est nécessaire d’en faire un…) est justifié par une
impossibilité personnelle à «choisir» actuellement et parce qu’il peut permettre d’en
«prouver [éventuellement] la fausseté» (Dupuy, 2000, p. 20). Ce débat philosophique sur
l’esprit pourrait toutefois ne correspondre qu’à un «monologue tranquille de l’Occident
avec lui-même» (Laplantine, 1995, p. 186). Or, «ne faudrait-il pas [aussi] laisser leur place
à ce qu’on appelle parfois les ethno-sciences» (Barreau, 1998, p.18)? Il existe
effectivement de rares expériences que l’on peut qualifier de communication interculturelle
au sujet de l’ontologie de la conscience et des méthodes de son analyse. Déjà amorcé en
philosophie (par exemple, Jambert, 1983), un débat plus récent entre les sciences
cognitives et la philosophie bouddhiste permet d’exposer et de confronter de manière
fructueuse, deux cultures différentes (S.S. Dalaï-Lama, 2000; Hayward & Varela, 1995;
Ricard & Trinh Xuan Thuan, 2000; Varela, Thompson, & Rosch, 1993). Cependant, selon
Barreau (1998), si la science occidentale «est devenue le modèle de la science mondiale»
(p. 19), à cause de son esprit plutôt que de ses contenus, la question de sa prééminence
et de la coexistence des cultures (ethno)scientifiques reste encore, selon l’auteur, très
ouverte. Cette question renvoie aussi à celle, éminemment délicate, d’une compréhension
de leurs qualités inégales (Diamond, 2000). On atteint là, parfois, l’incommensurabilité.
Comment, en effet, comparer un dualisme où l’âme est d’essence divine, ou bien où
l’esprit est soumis à un inconscient d’origine naturelle, avec un monisme strictement
matérialiste ou bien émergentiste? La seule voie possible apparaît être celle d’un
relativisme tempéré, dans le cadre d’un dialogue interculturel constant, qui implique à
l’heure actuelle une relativisation de l’universalisme «cannibale» de l’Occident (Latouche,
1999). Selon l’auteur, même la notion affirmée transcendante des droits de l’homme
apparaît inspirée par une conception particulière de l’individu. «S’il faut exclure l’existence
de valeurs transcendantales, il peut y avoir des valeurs transculturelles, c’est-à-dire
partagées. La question du respect de la dignité humaine ou d’un ordre social juste est
susceptible de servir de base à [ce] dialogue interculturel» (p. 16).
L’intersubjectivité
Comme l’anthropologie l’a montré (Laplantine, 1995), la situation d’observation d’un sujet
par un sujet-chercheur implique une intersubjectivité. De plus, le chercheur «perturbe une
situation donnée, et même crée une situation nouvelle, due à sa présence» (p. 169) qui,
en retour, peut aussi le perturber. Afin que cette situation d’interaction dynamique de deux
subjectivités —au moins— se perturbant réciproquement, soit la plus consciente possible,
il convient alors de tenter d’en proposer une modélisation.
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D’une conception naturaliste de la conscience, on retient que les états mentaux, ou les
représentations mentales internes, sont des propriétés émergentes de l’activité cérébrale,
intrinsèques au cerveau et subjectives parce qu’elles relèvent d’une expérience à la
première personne. Ces états mentaux pourraient résulter, mais maintenant selon le point
de vue construit (c’est-à-dire particulier et parmi d’autres) d’un observateur en sciences
cognitives qui fait le projet de les modéliser:
• d’une boîte à croyances, ou mémoire. Selon Sperber (1996), les croyances
produites par les processus cognitifs sont de deux types:2
1. d’une part, des croyances intuitives relatives à des concepts de base, qui
procèdent «de processus perceptuels et inférentiels spontanés et
inconscients» (p. 123);
2. d’autre part, des croyances réflexives qui «sont des interprétations de
représentations, enchâssées dans le contexte validant d’une croyance
intuitive» (idem). Ces dernières, telles que les mythes, les idéologies, les
théories, sont essentiellement le produit de la communication humaine.
• de processus inférentiels inconscients. Toutes les croyances ne sont pas
représentées ou stockées dans la boîte à croyances. Certaines d’entre elles sont
donc inférées hic et nunc inconsciemment à partir de celles qui sont disponibles
actuellement en mémoire.
A partir d’un modèle des représentations mentales en terme d’une boîte à croyances
complété de processus inférentiels, Sperber & Wilson (1989) estiment que lorsque deux
sujets sont en interaction à visée de communication, les états mentaux internes de l’un ne
se répliquent pas à l’identique dans le cerveau de l’autre via les vecteurs externes de la
communication (langage, gestes, etc.). En effet, «la communication humaine aboutit
généralement à certain degré de ressemblance, et non pas à une identité […] Le degré de
transformation [d’une représentation mentale] peut varier entre deux extrêmes: la
duplication d’une part et la perte totale d’information d’autre part» (Sperber, 1996, p. 115).
On définit alors des représentations publiques externes qui sont «des phénomènes
matériels dans l’environnement des personnes et représentent quelque chose pour les
personnes qui les perçoivent et les interprètent» (p. 108). Ces phénomènes matériels,
produits publiquement, peuvent posséder des caractéristiques intrinsèques en qualité
d’objets positifs (des tâches d’encre, par exemple), et des caractéristiques relatives au
sujet qui les interprète, en qualité d’objets construits (des symboles).
Dans le cadre d’une conception naturaliste, les représentations dites culturelles ou
sociales peuvent être définies comme la mise en correspondance d’états mentaux
particuliers (ou représentations mentales) avec certains phénomènes matériels de
l’environnement (ou représentations publiques) qui ont comme fonction de les représenter.
Ainsi, «les représentations publiques n’ont de signification qu’à travers leur association
avec des représentations mentales» (Sperber, 1996, p. 112). Relativement aux objets
publics et selon l’exemple de Searle (1995), «la composition chimique des marques
d’encre [sur cette feuille] est intrinsèque, mais le fait que ce sont des mots, des phrases en
français, ou d’autres sortes de symboles, est relatif à l’observateur» (p. 28). Il s’ensuit que
le statut de représentation culturelle rend compte du fait que certaines représentations
publiques sont associées à des représentations mentales similaires, apparemment
2
Le naturalisme biologique de Searle diffère, semble t-il, du naturalisme de Sperber qui apparaît plutôt réductionniste.
En effet, pour Sperber (1999), "it is only recently that we have become capable of actually describing material
mecanisms that instanciate abstract semantic relationship […] We can also begin to describe, in computational and
neurological terms, the kind of material processes that realise [cognitive causal chains]" (p. 7). De plus, pour une
discussion critique de la notion de croyances, voir Dupuy (2000, p. 13-23).
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largement partagées par les membres d’un groupe. Le chercheur en sciences sociales en
construit une modélisation dont l’objectif est de représenter, selon Sperber (1996), une
version abstraite d’une «famille de représentations mentales et publiques» (p. 112). «La
culture est [alors] le précipité de la communication et de la cognition dans une population
humaine» (p. 135), c’est-à-dire qu’«une chose est culturelle dans la mesure où elle
implique la stabilisation de représentations mentales ou de productions publiques au
moyen d’une coordination entre plusieurs individus, médiatisée par la cognition» (Sperber,
1999, p. 14).
Pour terminer, dans le cadre de cette conception naturaliste de la conscience, mais aussi
de la culture (Sperber, 1996, 1999; Sperber & Hirschfeld, 1999), aucun sujet, dont le sujetchercheur, n’a les moyens objectifs de faire l’expérience de la conscience d’autrui. Celle-ci
ne peut donc être qu’une modélisation construite à partir de ses expressions publiques et
sur la base d’une activation d’états mentaux du chercheur. En revanche, la modélisation
proposée peut convenir pour rendre compte de la subjectivité d’autrui, si elle correspond à
des états mentaux particuliers reconnus comme tels par les sujets étudiés et si elle est
validée par la communauté scientifique. Il apparaît possible de proposer maintenant une
modélisation des situations de communication entre un sujet-chercheur et un sujet
observé (Tableau n° 3).
Sujet qui observe
Objet externe
Sujet observé
REPRESENTATIONS
PRODUCTIONS
OU EXPRESSIONS
PUBLIQUES
REPRESENTATIONS
MENTALES
(intentionnalité
intrinsèque au
sujet et
caractéristiques
relatives aux
sciences
cognitives)
Processus
assimilateur
Ø
---------------------
Î
Boîte à croyances
(ou mémoire)
et processus
inférentiel
inconscient
Processus
accommodate
ur
Ø
Í
Croyances
descriptives
ou intuitives
et
Croyances
interprétatives
ou réflexives
(Enoncés, textes,
comportements,
attitudes, éléments
naturels et
artificiels, etc.)
MENTALES
Í
Processus
assimilateur
Ø
---------------------
Ontologie positive
(propriétés
intrinsèques
à l’objet)
et
Ontologie
construite
(propriétés
relatives à un
observateur)
Processus
accommodate
ur
Î
(intentionnalité
intrinsèque au
sujet et
caractéristiques
relatives aux
sciences
cognitives)
Ø
Boîte à croyances
(ou mémoire)
et processus
inférentiel
inconscient
Ø
Croyances
descriptives
ou intuitives
et
Croyances
interprétatives
ou réflexives
Tableau n° 3 – Modélisation naturaliste d’une situation de communication
Comme l’évoque Laplantine (1995), le projet que l’on se donne est de faire en sorte
qu’une situation d’interaction sociale entre un chercheur et un sujet soit la plus consciente
possible. Situation à partir de laquelle, comme le propose la psychologie culturelle, la
connaissance, dont le savoir scientifique, est conçue comme le produit d’une construction
de significations dans le cadre d’une activité partagée (Cole, 1995, 1996). Dans ce cas,
l’analyse «se sert de la communication humaine, mettant en relation la perspective de
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l’acteur (première personne) et de l’observateur participant (deuxième personne)»
(Krewer, 1993, p. 85), et cela par la production de systèmes de symboles. Pour le cas qui
nous occupe ici, l’interaction entre un chercheur et un sujet de culture différente de lui, est
conçue comme une situation de communication interculturelle (voir pour une synthèse,
Ogay, 2000). De ce fait, dans la mesure où elle est accessible à la conscience, il convient
d’objectiver au mieux la subjectivité du chercheur. Celle-ci repose sur l’identification
(autant que faire ce peut) de ses propres croyances, notamment réflexives.
Objectiver la subjectivité
Le schéma d’interaction sociale ou de communication interculturelle, proposé dans le
tableau n° 3, peut permettre d’envisager un paradigme de recherche, intégrant le rôle de
la subjectivité de l’observateur dans l’observation qu’il produit. La nécessaire projection
des schèmes du chercheur, à visées d’interprétation, c’est-à-dire aussi d’assimilation, le
contraint à l’identification précise de ceux-ci pour contrôler, au mieux, le risque constant
d’ethnocentrisme (Dasen, 1993). Compte-tenu des choix faits précédemment, il convient
d’assumer que l’on n’échappe pas à «l’absolu de sa culture et donc à un certain
ethnocentrisme» (Latouche, 1999, p. 14). «La question n’est pas de se donner bonne
conscience mais d’être simplement conscient du côté relatif de ses absolus» (idem). Trois
niveaux d’analyse de ces schèmes semblent, selon nous, s’imposer: idéologique,
théorique, méthodologique.
Les idéologies
«L'autonomie de la science se définit [...] par son aptitude à identifier les idéologies
culturelles dans lesquelles elle baigne, et à s'en différencier» (Le Moigne, 1994, p. 107).
Une idéologie consiste en un ensembles d’idées et de valeurs communes dans une
société (ou points de vue sur le réel), qui peuvent servir à justifier un ordre social, mais
aussi à définir les rapports des hommes entre eux (cf. Rigoulet,1991). Parmi les idéologies
dans lesquelles baigne la recherche interculturelle, il y a celles relatives aux différences
culturelles. Il s’avère que les formes contemporaines du racisme ne s’appuient plus sur
une inégalité postulée de races biologiques, mais aussi sur la différence culturelle
(Bitterlin, 1996). Il convient donc d’examiner cette situation de près.
En sociologie, l’idéologie raciste apparaît fondée sur les deux normes relativiste et
universaliste (voir pour des synthèses, Latouche, 1999; Liauzu, 1992; Taguieff, 1987,
1997; Wieviorka, 1993, 2001). Le relativisme fonde un racisme «différentialiste, fondé sur
un déni d’humanité commune; il s’exprime par l’absolutisation des identités ou des
différences de groupe (raciales, ethniques, culturelles, voir nationales), dans lesquelles il
perçoit l’incarnation de valeurs positives» (Taguieff, 1997, p. 62). L’universalisme est à
l’origine d’un racisme «fondé sur un déni d’identité; il s’exprime par un mépris plus ou
moins prononcé, traduit par une échelle de valeurs, pour les formes culturelles
particulières; il abaisse ou rejette la différence, la suspecte, la condamne» (p. 62).
Toutefois, ces deux normes contraires sont intégrées conjointement en un tout complexe,
de telle manière que «le racisme est négation absolue de la différence [norme
universaliste] et affirmation absolue de la différence [norme relativiste]» (Taguieff, 1987, p.
29-31). Il en ressort deux formes principales de racismes contemporains. Il s’ensuit aussi
que «l’analyse du racisme constitue un champ privilégié pour montrer l’ambiguïté de
l’affirmation "pluriculturelle" [ou bien interculturelle] et du relativisme culturel, professés en
France par la nouvelle droite comme par la gauche "anti-impérialiste"» (Gosselin &
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Ossebi, 1994, p. 131) (voir l’analyse sociopolitique de l’antiracisme dans Bitterlin, 1996; et
l’analyse sociologique de la différence culturelle par Wieviorka, 2001).
• Le racisme standard postule une authenticité culturelle irréductible associée à un
impérialisme de valeurs meilleures que d’autres. Selon Gosselin & Ossebi (1994),
la reconnaissance de l’altérité (norme relativiste) passe dans ce cas par la
hiérarchie qui englobe les différences dans un ordre commun (norme universaliste).
• L’(anti)racisme postule un respect absolu de la différence culturelle associé à un
métissage généralisé vers une unique culture universelle. Selon Gosselin & Ossebi
(1994), la réhabilitation de la différence culturelle (norme relativiste) passe ici par le
conflit lié à la rencontre interculturelle, engendrant des effets intégrateurs en un
ensemble commun (norme universaliste).
La relation entre la recherche interculturelle et l’idéologie raciste s’établit par le fait que les
deux domaines sont fondés par l’intégration des mêmes normes universaliste et relativiste
(Bril & Lehalle, 1988). «Tenir les deux bouts de la chaîne» de l’unité et de la pluralité du
genre humain est d’ailleurs aussi une «tension» constitutive de l’anthropologie (Laplantine,
1995, p. 185). Toutefois, dans le cas de la recherche interculturelle et ethnologique, ces
normes voudraient avoir une valeur sociale positive, alors que dans le cas du racisme,
elles sont estimées être d’une valeur sociale négative. De ce fait, il est aisé de suspecter
de racisme, certaines approches interculturelles (notamment celles du out-group). On
propose une synthèse de cette analyse idéologique des racismes et des études du rapport
psychisme/cultures dans le tableau n° 4 (voir aussi, Troadec, 1999b).
Etude (comparative) de Etude du contact entre
Etudes du rapport
la diversité des cultures
cultures différentes
«psychisme/culture»
----------------------------------------------- ------------------------------- -----------------------------Racismes
Racisme standard
analytique et formaliste
ou racisme d'exclusion
(«soit l'un soit l'autre»)
Valorisation de la
différence
culturelle pour
Norme différentialiste
la construction identitaire
ou relativiste
-------------------------------------Refus de tout métissage
Elle consiste à mettre en évidence culturel, associé à l’idée
les différences culturelles au
d’une pureté et d’une
authenticité culturelles
détriment d’une vision globale
Hiérarchisation qualitative
des différences
Norme assimilationniste
et des productions
ou universaliste
culturelles
-------------------------------------Elle consiste à ne pas mettre en
Impérialisme d'une
culture, estimée
évidence les différences culturelles
«meilleure»,
au profit d’une vision homogène
sur toutes les autres
(uniformisation culturelle)
(Anti)racisme
synthétique et
dialectique
ou racisme d'assimilation
(«et l'un et l'autre»)
Respect des différences
culturelles et de la
pluralité des cultures
-----------------------------------Tolérance absolue à la
différence culturelle,
refus de la comparaison
et de l’intégration
Valorisation des
échanges
et du métissage culturel
par les rencontres
interculturelles
-----------------------------------Elimination des
différences culturelles
par un métissage
généralisé
(mondialisation aculturelle)
Tableau n° 4 – Les idéologies sous-jacentes à la recherche interculturelle
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Comme l’évoque Sperber (1996), «des croyances contradictoires peuvent […] coexister
tant qu’elles ne servent jamais ensemble de prémisses dans un même processus
d’inférence» (p. 121). Aussi, la gestion de la contradiction des normes relativiste et
universaliste apparaît réalisée selon un traitement dualiste.
• Du point de vue (anti)raciste:
1. Le respect des différences culturelles (norme relativiste positive; R+)
s’oppose à l’impérialisme d’une seule culture sur toutes les autres (norme
universaliste négative; U-);
2. La valorisation des rencontres interculturelles (U+) s’oppose à la pureté
culturelle qui sépare et isole les cultures (R-).
• Du point de vue raciste standard:
1. La valorisation de la différence culturelle propre (R+) s’oppose à la
disparition des différences culturelles via le métissage (U-);
2. La hiérarchisation qualitative des cultures (U+) s’oppose à la tolérance
absolue de toutes les productions culturelles (R-).
Il n’est pas impossible d’affirmer que l’approche interculturelle peut prendre appui parfois
sur un discours idéologique (anti)raciste. Cela se produit lorsque la tolérance absolue à la
différence culturelle survalorise l’autre culturel, par exemple les Maghrebins en France, et
exclut de l’analyse les productions de la culture propre suspectées d’impérialisme (ou déni
de soi), éliminées au profit d’une unique culture née de la rencontre interculturelle. Comme
le souligne Dasen (2001), on peut s’étonner que «la théorie des stratégies identitaires […]
ait été développée presque exclusivement avec une seule population, les Maghrébins» (p.
69). Les identités culturelles américaine, française, suisses, etc., ne sont-elles pas, elles
aussi, interculturelles?
Inversement, lorsque l’approche (inter)culturelle survalorise l’importance de l’acquisition
d’une culture propre, originale, incommensurable à d’autres (cas de l’approche culturelle,
voire indigène), associée ou non à une survalorisation de certaines normes estimées
universelles et meilleures (cas de l’approche comparative), elle prend le risque de
s’apparenter au discours idéologique du racisme standard. Comme l’écrit Dasen (2001), la
méthode comparative présente un intérêt heuristique certain, mais pas «n’importe quelle
méthode comparative!» (p. 70).
Influencé par le paradigme de la pensée complexe, déjà évoqué (Morin, 1990), notre
position consiste à tenter de dépasser le dualisme des oppositions idéologiques, par
l’intégration conjointe des diverses expressions des normes universaliste et relativiste
dans un sens positif et constructif, ce que nous désignons par un «universalisme culturel»
(Troadec, 2001) ou aussi un «pluriversalisme» (Latouche, 1999). On peut en trouver une
autre formulation dans la «plate-forme de convictions communes» de la Fondation pour le
Progrès de l’Homme, rappelée par Dasen (2000, p. 15-16). Toutefois, «entre un
relativisme sans principe [refus absolu de l’autre ou bien acceptation absolue de l’autre] et
un universalisme cannibale [impérialisme d’une culture ou bien culture universelle], la voie
est étroite, mais [il] vaut la peine de faire le pari qu’elle existe et de la rechercher»
(Latouche, 1999, p. 10). C’est en ce sens qu’un risque de dérives raciste et de partialité de
la recherche interculturelle peut probablement être évité. Ainsi (et ceci concerne malgré
tout la majorité des cas), celle-ci est (au moins) fondée par:
• La reconnaissance que la valorisation de la différence culturelle propre est
nécessaire au processus de construction identitaire, individuel et collectif (R+), mais
associée à une valorisation des échanges et du métissage culturel par les
rencontres interculturelles (U+);
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La reconnaissance du respect des différences culturelles et de la pluralité des
cultures (R+), mais associée à une hiérarchisation qualitative possible de ces
différences et des productions culturelles (U+).
Appliqués au domaine du développement cognitif de l’enfant, qui constitue notre projet de
recherche (Troadec, 1998a), les deux points précédents deviennent:
• La reconnaissance que le développement cognitif d’un enfant se produit dans un
certain contexte socioculturel qui en contraint les étapes et la forme, mais associée
à une valorisation des rencontres interculturelles pour l’ouverture de la cognition de
l’enfant sur le Monde;
• La reconnaissance qu’il existe des différences culturelles du développement cognitif
d’un enfant, associé à une pluralité de pratiques éducatives, mais qu’une
hiérarchisation qualitative de ces différences permet de valoriser une pluralité de
conditions éducatives, pour un développement cognitif optimal de l’enfant.
Les modèles théoriques
Il n’est pas inutile de rappeler que, dans le cadre d’une épistémologie constructiviste, «le
propre de la scientificité n’est pas de refléter le réel, mais de le traduire en des théories
changeantes et réfutables» (Morin, 1982/1990, p. 21). Sur la base de données vérifiées et
toujours vérifiables, une théorie est donc une construction de l’esprit (via un système de
symboles) qui a comme objectif de leur être le plus adéquat possible. Rendues publiques
et soumises à la réfutation constante, les théories qui «résistent un temps» (p. 22) sont
celles qui apparaissent le mieux adaptées à l’état actuel de la connaissance dans un
domaine particulier. Mais si certaines théories deviennent malgré tout des dogmes,
«inattaquable[s] par l’expérience» (idem), toute théorie est donc «bio-dégradable» (idem).
La théorie opératoire de Piaget, malgré son caractère de référence obligée pour l’étude du
développement cognitif, est un exemple remarquable de «bio-dégradabilité» (voir pour des
exemples de synthèses actuelles, Houdé & Meljac, 2000; Lautrey & Vergnaud, 1997;
Meljac, Voyazopoulos, & Hatwell, 1998; Netchine-Grinberg, 1999).
Sur les bases idéologiques précédentes, il s’agit maintenant d’identifier les modèles et
théories du chercheur (c’est-à-dire objectiver ses schèmes d’interprétation) dans le cadre
du projet qui consiste à rendre compte du développement cognitif de l’enfant en contextes
culturels. Le choix théorique qui est fait se justifie donc par le projet du chercheur, inscrit
en conscience dans le contexte scientifique actuel, et non pas par quelque détermination
intemporelle, liée à la recherche d’une vérité objective. Trois modèles composent un
puzzle théorique complexe:
• Le modèle écoculturel — Ce premier modèle, proposé par Berry, Poortinga, Segall,
& Dasen (1992) et Segall, Dasen, Berry, & Poortinga (1999), permet de
conceptualiser la relation entre des variables contextuelles —écosystèmes et
organisations sociopolitiques— et des caractéristiques psychologiques individuelles
—compétences et performances— par le biais de processus de transmission, tels
que l’héritage génétique, les ressources naturelles, la culture, et le changement
culturel (voir aussi, Troadec, 1998b, 1999a, 1999b, 2001);
• Les niches de développement — Ce deuxième modèle, proposé par Super &
Harkness (1986, 1997) est une conceptualisation plus spécifique de l’enfant-encontextes. Il rend compte d’une interaction systémique entre l’enfant et son
contexte de développement. Celui-ci est constitué par les représentations
culturelles de ses éducateurs ou ethnothéories, les pratiques culturelles d’éducation
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et de soin, et l’agencement physique et social de l’environnement (voir aussi, Bril,
Dasen, Sabatier, & Krewer, 1999; Bril & Lehalle, 1988; Troadec 1999a);
Les théories néoconstructivistes — Actuellement, «une bonne dizaine de théories»
(Bideaud, 1999, p. 206) permet une conceptualisation du développement cognitif
individuel. Celles-ci acceptent désormais, en dépassant la conception
constructiviste de Piaget, certaines prédispositions spécifiques très étudiées chez le
bébé (Lécuyer, 2001) et un «apprentissage guidé par les contraintes préalables»
(Bideaud, 1999, p. 216), rétablissant ainsi un rôle important de l’environnement
(voir pour des synthèses, Bideaud & Houdé, 1991; Dasen & de Ribeaupierre, 1987;
de Ribeaupierre, 1997).
Il semble, selon nous, que bien qu’elles reconnaissent le rôle important des contextes, la
plupart des théories néoconstructivistes ne parviennent pas encore à intégrer vraiment
dans la théorie, les multiples niveaux contextuels (écologique, socio-politique,
économique, historique, culturel, etc.) et se centrent principalement sur l’analyse des
tâches que l’enfant doit résoudre (ou micro-genèse). En revanche, si le modèle écoculturel
et celui des niches de développement répondent bien à cette exigence, ils intègrent peu
une modélisation complexe de la variabilité inter- et intra-individuelle des structures et des
représentations. Notre projet actuel consiste alors à conjoindre le modèle écoculturel, les
niches de développement, et les modélisations proposées par les théories
néoconstructivistes. La mise en œuvre de ce puzzle théorique, à l’appui d’un local
constructivism (Jahoda, 1986), fait actuellement l’objet de recherches sur le
développement des processus de catégorisation (Troadec, 1998a, 1998b, 1999b) et sur la
genèse de l’orientation dans l’espace (Troadec, Martinot, Cottereau-Reiss, & Mellet, 2000;
Troadec & Martinot, 2001).
La méthodologie
Sous la norme universaliste qui postule une unité du psychisme humain, l’approche
transculturelle classique (mainstream) consiste à mettre en évidence les universaux
anthropologiques qui définiraient ainsi la nature humaine. Cette mise en évidence de la
nature de l’homme s’appuie essentiellement sur la méthode expérimentale, issue des
sciences de la nature (Mehler & Dupoux, 1990). Dans la mesure où on évoque une
opposition entre traditions épistémologiques, ayant des implications sur les théories et les
méthodologies utilisées, et ayant fait le choix argumenté d’une option constructiviste,
certains «chercheurs attendent peut-être de connaître le nom de la nouvelle méthode
qu'on leur propose de sacraliser à la place de la méthode expérimentale [...] On va les
décevoir... [...] Aucune méthode (expérimentale ou pas) ne saurait par elle-même garantir
la véracité d'une proposition, et donc cautionner scientifiquement le bien-fondé d'une
décision» (Le Moigne, 1994, p. 232). De plus, si on connaît l’opposition, parfois virulente,
entre les tenants d’une méthodologie de laboratoire, c’est-à-dire de contextes artificiels, et
ceux d’une méthodologie de contextes naturels, tous les chercheurs contemporains qui
s’intéressent à la relation psychisme/cultures font de la recherche en contextes d’activités
quotidiennes, qualificatif qui apparaît d’ailleurs préférable à celui de naturel. S’il n’y a
aucune raison de rejeter les connaissances produites par les méthodes de laboratoire, il y
a lieu d’admettre aussi que la présence du chercheur sur le terrain crée une situation
artificielle par rapport à la vie quotidienne des sujets observés (Laplantine, 1995). D’une
certaine façon, dans tous les cas, il y a artifice.
Pour en revenir à la méthode expérimentale, Poortinga (1993), à partir d’exemples de
recherches interculturelles, argumente l’intérêt des paradigmes quasi expérimentaux dans
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lesquels les performances de groupes de sujets de cultures différentes sont comparées
(voir aussi, Hui & Triandis, 1985; Leung, 1989; Poortinga, 1989; Poortinga & Van De
Vijver, 1987). Selon l’auteur, ils permettent d’éviter «les dangers d’une explication
incorrecte» (Poortinga, 1993, p. 102). Toutefois, dans le cadre d’une étude correctement
élaborée, les conclusions relèvent de «la probabilité d’une certaine explication plutôt
qu’une autre» (p. 103) et non pas d’une explication certaine. Pour prolonger le point
précédent, il apparaît important de préciser que si une différence de performances est
observée (c’est-à-dire les expressions publiques des compétences cognitives), elle peut
être l’indice d’une différence au niveau des compétences invoquées (c’est-à-dire des
croyances du sujet observé). En revanche, une absence de différences de performances
n’est jamais la certitude d’une absence de différences au niveau des compétences
(Reuchlin, 1995; Troadec, 2001).
Les méthodes utilisées dans la recherche interculturelle sont alors celles utilisées
habituellement en sciences humaines. Le débat actuel relatif à la pertinence de certaines
méthodes par rapport à d’autres, et cela en relation avec des positions épistémologiques
importantes quant au statut de la culture mérite, selon nous, d’être dépassé. La culture
peut-elle être considérée comme une variable indépendante dans le cadre de paradigmes
quasi expérimentaux ou bien doit-elle être considérée comme un processus dynamique
incompatible avec le statut de variable? (pour plus de détails, voir Greenfield, 1997; Van
de Vijver & Leung, 1997). Avec le souci d’établir une convergence entre les deux
approches, souhaitée par Poortinga (1993), notre point de vue consiste à concevoir que la
connaissance construite par un chercheur à partir de l’interaction avec un sujet observé,
est le produit d’un processus dynamique de création de significations, dans le cadre du
projet qui est le sien. La situation de communication interculturelle peut alors être, dans
certains cas, une interaction sociale organisée et contrôlée par le chercheur, à partir d’un
paradigme quasi expérimental. Dans ce cas, la culture est à la fois un processus
dynamique, impliqué dans l’interaction du chercheur et du sujet, mais aussi avec la
communauté scientifique, et une variable indépendante.
Pour le cas de l’étude du développement de processus cognitifs, Wassmann & Dasen
(sous presse) préconisent une méthodologie complexe composée de trois étapes, dont la
succession n'est pas déterminée a priori:
• (1) Les informateurs privilégiés — La méthode utilisée habituellement par les
ethnologues consiste à interroger quelques informateurs qualifiés de privilégiés. Il
s'agit de personnes qui «de par leur statut ou leur rôle, possèdent les
connaissances requises, et devraient pouvoir présenter une image cohérente du
système culturel normatif» (p. X). Cependant, on s'est aperçu que le savoir de ces
informateurs n'est pas toujours partagé par l'ensemble d'une population. Il faut donc
aussi étendre ce type d'entretiens à beaucoup d'autres personnes. La première
méthode consiste donc en l’étude des textes ethnographiques et en l’analyse du
discours d’informateurs divers.
• (2) L'observation de la vie quotidienne — Il s'avère aussi que «ce que les gens
disent dans un entretien ne correspond pas nécessairement à ce qu'ils font» (p. X).
L'observation des situations concrètes de la vie quotidienne permet alors de vérifier
dans quelle mesure les descriptions verbales se retrouvent dans les activités de
tous les jours. La seconde méthode est donc celle de l’observation participante,
directe ou instrumentale (photographie, vidéographie, etc.).
• (3) Les situations provoquées — Enfin, on sait que si on veut observer un
processus particulier auprès d'un nombre important de sujets, il faut attendre très
longtemps pour que survienne une situation adéquate dans la vie quotidienne. Il est
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donc utile de provoquer des situations qui vont permettre d'observer la mise en
œuvre du processus envisagé. La troisième méthode est donc celle des
paradigmes quasi expérimentaux.
Comme on peut le constater, la combinaison de méthodes différentes issues de
l’anthropologie et de la psychologie, rend compte d’un point de vue intégrateur et
constructif. Il relie à la fois une méthodologie quantitative et qualitative. Sauf à défendre
encore une option dualiste, il n’y a pas lieu de séparer les méthodes de la compréhension,
issues du constructivisme, et les méthodes de l’explication, issues du positivisme (voir
Richelle, 1997). Il est donc stérile d’opposer d’une part une psychologie (inter)culturelle
comparative, positiviste et quantitative, et d’autre part une psychologie (inter)culturelle,
constructiviste et qualitative. Selon nous, outre le fait que la méthodologie proposée par
Wassmann & Dasen (sous presse) ne doive pas être réservée aux seuls sujets des
cultures dites non-occidentales, il manque à cette proposition la part objectivée de la
subjectivité du chercheur qu’il conviendrait d’ajouter. Ainsi, quelle que soit la méthode
utilisée, le choix que fait le chercheur des situations d’observation ne peut être déterminé
que par le projet qu’il se donne, en prenant en compte aussi les contraintes logistiques de
sa réalisation:
étude de caractéristiques intrinsèques à l’objet ;
étude de caractéristiques de l’objet dépendantes d’un observateur.
Conclusion
Comme l’évoque Krewer (1993), la psychologie culturelle «n’a pas pour but de faire
abstraction de l’interpénétration de la structure psychique [les représentations mentales] et
des contextes d’action et de parole [les représentations publiques]. Mais il s’agit d’utiliser
les capacités humaines de créer des moyens intersubjectifs pour établir un dialogue entre
différentes vues du monde et manières de vivre [cadre de la communication
interculturelle]» (p. 86). Pour répondre aux questions de Bredendiek & Krewer (2001)
posées en introduction, les moyens que je me donne pour établir un dialogue interculturel,
dans le cadre de mon projet de recherche (et non pas de mon objet) consistent à
conjoindre au mieux les approches culturelles et (inter)culturelles comparatives.
De l’anthropologie et de l’approche (inter)culturelle, je retiens le rôle fondamental de la
subjectivité du chercheur dans l’interaction avec le sujet observé. Une définition naturaliste
de la conscience, issue de la philosophie de l’esprit, associée à une définition naturaliste
de la culture, issue de l’anthropologie cognitive, me permet de modéliser la situation de
communication entre le chercheur qui observe et le sujet observé. Sur cette base, les
représentations mentales du sujet observé n’étant pas —à l’heure actuelle— accessibles
par l’observation directe, mais seulement inférées de l’observation, la connaissance que
j’en ai consiste, par l’induction et l’abduction voire la déduction, en la construction d’un
système de symboles, à partir de leurs expressions publiques et de la projection des
schèmes du chercheur à fin d’interprétation. De ce point de vue, la culture scientifique est
bien un processus de construction de significations dans le cadre d’une activité partagée.
A partir d’une épistémologie constructiviste assumée, la modélisation de l’altérité culturelle
prend la forme d’une connaissance plausible, falsifiable et révisable. Elle intègre un projet
de compréhension d’autrui à l’aide d’instruments ou de schèmes, issus de la culture
scientifique et qui sont les médiateurs de cette compréhension. Elle s’appuie sur trois
types principaux de schèmes:
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un schème idéologique, dénommé universalisme culturel, qui résulte de l’intégration
des normes relativiste et universaliste, telles qu’elles sont étudiées en
anthropologie et en sociologie;
un schème théorique relatif à une psychologie du développement cognitif en
contextes culturels, qui résulte de l’intégration du modèle écoculturel, des niches de
développement, et des théories néostructuralistes;
un schème méthodologique qui résulte, quant à lui, de l’intégration de méthodes
différentes issues de la tradition en sciences humaines et sociales.
De l’approche (inter)culturelle comparative, je retiens donc aussi les paradigmes quasi
expérimentaux, où la culture est conçue comme une variable indépendante (ou plutôt une
package variable). Il en résulte une connaissance communicable à autrui. A cet ensemble
complexe de schèmes, s’ajoute enfin l’expérience personnelle dans le Pacifique-Sud et
aussi en Occident. Ainsi, lorsque je rends compte à mon frère polynésien des résultats de
mes recherches et que celui-ci me dit «mais oui, c’est ça!», sans trop savoir comment le
mettre en mots, j’atteins peut-être là un idéal d’interculturation. Et dans ce cas, la
modélisation proposée pourrait simplement convenir hic et nunc pour rendre compte et
comprendre le phénomène étudié (Von Glaserfeld, 1988). Par récursivité, les
connaissances construites ont progressivement transformé les outils de leur production
(c’est-à-dire qu’elles ont accommodé mes schèmes de chercheur) et conjointement, il
n’est pas impossible qu’elles aient modifié le point de vue (intrinsèque) de mon frère
polynésien sur lui-même et sa culture.
Comme le souligne Martin (2000), face au projet toujours ambitieux «d’objectivation de la
réalité» (p. 85), et afin d’éviter une position naïve ou dogmatique, il convient bien de se
donner explicitement, c’est-à-dire publiquement, les moyens de faire, ce que Morin
(1982/1990) appelle, de la science avec conscience.
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