Actes du VIIIème Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001
sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric.
2
Introduction
Le philosophe de l’esprit John Searle, «l’un des plus influents et féroces critiques du
cognitivisme et de l’intelligence artificielle» (Dupuy, 2000, p. 53), affirme que «tout état
conscient est l'état conscient de quelqu'un» (Searle, 1995, p. 139). L’auteur met ici
l’accent sur le fait que, même dans le cadre de la connaissance scientifique, la subjectivité
ou l’intentionnalité de celui qui la produit est essentielle. «Autre conséquence de la
subjectivité: toutes mes formes conscientes d'intentionnalité [celles de Searle] qui me
donnent une information sur le monde indépendamment de moi se font toujours à partir
d'un point de vue particulier. Le monde lui-même n'a pas de point de vue; en revanche,
mon accès au monde par le biais de mes états conscients a toujours une perspective, il se
fait toujours à partir de mon point de vue» (p. 140). Aussi, bien que ce soit inhabituel en
psychologie du développement cognitif, mais dans la mesure où la réflexion qui suit est
faite à partir du point de vue subjectif de son auteur, l’introduction et la conclusion de la
communication sont à la première personne (je).
J’ai passé plus de 20 ans de ma vie en Océanie, dans le Pacifique Sud. Parmi les
événements les plus marquants de cette expérience personnelle, il y a eu mon adoption
(ou fa’a’amu) par une famille polynésienne. J’ai donc eu la chance d’avoir une deuxième
mère et un autre frère. Avec ce dernier, il a toujours été évident que je n’ai pas la même
couleur de peau que lui et que je parle la langue qu’il utilise quotidiennement beaucoup
moins bien. De plus, lorsqu’il est devenu diacre de l’Eglise Protestante, je suis devenu
docteur en psychologie de l’Université de Paris. Autrement dit, il y a toujours eu entre nous
une différence raciale, ethnique, et culturelle. Cette différence, objectivée par la
comparaison constante de l’un avec l’autre, n’a jamais fait de problème. Outre qu’elle nous
a souvent amusés, elle est, encore à l’heure actuelle, notre richesse.
Or, depuis que je suis devenu enseignant-chercheur à l’Université de Toulouse, il m’est
arrivé d’entendre que l’approche (inter)culturelle comparative qui guide, en partie, mes
travaux de recherche et mes enseignements, peut être suspectée parfois, d’une part d’être
raciste, et d’autre part de ne pas être vraiment de l’interculturel. Je me suis souvent
demandé pourquoi des points de vue sur mon histoire personnelle là-bas et ma démarche
scientifique ici pouvaient varier à ce point. Cela m’a tout naturellement amené à
m’interroger sur ce qui fonde la recherche interculturelle et surtout sur la manière dont,
personnellement, j’en fais. De nombreux éléments d’analyse ne sont pas nouveaux. Ils ont
déjà fait l’objet de prises de conscience et de débats au sein même de l’Association pour
la Recherche InterCulturelle (ARIC). Ce qui est peut-être nouveau, c’est mon souci de
dépasser les antagonismes idéologiques et aussi d’exposer les instruments conceptuels et
méthodologiques que j’utilise dans le cadre du projet de recherche qui est le mien. Ces
schèmes du chercheur apparaissent donc construits par la subjectivité de celui qui fait ce
projet. Il s’agit ainsi de considérer l’observateur, c’est-à-dire moi, comme «partie intégrante
de l’objet d’étude» (Laplantine, 1995, p. 168).
Aussi, le premier objectif de la communication est de tenter une analyse idéologique et
épistémologique des différentes approches du rapport psychisme/cultures, et ensuite
d’évoquer en quoi il est stérile de les opposer. Comme l’Association pour la Recherche
InterCulturelle (ARIC) l’a toujours soutenu, et comme de nombreux auteurs qui y adhèrent
l’affirment encore tout récemment, elles apparaissent plutôt complémentaires (par
exemple, Dasen, 2001). Il reste toutefois à préciser en quoi elles le sont, et surtout à en
proposer, si cela est possible, un modèle intégré. Une proposition en ce sens est faite
actuellement par Krewer (1999) et Bredendiek & Krewer (2001; sous presse). Si le